ANNIBAL EN GAULE

 

CHAPITRE II. — LES TEXTES.

 

 

III. — La méthode de Tite-Live.

 

Suivons de près, avec Nissen, les modifications que Tite-Live fait subir à son modèle : il y supprime avant tout les digressions qui n'intéressent pas l'histoire romaine, c'est-à-dire les traités de tactique, descriptions géographiques, etc. Il fait disparaître aussi, dans de certaines limites, les appréciations trop dures sur la conduite des Romains.

Il n'emploie du reste Polybe que pour les parties de l'histoire où celui-ci est le chroniqueur le plus autorisé, c'est-à-dire pour les événements qui ont lieu en Grèce ou en Orient. Dès que la scène change, qu'il faut se transporter à Rome ou en Occident, Polybe n’est plus consulté que dans des cas très particuliers ; ce sont les annalistes romains que Tite-Live met à contribution. Il déclare lui-même (XXXIII, 10) que Polybe a été son principal auteur pour les affaires de Grèce ; chez les anciens, ces deux mots devaient avoir le sens bien déterminé que nous avons indiqué. Tite-Live complète quelquefois le récit de Polybe en y introduisant des noms propres que lui fournissent les annalistes romains (XXXIII, 30) ; quelquefois aussi, il signale les erreurs de ces derniers, qu'il a contrôlés par l'historien grec.

Taine n’a donc pas eu tort de dire que Tite-Live, autant qu'homme du temps, s'est précautionné contre l'erreur ; qu'il a choisi les auteurs les plus anciens, les plus savants et les plus graves (page 48) ; à chaque instant on s’aperçoit qu'il ne fait que transcrire les témoignages conservés (page 38). Ce qu'à travers lui nous lisons aujourd'hui, c'est Fabius Pictor, c'est Pison, ce sont les premiers annalistes, plus corrects, plus clairs, plus éloquents, mais avec leur plan, leurs détails, leurs erreurs, tels qu'il les déroulait dans la bibliothèque de Pollion... Il a le rare mérite de n'altérer jamais un témoignage, et de ne dire rien sans une autorité (page 40).

Mais Taine exagère en ajoutant : Jamais il n'avance un fait sans preuves. Pour les plus minces détails, il avait les auteurs sous les yeux.

En parlant des témoignages que Tite-Live reproduit scrupuleusement, Taine songe surtout à ceux qui intéressent la morale de l'histoire ; si nous nous bornons aux détails plus modestes, aux faits matériels, il nous faut avouer au contraire que Tite-Live leur fait subir de regrettables altérations.

Voici par exemple (XXXVIII, 38) un traité de paix, dont les articles sont reproduits d'après Polybe (XII, 15-26) ; pour terminer, les signataires conviennent de soumettre leurs différends à un jugement, à un arbitrage ; Tite-Live ajoute, de son propre crû : ou aux armes, s'il leur convient à tous deux, phrase d'une naïveté absurde en toute circonstance, mais stupéfiante dans un traité.

Des expressions précises de Polybe sont généralisées de manière à en fausser le sens : de l'infanterie légère (XVIII, 21) devient tout simplement de l'infanterie (XXXIII, 7), ce qui change !e caractère de l’opération décrite.

Les villes grecques de la Thrace (XXIII, 8), deviennent chez Tite-Live toute la Thrace (XXXIX, 33).

Dans le même passage, au lieu de traduire littéralement : Le roi, ayant été dissuadé d'aller plus loin et ayant hésité longtemps (XXII, 18), il improvise : Cette parole troubla d'abord le roi à tel point que son visage pâlit et se décomposa ; enfin, ayant ressaisi ses esprits... (XXXIV, 34), et c'est Tite-Live qui impute au roi Philippe cette émotion intempestive sans que rien l'y invite.

Un peu plus haut, Polybe nous racontait les marches qui ont précédé la bataille de Cynocéphales : Ayant été gêné dans sa marche par le brouillard, il (Philippe) passa la nuit dans un pays ouvert et conduisit son armée dans des gorges (XVII, 20), etc. Tite-Live traduit : Une telle nuée avait obscurci le jour, que les enseignes ne voyaient pas le chemin, ni les soldats leurs enseignes ; la colonne s'orientait sur des cris incertains comme si elle s'était égarée en errant dans la nuit (XXIII, 7). Nous perdons le renseignement topographique exact pour une amplification oiseuse.

A propos de la bataille même de Cynocéphales, Tite-Live remarque, d'après Polybe, qu'en arrachant un pieu de la palissade, on n'ouvrait pas un bien grand vide, mais il ajoute, de lui-même, une observation très fausse : et il était facile d'en remettre un autre (XXXIII, 5).

Ce qui est plus grave, c'est que Tite-Live traduit cette phrase : Philippe, ayant appris que les Romains campaient près de Thèbes, par : ayant appris que les Romains s'étaient portés de Thèbes à Phères et, si singulier que cela paraisse, il a pris sur lui de contredire Polybe, car tout le chapitre est traduit de ce dernier, sans trace d'autres originaux.

Il lit le grec à livre ouvert, mais n'est pas à l'abri des contresens, et il en commet d'assez amusants. Il confond, par exemple, θυρεούς (boucliers longs) avec θύρας (portes), en racontant la guerre de mines devant Ambracie. Le défenseur qui, d'après Polybe, arrêtait l'assaillant dans un boyau de mine en lui opposant ses boucliers (XXII, 11), se trouve, d'après Tite-Live, lui fermer la porte au nez (XXXVIII, 7).

Une autre fois, il confond Thermôn, où se réunissent les Étoliens (XVIII, 31), avec les Thermopyles ; il en profite pour ajouter quelques mots : Aux Thermopyles, où se tient, à des époques fixes, une nombreuse assemblée des Grecs nommée Pylaïque (XXXIII, 35).

La plus amusante de ses erreurs est peut-être celle qu'il commet sur le mouvement des piques dans la bataille de Cynocéphales. Philippe ayant commandé à la phalange : Abattez les piques (XVIII, 24), l'équivalent de notre Croisez la baïonnette, Tite-Live comprend qu'il a ordonné de jeter les piques à terre, et il explique aussitôt que la longueur de ces armes les rendant encombrantes, on s'en débarrasse pour charger l'épée à la main (XXXIII, 8). Il avait pourtant rencontré ailleurs et bien compris la même expression[1].

Il est inutile de poursuivre la recherche de ces exemples. Nous en avons assez pour savoir que Tite-Live, tout en traduisant Polybe, abrège ou allonge quelquefois d'une manière assez maladroite. Nous ne donnons pas ici d'échantillons de ses développements oratoires : ils sont assez connus. Il ne faut pas, dit Nissen, chercher de loi, de méthode dans ces suppressions et additions ; elles résultent de la légèreté et de la rapidité avec lesquelles Tite-Live a travaillé (page 21).

La qualité fondamentale de la narration de Polybe lui vient d'un exposé très froid, très nu, des événements, et de la limpidité, de la netteté qu'elle conserve dans les moindres détails. Cette recherche de la clarté et de l'exactitude donne au récit tout entier quelque chose de prolixe et de large, et on peut bien dire que le nombre des mots n'est pas toujours proportionné à la véritable importance du sujet (page 21)... Cette grisaille si fine, cette simplicité qui a quelque chose de grand dans sa froideur et dans sa précision, sont perdues par Tite-Live (page 23).

Nous voici loin de l'appréciation si favorable portée par Taine sur l'historien latin : La seule licence qu'il prenne est de souffler un peu de vie dans les phrases traînantes de ses froids devanciers (page 40). Nous verrons, en examinant de près les deux récits et en les comparant dans la partie qui nous intéresse, si le philosophe artiste a vu plus juste, sur celte question de forme, que le philologue.

Quoi qu'il en soit, retenons dès à présent le reproche de légèreté et de rapidité qui va nous apparaître d'une manière encore plus sensible et plus curieuse dans l'assemblage des fragments copiés ou traduits par Tite-Live que dans la mise au point de chacun. Nous sommes obligés de conclure d'après une foule de traits caractéristiques, nous dira Nissen, qu'il a travaillé très vite. Après avoir parcouru les plus longs fragments et avoir fait son choix entre eux, il les traduit sommairement, phrase par phrase, sans trop se soucier d'exactitude dans les détails.... mais, malgré les à peu près innombrables, les transpositions et les négligences grossières que l'on aperçoit dans les fragments reproduits, il ne faut pas déprécier l'exactitude collective de l'œuvre (page 33)...

Ce qui nous intéresse surtout, parmi les défauts que signale Nissen, ce sont les répétitions et les contradictions résultant du peu de soin avec lequel les divers fragments ont été assemblés.

On trouve, par exemple, depuis le chapitre XLIV, 15 jusqu'à XLV, 3, trois relations différentes de l'ambassade de Rhodes, entre lesquelles on pourra choisir.

Il n'y a pas moins de difficulté en ce qui concerne la mort de Scipion et son procès, qui avait pourtant une grosse importance pour le peuple romain ; Tite-Live nous annonce d'abord (XXXVIII, 50) qu'il place la mort de Scipion en l'an de Rome 567, d'après Valerius. Un peu plus loin (XXXVIII, 55-57), il portera cette première date à 569, pour rendre vraisemblable un discours, manifestement apocryphe d'ailleurs, que d'autres ont prêté à Scipion. Enfin, il nous apprendra (XXXIX, 52) que Polybe et Rutilius, c'est-à-dire les auteurs les mieux renseignés sur ce qui touche aux Scipions, ont donné la date de 571 ; mais il préfère s'en tenir à Valerius ou au discours apocryphe de Scipion !

Ici, tout au moins, s'il se trompe, il a faut son choix et constaté lui-même la contradiction ; mais il en sera souvent autrement.

Par exemple, des otages carthaginois sont conduits de Norba à Signia et Ferentinum (XXXII, 2), mais ils sont amenés en même temps à Setia (XXXII, 26).

D'après le chapitre XXXIV, 44, ce sont les censeurs qui attribuent des places au Sénat dans les jeux publics ; d'après XXXIV, 54, c'est Scipion. Le triomphe de Flaminius est placé en l'an 560 par le chapitre XXXIV, 52, et en 561 par XXXV, 10. Un certain temple est consacré par Furius à deux dates différentes, distantes de deux ans, (XXXIV, 53 et XXXV 41). De même pour des dons gratuits décernés par les édiles (XXXV, 10 et XXXV, 41) et pour une expédition contre des brigands (XXXIX, 21 et XXXIX, 41).

Le chapitre XXXVII, 2, donne vingt navires à Æmilius pour débarquer en Asie ; le chapitre XXXVII, 14, ne lui en donne que deux.

On décide l'envoi d'une armée en Étolie (XXXVII, 2) ; elle part, et elle devrait être arrivée, quand on se demande encore (XXXVIII, 3) s'il ne serait pas opportun d'intervenir en Étolie et d'y envoyer une armée ; elle part pour la seconde fois, qui est la bonne.

Des négociations avec Persée sont racontées à deux reprises, de manières différentes (XLII, 36 et XLII, 48).

Nissen cite encore deux exemples qui seraient bien intéressante pour nous s'ils avaient toute la valeur démonstrative que leur prête le savant allemand. Tels qu'ils nous apparaissent, ils sont moins péremptoires, mais témoignent encore assez nettement du défaut de liaison entre les fragments reproduits par Tite-Live. Il s'agit d'une guerre contre les Ligures et d'une expédition en Illyrie.

Dans un premier passage (XXXV, 3) Tite-Live nous apprend que les Ligures ravagent les environs de Pise et bloquent cette ville. Le consul Minucius se porte de ce côté avec une armée, bat les barbares sous les murs de Pise, puis va ravager leur pays. Nous sommes avertis que cette guerre sera longue et pénible, à cause fie la nature particulièrement rude et compliquée de la région, et de l'énergie des habitants. Tite-Live s'occupe alors de la guerre soutenue en même temps contre les Gaulois cisalpins, puis revient tout à coup à la Ligurie pour rapporter une aventure extraordinaire, presque extravagante, que l'absence totale de noms propres doit faire attribuer à quelque compilateur d'anecdotes plutôt qu'à un annaliste : on voit (XXXV, 9) le consul perdu avec son armée dans une gorge où les ennemis le tiennent enfermé. Il songe à de nouvelles Fourches Caudines, quand ses Numides (d'où viennent-ils et comment se trouve-t-il dès cette époque des Numides dans une armée consulaire ?) détournent l'attention des ennemis par une fantasia, puis filent brusquement à travers leurs lignes et vont brûler leurs villages. Le consul, dégagé par cette diversion, sort alors du défilé et va où il voulait aller. L'incident est clos.

Un peu plus loin, Tite-Live nous annonce que, l'année suivante, Minucius cesse d'être consul, mais qu'il est maintenu dans son commandement pour achever cette guerre. Nouveau récit (XXXV, 21) qui présente cette particularité de reproduire à peu près le premier, Nissen veut que ce soit une seconde version d’un même fait, que Tite-Live aurait reculé d’un an : la chose n'est pas certaine, car rien ne s'oppose absolument à ce que les troupes romaines soient rentrées en Étrurie pour prendre leurs cantonnements d'hiver, et rencontrent encore les barbares devant Pise au printemps. Ce qui est incontestable, tout au moins, c'est qu'entre deux fragments (XXXV, 3 et XXXV, 21) empruntés à des annalistes sérieux, Tite-Live a intercalé (XXXV, 9) un passage d'origine et de véracité suspecter, sans caractère vraiment historique' et qui, même s'il se rapporte à un fait réel, semble devoir être attribué à une date très postérieure.

Il n'y a rien d'absolument impossible, à coup sûr à ce que Minucius ait battu les Ligures deux fois de suite devant Pise, et il n'est pas certain, malgré l'avis de Nissen, que Tite-Live ait copié, à cinquante pages de distance, deux relations d'une même campagne ; seulement, ce qui est bien fait pour éveiller les soupçons, c'est que de pareilles répétitions reviennent trop souvent dans Tite-Live pour qu'on y croie toujours. Qu'il s'agisse de Ligures, de Gaulois ou d'illyriens, on voit chaque campagne recommencer deux années de suite, mais jamais trois sur un même théâtre, avec combats aux mêmes points, en sorte qu’on se demande si Tite-Live n'a pas suivi deux annalistes entre lesquels existerait une différence constante d’une année.

Pour l'expédition d'Appius Claudius en Illyrie, par exemple, nous trouvons deux récits successifs qui peuvent se rapporter à deux campagnes différentes, mais qui ont bien l'air d'être deux variantes d'une même relation : dans le chapitre XLIII, 9, les Romain ont subi un échec en Illyrie, et Claudius va les venger. Il marche sur Lychnidos, puis sur Uskana, dont les habitants lui infligent une défaite sanglante, et se retire en désordre sur Lychnidos, etc. Dans le chapitre XLIII, 18, on voit d'abord Persée s'emparer d'Us-kana' en vendre les habitants et y mettre garnison. L. Cœlius, lieutenant des consuls, arrive à Lychnidos, puis à Uskana, où il est battu et mis en déroute ; il est recueilli à Lychnidos par Appius Claudius, qui bat en retraite avec lui jusqu'à la côte. N'y a-t-il pas là deux relations différentes d'une même campagne ? Faut-il croire qu'Appius Claudius, comme Minucius et tant d'autres consuls, selon Tite-Live, est venu subir deux échecs au même endroit ? Nissen ne l'admet pas, et il pourrait bien avoir raison. Le vieux Rollin avait dû éprouver la même impression, car il supprime l'un des deux passages dans son histoire romaine.

En voilà assez pour constater que Tite-Live a souvent donné deux ou trois relations d'un même fait (négociations avec Persée, avec les Rhodiens, envoi de troupes en Étolie, etc.) ou placé bout à bout des fragments d'origines diverses, sans pouvoir les raccorder (guerre de Ligurie) ; Tite-Live, dit Nissen, prenait ses auteurs l'on après l'autre ; il se contentait de les traduire, et il ne faut pas lui demander de liaison ou de mélange.... Il y a entre Polybe et les autres sources que Tite-Live a utilisées des contradictions que le travail de ce dernier ne fait nullement disparaître (page 52).

Nous voici donc fixés sur le procédé de composition de Tite-Live, d'après l'analyse critique que Nissen a faite des 4e et 5e décades. Il choisit, pour une période, ou pour un sujet donné (une campagne, par exemple) un auteur principal. Il adopte naturellement la relation dont le plan et le développement se rapprochent le plus de ce qu'il projetait lui-même ; il tient compte des qualités de conscience et d'exactitude reconnues aux historiens, de (espace et du temps qui les séparent des événements. Autant que possible, il aura recours à un témoin oculaire ; a priori, sa préférence sera pour ceux qui ont dû être le mieux au courant des faits. Mais il peut se tromper dans son choix, où il tient plus compte de la situation des historiens que du parti qu'ils en ont tiré. Par exemple, malgré la conscience bien connue de Polybe, il lui préfère, pour ce qui concerne l'Italie, les annalistes romains qui ne le valent pas toujours, mais qui devraient être mieux informés.

L'auteur principal étant choisi, Tite-Live va le copier ou le traduire plus ou moins librement, d'un bout à l'autre du ou des chapitres qu'il veut utiliser ; mais il note auparavant les fragments d'autres historiens qu'il veut reproduire aussi, en raison des données complémentaires qu'ils lui fournissent. Ces fragments, il les intercale dans la relation principale lorsqu'il juge te moment venu ; et comme il ne leur fait subir, non plus qu'à celle-là, aucune modification, il ne peut pas assurer tout à fait l'enchaînement du récit et Tordre chronologique. Les raccords se font mal, les répétitions et les contradictions sont inévitables. De temps à autre, il donne carrière à ses goûts de rhéteur, et se lance dans des développements oratoires qui sonnent souvent très faux en raison de son ignorance des questions militaires et du terrain.

En ce qui concerne les 4e et 5e décades, Tite-Live a pris manifestement, et il le déclare lui-même, Polybe pour auteur principal lorsqu'il s'agit des événements de Grèce et d'Orient, et il n'en trouve guère d'autres à consulter pour compléter son récit. Pour les événements d'Italie, il se sert surtout des annalistes romains, ne néglige cependant pas de lire Polybe, mais en tient médiocrement compte, même lorsqu'il est mieux informé que les annalistes (exemple : mort de Scipion). Il se sert, comme on l'a vu pour la guerre de Ligurie, de recueils d'anecdotes plus ou moins authentiques. Il n'a guère de sens critique ; il ne paraît pas s'être fait une opinion personnelle sur les divers auteurs qui s'offrent à lui, mais il s'est réglé sur la réputation qu'ils avaient dans le public.

Les fragments qu'il emprunte à ses différents auteurs, il les récrit ou les traduit au courant de la plume, écourtant un peu, ajoutant aussi quelquefois une épithète, une explication, une phrase descriptive, qui ne manquent guère de porter à faux.

Tel il s'est montré à Nissen, dans ses 4e et 5e décades, tel nous le verrons dans son XXIe livre. Mais ici nous aurons vite fait de constater qu'il n'a pas suivi Polybe ; nous ne connaîtrons aucun de ses modèles, et il va falloir, pour mener à bien notre analyse, comparer mot à mot, pour ainsi dire, Tite-Live et Polybe.

Ce dernier, lorsqu'il ne rapporte pas des événements contemporains, dont il a été le témoin et qui lui sont connus par de nombreux récita concordants, doit procéder comme tous les historiens anciens, c'est-à-dire copier à peu près exactement les auteurs qui ont traité son sujet avant lui, et en rapprocher des fragments sans les fusionner. Les travaux faits en Allemagne sur les rapports de Dion, de Diodore, etc., avec Polybe et Tite-Live, ne laissent plus de doute sur ce point[2]. Mais Polybe apporte-t-il dans l'application de cette méthode la même négligence que Tite-Live ? Comment traite-t-il ou réduit-il ses originaux ? Essayons de le deviner d'après les principes auxquels il déclare s'être conformé.

 

 

 



[1] Polybe, XI, 13-16.

[2] Il y a, entre autres, une preuve péremptoire ; P. Orose (IV, 1) donne de la guerre contre les Gaulois cisalpins un récit à peu près identique à celui de Polybe, et il déclare l'avoir copié dans Fabius. Polybe avait donc, lui aussi, suivi l'historien latin de très près. (VALETON, p, 80.)