CHINON ET AGNÈS SOREL

CONCLUSION

 

 

 

Louis XI. — René, duc d'Alençon. — Chinon sous les huguenots ; sous la république. — François Rabelais. — Mathurin de Neuré.

 

Revenons maintenant à Charles VII.

Après quelques mois de séjour en Normandie, le roi, toujours poursuivi du souvenir de la belle Agnès, résolut de revoir les lieux témoins de ses serments et de son amour. Il reprit, en conséquence, le chemin de la Touraine, et passa quelques jours à Chinon.

Ce prince, père infortuné, craignant d'être empoisonné par son fils, refusa de prendre aucune nourriture, et privé de forces par le manque d'aliments, mourut en 1461.

Quant à l'époque de la mort d'Étienne Chevalier, nous n'avons rien pu découvrir de certain à ce sujet.

A son avènement au trône, Louis XI fixa sa résidence au château du Plessis-lès-Tours, qu'il avait fait construire sur l'emplacement des Montils ; ce qui ne l'empêcha pas de venir de temps à autre à Chinon. Ce fut même dans cette ville qu'il reçut, vers l'an 1481, Marguerite d'Anjou, femme de Henri VI, roi d'Angleterre.

Il accueillit cette princesse infortunée avec les plus vifs témoignages d'intérêt et de sympathie ; il plaignit ses malheurs ; et une telle conduite, si peu en rapport avec le caractère de Louis XI, adoucit les derniers moments de Marguerite, qui vint mourir, l'année suivante, à Dampierre, près de Saumur.

Un des premiers actes du règne de Louis XI fut de rendre la liberté à Jean, duc d'Alençon, détenu prisonnier par Charles VII, en châtiment de ses trahisons. Ce seigneur, oublieux des bienfaits de son maître, devint plus tard un des chefs de la guerre dite du bien public, fut condamné à mort, puis gracié une seconde fois, et mourut peu après. Il avait épousé Marie d'Armagnac, dont il eut René d'Alençon. Ce jeune prince passait sa vie dans la débauche et les orgies. Rassemblant autour de lui ses domestiques, il parcourait avec eux la campagne, insultant toutes les femmes qu'il rencontrait. Ses gens avaient même, plusieurs fois, mais à son insu, pillé les chaumières des paysans.

Les ennemis de René ne manquèrent pas d'instruire le roi de la conduite dissolue que menait le duc d'Alençon ; et ce texte, déjà si riche, ils trouvèrent moyen de le charger encore. En conséquence, les pensions de René furent supprimées, et ses biens confisqués.

Craignant qu'on n'en voulût aussi à sa vie, ce prince courut, en 1481, se réfugier auprès du duc de Bretagne ; mais ayant été prévenu, il se vit arrêté près Laroche-Talbot, par Jean de Daillon, seigneur du Lude, qui le conduisit à Chinon.

Là, par ordre de Louis XI, on l'enferma dans une cage de fer, d'un pas et demi de long, et à travers les barreaux de laquelle on lui donnait à manger au bout d'une fourche.

Quelques historiens ont avancé que ce genre de cachot était dû au génie inventif du cardinal de la Balue ; mais pour détruire cette assertion, il suffira de lire Suétone (livre iv). On verra que du temps de Caligula, ce tyran faisait enfermer des citoyens dans des cages si basses qu'ils étaient obligés de s'y tenir et d'y marcher comme des quadrupèdes. La Balue aurait donc été, tout au plus, le restaurateur de ce genre de torture, et non pas l'inventeur.

D'ailleurs, René d'Alençon ne restait pas toujours enfermé dans cette incommode prison ; il passait alternativement vingt-quatre heures dedans et vingt-quatre heures dehors.

René gémit trois mois entiers à Chinon, d'où il fut retiré pour être amené et jugé à Vincennes. Charles VIII, ému de pitié pour ce prince, reconnaissant d'ailleurs son innocence sur plusieurs points, et l'exagération des rapports de ses ennemis, le rétablit dans tous ses droits, par lettres patentes, datées du mois de mai 1487. René mourut cinq ans après, en 1492.

De plus, Brantôme affirme que ce fut à Chinon que César Borgia vint trouver Louis XII, en 1499, pour lui remettre, de la part d'Alexandre VI, les lettres portant nullité de son mariage avec Jeanne de France, fille de Louis XI ; mais aucun écrivain n'ayant fait mention de ce fait, nous ne saurions prendre sur nous de le confirmer.

Le 23 novembre 1558, Claude Gouffier, duc de Rouannais, comte de Maulevrier et de Caravas, obtint du roi le gouvernement de Chinon, où Jacqueline de la Trémouille, sa femme, avait été transférée, en 1544, par ordre de François Ier, et où elle mourut.

Ayant résigné sa charge en 1567, trois ans avant sa mort, Arthus de Gouffier, son fils, le remplaça, et y épousa Catherine de Mart, veuve de François de Daillon.

Pendant ce temps, la reine Catherine de Médicis venait souvent à Chinon. Cette princesse désirait beaucoup posséder le château de Chenonceaux, qui appartenait à Diane de Poitiers. Elle fit faire en conséquence à celle-ci la proposition d'échanger Chenonceaux contre Chaumont-sur-Loire, qu'elle avait acheté, en 1550, de Charles de La Rochefoucauld et de sa femme Antoinette d'Amboise. Diane de Poitiers, exilée de la cour, n'osa résister à sa souveraine, et consentit, quoiqu'à regret, à l'échange proposé. La ratification de cet acte eut lieu à Chinon, le 18 mai 1560.

Lorsque la religion réformée s'introduisit en France, les huguenots tinrent des assemblées, où se rendirent les députés des villes de Tours, de Loudun, de Vendôme, de Saumur, de Craon, et de beaucoup d'autres cités de Touraine. Chinon seule n'y envoya pas de représentants ; ce qui donne lieu de penser que les habitants de cette ville conservèrent la foi de leurs ancêtres dans toute son intégrité. Ce qui vient encore donner plus de poids à cette opinion, est la prise du château de Chinon par les protestants, au sujet de laquelle Brantôme s'exprime ainsi :

Les huguenots ayant pris par surprise le château de Chinon, dont Laroche-du-Maine était capitaine, comme ils firent d'autres de la France, qu'on ne se doutait pas, lui n'y étant pas, quand on lui en porta la nouvelle : Ah ! tête-dieu pleine de reliques, dit-il, faut-il que Père éternel gagne Pater noster, je les en chasserai bien ! Il y réussit en effet, et rentré victorieux dans la ville, il jura : Que s'il eût failli et n'y fût rentré, il eût tenu Dieu pour hérétique, et ne l'eût jamais servi de bon cœur.

Plus tard, le duc d'Anjou, qui devint Henri III, se fixa à Chinon, après le mariage de madame Marguerite de Valois avec le prince de Navarre.

Cependant la ligue redoublait des efforts qu'elle voyait couronnés de succès. Henri III demanda la paix au roi de Navarre, et sut se ménager avec ce prince une entrevue qui eut lieu au Plessis-lès-Tours. Après la conclusion de la trêve, le roi de Navarre passa quelques jours à Chinon, qu'il fut obligé de quitter précipitamment, pour aller secourir Henri III, attaqué par le duc de Mayenne, sous les murs de Tours.

En 1616, Louis XIII donna au prince de Condé la ville et châtellenie de Chinon, en garantie du traité de Loudun ; ce prince alla prendre possession de son nouveau domaine, mais il se vit arrêté au Louvre, peu de temps après son retour, et Rochefort, gouverneur de Chinon, apprenant cette nouvelle, réunit quatre cents piétons et deux cents cavaliers, résolu de défendre le château, à la tête de sa petite armée, tant qu'il lui resterait une goutte de sang. Cependant ayant reçu une lettre du prince de Condé, sur son injonction, il remit le château dans les mains du roi.

L'année suivante, la reine-mère se désista de son gouvernement de Normandie, et reçut en échange Angers et Chinon. Elle donna le gouvernement de cette dernière ville au seigneur de Chanteloup. En 1629, le duc de Bourbon vendit Chinon à madame la princesse de Conti, qui le revendit à son tour au cardinal de Richelieu, le 21 février 1631.

Ce ministre, ayant fait construire Richelieu, ne trouva rien de mieux, pour agrandir son domaine, que d'abattre une partie de Chinon. En conséquence, il donna l'ordre de raser la chambre où Charles VII avait, deux siècles auparavant, reçu Jeanne d'Arc.

Nous avons dit en commençant ce travail que Chinon avait, à toutes les époques, pris part aux événements de notre histoire. Nous voyons en effet, plus d'un siècle après, cette ville reparaître au milieu des sanglantes dissensions qui signalèrent, en France, le triomphe des idées révolutionnaires.

Lors des guerres de la Vendée, les républicains y établirent des magasins considérables de blé et de vivres de toute espèce ; ils creusèrent de nouveau les fossés que le temps avait en partie comblés, et rassemblèrent dans l'intérieur des murs une provision de poudre, de balles et de munitions de guerre ; précautions prudentes, mais qui n'opposèrent qu'une faible barrière aux succès de l'armée royale.

En effet, après la prise de Saumur, les Vendéens tinrent un conseil, où il fut résolu que l'on marcherait immédiatement sur Chinon ; et conformément à cette décision, monsieur de Beauvolliers réunit autour de lui ses plus braves soldats, ceux sur la fidélité de qui il pouvait le plus compter, et s'avança à marches forcées vers la ville, qui se vit contrainte de céder après une vigoureuse résistance. Le premier soin de monsieur de Beauvolliers, en entrant à Chinon, fut de courir à la prison, où les républicains détenaient depuis longtemps sa femme prisonnière. Il eut la joie de la retrouver, et de mettre un terme aux souffrances atroces que les ennemis lui avaient fait endurer.

Monsieur de Beauvolliers fit tout d'abord main basse sur les différentes provisions que les républicains avaient amassées dans les greniers publics et dans les arsenaux, et les envoya en Vendée. Avant le siège qu'elle venait d'avoir à soutenir contre l'armée royale, Chinon s'était vue ensanglantée par le meurtre de trois cents hommes, que les républicains, sous prétexte qu'ils étaient favorables aux troupes du roi, avaient fait diriger vers Orléans. Après une nuit passée dans l'église de Saint-Mesme, ces infortunés furent égorgés au bas des Quinquenais.

Tels sont les seuls faits relatifs à la révolution de 1789, qui méritent d'être mentionnés ici.

Là pourtant ne se bornent pas les événements qui ont concouru dans l'histoire à rendre illustre la ville dont nous nous occupons. A quelques titres encore cette cité a droit à notre considération ; et celui qui a entrepris d'écrire l'histoire de Chinon, n'a point rempli sa tâche. Il lui reste à parler des personnages illustres dont cette ville a été le berceau, et parmi lesquels viennent prendre place au premier rang François Rabelais et Mathurin de Neuré.

François Rabelais naquit à Chinon vers l'an 1483. Son père, qui exerçait la profession d'apothicaire à Sévillé, où il possédait même une petite métairie, connue sous le nom de la Devinière, ne négligea rien pour élever son fils au-dessus de son état. Il le plaça de bonne heure chez les moines du couvent de Sévillé. Mais voyant que l'enfant ne faisait aucun progrès, il l'envoya à l'abbaye de la Bâmette, près d'Angers, où il ne fit pas grand'chose non plus ; de là, il passa à l'abbaye des Cordeliers de Fontenay-le-Comte, où il étudia les langues, et spécialement le grec, pour lequel il se sentait un penchant tout particulier.

Ayant pris l'habit dans cette maison, sa conduite peu régulière le fit condamner à l'in pace, d'où il ne sortit que grâce à la protection du savant Tiraqueau, qui avait été à même de causer avec lui, et d'apprécier son érudition. Rabelais obtint alors sa translation à l'abbaye de Maillezais. Il paraît néanmoins qu'après avoir essayé de toutes sortes d'abbayes et de couvents, avoir changé maintes fois de prison, il se détermina à prendre la fuite. Il se rendit à Montpellier, y étudia la médecine, et devint très-versé dans cette science. Bernier, médecin de Blois, a écrit un ouvrage sur lui, où il lui reconnaît de grands talents dans cette partie.

Rabelais rendit, du reste, d'éminents services à la faculté de Montpellier, car le chancelier Duprat, mécontent de ce corps, on ne sait pourquoi, l'ayant privé de ses privilèges, Rabelais obtint de lui qu'il les rétablirait. En reconnaissance de ce service, la faculté de Montpellier arrêta que désormais tout médecin qui recevrait le bonnet serait tenu de porter, durant toute la séance de réception, la robe de Rabelais : usage qui subsiste encore aujourd'hui.

Nous ne rapporterons pas ici une foule d'anecdotes qu'on raconte au sujet de Rabelais, et de mots obscènes attribués à cet écrivain : ils ne nous paraissent pas assez prouvés pour être admis sans examen, et en discuter l'authenticité s'éloignerait trop de notre sujet. Nous nous bornerons à rappeler qu'il fit un voyage à Rome, à la suite du cardinal du Bellay, envoyé par le roi de France comme ambassadeur vers Sa Sainteté. Le pontife lui ayant demandé quelle était sa patrie :

Très Saint-Père, répondit-il, je suis Français, et d'une petite ville nommée Chinon, qu'on tient être fort sujette au fagot : on y a déjà brûlé quantité de gens de bien, et de mes parents.

De retour en France, il obtint une prébende dans la collégiale de Saint-Maur-des-Fossés, et mourut à Paris, en 1553, âgé de soixante-dix ans.

Rabelais parle fréquemment de son pays dans ses écrits ; outre que Chinon est toujours la scène où se passe l'action qu'il raconte, il fait souvent mention de cette ville, et du souvenir qu'il en a gardé.

Ainsi dans le chapitre XXXV de Pantagruel, il dit :

Ainsi descendismes soubz terre par ung arceau incrusté de piastre, painct au dehors rudement d'une dance de femmes et satyres, accompagnans le vieil Silenus riant sus son asne. Là, ie disoys à Pantagruel : Ceste entrée me revoque en soubuenir la caue paincte de la première ville du monde : car là, sont painctures pareilles en pareille fraischeur comme icy. Où est, demanda Pantagruel ; qui est ceste première ville que dictes ? Chinon, dy ie ou Caynon en Touraine. le scay, respondit Pantagruel où est Chinon, et la caue paincte aussi ; i'y ay beu mainlt voyrres de vin frays, et ne fait doubte aulcun que Chinon ne soit ville antique ; son blason l'atteste, auquel est dict deux ou troys foys,

Chynon,

Petite ville, grand renom,

Assise dessus pierre ancienne,

Au hault le bois, an pied la Vienne.

mais comment seroyt-elle ville première du monde ? où le trouuez vous par escript ? quelle coniecture en auez ? l'ay, dy ie, trouué par l'Escripture sacrée que Caïn fut le premier bastisseur de villes ; vray donques semblable est que, la première, il de son nom nomma Caynon, comme depuys ont à son imitation tous aultres fondateurs et instaurateurs des villes imposé leurs noms à icelles. Athénée à Athènes ; Alexandre à Alexandrie ; Constantin à Constantinople ; Pompée à Pompéiopolis, en Cilicie ; Adrien à Adrianople ; Cana aux Cananéens ; Saba aux Sabéiens ; Assur aux Assyriens ; etc., etc.

 

Rabelais dit encore dans une autre partie de ses écrits, que lorsque voulant tenter le Fils de Dieu, Satan le transporta sur une montagne, il lui offrit tous les royaumes du monde. En cela, le récit de notre auteur est conforme à celui des Écritures, mais Rabelais ajoute que le tentateur se réserva Châtellerault, Chinon, Loudun et surtout Domfront.

Les opinions sur les écrits de Rabelais sont très-diverses ; les personnes mêmes qui penchent en sa faveur, comme le remarque judicieusement Moréri, refusent à ses ouvrages la suite, l'ordre et le plan. Voltaire disait de lui :

Dans son extravagant et inintelligible livre, il a répandu à la vérité une extrême gaîté, mais une plus grande impertinence. Il a prodigué l'érudition, les obscénités et l'ennui. Un bon conte de deux pages est acheté par deux volumes de sottises !

 

On dit aussi que Rabelais avait beaucoup d'esprit, assez d'esprit pour faire mieux ; que s'il avait tourné son génie et l'originalité de ses saillies sur des objets plus convenables et de meilleur goût, ses ouvrages eussent été plus dignes d'admiration, d'admiration sans réserve. Mais ce raisonnement est à notre sens une grande erreur : nous pensons que tel est le genre, la tournure d'esprit et de caractère de Rabelais, que le lui ôter, serait lui enlever son mérite ; qu'il tire de ses saillies burlesques et triviales une grande partie de son prix ; qu'exiger de Rabelais de composer des œuvres sérieuses et empreintes de raison et de poésie serait tout aussi impossible et aussi injuste que de demander pourquoi van Oostade, le peintre des tavernes flamandes, n'a pas imité les compositions majestueusement sévères de Raphaël.

Vouloir qu'un auteur, un peintre, un homme, soit autre qu'il n'est, autre que la nature ne l'a fait, c'est le priver des qualités qu'il peut avoir sans lui donner celles qu'il ne peut acquérir.

Molière, le premier des comiques, eût probablement, malgré son génie, composé une plate tragédie ; Swift, le Rabelais de l'Angleterre, et Rabelais lui-même, écrivains éminemment bouffons, eussent fait indubitablement de pauvres Labruyère.

Mais en voilà assez de dit sur ce sujet, notre intention n'étant pas, comme nous l'avons annoncé plus haut, de faire le panégyrique de Rabelais ni de prononcer entre ses admirateurs et ses détracteurs. Nous nous contenterons de -terminer ici par le jugement que Labruyère a porté sur Rabelais.

Où Rabelais est mauvais, dit-il, il passe bien au-delà du pire ; c'est le charme de la canaille ; où il est bon, il va jusqu'à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats !

Nous dirons ici quelques mots d'un autre homme, illustre aussi dans un genre plus sérieux, Mathurin de Neuré.

Mathurin de Neuré naquit à Chinon et devint un des plus savants mathématiciens du dix-septième siècle. Placé par Gassendi, avec qui il était Hé d'une étroite amitié, comme précepteur des enfants, chez monsieur de Champigny, intendant de justice à Aix, il ne tarda pas à -s'ennuyer de cette profession et entra chez les Chartreux où il prit l'habit ; ne voulant pas néanmoins s'engager, quand vint le moment où il devait prononcer ses vœux, il s'enfuit. S'il faut en croire le témoignage de Huet, évêque d'Avranches, et d'Urbain Chevreau, ses contemporains, le vrai nom de Mathurin de Neuré était Laurent Mesme ; d'autres disent Michel. Voici comme le dernier s'exprime à son sujet dans les Chevrœana, t. II, pages 290, 291 et 292.

Il était fils d'un gargotier d'un faubourg de la ville de Loudun[1]. Il se disait Normand ou Provençal ; et je ne l'aurais jamais déterré, si nous n'avions point étudié sous un même maître, et si nous n'étions point d'une même ville. Comme il ne pouvait subsister à Poitiers, où il était allé pour étudier, il fit le voyage de Bordeaux le mieux qu'il put et s'y retira dans la Chartreuse, où il prit l'habit. Dans les trente ans qu'il y demeura, il apprit de lui-même les mathématiques, et s'étant lassé de l'austérité des religieux de cet ordre, il y jeta, comme on le dit ordinairement, le froc aux orties. Il alla sans balancer droit à Paris, et s'y fit connaître à Madame de Bourgneuf, gouvernante des enfants de Monsieur le duc de Longueville, qui, pour le retirer du mauvais pas où il était, fit si bien, qu'à sa recommandation, il fut précepteur de Monsieur de Longueville et de Monsieur le comte de Saint-Paul.

 

Moréri remarque avec raison que si Mathurin de Neuré était entré chez les Chartreux, et y avait séjourné trente ans, s'il avait été précepteur de Monsieur de Champigny, il ne devait plus être en âge de veiller à l'éducation des enfants de Monsieur de Longueville ; au lieu de trente ans, il faudrait donc lire trois ans, ce qui s'accorderait avec la première version, qui dit qu'il sortit de chez les religieux avant d'avoir prononcé ses vœux.

Quoi qu'il en soit, la fortune de ses protecteurs s'étant trouvée considérablement diminuée, Madame de Longueville se vit, quoiqu'à regret, dans la nécessité de retrancher un peu de la pension du précepteur de ses enfants, ce qui irrita fort Mathurin de Neuré. Il alla même jusqu'à écrire contre sa bienfaitrice un libelle injurieux qui fut heureusement arrêté et ne parut pas ; mais l'imprimeur en ayant livré le manuscrit et l'ensemble des exemplaires, on en connut l'auteur.

Notre mathématicien resta lié toute sa vie avec Gassendi et prit souvent la plume pour défendre son ami, contre Jean-Baptiste Morin.

Mathurin de Neuré mourut en 1677. Nous avons de lui un écrit latin de 61 pages in-4°, intitulé : Querela ad Gassendum de parum Christianis, Provincialium ritibus, minimumque sanis eorumdem moribus, etc.

De Haitze a publié une réfutation de cet écrit sous le titre de l'Esprit du cérémonial d'Aix, en la célébration de la Fête-Dieu.

Il paraît en outre que Mathurin de Neuré écrivit une vie de Monsieur de Longueville. Nous ne la connaissons pas.

Les autres -personnages remarquables par leur science et leurs talents auxquels Chinon donna le jour, ne nous semblent pas mériter une mention spéciale ; nous allons seulement les nommer :

Pierre de Courcelles, célèbre par une traduction en vers du Cantique des cantiques.

Claude Quillet, né à Chinon m 1602, connu par quelques traités en vers, dont l'un est intitulé : De Pulchrœ prolis habendœ ratione ; in-4°, Leyde, 1655.

Jean-Baptiste de la Barre, prédicateur célèbre.

Louis Oldespung de la Méchinière, etc., etc.

Et maintenant la tâche de l'historien est accomplie ; car, depuis ce jour, Chinon a perdu toute son importance, et de sa gloire passée le souvenir seul vit dans la pensée de ceux qu'elle a vu naître ; mais pour ceux-là, Chinon reste et restera toujours la terre des gloires éteintes. Le père racontera à son fils les exploits des guerriers d'un autre âge, l'amant redira à sa maîtresse les chants d'amour de Charles et d'Agnès, le vieillard rappellera à ses neveux la fin de toutes joies.

Tout parle dans ces murs noircis par le temps, tout y retrace à l'esprit de doux et mélancoliques souvenirs : l'enfant y chante sur un tombeau, en attendant que sa voix, elle aussi, vienne expirer et faire place à d'autres accents !

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] C'est une erreur, il était né à Chinon. Voir le Dictionnaire de France de d'Expilly.