La Trémouille. —
Assemblée des États-Généraux à Chinon. — Siège de la ville et trahison du
gouverneur. — Charles VII tient conseil pour savoir s'il recevra Jeanne
d'Arc.
Charles
VII quitta Chinon et se rendit à Poitiers, d'où il revint à Saumur le 7
octobre de l'année 1425 ; il y conclut un traité avec le connétable, qui lui
fit hommage pour le duché de Bretagne. Puis il
se rendit à Bourges. Animé
d'une noble ardeur et désirant prouver au roi l'envie qu'il avait de le
servir, le connétable alla attaquer Saint-James-de-Beuvron en Normandie ;
mais le sire de Giac, alors ministre de Charles VII, jaloux de l'empire que
le connétable exerçait déjà sur l'esprit de son maître, refusa de lui envoyer
les secours qu'il lui demandait. Arthus fut donc contraint, après une
sanglante défaite, de renoncer à son entreprise. Il en conçut un vif
déplaisir, jura de se venger, et pour cet effet embrassa dès lors le parti de
La Trémouille, et d'accord avec ce seigneur, saisit le sire de Giac à
Issoudun et le fit noyer. Non
content de cette première vengeance, il enleva le chancelier de Bretagne
qu'il soupçonnait de complicité avec le sire de Giac et le fit transporter au
château de Chinon, où était le roi, devant qui il l'accusa de s'être laissé
corrompre par les Anglais sous la promesse d'une riche récompense. Charles
VII ordonna en conséquence au chancelier de paraître en sa présence, et lui
demanda l'explication de sa conduite. Celui-ci nia tout et parvint à se
disculper. Ayant d'ailleurs promis au roi de ménager en temps et lieu la paix
avec le duc de Bourgogne, désir le plus cher au cœur de Charles, il fut
acquitté et envoyé vers le duc ainsi que vers le duc de Savoie. Mais le
régent ayant réussi à rattacher de nouveau à son parti le duc de Bourgogne,
les négociations du chancelier de Bretagne n'eurent aucun succès. Arthus
se rendit alors à Chinon et de là suivit la cour à Meun-sur-Yèvre. Au mois de
janvier (1426), le roi alla à Issoudun, et mit Le Camus de Beaulieu à la
place du sire de Giac ; ce qu'ayant appris le connétable il partit pour la
cour et obligea le roi à mettre de côté Le Camus et à prendre pour ministre
La Trémouille : le roi résista et lui dit : Mon
cousin, vous vous en repentirez ! Mais
Arthus ayant insisté, Charles finit par céder. Cependant
Charles VII conçut un assez vif ressentiment de ce fait, et son ressentiment
fut encore nourri et fomenté par celui qui en était la cause première, La
Trémouille, qui, irrité de l'air de supériorité que le connétable s'était
arrogé dans toutes les affaires, n'attendait que la première occasion de
secouer le joug. Arthus, doué d'ailleurs d'un esprit fier et remuant joint à
un caractère emporté, ne pardonnait pas à Charles d'avoir relâché le
chancelier de Bretagne, et saisit ce prétexte pour passer du côté des
Anglais. A la
première nouvelle de cette défection, loin de pacifier et de s'efforcer à
ramener le connétable, comme la prudence ordonnait de le faire, La Trémouille
s'emporta, invectiva contre son ancien protecteur, et sourd à la voix de la
reconnaissance, profita avec empressement de cette circonstance pour retirer
au connétable toutes ses pensions. Enflammé
de courroux, le comte de Richemont n'hésite pas à lever l'étendard de la
révolte. Il se joint aux seigneurs de Bourbon et de la Marche, qui se rendent
à Chinon auprès de la duchesse de Guyenne, épouse du connétable, dans le but
de se concerter ; ils reçoivent le 16 octobre, en qualité d'ambassadeur du
roi de France, l'archevêque de Tours et le sire de Gaucourt qui avait été
précédemment gouverneur de Chinon et dont le fils le fut dans la suite ; mais
quelques arguments que pût employer le prélat pour les faire rentrer dans le
devoir, tout fut inutile : les rebelles n'en persistèrent pas moins dans leur
dessein, et les deux envoyés s'étant retirés et ayant transmis au roi la
réponse définitive des seigneurs de Bourbon et de la Marche, ce prince donna
ordre à quelques troupes d'aller s'emparer de Chinon. Arrivés
devant cette place, les gens du roi gagnèrent Guillaume Bélier, qui en était
gouverneur, et qui, d'après leurs instructions, fit faire aux murailles de
Chinon un trou par lequel les troupes de Charles VII s'introduisirent dans la
ville. La
duchesse de Guyenne, effrayée, fit demander au capitaine qui commandait les
gens du roi, si son intention était de s'emparer de sa personne et de la
garder comme otage ; mais l'officier la rassura, lui permit de se retirer
emportant ses habits, ses meubles et sa vaisselle, et lui accorda même une
escorte suffisante pour assurer sa retraite. Quant à
Guillaume Bélier, il conserva sa charge de gouverneur de la ville, dont on
augmenta la garnison, et fut même plus tard créé grand veneur de France. Il
est toujours dangereux à un roi de récompenser ainsi la trahison : c'est en
même temps l'encourager ; et Louis XI montra plus de sagesse, lorsqu'après
s'être fait rendre une place qu'il assiégeait, sous promesse de cent lances,
il les envoya-en peinture au capitaine qui lui avait livré la ville. Le roi
assembla les États-Généraux à Chinon, dans les premiers jours d'octobre 1428.
On annonça que chacun des assistants aurait franche liberté d'acquitter sa loyauté,
et de dire pour le bien des besognes tout ce que bon lui semblerait. Les
États se prolongèrent jusque vers le milieu du mois de novembre, et
demandèrent la réforme de la Chambre des comptes, celle des tribunaux
inférieurs du royaume, et la réunion en un seul des deux parlements de
Poitiers et de Béziers, réunion qui fut prononcée le 7 octobre 1428 et
subsista jusqu'en 1443. Les États accordèrent au roi 400.000 livres, à
prendre, moitié sur la langue d'oïl, moitié sur la langue d'oc et le
Dauphiné, et la noblesse ainsi que le clergé furent tenus de concourir à
cette taille. Cependant,
fatigué de ces luttes incessantes, voyant l'Anglais, déjà possesseur d'une
grande partie de la France, poursuivre avec une ardeur toujours nouvelle le
cours de ses conquêtes, Charles VII, découragé, s'était retiré à Chinon, où
il se livrait à tous les plaisirs, négligeant les fatigues de la guerre et
fuyant le tumulte des camps. Nulle remontrance ne l'émouvait : il restait
sourd aux plaintes de ses capitaines, et passait gaiement son temps à rire,
chanter et danser ! Qui ne connait cette belle réponse de La Hire ; qui
entrant un jour chez le roi, le trouva occupé à répéter un pas de ballet, et
le monarque lui ayant demandé ce qu'il pensait de sa grâce et de sa légèreté
: Pardieu
! sire, répondit La Hire avec dépit : ie n'ay iamais ouï qu'un roy eust perdu aussi gayement son roïaume ! Mais ce
que ni les plaintes ni les murmures de ses généraux et de ses soldats
n'avaient pu faire, deux femmes l'entreprirent ; et parlant au roi, l'une au
nom de sa pudeur, l'autre au nom de sa beauté, elles surent ranimer son
courage abattu, lui mirent l'épée à la main, et la couronne sur la tête ! Jeanne,
la noble, la valeureuse Jeanne va paraître sur l'horizon de l'histoire. Nous
allons assister à ses luttes, à ses victoires, à sa mort ! Nous la verrons
déployer un courage au-dessus de son sexe et une modestie au-dessus du nôtre. Le roi
était, en février 1428, au château de Chinon lorsqu'arriva un héraut porteur
de la nouvelle que les Anglais, sous la conduite du comte de Salisbury,
avançant toujours vers la Loire, venaient de former le siège d'Orléans. Grande
fut la consternation du roi ; indécis, ne se sentant pas assez fort pour
résister, Charles VII prit le parti de quitter Chinon et de se rendre à
Bourges aussitôt qu'il apprendrait la reddition d'Orléans. Le roi avait déjà
tenu à cet effet des États à Chinon au mois de novembre[1], et bien que la décision n'en
soit pas connue, toujours est-il vraisemblable qu'on opina pour le départ.
Mais le ciel en avait autrement disposé, et contre l'attente du roi et de son
parti, la cause des Français allait se relever, et la couronne de Charles VII
briller d'un nouvel éclat. Le
bruit se répandit qu'une jeune fille, âgée d'environ dix-huit ans, pucelle
inspirée de Dieu pour faire triompher les gens du roi, venait d'arriver à
Sainte-Catherine-de-Fierbois, habillée en homme et accompagnée de vingt
chevaliers, d'un écuyer et de quatre valets, qui lui avaient été donnés par
Robert de Vaudricourt pour l'escorter jusqu'aux lieux où la cour avait fixé
sa résidence. Effectivement,
le 20 février, Charles VII, au moment de se mettre à table pour prendre son
repas du soir, reçut un héraut qui demanda instamment à être admis le plus
tôt possible en présence du roi. Dès qu'il fut introduit, cet homme lui
présenta des papiers que Charles ouvrit avec précipitation, pensant y trouver
la confirmation des tristes nouvelles qu'il attendait d'Orléans ; mais après
en avoir pris connaissance, il se leva de table sans plus attendre, et
faisant demander Renaud de Chartres, il se retira dans son cabinet. Lorsque
Renaud entendit les ordres du roi, il se prépara à obéir et trouva ce dernier
excessivement agité et se promenant à pas précipités dans la chambre ; dès
que Charles aperçut l'archevêque : Tenez,
Messire, lui
dit-il, lisez
ces papiers. Mon amé et féal Robert de Vaudricourt me mande qu'une jeune
fille, née à Domremy, de parents pauvres, et
portant le nom de Jeanne du fait de son baptême et celui d'Arc du droit de sa
famille, est venue le trouver ; qu'il a dû céder à ses prières, et que ne voulant pas prendre sur lui de refuser le
secours qu'elle offre de nous prêter, il me l'envoie. La jeune pucelle est
ici près, à Fierbois, en l'église de madame sainte
Catherine ; elle me mande par un héraut qu'elle n'attend plus que mes ordres
pour paraître en ma présence, et qu'elle saura bien par ses paroles et ses
actions me prouver la vérité de sa mission. Eh ! Sire,
répondit l'archevêque, ce sera temps perdu, cette enfant n'est pas saine en sa raison ;
si nous la croyons, nous n'en serons pas moins vaincus, et les Anglais se
riront de nous ! Qui sait, d'ailleurs, si
ce ne sont pas les Anglais eux-mêmes qui l'envoient ici pour examiner l'état
de nos forces et pénétrer nos intentions ? — C'est bien, Messire ; que
notre conseil s'assemble demain en la salle ordinaire de ses délibérations ;
nous lui soumettrons cette affaire et suivrons aveuglément sa décision. — Sans nul doute, Sire, ce
parti est le meilleur ! Le
lendemain matin, l'archevêque de Reims entra le premier dans la salle du
conseil, où il fut joint par les seigneurs de Pressigny, d'Avaugour, de Chissay, Guy de
Laval, etc. Le roi lui-même ne tarda pas à paraître, et s'étant placé devant
un siège élevé sur une petite estrade et recouvert d'un dais où se voyaient
brodées les armes de France, il dit : Chers et bien aimés Sujets, nous vous avons réunis ici pour vous
communiquer les pièces que nous venons de recevoir de la part de messire de
Vaudricourt, notre lieutenant à Vaucouleurs. Après en avoir pris
connaissance, vous voudrez bien nous aider de vos lumières, qui en maintes
circonstances nous ont été si utiles ! Messire de Pressigny, veuillez donner
lecture de ces papiers. Le sire
de Pressigny ayant obéi, le roi reprit : Messeigneurs
vous avez entendu, décidez ! Puis il
s'assit. Renaud
de Chartres se leva et dit : Sire
roi, vous savez combien de tout temp s moi et les miens nous sommes toujours
montrés braves, fidèles et loyaux serviteurs de Votre Majesté ; j'ose donc
espérer que les paroles que je vais prononcer, inspirées par ma conscience,
pénétreront dans votre cœur, et que vous saurez apprécier les motifs qui me
font agir et qui n'ont d'autre but, Sire, que votre gloire et le bien de mon
pays ! Après
ce préambule, l'archevêque ajouta : Considérez,
Sire, les raisons que déjà je vous ai données hier, et pesez en outre dans
votre esprit le but des institutions de la France. Appréciant au juste le
caractère des femmes et la faiblesse de leur tempérament, ne décident-elles
pas que jamais les personnes de ce sexe ne pourront posséder de fief, par
cette raison qu'elles sont hors d'état de défendre leurs vassaux. Étendant
plus loin ce principe, ne déclarent-elles pas que jamais femme ne gouvernera
la France étant hors d'état de commander à des hommes ? Et
dites-moi, dès lors, Sire, ne serait-ce pas mentir à ce principe que de
montrer vous-même gardien des lois, l'exemple de la désobéissance, et donner
un démenti aux termes et à l'esprit de ces institutions, que de mettre à la
tête d'une armée de chevaliers, fiers et courageux, une femme ! une femme qui
sans contredit ne saurait procurer la victoire, mais qui, si elle était
victorieuse, loin de vous servir ne ferait que dépouiller Votre Majesté1[2] de ses droits au trône
de France j car j'entends déjà madame Catherine, votre sœur, réclamer en
qualité d'aînée ses droits à ce trône et vous dire : Retire-toi, une femme
peut aussi bien que toi et commander et vaincre ! Combien
donc, Sire, le secours de cette vilaine ne-vous sera-t-il pas plus pernicieux
qu'utile ![3] Oh
! mon Dieu, Messire,
reprit aussitôt le roi, que m'importe ? si je dois voir les lys qui ornent mon front se
flétrir et tomber, la main qui les relèvera pour les faire fleurir de nouveau,
oh ! cette main-là, Messire, sera bénie et mon sceptre
est à elle ! Les
autres seigneurs présents prirent la parole l'un après l'autre, et tous
furent d'avis qu'on devait au moins voir Jeanne et l'entendre, qu'il serait
toujours temps de la renvoyer si ses réponses ne paraissaient pas
satisfaisantes. Il suffit, Messieurs, dit alors le roi en se levant, je vous remercie de vos bons avis, et ainsi ferai-je ! |
[1]
C'est ce qui appert d'une lettre par laquelle Charles VII fait remise à
Montpellier de 1000 livres tournois, en considération de ce que les députes de
cette ville se trouvèrent les premiers à Chinon, lors des États qui y furent
tenus en novembre 1428.
[2]
L'usage de donner au roi le titre de Majesté ne s'est établi régulièrement que
sous Louis XI. Il n'était pas néanmoins sans exemple de le voir donner au roi,
par courtoisie, avant cette époque.
[3]
Fontanieu, MS. de la Bibliothèque du roi.