CHINON ET AGNÈS SOREL

PREMIÈRE PARTIE. — CHINON

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Origine de Chinon. — Description du château. — Jean-le-Reclus. — Maxime sauve Chinon, assiégée par Ægidius.

 

A dix lieues environ de la ville de Tours, su - les bords de la petite rivière de Vienne, et au milieu du fertile Vairon, se dresse majestueusement une cité nommée Chinon.

Située au pied d'une colline que domine un antique château, parsemée çà et là de frais bouquets de bois, un ciel d'azur, le ciel si renommé de la Touraine, vient compléter ce riant tableau, et faire de ce séjour un des sites les plus délicieux, d'une des plus ravissantes provinces de France.

Autrefois, à la place des ruines qui couronnent la colline, s'élevait un magnifique et royal Chastel aux tourelles crénelées : maintenant le chastel est tombé. Construit dans le quatrième siècle, détruit en partie dans le seizième, il n'en reste plus que quelques pierres éparses. Et, cependant, au dix-neuvième siècle comme au troisième, comme au dixième, comme au quinzième, les eaux bleuâtres de la Vienne baignent en murmurant les remparts de la ville. Telle est la différence essentielle entre les œuvres de la créature et celles du Créateur. L'homme élève et renverse, Dieu seul conserve !

Ancienne résidence des rois, ce château, qui ne présente au premier coup d'œil qu'une masse uniforme flanquée de tours et garnie de fossés, se compose en réalité de trois corps de bâtiment distincts, construits à diverses époques et dans des buts différents, ce qui rend difficile d'assigner à leur édification une date précise. Des indices à peu près certains, des chartes conservées avec un religieux respect, viennent cependant de loin en loin guider l'historien dans ce dédale de recherches, au milieu desquelles, à leur défaut, on le verrait à tout instant près de s'égarer.

Il reste actuellement si peu de chose de ce château, que nous nous voyons contraint, voulant en tracer une courte et rapide description, de renvoyer le lecteur à une trentaine d'années par delà la révolution de 1789, révolution qui sut si bien frapper de sa lourde hache les vieilles institutions, saper les vieilles croyances, renverser les vieux monuments !

Vers l'an 1760, le voyageur qui pénétrait dans la ville de Chinon par le pont de l'Annonain, après avoir gravi la petite colline aux flancs de laquelle la ville est assise, se trouvait subitement face à face avec de majestueuses et intéressantes ruines. A sa droite s'élevait un grand monument, dont les fenêtres gothiques, aux rosaces noircies et privées de leurs vitraux, décelaient un ancien temple. Cette chapelle, construite par les rois d'Angleterre, qui la dédièrent à saint Georges, patron de la Grande-Bretagne, fut démolie en 1763, et il n'en reste plus d'autres vestiges que quelques pierres éparses çà et là. Un pont en forme d'aqueduc à quatre arches, élevé de plusieurs pieds au-dessus du sol, réunissait jadis la maison du roi des Cieux à celle du roi de France.

Quant au fort du milieu, il présentait peu d'intérêt à l'observateur, soit par sa structure, soit par les souvenirs qui s'y rattachaient ; il était seulement flanqué d'une tour, du haut de laquelle les sentinelles pouvaient épier attentivement ce qui se passait à une grande distance du château. Un peu plus vers la gauche, se dessinait la tour d'Argenton, construite, dit-on, pour communiquer, à l'aide d'une galerie souterraine, à la maison habitée par Agnès Sorel.

On voyait enfin, il y a environ deux siècles, les restes de la chambre où Charles VII reçut la Pucelle d'Orléans, lorsque la pauvre bergère de Domrémy, jetant au loin la houlette, saisit l'épée et vint replacer la couronne au front du roi de France.

Ainsi que nous le verrons plus tard, ce que le temps avait commencé, l'homme l'acheva, et cette maison dont les murs existaient encore du temps de Richelieu, tomba sous la hache des ouvriers du cardinal, lorsque ce ministre construisit la splendide résidence qui porte son nom.

Caïnonense castrum, Chinum castrum, castrum Kinonis, arces Kinonis, Chinonum, Chino, Kino, Vicus Gisomagensis, et plus communément Caïno : telles sont les dénominations différentes dont les historiens se servent pour désigner Chinon.

Grégoire de Tours parle souvent de cette ville ; il y rattache une foule d'anecdotes, de traditions, de légendes, fort intéressantes à la vérité, mais auxquelles on ne saurait ajouter une foi implicite. Nous nous permettrons d'en citer quelques-unes ; ce que nous ne ferons qu'autant que ces faits se trouveront intimement liés au cours de notre histoire et des événements que nous nous proposons de retracer ici.

Si l'on en croit le témoignage de Grégoire de Tours, Chinon doit avoir été construite dans le troisième ou au plus tard dans le quatrième siècle. Quelques écrivains cependant assignent à ce bourg une antiquité plus reculée encore, et François Rabelais, entre autres, soutient plaisamment que Chinon, en latin Caïno, est sans contredit la plus ancienne ville du monde, puisqu'elle fut bâtie par Caïn, qui le premier édifia des villes.

Quoi qu'il en soit, nous préférons, et pour cause, nous en rapporter simplement à Grégoire de Tours, d'autant que les premiers âges de Chinon, ainsi que de grand nombre d'autres petites villes de France, restent enveloppés d'épaisses ténèbres, que les indications incertaines des historiens ne parviennent que bien difficilement à dissiper.

Chinon paraît pour la première fois sur la scène de notre histoire, pour la première fois il en est fait mention dans nos annales en 347. Ce fut vers cette époque que Briccius, évêque de Tours, y construisit une église. Puis, jusqu'en 400, les chroniqueurs gardent sur les faits accomplis dans cette ville le plus profond silence. Enfin, ce fut alors qu'un saint homme, pénétré de l'esprit de Dieu, voulant fuir la vanité du siècle et se retirer dans la solitude pour y méditer sur les vérités de la foi, et goûter cette paix du cœur, qu'on n'obtient que par le dégagement des intérêts mesquins de la terre, ce fut alors, disons-nous, que Jean, surnommé le Reclus, vint auprès de Chinon.

Attiré sans doute par l'aspect riant de ces lieux, il forme le projet de s'y fixer. De ses mains, il se construit un modeste ermitage. Des branches flexibles enduites du limon de la terre le défendent de l'intempérie des saisons, la feuille desséchée que le vent a détachée du tronc, abrite sa tête, siège de graves et sérieuses pensées. La prière occupe une partie de son temps, sa charité répand autour de lui les bienfaits, et par sa main, les pauvres de Chinon voient leurs maux soulagés ; le malade cesse de souffrir, l'enfant est instruit : partout retentit un concert de louanges et de remerciements, et Jean de s'écrier dans sa joie, mais avec un accent tempéré de mélancolie : Loué soit le Seigneur, qui sème sur ma route des cœurs reconnaissants !

Jean a terminé sa fragile retraite ; mais le goût des embellissements l'a gagné. Lui aussi, il rêve… un jardin à cultiver, un morceau de terre à labourer : quelques volatiles et une chèvre, dont le lait lui fournira un aliment sain et rafraîchissant. Le reclus veut cumuler, être à la fois son architecte, son cultivateur, son fermier ! Bientôt, en effet, il entoure son ermitage d'un enclos ombreux et verdoyant. Il s'arme d'un instrument : son pied entrouvre le sol, sa main y dépose la semence qui doit germer ; Dieu a béni ses efforts, il hâte en faveur de son serviteur l'œuvre de la nature ; plantés de la main d'un homme vertueux, les arbres grandissent, les rameaux s'étendent au loin, les feuilles se déploient : au pied d'un laurier majestueux, virescent et fleuri, voici qu'un banc de gazon offre à notre solitaire un lieu de repos, où il viendra, le soir, se recueillir, respirer les doux parfums que la brise embaumée lui envoie, et remercier le Créateur de la grandeur de la création.

Ce fut au milieu de telles occupations, entouré d'amis et comblé de bénédictions, ce fut au sein de ces tranquilles travaux, que Jean-le-Reclus passa trente années de sa vie ; elles s'écoulèrent comme un songe, et son réveil le livra aux bras de celui qu'il avait servi et honoré, dont il avait rendu les voies droites, et qui l'attendait, pour glorifier dans l'éternité l'élu qui l'avait glorifié dans le temps !

Après sa mort, un pauvre des environs, qu'il avait comblé de bienfaits pendant sa vie, vint prendre possession de l'ermitage de Jean. Il y vivait depuis longtemps heureux et tranquille, lorsqu'un jour il s'aperçut que le laurier favori du pieux reclus inclinait vers la terre ses rameaux desséchés : Pardonne, s'écrie-t-il, ô mon saint bienfaiteur, pardonne si je porte un fer profane dans ton arbre favori, mais vois, je n'ai plus de cognée, et ton laurier ne porte plus de fleurs ! D'un bras vigoureux, il frappe aussitôt le tronc qui crie et se rompt. Le profane bûcheron le taille et le rogne, il l'ajuste au fer de sa cognée, et sans une larme, sans un regret pour l'ombrage qui couvrit la tête de Jean, il poursuit le cours de ses travaux.

Deux années se sont écoulées. L'indigne héritier du reclus s'est jeté sur sa couche, mais en vain il appelle le sommeil à son aide ; ses yeux restent ouverts, il s'agite et gémit. Cependant, après quelques heures de lutte, la fatigue l'emporte et le repos vient réparer ses forces abattues. Le ciel s'ouvre, et le profane en sonde les profondeurs ; il voit Jean-le-Reclus qui s'avance vers lui et lui adresse ces mots : Le souvenir de mes bienfaits est-il donc si pesant ? Pourquoi porter la cognée dans un arbre que mes mains avaient planté, que mes yeux avaient vu croître, sous lequel j'avais goûté le repos et rêvé le ciel ! Que t'ai-je fait, mortel ingrat ? Tu vis de mes bienfaits, et tu m'outrages ! rien ne t'est sacré, pas même les lois de la reconnaissance !

L'ombre disparait à ses yeux ; troublé, le bûcheron se lève : Malheur à moi ! s'écrie-t-il, dans un accès de sombre désespoir, malheur à moi, qui osai frapper d'une main criminelle l'arbre planté de la main pieuse du prêtre du Seigneur ! Il s'élance aussitôt hors de sa cabane, saisit sa cognée, en arrache le fer ; incliné vers le sol, il le creuse et y dépose le manche de l'instrument, puis calmé par cette réparation tardive, il s'endort.

Oh ! merveille inouïe ! oh ! surprenant miracle ! le printemps entr'ouvre les bourgeons d'alentour ; aussitôt l'arbre sort de terre, grandit, ses rameaux s'étendent au loin, et lorsque le paysan étonné, entend le voyageur vanter tel ou tel arbre célèbre par sa majestueuse grandeur, Ah ! s'écrie-t-il, que n'avez-vous vu le laurier de Jean-le-Reclus de Chinon !

Cependant tout finit. Les révolutions l'atteignirent, l'ermitage' fut renversé !

Vers l'an de Notre-Seigneur 461, Théodoric, roi des Visigoths, envoya le prince Frédéric, son frère, pour s'emparer de Chinon. Celui-ci prit la ville après un siège assez long et qui lui coûta grand nombre de ses meilleurs guerriers ; mais attaqué, selon le témoignage de Marius, évêque d'Avenches, entre les rivières de Loire et de Loiret, proche d'Orléans, par Ægidius, général romain, qui était comte de l'une et l'autre milice, le roi des Visigoths fut vaincu et perdit la vie dans le combat.

Ægidius, sans plus tarder, entre en Touraine et se dirige sur Chinon, dont il forme le siège. Les habitants des terres environnantes, saisis d'effroi à son aspect, fuient et vont se renfermer dans les murs de la ville. Ils y sont reçus par Maxime, disciple de saint Martin, apôtre de Chinon, venu en ce lieu pour y répandre les lumières de la foi et y fonder un monastère. De tous côtés on se prépare au combat ; on court aux armes ; les guerriers ceignent leur épée, attachent au bras leur bouclier, et pleins d'une ardeur martiale ils volent à l'ennemi ; mais celui-ci était déjà prêt à les recevoir : leur choc ne l'ébranlé pas, la lutte s'engage, continue : le succès est douteux, enfin Ægidius s'écrie :

Soldats, regardez devant vous, Romains et Francs, que j'ai l'honneur de commander, vous que le Rhône n'a pu arrêter, vous laisserez-vous décourager par ce ruisseau !

Il dit : et ses troupes s'élancent, traversent la Vienne, et sont en peu d'instants au pied des murailles de Chinon ; les assiégés refoulés se voient contraints de se retrancher dans la ville ; ils y rentrent en désordre. Egidius ordonne à ses troupes de camper sur le penchant de la colline, dans le lieu même où vécut jadis, loin du bruit des camps, Jean-le-Reclus.

Non content d'intercepter la Vienne, le général romain voulant ôter aux assiégés tout moyen de prolonger une résistance à laquelle il ne s'attendait point, fait combler le seul puits qui fournit alors de l'eau aux ennemis, et attend en repos le résultat de ses ordres.

Sept jours s'écoulent, les grains mis en réserve sont épuisés, une soif ardente se joint à la faim. Le peuple se répand dans les rues, les places sont encombrées de guerriers se traînant à peine, et pour comble de maux, un soleil brûlant darde ses rayons sur la tête de ces infortunés, qui, poussés à bout par tant de souffrances, errent çà et là, demandant du pain, criant qu'ils veulent se rendre, que les ponts-levis doivent être baissés, les portes ouvertes, et que dût le vainqueur les passer au fil l'épée, mieux vaut la mort qu'une telle vie ! Découragés, sans force, les gardes sont près de céder. Désespérés, ceux-ci se jettent du haut des murs qu'ils avaient juré de ne point abandonner, et leurs corps affaiblis par la souffrance viennent se briser aux pieds des assiégeants ; ceux-là, servant ainsi les vues d'Ægidius, tournent contre eux-mêmes une arme qu'ils n'eussent dû employer que contre les ennemis, tandis que d'autres, importunés des plaintes de l'enfance qui meurt, étouffent les derniers accents de leurs fils ! Cependant, émus d'une pitié guerrière, les soldats d'Ægidius font retentir le camp de leurs murmures ; ils demandent qu'on les mène à l'assaut, et qu'un dernier effort éteigne avec la vie la résistance et les douleurs du peuple de Chinon.

Ferme dans son dessein, le général refuse ; un morne silence succède aux cris ; l'obéissance est le premier devoir du soldat.

Soudain, un moine paraît sur les murailles de la ville. Ce moine, c'est Maxime, le disciple de saint Martin, l'apôtre de Chinon.

Peuple, et vous soldats, s'écrie-t-il, cessez de tourner contre vous vos propres armes ; apaisez vos plaintes, tarissez la source de vos larmes, le Seigneur a pitié de vous : dans sa miséricorde il a résolu de mettre un terme à vos maux, et de vaincre pour vous. Le soleil disparait à l'horizon, rentrez dans vos demeures et priez ! demain, au point du jour, le Dieu des armées aura dispersé au loin vos fiers ennemis, il les aura balayés comme la poussière que le vent répand dans les airs. Peuple de Chinon, et vous soldats, rentrez dans vos demeures et priez !

La nuit répand son ombre sur tous les objets. Les rues de la ville, si pleines de monde il n'y a qu'un instant, sont maintenant désertes ; on n'entend plus que les cris de : Sentinelles, prenez garde à vous ! qui viennent de loin à loin, rompre le silence uniforme dans lequel est plongée la place assiégée. Pendant que tous ces infortunés cherchent un repos qu'ils appellent en vain, Maxime est humblement prosterné devant l'autel du Seigneur. Semblable à la flamme de la lampe du chœur, sa prière veille seule, et seule s'élance vers Dieu. Il invoque Martin, le saint guerrier, et ne s'aperçoit des heures qui fuient, que lorsque le crépuscule du matin, perçant à travers les vitraux, vient répandre dans le sanctuaire une lueur incertaine.

Il se lève alors : les portes de l'église sont ouvertes, et le peuple se précipite dans le saint lieu. Un guerrier s'avance, porteur d'une pique, d'un bouclier, d'une cotte de mailles.

Maxime, dit-il, tu nous a promis la victoire, viens donc à notre tête et guide-nous. Prends en main ce fer, saisis ce bouclier, couvre-toi de cette armure !

Maxime sourit à ces paroles :

Reprenez, répond-il, ces dons que vous m'offrez : ce ne sont point là les armes d'un prêtre du Seigneur ! Retournez, prenez avec vous les coupes de vos repas et suivez-moi !

Une heure après, le peuple et les soldats sont réunis sur la place de Chinon. Maxime est au milieu d'eux : Regardez le ciel, s'écrie-t-il, là est votre espérance !

L'horizon, en effet, ne tarde pas à se couvrir de nuages, qui épars d'abord, se réunissent ; poussés par un vent frais, ils se balancent un instant indécis, puis enfin s'arrêtent au-dessus de Chinon.

Le soleil se voile, une obscurité. bénite se répand au loin :

Soldats et peuple, s'écrie Maxime, montrant la croix, soldats et peuple, élevez vos coupes au-dessus de vos têtes, et remerciez celui dont la main prodigue répand sur vous ses trésors !

Et tandis qu'assiégeants et assiégés, déposant les armes, ont cessé de combattre, par un curieux contraste, les nues s'agitent, s'écartent, se choquent, et se livrent une lutte violente ; bientôt elles se brisent, s'entr'ouvrent avec un bruit terrible, et versent dans la coupe des habitants altérés de Chinon des torrents de l'eau la plus pure.

La foudre retentit : répétée par les échos de la colline, elle va rouler au milieu des soldats d'Ægidius, les éclairs brillent ; Francs et Romains effrayés, également saisis d'une terreur soudaine, jettent leurs armes et repassant à la hâte la Vienne, s'éloignent avec effroi du théâtre de leur désastre. En vain le général les rappelle, en vain il veut les réunir, tous fuient : le camp retentit d'un long cri de rage, la ville retentit d'une solennelle action de grâces.

C'est ainsi qu'à la voix d'un ministre du Seigneur fut délivrée la ville de Chinon !

A la mort de Maxime, en reconnaissance de la vie qu'ils lui devaient, les habitants de cette cité le choisirent pour leur patron et lui élevèrent un mausolée au milieu de l'église de Saint-Mexme, où ses cendres reposèrent pendant onze siècles, jusques au jour où dans leur fureur et leur sombre fanatisme, les Calvinistes les en arrachèrent pour les jeter aux vents, après avoir renversé et brûlé le temple qui les contenait.

S'il faut en croire le témoignage de Grégoire de Tours, que nous n'oserions prendre sur nous de confirmer, des miracles sans nombre furent dus par la suite à l'intercession de Maxime, et les malades qui lui furent redevables de leur guérison, entrèrent dans le monastère qu'il avait fondé à Chinon, vouant ainsi à Dieu la vie qu'il leur avait rendue.

Ce monastère jouissait de droits assez étendus, ses revenus étaient considérables, et des usages curieux s'y établirent peu à peu qui ne s'éteignirent qu'avec le couvent.

Ainsi, quel que fut le rang qu'occupât le prêtre officiant, les répons ne se prononçaient qu'aux grand'messes seulement.

Une tradition locale nous apprend de plus, que les Goret descendaient en ligne directe de saint Mexme, de sorte que les membres de cette famille, par suite d'un ancien usage qui subsistait encore vers 1700, se rendaient une fois par an, sur l'invitation formelle des chanoines de Chinon, le jour de la fête du Saint, à l'église collégiale où ils entendaient l'office à des places qu'eux seuls avaient le droit d'occuper.

Depuis la célèbre victoire due aux prières de saint Mexme, la fortune d'Ægidius l'abandonna complètement. Childéric, que les Francs avaient déposé pour mettre à sa place le général romain, étant de retour d'un exil qui avait duré huit années, employa l'ardeur de ses sujets contre celui-ci, qui fut chassé de Cologne. Trêves fut également prise et brûlée. Ægidius appela alors à la défense des villes situées au-dessus de la Loire, les troupes auxiliaires des Saxons, commandées par leur roi Odoacre ; mais étant mort en 464, on nomma à sa place le comte Paul, qui fut attaqué et défait par Childéric près d'Orléans.

Ce dernier, comme on le sait, mourut lui-même en 482, au retour d'une expédition contre les Allemands. Vers 470, Euric, roides Visigoths, ajouta le Berry aux provinces qu'il possédait déjà dans la Gaule, savoir : le Languedoc et la Guyenne, et étendit ses conquêtes presque jusques à la Loire. Chinon, soumise aux Visigoths, lors de l'attaque d'^Egidius, demeura donc en leur pouvoir bien longtemps après et jusques au moment où Amalaric, fils d'Alaric II, ayant été tué dans un combat contre Clovis, laissa pour successeur Theudis, qu'on soupçonne être l'auteur de sa mort. Ce dernier, vaincu par Childebert qui s'empara du Languedoc vers 531, se retira en Espagne, abandonnant tout ce que ses prédécesseurs avaient possédé dans la Gaule. Au nombre de ses états, Childebert comptait déjà le Berry ; nous sommes donc autorisé à penser, malgré le silence des historiens à cet égard, que Chinon, qui de même que le Languedoc et le Berry appartenait aux Visigoths, tomba entre les mains de ce prince avec ces deux provinces.