CHAPITRE PREMIER. — LES
MÉTÈQUES ET LES TROUBLES INTÉRIEURS A ATHÈNES PENDANT Les métèques athéniens n'ont pas seulement contribué, par leur commerce et leur industrie, à la prospérité matérielle d'Athènes ; ils n'ont pas seulement, en travaillant à son œuvre artistique et littéraire, contribué à sa gloire : ils ont rendu à la cité des services politiques sur lesquels, on terminant, il convient d'insister. Bien qu'ils ne jouissent pas de l'exercice des droits politiques, les métèques athéniens n'en faisaient pas moins partie de la cité : aussi ne pouvaient-ils se désintéresser de son sort et ne pas suivre attentivement les affaires publiques ; bien différents en cela des pérégrins romains qui, nous dit Cicéron, n'avaient point à s'inquiéter des affaires de l'État, qui ne les regardaient pas.[1] Le nombre relativement considérable des epidosois faites par des métèques et mentionnées par les inscriptions suffit pour prouver que les métèques avaient a cœur la prospérité d'Athènes, et η'hésitaient pas à s'imposer des sacrifices pour elle, bans doute il y allait de leur propre intérêt, qui ne faisait qu'un avec celui de la cité ; mais des générosités comme colles d'Eudémos et d'Héracleidès n'en témoignent pas moins d'un réel attachement à cette cité. Quant aux opinions politiques des métèques, il n'est pas
douteux qu'ils fussent en grande majorité attachés au parti démocratique. Non
pas sans doute qu'il y eût de la part de ces négociants et de ces industriels
aucune préférence théorique pour un régime quelconque : ce qu'ils devaient
désirer uniquement, c'était un gouvernement sous lequel le commerce et
l'industrie pussent se développer à loisir. Les longues guerres, qui
interrompaient ou rendaient difficiles les communications par mer, devaient
leur être odieuses : aussi Aristophane n'oublie-t-il pas de faire figurer les
métèques parmi ceux que Trygée appelle à la rescousse pour délivrer Mais, avant d'en venir à cet épisode glorieux de l'activité politique des métèques athéniens, il faut dire quelques mots d'un autre épisode, non moins dramatique, où quelques-uns d'entre eux jouèrent aussi un rôle, beaucoup moins bien élucidé d'ailleurs, mais qui paraît peu honorable. Nous voulons parler des deux affaires connexes dites des Mystères et des Hermocopides. Nous n'avons pas ici à les exposer en détail, d'autant plus qu'aucun document nouveau n'est venu les éclaircir depuis les dernières publications sur ce sujet[3] ; nous voudrions seulement faire ressortir le rôle qu'y ont joué quelques métèques, et essayer de reconnaître quels étaient leur but et leurs tendances politiques. Dès le début de l'affaire, une proclamation avait engagé quiconque, citoyen, esclave ou étranger, aurait connaissance de quelque sacrilège commis, à le dénoncer sur l'heure, et sans crainte d'être inquiété.[4] On avait même voté, sur la proposition de Cléonymos, une récompense de mille drachmes pour les délateurs, puis, sur celle de Pisandros, une autre de dix mille.[5] C'est alors que « quelques métèques et quelques esclaves » d'après Thucydide,[6] firent des révélations, non sur l'affaire des Hermès, mais sur d'autres mutilations de statues antérieures et sur la profanation des mystères commise par Alcibiade. Plutarque s'exprime d'une façon aussi vague.[7] Andocide attribue cette délation à trois hommes, un citoyen, Pythonicos, un esclave, Andromachos, et un métèque, Teucros.[8] Ce dernier s'était enfui à Mégare dès le début de l'affaire, évidemment parce qu'il se sentait compromis et craignait pour sa vie. Il semble, quoiqu'Andocide ne le dise pas formellement, que ce soit l'appât d'une des récompenses promises qui ait décidé Teucros à revenir à Athènes. Il se fit assurer l'impunité, promettant de faire des révélations sur la profanation des mystères, à laquelle il avouait avoir pris part, et aussi sur la mutilation des Hermès. Le Conseil, alors investi de pleins pouvoirs, accepta ces propositions, et envoya chercher Teucros, qui livra aussitôt les noms de onze individus, les accusant d'avoir été ses complices dans la profanation des mystères : parmi eux figurait un certain Képhisodoros, qui, dans un fragment d'inscription relative à la vente des biens des condamnés, est qualifié de métèque habitant le Pirée.[9] Pour l'affaire des Hermès, Teucros dénonça dix-huit coupables, parmi lesquels nous ne savons pas s'il y avait aussi des métèques.[10] Là-dessus s'engagea une discussion pour savoir qui, d'Andromachos ou de Teucros, avait droit à la plus forte des deux récompenses : on décida qu'Andromachos aurait droit aux dix mille drachmes, et Teucros aux mille autres seulement.[11] Nous ne connaissons pas tous les personnages nommés par Teucros ; mais nous savons que certains d'entre eux, comme Mélétos et Euphilétos, appartenaient au parti aristocratique et étaient affilies à une hétairie des plus actives. D'autre part Képhisodoros, vu le nombre considérable d'esclaves qu'il possédait,[12] appartenait évidemment à la classe riche. Quel avait donc été le rôle joué par Teucros dans toute cette affaire ? On ne peut émettre là-dessus que des conjectures. Tout d'abord, il est à remarquer qu'il n'avait avoué sa complicité que dans l'affaire des Mystères, et non dans celle des Hermès, Or il n'est guère douteux qu'Alcibiade et ses compagnons de plaisir se fussent parfois livrés, après boire, à des parodies irrespectueuses des mystères d'Éleusis. Il faudrait donc admettre que Teucros faisait, comme Képhisodoros, partie de cette bande joyeuse dont Alcibiade était le chef, puisqu'il n'avait pas été simplement témoin du fait, par un hasard quelconque, mais bien complice, de son propre aveu. Mais alors il devient difficile de s'expliquer deux choses : pourquoi, puisqu'il était en sûreté, dénonça-t-il ses compagnons ? et pourquoi Alcibiade ne figurait-il pas parmi ceux qu'il dénonça ? car il ne le nomma ni parmi les profanateurs de mystères, ni parmi les Hermocopides. Andocide semble dire que ce fut l'appât de la récompense de dix mille drachmes qui le décida ; on peut l'admettre à la rigueur, bien que Teucros dût être riche ; peut-être aussi était-il parti d'Athènes précipitamment et sans rien emporter, et craignait-il de voir ses biens confisqués. Quant au second point, il ne peut s'expliquer que si l'on admet deux choses : que la déposition de Teucros était véridique, et que réellement Alcibiade n'avait pas pris part à la profanation des mystères, au moins à celle à laquelle avait assisté Teucros (car il y en avait eu plusieurs, dans différentes maisons).[13] Nous croyons que l'on peut admettre ces deux faits. On sait que, lorsqu'Andocide se décida à parler à son tour, il dénonça comme coupables de la mutilation des Hermès les dix-huit personnes que Teucros avait déjà dénoncées, plus quatre autres seulement.[14] Or, quel que soit le peu de confiance qu'inspire à juste titre le caractère d'Andocide, cet accord entre Teucros et lui semble bien montrer qu'il dit la vérité. M. de Tascher fait remarquer avec raison qu'Andocide répète tous ces détails dans un discours prononcé seize ans après ces événements, à une époque où l'amnistie avait ramené à Athènes tous les individus condamnés dans l'affaire des Hermès et dans celle des Mystères, et qu'il lui eût été bien difficile de répéter ses accusations en face de gens qui auraient pu le démentir et le confondre, si réellement ils avaient été innocents. Maintenant, comment Teucros, ami ou tout au moins compagnon de plaisir d'Alcibiade, avait-il été mis au courant de l'affaire des Hermès ? c'est ce qui demeure inexplicable. Il est évident en effet aujourd'hui qu'Alcibiade ne fut pour rien dans la mutilation des Hermès, qui ne pouvait que retarder le départ de la flotte qu'il commandait. Malgré les manières et les goûts tout aristocratiques d'Alcibiade et de ses compagnons, il ne pouvait rien y avoir de commun entre eux et les membres de l'hétairie d'Euphilétos, ses pires ennemis. De même, nous ne voyons pas quel put être le but de ceux qui poussèrent Dioclidès à faire l'absurde déposition qui, après avoir failli coûter la vie aux quarante-deux citoyens dénoncés par lui, la lui coûta à lui-même.[15] Andocide nomme comme ayant été les instigateurs de Dioclidès, qui ne fut qu'un instrument, un citoyen, Alcibiade du dème de Phégous, et un étranger, Amiantos d'Egine, sans doute un métèque. Tout cet épisode de Dioclidès est la partie la plus obscure de cette obscure affaire. Il n'est guère douteux que son récit ne fût que pure invention ; mais dans quel but ? M. de Tascher suppose que peut-être ce furent les partisans d'Alcibiade qui essayèrent de faire diversion en sa faveur, en détournant l'attention du peuple de l'affaire des Mystères pour la reporter exclusivement sur celle des Hermocopides. Dans ce cas, Amiantos aurait été, comme Teucros, un partisan d'Alcibiade, et par conséquent des démocrates. M. Perrot apprécie autrement le rôle joué dans tous ces
complots par des métèques : « Syracuse, Corinthe, Mégare, dit-il, étaient
intéressées à faire échouer l'attaque dont était menacée En fait, Amiantos d'Egine est le seul de ces métèques dont
nous connaissions l'origine. Que Teucros se soit réfugié à Mégare, cela ne
prouve pas qu'il fût originaire de cette ville : située à proximité de
l'Attique, elle constituait un poste d'observation excellent pour les
réfugiés de toute sorte ; c'est là que s'enfuit et que resta d'abord Lysias,
échappé des mains des Trente[17] ; c'est là que
s'enfuit aussi, après la bataille de Chéronée, Léocrate, qui y demeura plus
de cinq ans.[18]
Quant à Amiantos, bien que les Athéniens eussent chassé en 431 de sa patrie
Egine tous les habitants pour les remplacer par des colons pris parmi eux, il
ne semble pas qu'il ait fait partie de ces habitants dépossédés ; on sait en
effet que les Lacédémoniens les avaient recueillis et établis dans Ce qui est plus probable, c'est qu'il y avait à Athènes, dans ces bas-fonds obscurs où se recrutaient les sycophantes et les délateurs, une tourbe composée aussi bien de métèques que de citoyens, prêts les uns et les autres à profiter de toutes les occasions. Il est curieux.de constater que le nom d'Alcibiade nous apparaît à plusieurs reprises môle à des noms de métèques : Teucros, Képhisodoros, Amiantos, et le métèque qu'il engagea à se porter adjudicataire de la ferme des impôts.[20] Il semble que non seulement Alcibiade fût le chef d'une hétairie analogue aux hétairies aristocratiques,[21] mais qu'il y eût fait entrer et qu'il eût groupé autour de lui un certain nombre d'étrangers, dont il se faisait le protecteur, et qui étaient tout dévoués à sa fortune. Les uns devaient être, comme Képhisodoros, des jeunes gens riches et de bonne famille, qui prenaient part à sa vie élégante et à ses débauches ; mais il devait y avoir aussi des hommes de condition plus basse, qu'il employait à toutes sortes de besognes secrètes. Aux menées ténébreuses des hétairies aristocratiques, il devait répondre lui aussi par des manœuvres du même genre, et combattre ses ennemis au moyen de leurs propres armes. Quoi qu'il en soit, il est certain que des métèques ont joué dans la vie politique d'Athènes à la fin du cinquième siècle un rôle considérable. Nous ne pouvons que l'entrevoir, parce qu'il s'agit d'intrigues secrètes que les contemporains eux-mêmes n'ont pu débrouiller complètement, mais qui n'en ont pas moins eu une influence considérable sur les destinées d'Athènes. Quelques années après l'affaire des Hermocopides, en 411, des métèques jouèrent encore un rôle du même genre, c'est-à-dire fort équivoque, sous le gouvernement des Quatre-Cents. Un des chefs du parti aristocratique, Phrynichos, le pire ennemi d'Alcibiade, revenant de Sparte, où il était allé avec Antiphon et Archeptolémos ouvrir des négociations secrètes, fut assassiné sur l'agora. Il avait été frappé, d'après Thucydide, par un περίπολος, qui s'enfuit, mais dont le complice fut arrêté : c'était un étranger, un Argien, qui, mis à la torture, refusa de nommer le meurtrier, et déclara seulement que les conjurés étaient nombreux et qu'ils se réunissaient dans diverses maisons, notamment dans celle du péripolarque.[22] Le gouvernement des Quatre-Cents renversé et la démocratie rétablie, le peuple récompensa les meurtriers de Phrynichos ou du moins ceux qui se donnèrent pour tels, car il règne sur cette affaire aussi une grande obscurité. Thrasyboulos de Calydon, Apollodoros de Mégare, et quatre autres individus également étrangers, Agoratos, Comon, Simos et Philinos, reçurent diverses récompenses, droit de cité pour les uns, simple ἔγκτησις pour les autres.[23] Tous semblent, comme l'indique M. Foucart, avoir fait partie de la milice des περίπολοι.[24] Plus tard, Lysias contesta qu'Agoratos eût pris la moindre part à ce meurtre réputé glorieux,[25] et il n'est pas même certain que Thrasyboulos et Apollodoros en fussent les auteurs véritables.[26] Mais, quoi qu'il en soit, cette fois encore des métèques avaient joué ou s'étaient attribué un rôle politique, et, il faut le remarquer, c'est du côté des défenseurs du régime démocratique qu'ils s'étaient rangés. Ainsi l'on trouve des métèques mêlés aux intrigues et aux violences qui troublèrent Athènes à partir de 415 et finirent par aboutira l'établissement de la tyrannie des Trente, dont celle des Quatre-Cents n'avait été que le prélude. Dans les événements qui précédèrent immédiatement l'établissement définitif des Trente, c'est-à-dire pendant le blocus du Pirée par la flotte péloponnésienne et les négociations avec Sparte, cet Agoratos, qui passait, depuis sa prétendue participation au meurtre de Phrynichos, pour un démocrate convaincu, reparut, pour jouer un rôle plus odieux encore. Nous ne savons pas au juste quelle était à ce moment sa condition légale. Fils d'esclave, il prétendait avoir reçu le droit de cité en récompense du meurtre de Phrynichos : mais Lysias affirme qu'il n'en était rien, et, en fait, sur le fragment de décret qui nous est parvenu, il n'est question pour lui que de l'évergésie et de l’ἔγκτησις. Dans tous les cas, il fut cette fois l'instrument dont se servirent les oligarques pour perdre les chefs du parti démocratique modéré, dont les oligarques redoutaient encore l'opposition. C'est Agoratos qui dénonça au Conseil une prétendue conspiration, dans laquelle étaient impliqués Dionysodoros, Strombichidès et Eucratès, le frère du malheureux Nicias. Arrêtés avec bien d'autres encore, leur exécution fut un des premiers actes des Trente, qui renvoyèrent absous Agoratos, soi-disant en considération du service qu'il avait rendu en dénonçant les coupables. Parmi les condamnés se trouvaient, outre de nombreux citoyens, deux étrangers, sans doute des métèques, Xénophon d'Icaria et Hippias de Thasos : accusés de complicité, ils furent mis à mort, nous dit Lysias, parce qu'ils refusèrent de dénoncer aucun complice.[27] Apparemment, ils n'étaient pas plus coupables que Strombichidès et Dionysodoros, et hors d'état de révéler le moindre détail d'une conspiration qui n'avait pas existé. La vraie cause de leur condamnation dut être la même que celle de la persécution dirigée quelques mois plus tard contre les métèques, à savoir leur attachement au régime démocratique. CHAPITRE II. — LES MÉTÈQUES ET LES TRENTE. Sous le gouvernement des Trente et lors de la restauration du régime démocratique, les métèques jouèrent un rôle beaucoup plus important et infiniment plus honorable que lors de l'affaire des Hermocopides et du gouvernement des Quatre-Cents. A vrai dire, dans les événements antérieurs, c'étaient quelques métèques isolés qui avaient agi, et agi d'une façon assez louche. Cette fois, c'est la classe entière des métèques qui prit une part active aux luttes politiques et se montra un des appuis les plus fermes du parti démocratique. La persécution systématique exercée par les Trente contre les métèques est précisément, de tous les actes du gouvernement oligarchique, celui que nous connaissons le mieux : c'est elle qui rompit les derniers liens entre Critias et Théramène, amena la mort de ce dernier, et, en faisant ainsi disparaître le parti modéré, rondit une réaction nécessaire. C'est Pison et Théognis qui, dans le sein des Trente,
présentèrent une motion spéciale au sujet des métèques : ils proposèrent que
chacun des Trente s'emparât de la personne d'un métèque, le mît à mort et
confisquât ses biens. D'après Xénophon, il s'agissait pour les tyrans de se
procurer l'argent nécessaire à la solde de leurs gardes.[28] Lysias aussi
insiste sur ce point ; il fait donner par Pison et Théognis en faveur de leur
proposition la raison suivante : il y avait des métèques qui étaient les
ennemis du gouvernement ; on avait donc un excellent prétexte pour
s'enrichir, tout eu paraissant se venger ; or le gouvernement avait besoin
d'argent. Les Trente, ajoute Lysias, se laissèrent facilement persuader, car
ils faisaient autant de cas de l'argent qu'ils en faisaient peu de la vie des
hommes. Ils décidèrent donc que l'on arrêterait dix métèques, parmi lesquels
deux pauvres, pour bien prouver aux autres qu'on ne le faisait point par
cupidité, mais dans l'intérêt de Que le besoin d'argent, et la cupidité aient été pour beaucoup dans ces poursuites dirigées contre les métèques, comme dans les poursuites dirigées contre Nicératos, le fils de Nicias, c'est ce qui n'est pas douteux. Nous ne croyons pas pourtant qu'ils eu aient été le motif principal. Théognis et Pison dans toute cette affaire n'ont visiblement été que les instruments de Critias : la preuve en est que c'est le refus fait par Théramène de participer à ces odieuses exécutions qui amena sa mise en accusation et le foudroyant discours de Critias contre lui. Or Critias était à la fois trop intelligent et trop passionné pour se contenter de satisfactions purement matérielles. Ce que poursuivait cet ennemi acharné de la démocratie, c'était la destruction de tout ce qui avait fait la force de ce régime détesté. La démolition des remparts et des arsenaux, l'anéantissement de la flotte, telles étaient les premières mesures qui avaient signalé l'arrivée au pouvoir du parti oligarchique[30] : la suppression de la classe des métèques en était la conséquence nécessaire. Dans la cité telle que la rêvaient Critias et ses amis, il n'y avait pas de place pour le commerce et l'industrie, ou tout au moins on devait réagir contre les habitudes prises du temps de la démocratie, et réduire au strict minimum cet élément dangereux. Dans toutes les mesures prises sous l'impulsion de Critias, il y avait une unité terrible : il marchait à la réalisation d'un plan conçu longtemps d'avance, et dans l'exécution duquel il était décidé à ne se laisser arrêter par rien. La froide cruauté dont il fit preuve à l'égard des habitants d'Éleusis, lorsqu'il alla y chercher un dernier refuge, montre assez de quoi il était capable.[31] C'est sans doute pour décider ses complices, plus timorés ou moins audacieux que lui, qu'il fit miroiter à leurs yeux de riches dépouilles à recueillir, jugeant avec raison sans doute que ce serait là pour les Théognis, les Pison et les Mélobios, un argument irrésistible. En fait, Critias voyait dans les métèques des ennemis du régime nouveau, ce qu'ils étaient réellement. Non seulement ils n'avaient pu voir d'un bon œil la chute d'un régime qui les avait toujours favorisés ; mais la ruine du Pirée et les tendances bien connues du gouvernement nouveau, hostiles au développement commercial et industriel d'Athènes, n'avaient pu que lui aliéner leurs sympathies. Un grand nombre d'entre eux avaient sans doute quitté Athènes dès le début, l'occupation du Pirée par Lysandre ayant dû paralyser les affaires. On s'explique très bien d'ailleurs pourquoi ; Lysias n'insiste pas là-dessus, et s'attache au contraire à montrer la cupidité des tyrans. N'était-ce pas le meilleur moyen de les rabaisser et de les avilir, que de les représenter n'usant du pouvoir que pour s'enrichir par le vol et l'assassinat ? Ce qui est vrai, c'est qu'il ne semble pas que jusqu'à ce moment les métèques restés à Athènes eussent fait d'opposition ouverte aux oligarques, ni manifesté hautement leur mécontentement. En face de maîtres aussi dénués de scrupules que les Trente, et lorsque les citoyens eux-mêmes, terrorisés, n'osaient plus élever la voix, les étrangers domiciliés ne pouvaient que se résigner et attendre patiemment des temps meilleurs. Sur ce point, Théramène vit très juste : dans sa réponse à l'accusation de Critias, il déclara que s'il s'était opposé à la mesure proposée par Théognis et Pison, c'est qu'il comprenait que, une fois quelques métèques exécutés, tous les autres deviendraient des ennemis irréconciliables du régime oligarchique.[32] C'est en effet ce qui arriva. Nous ne savons pas au juste jusqu'où alla la persécution contre les métèques ; Lysias ne parle que des dix premiers qui furent arrêtés ; Diodore prétend que soixante autres furent mis à mort après l'exécution de Théramène.[33] Dans tous les cas, dès les premières arrestations faites parmi eux, les métèques ne se sentirent plus en sûreté, et tous ceux qui purent s'enfuir, comme Lysias, le firent certainement. La petite armée de Thrasybule compta dès le début des métèques[34] ; et c'est pour les récompenser et en attirer d'autres que Thrasybule lança une proclamation par laquelle il promettait l'isotélie à tous les métèques qui prendraient les armes pour le rétablissement du gouvernement démocratique.[35] Malgré le peu de renseignements que nous avons sur cette période si intéressante de l'histoire d'Athènes, il est hors de doute que les métèques ont joué un rôle considérable dans l'armée de Thrasybule, et ont vaillamment contribué à la restauration démocratique. Le décret conférant la charge de héraut du Conseil et du Peuple au métèque Euclès et le décret conférant plus tard la même charge à son fils mentionnent les services qu'il rendit en cette circonstance à la cause populaire.[36] Quelques années plus tard, Lysias pouvait mettre dans la bouche d'un de ses clients cet éloge adressé aux métèques, que, dans la lutte contre les Trente, ils avaient fait tout leur devoir.[37] Cet éloge, il l'a répété ailleurs, dans ce discours d'apparat qui probablement ne fut pas prononcé, et qui est intitulé Éloge funèbre des Athéniens qui ont secouru les Corinthiens ; il y dit, en rappelant la lutte de Thrasybule contre les Trente : « Il faut aussi louer les étrangers ensevelis ici, qui, venus au secours du peuple et combattant pour notre salut, regardant l'honneur comme leur patrie, terminèrent ainsi leur vie.[38] » A cet éloge mérité, Lysias, dans le premier passage, ajoute que la cité récompensa dignement ces métèques qui l'avaient bien servie.[39] Peut-être y a-t-il là de sa part quelque ironie : nous avons déjà vu comment et pourquoi lui-même fut privé de la récompense qui lui était si légitimement due. C'est lui en effet qui, entre tous les métèques, s'était distingué par son zèle démocratique. Echappé par hasard au sort de son frère Polémarque, qui avait été mis à mort par les tyrans, il n'avait plus vécu que pour le venger et pour aider Thrasybule à délivrer Athènes. Il a été, au milieu de ces événements tragiques, comme le représentant et l'incarnation de la classe entière des métèques, ou, pour mieux dire, de ses éléments les plus honnêtes et les plus nobles : aussi ne pouvons-nous mieux terminer cette étude sur les métèques athéniens qu'en exposant un peu en détail le rôle politique joué par Lysias dans la lutte contre les Trente et dans les années qui suivirent le rétablissement du gouvernement démocratique. CHAPITRE III. — LE RÔLE POLITIQUE DE LYSIAS. La vie de Lysias nous est aujourd'hui assez bien connue, et nous nous bornerons à la résumer pour toute la période antérieure à la domination des Trente.[40] Le père de Lysias, Képhalos fils de Lysanias, était un de ces étrangers qu'avait attirés à Athènes l'influence de Périclès. Citoyen de Syracuse, riche et considéré, ce furent probablement les troubles politiques incessants dans, cette ville qui le décidèrent à céder aux instances de Périclès et à aller se fixer en Attique. Etabli au Pirée, où il avait non seulement une importante fabrique de boucliers, mais sa maison d'habitation, il y passa le reste de sa vie, trente ans environ, et y mourut à un âge fort avancé.[41] Il est certain qu'il jouissait de l’ἔγκτησις, et il est très probable qu'il avait reçu l'isotélie, avec le droit de la transmettre à ses descendants. Képhalos avait fait de sa maison du Pirée un centre et un lieu de rendez-vous pour tous les hommes les plus éminents d'Athènes : Sophocle et Socrate recherchaient son entretien, et c'est chez lui que Platon fait discuter les interlocuteurs de sa République. Dans le préambule de ce dialogue, Platon le représente comme un vieillard affable, qui, sans prendre part aux discussions philosophiques de ses hôtes, développe, contre Socrate, et sur les prétendus maux de la vieillesse et les véritables avantages de la fortune, quelques pensées des plus élevées. « Dans sa maturité comme dans sa vieillesse, il fut vraiment le type de l'Hellène pieux et sage.[42] » Des trois fils de Képhalos, Polémarque, Lysias et Euthydémos, l'aîné seul, Polémarque, était peut-être né à Syracuse ; les deux autres paraissent être nés à Athènes, Lysias probablement en 431.[43] Lysias et ses frères, dans ce milieu intelligent et éclairé, reçurent une excellente éducation, celle que recevaient alors les jeunes gens des meilleures familles d'Athènes. Polémarque paraît s'être adonné de préférence à l'étude de la philosophie : Plutarque l'appelle « Polémarque le philosophe ; » Euthydémos aussi doit s'être intéressé à ces études, puisque Platon a donné son nom à l'un de ses dialogues. Tous trois, fort jeunes encore (Lysias n'avait que quinze ans), allèrent prendre part à la colonisation de Thurii et y restèrent pendant quelques années. C'est là que Lysias reçut les leçons du sophiste et rhéteur Tisias de Syracuse, leçons qui eurent sur lui pendant longtemps une si puissante influence. C'est probablement là qu'il composa cette défense de Nicias, simple exercice d'école, tout imprégnée de rhétorique, mais qui montre au moins que dès lors il s'intéressait aux entreprises de sa patrie adoptive, et au sort des malheureux prisonniers des Syracusains.[44] Ce qui est certain, 'c'est que Lysias et ses frères étaient à Thurii des adhérents du parti démocratique, c'est-à-dire du parti athénien : aussi, lorsque le désastre de l'expédition athénienne on Sicile eût son contrecoup à Thurii, comme dans toutes les cités de Sicile et de Grande Grèce, le parti oligarchique triomphant s'empressa de bannir de Thurii 300 citoyens, parmi lesquels Lysias et Polémarque.[45] En 412/1 les deux bannis rentraient à Athènes, qu'ils trouvaient en pleine révolution. Sous le gouvernement des Quatre-Cents et dans les années qui suivirent jusqu'aux événements de 404, il ne semble pas que Lysias ait joué aucun rôle politique. Il n'est pas douteux qu'il ait été hostile aux Quatre-Cents et favorable au parti démocratique ; mais sa qualité de métèque lui interdisant la politique, et ni sa personne ni ses intérêts n'étant menacés, il garda sans doute la réserve que lui imposait sa condition.[46] Pendant ces quelques années de tranquillité relative, il donna à son activité un double emploi. C'est lui, à ce qu'il semble, qui avait la direction de la fabrique, dont Polémarque, tout à ses études philosophiques, s'occupait peu ; or elle était fort importante, puisqu'elle n'employait pas moins de 120 ouvriers esclaves. Le revenu de cette fabrique, joint à celui des trois maisons que possédaient les fils de Képhalos, devaient leur assurer une existence des plus larges. En même temps, Lysias mettait à profit les leçons de Tisias, et s'exerçait à la composition d'ouvrages de pure rhétorique, comme ce discours sur l'amour donné par Platon comme étant de lui. Peut-être même faisait-il aussi, comme son maître, profession d'enseigner l'éloquence et la sophistique ; dans tous les cas, il résulte du début de son discours contre Eratosthène que jusque-là il ne composait pas de discours pour les autres.[47] La révolution oligarchique vint brusquement arracher Lysias et à ses affaires d'intérêt et à ses études d'amateur, pour le jeter dans la politique et faire de lui un orateur de combat. Nous ne savons pas quelle avait été la conduite des deux frères lors de l'occupation du Pirée par Lysandre et du renversement du gouvernement démocratique ; mais on peut jusqu'à un certain point se la représenter. Leur fabrique dut être entraînée dans la ruine générale du commerce et de l'industrie, et Lysias et Polémarque ne surent pas sans doute dissimuler leur mécontentement vis-à-vis du nouveau gouvernement.[48] Il est tout naturel qu'ils aient été frappés des premiers par les Trente : leur origine, leur fortune, leurs opinions, tout les désignait à l'attention des tyrans ; en eux, c'étaient surtout les chefs des métèques que l'on voulut frapper. On sait avec quelle odieuse brutalité on procéda envers eux ; ils furent saisis, dépouillés de tous leurs biens, et si Lysias put, grâce à sa présence d'esprit, échapper à la mort, Polémarque fut exécuté sans jugement. Ou ne peut lire sans une émotion profonde le récit fait par Lysias de cette terrible journée, récit où, sous la sécheresse apparente de la forme, on sent bouillonner la passion. Nous ne pouvons mieux faire, si connu qu'il soit, que de le reproduire et de laisser la parole à l'orateur[49] : « Ils me surprirent ayant à ma table des hôtes ; ils les chassent et les remettent à Pison ; les autres, s'étant rendus à l'atelier, dressent la liste des esclaves qui y travaillaient. Pour moi, je demandai à Pison s'il voulait me sauver la vie pour de l'argent. Celui-ci me répondit qu'il le ferait, si je lui en donnais beaucoup. Je lui offris un talent ; Pison se déclara satisfait. Je savais qu'il méprisait les dieux autant que les hommes ; pourtant telle était la situation qu'il me parut nécessaire d'accepter sa parole. Il jure donc de me sauver la vie pour un talent, et il appelle, avec force imprécations, la ruine sur sa tête et sur celle de ses enfants pour le cas où il manquerait à son serment. J'entre alors dans mon cabinet, et j'ouvre ma caisse. Pison s'en aperçoit, me suit, et voit ce qu'elle contenait ; aussitôt il appelle deux de ses serviteurs, et leur ordonne d'en retirer tout ce qu'elle renferme. Il prend, non ce que j'étais convenu de lui donner, ô juges, mais 3 talents d'argent, 400 cyzicènes, 100 dariques et 4 patères d'argent. Je le prie de me laisser au moins de quoi payer mes frais de voyage. « Tiens-toi pour heureux, me réplique-t-il, si tu veux sauver ta personne. » Comme je sortais avec Pison, nous rencontrons Mélobios et Mnésithidès, qui revenaient de l'atelier ; ils nous arrêtent sur la porte même, et nous demandent où nous allions ; Pison répond que nous nous rendions chez mon frère, pour que là aussi il dressât l'inventaire. « Fort bien, dirent-ils ; quant à Lysias, il va nous suivre chez Damnippos. » Pison s'approcha de moi et m'engagea à me taire et à avoir bon courage, que bientôt il nous rejoindrait dans cette maison. Nous y arrivons, nous y trouvons Théognis, qui y gardait d'autres prisonniers. Le péril me paraissait tel que déjà je me croyais à deux doigts de la mort. J'appelle donc Damnippos, et je lui parle ainsi : « Tu es de mes amis, je suis dans la demeure, je n'ai commis aucun crime ; c'est ma fortune qui me perd. Tu vois comment ou me traite ; emploie-toi avec chaleur pour me sauver. » Celui-ci me promit de faire tout ce qu'il pourrait, et ce qui lui parut le plus sage, ce fut de s'ouvrir à Théognis, qui, pensait-il, était prêt à tout faire pour de l'argent ; il va donc le trouver pour causer avec lui. Je connaissais les êtres de la maison ; je n'ignorais pas qu'elle avait une seconde issue ; ceci me décida à tenter de me sauver. Si j'échappe aux regards, me disais-je, me voici hors d'affaire ; si je suis pris, au cas où les offres de Damnippos auraient décidé Théognis à me servir, il ne m'en lâchera pas moins ; sinon, je ne mourrai toujours qu'une fois. Mon parti pris, je m'enfuis pendant que l'on montait la garde devant l'entrée principale de la maison. J'avais trois portes à franchir, je les trouve toutes les trois ouvertes. J'arrive chez le capitaine Archéneus, et je l'envoie à la ville s'informer de mon frère ; à son retour, il me raconte qu'Eratosthène l'avait saisi sur la route et l'avait emmené en prison. A cette nouvelle, je me décide à partir, et la nuit suivante je m'embarque pour Mégare. » Quant à Polémarque, les Trente lui envoyèrent leur ordre accoutumé de boire la ciguë, sans même lui dire la cause pour laquelle il devait mourir : tant il s'en est fallu qu'il ait été jugé et qu'il ait pu se défendre. Et lorsque son cadavre eut été emporté de la prison, bien que nous eussions à nous trois maisons, il ne fut permis de le déposer dans aucune : il fallut louer une baraque pour y exposer le corps. Et quoique nous eussions beaucoup de vêtements, ils refusèrent de donner pour l'ensevelir celui qu'on leur demandait : il fallut que nos amis fournissent l'un un vêtement, l'autre un coussin, enfin ce que chacun avait, pour l'ensevelir. Ils prirent sept cents boucliers qui nous appartenaient,[50] de l'argent et de l'or, du bronze, des ornements, des meubles et des vêtements de femmes, le tout en quantités telles qu'ils n'avaient jamais rêvé en posséder autant, plus cent vingt esclaves, dont ils gardèrent pour eux les meilleurs, laissant les autres à l'État ; et malgré cela, leur cupidité fut si sordide et si insatiable qu'ils se portèrent à un autre excès : la femme de Polémarque avait, lorsque Mélobios entra dans sa maison, des pendants en or : il les lui arracha des oreilles. » A ce dramatique récit succède une réflexion mélancolique : « Et pourtant, ce n'est pas là ce que nous avions mérité de la république, nous qui avions rempli toutes les chorégies et acquitté toutes les contributions de guerre, qui nous étions montrés réservés et qui avions exécuté tout ce qu'on nous avait ordonné, qui ne nous étions faits aucun ennemi, qui avions racheté beaucoup d'Athéniens prisonniers de guerre ; c'est ainsi qu'ils nous ont récompensés, nous qui, métèques, ne nous étions point conduits comme eux citoyens se conduisirent. » C'étaient précisément tous ces services, que Lysias put faire valoir plus tard devant un tribunal démocratique, qui avaient contribué à attirer sur lui et les siens la colère des tyrans. Les fils d'un ami de Périclès, ces métèques riches, instruits et influents, dévoués au parti qui leur assurait sécurité et fortune, ne pouvaient que porter ombrage aux nouveaux maîtres d'Athènes ; et Critias, en se débarrassant d'eux, voulut sans doute donner un avertissement significatif aux autres métèques qui seraient tentés d'avoir et de laisser voir leurs préférences politiques. Profondément ulcéré par la mort de son frère et la perte d'une grande partie de sa fortune, Lysias se retira à Mégare, ce refuge ordinaire des bannis et des mécontents athéniens. Mais, loin d'être abattu par le sort de Polémarque, il ne rêva plus que vengeance, et se jeta dans la politique militante. De tous les métèques qui embrassèrent le parti de Thrasybule, il fut le plus ardent et le plus dévoué à la cause populaire, pour laquelle il s'imposa de réels sacrifices. Il avait sans doute des capitaux placés à l'étranger : il en usa pour envoyer à la petite armée de Thrasybule, outre 2.000 drachmes et 200 boucliers, 300 mercenaires qu'il leva et équipa à ses frais. De plus, il profita des liens d'hospitalité qui l'unissaient à Thrasydœos d'Eus, le chef du parti démocratique en Elide, pour le décider à faire à Thrasybule l'avance d'une somme de deux talents.[51] Il semble, d'après les termes peu clairs de son biographe, qu'il ait été l'homme de confiance et le représentant officiel de Thrasybule au dehors (πεμφθείς), chargé de négocier avec les amis du parti démocratique à l'étranger. Aussi ne prit il pas part aux premiers combats, ayant à remplir ailleurs un rôle plus délicat et plus utile ; c'est seulement après la prise du Pirée qu'il vint rejoindre les démocrates : c'est du moins ce qui semble résulter d'un passage du discours contre Eratosthène.[52] Il prit en somme une part importante au renversement des tyrans, et, plus tard, il put avec un légitime orgueil mettre dans la bouche d'un de ses clients cet éloge mérité, en parlant de lui-même, « qu'il avait rendu de grands services à la cause populaire.[53] » A partir de l'entrée de Thrasybule à Athènes, le rôle de Lysias ne fut pas moins actif, et l'on peut dire sans exagération qu'il fut pour beaucoup dans le rétablissement du régime démocratique. Nous avons, dans un des chapitres précédents, essayé d'établir la chronologie des actes de Lysias jusqu'au décret d'Archinos : nous ne reviendrons pas là-dessus, et nous exposerons les faits dans l'ordre que nous avons admis. Nous ne savons pas pour qui Lysias composa son discours tendant à repousser toute modification à l'ancienne constitution démocratique. Ce qui est certain, c'est qu'il ne le prononça pas lui-même : à ce moment-là donc il n'était pas encore citoyen. La proposition de Phormisios et l'agitation qu'elle causa sont choses trop connues pour que nous y insistions[54] : on sait que Phormisios, qui pourtant n'était nullement un oligarque, voulait, par un retour assez intempestif à la constitution de Solon, que l'on ne reconnût de droits politiques qu'aux propriétaires fonciers. Cinq mille personnes environ auraient été ainsi rayées de la liste des citoyens. Lysias prit énergiquement la défense du régime démocratique, et contribua sans doute à faire repousser la proposition de Phormisios. C'est très peu de temps après que Thrasybule fit passer le décret qui conférait à Lysias le droit de cité, récompense méritée et de ses services pendant la guerre, et de son discours en faveur de la démocratie. Il était d'ailleurs naturel que Thrasybule, qui avait promis l'isotélie aux métèques qui s'armeraient pour la défense de la liberté, demandât pour un ancien isotèle le droit de cité ; et c'est une nouvelle raison de croire que Képhalos avait reçu l'isotélie à titre héréditaire.[55] C'est donc en sa qualité de citoyen que Lysias, lors de la reddition des comptes d'Ératosthène, l'un des Trente tyrans et le meurtrier de Polémarque, prit la parole et prononça devant les héliastes le plus justement célèbre de ses discours. Presque aussitôt d'ailleurs, Lysias fut dépouillé de ses nouveaux droits : nous avons déjà vu pourquoi et comment. M. Blass suppose[56] avec raison que c'est en réponse à Archinos qu'il composa deux discours dont il ne reste que le titre, Sur les services qu'il avait rendus, et Sur le décret d'Archinos. Cette injustice du reste ne refroidit nullement l'ardeur des opinions démocratiques de Lysias. Il semble qu'il n'en soit résulté qu'une brouille entre lui et son ancien ami Thrasybule, qu'il accusait probablement d'avoir mollement défendu sa cause.[57] C'est à partir de ce moment que Lysias, à demi ruiné par les Trente, et dont les goûts dispendieux ne pouvaient s'accommoder d'une existence modeste,[58] entreprit de relever sa fortune en tirant profit de son talent oratoire : il devint immédiatement le premier des logographes d'Athènes, à ce point que l'on prétendait que, sur 233 procès plaidés par lui, il en avait perdu seulement deux. C'est sans doute en 393/2 qu'il faut placer son ambassade auprès de Denys l'Ancien, dont nous avons déjà parlé. Elle prouve à coup sûr qu'il était devenu à Athènes un personnage d'importance, quoiqu'elle eût, à ce qu'il semble, un caractère plus officieux qu'officiel. Jusqu'à sa mort, Lysias demeura fidèle à ses opinions, et aussi à ses haines politiques ; sans doute il prêta l'appui de son talent à bien des personnages divers et à des intérêts de tout genre ; mais toutes les fois qu'il eut l'occasion d'attaquer d'anciens agents des tyrans, il le fit avec une vigueur et une sincérité qui montraient que le temps n'avait point éteint son légitime ressentiment.[59] Néanmoins, malgré son attachement au régime démocratique, Lysias n'avait rien du démagogue : il appartenait, comme Thrasybule, à la catégorie des démocrates qui, à l'exemple de Périclès, croyaient que ni l'urbanité des manières ni la modération en politique n'étaient incompatibles avec le régime de la démocratie pure. Implacable lorsqu'il s'agissait de meurtriers comme les Trente, il faisait preuve vis-à-vis des simples adversaires politiques des dispositions les plus conciliantes, et se chargeait même volontiers de leur défense devant les tribunaux. Nous en donnerons pour preuve deux de ses plus beaux discours, le discours intitulé assez inexactement Apologie pour un citoyen accusé d'avoir voulu renverser la démocratie, et surtout son admirable plaidoyer pour le cavalier Mantithéos, où, si nous ne nous trompons, l'on sent autre chose que l'habileté ordinaire de l'avocat : à savoir, la sympathie sincère de l'homme pour un adversaire honnête et loyal.[60] Dans une autre circonstance, plus importante et plus périlleuse, Lysias fit preuve de la même indépendance de. caractère. Lorsque Socrate succomba sous les attaques des démagogues, Lysias, qui devait vénérer en lui l'ami de son père, lui resta certainement fidèle. D'après Cicéron et Diogène Laërte, il aurait composé pour Socrate une apologie, dont celui-ci, tout en la louant beaucoup, refusa de se servir.[61] Il est probable, comme l'a montré M. Blass, que Diogène et Cicéron ont fait confusion, et qu'il ne s'agit en réalité que d'une apologie écrite postérieurement à la mort de Socrate, et en réponse à une attaque dirigée contre sa mémoire par le sophiste Polykratès.[62] Mais, même on ce cas, cette anecdote nous montre que Lysias, comme autrefois sous les Trente, n'avait ni dissimulé sa façon de penser, ni craint de heurter l'opinion du parti alors tout-puissant dans la cité. En cela même, par la modération de ses opinions, Lysias nous apparaît encore comme le représentant de toute une catégorie de métèques, la plus importante sans doute par la situation et la valeur personnelle de ceux qui la composaient. Autant ils étaient attachés au régime démocratique, autant les métèques riches et influents devaient redouter le régime de délations et de violences qui était l'idéal des démagogues. Et c'est peut-être à cette aristocratie des métèques, si on peut l'appeler ainsi, que pensait Xénophon, lorsqu'il demandait avec insistance que l'on ouvrît aux métèques l'accès du corps des Cavaliers.[63] Ne voyait-il pas dans les métèques riches un élément qu'il serait facile de détacher du parti démocratique et de rallie :· au parti aristocratique ? Les violences des Trente n'avaient servi, comme l'avait prédit Théramène, qu'à rendre odieux aux métèques le régime oligarchique : ne serait-il pas plus habile de procéder autrement, et d'attendre du contact avec les membres du corps aristocratique par excellence la conversion de cet élément au fond conservateur ? Telle nous paraît avoir été l'arrière-pensée de Xénophon ; et ce fut peut-être aussi une des raisons pour lesquelles les Athéniens se refusèrent toujours à cette réforme. Lysias enfin, fervent démocrate et fervent patriote, ami de la légalité et de la modération, ne prêcha pas seulement la concorde entre Athéniens[64] : il la prêcha entre tous les Hellènes, en un jour mémorable, où il montra, lui Sicilien devenu Athénien, qu'il était avant tout un citoyen de la grande patrie hellénique. On sait dans quelles circonstances : Denys l'Ancien avait envoyé[65] à Olympie une ambassade fastueuse, conduite par son propre frère Théaridas ; il voulait éblouir les Grecs et leur donner une haute idée de sa puissance. Lysias prit la parole, et, dans un discours dont il ne nous reste que l'exorde, il engagea les Grecs à protester contre l'impudence de cet oppresseur des cités siciliennes. Son succès fut complet, puisque, paraît-il, la foule non seulement vota d'acclamation l'exclusion des théores du tyran, mais se jeta sur leurs tentes somptueusement décorées et les mit en lambeaux. Le thème de l'orateur, après les formalités du début, est
très net, et le fragment conservé suffit pour nous en montrer les idées
maîtresses. Après avoir dépeint le triste état de Sans doute, comme le montre fort bien M. Perrot,[67] Lysias, qui ne
se trompait pas en prédisant aux cités grecques l'avenir le plus menaçant, se
trompait lorsqu'il croyait le danger à l'Orient et à l'Occident. Lysias
manqua certainement de la clairvoyance politique de Démosthène, et encore
faut-il reconnaître qu'en 388 les plus prévoyants pouvaient s'y tromper :
Jason de Thessalie n'avait pas encore dévoilé ses projets ambitieux, et
Philippe n'était pas encore né. Quoi qu'il on soit, dans cet appel si
chaleureux à la concorde et à l'union contre l'ennemi commun, ne croirait-on
pas entendre par avance la grande voix de Démosthène coalisant Cette union que préconisait Lysias entre toutes les cités helléniques, il n'entendait point pourtant qu'elle portât atteinte au patriotisme local des cités, ni que l'hellénisme dégénérât en un cosmopolitisme vague. Il s'explique là-dessus de la façon la plus nette dans le discours contre Philon, ce citoyen qui, bien que chassé d'Athènes par les Trente, n'avait point osé prendre part à la lutte contre eux et avait gardé pendant toute la période des troubles une neutralité honteuse. Ce qui faisait la gravité du fait, c'est qu'il ne devait pas être isolé : depuis plusieurs années déjà l'on voyait se faire jour à Athènes des théories qui devaient choquer profondément les patriotes attachés aux vieilles coutumes et notamment à cette idée que la patrie est pour les citoyens une mère, envers qui l'on a des devoirs et des obligations non moins stricts qu'envers ses parents mêmes.[69] On conçoit quelle devait être leur indignation lorsqu'ils entendaient un personnage d'Aristophane déclarer que « la patrie, c'est là où l'on se trouve bien.[70] » Cette indignation, Lysias, en véritable Athénien, la partageait : « Ceux, » dit-il, « que la nature a faits citoyens, mais qui ont pour système de regarder comme leur patrie tout pays où ils trouvent ce qui est nécessaire à leur vie, ceux-là à coup sûr négligent les intérêts généraux de la cité pour ne songer qu'à leur propre avantage : ce qu'ils regardent comme leur patrie, ce n'est pas la cité, c'est la fortune.[71] » Cet étranger qui prenait si bien la défense des intérêts d'Athènes et qui était aussi Athénien de cœur que de langage, ne méritait-il pas qu'on lui laissât ce titre de citoyen qu'un autre grand patriote lui avait fait décerner ? « Jamais étranger, » dit justement M. Perrot,[72] « ne se fit, plus que cet homme, une âme de citoyen, n'honora plus, par son caractère et par son talent, sa patrie d'adoption ; personne ne lui eût mieux payé sa dette de reconnaissance. » A défaut de ce titre, il lui en reste un autre : il demeure pour la postérité le plus illustre des métèques athéniens. |
[1] De off., I. 34, 125.
[2] Paix, 297.
[3] Sur cette question, qui demeura à peu près aussi obscure pour les anciens qu'elle le demeure pour nous, voir, outre les ouvrages indiqués dans Curtius (V, 572) : W. Gœtz, Der Hermokopidenprozess…, Leipzig, 1876 ; l'article de R. de Tascher, Le procès des Hermocopides (Ann. de l'Assoc. pour l'encouragement des étud. grecques en France, XX (1886), 172 et suiv.), sans oublier le récit si intéressant qu'en fait M. G. Perrot dans son étude sur Andocide ; et enfin la courte brochure de M. H. Weil, Les Hermocopides et le peuple d'Athènes (1891).
[4] Thucydide.
VI, 27.
[5] Andocide, I, 27.
[6] VI, 28.
[7] Alcib., XIX, 1.
[8] Andocide, I, 11-15.
[9] Ibid., I, 15.
[10] Ibid., 34. 25.
[11] Ibid., 27.
[12] C.
[13] Andocide,
I, 12. 16. 17.
[14] Ibid., 52.
[15] Andocide, I, 37-66.
[16] Eloquence, 172.
[17] Pseudo-Plutarque, Vie des dix orat. : Lysias, 6.
[18] Lycurgue, c. Léocr., 21.
[19] Thucydide, II, 27.
[20] Plutarque, Alcib., 5.
[21] C'est ce qu'admet Vischer, Die oligarchische Partei und die Hetairien in Athen…, p. 18 ; cf. d'ailleurs Isocrate, XVI, 6.
[22] Thucydide, VIII, 92.
[23] Lysias, XIII, 71 ; C. I. Α., Ι, 59 ; pour le détail, voir Röhl, Zu Lysias… (Hermes; XI, 378 et suiv.).
[24] Bull. corr. hell., XIII, 266.
[25] Lysias, XIII, 71 et suiv.
[26] Cf. Röhl, op. cit.
[27]
Lysias, XIII, 54 ; voir pour le détail de l'affaire d'Agoratos tout le
discours ; et Scheibe, Die Oligarchische Umwälzung zu Athen, p. 49 et suiv.
M. G. Beloch (Die attische Politik seit Perikles, p. 94 et suiv.) ne doute pas de la réalité de la conspiration ; il est vrai qu'il est l'ennemi déclaré de la « démocratie radicale athénienne. »
[28] Hell., II, 3, 21 : « Έδοξε δ'άυτοῖς, ὄπως ἔχοιεν καὶ τοῖς φρουροῖς χρήματα διδόναι, καὶ τῶν μετοίκων ἕνα ἕκαατον λαβεῖν, καὶ αὐτοὺς μὲν ἀποκτεῖναι, τὰ δὲ χρήματα αὐτῶν ἀποσημήνασθαι. »
[29] Lysias, XII, 6. 7.
[30] Lysias, XII, 99 ; XIII. 46.
[31] Xénophon, Hell., II, 4, 8.
[32] Xénophon, Hell., II, 3, 40 : « 'Aντεῖπον δὲ καὶ ὅτε τῶν μετοίκωον ἓνα ἓκσατον λαβεῖν ἔφασαν χῆναι * εὔδηλον γὰρ ἦν ὅτι τούτων ἀπολομένων καὶ οἱ μετοίκοι ἅπαντες πολέμιοι τῇ πολιτείᾳ ἔσοιντο. »
[33] Diodore, XIV, 5, 6.
[34] Xénophon, Hell., II, 4, 25 : « οἱ δὲ πολλοί τε ἤδη ὄντες καὶ illisible. »
[35] Ibid. Remarquons en passant que, même dans des circonstances aussi critiques, le chef du parti démocratique, fidèle à la vieille politique athénienne, ne songea pas à promettre aux métèques le droit de cité.
[36] C. I. Α., II, 73 : « Άνδραγαθίας ἔνεκα καὶ προθυμίας, ἐπειδὴ ἀνῆρ ἀγαθὸς ἐγένετο περὶ τὸν δῆμον τὸν 'Αθηναίων καὶ τὴν καθόδον τοῦ δῆμου τοῦ 'Αθηναίων καὶ τὴν ἐλευθερίαν. »
[37] Lysias, XXXI, 29 : « …τοὺς μετοίκους… ὃτι κατὰ τὸ προσῆκον ἑαυτοῖς ἐβοήθησαν τῷ δήμῳ. »
[38] Lysias, II, 66 : « Άξιον καὶ τοὺς ξένους τοὺς ἐνθάδε κειμένους ἐπαίνεσαι, οἵ τῷ πλήθει βοηθήσαντες καὶ περὶ τῆς ἡμετέρας σωτηρίας μαχόμενοι, πατρίδα τὴν ἀρετὴν ἡγησαμενοι, τοιαύτην τοῦ βίου τελεύτην ἐποιήσαντο. » — L'authenticité de l’Έπιτάφιος, niée par M. Blass, soutenue par M. J. Girard, reste en somme douteuse.
[39] Lysias, XXXI, 29 : « …ἐτιμήσατε ἀξίως τῆς πόλεως. »
[40] On trouvera réunis dans l'introduction de l'édition Frohberger tous les détails de quoique intérêt, avec l'indication des textes à l'appui et les discussions de dates, toutes choses sur lesquelles nous n'avons pas à nous arrêter.
[41] Peut-être cependant, comme le veut Susemihl, accompagna-t-il ses fils à Thurii, et ne revint-il au Pirée qu'avec eux ; la question reste douteuse.
[42] Curtius, II, 557.
[43] Nous n'entrerons pas dans la discussion des questions de dates, qui pour nous n'ont guère d'importance ; voir là dessus Susemihl, De vitis Tisiae, Lysiœ, etc., Greifswald, 1884 (Progr.), qui ne s'accorde pas sur tous les points avec Blass.
[44] C'est peut-être là, à notre avis, la meilleure raison qui milite en faveur de l'attribution de ce discours à Lysias.
[45] Il n'est plus, dans les sources, fait mention d'Euthydémos.
[46] Lysias, XII, 21 : « Κοσμίους δ'ἡμᾶς αὐτοὺς παρέχοντας. »
[47] Lysias, XII, 3.
[48] Lysias, XII, 6 :«Tῇ πολιτείᾳ ἀχθόμενοι. »
[49] Lysias, XII, 8-19. — Pour toute la première partie de cette citation (2 8-16) nous empruntons l'excellente traduction de M. Perrot, Eloquence, 223.
[50] Ce chiffre considérable semble prouver que les affaires avaient subi au moins un temps d'arrêt, et qu'il y avait tout un stock de marchandises accumulées.
[51] Pseudo-Plutarque, Vie des dix orat. : Lysias, 7 ; Justin (V, 9, 9) parle de 500 mercenaires ; le scoliaste d'Eschine (III, 195, éd. Schultz), de 500 boucliers. Sur Thrasydaeos, cf. Curtius, IV. 185.
[52] Lysias, XII, 53 : « Εἰς τὸν Πειραῖα ἦλθομεν. »
[53] Lysias, XIX, 19 : « Tὸ πλήθος τὸ ὑμέτερον πλείστα ἀγαθὰ πεποιηκότος. »
[54] Usener (Jahrb. f. class. Philol., 1873) a publié et commenté le discours de Lysias contre Phormisios.
[55]
Il n'y a plus de doute, depuis la publication de
[56] I, 341.
[57] Cette question des relations de Lysias et de Thrasybule après le décret d'Archinos est des plus obscures, et n'a d'ailleurs pas d'importance pour le sujet que nous traitons (cf. Perrot, Eloquence, 227 et suiv.).
[58] Pseudo-Démosthène, LIX, 21 et suiv.
[59] Discours contre Agoratos ; Sur la dokimasie d'Evandre ; Contre Sicomachos.
[60] Voir les pages qu'a consacrées à ce plaidoyer M. Martin, 508 et suiv.
[61] Cicéron, De orat., I, 54, 231 ; Diogène Laërte, II, 40.
[62] Blass, I, 341 et suiv.
[63] Hipp., IX, 6 ; Rev., II, 5.
[64] Lysias, XXV, pass.
[65] En 388 d'après Diodore (XIV, 109) ; nous pensons avec Blass et Frohberger qu'il faut maintenir cette date, malgré les raisons données par Grote pour placer le fait on 384. — On a aussi discuté la question de savoir si Lysias prononça lui-même le discours Olympique, ou s'il fut prononcé par un banni syracusain ; nous ne voyons aucune raison pour qu'il ne l'ait pas prononcé lui-même, si ce n'est la mention que porte seul le discours contre Eratosthène (ὃν ἄυτος ἔιπε Λυσίαv), ce qui est insuffisant pour faire rejeter le témoignage des auteurs anciens.
[66] Lysias, XXXIII, 3-6.
[67] Eloquence, 281 et suiv.
[68] Ibid., 282.
[69] Platon, Rép., V, 470 D.
[70] Plut., 1151 : « Πατρὶς γὰρ ἐστι πᾶσ' ἵν' ἄν πράττῃ τις εὖ. »
[71] Lysias, XXXI, 6.
[72] Eloquence, 285.