LES MÉTÈQUES ATHÉNIENS

LIVRE PREMIER. — CONDITION JURIDIQUE DES MÉTÈQUES ATHÉNIENS.

SECTION V. — LES MÉTÈQUES ET LES CADRES DE LA CITÉ.

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

CHAPITRE PREMIER.LES MÉTÈQUES ET LES DÈMES.

§ 1.

L'étude de chacune des questions que nous avons abordées jusqu'à présent nous a régulièrement conduit à la même conclusion : à savoir, que les métèques à Athènes faisaient partie de la cité. Qu'il s'agisse de leurs obligations financières, militaires, ou religieuses, de leur condition juridique ou de leur situation morale, toujours les textes nous ont montré en eux, non des étrangers tolérés, mais des membres de la cité, inférieurs aux citoyens, et jouissant de droits moindres que les leurs, mais non moins nettement déterminés.

Cependant, pour faire ainsi partie de la cité, il fallait de toute nécessité qu'ils fussent enrôlés dans ses cadres, c'est-à-dire dans les dèmes et dans les tribus. On sait que tout citoyen faisait nécessairement partie d'un dème et d'une tribu, la tribu n'étant d'ailleurs autre chose qu'une agglomération factice de dèmes. En dehors du dème et de la tribu, il n'y a rien, et c'est l'ensemble des dèmes et des tribus qui seul constitue la cité : seuls les démotes et les tribules font partie de la cité ; tous les autres sont des étrangers.

De ces deux divisions de la cité, c'est d'ailleurs le dème qui est de beaucoup la plus importante : il vit, beaucoup plus que la tribu, d'une vie propre, qui fait de lui comme un diminutif de la cité.[1] C'est donc sur les relations des métèques avec les dèmes que doivent porter d'abord nos recherches. Si nous pouvons constater que les métèques étaient admis dans les dèmes, nous aurons démontré par là même qu'ils faisaient bien partie de la cité.

Tous les savants jusqu'à présent ont été unanimes à affirmer que les métèques n'étaient point inscrits dans les dèmes, et que-par conséquent ils étaient tenus en dehors de la cité. Seul M. de Wilamowitz a entrepris de démontrer qu'ils faisaient partie des dèmes, et, par conséquent, de la cité.[2]

A priori, il semble extraordinaire que toute une population fort nombreuse, et non pas une population flottante, mais bien une population stable et fixée héréditairement à Athènes, ait pu vivre en dehors de tous les cadres de la cité. Comment admettre que les métèques, auxquels s'appliquait tout un ensemble de droits et de devoirs déterminés, qui avaient régulièrement à payer l'impôt, à fournir des soldats et des matelots, à prendre part aux cultes officiels, n'aient pas été soumis aussi à une organisation régulière ? et quelle pouvait être cette organisation, si ce n'est celle de la cité même ?

Il faut reconnaître que les auteurs anciens sont muets sur cette question, qui est des plus complexes. Il s'agit en effet de savoir si, pour être métèque, il suffisait de s'établir à Athènes ; ou s'il y avait une procédure particulière ayant pour effet de faire d'un étranger un métèque ; enfin, si les cadres de la cité s'ouvraient pour le nouveau venu, et dans quelle mesure.

Les inscriptions seules nous fournissent quelques renseignements sur les relations des métèques avec les divisions de la cité, mais des renseignements bien obscurs, et qu'il faut interpréter. Dans les inscriptions, les métèques, lorsqu'ils sont formellement désignés comme tels, le sont toujours de la même façon, par exemple : Τεκρος ν Κυδαθηναί οκν,[3] et c'est à cette désignation que l'on distingue les métèques des citoyens sur les listes ou catalogues où figurent à la fois des uns et des autres.

On peut donc affirmer qu'il y a une relation quelconque entre les métèques et les dèmes ; reste à en déterminer la nature. Tandis qu'on désigne le citoyen par le nom du dème dont il fait partie sans y être nécessairement domicilié, on désigne le métèque par le nom du dème où il a son domicile. De plus, le nom du dème appliqué à un citoyen prend une forme particulière, le plus souvent celle d'un adjectif, comme Κορίκιος, quelquefois celle d'un adverbe, Άγρυλθεν ; plus rarement enfin il comprend deux mots, le nom du dème au génitif précédé de la préposition ex, comme κ Κολωνο. Pour les métèques, il n'y a qu'une forme, invariable : c'est le nom du dème, précédé de οκν ν.

Böckh, qui le premier a reconnu que cette formule s'appliquait aux métèques, n'y a pas attaché d'ailleurs d'importance, et a vu là une simple désignation de domicile.[4] M. de Wilamowitz[5] fait remarquer avec raison qu'il serait étrange qu'on eût désigne simplement par le lieu où ils habitaient des hommes qui n'avaient pas le droit de posséder des maisons. Fallait-il donc qu'ils changeassent de désignation chaque fois que le hasard d'une location les faisait changer de dème ? De plus, c'aurait été dans beaucoup de cas une désignation bien vague, vu l'étendue et la population de certains dèmes, comme Acharnes et la plupart des dèmes urbains. D'ailleurs ce n'est pas ainsi que l'on désignait d'ordinaire le domicile de quelqu'un : M. de Wilamowitz cite quelques exemples tirés des Épidémies d'Hippocrate,[6] où l'on voit des indications de ce genre : « οκν παρ Γς ερν ; π ψευδεων γορ ; π τς ερς δο ; παρ Κρκίας πλας, » qui sont en effet de véritables indications, de nature à désigner à peu près clairement le domicile. Enfin, pourquoi aurait-on réservé pour les seuls métèques cette désignation du domicile, puisque le domicile, d'après Aristote, est chose commune aux citoyens, aux métèques et aux esclaves, et ne peut nullement les distinguer les uns des autres[7] ?

Il faut donc admettre que la formule οκν ν a plus d'importance qu'on ne lui en attribuait depuis Böckh, et y voir autre chose qu'une désignation de domicile, et, comme le veut M. Haussoullier, « un simple renseignement, presque une note de police.[8] » La première chose à faire, pour déterminer le véritable sens de cette formule, c'est de rechercher quel en est exactement l'emploi : il s'en faut de beaucoup en effet que les noms des métèques, dans les inscriptions, soient toujours suivis de οκν ν, et il importe de reconnaître dans quels cas on emploie cette formule et dans quels cas on ne l'emploie pas. Et pour cela, il faut examiner les différentes façons dont on désigne les métèques et les différentes mentions dont on fait suivre leur nom.

On sait que le nom légal et complet du citoyen athénien comprenait son nom, celui de son père, et celui de son dème, par exemple : Μαντίθεος Μαντίου Κορίκιος. Mais on sait aussi que très souvent les deux dernières indications ne figurent pas sur les inscriptions. Nous n'avons pas à tenir compte ici des actes officiels, comme les formules de décret, puisqu'il n'y aurait pas lieu de faire la comparaison entre citoyens et métèques : elle ne peut se faire que pour les inscriptions funéraires. Or, il n'y a qu'à feuilleter le recueil des inscriptions funéraires attiques (C. Ι. Α., II, 3), pour voir que, dans les épitaphes de citoyens, le patronymique manque souvent : « Ξενοκλης Άγγελθεν, Άρχιάδης Άγνοσιος, Πολεμόνικος Άθμονες, etc.[9] » Il semble au contraire que, dans les inscriptions de ce genre, on mît toujours le démotique. On ne peut l'affirmer absolument, vu le grand nombre d'inscriptions où manquent le démotique comme l'ethnique, et qu'on ne sait par conséquent à qui attribuer. Mais comme on trouve dans cette dernière catégorie d'inscriptions beaucoup de noms barbares ou donnés généralement aux seuls esclaves, comme Abragoras, Ada, Animas, Asia, Bako, Nouménios, etc., il est bien probable que toutes ces inscriptions sont des épitaphes d'esclaves et d'affranchis, et non d'étrangers libres, et nous ne tiendrons compte désormais que des inscriptions où figure soit le démotique, soit l'ethnique.

On peut donc admettre, d'une façon générale, que les inscriptions funéraires des citoyens comportent le plus souvent, mais non toujours, le patronymique, et toujours le démotique.[10]

Pour les métèques, rien de plus variable que l'emploi du patronymique dans les inscriptions funéraires : on peut en juger par ce fait que, sur les douze épitaphes d'isotèles qui nous sont parvenues, quatre portent le patronymique, les huit autres ne le portant pas.[11] Il est donc impossible de rien conclure de la présence ou de l'absence du patronymique sur les inscriptions relatives à des métèques.

Au contraire, on peut déterminer d'une façon précise l'emploi de οκν ν. Tout d'abord, cette formule ne figure jamais dans les auteurs : même dans les actes, contrats ou témoignages, contenus dans les plaidoyers, et où figurent comme témoins des étrangers évidemment domiciliés en Attique, les noms sont toujours suivis de l'ethnique : Hippias d'Halicarnasse, Aratos d'Halicarnasse, Sostratos d'Histiée, etc.[12]

Quant aux inscriptions, jamais οκν ν ne figure sur les inscriptions funéraires des métèques ; et c'est même ce qui rend impossible l'attribution exacte des 699 inscriptions funéraires d'étrangers qui figurent au C. Ι. Α., II, 3. Nous essayerons pourtant plus loin de montrer que la plupart doivent être des épitaphes de métèques, mais en nous fondant sur d'autres raisons que leur rédaction même, qui ne nous apprend rien là-dessus.

Jamais non plus οκν ν ne figure sur les décrets honorifiques rendus en l'honneur de métèques,[13] d'où résulte, pour plusieurs de ces documents, l'incertitude de savoir s'ils concernent des métèques ou des étrangers.

Par contre, cette formule figure régulièrement sur plusieurs sortes de documents, qui sont tous des documents officiels :

1° Les comptes des polètes[14] ;

2° Les comptes des épistates des constructions publiques[15] ;

3° Les inventaires des trésoriers d'Athéna[16] ;

4° Les inventaires des épimélètes des arsenaux.[17]

Dans tous ces documents, les noms des métèques sont très rarement accompagnés du patronymique,[18] mais toujours de οκν ν.

Dans des documents d'un autre genre, mais également officiels, les métèques ne sont désignés par aucune qualification, tandis que tous les citoyens portent le démotique : ce sont des listes de souscriptions à des epidoseis,[19] auxquelles ont contribué citoyens et étrangers. Il est évidemment impossible qu'aucun métèque n'y figure, d'autant plus que sur la première on relève le nom d'un isotèle, Sosibios[20] ; or sur celle-là les noms d'étrangers ne sont suivis d'aucune indication ; sur l'autre, ils sont au contraire régulièrement suivis de l'ethnique.

Et en effet, il y a certainement des cas où les noms des métèques sont suivis de l'ethnique, et cela dans des documents officiels[21] : nous voulons parler des décrets rendus en faveur d'Euxénidès de Phasélis,[22] du médecin Phidias de Rhodes,[23] de Nicandros d'Ilion et de Polyzélos d'Éphèse,[24] et d'Héracleidès de Salamine.[25] Il est à remarquer que dans tous ces décrets le nom du métèque est suivi, non seulement de l'ethnique, mais aussi du patronymique.

Enfin, dans deux documents d'un genre différent, nous trouvons le nom du métèque suivi à la fois de l'ethnique et de οκν ν : l'un est un inventaire des épimélètes des arsenaux, où figure, à propos d'une amende versée par un triérarque à la caisse des σιτωνικά, le nom de Μείδων Σάμιος ν Κειραε οκν [26] ; l'autre est un décret rendu par le dème d'Éleusis on faveur de Damasias Διονυσίου Θηβαος οκσας Έλευσνι.[27]

On peut résumer ainsi le résultat de ces recherches. Les métèques n'emploient jamais eux-mêmes οκν ν et font généralement suivre leur nom de leur ethnique, que précède parfois, mais non toujours, leur patronymique.

Dans les documents officiels de la cité, leur nom est toujours accompagné de la seule formule οκν ν.

Dans les décrets honorifiques et les documents analogues (listes de contributions volontaires), leur nom figure seul, ou bien il est accompagné de l'ethnique, moins souvent du patronymique, et, plus rarement encore, de l'ethnique et de οκν ν à la fois.

Quelles conclusions doit-on en tirer ? quel est le sens et la portée de cette formule οκν ν, et pourquoi l'emploi en est-il si variable ?

Le sens exact nous en est donné par l'inscription la plus ancienne où nous trouvions le nom d'un métèque formellement désigné comme tel. C'est un fragment de catalogue de biens confisqués et vendus par le ministère des Polètes à la suite de l'affaire des Hermocopides, soit vers 412 : on y voit figurer, parmi les condamnés dont les biens ont été ainsi saisis, Κηφισόδωρος μέτοικος μ Κειραε[28] ; la pierre étant brisée, ou ne peut savoir si la formule est complète ainsi, ou s'il faut y ajouter οκν. Peu importe d'ailleurs, le sens étant tout aussi clair dans un cas que dans l'autre : elle indique, non seulement que Képhisodoros avait son domicile au Piréo, mais qu'il était régulièrement enrôlé dans la classe des métèques. Il semble que cette dernière indication aurait pu suffire pour établir la qualité du personnage ; et cependant c'est celle-là qui disparaît sur les documents postérieurs, cette qualité n'étant plus indiquée que par la mention du domicile.

Par contre, il est à remarquer que cette mention du domicile dans un dème ne se trouve jamais accolée au nom des étrangers proprement dits. Et pourtant Aristote affirme que tous, esclaves et étrangers aussi bien que métèques, jouissaient du domicile.[29] En fait, cela n'est pas absolument exact, et il faut distinguer deux sortes de domicile : le domicile de fait, et le domicile légal ; tout le monde jouit nécessairement du premier, tandis que certaines catégories de personnes jouissent seules du second. Le droit d'avoir un domicile à soi est un droit véritable : il comporte celui de rester domicilié dans un dème, tout en en habitant au besoin un autre. Autrement dit, il consiste en ce que ceux qui en jouissent sont régulièrement inscrits sur un registre, qui est le registre du dème. Pour les citoyens, ce droit s'exprime par l'adjonction à leur nom de ce qu'on appelle le démotique, c'est-à-dire le nom du dème sous forme d'adjectif ou d'adverbe. Pour les métèques, il s'exprime également par le nom du dème, mais sous une autre forme, parce qu'il faut bien les distinguer des citoyens : mais ce n'en est pas moins aussi un véritable démotique. En d'autres termes, les métèques n'habitent pas seulement les dèmes, ils en font partie. Et ce démotique a pour but d'indiquer, non le lieu de leur domicile, mais leur qualité de métèque, de même que le démotique des citoyens fait allusion à leur droit de cité, et non à leur domicile. Sans doute, en général, citoyens et métèques habitent bien le dème où ils sont inscrits, mais ils peuvent aller en habiter un autre.

C'est ainsi que les clérouques sont parfois désignés sous le nom de ο οκοντες ν (Mυρνει)[30] : cela désigne bien leur domicile légal, puisque, tout en restant citoyens athéniens, ils sont légalement absents, et font partie d'une communauté nouvelle. Ce domicile légal, ni les esclaves, ni les affranchis, comme nous le verrons, ni les étrangers ne l'ont : pour les uns, ce domicile est celui de leur maître ou de leur patron ; pour les autres, n'ayant pas dans la cité d'existence légalement reconnue, ils ne peuvent y avoir de domicile légal.

M. Haussoullier, qui veut que la mention du dème pour les métèques n'ait nullement la valeur du démotique des citoyens, objecte qu'elle est également jointe au nom des femmes métèques, le démotique étant au contraire réservé aux hommes et aux citoyens, et n'étant jamais ajouté directement au nom des femmes, mais à celui de leur père.[31] Cette dernière affirmation, sous une forme aussi absolue, n'est pas exacte : il y a plusieurs exemples de noms de citoyennes suivis directement du nom de leur dème, sous la forme κ Πιτθέων, forme plus rare pour les hommes.[32] Ces exemples sont, il est vrai, de l'époque romaine, mais nous en avons un autre, et le plus instructif de tous, de la fin du cinquième siècle :

"Ορος σήματο-

ς Γλύκης Μαρ-

αθωνόθεν ἐν

ἄστε[ι] οἰκούσ-

ης, ἀδελφῆς [Έ]

σχατίωνος Κ-

αλλίου.[33]

Cette borne funéraire, trouvée à Athènes, est celle d'une citoyenne assurément, appartenant au dème de Marathon, mais qui avait fixé sa résidence « en ville. » Il est à remarquer qu'on n'a pas désigné le dème urbain dans lequel elle s'était fixée : ce qui montre bien que si οκν ν, lorsqu'il est suivi d'un terme général, désigne simplement le domicile effectif, lorsqu'il est suivi d'un nom de dème, il désigne tout autre chose, c'est-à-dire le domicile légal ou l'inscription sur les registres du dème. Glyké, tout en habitant un dème urbain, restait démote du dème de Marathon, et ne pouvait figurer dans deux dèmes à la fois.[34]

La mention du dème pour les métèques, d'après nous, ne peut avoir qu'un sens : elle prouve qu'ils faisaient partie des dèmes, c'est-à-dire qu'ils étaient inscrits sur leurs listes.

Reste à expliquer pourquoi cette mention figure dans certains documents, et non dans tous. Nous avons déjà dit que les isotèles faisaient graver leur titre sur leur tombeau, tandis que jamais οκν ν ne figure sur les inscriptions funéraires des simples métèques. C'est que, si l'isotélie est un titre et un honneur, la mention οκν ν est la simple constatation d'un état légal, et n'est pas un titre qui ait rien de plus honorifique que celui d'étranger.

Dans les documents officiels du genre des comptes et inventaires, c'est la cité qui a soin de faire mettre cette mention, parce qu'il faut établir la qualité des personnes. Dans les inscriptions funéraires, que font graver les métèques eux-mêmes, ils la suppriment simplement, ou, ce qui paraît le cas le plus fréquent, la remplacent par leur ethnique, les citoyens gardant toujours, au contraire, leur démotique. Pourquoi cette différence ?

Pour la comprendre, il faut se représenter la situation d'un métèque qui venait, le premier de sa famille, se axer à Athènes. A son départ, il était citoyen d'une autre cité, et son droit de cité, ni son départ ni son absence prolongée ne le lui faisaient perdre. Théoriquement, il restait citoyen de sa première patrie, et transmettait cette qualité à ses descendants. C'est ce que suffirait à prouver l'habitude qu'avaient les métèques de faire suivre leur nom de leur ethnique dans les pièces où ils figuraient comme contractants ou comme témoins ; car il n'est pas douteux que les pièces de ce genre que nous possédons émanent de métèques : pour ce qui est des témoins notamment, on n'aurait pas choisi des étrangers de passage, que l'on n'aurait su où retrouver en cas de besoin.

M. de Wilamowitz refuse d'admettre qu'il en soit ainsi ; il veut que, jusqu'au second siècle au moins, la qualité de métèque à Athènes ait été inconciliable avec celle de citoyen dans une autre cité.[35] Le fait n'a pourtant rien d'extraordinaire, et au fond la situation des clérouques est fort analogue à celle-là. Bien plus, nous savons que dans les idées des Athéniens et des Grecs en général, on pouvait être citoyen de plusieurs cités à la fois, théorie qui choquait fort les Romains, plus formalistes que les Grecs. C'est ce que dit formellement Cicéron : « Aucune des autres cités n'hésiterait à accueillir dans son sein nos concitoyens, si nos idées juridiques sur ce point étaient celles de tout le monde ; mais nous, nous ne pouvons pas être membres de notre cité et d'une autre à la fois ; les autres le peuvent. Aussi dans les cités grecques nous voyons, à Athènes par exemple, des Rhodiens, des Lacédémoniens et d'autres faits citoyens, et les mêmes hommes avoir plusieurs cités.[36] »

Il y avait bien à Athènes une loi, attribuée par Plutarque à Solon, qui défendait d'accorder le droit de cité à tout étranger qui ne s'établirait pas en Attique sans esprit de retour.[37] Mais, loin d'aller contre ce que nous venons de dire, elle prouve au contraire, si elle est authentique, que Solon voulut réagir contre un usage qu'il estimait dangereux. Et il est d'ailleurs certain que cette loi, si elle fut réellement portée, ne fut pas observée. Nous en avons la preuve dans quelques inscriptions où l'étranger naturalisé citoyen ajoute au nom de son dème celui de son ancienne patrie : Άρχέδημος Φεραος κα Χολλείδης.[38]

On ne voit donc pas pourquoi des étrangers, qui pouvaient en conservant leur premier droit de cité devenir citoyens athéniens, n'auraient pu, sous la même condition, y devenir métèques. Nous avons d'ailleurs, hors d'Athènes il est vrai, mais pour le quatrième siècle, une preuve irréfutable qu'il en était bien ainsi. Dans l’Eginétique d'Isocrate, le plaideur, qui prétend à la succession de son compatriote Thrasylochos de Siphnos, mort métèque à Egine, se réclame à la fois de la loi d'Egine, conformément à laquelle Thrasylochos avait fait son testament, et de la loi de Céos, conformément à laquelle il l'avait autrefois adopté.[39] On ne peut dire plus clairement qu'il se considérait comme appartenant à deux cités, métèque dans l'une, et citoyen dans l'autre.

Sur ce point d'ailleurs, le droit romain s'accordait avec le droit grec, et admettait également que l'on pût être citoyen et métèque à la fois, dans deux cités différentes.[40]

En fait, nous avons déjà, et à plusieurs reprises, cité des décrets honorifiques qui ne peuvent vraiment s'appliquer qu'à des métèques, et où leur nom est régulièrement suivi de l'ethnique. M. de Wilamowitz le conteste pour ceux de ces documents qui sont antérieurs au second siècle, et s'efforce de démontrer que Meidon de Samos, métèque au Pirée, est un exemple unique et qui s'explique par certaines circonstances particulières. L'inscription, dit-il, est de 336, c'est-à-dire d'une époque où il n'y a plus de cité samienne (en effet, la prise de Samos par Timothée est de 365) ; lorsque Samos eut été conquise, on y fonda une communauté athénienne ; la plupart des Samiens émigrèrent, mais les autres devinrent sujets et s'appelèrent μέτοικοι Σάμιοι,[41] et on leur assigna, comme à tous les métèques, un dème ; c'est ainsi que s'expliquent Μείδων Σάμιος ν Πειραε οκν et le μέτοικος Σάμιος τ γένος dont il est question dans un fragment d'Isée.

Que Samos n'existât plus comme cité indépendante depuis vingt-neuf ans déjà, cela ne prouve pas que les Samiens fugitifs ou même restés dans l'île n'aient pas eu le droit de s'intituler Σάμιοι. Mais n'est-il pas bizarre d'admettre que les Athéniens aient réparti dans leurs dèmes, circonscriptions territoriales après tout, les Samiens restés à Samos ? Enfin il n'est pas douteux que ce Meidon habitât réellement Athènes ou le Pirée ; il n'était donc pas de ceux qui étaient restés à Samos, mais au contraire de ceux qui l'avaient quittée. Et rien ne prouve qu'il l'eût quittée depuis la conquête ; il est tout aussi vraisemblable de supposer qu'il appartenait à une famille fixée en Attique depuis longtemps.

Nous n'admettons donc pas que l'usage athénien ait varié sur ce point, et nous pensons que de tout temps les métèques ont pu, dans les documents d'ordre privé, ajouter à leur nom celui de leur ancienne patrie, celle qu'ils avaient quittée eux-mêmes ou qu'avaient quittée leurs ascendants.[42]

S'il en est ainsi, on comprend facilement que ce soit ce titre plutôt que leur qualité de métèques qu'ils fissent graver sur leurs inscriptions funéraires, de même qu'ils le faisaient figurer sur les pièces judiciaires, témoignages ou contrats. Admis dans la cité athénienne, mais à un titre inférieur à celui des citoyens, ils devaient tenir à rappeler les droits supérieurs dont ils jouissaient théoriquement dans une autre cité, et cette autre cité, ils lui restaient attachés par le nom même qu'ils se transmettaient de génération en génération.

C'est pour une raison analogue que l'ethnique, et non le démotique (ou bien parfois l'ethnique accompagnant le démotique), figure aussi sur les décrets honorifiques rendus en faveur de métèques. Il s'agit de donner au personnage que l'on veut honorer la qualification la plus honorable, ce que l'on fait en rappelant son titre de citoyen étranger. Et ce qui prouve qu'il en est bien ainsi, c'est qu'on y joint régulièrement le patronymique, qui presque jamais ne figure dans les autres documents officiels.

La présence d'un ethnique sur un décret honorifique comme sur une épitaphe ne prouve donc nullement que l'étranger dont il s'agit n'est pas un métèque, et c'est à l'aide du contexte que l'on peut, sinon toujours, du moins souvent, déterminer la qualité du personnage. Et l'ethnique dans les documents de ce genre n'est autre chose qu'une appellation honorifique, le démotique restant la désignation officielle du personnage à Athènes.

On peut d'ailleurs démontrer d'une autre façon que les métèques faisaient partie des dèmes, et cette démonstration, nous croyons l'avoir déjà faite quand nous avons montré les relations des métèques avec les différentes administrations de la cité. Toutes ces relations ne peuvent s'expliquer que si l'on admet entre la cité et les métèques un intermédiaire, qui est le dème.

Et d'abord, il est de toute nécessité qu'il y eût à Athènes une liste officielle des métèques : outre que les scoliastes l'affirment,[43] c'était la base indispensable pour l'établissement de leurs taxes de toute nature, pour la levée de leur contingent militaire de terre et de mer, enfin pour leur admission aux cultes de la cité. Or comment croire, étant donné le nombre des métèques, qu'il n'y eût qu'une seule liste générale, et n'est-il pas plus vraisemblable que les métèques domiciliés dans chaque dème fussent portés sur le catalogue de ce dème, comme les citoyens eux-mêmes ?

On peut admettre à la rigueur que la levée des eisphorai et même du metoikion ait pu se faire sans que les métèques aient été enrôlés dans les dèmes. Mais il n'en peut être de même pour le service militaire, et il n'est pas probable qu'il y ait eu pour les métèques un système de levée différent du système employé pour les citoyens. Les troupes composées de métèques, comme les troupes composées de citoyens, ne pouvaient être levées et formées que par dèmes, et les dèmes fournissaient ainsi des cadres tout faits pour les uns comme les autres. Et ce qui est vrai des troupes de terre l'est également des troupes de mer, qui ne peuvent avoir été levées que par les soins des démarques.

On peut objecter à cela qu'il n'y a dans les textes aucune trace des rapports des métèques avec les dèmes ni avec les démarques. Mais ce silence des textes ne serait-il pas plus inexplicable encore s'il y avait eu toute une organisation spéciale pour la levée des troupes de métèques ?

Enfin le décret qui règle la participation des métèques à certains cultes du dème de Scambonides suffirait à lui seul à prouver que les métèques faisaient partie des dèmes : il est évident que cette faveur ne pouvait être accordée qu'aux seuls métèques du dème de Scambonides, c'est-à-dire à ceux qui étaient régulièrement inscrits sur ses listes.

§ 2.

Il y avait donc, à côté du ληξιαρχικν γραμματεον où figuraient les citoyens de chaque dème, un second registre où figuraient les métèques, et qui était pour eux, comme l'autre pour les citoyens, la base de tous leurs droits et de tous leurs devoirs.

Pollux dit qu'on appelait « irréguliers » les métèques qui n'étaient pas inscrits comme tels, ο μ γγεγραμμένοι ες τος μετοίκους.[44] Le scoliaste d'Aristophane, dans un passage des Oiseaux, parle aussi de cette inscription : Pistéthairos, pour convaincre Héraclès qu'il n'a aucun droit à la succession de son père, lui fait avouer que celui-ci ne l'a pas présenté à sa phratrie,[45] et le scoliaste oppose à ces listes des phratries d'autres listes où sont inscrits les étrangers, c'est-à-dire évidemment les métèques.

Platon, dans les Lois, parlant des métèques nouveaux-venus que l'on accepte dans la cité, emploie tout naturellement, et sans y insister, l'expression γράφειν, faisant certainement allusion à l'usage réellement en vigueur à Athènes.[46]

Enfin nous pensons que c'est à l'inscription des métèques qu'il faut rapporter un autre passage des scolies d'Aristophane[47] : νμος γρ ν τος ξ λλοδαπς Άθνησι κατοικεν θλοντας ες πολίτας, νταθα χρνον λίγον διατρίψαντας γγράφεσθαι. Il est à peine nécessaire de dire que pareille loi n'a jamais existé à Athènes ; au contraire, la mention du délai légal dont parle le scoliaste montre qu'il s'agit des métèques, que l'on inscrivait d'office sur les listes au bout d'un certain temps. Le scoliaste a commis une méprise qui prouve son ignorance de la constitution athénienne ; pour rendre sa phrase intelligible, il faut supprimer ες πολίτας et changer κατοικεν en μετοικεν.[48]

Comment se faisait cette inscription, et de quelles formalités était-elle entourée ? Fallait-il, pour être porté sur le rôle des métèques, en faire la demande ? ou la cité inscrivait-elle d'office tous les étrangers placés dans certaines conditions ? En d'autres termes, était-ce pour un étranger un droit, ou une obligation de devenir métèque ?

M. de Wilamowitz le premier a soulevé cette question,[49] et a bien montré que la qualité de métèque dépendait de l'inscription sur la liste, qu'il ne suffisait donc pas à un étranger de vivre à Athènes pour y devenir métèque, et qu'on ne peut appliquer le nom de métèque qu'aux étrangers que les textes désignent expressément comme tels, et non, comme on le fait d'ordinaire, à tous les étrangers qui ont vécu à Athènes, comme Anaxagore, Aristote, Théophraste, etc. Sur tous ces points, nous sommes d'accord avec M. de Wilamowitz : où nous nous séparons de lui, c'est sur le point de savoir quelle valeur il faut attribuer aux textes qui affirment que la qualité de métèque s'acquérait forcément par un séjour prolongé. M. de Wilamowitz nie absolument qu'il pût en être ainsi ; nous croyons au contraire qu'il faut l'admettre, mais avec certaines restrictions.

Il y a sur ce point deux textes d'importance capitale, qui se complètent et s'éclairent l'un par l'autre : la définition du métèque donnée par le grammairien Aristophane de Byzance, et le décret relatif aux Sidoniens et à leur roi Straton que nous avons déjà cité plusieurs fois.

« Le métèque, » dit Aristophane, « est celui qui vient de l'étranger habiter la ville, en payant une contribution pour certains besoins de la cité. Pendant un certain nombre de jours, il est appelé étranger de passage (παρεπίδημος), et jouit de l'immunité ; s'il dépasse le temps fixé, il devient métèque et est soumis à l'impôt. »

M. de Wilamowitz admet que cette définition est exacte au temps où vivait Aristophane, c'est-à-dire à partir de la fin du troisième siècle, mais qu'elle ne peut s'appliquer aux cinquième et quatrième siècles. Le motif qu'il allègue, c'est qu'il résulte de la théorie d'Aristophane que l'on pouvait être à la fois métèque à Athènes et citoyen ailleurs : or nous avons déjà dit que M. de Wilamowitz refuse d'admettre ce dernier fait pour l'époque classique. Nous avons aussi essayé de montrer que ses raisons ne sont pas valables, et qu'il y a plusieurs exemples du contraire.

D'ailleurs, s'il est exact, comme le dit M. de Wilamowitz, que l'ouvrage d'Aristophane de Byzance a été composé dans un but grammatical et non historique et archéologique, il n'en est pas moins vrai que ce passage si net et si précis dans les termes ne peut provenir que d'une excellente source, qui très probablement doit être cherchée dans l'un des orateurs du quatrième siècle. Il faut songer qu'Aristophane (mort vers 185 avant notre ère) est un des plus anciens grammairiens dont il nous soit parvenu quelque chose, et qu'il a par conséquent une bien autre autorité qu'un Pollux ou un Suidas, qui n'en ont que lorsqu'ils indiquent leurs sources.[50]

Nous croyons donc au contraire que c'est la véritable pratique athénienne de l'époque classique que nous fait connaître Aristophane. Nul ne pouvait s'établir pour un séjour de longue durée à Athènes sans prendre part à certaines charges de la cité ; mais en revanche celle-ci reconnaissait à ces nouveaux-venus certains droits : en un mot, elle leur assignait une place dans ses cadres.

Le décret relatif aux Sidoniens n'est intelligible, à notre avis, que dans cette hypothèse, et, si nous le comprenons bien, il vient à la fois confirmer (et pour la première moitié du quatrième siècle) l'assertion d'Aristophane, et montrer qu'il y avait à la règle générale des exceptions.

La date de ce décret, dont le début manque, doit être fixée, d'après Böckh, entre 376 et 364 ; il conférait à Straton roi de Sidon la proxénie, pour le remercier de ses bons offices envers la ville. Un amendement, porté par un certain Ménéxène, y ajouta les stipulations suivantes : « Pour tous ceux des Sidoniens qui, habitant Sidon et y jouissant du droit de cité, séjourneront pour leur commerce à Athènes, qu'il soit interdit de lever sur eux le metoikion, de leur faire fournir des chorèges et de leur faire acquitter aucune eisphora.[51] »

En présence d'un texte aussi explicite, on se demande comment M. de Wilamowitz a pu nier qu'au quatrième siècle on pût être à la fois métèque à Athènes et citoyen ailleurs. L'amendement de Ménéxène n'avait de portée que s'il constituait pour les Sidoniens de passage à Athènes une faveur, c'est-à-dire s'il les distinguait de tous les autres étrangers de passage. Il faut d'ailleurs s'entendre sur ce terme d'étrangers de passage : il est évident qu'il ne pouvait être question d'assimiler aux métèques des étrangers venus pour quelques jours. D'ailleurs le texte du décret est assez précis : il s'agit d'étrangers venant pour affaires de commerce, c'est-à-dire pour des affaires, la vente d'une cargaison par exemple et l'achat d'un fret de retour, qui pouvaient prendre plusieurs semaines et même plusieurs mois. Cela suffisait pour constituer une différence réelle entre ces étrangers, établis pour un certain temps, et les simples voyageurs qui ne devaient passer à Athènes que quelques jours. Ces derniers évidemment ne pouvaient être soumis à aucune obligation ni gratifiés d'aucun droit ; mais il n'en était pas de même des autres, et la cité avait intérêt à se les rattacher. Qu'on songe en effet que ces marchands de Syrie ou d'Égypte ne venaient pas seulement une fois par hasard au Pirée, qu'ils devaient y venir régulièrement tous les ans, et chaque fois y rester plusieurs mois, de sorte qu'ils formaient comme une population flottante, mais revenant à intervalles réguliers. On comprend donc que la cité ait pu songer à les faire participer à ses charges, puisqu'elle leur offrait régulièrement une hospitalité assurée. Mais d'autre part, on comprend aussi que les métèques de cette catégorie, qui avaient ailleurs qu'à Athènes d'autres charges à acquitter, désirassent échapper à la nécessité d'entrer dans les cadres de la cité athénienne. Ils n'avaient guère d'avantage à y entrer, puisque leur absence pendant la plus grande partie de l'année les empêchait de jouir des droits attachés au titre de métèque, qui ne comportait plus guère ainsi pour eux que des charges.

Par conséquent, la faveur faite aux sujets du roi Straton consiste exactement en ceci : les négociants sidoniens qui viendront pour affaires à Athènes pourront y rester aussi longtemps qu'ils le voudront sans être enrôlés d'office dans la classe des métèques ; ils resteront exclusivement sujets sidoniens, mais cela en vertu d'une convention formelle, qui est le décret même.

On pourrait supposer, au premier abord, qu'il s'agissait simplement, dans la pensée de Ménéxène, de soustraire les négociants sidoniens à toute éventualité de vexations de la part des fermiers de l'impôt athéniens. Il n'est pas impossible en effet que l'on ait fait parfois payer des eisphorai, peut-être même imposé la chorégie à des étrangers de passage : on ne peut l'admettre pour le metoikion, qui ne pouvait évidemment être levé que sur les étrangers régulièrement inscrits sur le rôle des métèques. Le décret a donc une autre portée : il s'agissait de soustraire toute une catégorie d'étrangers au fonctionnement régulier et normal des lois athéniennes.[52]

Il y avait donc un délai légal, passé lequel les étrangers étaient inscrits d'office sur le rôle des métèques. Quel était ce délai ? c'est ce que ne nous disent pas les auteurs anciens. Aristophane de Byzance parle de jours, ce qui assurément doit être pris dans le sens le plus large possible ; pourtant il ne semble pas que ce délai ait du être bien long, si l'on rapproche du texte d'Aristophane la prescription contenue dans une inscription locrienne,[53] qui fixe à un mois de séjour le temps au bout duquel l'étranger cessera d'être un étranger proprement dit, et sera soumis à la justice locale.

Quoi qu'il eu soit, il est certain que, par une faveur spéciale du peuple athénien, les Sidoniens fixés provisoirement à Athènes ne devenaient point métèques. C'est précisément ce qui nous prouve que les autres étrangers placés dans les mêmes conditions qu'eux le devenaient, comme cela arriva, par exemple, aux Thessaliens et aux Acarnaniens réfugiés dont nous avons déjà parlé. La preuve qu'ils devinrent bien métèques, c'est qu'on leur accorda l'exemption de certaines seulement des charges qui pesaient sur les métèques : c'était dire implicitement qu'ils étaient soumis aux autres.

C'est dans la même situation que se trouvait aussi le fils de Sopaeos, pour qui Isocrate composa son Trapézitique. Venu à Athènes pour son éducation et son plaisir, il y avait, quoique ne comptant nullement y rester, prolongé assez son séjour pour y être enrôlé parmi les métèques et obligé de payer les eisphorai.

Et en effet, il paraît inadmissible que les étrangers aient pu vivre à Athènes, où ils étaient si nombreux, sans être astreints à aucune des charges de la cité. Mais pour les y astreindre, il n'y avait qu'un moyen, qui consistait à les faire entrer dans les cadres mêmes de la cité, c'est-à-dire à leur assigner dans la cité une place et un titre réguliers. On admet généralement, il est vrai, que les étrangers proprement dits étaient soumis au payement des eisphorai. Les métèques, en ce cas, se seraient distingués d'eux en ce qu'ils payaient en plus le metoikion, s'acquittaient du service militaire, et jouissaient en revanche de certains privilèges. La chose n'est pas impossible ; mais cela ne suffit pas pour expliquer la situation à Athènes des diverses catégories d'étrangers. On peut, croyons-nous, déterminer ainsi ces catégories.

Il y avait tout d'abord les métèques véritables, ceux qui, quelle que fût leur origine, étaient fixés héréditairement à Athènes, et avaient de fait renoncé à leurs droits de citoyens dans une autre cité ; — en second lieu, les métèques qui, au contraire, n'étaient pas venus à Athènes sans esprit de retour, et qui gardaient, non seulement en théorie, mais effectivement, leur droit de cité ; — puis les étrangers dont les cités avaient conclu avec Athènes un traité en règle, ξυμβολαί, catégorie sur laquelle M. de Wilamowitz insiste avec raison.[54] Dans cette catégorie figuraient naturellement, au temps des deux empires maritimes athéniens, toutes les cités alliées d'Athènes ; tous leurs habitants, quand ils venaient à Athènes, continuaient à être considérés, non comme des métèques, mais comme des alliés, et ne participaient aux charges de la cité que comme membres de leur cité et dans la mesure prévue par le traité. — Venaient ensuite les étrangers comme les Sidoniens, qui, sans faire partie des alliés proprement dits du peuple athénien, avaient obtenu, par un traité spécial, le droit d'être considérés à Athènes, quelle qu'y fût la durée de leur séjour, comme membres d'une cité indépendante. — Et enfin les étrangers qui, venus à Athènes pour un certain temps seulement, se voyaient enrôlés d'office dans la classe des métèques, parce que leur cité n'avait conclu avec Athènes ni traité d'alliance proprement dit, ni traité particulier réglant la situation de ses habitants lorsqu'ils iraient à Athènes.

Autrement dit, il y avait à Athènes des métèques de deux sortes, ou, plutôt, de deux origines différentes : les uns, immigrants volontaires et fixés à Athènes sans esprit de retour, et pour qui l'inscription dans la classe des métèques était on somme une faveur ; les autres, immigrants temporaires qui tenaient à garder leur droit de cité, mais à qui Athènes imposait, dans son intérêt à elle, la même condition.

L'inscription sur le registre des métèques nous apparaît donc de plus en plus comme une véritable formalité légale et comme un acte du pouvoir public ; mais nous ne savons absolument rien de la façon dont elle s'opérait.

On a prétendu[55] que tout métèque, pour acquérir cette qualité, devait justifier devant l'Aréopage de son honorabilité et de ses moyens d'existence. Il est difficile de se représenter l'Aréopage se livrant à une enquête sur la moralité et les moyens d'existence des milliers de métèques qui vivaient à Athènes. Et d'ailleurs, le texte allégué à l'appui de cette opinion n'a nullement cette signification : c'est un passage de l'Œdipe à Colone de Sophocle, où le poète fait simplement dire à Créon que l'Aréopage ne laisse pas les vagabonds s'établir dans le pays.[56]

Les choses se passaient sans doute beaucoup plus simplement. Quiconque dépassait le terme fixé pour le séjour des étrangers devait être tenu de faire sa déclaration auprès du démarque du dème où il était fixé, et celui-ci devait l'inscrire sur le registre des métèques.

Quant aux véritables métèques, à ceux qui habitaient Athènes de père en fils, les choses devaient se passer pour eux à peu près comme elles se passaient pour les citoyens. Si on prenait à la lettre le passage du scoliaste d'Aristophane qui oppose les πίνακες des étrangers aux registres des phratries, il faudrait admettre que les fils des métèques étaient inscrits sur ces registres dès leur naissance, de même que les fils des Athéniens étaient présentés des leur naissance à la phratrie de leur père.[57] Cependant il nous paraît plus probable que les jeunes métèques n'étaient inscrits sur les registres des dèmes qu'à leur majorité, c'est-à-dire à l'âge ou ils étaient tenus de payer le metoikion et où ils étaient aptes à accomplir le service militaire. Ce ne sont là d'ailleurs que des hypothèses sur lesquelles il est inutile d'insister, ne pouvant les appuyer d'aucun texte.

§ 3.

Il serait intéressant de connaître la situation des métèques dans le dème, et la part qu'ils prenaient à la vie publique de cette petite communauté. Malheureusement les renseignements qui nous sont parvenus, s'ils nous permettent d'affirmer que les métèques participaient à la vie des dèmes, ne nous apprennent que fort peu de choses sur leurs droits et sur leurs devoirs. Les seuls textes relatifs à cette question sont le décret du dème d'Éleusis rendu en faveur de Damasias et le décret du dème de Scambonides dont nous avons déjà parlé.

Ce dernier nous a appris que les métèques étaient admis, sinon à tous les cultes du dème, du moins à certains ; qu'ils avaient le droit d'y prendre part aux sacrifices et à la distribution des viandes qui en était la suite. Le dème de Scambonides ne faisait évidemment pas exception, et dans tous les dèmes les métèques devaient avoir, pour ce qui était du culte, une situation analogue à celle qu'ils occupaient vis-à-vis des cultes de la cité.

Le décret des Éleusiniens en faveur de Damasias[58] nous fournit quelques autres renseignements sur la condition religieuse des métèques dans le dôme et sur leur condition civile, ainsi que sur le rôle qu'ils pouvaient jouer dans la vie du dème. Damasias, Thébain fixé à Éleusis, avait, lors de la fête des Dionysies (il s'agit évidemment des Dionysios rustiques), organisé à ses frais doux chœurs, l'un d'hommes, l'autre d'enfants, et de plus il avait composé pour eux des chants lyriques, contribuant ainsi à rehausser l'éclat de la cérémonie. Les Éleusiniens l'en récompensèrent en lui décernant des éloges et une couronne d'or de la valeur de mille drachmes, récompense considérable, puisque la valeur des couronnes décernées par la cité même ne dépasse jamais ce chiffre. De plus, on lui conféra, pour lui et ses descendants, la proédrie et l'atélie « dont peuvent disposer les Éleusiniens » προεδρία κα τέλεια ν εσιν κύριοι Ελευσίνιοι. Enfin on fit donner, sur la caisse du dème, cent drachmes à Damasias pour offrir un sacrifice.

L'atélie conférée à Damasias par les démotes montre clairement que les métèques avaient à supporter, dans le dème, certaines charges financières. Quelles étaient ces charges ?

Il ne peut s'agir de l'impôt appelé γκτητικν, qui portait sur les biens, non des démotes, mais des citoyens qui en possédaient dans un dème autre que le leur : Damasias, étant métèque, ne pouvait posséder de biens-fonds. M. Haussoullier pense que les autres charges qui pesaient sur les démotes et habitants du dème consistaient en contributions levées par le dème pour subvenir aux frais des fêtes, quand ses revenus ordinaires ne suffisaient pas à les couvrir. Les métèques étaient tenus d'en acquitter leur part, aussi bien que les démotes et que les citoyens qui possédaient des terres dans le dème. C'est l'atélie de ces contributions, τέλεια ερν, dont serait gratifié Damasias. C'est ce que montre en effet un décret du dème de Plothéia, où l'on voit mentionnés à la fois et cet impôt et l'atélie de cet impôt.[59]

Les métèques étaient donc soumis à toutes les charges des démotes, et pouvaient, comme eux, en être exemptés par décret spécial. Mais en revanche ils prenaient part, non seulement aux cultes et aux sacrifices des dèmes, mais aussi aux fêtes, et pouvaient y jouer un rôle actif. C'est d'une chorégie, et, à ce qu'il semble, d'une chorégie volontaire que s'était acquitté Damasias lors des Dionysies, et il avait certainement dû, avec ses deux chœurs, jouer un rôle important dans la célébration de cette fête.

Ces quelques renseignements suffisent en somme pour nous montrer quelle était la situation des métèques dans les dèmes. Ils étaient, dans ces petites communautés créées à l'image de la cité, soumis aux mêmes charges el admis aux mêmes droits que dans la cité même.

Les métèques faisant partie des dèmes, il était impossible qu'ils ne fissent pas aussi partie des tribus, qui n'étaient autre chose qu'une agglomération factice de dèmes. Nous parlons, bien entendu, des seules tribus instituées par Clisthène, et non des quatre tribus génétiques ioniennes, dont tous les étrangers étaient nécessairement exclus.

Par exemple, il semble naturel que les contingents d'hoplites levés dans chaque dème fussent, comme les contingents de citoyens, assemblés par tribus, chacune constituant un bataillon, τάξις. Pour ce qui est de la justice, nous avons vu que la plupart des affaires des métèques étaient jugées par les Quarante ou juges des dèmes, qu'on pourrait aussi bien appeler juges des tribus, puisqu'ils étaient au nombre de quatre par tribu. Nous avons dit qu'en cas de non acceptation par les plaideurs de la décision des Diétètes, ceux-ci remettaient le dossier de l'affaire aux juges de la tribu à laquelle appartenait le défendeur.[60] Aristote, qui nous fournit ce renseignement, en ajoute un autre plus probant encore, à savoir, que le Polémarque faisait des procès des métèques dix lots qu'il répartissait entre les dix tribus.[61]

Enfin, comme le remarque avec raison M. de Wilamowitz,[62] les chorégies imposées aux métèques prouvent encore qu'ils faisaient partie des tribus. On sait en effet que la chorégie s'acquittait par tribu, et que le chorège n'était que le représentant officiel de sa tribu, qui concourait et triomphait en sa personne. Si l'hestiasis des métèques a réellement existé, il faut la considérer, comme eu relation avec la répartition des métèques dans les tribus : tous les membres des tribus auraient ainsi eu leurs repas communs, les citoyens entre eux, et les métèques entre eux.

Ce que nous avons dit plus haut, à propos des έγγραφοι qui figurent sur une liste de soldats tués à l'ennemi ne contredit pas cette façon de voir. Le terme d'γγραφοι, appliqué très probablement à des isotèles, indique précisément qu'ils sont inscrits, non plus sur les rôles des métèques, mais sur ceux des citoyens ; ils ne sont plus dans les τάξεις des métèques. Seulement ils ne peuvent pas non plus figurer, comme les citoyens mêmes, et confondus avec eux, sur le rôle d'une tribu déterminée : ils viennent donc à la suite des tribus des citoyens.

En résumé, tout ce que nous savons des charges imposées aux métèques athéniens et des droits qui leur étaient reconnus, de leur condition juridique et de leur situation morale, et surtout le fait qu'ils faisaient partie des dèmes et des tribus, tout cela nous prouve qu'ils différaient beaucoup plus des étrangers que des citoyens, et qu'ils faisaient, au vrai sens du mot, partie de la cité athénienne.

C'est bien ainsi qu'il faut comprendre les termes dont se sert Thucydide lorsqu'il oppose les Athéniens et les métèques réunis aux étrangers, C'est-à-dire aux alliés, πανστρατίας ξένων τν παρόντων κα στν γενομένης ; si l'on rapproche cette phrase d'une autre phrase d'un chapitre précédent, où il dit, en parlant de la même expédition, Αθηναίους πανδημεί, ατος κα τος μετοίκους κα ξένων σοι παρσαν,[63] on voit que le mot στο s'applique aux Athéniens et aux métèques, et ne peut s'appliquer aux autres. Les métèques sont donc, sinon des πολται, du moins des στο, c'est-à-dire des demi-citoyens.

Hesychius, dans la définition qu'il donne des métèques, a une expression curieuse, et qui, sinon peut-être dans la pensée d'Hesychius, · mais en fait, nous paraît caractériser parfaitement leur situation. Il les appelle : μετανάσται δημόσιοι.[64] De même que la cité avait ses esclaves publics, δημόσιοι, elle avait aussi ses « immigrants publics «, qu'on pourrait appeler, comme le veut M. de Wilamowitz, ses clients. Et par le mot publics il faut entendre que non seulement elle les prenait sous sa protection, mais qu'elle leur faisait une place dans ses cadres, et qu'ils faisaient partie intégrante de l'État, immédiatement au-dessous des citoyens.

 

CHAPITRE II.LE PROSTATE.

§ 1.

Nous touchons ici à la partie la plus obscure et la plus difficile de notre sujet. Tous les auteurs anciens s'accordent à dire que chaque métèque ne pouvait avoir de rapports avec la cité que par le moyen d'un intermédiaire, son προστάτης, dont il aurait été comme le client. Cependant nous avons pu étudier successivement les rapports des métèques avec toutes les administrations de la cité sans rencontrer une seule fois l'intervention de ce prostate, et démontrer que les métèques faisaient partie de la cité, ce qui exclut évidemment la possibilité de relations privées de clients à patrons.

Four expliquer cette contradiction des textes et des faits, il faut étudier en détail tous les témoignages qui nous sont parvenus sur cette question du prostate, et les mettre en regard des faits qui les contredisent ; ensuite, exposer et critiquer les théories modernes émises sur ce, sujet, surtout celle de M. de Wilamowitz, qui est le point capital de toute son étude.

Il est à remarquer d'abord que parmi les écrivains du cinquième siècle aucun ne signale l'existence du prostate des métèques : les textes les plus anciens sur ce sujet ne datent que du quatrième siècle.[65]

Aristote,[66] énumérant les droits qui constituent le citoyen et le distinguent du métèque, ajoute que dans beaucoup d'endroits les métèques ne jouissent même pas complètement de ceux qu'on leur a conférés, mais qu'il leur faut prendre un patron ; il sous-entend évidemment qu'ils ne jouissent de leurs droits que par son intermédiaire.

Démosthène, ou l'auteur quel qu'il soit du premier discours contre Aristogiton, fait comparaître comme témoin le prostate d'une femme, Zobia.[67]

Apollodoros, dans le discours contre Nééra, dit qu'elle prit pour prostata Stéphanos, avec lequel elle vint vivre à Athènes.[68]

Hypéride, dans son discours contre Aristagora, parlait, au dire de Suidas, d'une loi qui obligeait tout métèque à avoir un prostate : νμοντν κελεοντανέμειν προστάτην.[69]

Enfin Isocrate, dans le discours sur la Paix, déclare que l'on juge les métèques d'après les patrons qu'ils se sont choisis.[70]

A ces textes il faut ajouter ceux qui mentionnent l'action en aprostasie, δίκη προστασίου, intentée contre les métèques convaincus de ne pas avoir de prostate. Ces textes ne remontent également qu'au quatrième siècle : Hesychius parle bien de l'aprostasie à propos d'un passage des Lois du poète comique Cratinos ; mais dans ce passage même il était simplement question du Polémarque, et c'est le lexicographe qui rappelle que ce magistrat était le juge des affaires d'aprostasie.[71]

L'action en aprostasie est en effet, d'après Aristote, une des actions que le Polémarque instruisait lui-même.[72] Hypéride avait prononcé deux discours contre Aristagora, une femme qu'il accusait d'aprostasie.[73] Enfin le Pseudo-Démosthène, dans le discours contre Lacritos, mentionne aussi comme relevant de la compétence du Polémarque l'action προστασίου.[74]

Tels sont les seuls textes de l'époque classique qui mentionnent formellement l'existence à Athènes de prostates des métèques. Il faut y ajouter, pour les villes autres qu'Athènes, un passage de Lycurgue mentionnant la même institution à Mégare,[75] et un passage de Lysias la mentionnant à Oropos.[76]

On voit que ces textes nous fournissent fort peu de renseignements sur le rôle du prostate. Ce sont les lexicographes et les scoliastes qui, à propos de ces divers passages d'auteurs antérieurs, nous apprennent ce qu'était ce prostate et quel était son rôle. Souvent ils ne font que répéter en d'autres termes le passage auquel ils renvoient[77] ; mais parfois ils sont plus explicites et donnent quelques détails sur les fonctions du prostate.

Ainsi Suidas nous apprend que l'expression technique pour « prendre un prostate » était προστάτην νέμειν, que les métèques ne pouvaient agir qu'avec leur prostate, et qu'ils payaient le metoikion par ses mains.[78] Ailleurs, il ajoute que le prostate s'occupait de toutes les affaires, publiques et privées, du métèque.[79] Il paraît avoir emprunté ce dernier renseignement à Harpocration, qui emploie en effet les mêmes termes.[80]

Le scoliaste de Démosthène s'exprime d'une façon aussi générale, mais plus vague : les métèques, dit-il, ne pouvaient agir par eux-mêmes, mais seulement par l'intermédiaire de leur prostate.[81] Enfin l'auteur de l'un des lexiques publiés par Bekker emploie en parlant de ce prostate, qu'il dit chargé de s'occuper des affaires privées et publiques du métèque, une expression curieuse : il l'appelle son répondant, γγυητής.[82]

Ainsi, les métèques étaient tenus de prendre parmi les citoyens un prostate, dont le choix leur était laissé. C'est par les mains de ce prostate qu'ils payaient le metoikion, et c'est ce prostate qui leur servait d'intermédiaire dans toutes leurs relations publiques, c'est-à-dire dans leurs relations avec la cité, et dans leurs relations privées, c'est-à-dire évidemment dans leurs relations avec les citoyens. Telle est la théorie des lexicographes.

Cette théorie, mise en présence des faits positifs que nous connaissons déjà, ne peut se soutenir. D'abord, il est faux que les métèques payassent le metoikion par l'intermédiaire de leur patron. Nous avons vu en effet que le métèque convaincu de n'avoir pas acquitté cette taxe était saisi et vendu comme esclave, c'est-à-dire qu'il était personnellement et seul responsable : il suffit de rappeler les exemples de Zobia et de Xénocrate. Quant à admettre que le prostate, sans être responsable d'ailleurs, recevait cet argent des mains du métèque pour le remettre au fermier de l'impôt, c'est une hypothèse qu'il est inutile même de discuter.[83]

Voilà donc un point sur lequel nous pouvons affirmer que les lexicographes se sont trompés : nous avons le droit d'en conclure que les renseignements qu'ils avaient sur ce sujet étaient insuffisants, et qu'ils les avaient complétés de leur propre autorité. Et sur beaucoup d'autres points, nous pouvons affirmer également que tout ce qu'ils rapportent du prostate, ils ne l'avaient pas puisé dans les sources antérieures, mais au contraire inventé pour expliquer certains passages des auteurs qui les embarrassaient.

Il est faux à coup sûr que le prostate ait eu à s'occuper des affaires privées de son métèque : il est impossible de citer un seul texte à l'appui de cette façon de voir ; bien plus, tous les textes que nous possédons la contredisent formellement. Dans les plaidoyers prononcés dans des procès civils où sont engagés des métèques, il n'est pas fait la plus petite allusion à leurs patrons[84] : et pourtant on devrait s'attendre à y voir les orateurs parler d'eux, soit en bien, soit en mal, pour faire ressortir, comme dit Isocrate, l'honorabilité de leur client ou faire juger défavorablement leur adversaire. D'ailleurs comment veut-on que les métèques aient été obligés de recourir sans cesse, pour leurs relations d'affaires avec les citoyens, à un intermédiaire ? les obliger à agir ainsi aurait été, de la part des Athéniens, aller précisément contre le but qu'ils se proposaient en favorisant l'établissement des métèques à Athènes, à savoir le développement du commerce et de l'industrie de leur ville.

Et ce que nous disons des affaires privées des métèques peut aussi bien se dire de leurs affaires publiques : dans les chapitres précédents, où nous avons traité de la condition légale des métèques et de leurs relations avec les différentes administrations d'Athènes, nous n'avons pas trouvé la moindre trace de l'activité du prostate. Ni devant l'impôt, ni devant le service militaire, ni devant les tribunaux, on ne peut citer un seul cas d'intervention d'un prostate : sauf les deux cas d'Aristagora et de Zénobia, qui, comme le fait remarquer justement M. de Wilamowitz, n'ont pas de valeur. On sait en effet que les femmes en droit athénien n'étaient jamais émancipées et qu'il leur fallait, pour tous les actes de leur vie, un κύριος ; le patron d'Aristagora et celui de Zobia sont donc le κύριος que devait avoir nécessairement toute femme, citoyenne ou métèque.

Au contraire, dans le discours de Lysias pour le métèque Callias, accusé d'impiété,[85] le citoyen qui vient aider à sa défense est un ami de Callias et de son père, et nullement son patron. De même, le discours d'Isée pour le banquier métèque Eumathès fut prononcé par un citoyen à qui Eumathès avait rendu des services, et qui ne se donne nullement comme son prostate.[86] Enfin, dans le discours de Lysias contre les marchands de blé, qui sont des métèques, il n'est pas fait la moindre mention d'une intervention de leurs patrons.

Il y a encore bien d'autres difficultés. Comment se fait-il que pas un Athénien riche, de grande famille et ambitieux, un Alcibiade par exemple, n'ait songé à se faire le patron d'une foule de métèques, pour avoir dans Athènes une petite armée prête à tout, même à un coup de main[87] ?

Se figure-t-on un métèque fermier des impôts et son patron poursuivant un autre métèque et son patron pour non payement du metoikion ?

Quelle aurait été la situation de l'affranchi d'un métèque ? Il lui aurait donc fallu (car nous montrerons plus loin que les affranchis étaient pour la cité des métèques et avaient absolument la même condition publique que ceux-ci) avoir deux patrons, son ancien maître et un citoyen, envers qui il aurait eu également des obligations, mais des obligations différentes ?

On pourrait indiquer encore bien d'autres difficultés du même genre, ou, pour mieux dire, d'autres impossibilités : mais celles que nous venons d'énumérer suffisent pour nous faire rejeter absolument ce que les lexicographes rapportent au sujet du prostate des métèques. Les métèques ne peuvent avoir eu d'intermédiaire ni dans leurs relations avec les citoyens, ni même dans leurs relations avec la cité.

Et pourtant, il y a certains textes que l'on ne peut ainsi écarter : ce sont les textes du quatrième siècle, que les lexicographes ont plus tard commentés d'une façon si inexacte. Ces textes, remarquables surtout par leur concision, se réduisent d'ailleurs à ceci : dans beaucoup de cités les métèques ont un patron (Aristote) ; — nous jugeons les métèques d'après leurs patrons (Isocrate) ; — le métèque qui n'a pas de patron s'expose à une action en aprostasie (Aristote, Pseudo-Démosthène).

De ces textes si laconiques, mais si nets, il faut forcément conclure que les métèques avaient réellement un patron. D'autre part, nous avons établi que ce patron ne jouait aucun rôle effectif dans leur vie. Comment expliquer cette contradiction ?

§ 2.

Le mot même de προστάτης ne nous fournit aucun éclaircissement. C'est le même mot qui désigne le patron de l'affranchi. Mais, loin qu'il implique l'idée d'une relation nettement déterminée entre le prostate et son client, on le voit aussi appliqué souvent aux proxènes : ainsi Byzance avait à Olbia un proxène qu'elle remercie dans an décret d'avoir été le prostate de tous ses négociants,[88] et Suidas définit les proxènes : ο προστάται πόλεων κα φροντιοταί.[89] A l'époque romaine, le mot προστάτης est régulièrement employé pour traduire patronus[90] ; les deux mots sont parfois employés simultanément[91] ; et l'on voit des personnages qualifiés de prostate à vie d'une cité.[92]

Enfin le mot a encore un autre sens, toujours aussi général d'ailleurs : Aristote, dans la République des Athéniens, l'emploie régulièrement pour désigner les chefs politiques que se donna successivement le peuple athénien, depuis Solon jusqu'à Cléophon.[93] Et les historiens d'Alexandre et de ses successeurs donnent le titre de prostate du royaume au personnage le plus élevé dans la hiérarchie macédonienne, comme Cratère après la mort d'Alexandre.[94]

On voit que ce mot comporte simplement l'idée de patron, de chef, ou de protecteur, sans qu'on puisse lui assigner une signification plus précise, ni rien en conclure au sujet du prostate des métèques. Par exemple on le trouve, dans les actes d'affranchissement de Delphes, employé dans deux sens différents : tantôt il désigne le garant de la vente, et tantôt un fonctionnaire du temple, chargé de veiller sur les biens du dieu.[95]

Voici comment les auteurs des ouvrages les plus récents sur les métèques ont cherché à résoudre la question.

Pour M. Schenkl,[96] l'obligation d'avoir un patron comme intermédiaire effectif vis-à-vis de la cité a dû être rigoureuse à l'origine. Mais plus tard, le nombre des métèques croissant, il a dû se trouver beaucoup de citoyens prêts à se déclarer, moyennant salaire, leur prostate, mais qui en réalité n'entendaient pas se charger des obligations que leur imposait ce titre. D'autre part, les inconvénients et les lenteurs dans les affaires qui résultaient de l'intervention perpétuelle du patron firent que peu à peu la loi tomba en désuétude ; et il finit par suffire aux métèques de mettre en tête des pièces du dossier de chacune de leurs affaires le nom de leur prostate, pour pouvoir agir par eux-mêmes en toute liberté. Autrement dit, la loi imposait l'intervention du prostate, l'usage permettait de s'on passer.

Il a donc été, pour M. Schenkl, une époque où la loi était réellement en vigueur ; or nous avons fait remarquer qu'au contraire plus haut on remonte dans l'histoire, moins on trouve de traces de l'activité des prostates. Il semble que l'on devrait au moins retrouver quelques vestiges de cette institution à l'époque où elle florissait, ce qui n'est pas.

M. Thumser[97] croit que l'intervention du prostate était de pure forme : c'est grâce au ministère du prostate que le métèque pouvait comparaître devant les tribunaux ou, à l'occasion, devant les corps politiques de la cité. Mais une fois introduit formellement devant le magistrat, le métèque n'avait plus besoin de l'intermédiaire de son prostate et pouvait agir personnellement.

Cette théorie n'est pas plus satisfaisante que celle de M. Schenkl ; M. de Wilamowitz fait remarquer avec raison que le Polémarque étant l'intermédiaire officiel entre la cité et les étrangers, il n'y avait pas de raison pour interposer entre lui et les métèques une autre personne. Tous les étrangers, il est vrai, n'avaient pas le droit de se présenter directement devant le Polémarque ; mais, comme nous le verrons bientôt, il ne pouvait en être ainsi pour les métèques, membres de la cité.

Enfin M. de Wilamowitz lui-même a émis une théorie nouvelle, qui est aussi la nôtre, bien que nous différions de lui sur certains points de détail, notamment sur la valeur que l'on doit attribuer à quelques-uns des textes que nous avons transcrits plus haut.

Ainsi M. de Wilamowitz n'admet pas[98] que le passage de la Politique d'Aristote, puisse s'appliquer à Athènes : si Aristote, dit-il, note qu'en beaucoup d'endroits les métèques ont un prostate, c'est que néanmoins ce fait est l'exception, et ne s'applique pas notamment à Athènes, c'est-à-dire à la cité à laquelle il pense toujours. Il nous semble au contraire que c'est une règle générale qu'énonce Aristote, et que, si Athènes y avait fait exception, il n'aurait pas manqué de le signaler.

D'autre part, M. de Wilamowitz admet implicitement[99] que le prostate dont les orateurs signalent l'existence à Mégare et à Oropos était très différent du prostate athénien et, probablement, qu'il avait en réalité le rôle que les lexicographes attribuent à celui-ci. Si, dit-il, Lysias et Lycurgue mettent tant d'insistance à faire remarquer que Philon et Léocrate ont consenti à vivre soumis, l'un à un prostate oropien, l'autre à un prostate mégarien, c'est que rien ne pouvait être plus déshonorant pour un citoyen athénien que de se soumettre à une sujétion dont Athènes avait débarrassé ses propres métèques.

Ces mots pourraient faire croire que M. de Wilamowitz nie l'existence du prostate athénien. Il n'eu est rien pourtant, comme nous allons le voir. Mais d'abord disons que ce raisonnement de M. de Wilamowitz ne nous paraît pas juste : ce que les orateurs regardent comme déshonorant dans la conduite de Philon et de Léocrate, c'est de s'être réduits volontairement, eux citoyens athéniens, à la condition de métèques, et surtout peut-être d'avoir consenti à vivre à l'abri du nom d'un étranger, προστάτην χων Μεγαρα, dit Lycurgue. Cela ne prouve nullement que le rôle du prostate dût être différent à Mégare et à Oropos de ce qu'il était à Athènes : les mêmes raisons ne s'opposent-elles pas à ce qu'il en fût autrement ?

M. de Wilamowitz n'admet en somme comme concluant que le passage d'Isocrate. Quant aux textes des lexicographes, il montre bien qu'ils découlent tous du discours d'Hypéride contre Aristagora, c'est-à-dire contre une femme, ce qui en diminue notablement la valeur. Il faut en retenir simplement le fait même de l'existence du prostate des métèques.

Cette critique des textes achevée, M. de Wilamowitz[100] part de ce principe, que nous avons également admis, que nul n'est métèque qu'à partir du moment où il a été régulièrement inscrit comme tel sur les registres de l'un des dèmes de la cité. Mais il faut bien, pour cette inscription, un intermédiaire entre le métèque, qui n'est encore qu'un étranger, et le dème, et cet intermédiaire ne peut être évidemment que l'un des démotes. Pour M. de Wilamowitz, ce démote, à l'origine, lorsque la clientèle existait encore en Attique, ne pouvait être que le patron de l'étranger son client ; nous laissons pour le moment ce côté de la question, nous réservant d'étudier plus loin en détail l'origine et la formation de la classe des métèques. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, à l'époque historique, la prostasie consiste exactement en ceci : le prostate est le démote qui présente au dème le nouveau métèque et le fait inscrire sur ses registres. L'inscription faite, les fonctions du prostate cessent immédiatement, et le métèque se trouve mis en possession de tous ses droits sans avoir besoin dorénavant d'aucun intermédiaire.

M. de Wilamowitz fait ressortir avec raison la convenance du mot γγυήτης qu'un lexicographe applique au prostate : le prostate répond en effet de son client au moment où il le présente, ou, si l'on veut, il est censé répondre de lui.

Ainsi s'explique la contradiction apparente entre des textes positifs et les faits. Aristote qui, dans la Politique, fait de la théorie, a le droit d'affirmer que l'on impose aux métèques un prostate : c'est exact, puisqu'on théorie les métèques ne jouissent de leurs droits que par l'intermédiaire de ce prostate. De même Isocrate a le droit de dire que l'on peut juger les métèques d'après leur prostate : il ne devait pas manquer de gens, remarque M. de Wilamowitz, pour faire entrer dans la cité des éléments d'une moralité douteuse, hommes d'affaires ou courtisanes, qui, les uns et les autres, devaient, chacun à leur manière, savoir reconnaître leurs bons offices.

Quant aux lexicographes, leur erreur s'explique facilement. N'ayant plus aucune idée de la façon dont s'était formée la classe des métèques et ne comprenant plus leur situation réelle dans la cité, ils ont cherché à expliquer le rôle de ce prostate qu'ils voyaient mentionné par les orateurs, et, naturellement, ils ont été amenés à exagérer son rôle, par analogie avec celui du patron des affranchis.

Ainsi, le prostate n'était pas un patron au vrai sens du mot : c'était plutôt un parrain ; il jouait pour les métèques le rôle que jouait pour les jeunes citoyens le père ou, à son défaut, le κριος quel qu'il fût. La différence essentielle entre les citoyens et les métèques, c'est que le citoyen, avant d'être admis dans le dème de son père, a été, dès sa naissance, admis dans sa phratrie : or la phratrie est fermée aux métèques, auxquels le dème seul est ouvert.[101] Et il faut que cette présentation se renouvelle à chaque génération, et se fasse à chaque fois sous les auspices d'un citoyen, le père ne pouvant transmettre directement son demi-droit de cité : il ne le peut pas, parce que ce droit il ne le tient pas du sang ; en remontant la série de ses ancêtres, il arrive forcément à un étranger, qui a eu besoin d'un prostate. Ce n'est donc pas le droit héréditaire qui fait le métèque, comme il fait le citoyen : il faut qu'à chaque fois la cité intervienne, dans la personne d'un de ses membres.

A quel moment se faisait cette présentation ? nous en sommes réduits là-dessus à des conjectures ; il semble naturel d'admettre qu'elle ait eu lieu, pour les fils de métèques, à dix-huit ans, c'est-à-dire au moment où le jeune Athénien atteignait sa majorité civile. A partir de ce moment, le jeune métèque était, vis-à-vis de la cité du moins, émancipé : il devait s'acquitter du service militaire et payer le metoikion, qui était le signe matériel de sa condition juridique.

Il n'y a donc rien de commun entre le prostate du métèque et celui de l'affranchi. Le métèque n'a envers son prostate d'obligations d'aucune espèce, pas plus qu'il n'a besoin de lui pour ses relations avec la cité : l'affranchi, nous le verrons, est, pour ce qui touche à ce dernier point, dans la même condition, mais il a envers son patron des obligations d'ordre privé. A la vérité, ces obligations ne paraissent pas avoir été bien importantes : aussi doit-on s'étonner moins encore que les métèques n'en aient eu aucune vis-à-vis de leur prostate, qui n'avait été que leur patron de quelques instants.

§ 3.

Cette façon de concevoir les fonctions du prostate nous amène à rectifier une opinion généralement adoptée, et sur laquelle M. de Wilamowitz ne s'explique pas formellement. On admet d'ordinaire que nul étranger ne pouvait se présenter de lui-même devant le Polémarque, pas plus les métèques que les autres. Et M. Thumser fait remarquer à ce propos[102] que les proxènes eux-mêmes ne le pouvaient que grâce à une clause spéciale de leur décret de proxénie, clause qui leur conférait le droit de se présenter seul devant le Polémarque, πρόσοδος πρς τν πολέμαρχον. Il semble d'ailleurs que les proxènes jouissent tous de ce droit : c'est ce qu'indique la formule καθπερ τος λλοις προξνοις.[103] M. Thumser en conclut qu'à fortiori les métèques ne pouvaient avoir ce droit, puisqu'il fallait que pour les proxènes, étrangers privilégiés pourtant, on le mentionnât formellement.

C'est la conclusion contraire qui nous paraît s'imposer, et cela nous amène à reprendre la question de la situation respective des métèques et des proxènes, dont nous avons déjà dit un mot à propos de l'isotélie. A coup sûr les proxènes sont, dans la hiérarchie honorifique, au-dessus des métèques et même des isotèles. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il y a entre les proxènes d'une part, les métèques et les isotèles d'autre part, une différence profonde :les métèques et les isotèles sont admis, à un titre inférieur, dans les cadres de la cité ; les proxènes n'y sont point admis. Autrement dit, les métèques ne sont pas des étrangers, les proxènes en sont toujours. Les uns et les autres ont bien ce caractère commun que leur juge est le Polémarque, c'est-à-dire le juge des étrangers ; mais vis-à-vis de lui ils sont, en théorie, dans une situation différente. Le métèque, membre de la cité, et présenté une fois pour toutes à ses magistrats, a régulièrement accès devant le tribunal du Polémarque ; le proxène, étranger comblé d'honneurs, mais étranger, n'a pas cet accès : il faut qu'une clause de son décret de proxénie le lui confère expressément.

En résumé, les étrangers proprement dits n’avaient pas le droit de comparaître personnellement devant le Polémarque, et avaient besoin d'un introducteur ; les proxènes avaient ce droit, mais en vertu d'une décision spéciale du peuple ; les métèques l'avaient, par le fait même qu'ils étaient métèques.

Et en fait, pas un des décrets honorifiques rendus en faveur de métèques ne leur confère la πρόσοδος devant le Polémarque ; bien plus, dans tous les décrets conférant la proxénie à des métèques, cette clause est absente : pourquoi ? parce qu'ils avaient déjà ce droit comme métèques, et que la proxénie n'était pour eux qu'une récompense honorifique. Sur deux de ces décrets, le décret en l'honneur d'Epicharès et le décret en faveur de Nicandre et de Polyzélos, figure le droit de se présenter devant le Conseil et le Peuple, ce qui est bien différent, le Conseil et l'Assemblée étant essentiellement des corps politiques, et les métèques ne jouissant d'aucun droit politique.

Qu'on se représente d'ailleurs les difficultés matérielles qu'aurait soulevées cette perpétuelle intervention des citoyens obligés de présenter au Polémarque tous les métèques qui avaient des procès, et on comprendra facilement qu'on n'obligeât pas les métèques à recourir à l'assistance d'un citoyen, qu'il fût leur prostate ou un autre.

Nous avons déjà signalé les textes[104] d'après lesquels les métèques convaincus de ne pas avoir de prostate encouraient l'action dite d'aprostasie. Maintenant que nous avons établi le rôle du prostate, nous pouvons déterminer le caractère précis de cette action, quoique ces textes soient des plus laconiques, la plupart ne faisant que la mentionner.

Voici d'abord ce que nous savons sur la procédure relative à l'aprostasie. Pollux la range formellement parmi les actions publiques,[105] et Aristote nous apprend qu'elle relevait de la compétence personnelle du Polémarque.[106] Ce dernier renseignement suffit pour nous prouver qu'on ne pouvait l'intenter, comme le prétendent quelques lexicographes,[107] pour non payement du metoikion, puisque nous avons vu qu'en ce cas le métèque était déféré directement devant les polètes. Il n'y a pas lieu non plus d'admettre qu'on pût intenter l'action d'aprostasie, comme ils le prétendent aussi, contre le métèque coupable de s'être fait inscrire sur la liste des citoyens.[108] Le nom même de cette action est assez significatif, et indique bien dans quel cas on pouvait l'intenter.

D'après un passage d'Harpocration, qui paraît, il est vrai, corrompu, les étrangers pouvaient déposer dans ces affaires aussi bien que les citoyens, tandis qu'ils ne le pouvaient pas dans les actions ποστασίου [109] ; et d'après Suidas, quiconque le voulait pouvait intenter l'action d'aprostasie contre le métèque coupable, tandis que le patron seul pouvait intenter l'action d'apostasie contre son affranchi coupable d'avoir négligé ses devoirs envers lui.[110]

Enfin nous voyons, dans un autre passage de Suidas,[111] que les biens des métèques condamnés étaient confisqués, comme ceux des étrangers qui avaient usurpé le droit de cité et des affranchis coupables d'apostasie. La confiscation d'ailleurs, à ce qu'il semble, ne pouvait guère être là que ce qu'elle était généralement, c'est-à-dire une peine accessoire. Meier et Schömann supposent avec vraisemblance que la peine principale était la même que celle qui frappait les métèques convaincus de n'avoir pas acquitté le metoikion, c'est-à-dire la vente comme esclave.[112]

Étant admis ce que nous avons dit du prostate, on ne peut comparer la γραφ προστασίου à la δίκη προστασίου. L'affranchi ayant forcément toujours un patron, cette dernière action ne pouvait être intentée que pour négligence des devoirs envers le patron. Le métèque n'ayant aucun devoir envers son prostate, l'action ne pouvait lui être intentée que s'il n'avait jamais eu de prostate : autrement dit, la γραφ προστασίου était analogue, non à la δίκη ποστασίου, mais à la γραφ ξενίας, quoique en sens inverse. L'une était intentée au métèque frauduleusement inscrit sur le registre des citoyens, l'autre au métèque qui avait négligé de se faire inscrire sur le registre des métèques. Et nous ne devons pas nous étonner que la cité se soit montrée si sévère dans ce cas : nous avons déjà constaté qu'elle montrait la même sévérité en cas de non payement du metoikion. C'est que dans les deux cas le délit était le même : l'étranger cherchait à échapper à la condition légale qui lui était imposée, et dont l'inscription et la taxe étaient les deux signes sensibles. On pouvait donc le soupçonner de deux choses également qualifiées crimes : de chercher à se dérober aux charges des métèques en se faisant passer pour un simple étranger, ou, plutôt, de chercher à se glisser frauduleusement parmi les citoyens.

On s'était donc proposé, en instituant la γραφ προστασίου, de voilier au maintien des cadres des métèques, comme on s'était proposé, en instituant la γραφ ξενίας, de veiller au maintien de ceux des citoyens.

On admet généralement, depuis Böckh, que les isotèles étaient dispensés d'avoir un prostate. Böckh cependant n'apporte aucun texte à l'appui de cette opinion,[113] qui, dit-il, s'impose d'elle-même. On pouvait en effet l'admettre alors que l'on regardait le prostate comme un véritable patron, intervenant à chaque instant dans les affaires publiques et privées du métèque son client. Au contraire, la question, pour nous, ne peut même se poser : quand l'isotélie était accordée à un métèque, elle n'empêchait pas que ce métèque eût été inscrit sur les registres d'un dème par l'intermédiaire d'un prostate, et elle n'avait pas non plus à le délivrer de ce prostate qui n'existait plus pour lui depuis le moment même de son inscription. La question ne peut se poser que pour les fils des métèques qui avaient reçu l'isotélie à titre héréditaire : nous, ne pouvons d'ailleurs la résoudre, faute de documents. On peut cependant supposer qu'en ce cas l'isotèle avait le droit de présenter lui-même ses fils au dème, sans l'intervention d'un citoyen ; mais c'est une pure hypothèse.

 

 

 



[1] Voir Haussoullier, La vie municipale en Attique.

[2] M. Schenkl (p. 202) a entrevu la question, mais sans essayer de la résoudre : « Ex eo autem, quod in nonnullis titulis publicis, quibus motaeci commemorantur, bominum nominibus pagorum, in quibus domicilium conlocaverant, nomina adduntur, vix temere suspiceris, ut in rebus publicis administrandis secundum pagos distincti erant inquilini, sic singulas eorum τάξεις ex singulorum pagorum incolis coactas fuisse. »

M. Thumser (p. 63) déclare que le manque de documents ne permet pas d'étudier la question. H. Haussoullier, dans son ouvrage sur la Vie municipale en Attique, n'y fait aucune allusion ; il a été amené à en dire quelques mots dans un travail plus récent, Recherches sur le dème d'Eleusis (Annal. de la Faculté des lettres de Bordeaux, VII, 232 et suiv.).

[3] C. I. Α., Ι, 324.

[4] Op. cit., II, p. 233.

[5] Op. cit., 213.

[6] Hippocrate, Epid., pass. — L'ouvrage intitulé Έπιδημίαι est un recueil d'observations, où les malades sont souvent désignés par leur nom et leur domicile.

[7] Aristote, Pol., III, I, 3 : « Ό δὲ πολίτης οὐ τῷ οἰκεῖν τὸν πολίτης ἐστίν * καὶ γὰρ μέτοικοι καὶ δοῦλοι κοινωνοῦσι τῆς οἰκήσεως. »

[8] Vie municipale en Attique, 15.

[9] C. Ι. Α., II, 3, 1685. 1700.

[10] Nous ne parlons que des inscriptions funéraires privées, laissant de côté les listes de soldats tués à l'ennemi, ou ne figurent ni l'indication du père ni celle du dème (C. Ι. Α., Ι, 433, etc.).

[11] C. I. Α., II, 3, 2723-2734.

[12] Démosthène, XXXV, 20. 23. 34, et pass.

[13] Sauf une exception (Damasias, Έφημ. ρχ., 1884, 69) dans un décret honorifique d'un dème.

[14] C. Ι. Α., Ι, 277, l. 14.

[15] C. I. Α., I, 321. 324 ; — II, 2, 829. 834 ; add., 834 b. c ; — IV, 2, p. 74 et suiv., n· 321 ; — IV, 3, ρ 148 et suiv. ; — Έφημ. ἀρχ., 1883, 118 et suiv. ; 1891, 71.

[16] C. I. Α., II, 2, 652 6, l. 18 ; 660, l. 47 ; add. 741 b. l. 9. 13. — II faut joindre à cette catégorie les inscriptions relatives aux phiales d'argent consacrées par des affranchis, sur lesquelles nous aurons à revenir et à insister : C. I. Α., II, 2, 768-776 ; add. 776 b ; Έφημ. ἀρχ., 1889, 60 ; — Δελτίον, 1888, 175 ; — 1890, 59 et suiv. ; — Acad. Berlin, 1887, II, 1070. 1199 et suiv. ; — 1888, I, 251 et suiv. ; — Americ. Journ. Archaeol., 1888, 149 et suiv.

[17] C. I. Α., II, 2, 811 c, l. 39. — Le fragment C. I. Α., II, 2, 845, rentre dans une de ces catégories, on ne sait laquelle, vu son état de mutilation.

[18] Par exemple C. I. Α., II, 2, 772, L. 13 ; add. 741 b, B, l. 9. 13. — Δελτ., 1890, p. 61, n° 2, six exemples.

[19] C. Ι. Α., II, 334 ; II, 2, 983.

[20] L. 10.

[21] M. de Wilamowitz (234 et suiv.) le nie et veut que, au moins jusqu'à une certaine époque, la qualité de métèque athénien ait été inconciliable avec celle de citoyen d'une autre cité ; nous essaierons plus loin de montrer qu'il n'en est rien.

[22] C. I. Α., II, 413.

[23] C. Ι. Α., II, add. nov. 256 b.

[24] C. Ι. Α., II, 270.

[25] Mittheil., VIII, 211.

[26] C. I. Α., II, 2, 808 c, l. 28.

[27] Έφημ. ἀρχ., 1884, 69 ; malgré cette formule particulière οἰκήοας 'Ελευσῖνι, le contexte ne laisse pas de doute qu'il s'agisse d'un métèque ; nous aurons d'ailleurs à reparler de ce personnage. Peut-être Damasias, au moment où le décret fut rendu, avait-il abandonné Eleusis.

[28] C. I. Α., Ι, 277, l. 14.

[29] Aristote, Pol., III, l, 3.

[30] C. I. Α., II, 593.

[31] Vie municipale, 15.

[32] C. Ι. Α., III, 908, Αρ' Μάγνα ἐκ Πιτθέων ; — 930, Στρατονικὴ ἐκ Βησαιέων. Les autres exemples cités par M. S. Reinach (Epigraphie grecque, 425) ne sont pas concluants, le nom de la femme y étant suivi de celui de son père.

[33] C. I. Α., IV, 2, 507 b.

[34] La rareté des épitaphes de citoyennes où le nom de la femme est suivi du démotique s'explique, il nous semble, assez simplement : presque toujours on a tenu à indiquer en même temps que le dème dont la morte faisait partie, sa famille et ses ascendants ; or, le nom de son père une fois mis sur l'inscription, il était naturel qu'on y joignît le démotique, plutôt qu'au nom de la femme. Mais toutes les fois que, pour une cause ou pour une autre, ce nom ne figure pas, le démotique s'attache au nom de la femme même.

[35] Op. cit., 234 et suiv. ; cf. 244. Les motifs allégués par M. de Wilamowitz en faveur d'une transformation de la conception du droit des métèques ne nous paraissent nullement convaincants : nous y reviendrons d'ailleurs.

[36] Cicéron, pr. Balbo, XII, 30 : « Atqui ceterae civitates omnes non dubitarent nostros homines recipere in suas civitates, si idem nos juris haberemus quod ceteri ; sed nos non possumus et hujus esse civitatis et cujusvis praeterea : ceteris concessum est. Itaque in Graecis civitatibus videmus, Athenis Rhodios, Lacedaemonios, ceteros undique adscribi, multorumque esse eosdem homines civitatum. » — Cf. pr. Cœcina, 34. C'est probablement pour ce motif, comme le dit M. Caillemer (Daremberg-Saglio, Démopoiétos), qu'Atticus refusa le droit de cité que voulaient lui conférer les Athéniens, ce qui dut les surprendre profondément : cf. Corn. Népos, Vita Attici, 3, 1.

[37] Plutarque, Sol., 24 : « "Οτι γένεσθαι πολίτας ο δίδωσι πλν τος φέυγουσιν ειφυγί τν αυτν. »

[38] C. Ι. Α., I, 423 ; c'est peut-être de même qu'il faut expliquer Κυ&ηριοι de C. I. Α., II, 2, 1058.

[39] Isocrate, XIX, 12. 13.

[40] Cf. plus loin, liv. I, sect. VI, ch. iv, § 1.

[41] M. de Wilamowitz cherche à établir entre la conception du droit des métèques et de celui des πήχοοι une analogie fondée à notre avis (cf. p. 277 et suiv.), mais qu'il pousse trop loin.

[42] Ajoutons que c'est l'usage constant à Rhodes, et au quatrième siècle : Bull. corr. Hell., XIII, 118.

[43] Pollux, III, 57 ; cf. p. 198.

[44] Pollux, III, 57.

[45] Ois., 1669, et scol. : « Τ νόματα τν ξένων γράφεται ες τς πίνακας. »

[46] Platon, Lois, 850 a-c.

[47] Gren., 416.

[48] On peut même laisser κατοικεν : les métèques, surtout hors d'Athènes, sont souvent appelés κάτοικοι ou κατοικοντες : C. I. G., 1338 ; Mittheil., VII, 64, etc.

[49] Op. cit., 233.

[50] Sur Aristophane de Byzance, cf. Christ, Griech. Litteraturgesch. (Iwan Muller), 451. L'ouvrage dont est tiré le fragment qui nous intéresse était bien un lexique grammatical ; mais Aristophane était loin d'être un pur grammairien : il avait au contraire des connaissances très variées, notamment des connaissances historiques, qu'il avait certainement mises à profit dans ses ouvrages même grammaticaux.

[51] C. Ι. Α., II, 86 : « Όπόσοι δ'ν Σιδωνίων οἰκοντες ς Σιδνι καὶ πολιτευόμενοι πιδημσιν κατ' μπορίαν Άθήνησι, μ ξεναι ατος μετοίκιον πράττεσθαι μηδ χορηγν μηδνα καταστσαι μηδ' εσφορν μηδεμίαν πιγράφειν. »

[52] C'est ainsi que l'a bien compris H. Schenkl, 189.

[53] I. G. Α., 322.

[54] Op. cit., 240 et suiv.

[55] Dugit, Etude sur l’Aréopage athénien, p. 89 : « Pour être admis à jouir des droits d'étranger domicilié à Athènes, il fallait justifier devant lui (l'Aréopage) de son honorabilité et de ses moyens d'existence. »

[56] V. 946 :

τοιοτον ατος Άρεος εβουλον πάγον

ἐγὼ ξυνήδη χθόνιον ὄνθ’ ὃς οὐκ ἐᾷ

τοιοσδ' λήτας τδ' μο ναίειν πόλει.

[57] Sur cette présentation à la phratrie, cf. Haussoullier, Vie municipale, 12.

[58] Έφημ. ρχ., 1889, 71 ; — Haussoullier, Le dème d'Eleusis (Ann. Fac. Lettr. de Bordeaux, VII, 232) ; l'inscription, gravée στοίχηδον et en beaux caractères, est de la première moitié du quatrième siècle. Sur Damasias, cf. plus loin, liv. III, sect. ii, ch. v, § 1.

[59] C. I. Α., II, 570 ; cf. Thumser, De civium muneribus, 144 et suiv.

[60] Aristote-Kenyon, 53.

[61] Ibid., 58.

[62] Op. cit., 219.

[63] Thucydide, IV, 94 ; cf. 89. Cf. aussi le passage d'Aristophane cité plus haut, où il appelle les métèques χυρα τν ἀστῶν. — Il est juste d'ajouter que Xénophon emploie au contraire l'expression de πλίτας μετοίκους en les opposant aux hoplites citoyens τος στος. Mais, outre que dans ce passage (Rev., II, 2), il a intérêt à accentuer la différence entre métèques et citoyens, il n'en reste pas moins que Thucydide, toujours si précis, a pu appliquer le mot αστοί aux métèques aussi bien qu'aux citoyens.

[64] Hesychius, Μέτοικοι.

[65] A en croire le scoliaste d'Aristophane, un vers de la Paix contiendrait une allusion au prostate des métèques. En réalité, il n'en est rien ; Aristophane parle d'Hyperbolos, l'indigne chef, προστάτης, que s'est choisi le peuple athénien (Paix, 964) : il emploie le mot dans le sens où l'emploie si souvent Aristote dans la République des Athéniens, et il n'y a aucune analogie à introduire entre les « chefs » du peuple et les prostates des métèques ; c'est le scoliaste qui fait ce rapprochement, et non Aristophane. — Quant aux poètes tragiques, nous répétons que nous ne tenons pas compte, comme le fait M. de Wilamowitz, de passages comme Eschine, Suppl., 904, où l'on ne peut vraiment affirmer que les mots aient le sens précis dont il s'agit.

Parmi les textes du quatrième siècle, le passage de l'Economique de Xénophon, où la προστάτεια est donnée comme une des liturgies que la cité impose aux citoyens (II, 6), avec l'hippotrophie, la chorégie et la gymnasiarchie, est sans nul doute une mauvaise lecture pour προξενιά. La cité n'avait aucun intérêt à imposer aux citoyens la charge de patrons, de métèques, et cette charge d'ailleurs, n'entraînant aucun frais, n'aurait pu constituer une liturgie. Il s'agit de la proxénie dite liturgique, c'est-à-dire de l'obligation imposée par l'État à des citoyens riches de donner l'hospitalité à des étrangers au nom de l'État ; cf. Monceaux, 65 et suiv.

[66] Pol., III, 1 : « Πολλαχο μεν ον οὐδὲ τούτων τελως ο μέτοικοι μετέχουσιν, λλ νέμειν νγκη προστάτην. »

[67] XXV, 58 : « Κάλει δέ μοι… τν τς Ζωβίας προστάτην. »

[68] Pseudo-Démosthène, LIX, 37 : « Προσταται στφανον τουτον ατς. »

[69] Le texte porte μ νέμειν, mais c'est par antiphrase : l'orateur défie qu'on lui montre une telle loi ; c'est donc que la loi contraire existait (Orat. att., II, 385, frag. 26).

[70] VIII, 53 : « Καὶ τοὺς μὲν μετοίκους τοιούτους εἶναι νομίζομεν, οἱούσπερ περ ἄν τοὺς προστάτας νέμωσιν. »

[71] Hesychius, Αυκαμβίς. — Ajouter à ces textes relatifs à l'action en aprostasie le passage de Ptolémée, « Περ διαφορὰς λεξέων, » sans doute emprunté à Ammonius (Hermès, XXII, 397).

[72] Aristote-Kenyon, 58.

[73] Orat. att., II, 383.

[74] Pseudo-Démosthène, XXXV, 48.

[75] Lycurgue, c. Léocr., 21.

[76] Lysias, XXXI, 9. 14.

[77] Harpocration, Suidas, Προστάτης * « Ο τῶν μετοίκων Άθήνησι προεστήκοτες προστάται καλοντο * ναγκαον γὰρ ν καστον τῶν μετοίκων πολίτην τιν 'Αθηναίων νέμειν προστάτην * ’Υπερείδης κατ' Άρισταγόρας * μέμνηται κα Μένανδρος ν ρχ τς ΙΙερινθίας. »

[78] Suidas, Νέμειν προστάτην *« ’Αντι το χειν προστάτην. Τν γρ μετοίκων καστος μετ προστάτου τῶν ἀστν τινος τ πράγματα ατο δικει, κα τ μετοίκιον κατατίθει. Κα τ χειν προστάτην καλεται νέμειν προστάτην. » — Cf. Άποστασίου », 2 ; — et Bekker, Anecd., I, 298, 2.

[79] Suidas, Άπροστασίου δίκη * « … τν προστησμενον ατ περί πάντων τῶν ἰδίων κα τῶν κοινν. »

[80] Harpocration, Άπροστασίου * … τιν προστησμενον περ πάντων τῶν ἰδίων κα τῶν κοινν. »

[81] Scol. Dém. c. Aristog., I, 788, 5 : « Ογρ μέτοικοι ατο δι’ αυτν οκ χρημάτιζον, λλ προστάτας τινς εχον, δί ν χρημάτιζον. »

[82] Bekker, Anecd., Ι, 201, 11 : Άπροστασίου * « … προστάτην, τν πιμελησόμενον κα τν δίων κα τν δημοσίων πρ ατο, σπερ γγνητν ντα. »

[83] M. Perrot (Droit public, 263 et suiv.) serait disposé à admettre que le prostate était personnellement responsable en cas de non payement du metoikion. Il allègue que, sans cela, on ne comprend guère l'importance qu'attachaient les Athéniens à ce que tout métèque eût un prostate : nous essaierons plus loin d'expliquer, par d'autres motifs, cette importance du prostate.

[84] Démosthène, XXXII, XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVI, LII, LVI, LIX.

[85] Lysias, V.

[86] Isée, frag. 02 (Denys d'Halicarnasse, V, p. 596 R).

[87] Nous verrons plus loin, liv. III, sect. iii, ch. i, qu'Alcibiade précisément semble s'être entouré d'un certain nombre d'étrangers dévoués à sa fortune ; mais il n'était nullement leur prostate.

[88] C. I. G., 2060.

[89] S. v. Πρόξενος.

[90] I. G. Sic. Ital., 1078.

[91] Ibid., 2540.

[92] Le Bas-Foucart, Mégaride, 43 : « ΙΙροστάτην δι βίου. »

[93] Aristote-Kenyon, 28 ; c'est sur ce sens du mot que joue Isocrate, à la suite du passage que nous avons cité.

[94] Voir les textes dans Droysen, II, 12. 29.

[95] Foucart, Mémoire sur l'affranchissement des esclaves, p. 21.

[96] Op. cit., 179.

[97] Untersuchungen, 52 et suiv.

[98] Op. cit., 225 et suiv.

[99] Op. cit., 227.

[100] Ibid., 231 et suiv.

[101] Haussoullier, Vie municipale, 12 et suiv.

[102] Untersuchungen, 53.

[103] C. I. Α., II, 42. 131 ; cf. Monceaux, 95.

[104] Il est inutile de citer tous les passages des lexicographes qui relatent cette action : ils ne font que se répéter les uns les autres, exactement dans les mêmes termes.

[105] VIII, 35 : « ’Αυτ μν δημοσία. »

[106] Aristote-Kenyon, 58.

[107] Suidas, Άποστασίου, 2 ; Pollux, III, 56 ; Bekker, Anecd., I, 434, 24.

[108] Suidas, Bekk., ibid. ; l'hypothèse de Meier-Schömann (390) que la γραφ ἀποστασίου aurait été en ce cas un mode de procédure employé lorsqu'on voulait éviter au coupable une peine trop grave, ne repose sur aucun fondement.

[109] Harpocration, Διαμαρτυρία.

[110] Suidas, Άποστασίου, 2 = Bekker, Anecd., I, 434, 22.

[111] Suidas, Πωλητής.

[112] Op. cit., 391.

[113] Op. cit., I, 627.