LA POLICE SOUS LOUIS XIV

 

CHAPITRE IV. — LA MARQUISE DE BRINVILLIERS.

 

 

La Reynie et la marquise de Brinvilliers. — Émotion causée dans Paris par la découverte de ses empoisonnements. — Fille de d'Aubray, lieutenant civil et prédécesseur de La Reynie. — Son portrait, par l'abbé Pirot. — Détails sur les premiers temps de son mariage. — Devient la maîtresse de Gaudin de Sainte-Croix. — Son amant est mis à la Bastille par ordre du lieutenant civil, qui meurt empoisonné. — Nouveaux empoisonnements dans sa famille. — Mort de Sainte-Croix, suivie de la découverte de ses empoisonnements et de la complicité de la marquise de Brinvilliers. — Un domestique de Sainte-Croix est condamné à mort. — La marquise de Brinvilliers en Angleterre. — Tentatives inutiles pour obtenir son extradition. — Elle se réfugie à Liège. — Ruse employée par l'exempt Desgrez pour l'attirer en France. — Sa confession. — Son premier interrogatoire. — Dépositions accablantes. — Est condamnée à mort. — Lettre à son mari. — Ses derniers moments. — Reich de Penautier, receveur général du clergé, est accusé de complicité. — Soupçons et accusations graves. — Colbert et l'archevêque de Toulouse s'intéressent à lui. — Il est acquitté. — Son portrait par Saint-Simon.

 

Parmi les procès demeurés célèbres qui s'imposèrent, pendant la période la plus brillante du règne de Louis XIV, à l'attention de la France, réveillée chaque fois comme en sursaut au milieu du calme intérieur dont elle, jouissait, ceux de la marquise de Brinvilliers et de la Voisin ont le plus frappé l'imagination des peuples. Dix ans après la condamnation de Fouquet, en 1674, le chevalier de Rohan avait essayé de mettre, pour de l'argent, quelques places de la Normandie aux mains des ennemis, et cette conspiration insensée, mais flagrante, fit tomber quatre têtes sur la place de la Bastille. Aux procès politiques succédèrent les procès criminels ; au dilapidateur et au conspirateur, les empoisonneurs. En 1676, la marquise de Brinvilliers, adroitement ramenée par un agent de police transformé en abbé galant, sur le sol français d'où elle était parvenue à s'évader, fut jugée en parlement, condamnée à mort, et causa un scandale immense, moins encore par l'audace de ses crimes que par le placide cynisme d'une confession générale trouvée parmi ses papiers. Quatre ans plus tard, de 1679 à 1682, le procès de la Voisin, jugé par commission, fut à son tour, malgré le huis-clos et le mutisme absolu de la Gazette de France et du Mercure françois, ou plutôt par cela même, l'objet des plus vives anxiétés. On verra plus loin les raisons diverses de ce secret et l'intérêt particulier qu'avait le gouvernement à ce que le silence fût strictement gardé. La condition des accusés, leur nombre considérable — il n'y en eut pas moins de deux cent quarante, dont la plupart finirent leurs jours dans les prisons d'État sans avoir été jugés —, et les trente-quatre condamnations à mort prononcées par la chambre de l'Arsenal, justifient suffisamment la commotion profonde que ce procès causa en France et à r étranger.

Nommé par le roi, en 1679, procureur général de la commission chargée de juger la Voisin et ses complices, le lieutenant général de police La Reynie rechercha d'abord la liaison qui pouvait exister entre cette affaire et celle de la marquise de Brinvilliers. Un mémoire de sa main à Louvois contient, sur cette dernière affaire, de curieuses indications. ... Peut-être, disait La Reynie, par le même ordre de la Providence, ce fameux exemple de madame de Brinvilliers a-t-il précédé la découverte de ce nombre inconcevable d'empoisonnements et de ce commerce abominable du poison...

Qui eût dit, ajoutait-il, qu'une femme élevée dans une honnête famille, d'une figure et d'une complexion foible, avec une humeur douce en apparence, eût été capable d'une longue méditation et d'une telle suite de crimes ? Empoisonner son père de sa propre main, ses frères, sa sœur, son mari et ses propres enfants ?[1]

Que cette femme, sous prétexte de dévotion, eût fait un divertissement d'aller dans les hôpitaux empoisonner les malades pour y observer les différents effets du poison qu'elle leur donnoit ?

Quel accusateur auroit pu être écouté sur ce sujet ?

Quelle possibilité d'avoir des preuves de ces crimes, si Dieu n'eût permis que le malheureux Sainte-Croix ne fût mort d'une mort extraordinaire et [n'eût] laissé des papiers ?

Si un valet pris, que les premiers juges n'avoient pu condamner, faute de preuves, le parlement ne l'eût condamné sur des conjectures et sur de fortes présomptions ?

Si Dieu n'eût touché le cœur de ce misérable qui, après avoir souffert la question sans rien dire, avoua son crime un moment avant d'être exécuté ?

C'est Dieu qui a permis que pendant la guerre, et précisément le dernier jour que le roi veut que son autorité soit reconnue dans la ville de Liège, la dame de Brinvilliers soit arrêtée, et que cette misérable, qui fuyoit de royaume en royaume, ait eu soin d'écrire et de porter avec elle les preuves qui étoient nécessaires pour sa condamnation.

C'est elle, la première, qui a dit devant M. de Fleury, à la confrontation des témoins et en d'autres temps, qu'il y avoit beaucoup de personnes engagées dans ce misérable commerce du poison, et des personnes de condition[2].

On se figure l'émotion de Paris quand éclata cet horrible procès. Non-seulement le principal accusé, la marquise de Brinvilliers, occupait un rang élevé, mais son père, Dreux d'Aubray, sieur d'Offemont, était en 1666, au moment où il fut empoisonné, lieutenant civil. Son frère aîné, empoisonné également, l'avait remplacé dans cette charge, démembrée en faveur de La Reynie. Un deuxième frère, qui eut le même sort, était conseiller au parlement. Citons encore une sœur de la marquise, Thérèse d'Aubray, qui survécut aux tentatives dont elle fut l'objet.

D'autres accusations d'empoisonnement compliquaient l'affaire et la prolongèrent. Peu d' années auparavant, un sieur Saint-Laurent de Hannivel, receveur général du clergé, était mort dans des circonstances singulières auxquelles on ne s'était cependant pas arrêté, et cette charge, qui ne rapportait pas moins de soixante mille livres — environ cent mille écus de notre monnaie —, avait été donnée à Reich de Penautier, déjà receveur général des états du Languedoc, qui l'avait ardemment sollicitée. Or Penautier était fort lié avec Gaudin de Sainte-Croix, l'amant de la marquise de Brinvilliers, chez lequel on avait découvert, à sa mort, tout un arsenal de poisons, et celle-ci écrivit de sa prison à Penautier plusieurs lettres compromettantes. Enfin, comme si le cri éloquent de Bossuet : Madame se meurt, Madame est morte ! retentissait encore dans les imaginations, toutes les pensées se reportèrent instinctivement à la mort presque subite de la jeune et illustre princesse, que, malgré les assurances officielles, la ville et la cour croyaient toujours avoir été empoisonnée. La Brinvilliers, écrivait madame de Sévigné le 26 juin 1676, met bien du monde en jeu. On nomme le chevalier de B***, mesdames de Cl*** et de G*** pour avoir empoisonné Madame ; pas davantage. Je crois que cela est très-faux ; mais il est fâcheux d'avoir à se justifier de pareilles choses. Cette diablesse accuse vivement Penautier, qui est en prison par avance. Cette affaire occupe tout Paris, au préjudice des affaires de la guerre...

Le procès de la marquise de Brinvilliers fournissait, on le voit, un ample sujet de controverse aux nouvellistes et passionnait tous les esprits. Jamais, depuis celui de Fouquet, la curiosité publique n'avait été surexcitée à ce point. La situation du parlement, chargé de juger l'affaire, était délicate et faisait gloser, plusieurs conseillers étant parents par alliance des accusés. De son côté, le clergé avait pris fait et cause pour son receveur général, protégé également par le principal ministre, qui avait en lui un agent très-riche, très-habile et très-dévoué. Quant à la cour, nous avons le contre-coup de ses impressions par quelques lettres que le marquis de Seignelay, alors auprès du roi en Flandre, écrivit au procureur général de Harlay. Sa Majesté, disait Seignelay, le 1er mai 1676, ne doute pas que vous donniez une application particulière à cette affaire, connoissant comme vous faites de quelle importance elle est au public. D'autres lettres du jeune ministre montrent que le procureur général du parlement informait Louis XIV de tous les incidents du procès[3]. Enfin, une lettre du roi à Colbert — on la trouvera plus loin — prouve qu'il entendait que, malgré les sollicitations de toutes sortes et l'argent répandu, l'affaire fût jugée sans faiblesse. La mort de Henriette d'Angleterre avait-elle laissé dans son esprit le regret d'avoir arrêté alors le bras de la justice ? On serait tenté de le croire en voyant l'ordre donné à l'occasion du procès de la Brinvilliers, et renouvelé d'une manière plus pressante encore dans celui de la Voisin, de rechercher et de punir rigoureusement tous les empoisonneurs, sans distinction de fortune ni de rang.

Antoine Gobelin, marquis de Brinvilliers, fils d'un président de la chambre des comptes, avait épousé, en 1651, Marie-Marguerite-Madeleine d'Aubray, âgée de vingt et un ans. D'après l'abbé Pirot[4], que le premier président de Lamoignon décida, malgré ses répugnances, à la préparer à la mort, et qui a laissé, de cette journée d'angoisses, une relation minutieuse, rien, à la voir, n'annonçait son étrange malice. Elle avoit, dit-il, les cheveux châtains et fort épais ; le tour du visage rond et assez beau, la peau extraordinairement blanche, le nez assez bien fait ; nuls traits désagréables, mais rien qui pût, à tout prendre, faire passer son visage pour fort beau. Il y avoit déjà quelques rides et il marquoit plus d'années qu'il n'a-voit. Quelque chose m'obligea à lui demander son âge dans ce premier entretien. — Monsieur, me dit-elle, si je vivois jusqu'au jour de la Madeleine, j'aurois quarante-six ans. Je vins au monde ce jour-là et j'en porte le nom. Je fus appelée au baptême Marie-Madeleine ; mais, si près que nous soyons de ce terme, je ne vivrai pas jusque-là... — Si doux que parût son visage naturellement, quand il lui passoit quelque chagrin au travers de l'imagination, il le témoignoit assez par une grimace qui pouvoit d'abord faire peur, et, de temps en temps, je m'apercevois de convulsions qui marquoient du dédain, de l'indignation et du dépit... L'abbé Pirot ajoute qu'elle était d'une fort petite taille et fort menue[5].

Tout, dans le commencement de leur union, semblait sourire au marquis et à la marquise de Brinvilliers. Mariés par inclination, riches de quarante mille livres de rente[6], que leur manquait-il pour mener une existence heureuse et brillante ? Un goût commun pour la dissipation et le désordre les perdit. Le marquis de Brinvilliers était mestre de camp au régiment de Normandie. Un officier de cavalerie du régiment de Tracy, fils illégitime d'un grand seigneur, s'insinua dans ses bonnes grâces pour profiter de ses prodigalités. Ce fut en 1659 que le marquis de Brinvilliers introduisit Godin de Sainte-Croix dans sa maison. Il était jeune, beau, séduisant, et prenait habilement tous les masques. Cet homme pernicieux, dit l'avocat de la marquise de Brinvilliers, a été comme le démon qui a excité l'orage et troublé toute la sécurité de cette famille, et qui, l'ayant incommodée par les dépenses excessives qu'il faisoit faire au sieur de Brinvilliers, a été encore l'unique auteur et le seul coupable des crimes que l'on impute à la dame de Brinvilliers. On lit dans un autre factum du temps : Le chagrin que madame de Brinvilliers recevoit de quelques infidélités de son mari, appuyant les avantages de la personne de Sainte-Croix, on ne lui donna pas le temps de soupirer[7].

L'indifférence du marquis, quand l'inconduite de sa femme eut éclaté, justifie cette assertion. Bientôt Sainte-Croix, qui la dominait complètement, lui fit solliciter une séparation de biens que la ruine de son mari semblait motiver. Cependant leur liaison était devenue presque publique, et celui-ci, livré à une lâche apathie, n'y mettait nul obstacle. Plus chatouilleux sur l'honneur, les frères de la marquise lui adressèrent de vifs reproches, dont elle ne tint compte. Dreux d'Aubray fut alors prévenu des désordres de sa fille et la supplia à son tour d'y mettre un terme ; mais ni les prières du père, ni les menaces du lieutenant civil, ne furent écoutées. Désespéré du scandale qui se faisait autour de son nom, insulté comme chef de famille et comme magistrat, sa colère n'eut plus de bornes ; il obtint une lettre de cachet contre Sainte-Croix, et un jour, en 1665, il le fit arrêter dans le carrosse même et à côté de la marquise de Brinvilliers.

L'affront était sanglant ; il ne fut jamais oublié. Le malheur voulut que Sainte-Croix fût enfermé à la Bastille avec un Italien, Exili[8], que les contemporains appellent artiste en poisons, et dont les crimes n'ont pas été éclaircis. Au bout d'un an, Sainte-Croix sortit de la Bastille avec Exil qu'il prit, dit-on, à son service, et se livra à la fabrication des poisons, de concert avec un apothicaire nommé Glazer.

Peu de temps après, le 10 janvier 1666, le lieutenant civil mourait, presque à l'improviste, à l'âge de soixante-six ans. Il était parti pour sa campagne d'Offemont[9] avec la marquise de Brinvilliers, qui lui témoignait la plus vive tendresse et qu'il croyait guérie de son indigne passion. A peine arrivé, il ressentit d'intolérables souffrances, suivies de vomissements. Ramené mourant à Paris le lendemain, il y fut soigné par un médecin qui n'avait pas vu le commencement du mal, et ne tarda pas à expirer. La marquise de Brinvilliers et Sainte-Croix étaient délivrés d'un censeur sévère ; mais il en restait d'autres, et d'ailleurs la fortune dont la marquise avait hérité de son père était peu considérable. Ses deux frères, deux sœurs, l'une mariée et sans enfants, l'autre religieuse carmélite, avaient partagé avec elle, et ils ne cessaient de lui reprocher sa liaison avec Sainte-Croix, redevenue publique. Le 15 juin 1670, Antoine d'Aubray, qui avait succédé à son père comme lieutenant civil, avec des attributions réduites, mourut aussi en très-peu de jours, dans les mêmes circonstances, et il fut bientôt suivi de son frère, conseiller au parlement. Des soupçons d'empoisonnement coururent alors ; mais, par un aveuglement inconcevable, la justice ne fit aucune information. Abandonnée de son mari, la marquise de Brinvilliers, libre de tout frein et livrée à elle-même, passa dans le désordre le plus complet deux nouvelles années, au bout desquelles, juste et première punition de ses crimes, elle se vit quittée par son complice. La tète perdue, elle voulut s'empoisonner. J'ai trouvé à propos, écrivait-elle à Sainte-Croix, de mettre fin à ma vie, et, pour cet effet, j'ai pris ce soir ce que vous m'avez donné si chèrement ; c'est de la recette de Glazer, et vous verrez par là que je vous ai sacrifié volontiers ma vie ; mais je ne vous promets pas, avant de mourir, que je ne vous attende en quelque lieu pour vous dire le dernier adieu[10]. L'amour de la vie remporta sans doute, car l'empoisonnement n'eut pas lieu. Ici, la légende fait intervenir d'une manière singulière l'événement qui précipita la catastrophe. Un jour, dit-on — c'était en 1672 —, Sainte-Croix, renfermé seul dans un laboratoire secret qu'il avait à la place Maubert, fabriquait ses poisons les plus subtils. Le visage couvert d'un masque de verre, la tète penchée sur un fourneau, il suivait l'opération très-attentivement, quand, son masque éclatant, la vapeur du poison l'étendit roide mort. Mais les pièces authentiques du procès établissent clairement que la mort de Sainte-Croix fut moins dramatique. Son ami Penautier constate en effet dans un factum qu'il était allé le voir une fois pendant sa maladie. Enfin la veuve de Sainte-Croix déposa que cette maladie avait été de quatre à cinq mois[11]. La Reynie dit, il est vrai, que Dieu avoit permis qu'il fût mort d'une mort extraordinaire et qu'il eût laissé des papiers. On peut croire que, privé de ses facultés par la maladie qui l'avait frappé à l'improviste, ou se berçant de l'idée d'échapper à la mort, Sainte-Croix ne voulut se confier à personne pour la destruction de ces papiers dont la découverte l'aurait infailliblement compromis, s'il avait survécu.

Le jour même de sa mort (31 juillet 1672) les scellés furent apposés chez lui. La marquise de Brinvilliers espérait-elle qu'il avait eu la précaution d'anéantir toutes les traces de leurs liaisons criminelles ? S'il en était ainsi, son effroi dut être grand en 'apprenant qu'une cassette trouvée chez. Sainte-Croix renfermait un certain nombre de ses lettres et divers objets qui lui étaient destinés. Éperdue, elle courut chez un garde au domicile duquel la cassette avait été transportée pour phis de sûreté, et le supplia de lui remettre immédiatement ses lettres et les objets qui lui étaient légués, offrant pour cela cinquante louis. Cette insistance même, dans les circonstances où elle se produisait, fit repousser sa demande. Comprenant qu'il s'agissait de sa vie et qu'une heure de retard pouvait la perdre, la marquise de Brinvilliers rentra chez elle, emprunta quelque argent, sortit au plus tôt de Paris, et prit la route de l'Angleterre.

La cassette, ouverte huit jours après, ne justifia que trop ses appréhensions. Elle contenait un papier ainsi conçu :

Je supplie très-humblement ceux ou celles entre les mains desquels tombera cette cassette de me faire la grâce de vouloir la rendre en main propre à madame la marquise de Brinvilliers, demeurant rue Neuve-Saint-Paul, attendu que tout ce qu'elle contient la regarde et appartient à elle seule, et que d'ailleurs il n'y a rien d'aucune utilité à personne du monde, son intérêt à part. Et en cas qu'elle fût plus tôt morte que moi, de la brûler et tout ce qu'il y a dedans, sans rien ouvrir ni innover. Et, afin qu'on ne prétende cause d'ignorance, je jure sur le Dieu que j'adore et tout ce qu'il y a de plus sacré, que je n'expose rien qui ne soit véritable. Si, d'aventure, l'on contrevient à mes intentions, toutes justes et raisonnables en ce chef, j'en charge en ce monde et en l'autre leur conscience, pour la décharge de la mienne, et proteste que c'est ma dernière volonté. Fait à Paris, le 25 mai après-midi, 1670. — Sainte-Croix.

Il y a un seul paquet adressant à M. Penautier, qu'il faut rendre.

Un autre papier, signé par la marquise de Brinvilliers, portait ce qui suit :

Je payerai au mois de janvier prochain à M. de Sainte-Croix la somme de trente mille livres, reçue dudit sieur. Fait à Paris, ce 20 avril 1670. — D'Aubray.

La cassette de Sainte-Croix renfermait en outre trente-quatre lettres de la marquise de Brinvilliers, qui, d'après le factum même de son avocat, étoient toutes remplies de termes qui marquoient comme une extrême fureur ; mais aucune ne fut produite au procès[12]. Un paquet portait la suscription suivante, de la main de Sainte-Croix : Papiers pour être rendus à M, de Penautier, receveur général du clergé, comme à lui appartenant ; et je supplie très-humblement ceux entre les mains de qui ils tomberont de vouloir les lui rendre en cas de mort, n'étant d'aucune conséquence à personne qu'à lui seul. Ces papiers n'étaient autre chose que deux reçus, l'un du sieur Penautier, le constituant créancier de M. et madame de Brinvilliers pour une somme de 10.000 livres ; l'autre, d'un sieur Cusson, qui aurait touché sur ces deniers une somme de 2.000 livres par les mains de Sainte-Croix, en déduction d'une plus grande somme qu'ils devaient à un sieur Paul Sardan, qui ne paraissait être qu'un prête-nom. Il y avait encore dans la cassette un grand nombre de paquets et de petites fioles contenant du sublimé, du vitriol romain, du vitriol calciné et préparé, de l'antimoine, etc. Soumis plus tard à l'analyse, ces poisons donnèrent lieu à un rapport établissant que les organes de divers animaux, morts pour en avoir pris, n'en avaient pas été altérés. On avait aussi trouvé dans le cabinet de Sainte-Croix, avant de procéder à l'inventaire de la cassette et au moment où nul soupçon ne pesait encore sur lui, un rouleau intitulé ma Confession ; mais un scrupule religieux exagéré l'avait fait brûler immédiatement.

La découverte de ces poisons et de ces papiers, la mort si rapide, à quelques années d'intervalle, du lieutenant civil et de ses deux fils, la maladie d'une de ses filles, la fuite de la marquise de Brinvilliers, ouvrirent enfin les yeux de la justice. Poussé par le vertige et se livrant comme à plaisir, un ancien domestique de Sainte-Croix, Lachaussée, avait fait opposition aux scellés en se fondant sur ce qu'il avait mis en dépôt chez le défunt, au service duquel il était, disait-il, depuis sept ans, cent pistoles et cent écus blancs qui devaient être dans un sac avec un billet constatant qu'ils lui appartenaient. Or, après avoir été quelque temps chez Sainte-Croix, ce Lachaussée l'avait quitté pour entrer au service du conseiller d'Aubray, chez lequel il était resté jusqu'à sa mort, époque où il revint près de son ancien maitre. Les circonstances de cette mort, la présence d'une si grande quantité de poisons chez Sainte-Croix, la connaissance détaillée que Lachaussée avait de son laboratoire, furent autant de traits de lumière. On l'arrêta, et le Châtelet lui fit son procès en même temps que la marquise de Brinvilliers était jugée par contumace. Cependant les preuves manquaient, et Lachaussée niait tout. Soumis d'abord à la question préparatoire[13], il fut, sur appel de la veuve du conseiller d'Aubray, déclaré coupable d'avoir empoisonné le dernier lieutenant civil et le conseiller, condamné à être rompu vif, et à expirer sur la roue, après avoir été préalablement appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir révélation de ses complices. Le même arrêt condamnait la marquise de Brinvilliers à avoir la tête tranchée.

On a vu dans l'extrait d'un rapport de La Reynie, que Dieu toucha le cœur de ce misérable qui, après avoir souffert la question sans rien dire, avoua son crime un moment avant d'être exécuté. Cependant le procès-verbal de la question de Lachaussée existe et constate qu'au troisième coin il manifesta l'intention de parler[14]. La question ayant été suspendue, il déclara qu'il rendait compte à Sainte-Croix de l'effet de ses poisons sur le conseiller d'Aubray, à qui il les administrait, soit dans l'eau, soit dans des bouillons, soit dans des tourtes. Il ajouta que Sainte-Croix lui avait promis cent pistoles et de le garder toujours ; que, suivant ce dernier, la dame de Brinvilliers ne savait rien de ses autres empoisonnements, mais il croyait le contraire, car elle lui parlait toujours de poisons ; elle voulait l'obliger de s'enfuir, et lui demandait sans cesse où était la cassette et ce qu'elle renfermait. Ces révélations faites, Lachaussée fut exécuté. Voulait-on par là donner satisfaction à l'opinion impatiente ? La punition n'en était pas moins prématurée, car d'autres personnes étaient gravement compromises, et la présence de Lachaussée aurait pu aider la vérité à se faire jour.

Ce n'était là, en effet, que la première partie, et en quelque sorte le prologue du procès. La marquise de Brinvilliers continuait à braver la justice à quelques lieues de la frontière française. En quittant Paris, elle s'était dirigée sur l'Angleterre, et avait gagné Londres, où elle espérait être à l'abri de toutes poursuites. Sa retraite ayant été découverte, Colbert pria son frère, ambassadeur en Angleterre, de s'entendre avec lord Arlington pour donner au roi la satisfaction de la faire arrêter, afin, disait-il, qu'un crime de cette nature ne demeurât pas impuni. On crut même un instant que cette démarche allait être suivie d'un plein succès.

Sa Majesté a été bien aise d'apprendre, écrivait le ministre à son frère (27 novembre 1672), que le roi d'Angleterre ait donné les mains à faire arrêter la dame qui est en Angleterre, et que l'horreur de son crime l'ait porté à contribuer à en faire justice. Sa Majesté veut que vous l'en remerciiez de sa part. Cependant, aussitôt qu'elle sera arrêtée, ne manquez pas de m'en donner avis par un courrier exprès, et faites-la conduire incessamment en toute sûreté à Calais.

Mais il y avait eu malentendu, et l'exécution de la promesse faite au nom de Charles II rencontra des difficultés imprévues sur lesquelles une lettre de Colbert à son frère, du 3 décembre suivant, contient d'intéressants détails :

Pour la personne que vous savez, Sa Majesté veut que vous représentiez au roi d'Angleterre que la liberté qu'il vous donne de la faire arrêter et envoyer en France ne peut produire aucun effet, d'autant que vous n'avez personne pour faire cette exécution ; et quand même Sa Majesté enverroit des personnes pour la faire, il est certain que le peuple, qui est fort susceptible d'émotion contre les François, ne souffriroit pas que ces officiers fissent une capture de cette qualité dans la ville de Londres, qu'ils en sortissent, qu'ils l'emmenassent jusques à Douvres, et passer en France. Cela seroit sujet à de si étranges accidens, qu'il est difficile, voire même impossible, de le pouvoir pratiquer. Au lieu que, si le roi d'Angleterre vouloit bien la faire arrêter, la faire mettre aussitôt en un bâtiment et l'envoyer promptement à Calais, cela seroit fait et exécuté auparavant que personne en eût connoissance. Sa ?Majesté veut donc que vous fassiez en son nom toutes les instances que vous estimerez nécessaires pour porter le roi d'Angleterre à faire faire cette exécution par ses officiers, et que vous fassiez promptement savoir à Sa Majesté ce que vous aurez obtenu sur ce point[15].

Qu'arriva-t-il ensuite ? la marquise de Brinvilliers eut-elle connaissance des pourparlers et des recherches dont elle avait été l'objet ? Toujours est-il qu'elle passa dans les Pays-Bas, et nous la retrouvons, quatre ans plus tard, dans un couvent de la ville de Liège, où elle avait espéré trouver un asile inviolable. Parmi les agents les plus déliés de La Reynie, il y en avait un, le sieur Desgrez, dont l'habileté était sans doute fort grande, car on le voit employé dans toutes les affaires un peu difficiles du temps. Il reçut l'ordre de se rendre à Liège et de mettre tout en œuvre pour ramener la fugitive. Il était, dit-on, jeune, bien fait, de manières aimables. Il se présenta sous un costume d'abbé, donna des nouvelles de la France, et fut autorisé à revenir. Si la marquise résista à ses avances, ce ne fut apparemment que pour la forme. Au bout de très-peu de jours, elle acceptait de l'abbé Duval, pour échapper à la surveillance du couvent, un rendez-vous à l'une des portes de Liège. Le piège, habilement tendu, réussit à merveille, et elle y tomba en plein. Desgrez la fit monter dans une voiture et la dirigea immédiatement sur Paris, sous bonne escorte. Le 26 du mois d'avril 1676, le registre d'écrou de la conciergerie recevait la déclaration suivante, signée de lui : La dame d'Aubray, femme du marquis de Brinvilliers, arrêtée par nous prisonnière dans la ville de Liège, de l'ordre du roi, et amenée ès prisons de céans, en conséquence de l'arrêt de la Cour, en date du 31 mars dernier, à la requête de M. le procureur général. DESGREZ.

Cependant le trajet de Liège à Paris avait été marqué par divers incidents. Croyant avoir séduit par ses promesses un des archers qui l'accompagnaient, la crédule marquise lui confia quelques billets pour un nommé Théria, que le perfide Desgrez lui avait fait oublier un instant, et auquel elle indiquait les moyens de la délivrer. Un de ces billets, tous fidèlement remis à Desgrez, avait pour objet de recommander à Théria d'aller réclamer de sa part au couvent de Liège où elle demeurait, une cassette renfermant une pièce de la plus grande importance pour elle, intitulée ma Confession ; mais cette pièce était, avec la cassette, entre les mains de Desgrez, qui n'avait eu garde d'oublier les papiers de sa prisonnière. Quand la marquise de Brinvilliers le sut, elle éprouva un violent désespoir et tenta à plusieurs reprises de se tuer en avalant une longue épingle, et une autre fois un morceau d'un verre qu'elle cassa avec ses dents. Cette confession, longtemps cherchée sans succès, existe néanmoins encore en copie manuscrite[16] et justifie l'horreur que la malheureuse ressentit en songeant que l'aveu, impossible à reproduire, de tant de débauches monstrueuses, sans compter les crimes d'empoisonnement, passerait sous les yeux de ses juges, et ferait, dans wu, la conversation de tout Paris. Arrivée à Mézières, elle rencontra un conseiller au parlement, qui l'attendait et qui l'interrogea à l'improviste, avant qu'elle eût pu préparer ses réponses. Mais déjà son plan était fait et elle nia tout absolument. Le procès-verbal de ce premier interrogatoire est une pièce importante de son procès dont il résume d'ailleurs les faits principaux.

Interrogée si elle avoit connoissance des papiers qui se trouvoient dans sa cassette ;

A dit que, dans sa cassette, il y a plusieurs papiers de sa famille, et parmi ces papiers une confession générale qu'elle vouloit faire ; mais que, lorsqu'elle l'écrivit, elle avoit l'esprit désespéré ; ne sait ce qu'elle a mis, ne sachant ce qu'elle faisoit, ayant l'esprit aliéné, se voyant dans des pays étrangers, sans secours de ses parents, réduite à emprunter un écu.

Interrogée sur le premier article de sa confession, dans quelle maison elle a fait mettre le feu ;

A dit ne l'avoir point fait, et que lorsqu'elle avoit écrit pareille chose, elle avoit l'esprit troublé.

Interrogée sur les six autres articles de sa confession ;

A dit qu'elle ne sait ce que c'est et ne se souvient point de cela.

Interrogée si elle n'a point empoisonné son père et ses frères ;

A dit ne rien savoir de tout cela.

Interrogée si ce n'est point Lachaussée quia empoisonné ses frères ;

A dit ne rien savoir de tout cela.

Interrogée si elle ne savoit point que sa sœur ne devoit pas vivre longtemps, à cause qu'elle avoit été empoisonnée ;

A dit qu'elle le prévoyoit à cause que sa sœur étoit sujette aux mêmes incommodités que ses frères ; qu'elle a perdu la mémoire du temps où elle a écrit sa confession ; avoue être sortie de France par le conseil de ses parens.

Interrogée pourquoi ce conseil lui a été donné par ses parens ;

A dit que c'étoit à cause de l'affaire de ses frères ; avoue avoir vu Sainte-Croix depuis sa sortie de la Bastille.

Interrogée si Sainte-Croix ne l'a pas persuadée de se défaire de son père ;

A dit ne s'en souvenir, ne se souvenant plus si Sainte-Croix lui a donné des poudres ou autres drogues, ni si Sainte-Croix lui a dit qu'il avoit le moyen de la rendre riche.

A elle représentées huit lettres, et sommée de déclarer à qui elle les écrivoit ;

A dit ne s'en souvenir...

Interrogée pourquoi elle a écrit à Théria d'enlever la cassette ;

A dit ne savoir ce que c'étoit.

Interrogée pourquoi, en écrivant à Théria, elle disoit qu'elle étoit perdue s'il ne s'emparoit de la cassette et du procès ;

A dit ne s'en souvenir...

Interrogée si elle n'avoit pas eu commerce avec Penautier ;

A dit n'avoir en commerce avec Penautier que pour trente mille livres qu'il lui devait.

Interrogée comment Penautier lui devoit ces trente mille livres ;

A dit que son mari et elle avoient prêté dix mille écus à Penautier, qu'il leur a rendu cette somme, et que depuis ce remboursement, ils n'ont eu aucune relation avec lui[17].

Cette affaire qui, depuis plusieurs années, occupait la société parisienne, allait donc enfin être jugée. On laisse à deviner l'avide curiosité, les impatiences du public. Bientôt des bruits circulèrent sur le contenu de la confession trouvée à Liège, et le scandale fut au comble. Quoi ! tant de crimes et d'impudicités à la fois ! La nature humaine était-elle capable d'une telle perversité ? Le 28 juin 1676, Louis XIV, alors au camp de Quiévrain près Valenciennes, écrivit à Colbert cette lettre dont nous avons parlé, qui prouve que les préoccupations du palais et de la ville s'étaient étendues à la cour et que, de loin comme de près, le roi veillait à ce que la justice ne se laissât ni influencer par les situations, ni gagner par l'argent.

Sur l'affaire de madame de Brinvilliers, je crois qu'il est important que vous disiez au premier président et au procureur général, de ma part, que je m'attends qu'ils feront tout ce que des gens de bien comme eux doivent faire pour déconcerter tous ceux, de quelque qualité qu'ils soient, qui sont mêlés dans un si vilain commerce. Mandez-moi tout ce que vous pourrez en apprendre. On prétend qu'il y a de fortes sollicitations et beaucoup d'argent répandu[18]...

L'avocat de la marquise de Brinvilliers aurait bien voulu faire rejeter du procès la confession trouvée à Liège, dans sa cassette. Il objecta qu'au moment où elle l'avait écrite, elle était certainement en proie à un accès de folie, que certains détails qu'elle y avait consignés étaient matériellement impossibles, qu'un pareil écrit avait d'ailleurs un caractère purement religieux, confidentiel, qui n'autorisait pas l'usage que l'accusation en voulait faire, et il cita plusieurs prêtres condamnés à mort pour avoir trahi le secret de la confession. Malgré tout, l'effet moral était produit, et rien ne pouvait le détruire. Des dépositions accablantes vinrent au surplus s'ajouter aux aveux extrajudiciaires de l'accusée. Un témoin déclara que depuis longtemps elle faisait des démarches pour avoir la cassette de Sainte-Croix ; un autre témoin, nommé Briancourt, précepteur de ses enfants, avec qui elle s'était aussi compromise, à la connaissance de toute sa maison, lui avait souvent ouï dire qu'il y avait des moyens de se défaire des gens quand ils déplaisaient, et qu'on leur donnait un coup de pistolet dans un bouillon. Montrant un jour, après un dîner où elle était un peu gaie, une petite boîte, elle avait dit à un témoin qui en déposa : Voilà de quoi se venger de ses ennemis ! Cette boite n'est pas grande, mais elle est pleine de successions. Puis, se ravisant, tout à coup, elle aurait ajouté : Bon Dieu ! que vous ai-je dit ! ne le répétez à personne. Le garçon de l'apothicaire Glazer dit qu'il avait souvent vu une dame venir chez son maître avec Sainte-Croix ; que le laquais lui avait dit que c'était la marquise de Brinvilliers ; qu'il parierait sa tête qu'ils venaient commander du poison à Glazer. Une domestique déclara que deux jours après la mort du conseiller d'Aubray, Lachaussée était dans la chambre à coucher de la marquise, à laquelle il apportait une lettre de Sainte-Croix. En entendant annoncer M. Cousté, secrétaire de feu le lieutenant civil, elle fit vivement cacher Lachaussée dans la ruelle. De son côté, Desgrez apportait trois lettres qu'elle avait écrites à Théria dans le trajet de Liège à Sedan. S'il ne pouvoit, disait la troisième lettre, la tirer des mains de ceux qui l'emmenoient, qu'il fît au moins en sorte de s'emparer de la cassette et du procès, et qu'il les jetât au feu ; autrement elle étoit perdue.

Tant et de si graves circonstances ne pouvaient laisser aucun doute dans l'esprit des juges. Cependant la marquise de Brinvilliers persistait dans ses dénégations avec une grande hauteur. Le 15 juillet 1676, veille du jour où son arrêt devait être prononcé, le premier président de Lamoignon manda l'abbé Pirot et le supplia de la voir le jour même. Il s'agissait d'obtenir d'elle non-seulement l'aveu public de ses crimes, mais encore celui de ses complices, et le premier président comptait beaucoup pour cela sur la douceur insinuante et l'habileté de l'abbé Pirot. Elle avait été confrontée quelques jours auparavant pendant treize heures avec Briancourt, cet ancien précepteur de ses enfants, qui l'avait peu ménagée ; elle le fut encore ce jour-là, et sans se démentir un instant, sans faire le moindre aveu, elle le traita de misérable valet, sujet au vin, chassé de sa maison pour ses dérèglements, et dont le témoignage ne devait par conséquent pas être reçu contre elle. Voilà, dit à ce sujet le premier président à l'abbé Pirot, l'âme intrépide ou plutôt insensible que nous avons à mettre entre vos mains. Nous souhaitons que Dieu la touche, mais nous avons intérêt pour le public que ses crimes meurent avec elle et qu'elle prévienne par une déclaration de ce qu'elle sait toutes les suites qu'ils pourroient avoir.

Rendu le 16 juillet 1676, l'arrêt fut exécuté le jour même. Il portait qu'après avoir été appliquée à la question ordinaire et extraordinaire, la marquise de Brinvilliers serait traînée devant l'église de Notre-Dame dans un tombereau, nu-pieds, la corde au cou, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres, pour y faire à genoux amende honorable et déclarer que, méchamment, par vengeance et pour avoir leur bien, elle avoit fait empoisonner son père, ses deux frères, et attenté à la vie de sa défunte sœur. Elle devait ensuite être menée en la place de Grève pour avoir la tête tranchée sur un échafaud, après quoi son corps serait brûlé et jeté au vent. Le procureur général avait requis qu'elle eût en outre le poing coupé, comme les parricides, mais la cour lui fit grâce de cette peine dont la pensée l'avait tourmentée. Depuis le moment où elle lui avait été confiée, l'abbé Pirot était parvenu à pacifier peu à peu cet esprit rebelle et farouche qui s'ouvrit enfin aux consolations religieuses. La veille de l'exécution, elle écrivit la lettre suivante à son mari, qu'elle prétendit n'avoir jamais cessé d'aimer :

Sur le point que je suis d'aller rendre mon âme à Dieu, j'ai voulu vous assurer de mon amitié, qui sera pour vous jusqu'au dernier moment de ma vie. Je vous demande pardon de tout ce que j'ai fait contre ce que je vous devois ; je meurs d'une mort honteuse que mes ennemis m'ont attirée. Je leur pardonne de tout mon cœur, et je vous prie de leur pardonner. J'espère que vous me pardonnerez aussi à moi-même l'ignominie qui pourra rejaillir sur vous ; mais pensez que nous ne sommes ici que pour un temps, et que dans peu vous serez peut-être obligé d'aller rendre à Dieu un compte exact de toutes vos actions, jusqu'aux paroles oiseuses, comme je suis présentement en état de le faire. Ayez soin de vos affaires temporelles et de nos enfants, et leur donnez vous-même l'exemple ; consultez sur cela madame Marillac[19] et madame Cousté. Faites faire pour moi le plus de prières que vous pourrez, et soyez persuadé que je meurs tout à vous.

D'AUBRAY[20].

Quand, dans la matinée du dernier jour, le moment de la question fut venu, la marquise de Brinvilliers la supporta sans trop de faiblesse. Elle avait déjà confessé ses crimes à l'abbé Pirot ; les tortures ne lui arrachèrent pas d'autres aveux, et, en ce qui concernait la composition des poisons, elle ne put rien dire, sinon qu'il y entrait des crapauds et de l'arsenic raréfié. La toilette de la mort achevée, la porte du vestibule de la prison fut ouverte, et une cinquantaine de personnes s'y précipitèrent. Il y avait parmi elles la célèbre comtesse de Soissons, qui fut si gravement compromise, quatre ans plus tard, dans le procès de la Voisin, le bouffon Roquelaure, mademoiselle de Scudéry, un abbé de Chimay. Cette curiosité scandaleuse, qui ne fit que s'accroître jusqu'au dernier moment, émut la condamnée. Blottie dans un coin de l'ignoble tombereau qui la menait à la Grève, elle voyait, en ouvrant les yeux ou en les détachant du crucifix qu'elle tenait à la main, plus de cent mille personnes amoncelées dans les rues, aux fenêtres, sur les toits des maisons, et la saluant d'un murmure immense. Pour comble de misère et de honte, le sergent Desgrez, qui l'avait trahie à Liège sous le costume de l'abbé Duval, escortait la fatale charrette, et ce fut lui qu'elle aperçut un des derniers. Elle répéta pourtant d'une voix intelligible, après l'abbé Pirot, la suprême prière, et celui-ci, qui a noté jusqu'aux moindres détails de sa douloureuse tâche, put la voir monter courageusement sur l'échafaud.

La spirituelle gazette du dix-septième siècle, madame de Sévigné, qui était, elle aussi, allée voir passer la célèbre empoisonneuse, mais qui n'avait aperçu que sa coiffe, et dont on ne peut tout citer, écrivait le lendemain à madame de Grignan : Enfin, c'en est fait, la Brinvilliers est en l'air. Son pauvre petit corps a été jeté, après l'exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons, et, par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous serons tout étonnés. Puis, quelques jours après, le 22 juillet : Encore un petit mot de la Brinvilliers : elle est morte comme elle a vécu, c'est-à-dire résolument. Elle entra dans le lieu où on devoit lui donner la question, et voyant trois seaux d'eau : C'est assurément pour me noyer, dit-elle, car, de la taille dont je suis, on ne prétend pas que je boive tout cela. Elle fut un quart d'heure mirodée, rasée et redressée par le bourreau : ce fut un grand murmure et une grande cruauté. Le lendemain, on cherchoit ses os parce que le peuple disoit qu'elle étoit sainte... Il lui a plu de ne rien dire du tout. Penautier sortira un peu plus blanc que de la neige ; le public n'est point content ; on dit que tout cela est trouble...

Il restait, en effet ; un accusé, Reich de Penautier, receveur général du clergé, contre lequel, il faut bien le dire, l'opinion publique était violemment déchaînée. Écho fidèle de son temps, madame de Sévigné croyait, avec tout le monde, qu'il était l'auteur de l'empoisonnement de Saint-Laurent de Hanivel, son prédécesseur. De graves inculpations pesaient, au surplus, sur lui. On a vu que Sainte-Croix, avec qui il était fort lié, avait laissé quelques papiers d'affaires à son adresse ; la veuve de Saint-Laurent de Hanivel, sa partie, prétendait même dans ses factums que, gagné par Penautier, le commissaire chargé d'inventorier la cassette de Sainte-Croix avait soustrait un paquet de poisons à son nom. Mais cette assertion était-elle fondée ? Ce qui était certain, c'est que la marquise de Brinvilliers avait écrit de sa prison à Penautier, qui passait pour avoir été son amant, plusieurs billets énigmatiques relatifs à un homme d'affaires de Sainte-Croix, qu'il s'agissait de faire disparaître. Un autre fait non moins grave était articulé contre lui. Le 15 juin 1676, au moment de son arrestation, il écrivait un billet. Surpris par les archers, il le déchira, essaya de l'avaler, en fut empêché et ne put en expliquer le sens. La veuve de Saint-Laurent prétendait, en outre, que les interrogatoires de Lachaussée et de la Brinvilliers, après la question, avaient été dirigés de manière à éviter les révélations qui auraient pu être funestes à Penautier. On répétait même à ce sujet quelques paroles de la marquise. Elle avait dit une fois que s'il dégouttoit sur elle, il pleuvroit sur lui. Une autre fois, à son retour de Liège, un des archers qui la ramenaient lui avait demandé si elle n'avoit point d'amis particuliers qui la pussent servir. Citons l'interrogatoire : Après y avoir pensé, lui dit qu'il y avoit le sieur Penautier. Le témoin lui demanda s'il étoit intéressé avec elle. A quoi elle répondit : Oui, oui, il y est autant intéressé que moi. Il doit avoir plus peur que moi. L'on m'a interrogée sur son sujet, mais je n'ai rien dit, je suis trop généreuse pour dire quelque chose. Je ne dirai rien ; mais si je voulois parler, il y a la moitié des gens de la ville, et de condition, qui en sont. Je les perdrois. Ce qu'elle répéta par deux fois. Mais n'était-ce pas là une pure jactance d'accusé ?

Cependant le procès de Penautier traînait en longueur, et le bruit s'accréditait chaque jour que, grâce à ses richesses, il en sortirait, comme disait madame de Sévigné, un peu plus blanc que de la neige. Elle avait écrit le 1er juillet : Penautier a été neuf jours dans le cachot de Ravaillac ; il y mouroit ; on l'a ôté. Son affaire est désagréable. Il a de grands protecteurs ; M. Colbert et M. de Paris — Harlay de Champvalon — le soutiennent ; mais la Brinvilliers l'embarrasse davantage, rien ne pourra le secourir. Celle-ci, heureusement pour lui, n'avait fait aucune révélation, ce que la veuve de Saint-Laurent attribuait à une connivence de la justice. Désolée de la tournure que prenait l'affaire, elle adressa au roi une supplique restée manuscrite, qui contient les accusations les plus fortes.

Sire, disait-elle, la veuve de Saint-Laurent et ses enfants se jettent à vos pieds. Les crimes de Penautier sont connus de tout le public et font connoître leur disgrâce. Cependant ce coupable heureux, dont la fortune peut tout sur la justice humaine, échappe à leur juste vengeance, si quelque divinité visible ne vient à leur secours.

Leur sentiment particulier se trouve appuyé de l'intérêt de l'État. Le poison de Sainte-Croix ne laisse aucune marque. Il est si artificieux qu'il se dérobe à toutes les expériences, et il produit en même temps et le succès du crime et la sûreté du coupable. Depuis 1667 jusqu'en 1672, le poison, déguisé sous le nom d'apoplexie, a désolé toute la France par des morts subites. La condamnation de Lachaussée et de la Brinvilliers ont suspendu le cours des empoisonnemens ; mais Penautier, le seul ami de Sainte-Croix, Belle-guise, commis de Penautier, Martin, l'homme d'affaires de Sainte-Croix, Lapierre, son laquais, qui travailloient avec leur maître à la composition des poisons et que Penautier a fait évader, sont instruits de ses funestes secrets dont ils peuvent rétablir le commerce...

Après avoir rappelé que, grâce au crédit de Penautier, son ami et sa caution, l'empoisonneur Sainte-Croix était, quand il mourut, sur le point d'acheter une charge qui lui eût donné accès auprès du-roi, la veuve de Saint-Laurent ajoutait :

Des gens de marque appuient Penautier, sollicitent en sa faveur, et, par la considération que Votre Majesté fait de leurs personnes et qui leur en donne beaucoup au parlement et dans toute la France, ils attirent les juges dans les intérêts de Penautier. Véritablement, ils donnent leur crédit et leurs sollicitations à l'innocence qu'ils présument et à la qualité de bon comptable ; mais ils pourroient se reposer sur son innocence ; il n'est que trop soutenu d'ailleurs.

On adoucit la question à la Brinvilliers en sa faveur, et, pour la ménager, pendant qu'elle étoit sur le matelas, le sieur Le Boultz entre dans la chambre, parle à elle et consomme par des discours affectés le moment heureux où la vérité se produit par la bouche des coupables... On arrête Penautier le 15 juin ; il écrivoit, il déchire le billet, il s'efforce de l'avaler ; l'huissier lui fait rendre par force. Il falloit d'abord l'interroger sur ce billet important pour toutes les circonstances. Le sieur de Palluau, rapporteur — ancien et intime ami du sieur Le Boultz —, l'interroge sur des faits fort éloignés et lui donne un mois entier à préparer ses réponses sur les circonstances de ce billet[21]... M. le premier président et quelques magistrats sontdans les bons sentimens et contre la cabale de Penautier ; mais il ne leur restera que le chagrin de perdre leur zèle et d'être abandonnés dans leur devoir[22].

En cet état, Sire, quelle justice peut espérer une veuve, seule, sans crédit, sans biens, sans appui, sans amis, contre Penautier, soutenu de tous côtés par l'autorité presque absolue de personnes de considération et par le crédit du sieur Le Boultz, dont les parens, les alliances et les intrigues entraînent presque tout le parlement, et par le pouvoir de la fortune de Penautier dont l'argent a exécuté des choses qui, jusqu'ici, paroissent impossibles ![23].....

Un an après l'exécution de la Brinvilliers, en 1677, la veuve de Saint-Laurent faisait paraître un nouveau factum dans lequel, ne se bornant plus au fait dont son mari aurait été victime, elle accusait Penautier d'avoir empoisonné le sieur Lesecq, son beau-père, qui possédait des biens immenses. Les meilleurs gendres, disait-elle, ont quelquefois, sur certaines matières, des tentations d'impatience où les plus méchans succombent. Penautier avait eu pendant quelque temps un associé nommé Dalibert. La veuve de Saint-Laurent faisait remarquer que le sieur Dalibert étoit parti de ce monde avec une telle précipitation qu'on ne lui avoit pas donné le loisir de mettre ordre à ses affaires, le sieur Penautier ayant besoin pour ses intérêts particuliers d'une apoplexie de la qualité de celle qui avoit causé la mort de son associé. Et tout n'était pas là ! Penautier s'étant emparé de tous les papiers de ce dernier, pour se dispenser de compter à sa veuve, un parent qui s'était mêlé de l'aider de ses conseils, en fut empêché, dit encore le factum, par la fatalité d'une apoplexie de la nature de celle de son beau-frère. De son côté, madame de Sévigné écrivait, le 8 juillet 1676, à l'occasion de Penautier, que la voix publique accusait aussi d'avoir fait empoisonner un trésorier des états de Bourgogne, nommé Matharel : Et pourquoi empoisonner le pauvre Matharel ? Il avoit une douzaine d'enfans. Il me semble même que sa maladie violente et point subite ne ressembloit pas au poison : on ne parle ici d'autre chose. Il s'est trouvé un muid de vin empoisonné qui a fait mourir six personnes.

On voit par là combien les esprits étaient préoccupés, troublés, et par conséquent sujets à s'égarer. Penautier, au surplus, ne restait pas inactif. Dans plusieurs factums, en réponse à ceux de la veuve Saint-Laurent, il s'efforçait de prouver son innocence. Il prétendait même établir que Saint-Laurent n'était pas mort empoisonné ; mais on lui répondait que la vertu particulière du poison de Sainte-Croix était précisément de ne laisser aucune trace de lésion dans les organes. Dans un de ces factums, il arguait du silence de la Brinvilliers et de Briancourt à son égard. Or la marquise de Brinvilliers l'avait accusé, bien que vaguement et d'une manière générale. En ce qui concerne le précepteur, une note manuscrite faisant partie des pièces du procès porte ce qui suit : Quand Briancourt fit sa déposition au Châtelet, et qu'il voulut parler contre le sieur Penautier, M. le lieutenant criminel l'interrompit et lui dit que ce n'étoit pas cela qu'on lui demandoit ; et ledit Briancourt n'a point été interrogé là-dessus. Le public s'intéressait d'ailleurs médiocrement à la veuve de Saint-Laurent, qui, à la mort de son mari, avait accepté une pension de Penautier, malgré les soupçons qu'elle aurait eus à cette époque. Quoi qu'il en soit, celui-ci mettait tout en œuvre pour voir la fin de sa longue détention. Un de ses fils avait épousé la fille d'un conseiller au parlement, et cette alliance, préméditée, disait-on, ne lui aurait pas été d'ut mince secours, indépendamment de l'argent distribué à pleines mains, suivant ce qui avait été écrit à Louis XIV. Écoutons sur ce point madame de Sévigné — lettre du 29 juillet 1676 — : Le maréchal de Villeroi disoit l'autre jour : Penautier sera ruiné de cette affaire. Le maréchal de Gramont répondit : Il faudra qu'il supprime sa table. Voilà bien des épigrammes. Je suppose que vous savez qu'il y a cent mille écus répandus pour faciliter toutes choses. L'innocence ne fait guère de telles profusions. On ne peut écrire tout ce qu'on sait ; ce sera pour une soirée.

Quelles étaient donc ces choses que l'on ne pouvait écrire ? Madame de Sévigné a nommé deux des protecteurs de Penautier : l'archevêque de Paris et Colbert. Saint-Simon cite encore parmi les plus zélés le cardinal de Bonzi, archevêque de Toulouse. En réalité, tout le clergé, dont il était le trésorier, et qu'il avait dû souvent obliger de sa bourse, était pour lui[24]. Quant à Colbert, Penautier le connaissait de longue date, et l'on voit par plusieurs lettres qu'il secondait à merveille l'infatigable ministre dans l'établissement des fabriques de draps fins, l'exploitation des mines de la contrée et les affaires relatives au canal du Languedoc. Le 20 mars 1671, Colbert le chargeait d'organiser une compagnie pour le desséchement des marais d'Aigues-Mortes[25]. Plus tard, le 29 novembre 1672, il le priait de lui faire acheter des, manuscrits grecs par ses agents dans le Levant[26]. Enfin, une lettre du cardinal de Bonzi à Colbert, du mois de décembre 1673, constate qu'à cette époque Penautier avait avancé au clergé 800.000 livres pour le don gratuit de l'année. Il semble résulter, en outre, d'une des pièces originales du procès, qu'un commis de Colbert[27] s'était entendu avec Penautier qui, pour l'intéresser au succès de ses démarches, lui avait promis, s'il réussissait, la moitié du produit de sa charge de receveur général des états du Languedoc. La même pièce porte que ce commis aurait ensuite préféré une somme de cent mille livres, une fois donnée[28].

Colbert avait-il acquiescé à ces arrangements dans le but de favoriser son commis ? Croyait-il enfin, avec les amis de Penautier, qu'il était la victime de coïncidences fâcheuses ? Rien, dans ses papiers, n'indique la part qu'il dut prendre à cette affaire, et l'on en est réduit aux conjectures. Madame de Sévigné écrivait encore le 5 août 1676 : Il paroît que la Brinvilliers est morte, puisque j'ai tant de loisir. Il reste Penautier ; son commis Belleguise est pris ; on ne sait si c'est tant pis ou tant mieux. Pour lui, on est si disposé à croire que tout est à son avantage, que je crois que nous le verrions pendre, que nous y entendrions quelque finesse. On a dit à la cour que c'est le roi qui a fait prendre ce commis dans les faubourgs.

En résumé, après bien des incidents qui finirent sans doute par lasser la curiosité publique, dans le courant du mois de juin 1677, c'est-à-dire onze mois après l'exécution dont nous avons raconté les détails, Penautier fut acquitté[29].

Ainsi se termina le dernier épisode du procès de la marquise de Brinvilliers.

Les lignes suivantes du duc de Saint-Simon en sont le complément naturel :

Penautier mourut fort vieux en Languedoc (1711). De petit caissier, il étoit devenu trésorier du clergé et trésorier des États de Languedoc, et prodigieusement riche. C'étoit un grand homme, très-bien fait, fort galant et fort magnifique, respectueux et très-obligeant ; il avoit beaucoup d'esprit et étoit fort mêlé dans le monde ; il le fut aussi dans l'affaire de la Brinvilliers et des poisons, qui a fait tant de bruit, et mis en prison avec grand danger de sa vie. Il est incroyable combien de gens et des plus considérables se remuèrent pour lui, le cardinal de Bonzi à la tète, fort en faveur alors, qui le tirèrent d'affaire. Il conserva longtemps depuis ses emplois et ses amis, et quoique sa réputation eût fort souffert de son affaire, il demeura dans le monde comme s'il n'en avoit point eu. Il est sorti de ses bureaux force financiers qui ont fait grande fortune.

Les détracteurs de Saint-Simon l'accusent souvent de malveillance pour .son temps, d'injustice et de passion contre ses contemporains. Ils ne lui feront pas du moins le reproche de s'être montré trop sévère à l'égard de Penautier et de ses amis.

 

 

 



[1] Madame de Sévigné aussi parle de tentatives d'empoisonnement faites par madame de Brinvilliers sur son mari ; mais il n'est pas question de lui au procès, non plus que des enfants.

[2] Bibl. imp. Mss. F. F. 7,608. — Procès de la Voisin, folio 127 : Mémoire autographe de La Reynie.

[3] Arch. de la marine. Dépêches concernant la marine, 1676.

[4] Edme Pirot, docteur en Sorbonne, théologien estimé, chanoine de Paris, supérieur des Carmélites, né à Auxerre le 12 août 1631, mort à Paris le 4 août 1713.

[5] Bibl. imp. Mss. F. F. 10,982. Relation de la mort de la Brinvilliers, par M. Pirot, docteur en Sorbonne, page 30.

[6] Factum pour dame Marie-Marguerite d'Aubray, marquise de Brinvilliers, accusée, contre dame Marie-Thérèse Mangot, veuve du sieur d'Aubray, lieutenant civil, accusatrice, et monsieur le procureur général (Bibl. imp. Mss. F. F. 7,610). Il y a aussi des factums pour et contre la marquise de Brinvilliers, aux manuscrits, Cabinet des titres. — Au département des imprimés, un des volumes de la collection Thoizy, Z, 2,284, renferme, indépendamment de la confession manuscrite de la marquise, tous les factums qui paraissent avoir été publiés à ce sujet. M. Danjou en a réimprimé quelques-uns dans les Archives curieuses de l'histoire de France, 2e série, tome XII.

[7] Factum pour dame Marie Vosser, veuve de messire Pierre de Hanivel, contre Louis Reich de Penautier, in-4°, page 6. — Il est dit aussi dans ce factum, page 7, que Sainte-Croix entroit dans un dessein de piété avec autant de joie qu'il acceptoit la proposition d'un crime ; délicat sur les injures, sensible à l'amour, et, dans sou amour, jaloux jusqu'à la fureur, même des personnes sur qui la débauche publique se donne des droits qui ne lui étoient pas inconnus ; d'une dépense effroyable et qui n'étoit soutenue d'aucun emploi ; l'âme au reste prostituée à tous les crimes...

[8] C'est du moins le nom qu'on trouve dans tous les documents du temps ; mais qui ne sait avec quelle négligence on écrivait alors les noms propres ? Il paraîtrait que le nom véritable de cet Exili était Egidio.

[9] Commune de Saint-Crépin au Bois, canton d'Attichy, arrondissement de Compiègne.

[10] Mémoires du procès extraordinaire contre la dame de Brinvilliers ; Archives curieuses, par Cimber et Danjon ; 2e série, XII, 104. — Le mémoire où je trouve cette lettre n'a rien d'officiel, et je me demande si elle est authentique. Cependant un factum pour la marquise de Brinvilliers parle de lettres d'elle saisies dans la cassette de Sainte-Croix. L'avocat de la marquise, Me Nivelle, dit à ce sujet : S'il s'en trouve quelqu'une où l'on prétende qu'elle ait parlé en termes généraux d'être dans des déplaisirs si grands, surtout de ne pas voir Sainte-Croix, que cela la portoit au désespoir et à une fureur qui sembloit qu'elle ait voulu dire, en termes ambigus, qu'elle vouloit se faire mourir pour se délivrer de ses déplaisirs et de la cruauté de Sainte-Croix, ne voit-on pas que ce sont des exagérations incertaines d'une femme outrée du mépris que Sainte-Croix faisoit de son affection ?Arch. cur., XII, 45.

[11] Bibl. imp. Mss. F. F. 7610. Factum pour la dame Saint-Laurent, p. 25.

[12] Archives curieuses, 2e série, XII, 45.

[13] Arrêt de la Tournelle, du 4 mars 1673. — Il y avait deux sortes de questions, la question préparatoire et la question préalable. La première avait lieu quand les juges, n'étant pas convaincus, voulaient obtenir, avant le jugement, l'aveu du coupable. La question préalable était, au contraire, appliquée après le jugement et pour la révélation des complices. Dans la première, il arrivait souvent que le prévenu, pour sauver sa vie, résistait aux plus affreux tourments, tandis que dans la seconde, le coupable, déjà condamné, ajoutait rarement la douleur des tortures à une mort déjà si terrible.

La torture des brodequins, à laquelle Lachaussée fut appliqué, consistait à lier chaque jambe du condamné entre deux planches, à rapprocher les deux jambes l'une sur l'autre par un anneau de fer, et à enfoncer des coins entre les planches La question ordinaire était de quatre coins, la question extraordinaire de huit.

[14] On voit par là que les assertions des contemporains, même les plus autorisés, sont quelquefois erronées. Ici, par exemple, un procès-verbal officiel contredit formellement le dire de La Reynie. C'est à la question préparatoire que Lachaussée avait refusé d'avouer.

[15] Arch. de la Mar., Dépêches concernant le commerce, 1672, vol. 7, fol. 339, 349 et 355.

[16] Bibl. imp. Imprimés : Collection Thoizy, t. I, 284.

[17] Cet interrogatoire, dont nous ne donnons qu'une partie, a été reproduit par M. Alexandre Dumas, dans son intéressante notice sur la marquise de Brinvilliers (Crimes célèbres, t. I). M. Michelet, dans la Revue des Deux-Mondes, et M. Fouquier, dans les Causes célèbres, ont aussi étudié attentivement cette curieuse affaire.

[18] Œuvres de Louis XIV, t. V, p. 524.

[19] La marquise de Brinvilliers était parente des Marillac.

[20] L'authenticité de cette lettre ne saurait être contestée, car elle se trouve dans la relation même de l'abbé Pivot. — Au sujet de cette expression mes ennemis, dont la marquise de Brinvilliers s'était servie, l'abbé Pirot lui ayant fait observer qu'elle n'avait eu d'autres ennemis qu'elle-même, elle recommença docilement une autre lettre qu'il n'a pas donnée dans sa relation. Tristes et inexplicables mystères du cœur humain ! Ces protestations dernières ne font-elles pas songer involontairement à Manon Lescaut ?

[21] Des notes secrètes, fournies en 1663, sur les divers membres du parlement de Paris, contiennent ce qui suit au sujet des conseillers Le Boultz et Palluau.

LE BOULTZ : homme d'esprit vif, éclairé, ardent, qui sait et ne s'éloigne jamais des grandes maximes. D'un travail infatigable ; homme d'honneur et d'intégrité... et non-seulement considéré dans sa chambre, mais dans tout le parlement, comme un des premiers conseillers des enquêtes et tout à fait désintéressé.

PALLUAU : a de l'esprit et de la suffisance dans la justice. Se préoccupe quelquefois et faille dans les affaires, même publiques... N'est pas difficile à gouverner... Il feroit toute chose pour mademoiselle de Scudéry.

(Depping, Correspondance administrative sous Louis XIV, II, 60.)

[22] Voici les notes fournies à la même époque (1663) sur le premier président de Lamoignon : Sous l'affectation d'une grande probité et d'une grande intégrité, cache une grande ambition, conservant pour cet effet une grande liaison avec tous les dévots de quelque parti et cabale que ce soit... A médiocres biens et n'en acquerra que par voies légitimes... Depping, loc. cit., 33.

[23] Bibl. imp. Mss. 7,610. — A moins d'indication contraire, les autres pièces relatives au procès de la Brinvilliers sont également dans ce volume.

[24] On lit dans les Mémoires de Daniel de Cosnac (II, 76) que Penautier avait prêté vingt-cinq mille écus à un abbé de Tressan pour acheter la charge de premier aumônier de Madame.

[25] Depping, Corresp. admin., III, 799 et 876 ; années 1666 à 1669.

[26] Archives de la marine, Registres du commerce ; 1672, fol. 350.

[27] Antoine-Hercule de Picon, seigneur et vicomte d'Andrezel, conseiller d'État en 1663, mort en 1659.

[28] Bibl. imp. Mss., p. 610. — C'est une pièce non signée ; de plus, les faits y sont présentés sous forme de questions : S'il est vrai, etc. On peut donc contester la vérité de ces insinuations. — Cela dit, j'ajoute que la confiance de Colbert fut plus d'une fois trompée par ses commis. Ainsi, son neveu Desmarest fut compromis dans une opération de monnaie et obligé de quitter la cour jusqu'au moment où Louis XIV, ayant eu besoin de lui, le nomma contrôleur-général. Un autre agent intime de Colbert, nommé Bellinzani, fut, à la mort du ministre, mis à Vincennes pour concussion, malversations, pots-de-vin, et il y mourut.

[29] On fit à cette occasion quelques couplets dont voici un échantillon :

Si Penautier, dans son affaire,

N'a rencontré que des amis,

C'est qu'il a bien su se défaire

De ce qu'il avoit d'ennemis.

(Bibl. imp. Mss. Collection Maurepas, IV, 329.)