JACQUES CŒUR ET CHARLES VII - OU LA FRANCE AU XVe SIÈCLE

TOME SECOND

 

CHAPITRE VII.

 

 

Les arts en France au quinzième siècle. — Architecture ogivale. Symptômes de sa décadence, à partir du quatorzième siècle. — Influence exercée par Jacques Cœur sur l'architecture civile de son temps. — Jugement sur celle de son hôtel de Bourges. — Le Louvre et la Sainte-Chapelle. — La sculpture au quinzième siècle. — École de Dijon. — De l'orfèvrerie, — Grand nombre et richesse des objets d'or et d'argent appartenant aux rois de France. —Trésor de Charles V. Les bijoux d'Agnès Sorel. — Émaux de Limoges. — La peinture sur verre. — Vitraux de la chapelle de Jacques Cœur. — Peinture à l'huile, en Italie et en France, au quinzième siècle. — Quantité considérable de grands peintres italiens à cette époque. Les miniatures. — Jean Foucquet. — Tableaux et miniatures du roi René. — La musique au moyen lige. — Le déchant. — Une romance du treizième siècle. Vogue des chanteurs anglais au quinzième siècle. — Les compositeurs français à la même époque. — Les romans. — Portrait de la belle Yseult. — Portrait d'Élise. —Antoine de La Salle et le Petit Jehan de Saintré. — Christine de Pisan et ses œuvres. — Fragment d'Alain Chartier concernant les excès des gens d'armes. — Les mystères. — Titres curieux de Jeux et de Miracles composés au quinzième siècle.  — Le concile de Bide en défend la représentation dans les églises. Détails sur des représentations données à Metz en 1434 et 1437. Premiers essais comiques très-supérieurs aux mystères. — Une ballade d'Eustache Deschamps. — Olivier Basselin et Charles d'Orléans. — Génie poétique de Villon. — Médecins, jurisconsultes et prédicateurs célèbres au quinzième siècle. — Invention de la gravure sur bois vers 1422, de l'imprimerie en 1435, de la gravure sur cuivre en 1452. — Ordres donnés par Charles VII pour l'introduction de l'imprimerie en France. — Découvertes maritimes aux quatorzième et quinzième siècles. Traité de la Sphère, par Nicolas Oresme, évêque de Lisieux. — Jean de Béthencourt, baron normand, s'empare des Canaries en 1402. Découvertes successives des Portugais à partir de 1418. — Une école d'hydrographie et de cosmographie est fondée à Dieppe vers le milieu du quinzième siècle. — Vue d'ensemble sur les progrès accomplis dans les arts, les sciences et les lettres pendant ce siècle. — Jacques Cœur en 1451. — Il est accusé d'avoir empoisonné Agnès Sorel.

 

On a vu dans le chapitre précédent que Jacques Cœur avait fait élever plusieurs grandes maisons, notamment à Montpellier et à Bourges, et que celle de Bourges lui avait. coûté des sommes considérables[1]. Il avait, en outre, fait construire à ses frais la sacristie et une des chapelles de l'église Saint-Etienne. Par ces travaux, Jacques Cœur avait dû évidemment exercer une véritable influence sur l'architecture de son temps et sur les arts nombreux et importants qui en dépendent. Sous ce rapport, l'examen sommaire de l'état des arts en France vers le milieu du quinzième siècle se rattache donc aussi à cette étude. Ce tableau est d'ailleurs nécessaire pour compléter celui des réformes introduites par Char.- les Vil dans toutes les parties de l'administration, grâce au concours des conseillers habiles dont il avait su s'entourer.

L'architecture gothique ou ogivale est-elle d'origine européenne ou arabe ? telle est la question que les savants se sont posée depuis quelques années, et qui n'est pas encore résolue. Mais un point sur lequel les 'opinions sont unanimes, c'est que cette architecture, dont les premières traces ne paraissent pas remonter au delà de 1150, se développa rapidement et atteignit, vers la fin du treizième siècle, son plus haut degré de splendeur. Le treizième siècle fut, d'ailleurs, en Europe, et particulièrement en France, le point de départ d'une ère nouvelle. Outre l'architecture, la statuaire, la sculpture sur bois, la peinture sur vitraux et celle des manuscrits, les émaux, l'orfèvrerie enfin, produisirent des chefs-d'œuvre dont les restes excitent encore l'admiration. Il y eut à cette époque, on avec raison, une véritable renaissance des arts, mais une renaissance nationale et profondément française[2]. Quant à l'architecture ogivale, sa décadence fut aussi prompte que ses progrès avaient été rapides. Dès le quatorzième siècle, les symptômes en furent visibles. Le caractère de cette architecture et les causes de sa décadence ont été appréciés en ces termes par des juges expérimentés : Dans les périodes primitives, le principal l'emporte sur l'accessoire ; il y a disette d'ornements ; cette réserve communique à l'œuvre une expression de gravité majestueuse ou mélancolique. Dans les périodes de décadence, l'accessoire l'emporte sur le principal. Tandis que l'exagération altère les formes essentielles, la décoration les envahit, les masque et les obère. Le luxe et la coquetterie prennent la place des qualités supérieures. Telle fut la marche que suivit l'art gothique[3]. Cette tendance à l'exagération et à la prodigalité des ornements fut surtout sensible au milieu du quinzième siècle. Parmi les monuments religieux, la cathédrale[4] et l'église de Saint-Ouen à Rouen, bien que remarquables à tant de titres, portent des traces de faux goût sous lequel l'architecture gothique devait bientôt succomber, et dont le palais de justice de la même ville, élevé vers la fin du quinzième siècle, fut, en quelque sorte, la plus haute expression. Les archéologues s'accordent à reconnaître que la maison construite à Bourges pour Jacques Cœur avait précipité le mouvement qui entraînait l'architecture nationale vers sa ruine. Les hôtels de ville de Saint-Quentin, d'Orléans, de Dreux, de Provins, dont la construction suivit d'assez près celle de la maison de Jacques Cœur, et remonte aux règnes de Charles VIII et de Louis XII, leur ont paru empreints d'un caractère nouveau et bien distinct. Ce sont, a dit l'un d'eux, de hauts combles d'ardoises que surmontent des fleurons en plomb doré, des lucarnes encadrées de dentelles de pierre, des escaliers extérieurs et couverts, des aiguilles festonnées, des ornements courant à l'entour des fenêtres en plein cintre et revêtant les murailles des tourelles, des devises sculptées sur les faces de l'édifice. La maison de Jacques Cœur avait peut-être donné le premier échantillon à la France de ce gothique italianisé. Cet édifice présente déjà dans ses toitures et ses lucarnes, ainsi que dans la tour contenant l'escalier principal, quelques-uns des caractères de l'architecture de transition, de cette architecture qui cherchait à regagner dans la finesse et le cherché des détails ce qu'elle avait perdu en grandiose et en hardiesse[5]. Un autre écrivain du dix-huitième siècle ne doute pas que la maison de Jacques Cœur n'ait été construite par un architecte italien ; car, dit-il, ceux de France étaient encore dans le goût gothique, et on l'avait déjà secoué en Italie[6].

Un des nombreux châteaux de Jacques Cœur, celui de Saint-Fargeau, s'était en outre augmenté, pendant le court espace de temps qu'il en fut le propriétaire, de diverses constructions, notamment d'une porte remarquable par le luxe de l'ornementation, qui rappelle les détails de la maison de Bourges, et d'une grosse tour, qui porte encore le nom de l'argentier de Charles VII[7].

Cependant, malgré ces symptômes de décadence, l'architecture occupait encore, vers le milieu du quinzième siècle, un rang élevé. C'était d'ailleurs le n'ornent où les architectes allemands achevaient la flèche et le vaisseau de la cathédrale de Strasbourg. Sous l'influence de ce chef-d'œuvre de l'architecture religieuse, les églises de France se décoraient à l'envi de ces flèches élégantes et hardies que nous admirons encore aujourd'hui[8]. De son côté, Charles VII faisait exécuter des travaux considérables à l'hôtel de Sens qui fut, après la maison de Jacques Cœur, l'un des plus importants et des plus curieux monuments de l'architecture privée de cette époque[9]. Par les ordres du roi, les meilleurs sculpteurs du temps exécutèrent les statues de Charles V et de Charles VI pour la grande entrée du Louvre[10]. La Sainte-Chapelle de Paris n'avait pas encore de clocher, Charles VII en fit construire un[11]. Bordeaux, Dax, Saint-Sever virent s'élever dans leur enceinte des forteresses monumentales destinées à défendre le pays contre les Anglais. En même temps, Charles VII fit réparer les châteaux forts de Montargis et de Lusignan[12]. Celui de Mehun-sur-Yèvre, dans le Berry, dont il sera question plus loin, fut agrandi, restauré, et devint la plus belle de toutes les résidences royales.

Plus heureusement inspirés que les architectes, les artistes statuaires du quinzième siècle donnèrent à cette branche si importante de l'art une impulsion féconde. Si la forme de leurs draperies fut raide et tourmentée, du moins les passions humaines, la vie, animèrent dès lors la pierre ou le marbre des mausolées. Vers le commencement de son règne, Charles VII avait fait exécuter à Bourges le tombeau de son oncle le duc Jean de Berry, œuvre capitale qui offre des parties remarquables. Le duc Jean est représenté de grandeur naturelle, couché et les mains croisées sur la poitrine. Le visage, les mains surtout, sont traités avec un soin extrême. Le soubassement du tombeau se composait d'une suite de niches renfermant des statuettes en albâtre couronnées de dais et de pinacles du style le plus flamboyant. Neuf de ces statuettes, représentant des moines, ont été conservées[13]. A l'imitation des peintres verriers, d'autres artistes représentèrent, sur les tombeaux, des personnages agenouillés et dans l'attitude de la prière. Telles étaient les statues de Juvénal des Ursins, qui mourut en 1431, et de sa femme, morte en 1436. L'élégante chapelle de l'hôtel de Cluny et le porche de Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris sont des œuvres du quinzième siècle. A Dijon, Jean de la Huerta, tailleur d'ymaiges, du pays d'Aragon, exécuta, moyennant 4.000 livres, le mausolée de Jean sans Peur, une des plus riches et des plus remarquables productions de la sculpture du moyen âge[14]. Dans la même ville, Claux Sluter, Claux de Vausonne et Jacques de la Barre sculptèrent les six figures célèbres du Puits de Moïse et le tombeau de Philippe le Hardi[15]. Guillaume Menton exécuta, aux frais de Philippe le Bon, avec toute l'habileté de l'école de Dijon, le tombeau de la duchesse de Bedford, dont le musée du Louvre possède aujourd'hui la statue[16]. Quelques statues de l'abbaye de Solesmes datent de la même époque et sont empreintes d'un beau caractère. Quant aux bas-reliefs de la maison de Jacques Cœur qui représentent des personnages, ils manquent généralement de vigueur, et ces personnages, on l'a fait observer judicieusement, ressemblent à des enfants[17]. En ce qui concerne la sculpture sur bois, les stalles des églises, les bahuts, les armoires de l'époque et la grande porte elle-même de l'hôtel de Jacques Cœur, prouvent le degré de supériorité qu'elle avait atteint.

L'orfèvrerie et les arts qui s'y rattachent ne brillaient pas d'un moins vif éclat. On a vu par l'inventaire de la vente des biens de Jacques Cœur qu'il avait laissé des hanaps, des aiguières, des plats et des salières d'or et d'argent doré, garnis de rubis, de pierres précieuses, et un grand nombre d'autres pièces d'un grand prix. On avait en outre admiré chez lui, à l'occasion d'une fête qu'il donna à l'époque de la nomination.de son fils Jean à l'archevêché de Bourges, une petite statue de la Madeleine que l'on croyait être d'or. Tous ces objets avaient, sans nul doute, été faits par les premiers orfèvres et vidaient le cachet artistique du temps. Le rôle des orfèvres au moyen Age exigeait d'ailleurs les aptitudes les plus variées. Les plus habiles se montraient tour à tour sculpteurs, peintres ou ciseleurs consommés. Il faut lire les comptes de l'argenterie des rois de France et des princes du sang, les inventaires des églises et les contrats de mariage, pour se faire une idée des merveilles de l'orfèvrerie des quatorzième et quinzième siècles, merveilles courageusement brisées et fondues dans les temps de détresse de la monarchie[18]. Charles V lui-même, malgré la simplicité de ses goûts et son penchant pour l'économie, avait payé son tribut à ce luxe. La vaisselle d'argent de sa maison se composait de 437 pièces ; la vaisselle d'argent doré de 448 pièces ; la vaisselle d'or de 289 pièces ; la vaisselle d'or, garnie de pierreries fines, de 292 pièces. Au nombre des principaux objets composant ce trésor figurait une grande nef d'or pesant 428 onces. Soutenue par six lions, elle portait un ange à chacune de ses extrémités. Une autre nef, également. en or et pesant 125 onces, avait été donnée par la ville de Paris à Charles V. Enfin, de belles lampes d'argent ornaient la bibliothèque ou librairie que ce prince, à jamais illustre, avait le premier réunie au Louvre[19]. Après Charles V, les ducs de Berry, d'Orléans et de Bourgogne rivalisèrent de magnificence. Charles VII marcha sur leurs traces, et, malgré la pénurie des temps, il fit exécuter pour Agnès Sorel de nombreux bijoux qu'il racheta quand elle mourut. Seuls, les émaux dont la fabrication avait, au treizième siècle, illustré Limoges, étaient en décadence au quinzième ; mais ce sommeil ne devait pas être de longue durée et le temps n'était pas loin où plusieurs orfèvres de la même ville, les Pénicaud, les Raymond, les Courtois fondèrent ces dynasties d'artistes qui, grâce aux traditions de la famille et à une émulation incessante, portèrent la merveilleuse industrie des émaux à un degré de perfection jusqu'alors inconnu[20].

Comme l'architecture ogivale, dont elle était d'ailleurs une dépendance essentielle, la peinture sur verre avait aussi atteint son apogée au treizième siècle. Les cathédrales de Bourges, de Chartres, de Rouen, de Châlons-sur-Marne, de Strasbourg, ont heureusement, conservé de cette grande époque de l'art chrétien des vitraux admirables, des roses majestueuses où l'harmonie et la fusion des couleurs produisent des effets de lumière magiques dont l'art moderne désespère d'égaler la beauté. Depuis l'apparition de ces Chefs-d'œuvre, la peinture sur verre s'était modifiée. Aux mosaïques transparentes du treizième siècle avaient succédé des verres d'une dimension suffisante pour composer des vitraux d'une seule pièce ou d'un petit nombre de pièces rapportées[21]. D'un autre côté, les grisailles tendaient à remplacer les couleurs éclatantes. Ainsi le goût et la mode de fabrication avaient changé en même temps. Bien que très-remarquables encore à divers titres, les verrières de la Sainte-Chapelle de Riom, de Saint-Vincent de Rouen, de la cathédrale de Tours[22], de même que celles de la chapelle de Jacques Cœur dans la cathédrale de Bourges, donnent la mesure de la décadence de cet ail charmant que les gentilshommes pouvaient, par une faveur spéciale, pratiquer sans déroger. La maison de Jacques Cœur à Bourges était ornée de vitraux ; l'un d'eux, peint dans le genre grisaille, représentait une galère capitane[23]. L'artiste qui les exécuta était sans doute Henri Mellin, à qui l'on doit les verrières de Riom, plusieurs vitraux de la cathédrale de Bourges, et qui peignit aussi sur des vitraux destinés pour l'église Saint-Paul, à Paris, les portraits, malheureusement détruits, de Charles VII, de Jeanne Darc et de Jacques Cœur[24].

En même temps, c'est-à-dire vers le milieu du quinzième siècle, la grande peinture prenait enfin son essor et s'élevait, presque sans transition, aux plus hautes sphères qu'il lui ait été donné d'atteindre. Longtemps comprimée par l'influence de l'école byzantine et par l'imperfection des procédés employés pour la préparation des couleurs, la peinture attendait le génie qui la débarrasserait de ses langes. Cet honneur fut réservé à Jean Van Eyck. Jamais révolution plus heureuse et plus féconde que celle dont les arts lui furent redevables. Mais Jean Van Eyck ne perfectionna pas seulement la préparation des couleurs, il fut aussi un peintre de génie. Déjà, depuis des siècles, les rois avaient, dans le personnel de leur maison, des hommes chargés tout à la fois de peindre la sellerie, les armures, la pâtisserie des cuisines et en même temps de conserver à la postérité les traits des princes et de leurs familles[25]. Le duc d'Orléans, qui fut assassiné à Paris par Jean sans Peur, avait réuni dans un cabinet secret divers portraits qu'il montrait à ses familiers et qui représentaient des dames de la cour, ses maîtresses. Quelques années plus tard, l'incendie du château de Bicêtre, qui appartenait au duc de Berry, consuma une suite de portraits originaux des empereurs d'Orient et d'Occident et des rois de la troisième race[26]. Mais les lignes de ces portraits étaient dures, les couleurs fausses et heurtées ; la vie, l'âme enfin était absente. Le premier, parmi les peintres du Nord, Jean Van Eyck reproduisit les caractères individuels de la figure humaine. Fier d'avoir à sa cour un aussi grand peintre, Philippe le Bon écrivait en 1434 qu'il n'y en avoit point de pareil à son gré, ni si excellent en son art et science[27]. Lorsque l'illustre artiste mourut en 1440, il laissa, du moins, des élèves dont quelques-uns devinrent célèbres, et c'est sans doute l'un d'eux qui fit le plus estimé des divers portraits de Jacques Cœur. Moins somptueux, à la vérité, que le duc de Bourgogne, car les revenus de la France étaient bornés et la défense du royaume les absorba en entier pendant longtemps, Charles VII encouragea néanmoins les peintres, et les exempta de toutes tailles, subsides, guardes et guet.... Lorsque les grandes guerres avec l'Angleterre furent terminées, il fit représenter ses victoires dans la salle des gardes du palais de Fontainebleau. De leur côté, les grands seigneurs et les riches abbayes formèrent des galeries de tableaux. On sait l'impression profonde qu'avaient produite sur les populations du quinzième siècle les terribles scènes de la danse macabre ; l'imagination du peuple en fut à ce point préoccupée qu'on les fit représenter sur les murs mêmes des cimetières[28]. Parmi les peintres français de cette époque dont le nom est arrivé jusqu'à nous, malgré l'indifférence des contemporains à l'égard des plus grands artistes, figurent, outre Lichtemon et Henri de Vulcorp, qui étaient attachés, l'un à la maison de Charles VII, l'autre à celle de la reine[29], Guillaume Josse et Philippe de Foncières. On serait heureux de trouver la preuve que lés fresques si remarquables de la chapelle de Jacques Cœur, dans sa maison de Bourges, sont l'ouvrage de l'un d'eux ; mais le caractère de ces fresques les fait attribuer à quelque artiste italien. Si cette supposition est fondée, tout porte à croire que cet artiste devait être un élève de Fra Angelico. Vers 1449, le pape Nicolas V, reconnaissant envers Charles VII des services qu'il en avait reçus, voulut avoir son portrait et celui des négociateurs qui avaient particulièrement contribué à l'extinction du schisme. Peu confiant dans le talent des peintres français, Nicolas V envoya en France un artiste florentin, Pietro della Francesca, qui fit les portraits du roi et de divers personnages. Transportés à Rome, ces portraits furent placés au Vatican[30]. Enfin, un document contemporain constate que Jacques Cœur avait fait exécuter certains tableaux pains, qui avoient esté faiz pour l'estorement (la décoration) de la chapelle du grant hostel[31]. Mais ces tableaux n'existent plus, sans doute, et l'on ignore jusqu'à présent s'ils avaient été faits par un peintre français, ou par un artiste étranger.

Ainsi, aucun peintre français du quinzième siècle ne marqua sa place auprès des Van Eyck et des grands artistes de l'école italienne du même temps, tels que Fra Philippo Lippi, Andrea Mantegna et tant d'autres[32]. Le roi René d'Anjou eut, il est vrai, une passion vive pour la peinture ; par malheur, le goût des arts ne supplée pas le talent, et celles de ses œuvres qui sont restées annoncent qu'il avait plus de bonne volonté et de persévérance que de génie[33]. Les contemporains du roi René et les chroniqueurs provençaux le jugèrent, à la vérité, différemment. Un historien de Provence a dit de ce bon et excellent prince, roi populaire, même de son vivant, bien qu'il ait été malheureux dans toutes ses entreprises, mais peintre et poète médiocre, que sur toutes choses aimoit, et d'un amour passionné, la peinture, et l'avoit la nature doué d'une inclination tant excellente à ceste noble profession qu'il estoit en bruit et réputation entre les plus excellents peintres et enlumineurs de son temps, ainsi qu'on peut voir en plusieurs divers chefs-d'œuvre achevés de sa divine et royale main[34]...

Mais, si le roi René resta un artiste inférieur dans la grande peinture, on peut dire qu'il se distingua, sans y prendre néanmoins le premier rang, dans celle des manuscrits. Cette peinture, qui compte aussi ses chefs-d'œuvre, touchait quelquefois aux limites mêmes du domaine de l'art. Ses premiers essais en France- paraissent remonter à l'époque de l'invasion romaine. Plusieurs Bibles du huitième siècle sont ornées de miniatures. Au treizième siècle, ce genre de peinture s'agrandit et se perfectionna sous l'influence dés magnifiques verrières qui excitaient l'admiration publique. Les miniatures d'un psautier de saint Louis et d'un manuscrit du fameux roman du Saint-Graal, sont d'un style plein d'élégance[35]. Dans le courant du quatorzième siècle, Nicolas Flamel s'acquit une grande célébrité et commença sa fortune par la calligraphie et par la peinture des manuscrits[36]. Déjà la caricature commençait à se montrer ; plusieurs manuscrits de l'époque représentent des charivaris populaires très-curieux. Parmi les œuvres le plus magnifiquement enluminées durant le siècle suivant, figurent la traduction des Femmes illustres de Boccace, le Livre des demandes et réponses, où les personnages sont de véritables portraits d'un travail achevé, et plusieurs livres d'Heures ayant appartenu au duc Jean de Berry[37]. La bibliothèque de l'Arsenal, à Paris, possède un psautier enluminé par le roi René. Une des miniatures le représente occupé à peindre, entouré d'hommes et de femmes en habits de fête, et jouant de divers instruments. Elle porte en légende ces mots : Icy sont ceulx et celles qui ont fait le psaultier[38]. Mais autant Van Eyck avait dépassé les peintres qui l'avaient précédé, autant Jean Foucquet, de Tours, laissa derrière lui René et les autres enlumineurs du quinzième siècle. Et pourtant, on attribue à Jean Van Eyck lui-même les miniatures d'un manuscrit du roman de Renaud de Montauban[39]. Le musée d'Anvers possède un portrait allégorique d'Agnès Sorel, que l'on croit être de Jean Foucquet[40]. La célèbre favorite y est représentée, le sein gauche entièrement découvert, et entourée de dix petits enfants. Ce qui ajoute à l'étonnement, c'est que ce tableau avait été fait pour l'église de Melun, où il a figuré pendant plusieurs siècles[41]. Mais les titres sérieux et incontestables de Jean Foucquet à l'admiration se trouvent dans ses nombreuses miniatures, véritables chefs-d'œuvre où, sous le pinceau de l'habile peintre, tous les sujets prennent des proportions artistiques et deviennent autant de tableaux. Jean Foucquet enrichit notamment de ses dessins deux livres d'Heures restés célèbres, l'un pour la duchesse d'Orléans, l'autre pour Étienne Chevalier, conseiller de Charles VII et ami d'Agnès Sorel[42], un manuscrit de Tite-Live et un autre manuscrit de l'Antiquité des Juifs de Josèphe[43]. Quoique le faire de Foucquet, a dit un juge des plus compétents, le rapproche de l'école flamande, le style plus élevé de ses ouvrages et le goût de l'architecture qui s'y rencontrent prouvent qu'il a vu l'Italie[44], et qu'il a fait de ses monuments une étude attentive. Sa manière d'ajuster est large et vraie ; ses compositions sont ingénieuses et bien ordonnées ; il a plus de perspective aérienne et linéaire qu'aucun de ses devanciers, que pas un de ses contemporains et que beaucoup de ceux qui l'ont suivi. Enfin, l'entente du clair-obscur ne lui est pas inconnue, et l'on se croirait, avec lui, aux temps de Léon X et de François Ier, s'il n'avait conservé cette précieuse naïveté qui caractérise le moyen âge, et qui donne parfois du prix à l'ignorance même. Chez lui, tout marche à l'action sans effort, sans manière ; les ajustements sont saisis d'après nature ; rien dans les plis ne contrarie la forme et le mouvement ; les têtes fines et vraies d'expression sont d'une étonnante variété[45]. S'associant à ces éloges, d'autres écrivains ont loué le mouvement et la belle composition des dessins de Jean Foucquet, l'attitude naturelle, expressive, de ses personnages, le charme de son coloris[46]. Né, on le suppose du moins, vers 1415, Jean Foucquet fut successivement employé par Charles VII, et par Louis XI qui en fit son peintre officiel[47]. A partir de 1475, toute trace de lui disparaît[48]. Ainsi en était-il, d'ailleurs, de la plupart des grands artistes du moyen âge, architectes, sculpteurs, peintres-verriers. Ils venaient, ils couvraient la France de merveilleuses basiliques, que la plupart d'entre eux n'avaient même pas le bonheur de voir achever ; puis, leur mission remplie, ils mêlaient, soldats obscurs du progrès, leur poussière à celle des générations passées. Et ceux qui admirent aujourd'hui le peu que le temps a respecté de leurs œuvres, ne connaissent presque jamais le nom même des artistes de génie à qui la France en est redevable.

L'art musical en France, au quinzième siècle, ne saurait, il est inutile d'en faire la remarque, être apprécié d'après les règles et les exigences modernes. Est-il nécessaire d'ajouter que les œuvres les plus applaudies de notre temps n'impressionnent pas plus fortement les populations que ne le faisaient, il y a trois ou quatre cents ans, des mélodies dont l'étrangeté serait aujourd'hui le moindre défaut ? On a, d'ailleurs, la preuve que les compositeurs du douzième siècle étaient en possession des principaux éléments de l'harmonie, et que la tonalité de la musique appelée vulgaire, pour la distinguer de la musique religieuse, se rapprochait, en outre, beaucoup de la tonalité moderne. Au quatorzième siècle, l'auteur d'un Traité de déchant, Jean de Muris, posa plusieurs principes qui sont encore la règle fondamentale de la composition[49]. L'art du déchant avait déjà eu ses professeurs et ses écrivains célèbres. Les plus beaux chants chrétiens sont, au surplus, antérieurs à ces temps reculés. Il en est de même du plain-chant, dont la décadence' incontestée a été attribuée à l'influence que la musique vulgaire exerça sur les chants d'église. Le nouvel art, comme disaient les populations en parlant de ces airs vulgaires qui les ravissaient, obtint, particulièrement en France, le plus grand succès ; on suppose même qu'il y a pris naissance. Longtemps les deux musiques furent en lutte. On pratiqua-même, pendant de longues années, une fusion au moins étrange des deux genres. Par une bizarrerie des plus singulières, les compositeurs du moyen âge accouplaient deux mélodies différentes, mais d'un mouvement analogue, l'une sur des paroles latines, choisie parmi les antiennes ou autres chants ecclésiastiques, l'autre sur des paroles profanes. Trois airs différents étaient quelquefois ainsi réunis. Ces morceaux, qui furent à la mode jusqu'à la fin du quatorzième siècle, portaient le nom de motets[50]. D'un autre côté, pour détourner les fidèles des chansons profanes, les poètes chrétiens composèrent des hymnes auxquelles, plus d'une fois, ils adaptèrent des mélodies populaires. Destinées d'abord aux assemblées privées, ces mélodies ne furent admises dans les cérémonies du culte que lorsque le clergé eut obtenu des fidèles qu'ils s'abstiendraient d'accompagner les chants, comme c'était l'habitude, de sifflements, de hennissements, de bêlements, et autres accessoires de la même espèce[51].

Un compositeur célèbre, Adam de La Hale, résume le progrès musical qui s'accomplit en France dans le treizième siècle. Tour à tour trouvère, musicien et moine, Adam de La Hale avait composé, outre trois pièces de théâtre ou jeux avec musique[52], les paroles et la musique de trente-cinq chansons, de dix-sept pastourelles, de seize rondeaux à trois voix et de huit motets à deux et à trois parties. Le rondeau suivant donnera une idée du talent poétique d'Adam de La Hale et de ce qu'était la romance française au treizième siècle[53] :

Fines amourettes ai :

Dieus ! si ne sai quant les verrai !

Or manderai mamiette,

Qui est comte et joliette,

Et s'est si saverousette

C'astenir ne m'en porrai.

Fines amourettes ai :

Dieus ! si ne sai quant les verrai !

Et s'ele est de moi ençainte

Tost devenra pale et tainte ;

S'il en est escandèle et plainte

Deshonnerée l'arai.

Fines amourettes ai !

Dieus ! si ne sai quant les verrai !

Miex vaut que je m'en astiengne,

Et pour li joli me tiengne,

Et que de li me souviengne ;

Car s'onnour li garderai.

Fines amourettes ai :

Dieus ! si ne sai quant les verrai !

La musique purement instrumentale ne jouissait pas, au surplus, d'une moindre faveur que les chansons, les pastourelles, les rondeaux et les motets. On l'a vu plus haut, la salle à manger de la maison de Jacques Cœur avait une tribune pour les musiciens ; il en était de même dans tous les palais royaux et dans les châteaux des grands barons et des seigneurs. Au quatorzième siècle, Charles V avait une musique particulière pour ses appartements et ses repas. Et à l'exemple de David, dit un historien contemporain[54], instruments bas, pour resjoyr les esperis, si doulcement jouez comme la musique peut mesurer son, le Roy Charles oyoit volontiers à la fin de ses mangiers. Au quinzième siècle, on composa des messes entières, à plusieurs parties, sur des mélodies profanes dont les paroles étaient quelquefois fort libres. Il n'est pas certain, d'ailleurs, que le texte de ces paroles fût chanté, et la mélodie profane était peut-être seule exécutée par l'orgue ou par tout autre instrument d'accompagnement[55]. Ainsi, la musique vulgaire envahissait de plus en plus, en le dénaturant, le domaine de la musique religieuse. Vers la même époque, les chanteurs anglais jouirent pendant quelque temps d'une grande vogue. On les appela sur le continent pour les fêtes qui se donnaient à la cour de Bourgogne, et les Français s'étudièrent à les imiter. Un poète du temps a constaté ce fait :

Tu as bien les Anglois ouï

Jouer à la court de Bourgogne.

N'as pas certainement ouï

Fut-il jamais telle besogne.

J'ai vu Binchois avoir vergogne[56]...

Tapissier, Carmen, Cæsaris,

N'a pas longtemps si bien chantèrent

Qu'ils esbahirent tout Paris

Et tous ceulx qui les fréquentèrent...

Car ils ont nouvelle pratique

De faire frisque concordance

En haulte et en basse musique,

En feinte, en pause et en nuance.

Et ont pris de la contenance

Angloise, et ensuivy Dunstable :

Pourquoy merveilleuse plaisance

Rent leur chant joyeutx et notable[57].

Tapissier, Carmen, Cæsaris étaient donc les chanteurs français en vogue vers le milieu du quinzième siècle, et on les applaudissait surtout parce qu'ils imitaient l'Anglais Dunstable. Mais la musique n'avait pas seulement des interprètes payés. La classe moyenne, la bourgeoisie riche, la cultivaient aussi. La description de la maison de Jacques Duchié, bourgeois de Paris, en 1434, en fournit la preuve. D'après cette description, une salle était remplie de toutes manières d'instruments, harpes, orgues, vielles, guiternes, psalterions et autres, lesquels ledit maître Jacques Duchié savoit jouer de tous[58].

Si maintenant l'on examine l'état des lettres vers le milieu du quinzième siècle, on reconnaîtra sans peine que cette époque même de l'histoire littéraire de la France n'est pas indigne qu'on s'y arrête. Par une fatalité inouïe et unique peut-être dans l'histoire des peuples, la langue française avait eu à lutter pendant des siècles pour être tout à la fois écrite et parlée. Près de huit cents ans durant, elle fut en quelque sorte proscrite, soit par le clergé, soit par l'administration[59]. Malgré cette espèce d'ostracisme, quelques œuvres remarquables percèrent enfin les ténèbres des temps féodaux. A mesure que la nation se constituait, que la classe moyenne s'organisait, que les communes étaient rendues à la liberté, la langue se formait. Villehardouin, Joinville, Froissard, servirent tour à tour de modèles. En même temps, les chansons de geste et les romans de chevalerie charmaient les imaginations et contribuaient à l'adoucissement des mœurs et de la langue, à laquelle les masses seules avaient, en quelque sorte, travaillé jusqu'alors. Déjà, dès le douzième siècle, les romans étaient écrits en langue française et se complaisaient dans les descriptions les plus raffinées. Le Portrait suivant de la belle Iseult, extrait du célèbre roman de Tristan, par Luce de Gast, mérite d'être cité :

Ses biaus cheviaus resplendissent corne fil d'or. Ses frons sormonte la fleur de lis ; ses sourchis sont ploiés comme petits archonciaus, et une petite voie de lait dessoivre (sépare) parmi la ligne dou nez, et est si par mesure qu'il n'i a né plus né moins. Ses iex sormontent toutes esmeraudes, reluisant en son front corne deux estoiles. Sa face ensuit la bieauté du matinet, car il li est vermel et blanc ensemble, en tèle manière que l'une né l'autre ne resplendissent malement. Ses lèvres auques (quelque peu) espessètes et ardans de bèle color, et les dans plus blans que parles, et sont establis par ordène et par mesure. Mais nè panthère, nè espice mile ne puent estre comparés à la très douce aleine de sa bouche. Li menton est assès plus poli que n'est marbres. Lait doue color à son col et resplendit sur sa gorge. De ses droites espolles descendent deux bras grailles et lons et longues mains où la char est tendre et molle. Les dois drois et réons sur coi reluist la biauté des ongles. Son très doux pis est normé de deux pumes de paradis qui sont aussi comme masse de noif (neige). Et si est grailles en sa ceinture que l'on la porroit porprendre de ses mains. Mais je me tairai des autres parties desquelles li coraiges (le cœur) parole miex de (que) la langue[60].

Telle était la langue française au douzième siècle, telles étaient les fictions que les Italiens et d'autres peuples de l'Europe imitaient à l'envi. Deux siècles plus tard, l'imagination des trouvères français s'attiédit, et l'on se borna à traduire en prose les romans les plus populaires qui avaient paru en vers dans les siècles précédents : Les quatre fils Aymon, Charlemagne, Fierabras, Gérard de Nevers, Mélusine, Robert le Diable, etc. Enfin, au quinzième siècle, le chroniqueur Georges Chastelain composa le Chevaleureux comte d'Artois, Ferrant de Flandres, Beaudouin d'Avesne, Pierre de Rovena[61]. En même temps, le roi René écrivait l'Abusé en court, et Antoine de La Salle laissait couler de sa plume élégante et fine Jehan de Saintré, ce chef-d'œuvre de grâce, où l'on trouve cependant, en grand nombre, des pensées sévères, exprimées avec énergie et précision, comme celle-ci : Quand le riche sera mort, lui et ses biens seront partis (partagés), et premier, la chair sera donnée aux vers ; son or, son argent et ses bagues et tout ce qu'il a, à ses parents, et son âme aux dyables, se Dieu de sa grâce n'en a mercy[62].

Ce style, de même que celui des Cent nouvelles nouvelles, qui datent de la première moitié du quinzième siècle, annonce une langue bien près d'être formée. Antoine de La Salle fut le digne précurseur du grand historien Comines, son contemporain, et qu'il avait connu peut-être à la cour du duc de Bourgogne, pendant l'exil volontaire du dauphin. Là langue ne manquait donc pas aux grands écrivains ; mais le défaut général de culture et la rudesse des esprits retenaient en quelque sorte captif le génie littéraire de la nation[63]. Deux auteurs célèbres, Christine de Pisan et Alain Chartier, avaient d'ailleurs précédé, dans le quinzième siècle, Antoine de La Salle, qu'ils dépassèrent de beaucoup, sinon en talent, du moins en popularité. La première, Christine de Pisan, était d'origine italienne. Élevée à la cour de France sous le règne de Charles V, dont son père, Thomas de Pisan, né à Bologne, était astrologue, Christine pouvait lire, et avait lu dans leur langue même, les poètes grecs et latins, tous les historiens de l'antiquité, les Pères de l'Église. Veuve à trente-sept ans, sans fortune et stimulée par la nécessité, Christine de Pisan composa, en quinze années, plus de vingt ouvrages, dont la moitié seulement était en prose. Les autres, au nombre de dix, rie renfermaient pas moins de vingt-cinq mille vers[64]. L'histoire, en prose, de Charles V, est le seul de ces Ouvrages qui ait survécu à l'engouement des contemporains. Des pensées généreuses, des sentiments patriotiques, des lamentations emphatiques, mais partant d'un cœur ému par les malheurs de la France, recommandent seuls aujourd'hui les écrits de Christine de Pisan. D'ailleurs, nulle originalité, ni dans la pensée, ni dans la forme. Au lieu de cela, une abondance, une prolixité poussées à l'excès. Loin de progresser, l'art du récit et la langue française elle-même avaient, grâce aux défauts littéraires de Christine, sensiblement reculé[65].

Alain Chartier avait commencé à écrire vers le temps où Christine achevait ses derniers ouvrages. Secrétaire de Charles VI, et plus tard de son fils, il s'exprima néanmoins avec une mâle franchise sur les vices des cours et sur les malheurs de la France. Il y a de l'emphase dans son style, mais la phrase est plus ferme, plus arrêtée que celle de Christine. Les plaintes suivantes qu'inspirèrent à Alain Chartier les exactions et les violences commises par les compagnies de routiers et les gens de guerre ne manquent ni de vigueur dans la pensée, ni de netteté dans la forme, qui rappelle visiblement, en quelques endroits, celle des anciens auteurs latins. Ces plaintes justifient l'enthousiasme de la charmante et malheureuse Marguerite d'Écosse pour lui, et la font aimer davantage. ()n a lu plus haut le récit détaillé de ces exactions et de ces violences ; le tableau qu'en trace Alain Chartier prouverait, au besoin, que ce récit n'a rien d'exagéré. Foulé, opprimé, pillé par tous les partis, le peuple s'adresse à un personnage figuré que l'auteur met très-heureusement en scène, à la France : Labour, lui dit-il, a perdu son espérance, marchandise ne trouve chemin qui la puisse seurement adresser. Tout est proye, ce que l'espée et glaive ne deffend. Ne je n'ay autre espérance en ma vie, sinon par désespoir laissier mon estat pour faire corne ceulx que ma despouille enrichist, qui plus ayment la proye que l'onneur de la guerre. Que appelé-je guerre ? ce n'est pas guerre qui en ce royaulme se maille ; c'est une privée robberie, ung larrecin habandonné (livré à lui-même), force publique soubz umbre d'armes et violente rapine, que faulte de bonne justice et de bonne ordonnance ont fait estre loisibles. Les armes sont criées et les estendars levez contre les ennemis ; mais les exploitz sont contre moy, à la destruction de ma povre substance et de ma misérable vie. Regarde, Mère, et avise bien ma très langoureuse affliction, et tu cognoitras que tous réfuges me défaillent. Les champs n'ont plus de franchise pour moy administrer seure demeure, et je n'ay plus de quoy les cultiver, ne fournir pour y recueillir le fruict de Ma nourriture. Tout est en autruy main acquis, ce que force de murs et de fossez n'environne[66].

Pendant que l'art du récit donnait ainsi par intervalles, en attendant Comines, dont le temps approchait, des signes de vigueur ou d'originalité dans Villehardouin, Joinville, Froissart et Antoine de La Salle[67], la littérature dramatique, si l'on peut donner ce nom aux essais informes appelés mystères et sotties, portait encore, au milieu du quinzième siècle, le cachet des sociétés primitives, et, il faut bien l'avouer, de la barbarie. Comment est-il arrivé que l'art, dont le but principal, on pourrait dire unique, est de représenter aux hommes les scènes mêmes de la vie, et qui, par cela même, semblerait avoir le moins besoin de modèles écrits, se soit traîné tant de siècles sans jeter un seul éclair ? On cherche, mais en vain, les causes de cette anomalie, qui est peut-être d'ailleurs un effet du hasard. Parmi les chansons de geste, les romans et les chroniques qui ont vu le jour du treizième au seizième siècle, il en est dont la lecture offre des beautés véritables et qui charment encore l'esprit[68]. Seuls, les mystères présentent une succession ininterrompue de pensées toujours vulgaires, souvent triviales ou obscènes, formulées dans un langage qu'on dirait le produit de l'improvisation. Telle était la littérature dramatique en France au treizième siècle, temps auquel paraissent remonter les premières représentations théâtrales. On a vu que le moine Adam de Hale avait composé, à cette époque, trois pièces ou jeux, accompagnés d'une musique dont il était aussi l'auteur. Un de ses contemporains, Jean Bodiaus, d'Arras, fit représenter, sous le titre de Li jus de saint Nicolai, un drame dont le sujet était un roi d'Afrique converti au christianisme par les croisés mêmes qu'il avait vaincus[69]. Environ un siècle après, vers 1380, parut le célèbre Mystère de la Passion, qu'une confrérie spéciale fut, un peu plus tard, autorisée à jouer en percevant une rétribution fixée à 2 sous par personne[70]. Parmi les passages les plus remarqués de ce mystère, celui qui suit a été principalement cité. La Vierge supplie Jésus de fuir la mort que ses ennemis lui préparent, ou tout au moins d'en diminuer l'horreur.

LA VIERGE.

Au moins veuillez de vostre grâce

Mourir de mort brefve et légère.

JÉSUS.

Je mourrai de mort très amère.

LA VIERGE.

Doncques, bien loin, s'il est permis.

JÉSUS.

Au milieu de tous mes amis.

LA VIERGE.

Soit de nuict, je vous pry.

JÉSUS.

Non : en pleine heure de midy.

LA VIERGE.

Mourez donc comme les barons.

JÉSUS.

Je mourrai entre deux larrons.

LA VIERGE.

Que ce soit sur terre et sans voix.

JÉSUS.

Ce sera hault pendu en croix.

LA VIERGE.

Attendez l'âge de vieillesse.

JÉSUS.

En la force de la jeunesse.

LA VIERGE.

Ne soit vostre sang respandu !

JÉSUS.

Je serai tiré et tendu,

Tant qu'on nombrera tous mes os...

Puis perceront mes pieds, mes mains,

Et me feront playes très grandes...

LA VIERGE.

A mes maternelles demandes

Ne donnez que responses dures.

JÉSUS.

Accomplir fault les escriptures.

Le succès du Mystère de la Passion donna naissance à une quantité considérable de mystères et de miracles. Vers latin du quatorzième siècle, il en parut un très-grand nombre. Chaque localité un peu importante voulut sans doute faire jouer le sien. Le titre seul de quelques-unes de ces pièces suffira pour donner une idée des sentiments qui y étaient exprimés et de la culture des esprits pour lesquels elles étaient faites[71]. Parmi les mystères, .ceux qui qui obtinrent le plus grand succès furent ceux de Griselidis, de la Conception, de Sainte-Catherine. La description d'une représentation du Mystère de Sainte-Catherine, qui eut lieu à Metz en 1434, fait connaître quelques-unes des particularités ordinaires de ces sortes de fêtes. La représentation dura trois jours. Et fust, dit un témoin oculaire, Jean Didier, ung notaire, Sainte-Catherine[72]. Cette représentation produisit sans doute une vive impression, car en 1437 les habitants de Metz firent élever, dans une plaine voisine de la ville, un nouveau théâtre, à neuf étages, sur lequel on joua le Mystère toujours en vogue, celui de la Passion. Et fut Dieu, dit-le même chroniqueur, un sire appelé seigneur Nicolle, lequel estoit curé de Sainct-Victour de Metz, lequel fut presque mort en la croix s'il n'avoit esté secouru, et convint que un autre prestre fut mis à la croix pour parfaire le personnage dou crucifiement pour ce jour ; et le lendemain le dict curé de Sainct-Victour parfit la résurrection ; et fit très haultement son personnage et dura le dit jeu. Et un autre prestre qui s'appeloit messire Jean de Nicey fut Judas, lequel fut presque mort en pendant, car le cueur lui faillit, et fut bien hativement despendu et porté en voye. Et estoit la bouche d'Enfer très bien-faite, car elle ouvroit et clooit quant les Diables y vouloient entrer et issir[73]. La bouche d'enfer supposait d'ordinaire un purgatoire. Un auteur contemporain a fait de ce dernier, tel qu'il était représenté sur les théâtres du moyen âge, le tableau suivant : Notez que la limbe doit estre une habitation en la fasson d'une grosse tour quarrée, environnée de retz et de filetz ou d'autre chose clère, afin que parmi les assistans on puisse voir les ames qui y seront. Et derrière la dicte tour, e ung entretien, doit avoir plusieurs gens crians et gullans horriblement tous à une voix ensemble, et l'ung deux qui aura bonne voix et grosse parlera pour luy et les aultres ames damnées de sa compaignie[74].

Après le Mystère de la Passion, celui des Actes des Apôtres excita particulièrement l'enthousiasme, vers le milieu du quinzième siècle. A la même époque, Arnoul Greban composait sur le sujet toujours populaire de la Passion un nouveau mystère qui renfermait une sorte d'idylle sans aucun lien avec le sujet, niais empreinte d'une certaine naïveté, pleine en même temps d'affectation. La scène, qui est d'ailleurs tout à fait épisodique, se passe entre deux pastoureaux, Aloris et Pellion[75].

ALORIS.

Il tait assez doulce saison

Pour pastoureaux, la Dieu mercy.

PELLION.

Rester ne pourroye en maison

Et voire ce joyeux temps-ci.

ALORIS.

Fy de richesse et de soucy !

Il n'est vie si bien nourrie

Qui vaille estat de pastourie.

PELLION.

On parle de grant seigneurie,

 Est-il liesse plus série

Que de regarder ces beaux champs

Et ces doulx agnelets paissans

Saultant à la belle prairie ?

On avait composé en 1395 un drame tiré d'un conte de Boccace, Griselidis ; mais la vogue était sans doute restée aux sujets empruntés à l'histoire de la religion. Un demi-siècle après, Jacques Milet, de Paris, fit une nouvelle tentative dans cette voie ; il écrivit un drame profane dont le sujet était La destruction de Troye la Grande et qui ne comptait pas moins de quarante mille vers. Sans doute, la représentation d'une pareille pièce devait durer près d'une semaine. Au surplus, on l'a fait observer avec raison, ce même défaut de génie, cette grossièreté que rien ne rachète, cette froideur dans l'absurdité, qui déparent les Mystères, s'attachent à tous les autres drames sérieux de la même époque[76].

On a déjà pu juger par quelques extraits de l'état de la poésie au quatorzième siècle, et l'on a vu aussi quels étaient les sentiments qu'elle exprimait avec le plus de bonheur. Soit que l'esprit national s'accommodât mieux de la satire, soit qu'elle fût la conséquence de l'état de la société et du malheur des temps, il est constant qu'elle occupe une grande place dans la littérature de cette époque. Un poète, entre autres, Eustache Deschamps, bailli de Senlis, qui fut maître d'hôtel de Louis d'Orléans, et vécut à la cour jusqu'en 1422, époque de sa mort composa, vers la fin du quatorzième siècle, de nombreuses poésies dans lesquelles brille un sentiment profond et énergique des misères de la patrie. Une ballade, allégorique d'Eustache Deschamps est principalement remarquable. Elle est dirigée contre les seigneurs qui pressuraient le peuplé. L'allégorie en est, on va le voir, des plus transparentes. On trouverait peut-être difficilement une satire plus violente et plus amère des exactions dont la population des campagnes avait particulièrement à Souffrir. Enfin, les doubles fonctions dont Eustache Deschamps était revêtu donnent à sa ballade un caractère plus significatif.

En une grant fourest et lée (large)

N'a guéres que je cheminoyc,

Où j'ay mainte 'teste trouvée ;

Mais en un grant parc regardoye,

Ours, lyons et liépars veoye,

Loups et renars qui vont disant

Au povre bestail qui s'effroye :

Sà, de l'argent ; sà, de l'argent.

La brebis s'est agenouillée,

Qui a respondu comme coye :

J'ay esté quatre fois plumée

Cest-an cy ; point n'ay de monnoye.

Le buef et la vache là ploye ;

Là se complaingnoit la jument ;

Mais on leur respond toutevoye :

Sà, de l'argent ; sà, de l'argent.

Où fut tel paroule trouvée

De bestes, trop me merveilloye.

La chiévre dit lors : Ceste année

Nous fera moult petit de, joye.

La moisson où je m'attendoye,

Se destruit par ne sçay quel gent ;

Merci, pour Dieu, et va ta voye !

— Sà, de l'argent ; sà, de l'argent.

La truie qui fut désespérée, Dist :

Il faut que truande soye

Et mes cochons ; je n'ay derrée (denrée)

Pour faire argent, — Vien de ta soye,

Dist li loups ; car où que je soye

Le bestail fault estre indigent.

Jamais pitié de toy n'auroye :

Sà, de l'argent ; sa de l'argent.

Quant cette raison fut fluée,

Dont forment (grandement) esbahis estoye,

Vint à moi une blanche fée

Qui au droit chemin me ravoye

En disant : Se dieux me doint joye,

Ces bestes vont à Court souvent ;

S'ont ce mot retenu sans joye :

Sà, de l'argent ; sà, de l'argent[77].

Il y a dans ce dernier vers et dans la manière même dont Eustache Deschamps le ramène, quelque chose de farouche et d'impitoyable qui devait faire frissonner les malheureux à chaque instant menacés de voir la fiction du poète devenir une réalité.

Mais le caractère d'une nation ne s'efface jamais en entier, même au milieu des plus grandes crises. Vers l'époque où la muse populaire d'Eustache Deschamps gémissait sur la patrie envahie, sur les brigandages des compagnies franches, sur l'insatiable avidité des seigneurs, un ouvrier normand, Olivier Basselin, trouvait., en chantant les douceurs de la bouteille, les formes les plus poétiques, les rythmes les plus sonores et les plus éclatants de notre langue.

Beau nez, dont les rubis ont coûté mainte pippe

De vin blanc et clairet,

Et du quel la couleur richement participe

Du rouge et violet ;

Gros nez ! qui te regarde à travers un grant verre

Te juge encor plus beau :

Tu ne ressembles point au nez de quelque herre

Qui ne boit que de l'eau.

Ayant le doz au feu et le ventre à la table,

Estant parmi les pots et le vin délectable,

Ainsi comme un poulet,

Je ne me laisserai mourir de la pépie,

Quant en devrai avoir la face cramoisie

Et le nez violet.

 

Le cliquetis que rame est celui des bouteilles !

Les pippes, les bereaux pleins de liqueurs vermeilles,

Ce sont mes gros canons qui battent, sans faillir,

La soif qui est le fort que je vueil assaillir.

Je trouve, quant à moy, que les gens sont bien bestes,

Qui ne se font plus tost au vin rompre les testes

Qu'aux coups de coutelas, en cherchant du renom :

Que leur chanlt, estant mort, que l'on en parle ou non ?

Il vaut bien mieux cacher son nez dans un grain verre,

Il est mieux assuré qu'en ung casque de guerre :

Pour cornette ou guidon suivre plustot on doibt

Les branches d'hierre ou d'if qui montrent où l'on boit[78].

Dans la première moitié du quinzième siècle, Charles d'Orléans mérita de compter au nombre des poètes les plus renommés de son temps, et il éclipsa Christine de Pisan et Main Chartier. Les poésies de Charles d'Orléans ne brillent ni par la vigueur de la pensée, l'éclat de la forme, mais par une certaine grâce, bien qu'à celle-ci se mêle souvent une grande dose d'affectation. Les rondeaux suivants, choisis parmi les meilleurs dans le grand nombre de ceux qu'il a composés, suffiront pour faire connaître cette poésie de cour, dont le défaut principal était l'absence d'originalité et d'inspiration.

Tiegne soy d'amer qui pourra,

Plus ne m'en pourroye tenir ;

Amoureux me faut devenir,

Je ne scay qu'il m'en adviendra.

Combien que j'ay oy de pieça

Qu'en amours faut maints maulx souffrir,

Tiegne soy d'amer qui pourra,

Plus ne m'en pourroye tenir.

Mon cœur devant hier accointa

Beauté qui tant la scet chérir

Que d'elle ne veut départir.

C'est fait, il est sien et sera ;

Tiegne soy d'amer qui pourra,

Plus ne m'en pourroye tenir.

 

Allez-vous en, allez, allez,

Soussy et mérancolie ;

Me cuidez-vous toute la vie

Gouverner comme fait avez.

Je vous promets que non ferez

Raison aura sur vous maistrie ;

Allez-vous en, allez, allez.

Si jamais plus vous retournez

Avec que votre compagnie

Je prie à Dieu qu'il vous maudie

Et ce jour que vous reviendrez

Allez-vous en, allez, allez.

 

Les fourriers d'Esté sont venus

Pour appareiller son logis

Et ont fait tendre ses tapis

De fleurs et verdure tissus.

En estendant tappis velus

De vert herbe par le païs,

Les fourriers d'Esté sont venus

Pour appareiller son logis.

Cueurs d'ennuis piéça morfondus

Dieu mercy, sont sains et jolis ;

Allez-vous en, prenez païs

Yver ; vous ne demourrez plus.

Les fourriers d'Esté sont venus.

 

Le Tems a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluye ;

Et s'est vestu de broderie

De soleil luisant, cler et beau.

Il n'y a beste, ni oyseau

Qu'en son jargon ne chante ou crie :

Le Tems a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluye.

Rivière, fontaine et ruisseau

Portent en livrée jolie

Gouttes d'argent d'orfavrerie ;

Chascun s'habille de nouveau ;

Le Tems a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluye.

Le véritable poète du quinzième siècle et du moyen âge fut Villon. Né en 1431 de parents sans fortune, livré de bonne heure à lui-même, entraîné fatalement dans le désordre, Villon y marcha à si grands pas, qu'il devint en peu de temps escroc, voleur, et n'échappa au gibet que par suite du résultat inattendu d'un appel en parlement. Mais quels que fussent les excès où de mauvais compagnons, la misère et la faim le jetaient, Villon resta toujours ce qu'il était, un grand poète. Sous les verrous, en face de la mort, il fit des vers d'une beauté vraiment originale par la pensée et par l'expression, mélancoliques et railleurs tout à la fois, mais d'une mélancolie et d'une raillerie profondes. Cet homme, que de funestes exemples avaient perverti, raconta dans le langage le plus touchant, le plus élevé, la misère de sa famille, les torts de ses jeunes années, les fautes de sa.vie.

Pauvre je suis dès ma jeunesse,

De pauvre et de petite extrace ;

Mon père n'eut oncq'grant richesse,

Ne son ayeul nommé Erace.

Pauvreté tous nous suyt et trace ;

Sur les tombeaulx de mes ancêtres

(Les ames desquels Dieu embrasse)

On ne voit couronnes ne sceptres...

Hé Dieu ! si j'eusse estudié

Au temps de ma jeunesse folle,

Et à bonnes mœurs dédié,

J'eusse maison et couche molle.

Mais quoy ? Je fuyois l'escole,

Comme fait le mauvais enfant.

En ecrivant ceste parole,

A peu que le cueur ne me fend...

Où sont les gracieux gallans...

Que je suivoye au temps jadis

Si bien chantans, si bien parlans,

Si plaisans en faite et en dicts ?

Les aucuns sont morts et roydiz,

D'eulx n'est-il plus rien maintenant ;

Repos ayent en Paradis,

Et Dieu saulve le rentenant...

Et les aucuns sont devenus

Dieu merci, grands seigneurs et maistres,

Les autres mendient tout nuds

Et pain ne voyent qu'aux fenestres...

... Mais aux pauvres qui n'ont de quoy,

Comme moi, Dieu doint patience...

... Si Dieu m'eust donné rencontrer

Ung autre piteux Alexandre

Qui m'eust faict en bon heur entrer ;

Et puis qu'il m'eust vu condescendre

A mal ; estre ars et mis en cendre,

Jugé me fusse de ma voix.

Nécessité fait gens mesprendre,

Et faim saillir le loup des bois.

... Mon père est mort,

Dieu en ayt l'ame,

Quant est du corps, il gist soubz lame (la pierre) ;

J'entends que ma mère mourra,

Et le scait bien la pauvre femme,

Et le fils pas ne demourra.

Quiconque meurt, meurt à douleur ;

Celuy qui perd vent et haleine

Son fiel se crève sur son cœur ;

Puis sent, Dieu scait quelle sueur !

Et n'est qui de ses maux l'allége ;

Car enfans n'a frère ni sœur

Qui lors voulsist estre son pleige (sa caution).

La mort le fait frémir, pallir,

Le nez courber, les veines tendre,

Le col enfler, la chair mollir,

Joinctes et nerfs croistre et estendre,

Corps féminin, qui tant es tendre,

Polli, souef et gracieux,

Te faudra-t-il ces maux attendre ?

Oui ; ou tout vif aller ès cieulx...

... Quand je considère ces testes

Entassées en ces charniers,

Tous furent maistres des requestes,

Ou tous de la chambre aux deniers,

Ou tous furent porte-paniers.

Autant puis l'un que l'autre dire :

Car d'évêques ou lanterniers,

Je n'y cognois rien à redire.

Et icelles qui s'inclinoient

Unes contre autres en leurs vies,

Desquelles les unes régnoient

Des autres craintes et servies.

Là les vois toutes assouvies

Ensemble en un tas pêle-mêle,

Seigneuries leur sont ravies :

Clerc ou maîtres ne s'y appelle...

Telle était la poésie française au milieu même du quinzième siècle. Pour la profondeur et la vérité saisissante des images, ces dernières strophes de Villon n'ont jamais été égalées en France. Cette poésie, on l'a dit avec raison, rappelle tout à la fois Shakespeare qui ne parut qu'un siècle après, et Bossuet dans quelques-unes de ces magnifiques apostrophes qu'il adressait aux grands[79]. Hardi, éloquent, coloré[80], Villon, de même que Villehardouin, Joinville, et que l'historien Comines son contemporain, avait échappé complètement l'influence des littératures anciennes, et il dut à ce bonheur la vivacité originale de ses expressions, la personnalité de ses pensées. Ainsi, au moment même où la société féodale se disloquait, grâce à l'action des réformes de Charles VII et aux coups que lui portait Louis XI, la société nouvelle rencontrait à la fois dans le même homme un hardi réformateur de la langue et un grand poète[81].

Pendant que Villon exprimait, dans ce langage si simple et si poétique en même temps, les grandes et profondes pensées que l'école du malheur lui avait sans doute inspirées, des médecins et des jurisconsultes célèbres étendaient par leurs observations et par leurs écrits l'influence de la France sur les royaumes voisins. Sous Charles VI, un moine de de Lérins en Provence, Hermentaire, avait composé une description des herbes, des plantes, des fleurs, des fruits et des animaux de toute espèce. D'autres descriptions succédèrent à celle-là et la médecine dut y trouver, à mesure qu'elles se perfectionnèrent, un auxiliaire utile. Dès 1396, des lettres patentes du roi reconnaissaient que la source et l'origine de la science de médecine se trouvaient à Montpellier, par-dessus toutes les autres écoles. — Nous et nos prédécesseurs et tous les princes, ajoutait Charles VI, avons toujours pris des docteurs de cette ville pour nos médecins, à cause de leur science et grande expérience. Adam Fumée, premier médecin de Charles VII et Dieudonné Bassole, son médecin ordinaire, étaient docteurs de la faculté de Montpellier. C'était à elle également que les papes et les princes étrangers recouraient pour avoir des médecins[82]. Parmi les jurisconsultes, Jean Boutillier, l'auteur justement estimé de la Somme rurale, Jean Lefèvre, Guillaume Coquille, aïeul de ce Gui Coquille qui devint célèbre sous Louis XI, contribuèrent particulièrement par leurs travaux aux grandes ordonnances de Charles VII pour la réformation de la justice. Guillaume Benedicti à Toulouse, Étienne Bertrandi à Grenoble, illustrèrent aussi la magistrature française sous Charles VII. Étienne Bertrandi était né à Carpentras. Il fut, a-t-on dit, l'honneur de sa ville natale et la lumière de son temps. Le plus grand jurisconsulte du siècle suivant confirma cet éloge. Étienne Bertrandi, a dit Dumoulin, était aussi honnête que savant. Ne répondant jamais en faveur des consultants, mais du bon droit, il ne se servait point de raisons et autorités captieuses tirées des lois, mais il avait toujours l'équité devant les yeux comme un flambeau qui l'éclairait 2[83].

Au milieu de ce progrès, à peu près général, des arts, des lettres et des sciences, l'éloquence civile et l'éloquence de la chaire restaient stationnaires. Jean Gerson, Nicolas de Clémanges, Alain Chartier, Juvénal des Ursins, ont, à la vérité, laissé quelques discours remarquables, mais très-déclamatoires. Quant aux prédicateurs, la plupart étaient dépourvus de goût et d'instruction ; les autres faisaient leur principale étude de la scolastique. Jean Petit, Jacques Le Grant, Olivier Maillard, Menot, Méssuyer furent les principaux prédicateurs du quinzième siècle. Agressifs, violents, se complaisant dans les images les plus bizarres, faisant du vice des descriptions dangereuses pour la jeunesse et les âmes pures, citant l'Écriture à contre-sens et sans discernement, mêlés aux passions politiques et les excitant au lieu de les calmer, tels étaient la plupart des prédicateurs en France, vers les dernières li mites du moyen âge ; tels on les vit d'ailleurs encore vers la fin même du siècle suivant[84].

Cependant, une invention destinée à renouveler en quelques siècles la face du monde venait de se produire. En 1423, un peu plus tôt peut-être, une estampe représentant saint Christophe avait été gravée sur bois[85]. Des savants distingués pensent d'ailleurs que la gravure des cartes à louer avait conduit à celle des images de saints, qui avait elle-même donné l'idée de la gravure des inscriptions ou légendes, d'où serait née l'imprimerie[86]. Quoi qu'il en soit, trois compagnons allemands, Schœffer, Guttenberg et Faust, avaient, vers 1435, découvert l'art de l'imprimerie en caractères mobiles. Après quelques années d'essais et d'ébauches, en 1455, l'imprimerie mit en circulation son premier chef-d'œuvre, la Bible. Trois ans auparavant, un artiste florentin, Maso Finiguerra, avait trouvé l'art de la gravure en creux sur métal. La France, au surplus, ne restait pas en arrière dans ce grand mouvement artistique du quinzième siècle. Vers 1450, un Français, Bernard Milnet, gravait sur bois une Vierge avec l'Enfant Jésus, un Saint-Bernard et plusieurs autres sujets[87]. De son côté, Charles VII songeait à introduire l'imprimerie dans ses États. Un manuscrit contemporain raconte à ce sujet l'anecdote suivante qui se rapporte à l'année 1458. Ayant sçu qu'il y avoit à Mayence gens adroits à la taille des poinçons et caractères, au moyen desquels se pouvoient multiplier par l'impression les plus rares manuscrits, le Roy, curieux de telles choses et autres, manda aux généraux de ses monnoies d'y dépescher personnes entendues à la dite taille, pour s'informer secrètement de l'art, en enlever subtilement l'invention ; on envoya Nicolas Jenson, un de ses graveurs de la Monnoie de Paris. Par malheur, lorsque, trois ans après, Nicolas Jenson revint de sa mission, Charles VII était mort, et c'est à Louis XI que revient l'honneur d'avoir autorisé et encouragé l'établissement de l'imprimerie en France[88].

Pendant que l'invention de l'imprimerie agrandissait le domaine de la pensée, de hardis navigateurs reculaient les bornes du monde connu. De leur côté, les imaginations allant encore plus loin que la réalité, ne rêvaient que pays merveilleux et séjours enchantés. Les noms donnés aux terres nouvelles témoignent des préoccupations et des espérances du temps ; c'étaient les lies fortunées, la Rivière d'or, la Coste d'or. Au treizième siècle, un noble Génois, Lancelot Maloisel, avait découvert les Canaries. Dans le courant du siècle suivant, les Génois, les Espagnols, les Dieppois, les Portugais avaient fait diverses excursions sur les côtes d'Afrique. Dès le milieu de ce siècle, les îles Canaries et le cap de Bojador commencèrent à figurer sur les grandes cartes géographiques des peuples maritimes de la Méditerranée[89]. Vingt-cinq ans après, un Français né en Normandie, Nicolas Oresme, évêque de Lisieux, composa un Traité de la sphère, qui est resté l'un des monuments cosmographiques de l'époque. Suivant toutes les apparences, le traité de Nicolas Oresme dut être souvent consulté par les navigateurs dieppois[90]. Déjà, en 1364, ceux-ci avaient reconnu les Canaries, le cap Vert, Sierra-Leone. Après un voyage de six mois, ils revinrent en France avec un chargement considérable de poivre et d'ivoire. La quantité d'yvoire qu'ils apportèrent de ces costes, dit un voyageur du dix-septième siècle[91], donna cœur aux Dieppois d'y travailler, qui, depuis ce temps, ont si bien réussi qu'aujourd'hui ils se peuvent vanter d'estre les meilleurs tourneurs du monde, en fait d'yvoire. De nouveaux voyages firent suite à celui-là. Le plus célèbre fut celui du baron normand Jean de Béthencourt, seigneur de Grainville-la-Taincturière. Parti de Dieppe, au mois d'avril 1402, Jean de Béthencourt relâcha à la Rochelle pour compléter son équipage. Le 1er mai suivant, il remit à la voile pour venir, dit une chronique contemporaine, ès parties de Canare, veoir et visiter tout le païs, en espérance de conquérir les filles et mestre les gens à la foy crestienne. Mais les marins gascons que Jean de Béthencourt avait recrutés en route s'effrayèrent bientôt des dangers de l'entreprise. Arrivés à Cadix, ils demandèrent à débarquer. Les maroniers, dit la même chronique[92], meus de malves courages, descouragèrent tellement toute la compagnie, en disant que ilz avoient pou de vivres et que on les menoit mourir, que de quatre oings personnes n'en demoura que chinquante-trois. Monseigneur de Béthencourt s'en revint à la nef, et avecques aussi peu de gentz qui leur demourèrent, prindrent leur volage. Jean de Béthencourt s'empara successivement, mais non sans avoir eu des luttes très-vives à soutenir avec les naturels, des diverses îles formant le groupe des Canaries, et en fut déclaré roi. Vingt-trois ans après son premier départ pour les terres qu'il avait conquises, il revint en Europe, visita Rome, Florence, Paris, tomba malade dans son château de Grainville et y mourut[93]. Cependant, le bruit de ces entreprises s'était partout répandu. Dès 1419, les Portugais commencèrent cette série de découvertes qui devaient étendre leur nom et leur domination dans toutes les mers. Sous la féconde influence de l'Infant don Henrique, les expéditions maritimes de ce pays se succédèrent sans interruption. La découverte de Porto-Santo eut lieu en 1419, celle de Madère un an après. Reconnues une première fois dans le courant du quatorzième siècle, les Açores furent retrouvées par des marins portugais, vers 1431[94]. A peu près vers la même époque, une école, longtemps célèbre, d'hydrographie et de cosmographie, était fondée à Dieppe, où l'art de fabriquer les boussoles était depuis longtemps pratiqué avec un succès qu'attestaient les préférences de tous les autres ports français[95].

Telle était donc, en France, vers le milieu du quinzième siècle, la situation des arts, des lettres et des connaissances géographiques. L'architecture ogivale était, on l'a vu, dans une voie de décadence marquée ; toutefois, bien qu'à son déclin, elle élevait des églises, des châteaux et des maisons que les générations actuelles admirent encore. Cette architecture avait eu, au surplus, trois siècles de splendeur pendant lesquels elle avait couvert la France et l'Allemagne d'œuvres impérissables, tandis 'élue celle qui lui a succédé n'a pas duré cent ans. La peinture française ne s'était pas encore, à la vérité, révélée par quelqu'une de ces œuvres sur lesquelles se fixe l'attention des siècles ; mais la peinture flamande et la peinture italienne avaient déjà pris leur essor et elles s'élevaient, presque sans tâtonnement, à l'idéal même de l'art. Vers le commencement du même siècle, un livre immortel, reflet fidèle des misères et des douleurs à e ces temps malheureux, Imitation de Jésus-Christ, avait été donné au monde pour lui apprendre à souffrir, à espérer. Dans les lettres, trois grands écrivains célèbres à divers titres, Antoine de La Salle, Villon et Comines éclairèrent d'un sillon lumineux la seconde partie de ce siècle. Enfin, l'invention de la gravure, de l'imprimerie, et, vers le même temps, la découverte du cap Vert, des Canaries, des Açores, de Madère, de la Guinée, prélude d'autres découvertes plus importantes, enflammaient les imaginations et ouvraient de tous côtés aux esprits intelligents des horizons nouveaux.

Vers le moment auquel nous nous sommes arrêtés, c'est-à-dire en 1451, Jacques Cœur, à peine âgé de cinquante ans, était arrivé au plus haut degré de fortune que l'ambition la plus haute puisse rêver dans une monarchie. Nommé plusieurs fois ambassadeur, favorisé, il le croyait du moins, de toute la confiance du roi à qui il prêtait l'argent nécessaire pour reconquérir une partie du royaume, possesseur de nombreux châteaux et de terres immenses, absorbant à lui seul presque tout le commerce intérieur et extérieur, rivalisant, par ses expéditions dans la Méditerranée, avec les Génois et les Catalans, une seule gloire semblait lui manquer, c'était d'avoir, comme les Dieppois.et les Portugais, découvert dans l'Océan quelque terre nouvelle et agrandi la domination de la France. Qui sait, d'ailleurs, si cet esprit infatigable et toujours à la recherche des vastes entreprises ne méditait pas quelques expéditions dans les mers lointaines ? Qui peut dire, en outre, les églises et les châteaux qu'il aurait encore fait construire ; les talents de toute sorte qu'il aurait fécondés ?

Mais ces projets, car tout porte à croire que Jacques Cœur en avait formé de pareils, ne devaient pas se réaliser. Un redoublement de faveur aurait dû l'avertir que les jours de sa prospérité touchaient à leur terme. Peu à peu, l'ingrat Charles VII s'était laissé circonvenir par les ennemis de son argentier, et les choses en étaient arrivées à ce point, qu'on ne cherchait plus qu'un prétexte, quelque absurde qu'il fiât, pour le perdre. Dans de telles dispositions, ce prétexte, cela va sans dire, ne fut pas difficile à trouver. Environ quinze mois auparavant, Agnès Sorel, à son lit de mort, avait désigné trois exécuteurs testamentaires, au nombre desquels figurait Jacques Cœur.

On accusa celui-ci d'avoir empoisonné Agnès Sorel.

 

 

 



[1] Les frais de construction de la maison de Bourges avaient été évalués par les contemporains à cent mille écus d'or, ce qui, à 60 fr. l'écu en monnaie actuelle, ferait six millions. L'évaluation était sans doute très-exagérée ; la dépense dut néanmoins être énorme.

[2] M. le comte de Laborde, La renaissance des arts à la cour de France, Modes sur le seizième siècle, t. I, p. 4.5.

[3] Le moyen âge et la renaissance ; MM. Lassus et A. Michiels, Architecture civile et religieuse, t. V.

[4] La cathédrale de Rouen a été, dans ces dernières années, l'objet d'une restauration complète. Telle qu'elle est aujourd'hui, vue surtout par un beau soleil d'automne, la façade de cette église est vraiment resplendissante. Il est fâcheux que l'édifice soit mal situé, au coin d'une rue, et tout à fait en plaine. Il serait bien à désirer que la magnifique cathédrale de Bourges, qui n'offre pas cet inconvénient, fût bientôt l'objet d'une restauration aussi bien entendue, et qu'il fût possible de la débarrasser du contrefort si massif et si disgracieux dont on l'a flanquée, au quinzième siècle, je crois, pour consolider une de ses tours.

[5] M. Dusommerard, Les arts au moyen âge, t. V, p. 3 et 18.

[6] Le comte Octavien de Guasco, Dissertations historiques, politiques et littéraires ; recherches sur l'état des lettres, des sciences et des arts en France, sous les règnes de Charles VI et de Charles VII ; Mémoire couronné, en 1746, par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. I, p. 253.

[7] M. Chaillot des Barres, Les châteaux d'Ancy-le-Franc, de Saint-Fargeau, de Chastellux et de Tanlay, 1 vol. in-4°, avec lithographies, p. 58.

[8] M. Henri Martin, Histoire de France, t. VII, p. 391.

[9] M. L. Vaudoyer, Histoire de l'architecture en France, dans Patria, col. 2153.

[10] Le comte de Chirac, Musée de sculpture antique et moderne (le Louvre et les Tuileries), t. I, p. 293, 335 et 645. — M. Vitet, Le Louvre ; Revue contemporaine du 1er septembre 1852.

[11] Ce clocher s'est écroulé, je ne sais à quelle époque ; on le relève aujourd'hui.

[12] De Guasco, loc. cit., p. 252.

[13] MM. de Girardot et Durand, La cathédrale de Bourges, p. 64 et suivantes. — La statue du duc Jean porte dans la main gauche une banderole déroulée, sur laquelle on lit ces deux vers :

Quid sublime genus quid opes, quid gloria prœstent !

Prospice ; mox aderant huc mihi, nunc ubeunt.

[14] M. Dusommerard, loc. cit., p. 101.

[15] M. Félix Bourquelot, Histoire de la sculpture et des arts plastiques en France, dans Patria, col. 2206 et suivantes.

[16] M. le comte de Laborde, Les ducs de Bourgogne, t. II, Preuves, p. VIII.

[17] M. Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne. Voir pièces justificatives, pièce n° 9.

[18] M. le comte de Laborde, Notice des émaux exposés au Louvre, p. 14, 81 et 104.

[19] F. Bourquelot, loc. cit., col. 2,230

[20] M. de Laborde, Notice, etc., passim.

[21] M. de Laborde, Notice, etc., p. 123.

[22] Le moyen âge et la renaissance ; M. A. Champollion-Figeac, Peinture sur verre.

[23] Ce vitrail existe encore dans le musée de Bourges, où il y en a aussi un autre représentant les armoiries de Jacques Cœur, avec des allégories. Voir ci-dessus, chap. VI.

[24] M. F. Bourquelot, Histoire de la peinture et des arts du dessin en France, dans Patria, col. 2256.

[25] M. de Laborde, La renaissance des arts, etc., p. 38.

[26] Collection Petitot, Tableau du règne de Charles VII, p. 266 et 298.

[27] Le moyen âge et la renaissance, M. A. Michiels, Peinture sur bois, cuivre et toile, t. V.

[28] M. Félix Bourquelot, loc. cit, col. 2239.

[29] On lit ce qui suit dans un compte de l'argenterie de Marie d'Anjou pour l'année 1444 (Arch. Nat., reg. 1, in-folio, K 55) : A Henri de Vulcorp, paintre de la dite dame, la somme de XXX francs, qu'elle lui a fait payer comptant pour ses gaiges des mois d'octobre, novembre et décembre, à X francs par mois. — Cité par M. Leroux de Lincy, Les femmes célèbres de l'ancienne France, t. I, p. 652.

[30] Félibien, Entretiens sur la vie des peintres, t. I, p. 123, cité dans Guasco, Dissertations littéraires, t. I, p. 247. — Il serait intéressant pour la France de savoir si ces portraits se trouvent encore au Vatican.

[31] Vente des biens de Jacques Cœur ; pièces justificatives, pièce n° 3, extrait N.

[32] Fra Philippo Lippi était né vers 1412 et mourut en 1469 — Mantegna 1431-1506 — Pérugin 1460-1524 — Léonard de Vinci 1452-1519 — Pinturicchio 1454-1513 — Luini 1460-1530 — Le Titien 1477-1576 — Benvenuto Tisio 1481-1559 — Raphaël Sanzio 1483-1530.

Un grand nombre d'autres artistes italiens sont nés dans le quinzième siècle ; je ne cite ici que ceux dont la France possède quelque tableau qui ait été jugé digne de figurer dans le grand salon du musée du Louvre.

[33] M. Alex. Lenoir a reproduit dans son ouvrage (Monuments des arts libéraux, mécaniques et industriels de la France, depuis les Gaulois jusqu'à François Ier, 1 vol. in-folio, p. 46), le dessin d'un tableau du roi René à deux volets, sur l'action duquel il fournit divers renseignements. M. Lenoir remarque que le roi René peignait dans le genre de Jean Van Eyck, avec lequel on suppose qu'il entretenait des relations. — Le musée de l'hôtel de Cluny possède du roi René un tableau peint sur bois représentant Marie-Madeleine à Marseille. Ce tableau, dit avec raison le catalogue du musée, emprunte une grande partie de son intérêt à son royal auteur. — Sur le premier plan sont les figures du roi René et de la reine Jeanne de Laval. Autour d'eux sont groupés les habitants de Marseille, rangés en cercle devant Marie-Madeleine, debout sur une tribune, en attitude de parler à l'assemblée ; dans le fond, on voit la ville de Marseille, les forts et la haute mer..... — Le plus beau spécimen de l'école française existant au musée de Cluny est un tableau peint sur bois, à volets, représentant le sacre de Louis XII, en 1498. — On admire, en outre, dans la salle de la cour d'appel à Paris. Un beau tableau de la fin du quinzième siècle représentant un Crucifiement. Nulle production de Hemling, dit M. A. Michiels (Peint. sur bois, cuivre, toile, loc. cit.), n'offre un art aussi avancé, une composition aussi profonde, des types aussi originaux. La Belgique et la Hollande ne renferment pas une œuvre du même style qu'on puisse dire plus belle. — Voir aussi sur ce tableau, Les ducs de Bourgogne, par M. le comte de Laborde, IIe partie, t. I, Preuves, p. CXL.

[34] César Nostradamus, Histoire et chronique de Provence, citée par le catalogue du musée de Cluny, p. 103.

[35] M. Aimé Champollion-Figeac, Miniatures des manuscrits dans le moyen âge et la renaissance, t. II.

[36] M. F. Bourquelot, Histoire de la peinture, etc., loc. cit., col. 2,272.

[37] Dans son magnifique ouvrage intitulé : Peintures et ornements des manuscrits, M. le comte de Bastard a reproduit deux dessins extraits de ces Heures. Voir t. III, planches 35 et 36.

[38] M. Dusommerard, Les arts au moyen âge, t. V, p. 147. — M. Dusommerard a reproduit en outre dans l'album de son ouvrage, 7e série, pl. XIV, une miniature du roi René représentant un conseil tenu à Nancy par Charles VII, le 10 février 1444. Les figures de cette miniature (voir l'original à la Bibl. Mss., n° 1484) manquent d'ailleurs de naturel et d'animation.

[39] M. Dusommerard, loc. cit., p. 147.

[40] M. A. Michiels, loc. cit.

[41] Voir, à ce sujet, le chapitre suivant.

[42] Ce dernier livre d'Heures, qui contient un portrait de Charles VII que l'on a reproduit, mais assez mal, dans la collection Gaignières (Bibl. Nat., Estampes) appartient aujourd'hui, d'après M. F. Bourquelot, à M. Georges Brentano de Francfort.

[43] Ces deux derniers manuscrits appartiennent à la Bibl. Nat. de Paris. M. de Bastard a reproduit dans son grand ouvrage deux dessins de l'Antiquité des Juifs : la prise de Jéricho et la construction du temple de Salomon.

[44] M. le baron Trouvé dit, mais sans indiquer son autorité (Jacques Cœur, p. 421), que Jean Foucquet avait étudié en Italie sous le maître du Pérugin, et exécuté plusieurs portraits à Rome, entre autres celui d'Eugène IV, qui fut tellement apprécié qu'on le plaça honorablement dans l'église de la Minerve.

[45] Fragment d'une lettre adressée à M. Paulin Paris par M. le comte de Bastard. — Voir les Manuscrits François de la Bibliothèque du Roi, par M. Paulin Paris, t. II, p. 261.

[46] Je citerai entre autres M. le comte de Laborde, M. Aimé Champollion-Figeac, M. A. Michiels, M. F. Bourquelot et M. Paulin Paris. A propos d'une miniature du manuscrit du Miroir historial, M. Paulus Paris fait cette observation : La grande figure du frontispice peut, à mon humble avis, être comparée aux plus beaux ouvrages du Pérugin et de Foucquet. (Les Manuscrits françois, etc., t. II, p. 324.) — La reproduction, aujourd'hui très-facile, au moyen de la chromolithographie, de l'œuvre complète de Jean Foucquet (M. le comte de Bastard en avait eu l'idée) donnerait lieu à une publication des plus intéressantes et digne, à tous égards, des encouragements du gouvernement. Jean Foucquet eut deux fils, Louis et François, qui marchèrent sur les traces de leur père, mais sans l'égaler.

[47] On lit à la dernière page du manuscrit de Josèphe (Antiquités des Juifs) ces mots : En ce livre a neuf histoires, enluminées de la main du bon paintre et enlumineur du Roy Lobs XI, Julian Foucquet, natif de Tours.

[48] M. A. Michiels, loc. cit.

[49] M. E. de Coussemaker, Histoire de l'harmonie au moyen âge, Paris, 1852, in-4°, p. 64, 68 et 95.

[50] M. de Coussemaker, loc. cit., p. 55 et suivantes, et pl. XXVII.

[51] Histrioneas voces, garrulas, alpinas, sive montanas, tonitruantes vel sibilantes, hinnientes velut vocalis asina, mugientes seu balantes quasi pecora, sive fœmineas, omnemque vocum falsitatem, jactantiam seu novitatem detestemur et prohibeamus in choris nostris, quia plus redolent vanitatem et stultitiam quam religionem. L'abbé Gerbert, Scriptores ecclesiastici de musica sacra, cité par M. de Coussemaker, p. 83.

[52] Li jus Adam ou jeu de la feuillée, li jus du pèlerin, le geus de Robin et Marion (Voir le Théâtre français au moyen âge, par MM. F. Michel et Monmerqué). On considère généralement le jeu de Robin et Marion comme le premier essai d'opéra-comique tenté en France.

[53] Les chansons, rondeaux et motels d'Adam de La hale ont été conservés. Voir, à ce sujet, l'ouvrage de M. de Coussemaker, qui a fait, sur les origines de la musique, des recherches pleines d'érudition.

[54] Christine de Pisan, Le livre des faits et bonnes mœurs du sage Roy Charles V, chap. XVI.

[55] M. de Coussemaker, loc. cit., p. 57.

[56] Je trouve quelques détails intéressants sur Binchois et les autres musiciens du quinzième siècle dans l'ouvrage de M. J.-B. Labat, organiste de la cathédrale de Montauban, intitulé : Études philosophiques et morales sur l'histoire de la musique, Paris, 1852, t. I. — Égide Binchois était attaché à la chapelle des ducs de Bourgogne. Une messe à trois voix de sa composition a été récemment trouvée à Bruxelles par M. Fétis (p. 305). Un autre compositeur du même temps, Guillaume Dufay, a laissé des œuvres dont l'harmonie est assez correcte et qui pourraient encore être entendues avec plaisir (p. 261). Il résulte d'un compte relatif aux obsèques de Charles VII que la chapelle de ce prince se composait de cinq personnes, à la tête desquelles figurait Jean Ockeghen, qui inventa le Canon, et que ses contemporains eux-mêmes appelèrent le prince des musiciens (p. 264). Mais le grand compositeur du quinzième siècle fut Josquin des Prés, né vers 1450, et dont un juge des plus compétents, M. Félis, a apprécié les œuvres de la manière suivante : ... Les formes de sa mélodie sont entièrement neuves, et il a eu l'art d'y jeter une variété prodigieuse. L'artifice de l'enchaînement des parties, des e repos, des rentrées, est chez lui plus élégant, plus spirituel que chez les autres compositeurs... Il avait compris la puissance de certains changements de tons, et il a quelquefois employé de la manière la plus heureuse le passage à la seconde mineure supérieure du ton principal, sorte de modulation qui, appliquée à la tonalité moderne, a été reproduite avec un grand succès, par Rossini et quelques autres compositeurs de l'époque actuelle... Josquin des Prés conserva son influence plus longtemps qu'aucun autre, car elle commença à se faire sentir vers 1485, et ne cessa qu'après que Palestrina eut perfectionné toutes les formes de l'art, c'est-à-dire plus de soixante-dix ans après. (Biographie des musiciens, par M. Fétis, citée par M. Labat, ubi supra, p. 274.)

[57] Martin Franc, Le champion des dames. — Martin Franc a écrit ce livre vers 1450, cité par De Guasco, Dissertation, etc., p. 233, et par l'abbé Gouget, Bibliothèque française, t. IX, p. 232. — Je prie le lecteur de ne pas apprécier la poésie du quinzième siècle d'après cet échantillon, et de différer son jugement.

[58] M. Bonnardot, Études sur Gilles Corrozet, Parisien.

[59] M. Francis Wey, Histoire des révolutions du langage en France, p. 42.

[60] M. Paulin Paris, Romans, dans Le moyen âge et la renaissance, t. II. — M. Paulin Paris reproduit dans son intéressant travail un autre portrait, celui de Lancelot, beaucoup plus long et plus maniéré encore que celui d'Iseult. Enfin, à côté de ces portraits, M. Paris en place un autre tiré d'un roman de mademoiselle de Scudéry ; c'est celui de la célèbre mademoiselle l'autel., sous le nom d'Élise ; j'en citerai seulement quelques extraits comme point de comparaison : La nature n'a jamais donné de plus beaux yeux que les siens : ils ne sont pas seulement grands et beaux ; ils sont encore tout à la fois et fins et doux et brillans, mais brillans d'un feu si vif qu'on n'a jamais bien pu définir leur véritable couleur, tant ils esblouissent ceux qui les regardent. Sa bouche n'est pas moins belle que ses yeux ; la blancheur de ses dents est digne de l'incarnat de ses lèvres, et son teint où la jeunesse et la fraischeur paroissent également, a un si grand esclat et un lustre si naturel et si surprenant, qu'on ne peut s'empescher de la louer tout haut, dès qu'on la voit. Il y a même une délicatesse en son teint, qu'on ne scauroit exprimer ; et pourtant une espaisseur de blanc admirable où un certain incarnat se mesle si agréablement, que celui qu'on voit à nos plus beaux jasmins ou au fond des plus belles roses n'en approche pas. Son nez, comme je l'ay desjà dit, est le mieux fait qu'on ait jamais veu ; car sans s'élever ni trop haut ni trop peu, il a tout ce qu'il faut pour faire que de tant de si beaux traits ensemble il en résulte une beauté de bonne mine et une beauté parfaite. En effet, le tour de son visage n'étant ny tout-à-fait rond, ny tout-à-fait ovale, quoiqu'il penche un peu plus vers le dernier que vers l'autre, est un chef d'œuvre de la nature, qui ramassant tant de merveilles ensemble, ne laisse rien à désirer. Au reste, Élise n'a pas la gorge moins belle que ce que je viens de dire, etc., etc.

M. Paulin Paris fait observer avec raison que si l'on avait à se prononcer entre la description du treizième et celle du dix-septième siècle, la plus ancienne soutiendrait facilement la comparaison. — J'ajouterai que l'on trouverait dans les œuvres du plus célèbre des romanciers contemporains une foule de portraits du même genre, mais bien inférieurs encore, pour la vérité et le naturel, à ceux d'Iseult et de Lancelot.

[61] M. Paulin Paris, loc. cit., passim.

[62] L'histoire et plaisante cronicque du petit Jehan de Saintré ; édition de M. J. Marie Guichard, p. 45.

[63] Cet état de choses s'explique par plusieurs motifs. La rareté des bons ouvrages était telle et le prix des manuscrits si élevé que, en dehors des couvents, un petit nombre de privilégiés, amis des princes ou des grands, pouvaient seuls étudier les productions de quelque étendue. Il en résultait que le progrès était nécessairement fort restreint. Ce n'étaient pas, en effet, les hommes que la nature avait le mieux doués pour la culture des lettres qui s'y livraient, mais ceux entre les mains desquels le hasard des relations ou d'heureuses circonstances avaient fait tomber quelques livres. Encore, il était rare qu'ils eussent la facilité de lire tous ceux qu'il leur dit importé de connaître ; ce qui le prouve, c'est que la bibliothèque fondée au Louvre par Charles V, et qui se composait de neuf cents volumes, ne possédait pas un seul exemplaire de Cicéron.

[64] C'étaient le Débat des deux amants dans lequel on discutait longuement si de l'amour venoit honneur ou bien honte, si c'estoit maladie ou Brant santé ; le Dit de Poissy, le Dit de la Bose, le Dit de la Pastoure, les Dits moraux, les Dits amoureux, le Dire des vrays Amans, l'Espitre au dieu d'amour, l'Espitre d'Othéa la déesse, qu'elle envoya à Hector de Troye, à l'âge de quinze ans (deux mille vers) ; le Chemin de longue estude, tout à fait digne de son titre ; car il n'avait pas moins de six mille vers. C'était bien la peine d'avoir lu, comme l'avait fait Christine, Homère, Platon, Aristote, Virgile, Horace, Tibulle, Juvénal, Cicéron, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin, etc., etc. Quelques-unes des compositions en prose de la trop féconde Christine avaient pour titre : la Cité des Dames, le Livre des trois vertus, le Corps de Policie, le Livre de la vision, le Traité de la paix ; enfin, bien que cette liste ne soit pas complète, le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roy Charles V.

[65] Voici, comme échantillon du style de Christine, le début du Livre des faits et bonnes mœurs du sage roy Charles V : Sire Dieux, ouvre mes lèvres, enlumines rua pensée, et mon entendement esclaires, à cette fin qu'ignorance n'encombre à mes sens à expliquer les choses conceues en ma mémoire, et soit mon commencement, moyen et fin, à la louange de toy, souveraine puissance et dignité incircumpstible, à sens humain non comprimable.... Pour ce, moy Christine de Pisan, femme sous les ténèbres d'ignorance au regart de cler entendement, mais douée de don de Dieu et nature, en tant comme désir se peut estendre en amour d'estude, suivant le stille des prirnerains (anciens) et devanciers nos eddiffieurs en meurs redevables, à présent, par grâce de Dieu et sollicitude de pensée, emprens (entreprends) nouvelle compillacion menée en style prosal, et hors le commun ordre de mes autres passées...

Que l'on compare ce style à celui de la charmante histoire intitulée Livre des faicts du mareschal de Boucicaut (collect. Petitot, t. VI), et antérieure de quelques années aux œuvres de Christine de Pisan, on verra combien celle-ci était inférieure au chroniqueur anonyme de ce livre trop peu connu.

[66] Le Quadriloge invectif, cité dans l'Histoire de la littérature française, du moyen âge aux temps modernes, par M. Geruzez, p.107.

[67] M. Francis Wey signale en outre Le Songe du vieil Pèlerin, écrit vers la fin du quatorzième siècle, par Philippe de Maizières, ancien précepteur de Charles VI, et qui termina sa vie dans un cloître. C'est, dit M. Wey, un traité d'éducation royale, envisagé de très-haut par un homme d'État, sous une forme vive et fine... Nous y voyons la plus remarquable production du goût, du style, de la raison et de la fantaisie de ce temps-là... (Histoire des Révolutions du langage, p. 223.)

[68] Il ne me serait pas difficile d'appuyer celte assertion de nombreux exemples. Sans parler de la chanson de Roland, on trouve, dans les romans de la Table ronde, des caractères fortement dessinés, des sentiments délicats finement exprimés, des situations passionnées rendues avec bonheur. Je veux seulement citer ici quelques vers tirés du portrait que fait de lui-même, dans le Roman de la Rose, le personnage allégorique de Faux-Semblant :

Je suis avec les orgueilleux,

Les usuriers, les arpilleux ;

Qui les mondains honneurs convoitent,

Et les grans besongnes exploitent,

Et vont quérant les grans pitances,

Et pourchassent les accointances

Des puissant homes, et les suivent ;

Et se font poures, et se vivent

De bons morceaulx délicieux ;

Et boivent les vins précieux.

Et la pouvreté ils vous preschent,

Et les grandes richesses perchent.....

[69] M. Villemain, Cours de littérature française, tableau de la littérature du moyen âge, t. II, p. 261.

[70] Le moyen âge et la renaissance, t. II, Les Mystères, par M. Ch. Louandre.

[71] Dans son ouvrage sur les Mystères inédits du quinzième siècle, M. Achille Jubinal fait connaître, t. I, préface, p. XX, qu'un manuscrit de la Bibl. Nat., de la fin du quatorzième ou du commencement du quinzième siècle, intitulé Miracles de Notre-Dame, en deux volumes grand in-4°, contient quarante de ces miracles, dont il donne les titres. J'en reproduis seulement quelques-uns :

— Comment N. D. délivra une abbesse qui était grosse de son clerc.

— Salomié, qui ne croioit pas que N. Dame eust enfanté virginalement sans œuvre d'home, perdi les mains pour ce qu'elle le voulut esprouver ; il se repentit, mit ses mains sur N. S., et elles luy furent rendues.

— D'une none qui laissa son abaye pour sen aler avec un chevalier qui l'espousa, et depuis qu'ils orent eus de biaus  enfans, N. D. aparut à elle, dont elle retourna dans son abaye, et le chevalier se rendit moyne.

— D'un évesque à qui N. D. aparut et luy doua un jouel d'or auquel avoit du lait de ses mamelles.

— Une femme, nommée Théodora, pour son péchié se mit en habit d'home, et pour sa penance faire, devint moyne, et fut tenu pour home jusqu'après sa mort.

Cy commence un miracle de saint Valentin, que ung empereur fist décoler devant sa table, et tantot s'estrangla d'un os qui lui traversa la gorge, et diables l'emportèrent.

Cy commence un miracle de N. D. Comment la fille du roi de Hongrie se copa la main pource que son frère la vouloit espouser, et un esturgon la garda VII ans en sa mulette.....

Pendant longtemps ces jeux et miracles furent représentés dans les églises ; les mœurs et le goût s'épurant peu à peu, le clergé lui-même défendit ces représentations et toutes celles qui avaient lieu dans les temples. Le concile de Bâle rendit même, à ce sujet, un décret ainsi conçu :

Turpem etiam illum abusum in quibusdam frequentatum ecclesiis, quo in certis anni celebritatibus, nonnulli cum mitra, baculo ac vestibus ponti ficalibus, more episcoporum benedicunt ; alii ut reges ac duces induti, quod festum fatuorum vel innocencium seu puerorum in quibusdam regionibus nuncupatur ; alii larcales ac theatrales jocos ; alii choreas ac tripudia marium ac mulierum facientes ut homines ad spectaculum et cachinnationes moveant, alii commessationes et convivia ibidem preparant. Hœc sancta Synodus detestans, statuit et jubet, etc., etc.

L'édit de la pragmatique sanction, rendu à Bourges, le 7 juillet 1438, approuva ces interdictions et donna force de loi au décret du concile de Bâle, dans toute l'étendue du royaume. (Recueil général des anciennes lois françaises, t. IX, p. 42.)

[72] Les frères Parfait, Histoire du théâtre français, depuis son origine jusqu'à présent, t. II, p. 252.

[73] Histoire du théâtre français, etc., p 254.

[74] M. Achille Jubinal, Mystères inédits du quinzième siècle, préface, p. XLII.

[75] M. Ch. Louandre, Le moyen âge et la renaissance, t. II.

[76] M. Villemain, loc. cit., p. 267. — M. Villemain constate, avec la sagacité qui lui est ordinaire, que l'esprit national, l'esprit gaulois, était bien plus à sort aise dans les Sotties et les Moralités que jouaient les confrères de la Basoche. Il cite à ce sujet La farce de maistre Pierre Pathelin, que M. Bénin attribue à Antoine de La Salle (voir l'Illustration du 10 décembre 1852), et une moralité de la même époque intitulée l'Ancien Monde. Rien n'est plus piquant que l'analyse faite en quelques lignes, par M. Villemain, de cette dernière comédie. L'Ancien-Monde, qui ouvre la scène, dit M. Villemain, se plaint d'aller fort mal. C'est grand pitié que ce pauvre monde, dit-il. — Survient un personnage allégorique, qui n'est pas moins très-vivant, très-réel, et se rencontre partout. Ce personnage s'appelle Abus. Il endort Vieux-Monde, et lui promet de tout arranger : Il ne faut pas, lui dit-il, tant vous tourmenter ; prenez vos aises, dormez ; je me charge de tout. Le Vieux-Monde se met à sommeiller ; et Abus, resté maître du terrain, appelle ses acteurs. Il frappe à différents arbres, et l'on en voit sortir Sot-Dissolu, habillé en homme d'église ; Sot-Glorieux, habillé en gendarme ; Sot-Fripon, avec une robe de procureur.....  Avec ce cortège, Abus commence par tondre et dépouiller le Vieux-Monde endormi. Puis, il en crée un nouveau, qui va plus mal encore que l'ancien, et qui tombe dans l'abîme.

On voit par là quelles licences se donnaient les auteurs dramatiques du quinzième siècle. Le clergé, l'armée, la magistrature étaient l'objet de leurs attaques. Le roi lui-même n'y échappait pas. En effet, un des personnages d'Ancien-Monde disait :

Libéralité interdite

Est aux nobles par avarice :

Le chef même y est propice.

Mais, fait observer M. Villemain, ce roi était Louis XII ; et, loin de se fâcher de l'épigramme, il dit : J'aime mieux les faire rire par mon avarice, que si mes dépenses les faisaient pleurer. (Cours de littérature, t. II, p. 269 et suivantes.) Louis et Charles d'Orléans, etc., par M. Aimé Champollion-Figeac, Ire partie, p. 198.

[77] Cette pièce est citée par M. Géruzez, Cours de littérature, p. 91. — M. Prosper Tarbé a publié, il y a quelques années, un choix des poésies d'Eustache Deschamps.

[78] M. Géruzez, Cours de littérature, p. 93.

[79] M. Demogeot, Histoire de la littérature française, depuis son origine jusqu'en 1830, p. 254 et suivantes.

[80] M. Francis Wey, Le moyen âge et la renaissance, t. II, Les langues.

[81] M. D. Nisard, Histoire de la littérature française, t. I, p. 169.

[82] De Guasco, Dissertatione, etc., t. I, p. 1110 et suivantes.

[83] De Guasco, Dissertatione, t. I, p. 137 et suivantes.

[84] De Guasco, Dissertatione, t. I, p. 158 et suivantes. — Je ne suis, dans cette appréciation, je dois le dire, que l'écho de l'abbé de Guasco, qui était en même temps chanoine de la cathédrale de Tournay, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris, et qui paraît d'ailleurs avoir fait de ce sujet, où il était particulièrement compétent, une étude approfondie. L'abbé de Guasco ajoute : Il nous reste fort peu de sermons entiers de ce temps-là (règnes de Charles VI et de Charles VII), et on a lieu de croire qu'il n'en faut pas regretter la perte. Je trouve dans Echard que deux prédicateurs dominicains, tous deux Provençaux, prêchoient en provencal. L'un est Fr. Griédon, dont les sermons roulent sur les épîtres dominicales ; l'autre est un anonyme, dont on a, à Saint-Victor, un discours dans le même langage sur saint Jean-Baptiste, divisé en trois points : La doctrina de veritat, la flor de virginitat, la grant amor et caritat. — En ce qui concerne le cordelier Jean Petit, on sait que c'est lui qui entreprit de prouver, dans un discours apologétique, par douze raisons en l'honneur des douze apôtres, que le duc de Bourgogne avait bien fait d'assassiner le duc d'Orléans.

[85] La plus ancienne épreuve connue d'une estampe gravée sur bois, avec date, est un saint Christophe, sans marque et sans nom, portant une inscription latine et l'année Millesimo CCCCXX° tertio. Cette pièce est si grossièrement gravée, elle est d'un dessin si défectueux, qu'il est naturel de penser qu'elle doit être un des premiers essais de la gravure sur bois. (M. A. Duchesne, Gravure, dans Le moyen âge et la renaissance, t. V.)

[86] M. C. Leber, Études historiques sur les cartes à jouer, t. XVI des Mémoires de la Société royale des antiquaires de France. — M. Leber s'appuie à ce sujet sur l'opinion suivante de M. le baron de Heinecken, qui est, dit-il, l'homme le plus versé dans la connaissance des premiers produits de la xylographie. The names engraved in wood under the figures (orcards) are first known impressions of letters. By degrees a greater quantity of text was added, and in process of time, not only entire pages, but even books were printed.

[87] M. A. Duchesne, ubi supra, non paginé.

[88] De Guasco, ubi supra, p. 28.

[89] M. Depping, Hist. du commerce, etc., t. II, p. 256.

[90] M. Ferdinand Denis, Le génie de la navigation, p. 110 et suivantes, notes. — Dans ce volume de 140 pages, écrit à l'occasion de l'érection, sur le port de Toulon, d'une statue en bronze représentant le Génie de la Navigation, par M. Daumas, M. Ferdinand Denis a groupé habilement tous les faits se rattachant aux grandes découvertes maritimes dans les temps anciens et modernes. Je saisis avec empressement l'occasion qui se présente de remercier le savant auteur de plusieurs indications bibliographiques qu'il a bien voulu me donner avec la plus grande obligeance, et qui m'ont été infiniment utiles. Je suis heureux de lui en témoigner ici toute ma reconnaissance. — M. Paulin Paris a publié divers fragments du Traité de la sphère, de Nicolas Oresme, dans son précieux Catalogue des manuscrits françois de la Bibliothèque nationale, t. IV, p. 310, (Cité par M. Ferdinand Denis, p. 111.)

[91] Villaut de Bellefond, cité par M. Vitet, Hist. de Dieppe, IIe partie, 2e édit., p. 200.

[92] Conqueste des Canaries, citée par M. d'Avezac, Notice des découvertes faites au moyen âge dans l'océan Atlantique, antérieurement aux grandes explorations portugaises du XVe siècle, p. 14 et suivantes.

[93] M. Vitet, loc. cit., p 30 et suivantes.

[94] M. d'Avezac, loc. cit., p. 30 et suivantes.

[95] M. d'Avezac, loc. cit., p. 221 et suivantes. — M. Vitet constate en outre 1° que les caltes les plus anciennes que possède aujourd'hui le dépôt de la marine ont été tracées par des Dieppois ; 2° que l'existence d'une chaire d'hydrographie à Dieppe, vers le milieu du quinzième siècle, est incontestable. M. Vitet rappelle, à ce sujet, qu'en confirmant cette charge en 1669, Colbert reconnut que la ville de Dieppe en avait joui de temps immémorial.