JACQUES CŒUR ET CHARLES VII - OU LA FRANCE AU XVe SIÈCLE

TOME SECOND

 

CHAPITRE VI.

 

 

Biens de Jacques Cœur. — La maison de Montpellier. — Description de l'hôtel de Bourges. — Mobilier. — Ornements. — Caractère de la femme de Jacques Cœur. — Il fait construire une sacristie et une chapelle dans l'église cathédrale de Bourges. — Sa famille. — Un de ses frères est nommé évêque de Luçon. — Sa fille épouse, en 1447, le fils du vicomte de Bourges. — Deux de ses fils entrent dans les ordres sacrés. — L'un d'eux, Jean Cœur, est nommé archevêque de Bourges à vingt-cinq ans. Lettres écrites à Eugène IV à ce sujet. — Ravaut et Geoffroy Cœur. — Jacques Cœur fonde à Paris le collège des Bons-Enfants. — La reine Marie d'Anjou emprunte de l'argent d'un de ses valets de chambre sur dépôt d'une Bible, et d'un des associés de Jacques Cœur, sur dépôt d'une perle. — Reçus donnés à ce sujet. — Reçu donné à Jacques Cœur par Marguerite d'Écosse, femme du Dauphin. — Causes premières d'inimitié et de haine contre Jacques Cœur. — Désignation de quelques-uns de ses débiteurs. —Situation des Anglais en France en 1449. — Jacques Cœur prête à Charles VII deux cent mille écus pour conquérir la Normandie. — Entrée des Français à Rouen, le 10 novembre 1449. Jacques Cœur y figure dans le même costume que le comte de Dunois et à côté de lui. — Description de cette entrée. — Lettre de Dunois. — Lettre de Jacques Cœur relative à de faux monnayeurs dans le Berry. — Le roi rembourse à Jacques Cœur une somme de 60.000 livres que celui-ci lui avait prêtée pour le siège de Cherbourg.

 

Tant et de si hautes fonctions, des opérations commerciales si considérables, si étendues et d'autant plus lucratives que, par suite des faveurs et immunités dont il jouissait, tant en France qu'à l'étranger, toute concurrence avec lui était impossible, avaient procuré à Jacques Cœur des richesses immenses. Ce Jacquet, comme disaient les marchands de son temps, jaloux avec raison de sa fortune, parce qu'ils ne pouvaient pas lutter avec lui à armes égales, était parvenu peu à peu à s'emparer de tout le grand commerce du royaume. Satisfaite de ce côté, son ambition se proposa un autre but. Il voulut être la souche d'une maison puissante, et, comprenant que la propriété territoriale assure seule aux familles l'influence et la durée, il acheta des terres et des maisons sur tous les points de la France, mais principalement dans le Berry et les provinces voisines. En peu d'années, ces acquisitions furent prodigieuses. Plus de vingt seigneuries et châtellenies, dont la plupart appartenaient auparavant aux plus anciennes familles du royaume, étaient devenues sa propriété. Il avait acheté, indépendamment des mines de Barlieu qui lui avaient cané deux mille écus, de celles de Chissieu, de Saint-Pierre-la-Palle et de Pompalieu,

La châtellenie, la terre et la seigneurie de Saint-Fargeau ;

La terre et la seigneurie de La Vau et de la Couldre ;

La terre et la seigneurie de Perreuse ;

La terre et la seigneurie de Champignolles ;

La terre et la seigneurie de Mézilles ;

La terre et la seigneurie de Villeneuve-les-Genetz ;

Le château, la terre et la seigneurie de Saint-Maurice sur l'Averon ;

La terre et la seigneurie de Lieuseurt ;

La terre et la seigneurie de Melleroy ;

La terre et la seigneurie de Fontenailles ;

La terre, la baronnie et la seigneurie de Toucy et la grange de Sermoises en dépendant ;

Les terres et les seigneuries de Villebon et de Beauplessis, de Boulancourt, de Gironville, de La Fresnaye, de La Mote, de Boissy, de Roanne et de SaintHaon dans le Roannais, de Berleu, de MenetouSalon, d'Yvel-le-Viel et de Meaulne dans le Berry ;

Les terres de Marmagnes, Maubranches, le lis Saint-Georges, Villemor et la bruyère de l'Aubespin ;

La terre et la seigneurie de Saint-Gérand-de-Vaux[1] ;

La terre et le château d'Augerville-la-Rivière dans le Gâtinais[2].

En même temps, Jacques Cœur possédait des maisons et des hôtels dans les principales villes du royaume. Il avait deux maisons à Paris[3], deux à Tours, quatre maisons et deux hôtels à Lyon, des maisons à Beaucaire, à Béziers, à Saint-Pourçain, à Marseille, à Montpellier, à Bourges[4]. La façade de la maison qu'il avait lui-même fait construire à Montpellier présentait, d'après la description qu'en a laissée un écrivain du dix-septième siècle, un caractère symbolique. On y voit, dit-il, trois portails faits en forme de fourneaux, comme ceux de Nicolas Flamel. A l'un, il y a, d'un côté, un soleil tout plein de fleurs-de-lis, et, de l'autre, une lune pleine aussi de fleurs-de-lis, et entourée d'une couronne d'épines, qui semblent dénoter la pierre solaire et lunaire venues à leur perfection.

A l'autre portail, on voit, d'un côté, un arbre fruitier, ayant au pied des branches de roses, et dudit arbre pendent les armes de Jacques Cœur dans un écusson ; de l'autre côté, il y a le caractère chimique du soleil.

Au troisième portail, qui est celui du milieu, il y a, d'un côté, un cerf qui porte une bannière, ayant un collier fleurdelisé, environné d'une branche d'arbre ou matière des philosophes, qui, au commencement, est volatile et légère comme le cerf ; et, de l'autre, il y a un écu de France soutenu par deux griffons[5].

En face de cette maison dont la toiture à l'italienne était, disait-on, ainsi disposée pour permettre à Jacques Cœur de voir partir et arriver ses navires[6], s'en trouvait une autre sur la façade de laquelle on avait sculpté une figure ailée à deux têtes[7]. Enfin, une fontaine publique avait également été construite à Montpellier par la libéralité de Jacques Cœur[8].

Mais c'est surtout à Bourges, sa ville natale, qu'il a laissé, dans l'hôtel célèbre qu'il y fit bâtir pour sa demeure et qui a résisté aux siècles, les traces les plus visibles de son opulence et de ses goûts fastueux. Un prélat contemporain, qui avait vécu à la cour, a dit de cette résidence que le roi lui-même n'en avait pas une pareille[9]. En 1443, Jacques Cœur avait acheté, au prix de douze cents écus, dans l'enceinte de la ville, un terrain qui relevait en fief du roi, mais auquel des hôtels, des moulins et des terres de la commune devaient eux-mêmes la dîme eu qualité d'arrière-fiefs. Ce fief portait le nom de La Chaussée. C'est là que fut bâti, en quelques années, l'hôtel qui existe encore aujourd'hui. Rien ne fut épargné pour donner à cette demeure une solidité qui défiât le temps. Un propriétaire de Bourges, Guillaume Lallemant, possédait une ancienne maison construite avec de grandes et grosses pierres de taille, anciens débris de temples gallo-romains. Jacques Cœur l'acheta pour avoir ces pierres[10]. Les murailles seules de, indépendamment de quelques constructions et d'une tour romaine qui furent utilisées, coûtèrent, dit-on, cent trente-cinq mille livres[11]. Un poète italien, qui visita Bourges en 1450, rapporte que la dépense était alors évaluée à cent mille écus d'or ; et pourtant l'hôtel n'était pas encore achevé[12].

Un large passage voûté, auprès duquel était pratiquée une petite porte, conduisait dans l'intérieur de l'hôtel qui formait un parallélogramme irrégulier, et dont la façade extérieure, du côté de la rue, était remarquable par la richesse de la décoration. Cette façade se composait d'un pavillon et de deux ailes, sur le même plan. Au premier étage s'ouvraient sept grandes croisées à balcons ornés de trèfles découpés à jour dans lesquels étaient sculptés des cœurs et des coquilles, armes parlantes de l'argentier. Sous un dais en saillie, placé au-dessus de la porte d'entrée principale, on voyait la statue équestre de Charles VII. Un peu plus loin, un serviteur et une chambrière sculptés en avant de deux fenêtres simulées regardaient, chacun d'un côté opposé, d'un air inquiet, préoccupé, s'ils ne voyaient pas venir leur maître. Dans la balustrade d'un balcon régnant au bas d'une tourelle annexée au pavillon du milieu était découpée, au milieu des cœurs et des coquilles, la devise suivante :

Il serait difficile de donner une idée de la richesse des sculptures de la grande porte d'entrée dont le cintre était particulièrement remarquable par la forme et la grâce de l'ornementation. Toute cette partie était découpée à jour. Les moindres détails y représentaient des cœurs et des coquilles, emblèmes du maître, dont l'empreinte était partout, jusque sur les feuilles de plomb de la toiture. Les clous des serrures avaient des têtes en forme de cœur, et l'on retrouvait, dans les fleurons des petites ogives découpées dans le haut des panneaux, des cœurs et des coquilles. Une petite grille d'un travail très-fini était pratiquée dans l'un des vantaux de la porte, et permettait, suivant l'usage de ces temps de surprise et de violence, d'observer avant d'ouvrir. Le heurtoir, ou marteau, était lui-même d'un travail admirable et un chef-d'œuvre de serrurerie[13].

Cour de la maison de Jacques Cœur.

La cour intérieure était formée, d'un côté, par un grand corps de logis qui s'appuyait sur tin mur romain donnant du côté de la campagne et, de l'autre, par la chapelle qui se trouvait en face, sur la rue, au-dessus des portes d'entrée. Une galerie qui ouvrait sur la cour reliait les parties de l'édifice. L'ornementation de cette cour, de forme oblongue, était d'une incomparable richesse. Au-dessus de toutes les portes étaient sculptés des bas-reliefs en harmonie avec la destination de chaque pièce. Une vaste cheminée, entourée de serviteurs occupés aux apprêts d'un repas, indiquait la tourelle qui conduisait aux cuisines. Un oranger, un dattier, un pin, des plantes en fleur, étaient sculptés au-dessus de l'entrée de la salle à manger, et encadrés dans une bordure où étaient tracés ces mots : Dire. faire. Taire. De. Ma. Joie. Deux cœurs en relief séparaient ces deux derniers mots. Au-dessus, douze encadrements gothiques représentaient une série de personnages se livrant aux travaux de l'industrie ; c'étaient des laboureurs, des fileuses, des colporteurs ou messagers, des mendiants. Mûs haut encore, Jacques Cœur, revêtu d'un camail brodé de cœurs et de coquilles, tenait de la main gauche un marteau de maçon ou de monnayeur, et offrait un bouquet à glacée de Léodepart, sa femme.

La chapelle, magnifiquement ornée, mais très-exiguë, occupait le pavillon central de la façade principale. Au pied de .l'escalier qui y conduisait, trois bas-reliefs attiraient les regards. Le premier représentait un prêtre tenant un missel et, de l'autre, un goupillon. Derrière lui, un enfant de chœur sonnait l'office et était suivi d'un mendiant qui entrait dans la chapelle, lieu ouvert à tous. La cloche de la chapelle portait, comme toutes les autres parties de la maison, les emblèmes du maître. Au milieu des cœurs et des coquilles, on y lisait l'inscription suivante[14] :

 

Le second bas-relief se composait de trois personnages occupés à préparer l'autel à côté duquel un cœur et une coquille étaient surmontés d'une croix. Dans le troisième étaient figurés trois femmes et un enfant ; l'une d'elles, richement vêtue, donnait le bras à l'enfant ; c'était sans doute la femme de Jacques Cœur. Le haut de l'escalier de la chapelle était également orné d'un bas-relief représentant une adoration. A chacun des côtés de l'autel était pratiquée une niche admirablement sculptée, où Jacques Cœur et sa femme se plaçaient pendant la messe. L'argentier occupait la niche à droite ; Macée de Léodepart, celle de gauche. Les arcades ogives qui formaient l'ouverture des niches étaient découpées en dentelles. Aux extrémités des petites ogives, des anges, à genoux, déroulaient des légendes. De chaque côté de la chapelle étaient sculptés avec le même art six petits habitacles supportés par un cul-de-lampe, couronnés de dais très-riches, et représentant les uns des prophètes, les autres des groupes de fleurs ou de fruits. L'un de ces prophètes, le roi David, tenait une harpe dans sa main ; sa tête était renversée en arrière et laissait tomber la couronne qui était d'une remarquable richesse. L'ogive de la voûte était divisée en douze compartiments par des nervures dorées et retombant sur six culots formés d'anges tenant des deux mains les écussons armoiriés de Jacques Cœur et de sa famille. La sculpture et la peinture se réunissaient d'ailleurs pour faire de l'intérieur de la chapelle un véritable chef-d'œuvre. Sur un fond bleu, semé d'étoiles d'or, des anges, au nombre de vingt, en robes blanches, la tête ornée d'une petite croix d'or suspendue à un ruban noir, déployaient leurs ailes et déroulaient des banderoles sur lesquelles se lisaient des passages de l'Écriture[15].

Presque en face de la porte d'entrée et de la chapelle, une élégante tourelle, couverte de sculptures, renfermait l'escalier principal, par lequel on arrivait d'abord à la salle à manger. Dans un coin de la salle, une tribune était disposée pour des musiciens. A droite, s'ouvrait une cheminée monumentale de dix-huit pieds d'ouverture sur un tiers de hauteur. Les pans du manteau, en saillie, étaient soutenus par des pilastres cannelés. Un grand nombre de figures d'animaux grotesques, surchargés de fruits et d'insectes parfaitement sculptés, décoraient les chapiteaux. La partie supérieure de la cheminée représentait des fortifications. Autour de la galerie formant saillie s'élevaient plusieurs tours surmontées de créneaux. L'une d'elles, celle du milieu, simulait l'entrée. Reliées entre elles par des murailles, ces tours étaient percées d'un grand nombre d'ouvertures dans lesquelles paraissaient autant de petits personnages. Au-dessous des créneaux et à chacun des coins opposés de la cheminée, on voyait, d'un côté, Adam, de l'autre, Ève, avant la chute. Assis sur un tronc d'arbre, ils considéraient le fruit, défendu. Une tête, de la bouche de laquelle sortait une banderole portant les paroles du tentateur, se détachait dans le feuillage de l'arbre devant lequel était Adam, tandis que, de son côté, Ève écoutait le serpent, dont les anneaux s'enroulaient autour de l'arbre où il l'avait attirée. Adam et Ève étaient peints en couleur de chair, les deux arbres en vert, les fruits qu'ils portaient en rouge. Enfin, le bandeau inférieur du manteau de la cheminée était peint en bleu lapis. Sur le milieu, s'élevait, au-dessus d'un nuage, une figure d'ange aux ailes déployées, ayant les bras écartés et supportant un phylactère déroulé. De chaque côté, des gerbes de fleurs s'épanouissaient dans un vase.

La plupart des grandes pièces de l'hôtel avaient leur nom. Indépendamment de la chapelle et de la grande salle où se donnaient les repas d'apparat, il y avait la chambre des Galères, celle des Évêques, celles des Mois de l'an, celle des Angelots ou du Trésor. Dans une grande galerie située au premier étage, et dont le plafond représentait la carène d'un navire renversée, on admirait deux cheminées à sculptures, dont l'une était particulièrement remarquable par la scène qu'elle représentait. De simples paysans, montés sur des baudets, ayant pour rondaches des fonds de paniers, et pour étriers des cordes, figuraient un tournoi. Des garçons de ferme et des porchers leur servaient de varlets et de hérauts d'armes. L'un d'eux portait un faisceau de bâtons ; deux autres sonnaient du cornet à bouquin ; l'un des champions avait le visage à moitié caché par une sorte de camail et portait à son chapeau une plume de coq. C'était sans doute une satire des coutumes de l'ancienne chevalerie. L'esprit frondeur des sculpteurs du moyen âge se donnait d'ailleurs partout carrière, et l'on sait que leurs plaisanteries n'épargnaient pas, dans les églises mêmes, les prêtres et les moines.

De nombreuses allégories attiraient en outre l'attention dans la maison de Jacques Cœur. Autour d'un écusson à ses armes, entouré de fleurs, de fruits, d'oranges et de plumes aux couleurs variées, soutenant on traversant des cœurs, on voyait, dans un vitrail, deux personnages. L'un vêtu de vert, portant un capuchon jaune, avait de très-grandes oreilles et sa bouche était fermée par un cadenas ;  il tenait de la main gauche une petite baguette d'or terminée par une tête d'animal et portail la main droite à sa bouche comme pour indiquer le cadenas qui la fermait. Une banderole qui venait y aboutir portait ces mots : En. Bouche. Close. Nentre. Mousche. L'autre personnage avait aussi de grandes oreilles d'âne, et une sorte de camail. Derrière lui était une branche d'oranger avec deux oranges. Il portait de la main droite une banderole sur laquelle on lisait le mot Taire. Les mots : Dire. faire. Taire.[16] étaient répétés en plus gros caractères au-dessus de la tête des deux personnages. Enfin, au bas du vitrail et dé chaque côté de l'écusson armoirié, deux banderoles reproduisaient, chacune comme il suit, la célèbre devise : A. Vaillans. Cœurs. Riens. In.possible.

Une allégorie d'un tout autre caractère était, sculptée dans le culot d'une nervure de la chambre du Trésor, située au troisième étage de la grosse tour de construction romaine. La porte de cette chambre, à laquelle on ne parvenait que par un escalier isolé, 'était en fer et elle se fermait, en outre, au moyen d'une serrure à secret très-compliquée. En face des croisées, qui ouvraient sur la place de Berry, était pratiquée une grande armoire dans laquelle a été cachée pendant fort longtemps la sculpture dont il s'agit. Trois personnages occupaient le premier plan.

Au milieu d'une forêt, un homme en costume de cour, la dague au côté, et dans lequel on croyait reconnaître Jacques Cœur lui-même, s'avançait mystérieusement vers une dame à demi-couchée sur des fleurs, vêtue avec une grande magnificence, et portant la main à sa tête pour en retirer une couronne.

Il montrait du doigt une fontaine, dans les eaux de laquelle se reflétait une tête également couronnée qu'on apercevait dans les branches d'un chêne. Cette tête regardait avec une attention extrême la scène qui se passait à quelques pas ; elle était comme entourée de deux banderoles qui semblaient attendre une inscription. A gauche du spectateur, un t'ou, tenant d'une main sa marotte, riait d'un air narquois et s'efforçait de prendre, avec l'autre main, des mouches sur le tronc d'un pommier au sommet duquel était perché un coucou[17].

Bien que l'hôtel de La Chaussée ne fût pas encore empiétement terminé en 1450, cependant la plupart des pièces en étaient, à cette époque, meublées. Des tapisseries brodées, les unes aux armes et à la devise du roi, les autres aux armes et à la devise de Jacques Cœur, décoraient les principaux appartements. Une chambre était tendue d'un taffetas rouge brodé. Une autre, également en damas brodé, représentait l'histoire de Nabuchodonosor. L'hôtel contenait quinze ou seize lits, dont il y en avoit de grans qui estoient beaux et bons, déposa plus tard un des serviteurs de Jacques Cœur. Dans une fête qu'il y donna lorsque l'aîné de ses fils fut nommé archevêque de Bourges, les invités admirèrent principalement une statuette de la Madeleine en or, ou tout au moins en argent doré. Des salières d'or à personnages, des hanaps dorés, des gobelets, des aiguières, des pots d'argent faisaient aussi partie du mobilier de l'hôtel. Cependant Jacques Cœur transportait habituellement sa vaisselle avec lui, à l'exception de la vaisselle de table ordinaire. Peu confiant dans l'ordre et l'économie de sa femme qui despensoit et dissipoit tout ce qu'elle avoit entre les mains, il ne laissait à sa garde que le moins possible. Le linge était d'ailleurs beau et sans doute abondant. Quant à la cuisine, elle estoit si petitement garnie que quant le dit Cuer venoit et qu'il faisait des disgnées et des fêtes, on louoit de la vesselle d'estain chiés ung potier et empruntoit-on des paelles et autres choses ailleurs[18].

Vers l'époque même où il donnait ses soins à la construction de l'hôtel de La Chaussée, Jacques Cœur faisait élever à ses frais, sur un terrain attenant à l'enceinte de la cathédrale de Bourges, une sacristie qui est encore aujourd'hui considérée comme une des parties les plus intéressantes de ce merveilleux monument. L'entrée de cette sacristie est remarquable par la richesse et l'élégance de l'architecture. La baie en est carrée et surmontée d'une ogive, appuyée de dais terminés en pinacle. Au-dessous des dais sont des piédestaux qui, de même que la niche du tympan, renfermaient des figures. Au sommet de l'ogive, un ange, aux ailes déployées, tient un écusson. Un attique d'un excellent effet complète cette décoration. La porte en bois est d'un travail exquis. La sacristie est voûtée de deux croisées d'arêtes à nervures. Les armes de Jacques Cœur et de sa femme se voyaient d'ailleurs partout, notamment à l'entrée et aux clefs des voûtes. Des verrières d'une grande richesse ajoutaient à l'effet. Parmi les personnages qu'elles représentaient on voyait Jacques Cœur et sa femme. La fière devise : A. Vaillans. Cœurs. Riens. In.possible, y était aussi. Enfin, près du sommet de l'ogive se déroulait un phylactère sur lequel on lisait ces quatre vers écrits sur deux lignes :

Ci est l'escu ou Dieu le liz acra (ancra)

L'Ange aporta l'ampole d'excellance

Et l'envoya au noble roy de France

A Saint-Remy qui à Rains le sacra.

Un petit escalier à vis, fermé par une porte en fer et creusé dans un contrefort près la porte d'entrée, conduisait à une salle servant de librairie ou bibliothèque au chapitre. Cette salle était éclairée par des fenêtres à meneaux à l'orient et à l'occident. On voyait dans les clefs des voûtes et dans les vitraux, indépendamment des armes de Jacques Cœur, celles de Jean Cœur, archevêque de Bourges, son fils, qui contribua sans doute aux frais de construction de la librairie du chapitre[19].

Quand la nouvelle sacristie fut terminée, Jacques Cœur demanda au chapitre l'emplacement de l'ancienne pour y élever une chapelle et y disposer une sépulture pour lui et sa postérité[20]. Naturellement, le chapitre de Bourges fit droit à cette demande. Une délibération fut prise à cet effet le lundi 14 juillet 1447 ; aussitôt, les travaux de la nouvelle chapelle commencèrent. Trois ans après, ils étaient achevés et pouvaient soutenir la comparaison avec ceux de la sacristie. On remarqua principalement la richesse des nervures de la voûte de la nouvelle chapelle. Ces nervures se réunissaient à une clef pendante formée d'ogives et terminée par un cul-de-lampe figurant un ange ; au sommet des ogives étaient des disques renfermant les attributs des évangélistes. Dans quatre autres disques étaient des anges musiciens. Une fleur de lis et deux cœurs ornaient la partie supérieure de la croisée, qui était divisée en quatre panneaux. Dans le panneau inférieur de la verrière, Jacques Cœur avait fait représenter saint Jacques, son patron, en costume de pèlerin, tenant, de la main gauche, un livre ouvert, et de la droite, un bourdon[21].

En même temps qu'il achetait cette prodigieuse quantité de terres, de châteaux, de seigneuries, de mines, de maisons, et qu'il faisait construire à Bourges cette sacristie, magnifique anneau d'un des plus beaux monuments de l'architecture gothique, et la somptueuse demeure à laquelle les contemporains ne trouvaient rien à comparer en France, Jacques Cœur ne négligeait aucune occasion d'établir sa famille dans des postes importants et d'ajouter à sa puissance personnelle celle que donnent des alliances considérables. Nicolas Cœur, son frère, était chanoine de la sainte-chapelle à Bourges ; en 1441, il le fit nommer évêque de Luçon. Jacques Cœur avait aussi une nièce et une sœur ; la première, Perrette, fut mariée à Jean de Village, qu'il avait associé à son commercé et qui était chargé de la direction, de ses affaires à Marseille[22] ; l'autre avait épousé Jean Bochetel, secrétaire du roi, dont la famille a, plus tard, fourni des secrétaires d'État et des ambassadeurs[23]. Enfin, Jacques Cœur avait eu de Macée de Léodepart, sa femme, une fille du nom de Perrette, et quatre fils. En 1447, il maria la première à Jacquelin Trousseau, fils d'Artheau Trousseau, vicomte de Bourges, seigneur de Marville et de Saint-Palais, à qui elle apporta en dot, dit son contrat de mariage, pour tout droiet de succession de père et mère, de frère et de sœur, tant qu'il y aurait hoirs masles descendants de masles, dix mille livres en monnaie courante[24]. Deux fils de Jacques Cœur, Henri et Jean, avaient embrassé les ordres sacrés[25]. Henri devint doyen de l'église de Limoges, et plus tard chanoine en l'église métropolitaine de la sainte-chapelle de Bourges. Au mois d'août 1446, Jean fut nommé, par le chapitre de Bourges, archevêque de cette ville, en remplacement de Henri d'Avaugour qui, atteint de la lèpre, avait abdiqué pour se retirer au monastère de Noirlac où il mourut quelques mois après[26]. Jean Cœur n'avait alors que vingt-cinq ans. Cependant son élection, bien que fortement appuyée par Charles VII, ne fut pas approuvée immédiatement par le Saint-Siège. Plusieurs lettres furent écrites sans succès à Eugène IV pour le décider à confirmer cette nomination. Celui-ci temporisait, soit à cause de la jeunesse de Jean Cœur, soit, peut-être, dans l'espoir d'obtenir de meilleures conditions dans l'arrangement des affaires de l'Église. Une nouvelle lettre du chancelier de France, Guillaume Juvénal des Ursins, vint le supplier, au nom du roi, d'accorder l'investiture au fils de son argentier. On prévenait en même temps Eugène IV qu'il trouverait la France d'autant mieux disposée à son égard[27]. Enfin, après quatre ans d'attente, les difficultés furent levées. Le jeune archevêque de Bourges, en même temps métropolitain, patriarche et primat des Aquitaines, fit son entrée solennelle dans cette ville au mois de septembre 1450. Il n'avait pas plus de vingt-neuf ans. Rien ne donne mieux sans doute une idée du crédit dont jouissait alors Jacques Cœur. Ses principaux amis, parmi lesquels ou remarquait Jean de Bar, conseiller du roi, les évêques d'Agde, de Carcassonne et de Nevers, ainsi qu'une foule de chevaliers, assistèrent à cette entrée[28], à l'occasion de laquelle Jacques Cœur donna dans son hôtel de La Chaussée, alors bien près d'être complètement terminé, une fête splendide. De ses deux autres fils, l'un, nommé Ravaut, mourut sans postérité, et n'a laissé d'autre trace de son passage que son nom ; l'autre, Geoffroy Cœur, était jeune encore à cette époque, et ne joua un rôle dans le monde que sous le règne suivant.

Tout réussissait, on le voit, à l'heureux argentier de Charles VII. Dans l'espace de vingt années, il s'était élevé au faîte des honneurs et il avait fondé la fortune la plus considérable qu'un particulier ait peut-être jamais possédée en France. Il faisait, d'ailleurs, de cette fortune, soit qu'il obéît à son naturel, soit par calcul ou ostentation[29], un usage qui ne pouvait qu'ajouter au prestige de son nom. On a vu quelles sommes il avait dû dépenser pour faire construire, indépendamment de son hôtel, la sacristie et l'une des chapelles de la cathédrale de Bourges. Sa magnificence ne s'exerçait pas seulement dans sa ville natale. Paris et d'antres villes en ressentirent les heureux effets. De son temps, dit un écrivain du seizième siècle, Jacques Cœur, de Bourges, marchant et depuis argentier de France, fonda le collège des Bons-Enfans et la chapelle Sainct-Cler, en la rue Sainct-Honoré[30]. En 1448, on frappa, à la monnaie de Bourges, cette monnaie d'argent que le peuple appela les gros de Jacques Cœur[31]. Ce qui ajoutait encore à l'influence que lui donnaient ses richesses, c'était la gêne relative de la plupart des hommes qui vivaient à la cour, de la famille royale, de la reine elle-même. En 1440, madame Aragonde de France, fille du roi, empruntait à Jacques Cœur 80 livres parisis pour avoir une robe[32]. Le 18 juillet 1443, Marie d'Anjou, femme de Charles VII, écrivait à un receveur des gabelles du Poitou de payer une somme de 343 livres 15 sols tournois qu'elle avait empruntée du sieur Hélionnet Martin, son valet de chambre. Pour laquelle somme, ajoutait la reine de France, luy avons baillé et gaigé nostre Bible, laquelle il nous a rendeüe, et nous en tenons pour contente[33]. Trois ans après, la reine faisait elle-même une spéculation sur les vins du Poitou et délivrait à un de ses intendants une lettre de crédit de 930 livres sur le receveur général de la province pour charger, disait la lettre, une nostre nef de 50 tonneaux de vin que nous avons fait acheter par nos serviteurs en la ville de La Rochelle et la mener en Flandre pour, par eschange d'iceux, avoir d'autres marchandises nécessaires pour nostre hostel[34].

Enfin, au mois de mars 1448, le sieur Pierre Berart, au service de Marie d'Anjou, déclarait avoir reçu de Guillaume de Varye, l'un des associés de Jacques Cœur, la somme de quatre cents escuz sur la perle qui estoit à la Royne, laquelle perle ledit Berart avoit engagée, icelle somme promettant rendre en recevant ladite perle[35].

Quatre ans plus tard, le 19 août 1452, Marie d'Anjou écrivait à Jean Pasquier pour se plaindre de ce qu'il avait différé de lui bailler soixante escus d'or neuf qu'elle lui avait demandés pour la fin du mois de juillet précédent. Marie d'Anjou ajoutait qu'elle le priait de ne plus différer, lui promettant de bonne foi et en parole de reine, de les lui rendre dans le mois de septembre suivant, quand Michel Guillart serait de retour du pays de Languedoc où elle l'avait envoyé pour le fait de ses finances[36].

D'un autre côté, des reçus nombreux établissent que Jacques Cœur vendait, sur avance, aux plus grands seigneurs de la cour, au comte du Maine, à l'amiral de Bueil, à Dunois, à Gaspard Bureau, et à une foule d'autres, les armes, les harnais, les soieries, les velours et autres étoffes dont ils avaient besoin[37]. Enfin, dit un document officiel contemporain, Jacques Cuer qui, pour lors, estoit conseiller et argentier dudit seigneur le Roi, et avoit grant autorité devers lui, fournissoit son argenterie de toutes denrées[38]...

Le reçu suivant de la première femme de Louis XI, de cette spirituelle Marguerite d'Écosse, célèbre par la délicatesse de son esprit, et par le dégoût que lui donna de la vie une calomnie dont elle fut l'objet, prouve en outre que Jacques Cœur avait un comptoir en Lorraine, et qu'il était le banquier de la cour.

Nous, Marguerite, Daulphine de Viennois, confessons avoir reçeu de maistre Estienne Petit, secrétaire de monseigneur le Roy et Receveur général de ses finances de Languedoc et de Guyenne, deux mille livres tournois à nous données par mondit seigneur et à nous fait bailler par les mains de Jacques Cuer, son argentier, nous estans naguères à Nancy en Lorraine, pour avoir des draps de soue et martres pour faire robes pour nostre personne. Donné soubz nostre scel et signé de nostre main le 20e de juillet 1445. MARGUERITE[39].

D'après une autre pièce, Jacques Cœur avait remboursé à Pierre Brézé dix mille écus reçus pour son compte du trésorier de Bretagne[40]. On peut donc croire que tous les grands mouvements de fonds et la plupart des opérations de banque du temps s'effectuaient par l'entremise du tout-puissant argentier.

Mais ce n'était rien de vendre à crédit aux courtisans et à leurs femmes, Jacques Cœur avait, comme on l'a vu, acheté d'immenses propriétés territoriales à des rejetons ruinés de familles jadis riches, à des personnages considérables encore par leur nom ou par leur position à la cour et qui, tout en ayant sollicité de lui ce service, n'avaient pu le voir sans envie s'enrichir de leurs dépouilles. Au nombre de ces personnages se trouvait le duc Philippe de Bourbon, qui lui avait vendu la terre seigneuriale de Saint-Gérand-de-Vaux, dans le Bourbounais et le maréchal de Culan, de qui il avait acheté les terres d'Yvel-le-Viel et de Meaulne en Berry. Au mois de janvier 1442, Georges de La Trémouille avait acquis du marquis de Montfeirat, au prix de vingt-un mille écus d'or, les châtellenies, terres et seigneuries de Toucy, et les châteaux, terres et seigneuries de Saint-Fargeau, de La Couldre, de Lavau en Puisaye, de Péreuse, dans le comté de Nivernais, ainsi que la baronnie de Donzy. Georges de la Trémouille n'ayant pas rempli ses engagements, le marquis de Montferrat rentra en possession de tous ses biens et les vendit, au mois de février 1450, à Jacques Cœur, qui commit, en outre, l'imprudence d'accepter diverses obligations de La Trémouille, qu'il fut, bientôt après, obligé de faire poursuivre pour le payement d'une somme de deux mille écus[41].

Indépendamment des inimitiés que cette conduite devait lui attirer, Jacques Cœur s'en préparait d'aussi grandes en prêtant de l'argent à tous les courtisans besogneux qui recouraient à lui. Un document authentique fait connaître les noms d'une partie de ses débiteurs[42]. Il suffira d'en citer quelques-uns.

Le comte de Foix lui devait 2.995 écus ;

Le seigneur de Biron, 96 écus ;

Henri de Marle, maître des requêtes, 36 écus ;

L'évêque de Maguelonne, 288 écus ;

La dame de Joyeuse, 60 livres ;

Raoulin Couchinart, écuyer de cuisine, 79 écus ;

Guillaume de Rosnivant, premier échanson, 182 écus ;

Le sire de Maupas, bailli de Berry, 139 écus ;

Le bailli de Gévaudan, 227 écus ;

Guérin de Limoges, 1.000 écus ;

Jean de Bar, chevalier de Baugy, 244 livres ;

Jean de Viliers, 812 livres ;

Jacob de Litemont, peintre du roi, 209 livres ;

Raoulin Regnault, écuyer, 191 livres ;

Jean de Lalande, écuyer, 24 livres ;

Pierre de Louvain, chevalier, 120 livres ;

Le sire de Montejean, 140 écus ;

Joachim Girard, écuyer, 316 écus ;

Jean Lemeingre, dit Bouchiquaut, 247 écus ;

Michel de Cherber, 249 écus ;

Le sire de Tournouelle, 569 écus ;

La fille de Philippe de Culan, 873 écus ;

Jeanne de Lavoisine, darne de Mortaigne, 43 écus.

Dettes existant en Languedoc, 10.000 écus.

Il était dû, en outre, à Jacques Cœur[43], par Loys de Beauveau, pour certain cramoisy fignet à luy vendu, 220 ducats ;

Par messire de Jandy, 82 écus et quart, une aune de velours plein violet et deux aunes de satin fignet ;

Par Xaincoins, trésorier des finances, 200 sous tournois ;

Par noble et puissant seigneur Jean de Bueil, amiral de France, 800 écus d'or, pour vente de certaines brigandines ;

Par le même, en deux autres reçus, 341 écus d'or ;

Par Jean de Lalande, écuyer, 36 écus d'or ; Par le sieur Despeaulx, 99 écus d'or ;

Par Michel de Beauvillier, seigneur de la Ferté, 38 écus d'or ;

Par Raoulin Regnault, 56 écus et demi ;

Par Regnault du Dresnay, Bailly de Sens, 259 livres ;

Par Amaury de Fontenay, 36 écus d'or ;

Par Jean Garingié, dit Bouciquaut, 248 écus et demi ;

Par le sieur de Fontenille, suivant l'ordre ci-après : Messire le contrôleur, je vous prie que me veuillez envoyer VIII aulnes de velours noir, et je les vous paieray ;

Par Gaspard Bureau, cent livres tournois reçeues comptant ;

Par messire Adam de Cambray, premier président, pour prêt à lui fait, 10 écus ;

Par Gilles le Bouvier, dit Berry, héraut d'armes du roi, 19 écus[44] ;

Par Jean de Verdun, dit Salins, héraut d'armes, 16 écus, etc., etc.

Comment la faveur de Jacques Cœur aurait-elle résisté à la reconnaissance de cette multitude de courtisans qu'il avait assistés de son argent ? Comment ne comprit-il pas qu'un m'ornent viendrait où tous ses débiteurs seraient les premiers, suivant l'usage ordinaire, à se tourner contre lui et se changeraient en autant d'accusateurs ? Une circonstance éclatante devait, au surplus, marquer encore et couronner, en quelque sorte, la carrière du riche argentier. Depuis près d'un siècle, la France se débattait, avec des chances diverses, contre l'occupation anglaise. A partir du traité d'Arras, et grâce à la coopération du duc de Bourgogne, Charles VII avait peu à peu resserré le cercle de l'invasion ; un certain nombre de villes avaient été reprises, notamment dans la Normandie ; mais l'ennemi était encore maître de Rouen et de Bordeaux. Plus la France s'éloignait des jours où sa nationalité même avait été si grandement menacée, plus elle supportait avec impatience la domination étrangère. Le sentiment publie, de jour en jour plus prononcé, poussait donc le gouvernement à faire un dernier effort pour chasser les Anglais du territoire, en commençant par la Normandie, à cause de sa proximité de la capitale. Mais c'était là une entreprise coûteuse à cause des nouvelles troupes qu'il fallait rassembler, la milice ordinaire étant insuffisante et le trésor épuisé. Un seul homme en France pouvait faciliter ce patriotique dessein ; c'était Jacques Cœur. Charles VII eut recours à lui. On connaît la noble réponse de l'illustre marchand : — Sire, ce que j'ay est vostre, dit-il au roi, et il lui prêta deux cent mille écus[45].

Bientôt la campagne commença. La conquête de la Normandie en fut la conséquence. Un chroniqueur fait remarquer que durant cette conqueste, tous les gens d'armes du Roy de France et ceux qui estoient en son service feurent payés de leurs gages de mois en mois[46]. Au bout d'un an, les Anglais, successivement refoulés jusqu'au littoral, étaient vaincus sur tous les points. Charles VII, la salade en tête, le pavois à la main, dirigea lui-même le siège de plusieurs villes. Jacques Cœur l'accompagnait partout. La capitulation de Rouen, qui eut lieu dans les premiers jours du mois de novembre 1449, fut marquée par des réjouissances générales. Charles VII fit son entrée solennelle dans cette ville le 10 novembre.

Le Roy, dit un témoin oculaire, partit du lieu de Saincte-Catherine pour entrer dans sa cité de Rouen. Il estoit accompagné d'un grand nombre de seigneurs entre lesquels, après le Roy, estoient en plus riches habillements les comtes de Sainct-Pol et de Nevers, car le dict comte de Sainct-Pol estoit tout armé à blanc monté sur un cheval enharnaché de satin noir, semé d'orfèvrerie blanche ; derrière luy trois pages vestus et montez sur chevaux enharnachez pareillement que le dit seigneur, dont l'un portoit une lance couverte de velours vermeil, l'autre, une couverte de drap d'or, et le tiers portoit un armet en sa teste, tout de fin or richement ouvré. Le dit comte de Nevers avoit huict gentilshommes, dont tous les chevaux estoient couverts de satin vermeil, à grandes croix blanches. Le Roy de France estoit armé de toutes pièces, monté sur un coursier couvert jusques aux pieds de velours azuré, semé de fleurs de lys d'or, de brodeure, portant en sa teste un chapeau de velours vermeil, auquel avoit au bout une houppe de fil d'or, et après luy ses pages vestus de vermeil, leurs manches toutes couvertes d'orfèvrerie blanche, portant ses harnois de teste couverts de fin or, de diverses façons d'orfèvrerie et plumes d'autruche de plusieurs couleurs. A sa dextre, chevauchait le roy de Sicile, et à sa senestre, le comte du Maine, son frère, armez de leurs harnois complets, leurs chevaux richement couverts de couvertures pareilles, à croix blanches, les dites couvertures semées de houppes de fil d'or, et leurs pages semblablement... Devant le Roy de France estoit Poton, seigneur de Saintrailles, bailly de Berry, et grand essuyer d'escuyrie, armé de tout harnois, monté sur grand destrier harnaché de velours azuré, à grandes affiches d'argent doré, lequel portoit en escharpe la grande espée de parement du Roy, dont le pommeau et la croix estoient d'or, la ceinture et la gaine d'icelle espée couverte de velours azuré, semé de fleurs, de lys d'or, la boucle, le mordant et la bouterole de mesme. Devant estoit messire Guillaume Juvénal des Ursins, seigneur de Traiguel et chancelier de France, revestu en habit royal, de robe et chaperon fourrez, avec un mantel d'escarlate, et devant luy une haquenée blanche, couverte de velours azuré, semé de fleurs de lys d'or, de brodeure pareille du Roy, et dessus la dite couverture un petit cofret couvert de velours azuré, semé de fleurs de lys d'or, dedans lequel estoient les grands sceaux du Roy de France... Au devant du Roy (lui estant encore aux champs) vinrent à cheval l'archevesque de la cité, accompagné de plusieurs évesques, abbés et autres gens d'église, constitués en dignité, lesquels luy firent la révérence fort humblement et s'en retournèrent. Après vint le seigneur de Dunois, lieutenant général, monté sur un cheval couvert de velours vermeil, avec une grande croix blanche, vestu d'une jacquetté pareille, fourrée de fines martres sebelines, portant en sa teste un chapeau de velours noir et une espée à son costé garnie d'or et de pierreries, et à la bouterole un ruby prisé vingt mille escus. En sa compagnie estoient le seneschal de Poitou, sire Jacques Cueur, argentier, et le sire de Gaucourt, montez, houssez et vertus comme le dit comte de Dunois[47]...

Les détails de cette cérémonie, qui fut suivie peu de temps après de la conquête de toute la Normandie, charmèrent les imaginations. Un poète historien les reproduisit ensuite dans ses rimes, qui devinrent populaires. Voici comment il raconta l'entrée de Rouen, du moins en ce qui concerne la place qu'y occupa Jacques Cœur :

Le dit Dunois estoit monté,

Sur un cheval plaisant à l'euil,

Enharnaché, bien apointé

Et couvert de velours vermeil....

Après li le suyvoient de court

Brézé, Jacques Cueur l'argentier,

Avec le sire de Gaucourt,

Tenant les rencs de leur quartier.

Ces trois estoient vestus de mesines

De jacquettes et paravant,

Comme Dunois et en tout esmes,

Sans différence aucunement....

Et pour loyaument conseiller

L'entretènement et police,

Y avoit Trainel chancelier

Et autres grant gens de justice,

Valpergue, le seigneur Gaucourt,

Sire Jacques Cueur l'argentier,

Et autres gens suivans la court,

Faisant debvoir en leur quartier ;

Mesmement ledit Jacques Cueur,

Touchant l'argent et les finances,

Et qui y travailloit de cueur,

Faisant extrême diligence....[48]

Ainsi, à cette époque de sa vie, les richesses de Jacques Cœur étaient prodigieuses et s'accroissaient tous les jours. Les faveurs que Charles VII lui avait accordées lui livraient, en quelque sorte, le monopole de tout le grand commerce de la France. Il était l'intermédiaire indispensable de quiconque avait de l'argent à toucher dans quelque ville que ce fût du royaume ou de l'étranger. A peine âgé de cinquante ans, son activité et les ressources qu'il possédait déjà devaient nécessairement, en quelques années, augmenter encore sa fortune dans des proportions fabuleuses. En même temps, tous les honneurs s'accumulaient sur sa personne. Il était successivement devenu maître des monnaies, argentier, conseiller du roi, commissaire annuel aux états du Languedoc, trois fois ambassadeur. Un de ses frères était évêque, et son fils avait été appelé, à l'âge de vingt-cinq ans, au premier poste ecclésiastique de la France. En 1450, Charles d'Orléans, oncle du roi, faisait acheter dans sa duchié d'Orléans, du vin cleret, pour iceulx vins estre donnés et distribués aux gens du Grand Conseil, et il en envoyait quatre poinçons à Jacques Cœur[49]. De son côté, celui-ci ne négligeait pas les soins que lui imposaient ses fonctions et notamment celles de maître des monnaies. Un jour, il fut informé confidentiellement qu'un receveur des aides des environs de Bourges payait les gens d'armes du roi avec de la faussé monnaie. A ce sujet, il adressa au sieur de Barbançoys, capitaine de la ville de Saint-Benoît, la lettre suivante, écrite en entier de sa main[50] :

Monsieur de Barbançoys, ge me recommande à vostre bonne grace tant corne faire le peuz et vous plaise sçavoir que hier, après vespres, est venu par deça ung home inconnu, lequel a dit qu'il vouloit parler à moy, moyennant que luy promettrois tenir sa dicte parolle secrète sans ne descouvrir ne révéler à personne -vivant que de luy vendit ; auquel ayant donné oreille m'a dict que le recepveur des aides à Saint-Benoyst avoit accointance avecque des arquemiens[51] par le moyen desquels faisoit escus d'arquemie, lesquels employoit au payement des gens d'armes, et avoit jà pieça de telle sorte, à la cognoissance dudict qui en parloit, eschangié cinq lingots qui n'estoient d'or corne sernbloyt, mais n'estoit que leton doré par ledict moyen d'arquemie ; et corne se débvoit réunir ledict recepveur et tous ensemble avecque lesdicts arquerniens de nuyt en une ostellerie dudict Saint-Benoyst où pend l'ensoingne de l'orne sauvage ; et là se debvoient eschangier encore afflues lingots ; que me fait vous mander par la présente entendre à faire espier et agueter ledict recepveur et tous qui ainsy adviendront en ladicte ostellerie, et yeeulx faire prendre prisonniers, et rendre ledict recepveur à Bourges, affin de enquester sur lesdictes besongnes. Et à ce ne debvez en rien faillir pour estre chose de grant utilité au service du Roy nostre sire. Et d'abundance, Monsieur de Barhançoys, nie recommande à vous et à Dieu prie qu'il vous doint bonne vye et longue. De Bourges, ce VIIIe jour de apvril.

Cependant, de sourdes rumeurs circulaient depuis longtemps contre Jacques Cœur. D'après les uns, d'aussi grandes richesses que les siennes ne pouvaient avoir été acquises honnêtement, et ils revenaient sans doute tout bas sur la condamnation qui l'avait frappé en 1429, au sujet de sa participation à la fabrication de monnaies faibles de titre. D'autres faisaient probablement vibrer une corde plus sensible encore, en rappelant les Médicis qu'il semblait d'ailleurs avoir, sous certains rapports, pris pour modèle, et en lui attribuant les mêmes desseins, la même ambition. Le prêt de 200.000 écus qu'il avait fait au roi pour lui donner les moyens de chasser les Anglais de la Normandie[52] dut ajouter un nouvel élément à toutes ces causes de défaveur, en mettant Charles VII lui-même dans sa dépendance, et en fixant l'esprit envieux et méfiant de ce prince sur le parti qu'il pourrait tirer des richesses de son argentier.

Une circonstance imprévue, et qui ne paraissait pas de nature à exercer la moindre action sur la destinée de Jacques Cœur, la mort presque subite d'Agnès Sorel, vint, sur ces entrefaites, fournir le prétexte impatiemment attendu, sans nul doute, par tant de gens. Mais avant d'entrer dans les détails de cette intrigue, il importe de jeter un coup d'œil rapide sur l'état des arts et des lettres au quinzième siècle, et de marquer autant que possible le point auquel ils étaient alors parvenus, afin de pouvoir mieux déterminer la part d'honneur qui revient au Moyen âge, et celle que la Renaissance est en droit de revendiquer.

 

 

 



[1] Actes judiciaires relatifs à la vente des biens de Jacques Cœur, publiés par M. Buchon d'après les Mss. originaux appartenant à M. le marquis de Boisgelin, propriétaire actuel du château de Saint-Fargeau ; Panthéon littéraire, Mémoires de Duclercq et de Saint-Remy, p. 522. — Histoire du Berry, par La Thaumassière, liv. I, p. 90.

[2] D'après une notice publiée par M. Danielo dans le journal la Quotidienne, du 1er décembre 1836, notice citée par M. le baron Trouvé (Jacques Cœur, etc., p. 424, notes), le château d'Augerville aurait été confisqué sur un des seigneurs de la cour par Charles VII, et donné par lui à son argentier. Je n'ai trouvé aucune trace de ce don que je suis loin, d'ailleurs, de contester, attendu qu'il était conforme aux habitudes du temps. M. Danielo parle en outre d'une Marie Cœur, fille de Jacques Cœur. Or, celui-ci n'a eu qu'une seule fille, nommée Perrette, qui épousa Jacquelin Trousseau. Marie Cœur, qui fut mariée à Eustache Luillier, était fille de Geoffroy Cœur, fils de Jacques Cœur.

[3] L'une de ces maisons était située sur l'emplacement actuel du Palais-Royal ; l'autre, rue de l'Homme-Armé. Celle-ci aurait été achevée par le cardinal La Balue. (Vie privée des Français, par le marquis de Paulmy, citée par M. le baron Trouvé : Jacques Cœur, etc., p. 322.)

[4] La Thaumassière, ibid. — Voir, au sujet de la maison de Marseille, pièces justificatives, pièce n° 3, extrait L. — Cette maison fut plus tard adjugée au roi pour 300 écus, et devint la maison de ville. (La Thaumassière.)

[5] Recherches et antiquités gauloises et françaises de P. Borel, conseiller et médecin ordinaire du roi, Paris 1655.

[6] D'Aigrefeuille, Histoire de Montpellier.

[7] Borel, loc. cit.

[8] On lit à ce sujet dans un volume intitulé : Voyages dans les départements de l'ancien Languedoc, par M. R. de Wilback, p. 292 :

Un peu plus loin que le nouvel hôpital, en remontant le petit ruisseau du Verdanson, on trouve un monument du quinzième siècle. C'est une fontaine, seul reste des dons de Jacques Cœur à sa résidence favorite. Lorsqu'il fut disgracié, les consuls reçurent l'ordre d'enlever ses armoiries de la fontaine, et d'y substituer celles de la ville et du roi ; mais ils n'exécutèrent que la moitié de cet ordre. Un double écusson porta les armes de la ville et celles de son bienfaiteur.... Ce monument a été réparé dans ces derniers temps ; mais au lieu de lui restituer le nom de celui qui l'a fait construire, on l'a appelé Font Potanelle, sans doute à cause des rendez-vous qui s'y donnaient, par suite de son isolement.... — Miss Costello dit au sujet de the font Putanelle : From the latin word puteus, a well. (Jacques Cœur, etc., p. 139). Il est inutile d'ajouter que l'étymologie de Wilback est la seule vraie.

[9] Quæ profecto tam magnifica, et tantis ornamentis decorata existit domus, ut vix in tota Gallia, nec modo secundi gradus nobilitatis, sed nec Regis pro sua magnitudine et capacitate ornatior ac magnificentior facile possit inveniri. (Amelgard, liv. IV, cap. XXVI. — Voir aux pièces justificatives, n° 1, extrait E.)

[10] La vente avait eu lieu à condition que Jacques Cœur ferait construire, à ses frais, au propriétaire, une maison nouvelle sur le même terrain, ou qu'il donnerait 300 écus d'or une fois payés. Aucune de ces conditions n'ayant été remplie, Lallemant, avait, lors de la vente des biens de Jacques Cœur, formé opposition à cette vente, mais il fut débouté. (Actes judiciaires, etc., etc. ; voir Mémoires de Duclerc (Panthéon littéraire), p. 632.

[11] La Thaumassière, Histoire du Berry, p. 136.

[12] Antonius Astezanus (Antoine d'Asti), Mss. appartenant à la bibliothèque de Grenoble, cité par M. Raynal, p. 72, note. — Voici le passage qui se rapporte à Jacques Cœur ; il est extrait de la description de la ville de Bourges :

Hic etiam dignas illustri principe vidi

Ædes quas, summo studio, Argentarius alti

Regis, tantum animo quam ditissimus auro,

Non secus ac notus prœclaro nomine Crassus,

Construit : et quamvis nondum finiverit illas,

Jam tamen absunipsit scutorum millia centum

Aurea, dum pulchras fabricare enititur œdes,

Percupidus ne quid speciei desit earum.

[13] Je me suis particulièrement aidé, pour la description de l'hôtel de Jacques Cœur, d'un curieux travail de M. Haze, intitulé : Notices pittoresques sur les antiquités et les monuments du Berri. J'ai aussi consulté avec fruit l'Histoire du Berry de M. Raynal, loc. cit., p. 66 et suivantes. — Conférer, en outre, Remarques sur plusieurs monuments de Bourges en 1829, par M. Cibert, insérées dans les Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères publiées par la Société royale des antiquaires de France, nouv. série, t. II, p. 217 et suivantes ; Notes d'un voyage en Auvergne, par M. Prosper Mérimée. Voir, d'ailleurs, sur l'état actuel de l'hôtel de Jacques Cœur, un intéressant rapport de M. Mérimée, aux pièces justificatives, pièce n° 9.

Voici ce que dit Miss Costello de l'hôtel de Jacques Cœur : There is an originality altogether peculiar in the building, which makes it stand alone as a work of art, worthy of admiraiton of Europe. Although times and neglect and modern repair have deall hardly with this beautiful structure, there is enough remaining to excite the highest interest and admiration, and to make flac desolate old tocan of Bourges worthy of being a place of pilgri mage to the traveller of taste. Jacques Cœur, p. 116.

[14] MCCCCL ME FIST FAIRE JAQUES (ici un cœur), ON (pour au) MOIS DE JUILLET.

— Je dois la communication de cette inscription à l'obligeance de M. Vallet de Viriville, qui l'a prise lui-même sur les lieux.

[15] Les fresques de cette chapelle sont encore assez bien conservées, malgré, il faut bien le dire, le peu de soin qu'on en a pris. Les têtes des anges offrent une variété d'expressions extatiques vraiment remarquables et d'une variété infinie. Le dessin en est pur et correct. M. Mérimée pense que l'exécution de ces fresques dut être confiée à des artistes italiens.

[16] Un libraire très-renommé vers la fin du quinzième siècle par la supériorité des livres d'Heures qu'il éditait, Pierre Regnault, de Caen, portait dans sa marque (gravure sur bois qui était empreinte sur tous ses livres) ces mots : faire et Taire. — Voir le Manuel du libraire, par Brunet, t. IV, p. 784.

[17] On croira sans peine que cette sculpture, ainsi placée et cachée, pour ainsi dire, a donné lieu à bien des commentaires. En admettant que Jacques Cœur fût le héros de la scène, et que la tête couronnée placée dans l'arbre fût celle du roi, quelle était cette femme aussi couronnée ? Était-ce la reine, ou une princesse du sang, ou tout simplement Agnès Sorel ? Si cette sculpture, qui est d'ailleurs parfaitement bien conservée, a une signification historique, il y a là un mystère qui ne sera probablement jamais éclairci. — Quoi qu'il en soit, si l'on admet que cette scène se rattache à Jacques Cœur, il est très-probable que c'est son fils, Geoffroy Cœur, qui aura fait sculpter, sous le règne de Louis XI, dont il devint l'échanson, ce souvenir de l'imprudence ou de la faute paternelle. Il n'est pas possible de croire, en effet, quelque vanité que l'on veuille supposer à Jacques Cœur, qu'il eût commandé lui-même cette sculpture, dans l'hypothèse où il y remplirait le principal rôle.

[18] Archives Nat., Mss. Compte de la vente des biens de Jacques Cœur, registre K, 328, Voir aux pièces justificatives, n° 3, extrait L.

[19] La cathédrale de Bourges, description historique et archéologique, par MM. de Girardot et Durand. Moulins, 1849. (Excellent travail auquel j'ai emprunté la description qu'on vient de lire.) J'ai consulté également, sur ce sujet, la Description historique et monumentale de l'église patriarcale, primatiale et métropolitaine de Bourges, par Romelot, chanoine de cette église ; Bourges 1824 ; p. 173 et suivantes. — M. Raynal, loc. cit., p. 62.

[20] In eodem Capitulo venit dominas Argentarius et supplicavit Dominos ut sibi velint concedere et dare antiquum vestibulum dicte ecclesie pro edi ficando unam capellam et in eadem facere et construere sepulturam pro se et sua posteritate ; et Domini capitulantes, considerantes beneficia quod (sic) ipse facit in ecclesia predicta construendo unum vestibulum et librariam et alia bona quod (sic) faciet in eadem ecclesia, concesserunt sibi petitionem suam. — Reg. capit. Lundi, 14 juillet 1447. — Cité par M. Raynal, p. 63, note.

[21] La cathédrale de Bourges, etc., p. 91. — M. Raynal, loc. cit., p. 63. — Seul de sa famille, Nicolas Cœur, évêque de Luçon et frère de Jacques Cœur, fut enseveli, en 1450, dans la nouvelle chapelle que Jacques Cœur avait fait construire pour lui et sa postérité.

[22] Bibl. Nat. Fonds Saint-Germain, n° 572. Procès de Jacques Cœur, p. 930.

[23] Histoire de Charles VII, dans Godefroy, p. 865.

[24] Bibl. Nat., Mss., n° 572, p. 1125 à 1139 : Traicté de mariage de Perrette Cueur, fille de Jacques Crieur, avec Jacquelin Trousseau. Voir aux pièces justificatives, n° 10.

[25] Jean Cœur avait étudié ès arts à l'Université de Paris. — En 1443-1444, il détermina comme bachelier, sous maitre Jean Béguin. Sa bourse était de 10 sous parisis. — En 1445, au mois d'avril, il fut inscrit au nombre des licenciés ès-arts, et prit rang parmi les incipientes, c'est-à-dire qu'il commença à régenter en l'Université. Sa bourse était alors de sept sous parisis. (Registre n° 1, folios 9 et 25. — Voir l'Histoire de l'instruction publique, p. 356, par M. Vallet de Viriville, à l'obligeance duquel je dois communication de cette note.

[26] Gallia Christiana, t. II, p. 88.

[27] Spicilegium, etc., de dom Luc d'Achery, t. III, p. 766. — La lettre n'est ni datée, ni signée ; mais elle est attribuée à Guillaume Juvénal des Ursins ; en voici un extrait : Sanctitati igitur restrœ beatissimœ humiliùs supplico, ut dictum magistrum Joannem ad ipsum archiepiscopatum prœficere dignetur, preces domini mei regis exaudiendo : sicque rem prœdicto domino et suo Consilio Vestra Sanctitas faciet gratissimam et ipsum dominum ad ejusdem negotia REPERIET PARATISSIMUM. Voir, aux pièces justificatives, n° 7, lettres et pièces diverses, pièce 6.

[28] Procès verbal du joyeux avènement de Jean Cœur, aux archives du chapitre de Bourges, cité par M. Raynal, t. III, p. 62.

[29] Pendant son procès, plusieurs personnes réclamèrent des sommes qu'il leur devait, dirent-elles, depuis longtemps, et qu'elles perdirent.

[30] Les antiquitez, chroniques et singularitez de Paris, par Gilles Corrozet, Parizien. Paris, 1586, 1 vol. in-8, p. 143, verso. — D'après Michel Félibien, Histoire de Paris, t. I, p. 247, Jacques Cœur n'aurait pas été le fondateur, mais le bienfaiteur ou restaurateur du collège des Bons-Enfants.

[31] Chaumeau, Histoire du Berry, p. 240.

[32] Bibl. Nat., Mss. Inventaire des papiers de Jacques Cœur. Voir pièces justificatives, n° 5.

[33] Bibl. Nat., Mss. Portefeuilles Fontanieu, n° 119-120.

[34] Bibl. Nat., Mss. Portefeuilles Fontanieu, n° 119-120.

[35] Inventaire des papiers, etc., pièce justificatives, n° 5.

[36] Catalogue des lettres autographes du Cabinet de M. le baron de L. L. Paris, Charon, 1846.

[37] Inventaire des papiers, etc., pièces justificatives, n° 5.

[38] Actes judiciaires concernant la vente des biens de Jacques Cœur. Voir dans Buchon, à la suite des Mémoires de Duclercq, p. 634.

[39] Bibl. Nat., Mss. Histoire de Louis XI, par Legrand, t. VI, pièces justificatives. — C'est Marguerite d'Écosse qui, ayant aperçu le poète Main Chartier, dont la laideur était extrême, endormi au pied d'un arbre, aurait, dit-on, déposé discrètement un baiser sur sa bouche, à cause de son éloquence. Accusée par un des serviteurs du Dauphin d'avoir été vue découverte dans son lit, pendant que quelques cavaliers étaient près d'elle, Marguerite éprouva un si profond chagrin de cette calomnie et de l'indifférence avec laquelle le Dauphin l'accueillit, qu'elle mourut de chagrin à vingt ans, en prononçant ces mots : Fi de la vie ! qu'on ne m'en parle plus.

[40] Inventaire des papiers, etc., pièces justificatives, n° 5.

[41] Histoire du roy Charles VII, etc., dans Godefroy, p. 871.

[42] Bibl. Nat., Mss. Fonds Saint-Germain, n° 572. Procès de Jacques Cœur, loc. cit., p. 951 et suivantes : Don faict par le Roy a Ravaut et Geoffroy Cueur, et à Guillaume de Varye, de certains héritages avec plusieurs debtes et biens de Jacques Cueur. Voir pièces justificatives, pièce n° 18.

[43] Bibl. Nat., Mss. Inventaire des papiers de Jacques Cœur. Voir, aux pièces justificatives, pièce n° 5.

[44] C'est l'auteur de l'une des chroniques réunies sous le titre de Histoire de Charles VII, par Godefroy, et de la description de la France que l'on a vue au chapitre V.

[45] Mathieu de Coucy, dans Godefroy, Histoire du roy Charles VII, p. 692. — Voir la préface, p. XVII.

[46] Mémoires de Jacques Du Clercq, liv. I, chap. XXVII.

[47] Chronique du règne de Charles VII, par Berry, premier héraut d'armes : dans Godefroy, p. 445. — J'ai essayé d'indiquer dans le Ier volume, chapitre II, quelle avait été l'influence de Dunois, le grand rôle qu'il avait rempli auprès de Charles VII, l'appui qu'il avait donné à Jeanne Darc, enfin les immenses services qu'il avait rendus à la France par son épée et ses conseils. Depuis que celle partie de l'ouvrage est imprimée, il m'a été donné communication d'une charmante lettre de Dunois à madame de Dampierre, sa commère, lettre qui faisait partie, comme plusieurs autres que je suis heureux de publier, de la magnifique collection d'autographes de M. le baron de Trémont. On sait que M. le baron de Trémont, ami éclairé des lettres et des arts, a fait, en mourant, le plus noble usage de sa fortune, dont le revenu, s'élevant à dix-huit mille francs environ, doit être consacré en actes de bienfaisance auxquels participeront les artistes ou leurs familles, si un malheur immérité vient à les frapper. — Je ne puis résister au désir de reproduire ici, bien qu'elle ne soit pas à la place qu'elle aurait dû occuper, la lettre de Dunois, convaincu qu'elle ajoutera encore, par l'accent de bonté qui y règne d'un bout à l'autre, à la sympathie qu'inspire ce noble et grand caractère.

Madame ma comere, je me recommande à vous tant comme je puys ; je vous envoie Gauvayn avecque tel messaige que debvrez vous en esmerveiller de ma part, qui est ce petit enfant lequel ay depuyz deux jours et le veulx sortir de nos marches l'ayant rescu d'une povre fame, laquelle ayant ung franc archer navré de grant plaie, et le tenant à son col, me l'a se tellement recommandé que je le prinsse que ne l'ay peu refuser, et le vous veulx aussi recommander et que faeiez prier pour la povre dicte fame, laquelle avant que morir, se confessa et prist tout les sacremenz comme bonne chrestienne, me priant bien de son dit enfant et de son ame. De quoy vous en retorne jouxte la promesse que luy en ay faicte, priant notre hennit créateur vous donner en sa grasse bien bonne vye et vos désirz. De sainct Benoict, XXe jour de sétambre. Le tout votre bon compère, LE BASTARD D'ORLÉANS.

[48] Les Vigiles de Charles VII, par Martial d'Auvergne, année 1419.

[49] M. Aimé Champollion Figeac, Louis et Charles d'Orléans, leur influence sur les arts, la littérature et l'esprit de leur siècle, IIe partie, p. 366.

[50] Cette lettre est inédite. Elle faisait partie de la collection d'autographes de M. le baron de Trémont.

[51] On lit dans Du Cange : Arquemia pro alchimia. Extrait de Lettres de rémission délivrées en 1447. Et lors luy dit maistre Jehan..... qu'il avoit accointance à un des habilles hommes du monde, nommé Bazatier, qui estoit le meilleur arquemien que on peust trouver, et avecques faisoit escuz d'arquemie les plus beaulx que on pourroit dire. — D'après Roquefort, Glossaire de la langue romane, l'arquemien étoit un alchimiste, c'est-à-dire un homme qui faisoit des opérations de chimie pour trouver la pierre philosophale. Au fond, et dans le langage usuel du moyen âge, l'arquemien devait être tout simplement un faux monnayeur. — On remarquera de la ressemblance entre deux tournures de phrases de la lettre de Jacques Cœur et le texte des lettres de rémission citées par Du Cange. Cette ressemblance, si j'avais quelques doutes sur l'authenticité de la lettre de Jacques Cœur, les dissiperait complètement. En effet, il y a lieu de remarquer que ces lettres de rémission ont fort bien pu être rédigées par Jacques Cœur lui-même, en sa qualité de maître des monnaies à Paris et à Bourges. D'autre part, si un faussaire avait fabriqué la lettre qu'ou vient de lire, il était certes trop habile pour aller chercher des formules dans un livre aussi consulté que l'est le Glossaire de Du Cange.

[52] Les écrivains contemporains parlent d'un prêt de deux cent mille écus, et j'ai adopté cette version, bien que je n'aie trouvé le fait établi par aucun document officiel. La pièce suivante constate du moins qu'il y a eu un prêt de soixante mille livres dont Jacques Cœur a d'ailleurs été remboursé. Il y a tout lieu de croire que ce ne fut pas le seul, attendu que cette somme fut prêtée à l'occasion du siège de Cherbourg, et que la campagne de Normandie se composa d'une série de sièges et d'efforts. Je pense donc. qu'il n'y a rien d'exagéré dans la version des chroniqueurs contemporains, bien que le reçu qu'on va lire ne parle que d'un prêt de soixante mille livres :

Je Jacques Cuer, conseiller et argentier du Roy nostre sire, confesse avoir eu et receu de Macé de Launoy, receveur general des finances dudit seigneur en son païs de Normandie, la somme de soixante mil livres tournois, à compter XXX st. pour estre foible monnoie, à present ayant cours audit païs de Normandie *, à moy ordonnée par le Roy nostredit seigneur, et par ses lettres patentes données à Montbazon le tiers jour de ce present mois de decembre estre payée et baillée comptant en son acquit, par ledict receveur general pour restitution de semblable somme par moy prestée comptant audit seigneur au mois d'aoust dernier passé pour le fait de la reddition en son obéissance des ville et chastel de Cherbourg lorz occupez par les Angloiz anciens ennemis de ce royaume ; tout ainsi, et en la forme et manière qu'il est contenu et déclairé èsdictes lettres patentes, et en une cedule en parchemin signée de la main dudit seigneur, donnée à Escoché **, le Xe jour dudit mois d'aoust que lors il me fist bailler pour seureté d'icelle somme ; de laquelle somme de LX mil livres tournois je me tiens pour content et bien paié et en quitte le Roy nostredit seigneur, ledit Macé de Lannoy, et tous autres à qui quittance en puet ou doit appartenir. En tesmoing de ce j'ai signé ceste présente quittance de mon seing manuel, et scellée du scel de mes armes, le XIIe jour de décembre, l'an mil CCCC cinquante. J. CUER. Bibl. Nat., Mss. Cabinet des titres, Portefeuille de Jacques Cœur. La pièce porte encore le sceau en cire rouge.

* Il s'agissait sans doute d'une bonification motivée sur lu titre relativement inférieur des monnaies normandes.

** Écouché, chef-lieu de canton dans le département de l'Orne.