LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

L'EXPÉDITION DE CUSTINE

 

CHAPITRE VII. — HOCHHEIM.

 

 

I. Hochheim pris et repris. Échec du 6 janvier. Sédillot et Houchard. — II. Réorganisation de l'état-major. Saint-Cyr. Fortifications de Kastel. — III. Attitude du Palatin. Projets de Custine. Résolutions des représentants et du Conseil exécutif. — IV. Pache et le Directoire des achats. — V. Beurnonville ministre. Custine à Paris. Les quatre armées.

 

I. La prise de Francfort terminait la campagne de 179. Une guerre nouvelle allait commencer, une guerre aux moyens plus vastes, aux ressources plus considérables, mais au but moins élevé. Il n'était plus question d'envahir la France et de marcher sur Paris ; il fallait reconquérir Mayence et les Pays-Bas.

Déjà, dans la matinée du Ut décembre, pendant que le prince royal de Prusse bloquait la forteresse de Königstein, Kalkreuth et Hohenlohe-Ingelfingen, poussant jusqu'aux abords de Mayence, s'emparaient de la petite ville de Hochheim. Trois bataillons et deux escadrons gardaient la position ; ils tiraillèrent contre les chasseurs hessois, puis se retirèrent, sans attendre l'attaque.

Mais le 1er janvier 1793 entrèrent à Mayence les commissaires que la Convention envoyait à l'armée du Rhin. Reubell, Merlin de Thionville et Haussmann[1]. Custine les reçut avec de grands honneurs et, comme pour fêter leur arrivée et leur souhaiter la bienvenue, il fit reprendre Hochheim sous leurs yeux. Il avait mal choisi son moment. Le Rhin charriait d'énormes glaçons ; on avait dû lever le pont de bateaux, et la communication entre les deux rives se trouvait presque interrompue. D'ailleurs à quoi servait cette position de Hochheim qu'il était si facile de tourner par la droite ? Selon Houchard, il fallait n'y mettre qu'une garde avancée qui se contenterait d'observer les ennemis et se replierait lorsqu'ils se présenteraient en forces. Tout ce que nous pouvions souhaiter, écrit François Wimpffen, c'était d'avoir ce poste en commun avec les Prussiens, c'est-à-dire que nos patrouilles le fréquenteraient alternativement.

Hochheim n'était gardé que par un faible détachement que Houchard mit aisément en fuite dans la nuit du 3 janvier. Sédillot s'y établit avec le 2e régiment de grenadiers, quatre bataillons de ligne et douze pièces d'artillerie. Houchard[2] demeurait à Kostheim en réserve avec le reste de ses troupes.

Mais le roi de Prusse avait résolu de reprendre Hochheim. Le 6 janvier, à deux heures du matin, il quittait un bal qu'il donnait aux dames de Francfort et montait dans un traîneau en s'écriant au combat ! à la victoire ! La lune brillait dans son plein et la nuit, dont la neige rehaussait la clarté, était très belle. A six heures, Frédéric-Guillaume arrivait à Wickert et commandait l'attaque. Schönfeld devait assaillir les Français sur leur front, et le prince de Hohenlohe-Ingelfingen, leur couper la retraite. Hohenlohe, soudainement enveloppé par un tourbillon de neige, s'égara et n'intervint pas dans l'action. Mais les troupes de Schönfeld surprirent tous les postes avancés et les mirent eu déroute ; puis, marchant sur Hochheim, elles brisèrent à coups de canon la porte dite de Francfort. Leurs boulets, leurs obus tombaient dans la ville, et Sédillot n'avait pas encore fait battre la générale[3]. Déconcertés, effarés, et, comme dit un témoin oculaire, peu accoutumés à braver les frimas et ne sortant qu'avec peine de leurs logements, les Français n'osèrent, sous la pluie inattendue des projectiles, se porter au-devant des Prussiens et coururent en foule à la porte opposée. Le 2e régiment de grenadiers fut le premier à se débander, et ui son colonel Ruttemberg ni ses officiers ne réussirent à le rallier. Les autres bataillons suivirent son exemple. Les soldats et charretiers de l'artillerie qui devaient braquer leurs pièces contre l'assaillant, se jetèrent épouvantés à travers champs, et bientôt, pour fuir plus vite, abandonnèrent leurs canons dans les ravins. Seul, le 13e régiment ci-devant Bourbonnais, commandé par d'Arlande, restait dans Hochheim ; mais lui aussi dut, après avoir soutenu le feu pendant une demi-heure, se retirer vers Kostheim, et de là, sur Kastel, en arrière des lignes, par les saules qui bordaient le Rhin. Une centaine d'hommes de ce brave régiment, cernés sur la place, mirent bas les armes. Quelques-uns, cachés sous le toit au faite de l'église, tirèrent sur le roi de Prusse ; les chasseurs hessois les massacrèrent sans pitié ou les précipitèrent du haut du clocher. Les hussards bruns s'étaient mis à la poursuite des fugitifs ; le vieux Wolfradt, la pipe à la bouche et le sabre à la main, menait lui-même sou régiment ; les vignes qui couvi eut la hauteur de Hochheim arrêtèrent sa course.

Houchard avait cru d'abord que les coups de feu partaient de Königstein. Mais lorsqu'il vit la flamme du canon au sommet des vignes, il enfourcha son cheval et se dirigea sur Hochheim, après avoir commandé de réunir les troupes. A peine avait-il parcouru trois cents toises qu'il rencontrait Sédillot. It revint sur ses pas, mais la garnison de Kostheim, rapporte un officier, n'était pas moins paresseuse à sortir de ses poètes chauds que celle de Hochheim ; elle ne se rassembla qu'avec des lenteurs infinies, et les fuyards qui traversaient le village dans une indicible confusion, entraînèrent avec eux le 3e bataillon des Vosges. Heureusement, le 48e régiment, commandé par Laferrière, s'avança tout de suite dans la plaine pour couvrir cette reculade générale et attirer l'attention de l'adversaire. Houchard, chagrin, et, comme il disait, tout malade de l'événement, donna l'ordre de se retirer sur Kastel. Dans les lignes ! criait-il aux troupes. Il perdait douze canons, cent morts et trois cents prisonniers. Mais l'échec n'était-il pas mérité ? Quand on occupe un mauvais poste, répétait-il, il ne faut y mettre que peu de monde, et non six bataillons et douze canons. Ce qui le navrait davantage, c'était la conduite de l'armée. Que faire, gémissait-il, avec des troupes qui se sauvent et que personne ne peut arrêter ? Les chefs de corps ne veillent pas sur les officiers, ni ceux-ci sur le soldat ; ils le laissent faire impunément tout ce qu'il veut ; ils me disent qu'ils ne peuvent pas le punir, et qu'il aime être puni pour avoir du repos !

L'ennemi ne suivit pas Houchard, et il eut tort. Le pont entre Mayence et Kastel ne fut rétabli que le 14 janvier, lorsque vint le dégel, et les Français ne pouvaient passer le fleuve que sur des bateaux, non sans peine ni perte de temps. Si les Prussiens l'avaient voulu, ils bombardaient Kastel sous les yeux de Custine et des conventionnels ; ils mettaient le feu aux magasins dont aucun n'était voûté ; ils forçaient le brave Houchard à se rendre ou à mourir de faim. Ils n'y pensèrent pas ; ils évacuèrent Kostheim dès le 7 janvier et regagnèrent Hochheim et Francfort[4].

 

II. Le combat de Hochheim fut le seul engagement entre Français et Prussiens jusqu'aux derniers jours du mois de mars. Les uns et les autres prirent leurs quartiers d'hiver. Custine mit le temps à profit pour faire une reconnaissance des bords du Rhin et réorganiser tant bien que mal son armée.

Un arrêté du ministre l'autorisait à employer comme adjoints à l'état-major les officiers qui lui semblaient les plus capables[5]. Il avait déjà Berthelmy et Desaix. Il fit l'acquisition de Gouvion Saint-Cyr, le futur maréchal. Saint-Cyr était alors capitaine de la compagnie des chasseurs parisiens de la section des Quatre Nations. Cette compagnie, formée de mauvais sujets, se vantait de mettre au pas l'armée du Rhin, et Custine, fort mécontent, s'était promis de ne pas la ménager. Saint-Cyr dessinait facilement ; un jour qu'il faisait le croquis de Hochheim, Custine l'aperçoit de loin ; il fond sur lui, et à la vue d'un uniforme qu'il déteste, l'interroge avec colère, lui arrache le papier des mains. La position était exactement tracée. Custine, rapaisé, s'entretient avec Saint-Cyr et satisfait de ses réponses, l'attache comme adjoint à son état-major. Ce fut Saint-Cyr qui, avec Berthelmy, alla reconnaitre le cours de la Glan et les hauteurs de Kaiserslautern[6].

Le chef de bataillon Clémencet et le capitaine Gay de Vernon étaient dans l'armée de Mayence les deux meilleurs officiers du génie. Clémencet, adjoint à l'état-major depuis l'expédition de Spire, avait été chargé, ainsi que Berthelmy, de fixer les emplacements des troupes, de tracer les campements et d'ouvrir les routes[7]. Gay de Vernon joignait, dit Custine, au civisme le plus républicain une intelligence rare et une activité infatigable[8]. Dès le 23 octobre, le général arrêtait avec Clémencet et Gay de Vernon qu'il fallait avoir une tête de pont très solide et construire en avant de Kastel, sur la rive droite du Rhin, un ouvrage considérable pour couvrir le long quai de Mayence qui restait sans défense et assurer à l'armée, non seulement le passage du fleuve, mais la facilité de déboucher dans le pays ennemi et de faire des retours offensifs. Clémencet et Gay de Vernon résolurent de développer autour de Kastel un ouvrage à couronne qui comprendrait deux bastions pleins, et aurait pour ailes des demi-bastions ; la droite de ce grand ouvrage serait flanquée par le petit fortin du Mein qui existait déjà et qu'on nommait le fort de Mars ; la gauche, par les batteries de Pile Saint-Pierre.

On avait d'abord réquisitionné deux mille paysans qui ne travaillaient que très lentement. Custine mit à la disposition des ingénieurs six bataillons d'infanterie auxquels il donnait dix sous par jour, outre leur solde. En moins d'une semaine, malgré la rigueur de l'hiver, et bien qu'on dût couper par blocs la terre gelée et glacée, comme on coupe la pierre dans les carrières, la masse encore informe de Kastel fut convertie en banquettes et en batteries, qui présentaient un front imposant. Les travaux activement poursuivis par les soldats, coûtèrent non pas sept millions comme on le prétendait alors, mais 220.000 livres en numéraire. Au 20 mars 1793, sans être entièrement finis, ils étaient à l'abri de toute insulte. Quatre-vingt-dix canons défendaient Kastel, ainsi que file Saint-Pierre et le fort de Mars. tin simple ouvrage de campagne, une tète de pont qu'on pouvait enlever d'un coup de main, devint en quatre mois un vaste camp retranché, capable de contenir une garnison de 3.000 hommes. Sans Kastel, disait Custine, Mayence serait une demi-place, et non une place véritable[9].

 

III. Depuis le début de la campagne, le général attachait un prix extrême à la neutralité de l'Electeur palatin. Si ce prince se déclarait contre la France, il ouvrirait aux Austro-Prussiens le pont de Mannheim et Custine se verrait tourné. Aussi n'épargnait-il rien, menaces, flatteries, promesses pour empêcher le Palatin d'intervenir activement dans la guerre.

Il eut un instant l'idée d'obtenir Mannheim par une négociation, c'est-à-dire de l'acheter : on donnerait un million à l'Electeur pour ses bâtards et deux cent mille livres au ministre Oberndorff et à ceux qui seraient mis dans la confidence de ce beau dessein. Le Conseil exécutif accueillit avec empressement les propositions de Custine ; il déclara que non seulement la possession de Mannheim était nécessaire, mais qu'il faudrait, pour prendre la ville à main armée, faire une dépense d'hommes, de fonds et de temps bien supérieure à la somme que demandait le général. Dans les derniers jours de novembre, Le Brun envoyait à Custine douze cent mille livres, sous forme de lettres de change. La négociation n'aboutit pas, et les lettres de change déposées dans les caisses de la trésorerie, furent bientôt employées aux besoins de l'armée[10].

Custine voulut alors recourir à la force et s'emparer de Mannheim soit par un bombardement, soit par surprise. Il assumait une effrayante responsabilité. Mais le ministre Pache l'autorisait à bombarder la ville, et l'occupation de Mannheim lui offrait de grands avantages : il ne craindrait plus pour sa communication avec l'Alsace, il serait dans l'abondance, il tirerait de la Franconie et de la Souabe du blé, du fourrage, du bétail. Déjà les généraux recevaient l'ordre secret de faire toutes les troupes palatines prisonnières, dès qu'ils entendraient six coups de canon tirés à trois minutes de distance datas les places principales qu'occupait l'armée. Déjà 12.000 hommes, que Biron avait rassemblés en Alsace, se portaient de Wissembourg sur Mannheim. Ils formaient dix-huit bataillons. Maulnier, qui les commandait et qui fut bientôt secondé par Ferrier, devait sommer Oberndorff de replier le pont du Rhin ; s'il n'obtenait pas une réponse satisfaisante, il prendrait possession du pont et emporterait à coups de canon la capitulation de la ville. Déjà l'unifier dressait une batterie munie de six pièces de vingt-quatre, qui pouvait battre à la fois Mannheim et le Neckar. Déjà il élevait des redoutes qui formaient une espèce de contrevallation à six cents toises de la place. Il fallait intimider l'Electeur, et, comme disait Custine, employer le sortilège de la maréchale d'Ancre, l'empire de l'être fort sur l'être faible ; ce n'est qu'en fatiguant les âmes lèches et irrésolues qu'on eu devient mettre[11].

Le général réussit. L'Electeur, tremblant, fit démonter le pont du Rhin et celui du Neckar. Mannheim garda sa garnison palatine sans s'ouvrir aux armées belligérantes, et d'ailleurs, après mûre réflexion, Custine aimait mieux que Mannheim fùt neutre ; il n'avait pas assez de forces pour mettre dans cette ville une garnison considérable ; il craignait de ne pouvoir la défendre longtemps, eu cas de siège, a cause du mauvais état des fortifications qui bordaient la rive du Neckar ; enfin que faire à Mannheim lorsqu'on n'occupait ni Trèves, ni Coblenz[12] ?

Mais plus résolus, plus tranchants que Custine, les commissaires de la Convention proposèrent de rompre nettement avec le Palatin. Pourquoi, disaient-ils, pratiquer une politique de ménagement qui ressemblait à de la crainte, qui compromettait la gloire et la sûreté des armées, qui s'opposait à la propagation des principes républicains ? Pourquoi souffrir la neutralité dérisoire de cette ville de Mannheim qui n'était qu'un foyer d'aristocratie ? Pourquoi se jeter, à cause de Charles-Théodore, dans des embarras infinis ? Comment alimenter les armées françaises sans envahir ses états ? Les lieux palatins, écrivaient-ils, sont tellement enclavés parmi les villages mayençais, des princes d'Empire et des nobles immédiats, que toute bonne organisation politique devient impossible. Et comment parviendrons-nous à faire circuler les assignats dans un pays aussi mélangé ? Et, sans la circulation des assignats, comment pourrons-nous continuer la guerre ? Le Conseil exécutif provisoire se rendit aux raisons des commissaires et il arrêta dans sa séance du 14 mars 1793 que Custine, à portée de vérifier les faits et de juger les convenances, attaquerait et prendrait Mannheim quand il le croirait nécessaire.

 

IV. Des soucis plus graves avaient assailli Custine. Le ministre Pache n'envoyait rien, ni redingotes, ni habits, ni culottes, ni souliers, ni argent. Sans les trois millions de contributions qui remplirent la caisse militaire, Custine n'aurait pu payer la solde de l'armée, ni donner des acomptes aux fournisseurs. De même que Beurnonville et Dumouriez, il se plaignit vivement. Mes soldats m'appellent leur père, mandait-il au ministre, et j'en ai les entrailles ; au nom de l'humanité, je vous conjure de les tirer de l'état de souffrance où ils sont. Pourquoi, ajoutait-il, le Directoire des achats semblait-il oublier l'armée du Rhin ? Pourquoi, lorsqu'il faisait quelques envois, ne versait-il pas ses denrées aux endroits indiqués ? Pourquoi fournissait-il des foins de la plus mauvaise qualité ? Et il demandait avec colère si ce Directoire n'avait d'autre tâche que de ruiner les armées et s'il était payé par ses ennemis. Le commissaire-général Villemanzy et les trois conventionnels Haussmann, Reubell, Merlin de Thionville, se joignaient à Custine. Villemanzy déclarait qu'on ne pouvait plus puiser dans la caisse sans compromettre le prêt et les dépenses indispensables. Il nous faut des fonds et puis des fonds, répétait-il avec Custine. Nos chevaux, écrivait Merlin, manquent de fourrages ; l'artillerie en devient moins terrible et la cavalerie moins forte ; les vivres sont plus mal servis ; les convois arrivent à peine ; et lui aussi finissait par demander du fourrage et de l'argent. Il n'y a qu'un cri contre votre silence, disait Reubell à Pache, organisez vos bureaux ! Enfin, le 5 janvier, les commissaires en appelèrent au Conseil exécutif. Que faisait donc Pacha qui laissait les troupes toutes nues ? Que faisait le fameux Directoire ? Au lieu d'entrer à la minute même en activité, au lieu d'acheter de tous côtés et d'approvisionner les magasins, il était resté dans une profonde et irréparable inaction du 6 novembre au 12 décembre ; puis le 12 décembre il avait fait des achats pour la somme dérisoire de 240.000 livres lorsqu'il devait dépenser plus de six millions ! Et, comme Custine, comme Villemanzy, les commissaires réclamaient des fonds : il était impossible de faire des assignats la monnaie courante du pays ; il fallait des écus, des écus pour avoir les fourrages du Palatinat et de la rive droite du Rhin, des écus pour approvisionner Mayence !

Pacha répliqua, selon sa coutume, qu'il avait donné les ordres nécessaires. Mais bientôt le Directoire des achats excita de nouvelles plaintes. Il n'envoyait des redingotes que le 13 janvier, et nombre de soldats étaient malades ; ils avaient de gros rhumes, des fluxions de poitrine ; ils encombraient les hôpitaux. Custine demandait du drap vert pour habiller les chasseurs ; il recevait du drap blanc. Il demandait des bottes et n'en obtenait pas. Toutes les fournitures étaient incomplètes. Les fonds n'arrivaient que par parcelles, et Villemanzy n'avait plus le temps d'acheter les fourrages de l'ennemi et de lui faire une guerre de subsistances.

Custine, indigné, menaça Pache de le dénoncer, la somma même de quitter le ministère. Il n'est pas permis d'être de la tranquillité dont vous êtes, et je crois qu'il faut du tonnerre pour vous réveiller de votre léthargie ! Il accusait l'agent du Directoire, Baruch Cerfberr, de mensonges et de faussetés, lui reprochait sa mauvaise foi et son incapacité, le vouait à l'exécration de l'armée : Baruch marchandait toujours et n'achetait rien ; il faisait augmenter le prix des denrées ; les habitants, dégoûtés, refusaient de lui vendre. Vous avez mis, disait-il à Pache, les acquisitions entre les mains des Juifs, et donné notre secret à une nation qui n'a d'autre dieu que l'or et qui, quoi qu'on fasse, formera toujours un corps de vampires étrangers à toutes les constitutions, et il le conjurait de renvoyer ce fatal Directoire qui semblait prendre à tâche de tout subvertir : Hâtez-vous de détruire votre ouvrage, acceptez tout ce qu'a acquis la nouvelle administration, soldez-la et reprenez l'ancienne administration ; elle était instruite et faisait bien le service ; l'économie qu'on vous a proposée est imaginaire ; c'est une opération de finance dont pourront profiter quelques individus.

Le ministre répondit en ordonnant de fortifier Bingen, Kreuznach et Frankenthal et de les mettre en état de soutenir un siège. J'empêcherai, lui dit Castille, qu'on les pourvoie ; ce sont des villes ouvertes ; votre ennemi le plus acharné n'aurait pu vous faire écrire une plus grande bêtise ![13]

 

V. Heureusement Pacha fut destitué. Son successeur, Beurnonville, n'aimait pas Custine, et pendant son expédition de Trèves il s'était plaint très amèrement du général Moustache, qui se montrait si gourmand de troupes et semblait décider la destruction de l'armée de la Moselle. Custine, disait-il, était impératif et difficile à vivre ; il dictait des ordres en souverain et lui demandait avec un acharnement inconcevable trois de ses brigades ; s'il m'arrive quelque accident, ajoutait-il, Custine me le mettra sur le dos ; je ne veux pas être chargé de ses iniquités ![14]

Mais Beurnonville ne se souvint plus de ses ressentiments. La patrie a besoin de nous, écrivait-il à Custine, ne consultons que son bonheur. Vous m'avez vu général : vous me voyez ministre ; je suis toujours le même homme, l'ami de mon pays. Il reprit l'ancienne administration des vivres et manda Custine à Paris pour s'entendre avec lui sur le plan des futures opérations. Custine partit après avoir remis le commandement à François Wimpffen.

On avait cru que Beurnonville, une fois ministre, ordonnerait d'abandonner Mayence et de reculer sur les lignes de la Queich. Pendant qu'il commandait l'armée de la Moselle. il avait écrit à diverses reprises que Kastel était un simple point d'amour-propre, que Custine, étourdi par l'enthousiasme de ses exploits, ne voyait que Kastel et que, pour protéger cet enfant gâté, il voulait réunir sous ses ordres toutes les armées, de la Suisse à la mer. Il prédisait nième que Custine serait chassé de Mayence comme de Francfort. Selon lui, au lieu de se porter aux débouchés de l'Empire et en Hollande. on devait circonscrire le plan de campagne et rapprocher nos forces sur les frontières. Nous serons, affirmait-il, invincibles chez nous et vaincus chez les autres[15].

Il n'était pas seul de cet avis. Le représentant Couturier ne cessait de dire que Custine s'enfournait trop loin et que partout, de Nancy à Strasbourg, on n'attendait de l'armée de Mayence que des nouvelles Pêcheuses ; à quoi bon porter la liberté chez des hommes qui n'étaient faits que pour l'esclavage, et qui, dans le fond du cœur, détestaient la France[16] ? Pourquoi, écrivait l'agent Blanier[17], sacrifier plus longtemps nos fortunes et nos soldats pour des ingrats, pour des êtres qui ne le méritent pas ? Les Allemands seront toujours Allemands, et ils nous tromperont tôt ou tard ; prenons une contribution convenable, ramassons les vivres et fourrages sur toute notre retraite, ainsi que les munitions de guerre ; rasons toutes les fortifications ; revenons chez nous manger nos fonds que nous prodiguons à des étrangers, et attendons les ennemis sur nos frontières. Plusieurs officiers de l'armée du Rhin approuvaient Blanier. Le parti le plus sage et le plus conforme à la saine politique, assuraient-ils, était de démolir les remparts de Mayence. Custine ne se voyait-il pas rencogné dans Mayence comme Belle-Isle l'était à Prague[18] ? La place ne devait-elle pas succomber tôt ou tard ? Ne deviendrait-elle pas, entre les mains de l'adversaire, un poste plus important et plus considérable qu'auparavant, un poste qui paralyserait longtemps les opérations de l'armée du Rhin ? Qu'on fasse donc sauter, disaient ces officiers, les fortifications de Mayence ; mais qu'en même temps, et comme par compensation, on élève une tête de pont à Kehl et à Huningue. Viennent les revers, et les ennemis, an lieu de s'attacher à Landau, attaqueront ces deux têtes de pont de Huningue et de Kehl qu'il est aisé de défendre, de secourir et d'approvisionner ; vienne un retour de fortune, et l'armée française, envahissant l'Allemagne, ne sera pas obligée de s'arrêter devant Mayence et d'assiéger longuement, péniblement, un boulevard dont Kastel aura triplé la force. Enfin, ajoutaient ces officiers, au lieu de se renfermer dans cette immense et lointaine ville de Mayence, hors de portée de la patrie, à si grande distance de nos moyens et des secours de tout genre, ne pouvait-on réparer et remettre en état de défense Philippsbourg qui faisait, pour ainsi dire, partie de nos frontières, qui donnait à notre armée une entrée en Allemagne, et qui serait défendu, grâce aux inondations, avec plus d'avantage et à moindres frais[19] ?

Custine répondit énergiquement à toutes les objections. Quelques hommes, disait-il, proposent de rentrer dans nos frontières, de renoncer à l'invasion de l'Empire, d'évacuer nos conquêtes. Mais, si nous avions abandonné Mayence, nous verrions les ennemis resserrer l'Alsace de toutes parts ; nous n'aurions pas eu les grains et les fourrages qui nous ont nourris, nous et nos chevaux ; l'armée des Vosges a reçu jusqu'au VI, décembre des denrées de la rive droite du Rhin, et c'est du Palatinat que Landau a tiré ses approvisionnements.

Mieux vaut, concluait Custine, avoir le Rhin pour barrière que les ligues de la Queich : c'est forcer le Palatin à rester neutre ; c'est contraindre les Austro-Prussiens à de sérieux efforts ; c'est retarder l'invasion du territoire français ; il sera toujours temps de nous renfermer dans nos foyers lorsque les alliés auront épuisé leurs armées pour reprendre Mayence[20].

Le Conseil exécutif, la Convention, les Sociétés populaires appuyaient Custine. Démolir les remparts de Mayence, quitter la ville, livrer à la vengeance des aristocrates les patriotes qui s'étaient donnés à la France, n'était-ce pas une trahison digne de la guillotine ? Les trois commissaires de la Convention, Haussmann, Reubell, Merlin de Thionville, déclaraient que Mayence était essentiel au salut de la République et dès qu'ils apprirent la nomination de Beurnonville, ils s'efforcèrent de le gagner à leur opinion. Francfort, mandaient-ils, était un village incapable de résistance, et Mayence, une des places les plus fortes de l'Europe : abandonner Mayence, serait faire en un trait de plume ce que le roi de Prusse ne pourrait faire avec toute son armée, ce serait perdre la France ; et si Frédéric-Guillaume payait des émissaires pour inspirer ce dessein à la Convention, ils ne lui volaient pas sou argent. Non, il fallait conserver Mayence. Eu gardant Mayence, on récupérait les sommes qu'on y avait dépensées, et l'on rentrait dans ses frais. Grâce à Mayence, l'armée s'était approvisionnée en Allemagne pour toute la campagne sans tirer un grain de la patrie. Grâce à Mayence, elle pourrait tenir la plaine et s'opposer à tous les mouvements de l'adversaire en le prenant à revers s'il se portait dans la vallée de la Moselle ou sur les départements du Rhin. D'ailleurs, la monarchie n'avait-elle pas soin d'éloigner la guerre des frontières ? Voulait-on se replier dans l'intérieur pour faire regretter l'ancien régime ? Et, une fois en France, pourrait-on contenir les soldats et les laisser dans l'inaction ? Il était déjà si difficile de les maîtriser en pays ennemi, et à Mayence même où il fallait les mener tous les jours au combat ou les occuper sans relâche aux travaux des fortifications ! Si nous reculons, affirmait Merlin, nous enhardirons les cohortes des tyrans et il n'y aura pas de roquet qui ne se déclare bientôt contre nous ![21]

Beurnonville céda, et dans un conseil des ministres qui fut tenu chez Le Brun en présence de Custine et de Grimoard, il se déclara converti. Sans doute, disait-il, une partie considérable de l'artillerie française était maintenant enfermée dans Mayence, et si la ville tombait au pouvoir des alliés, on perdrait un grand nombre de canons et d'attirails de guerre qu'on ne pourrait remplacer qu'avec beaucoup de temps et d'argent. Mais, ajoutait-il, Custine l'avait convaincu ; et toujours emphatique et théâtral, il embrassa le général Moustache et promit solennellement rie pourvoir à tous ses besoins. Grimoard prit la parole. Le gouvernement le savait royaliste, mais il appréciait ses talents et lui demandait des mémoires. M était d'avis qu'on ne pouvait évacuer Mayence à la fin de l'hiver ; la lourde artillerie ne manquerait pas de s'embourber dans les chemins ; les ennemis inquièteraient la retraite ; les escortes éprouveraient peut-être de fâcheux échecs ; on perdrait en détail ce qu'on craignait de perdre en grand. Il citait l'histoire : en 1635 Bernard de Saxe-Weimar et le cardinal La Valette qui se retiraient de Mayence, n'avaient-ils pas vu leur adversaire les poursuivre ? N'avaient-ils pas sacrifié tous leurs équipages et une partie de leur armée, bien que la gelée eût facilité la marche des troupes et le transport du canon ? Il fallait donc, disait Grimoard, garder Mayence au moins jusqu'à la bonne saison. Custine approuva Grimoard ; il exposa les avantages de la position qu'il occupait el les mesures qu'il avait prises ; il promit de défendre Mayence avec toutes ses forces ; puis, s'échauffant, comme à son ordinaire, s'exaltant peu à peu, se laissant entraîner par son imagination aventureuse et se grisant de sa parole, il jura de repousser les coalisés et de subjuguer l'Allemagne. N'avait-il pas, en passant à Strasbourg, assuré les corps administratifs qu'il saurait prendre une revanche signalée, punir l'audace prussienne, interdire à l'ennemi le passage du Rhin[22] ? Grimoard jugeait avec raison les plans de Custine vagues, décousus et gigantesques. Tout cela, lui répondit-il d'un ton sec, est aisé à dire, mais impossible a exécuter. Vous êtes réduit à la défensive ; tâchez seulement de garder Mayence et de rester maître de la campagne entre le Rhin et la Queich, et vous passerez pour aussi habile qu'heureux ; mais je crains fort que vous ne soyez attaqué sur votre front et sur votre flanc gauche, et rejeté facilement dans la basse Alsace[23].

Custine s'écria qu'il démentirait la prédiction de Grimoard. Mais Beurnonville n'avait pas oublié l'expédition malencontreuse de Trèves. Il lui défendit de prendre l'offensive. Partout, sauf en Hollande où Dumouriez allait faire une invasion formidable, il fallait garder une défensive majestueuse. Custine recevrait tous les secours dont il avait besoin pour se maintenir à Mayence avec succès ; il mettrait une garnison de dix mille hommes dans la place et il tenterait avec le reste de se s troupes une diversion utile à l'expédition de Dumouriez ; mais l'armée de la Moselle n'agirait plus suivant ses instructions et serait indépendante. Quatre armées se trouveraient donc échelonnées sur les frontières : celle du Nord, aux ordres de Dumouriez, de Dunkerque à Givet et dans la Belgique ; celle des Ardennes, conduite par Valence, de Mézières à Longwy et sur la rive droite de la Meuse ; celle de la Moselle, dont Beurnonville se réservait le commandement, de Longwy à Bitche inclusivement, dans les départements de la Moselle et de la Meurthe ; celle du Rhin, dirigée par Custine, sur tout le cours du grand fleuve, de Mayence à Bâle, et en France, de Bitche à Besançon[24]. L'armée des Vosges, comme se nommait réellement le corps expéditionnaire de Custine, celte armée qu'on appelait, avant la prise de Spire, armée du Bas-Rhin ou de la Lauter, et, après le 30 septembre 1792, armée du Palatinat, n'existait plus et se confondit dorénavant avec l'armée du Rhin.

 

 

 



[1] Rec. Aulard, I, 341 ; Moniteur, 19 et 20 déc. 1792.

[2] Houchard était maréchal de camp depuis le 1er décembre 1792.

[3] Sédillot (Étienne-Vincent) était, dit Custine, un ancien militaire recommandable par sa fermeté, sa valeur et son dévouement à la chose publique, qui a commandé avec une grande distinction le bataillon des volontaires de l'Ain et toujours servi à l'avant-garde (31 oct. 1792, A. G.). Il fut promu maréchal-de-camp le 6 décembre 1792. Envoyé dans le Haut-Rhin, à la suite de l'échec de Hochheim, il établit un camp dans une très mauvaise position, à Oberwiller, sur la limite du territoire de Bâle, par un temps très neigeux et très froid.

[4] Moniteur, 14 janv. 1793 ; Klein, Forster in Mainz., 1863, p. 432 (art. du Volksfreund) ; Belag., 105 ; Eickemeyer, Denkw., 178 ; Minutoli, Errin., 196-197 ; Ditfurth, 220-222 ; Zeitschrift Kunst, Wisseteschaft und Geschichte des Krieges, 1831, I, 88-93 ; Saint-Cyr, I, 17, 96-29 ; Hastrel à Clarke, 18 mars 1796 ; rapport et lettre de Laferrière et lettre des officiers du 48e régiment, 6, 28 et 29 janvier 1793 ; Houchard à Custine, 7 janv. ; Custine à Pache, 14 janv. ; mémoire de François Wimpffen ; note de Legrand (A. G.), On dit que Houchard avait ordre d'attaquer l'ennemi dans cette même nuit du 6 janvier ; mais qu'il ne le fit point parce que les chevaux, qui n'étaient pas ferrés à glace, ne pouvaient se tenir sur leurs jambes. Selon sa coutume, Custine, au lieu de s'en prendre à lui-même et à la mollesse de ses troupes, rejeta l'insuccès sur un subalterne ; il n'osait charger Houchard ; il accusa Laferrière.

[5] Pache à Custine, 3 déc. 1792 (A. G.).

[6] Lavallette, Mém., I, 145; Saint-Cyr, I, 40. Laurent Gouvion, dit Saint-Cyr, était le fils d'un tanneur de Toul ; artiste avant la Révolution, il dit lui-même dans une note inédite qu'il sait dessiner et lever topographiquement la carte d'un pays avec la promptitude qu'il faut pour la guerre. Il s'engagea comme volontaire et fut élu par ses camarades de la section des Quatre Nations d'abord sergent-major, puis lieutenant, puis capitaine. On le nomma adjoint le 1er février 1793 et l'employa dans la partie des reconnaissances militaires jusqu'au mois de septembre.

[7] Louis Clémencet était né à Macon, le 30 janvier 1747 ; lieutenant en second (1er janvier 1770), ingénieur (14 janv. 1772), capitaine en second (5 déc. 1782), chef de bataillon (8 nov. 1792), il devint général de brigade le 30 nov. 1794 ; j'ai fait, disait-il, les projets et mis en train les travaux de Kastel.

[8] Custine à Pache, 10 janv. 1793 (A. G,). De Caux jugeait à Mézières en 1780 qu'il avait l'esprit fin et juste qui ne se rend qu'à l'évidence (note inédite d'Augoyat).

[9] Notes de Gay de Vernon, de Clémencet, de Legrand (A. G.).

[10] Rec. Aulard, I, 268 (26 nov. 1792) ; Custine à Pache, 18 nov., et à Le Brun, 7 déc. 1792 ; l'autre à Custine, 21 nov. ; Le Brun à Custine, 25 et 2f, nov. 1792, 9 janv. 1793 (A. G.). Un Alsacien de Neuwiller, François-Antoine Zimmermann, âgé de quarante-cinq ans et député commissaire des assemblées primaires de Haguenau, ainsi que Charles Clauer (et non Nabourd, comme dit le Moniteur) furent mêlés à cette négociation et comparurent au procès de Custine. Mais ni Zimmermann ni Clauer ne purent livrer Mannheim sans coup férir, et les plans qu'ils proposaient au général exigeaient une attaque de vive force. Cf. sur Clauer, baron prussien, député de la commune de Bouxwiller, qui se fit jacobin et joua le rôle d'un terroriste en Alsace, les Notes biogr. d'Ét. Barth, 337-339, et le Journal de la Montagne, 8 août 1793. Zimmermann est sans doute un des commissaires employés au mois de mars dans les comtés de Linange (Remling, I, 2136, note) et le président de l'administration provisoire établie à Dürkheim (Mainzer Zeitung du 10 mars 1793).

[11] Biron à Pache, 8 déc. ; Pache à Custine, 22 déc. ; Custine à Biron, 17 déc., et Marinier à Custine, 30 déc. ; ordre secret du 15 déc. 1792 ; note de Legrand (A. G.). Avant la reddition de Mayence, Coquebert de Montbret proposait de prendre Mannheim : de deux choses l'une, disait-il, ou l'électeur palatin, maitrisé par la crainte, accèdera tôt ou tard à la coalition ou, malgré lui, les alliés s'empareront de la place. Custine devait donc les prévenir, et fort de la décision unanime d'un conseil de guerre, exiger Mannheim de la régence palatine, n'admettre aucune réponse dilatoire, et, sous vingt-quatre heures, même par la force, m5me par l'effroi de quelques boulets rouges se saisir de la ville. Clémencet était du même avis, et Eickemeyer (note inédite, A. G.) déclare que Custine aurait bien fait de suivre ce conseil : la possession de Mannheim eût donné une tout autre face à la campagne de 1793, et Mayence était sauvé. Girtanner s'étonne pareillement que Custine ne se soit pas, dès le début, emparé de Mannheim (Die Franz. am Rheinstrome, 60).

[12] Custine à Pache, 29 déc. 1702 ; Le Brun à Custine, 9 janvier 1793 (lui aussi propose de différer les mesures contre Mannheim), A. G.

[13] Cf. sur les démêlés de Pache et de Custine. Moniteur, 5 janv. 1793 ; Rec. Allard, I, 408 (Moniteur, 12 janv.) ; Custine à Pache, 1, 4, 5, 9, 18, 22, 24, 29 janvier, 4 et 9 février, à Beurnonville, 19 févr., à Deprez-Crassier, 20 févr. ; Villemanzy, Résumé sur les subsist. milit., 4 janv. ; les commissaires aux citoyens ministres, 5 Janv. ; Observations pour Baruch Cerfberr, p. 8-13. Biron portait les mêmes plaintes (cf. Jemappes, 146 et Trahison de Dumouriez, 8) ; il écrivait le 10 nov. qu'il n'avait ni chevaux, ni voitures, rien pour mettre en mouvement une armée, et le 22 nov. je n'ai pu voir sans une vive douleur les trois ministres de l'intérieur, de la guerre et de la marine confier à un Directoire de trois personnes, dont l'expérience n'égale pas le patriotisme, les subsistances de tant de millions d'hommes. Le 22 déc., il se plaignait encore du plus grave dénuement de fourrages et la veille Beauharnais mandait à Custine : notre détresse est extrême, nous sommes sans ressources. Legrand observe pareillement que, par l'imprévoyance et la cupidité du Directoire et de ses agents, l'armée du Rhin, dans un pays vierge et abondant en ressources, a éprouvé tous les embarras et presque tous les maux de la disette. Cf. le plan de campagne pour 1793 où Custine se déclare dégagé de toute responsabilité, enjoint au ministre de mettre fin à ses vacillations et lui reproche nettement d'être de la plus haute ignorance, de manquer totalement des idées du métier. Il dicta même un Mémoire sur les subsistances de l'armée qu'il dédia à Pache. Il remarquait que le prix de commission, de trois pour cent, qu'on donnait au Directoire, était infiniment onéreux ; — que les agents du Directoire faisaient aisément avec le vendeur un accord tacite qui favorisait les malversations, si bien que les denrées inférieures se vendaient aussi cher que celles de première qualité ; qu'ils avaient entre les mains toutes les ressources du pays conquis ; — qu'ils dégarnissaient inégalement le pays parce qu'ils épuisaient les endroits où le fourrage était au meilleur marché ; — ne calculaient jamais la distance entre le lieu des achats et l'emplacement des magasins, puisque le prix des charrois leur était indifférent ; que quelques hommes, qu'il était possible de séduire, disposaient ainsi de la subsistance d'une armée entière, il proposait de diviser le pays conquis en arrondissements militaires confiés a des officiers intelligents qui dresseraient un état exact des fleurées. On usait ainsi sans excès des ressources de la contrée ; on n'épuisait pas certaines partions en laissant les autres dans l'abondance ; on ruinait à son gré les parties menacées par l'ennemi. On épargnait les frais de commission ; on pavait tout au juste prix puisqu'on pouvait fixer un taux à toutes choses. Ou assurait l'économie et la célérité des transports, puisqu'on pouvait diriger les charrois d'après un plan commun. On confiait l'armée nu commissariat et au général dont les intérêts personnels et la gloire étaient des garants plus sûrs que la vague et impossible responsabilité des agents d'un Directoire. Enfin, les propriétés des nobles, des prêtres, des communautés monastiques, des princes émigrés couvraient le pays conquis ; le Directoire allait-il acheter à vil prix les denrées de Jeu privilégiés et les revendre fort cher à la nation ? (A. G.).

[14] Beurnonville à Pache, 3 et 22 janv., à Custine, 6, 8 et 12 janv. 1793 (A. G.).

[15] Beurnonville à Custine, 15 déc. 1i92, et à Pache, 5 et 6 janv. 1793 (A. G.). Cf. surtout sa lettre remarquable du 18 déc. 1792 ; Rousset, Les Volontaires, 136-141.

[16] Cf. notamment sa lettre du 10 janvier 1793, à Pache (A. G.).

[17] Raymond Blanier, alors âgé de 36 ans, était au négociant de Strasbourg où il demeurait place d'Armes, 57. Il avait établi en Allemagne une correspondance secrète et touchait par mois 6,500 francs en numéraire, pour envoyer aux généraux, et notamment à Biron, des renseignements détaillés sur les mouvements des ennemis et sur la situation politique des deux rives du Rhin. Il parait comme témoin au procès de Rustine (Moniteur, 25 août 1793).

[18] Mot du comte de Deux-Ponts, Fersen, II, 399.

[19] Lettre de Blanier, Strasbourg, 3 janv. 1793 (A. E) ; rapport de Lafont, 18 avril ; note de Legrand A. G.) ; Saint-Cyr, I, 25-26 ; lettre de Couturier et Dentzel (Rec. Aulard, II, 137-139) ; ces représentants, avec toute l'Alsace et les corps administratifs de Strasbourg, marquent leurs inquiétudes sur les mesures de Custine, et lui reprochent de mettre trop de canons dans Mayence ; cf. Moniteur, 1er avril 1793, discours de Haussmann (Rec. Aulard, II, 572-581).

[20] Plan pour la campagne de 1793 (A. G.) et discours de Custine fils au Comité de défense générale, 6 février 1713 (Rec. Aulard, II, 65). Cf. une note de Legrand. Si Mayence, remarque cet officier, n'avait pas résisté durent près de quatre mois, au plus tort de nos désastres, c'est Landau que les Austro-Prussiens auraient assiégé ; c'est Landau qui aurait succombé, et la perte de Landau, ce boulevard de l'Alsace, eût mené les ennemis jusqu'aux portes de Strasbourg et leur eût livré les deux départements du Rhin : la reddition de Landau était alors un plus grand malheur que la capitulation de Mayence, d'une ville, après tout, étrangère et très aisément conquise.

[21] Les commissaires à Beurnonville, 10 février 1793 (A. G. et A. E.) ; cf. Merlin à Thirion, 4 février (Reynaud, Merlin, II, 79-85) et les commissaires à la Convention, 27 févr. (Rec. Aulard, II, 221) ; note de Legrand (A. G.).

[22] Couturier, Supplément au rapport de Couturier et Dentzel, 128-129.

[23] Tableau historique, II, 268-269 (cf. sur Grimoard, Valmy, p. 4, et Rec. Aulard, IV, 174 ; le 15 mai 1793, le Comité de salut public arrête que sa présence est nécessaire à Paris parce qu'il lui fournit des éclaircissements relatifs aux armées et aux opérations militaires) ; cf. Moniteur, 21 août 1793, et Rec. Aulard, II, 263-264, 270, 274-275. 283, 5, 6, 7 mars. Custine était arrivé le 4 mers à Paris, et le lendemain ou lisait à la Convention une lettre où il présentait l'hommage de son estime pour le président et de son respect pour l'auguste assemblée (Moniteur, 8 mars 1793). Il assista plusieurs fois aux séances du Conseil exécutif et du Comité de défense générale ; il discuta avec Beurnonville, Servan et Labourdonnaye le plan général de guerre qu'on devait suivre, communiqua ses réflexions sur l'approvisionnement des armées, s'efforça de démontrer la nécessité d'une expédition dans l'Inde. Il était présent à la séance où les ministres arrêtèrent que Dumouriez quitterait la Hollande et se rendrait à l'armée de Belgique.

[24] Beurnonville à Custine, 14 et 15 février, et aux commissaires, 16 février 1793 (A. G.) ; cf. séance du Comité de défense générale, 15 février (Rec. Aulard, II, 133), et délibération du Conseil exécutif, 1er mars (id., 228) ; Moniteur, 23 mars.