LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

JEMAPPES ET LA CONQUÊTE DE LA BELGIQUE

 

CHAPITRE V. — PACHE.

 

 

I. Pache, ministre. Les commis. Bouleversement des bureaux. Épurement des états-majors. Arrêtés du 29 octobre et du 23 novembre. — II. Dénuement de l'armée de Belgique. Les marchés de Malus. — III. Le comité ou directoire des achats. — IV. Dumouriez et Pache. Arrestation de Malus, de Petit Jean et d'Espagnac. Ronsin et Huguenin. Les trois accusés devant la Convention et le comité militaire. — V. Désorganisation des services. — VI. Les commissaires de la Convention. — VII. Misères et désordres.

 

I. Jean-Nicolas Pache avait été précepteur du comte de Charlus, fils du maréchal de Castries[1]. Le maréchal, devenu ministre de la marine, le nomma son secrétaire-général ; puis, lorsque Pache se retira, épuisé par un labeur assidu de quatre années (1780-1784), il lui servit une pension. Aussi Biron écrivait-il que Pache était un ministre pour ainsi dire élevé par le maréchal de Castries[2].

Pache vivait en Suisse lorsque éclata la Révolution. Il revint à Paris en 1790, et s'installa avec sa mère, sa fille Sylvie et son fils Jean, au n° 13 de la rue de Tournon[3].

Mais il ne se borna pas à mener ses enfants aux cours et à leur donner des leçons. On sut bientôt qu'il avait acheté dans les Ardennes le prieuré de Thin-le-Moutier et refusé la pension des Castries. Il fréquenta la Société populaire de la section du Luxembourg, une des plus révolutionnaires de Paris, et y lut des observations sur les événements du jour. Un de ses amis, Gibert, le présenta chez les Roland, et Roland, nommé ministre de l'intérieur, pria Pache de lui servir de chef de cabinet. Pache accepta, sous condition qu'il n'aurait ni titre ni appointements. Tous les jours, à 7 heures du matin, un morceau de pain dans la poche, il se rendait au ministère et en partait à 3 heures de l'après-midi. D'ailleurs, attentif, zélé, allant dans les bureaux porter des instructions et chercher des pièces, relisant les lettres et les rapports des commis, surveillant le personnel, adoucissant le colérique ministre. Roland voulait le nommer secrétaire du Conseil.

Il avait prêté Pache à son collègue Servan, lorsque le ministère girondin fut renversé. Pache rentra dans la vie privée, mais sa section le nomma secrétaire, puis commissaire, et le délégua à l'Hôtel-de-Ville pour rédiger l'adresse à l'armée et la pétition de déchéance. Il gagnait en influence et fut élu troisième député suppléant de Paris à la Convention[4].

Roland, ministre une seconde fois, lui demanda de j nouveau sa collaboration. Pache refusa, mais lui donna Faypoult. Roland lui offrit l'intendance du garde-meuble ; Pache refusa derechef, mais lui donna Restout. Pourtant, sur les instances de Monge, un de ses vieux amis, il était allé rétablir l'ordre à Toulon lorsque Roland, se croyant élu par le département de la Somme, le désigna au choix de la Convention. Mme Roland avait rédigé la lettre de démission : un seul citoyen pouvait occuper la place difficile de ministre de l'intérieur, le vénérable Pache, nouvel Abdalonyme, modeste, sage, ennemi de toute espèce d'éclat, apprécié de ceux qui le connaissaient, plein de dévouement à la chose publique[5]. A la lecture de ce passage, Roland embrassa sa femme en s'écriant qu'elle avait bien su rendre ses sentiments. Il garda le portefeuille de l'intérieur, mais lorsque la Convention dut nommer le successeur de Servan, il recommanda Pache aux suffrages de ses amis. Grâce à Buzot et aux Girondins, Pache fut élu ministre de la guerre[6]. Il accepta sans aucune hésitation et prit séance au Conseil exécutif le 19 octobre.

A peine était-il installé à l'hôtel de la guerre, qu'il se proclamait montagnard et commençait une lutte acharnée contre la Gironde. Roland n'eut pas dans le conseil un plus âpre contradicteur que son ancien ami et homme de confiance. Il essaya de le ramener ; Pache allégua sa besogne pour refuser toute invitation. Mme Roland lui écrivit sur le ton de l'amitié ; il ne répondit pas.

Était-ce, comme dit Mme Roland, un tartuffe politique[7] ? Revenait-il de Suisse pour jouer un rôle ? Renonçait-il à la pension des Castries — avec fracas et par sommation d'huissier — pour échapper au soupçon d'aristocratie et se faire valoir ? Refusait-il tous les postes parce qu'il visait au premier, et ce commis de ministre s'était-il juré de devenir ministre à son tour ? On sait qu'il fut maire de Paris et que les hébertistes lui destinaient la fonction de grand juge ou de dictateur[8]. Voulut-il, une fois ministre, diriger le conseil, se rendre indépendant de la Gironde, et supplanter Roland ? Joignait-il à son ambition sournoise une basse rancune contre ses bienfaiteurs ? Désirait-il se venger de Roland qui l'avait sûrement blessé plus d'une fois par son humeur chagrine et irritable[9] ? On n'en peut guère douter. Ce fils de Suisse semblait flegmatique, impassible, et sa physionomie, dit Garat, avait un calme immuable, un éternel repos. Il paraissait ne se mêler de rien, n'entrer dans aucun parti, ne haïr personne, pas même ses ennemis, ne rien aimer que sa famille et la démocratie. Mais sous sa bonhomie helvétique et sous l'apparente tranquillité du vieil employé qui dérobe ses émotions à tous les regards, Pache cachait une âme vindicative et avide de pouvoir. Il ne disait pas où il allait, mais, secrètement, et d'autant plus sûrement, sous le feu des injures et des accusations, sans se troubler ni sourciller, il marchait à son but. Beurnonville le nommait l'homme noir, et Robespierre se défiait de ce personnage dont la main invisible l'emportait au-delà de ses volontés ; Pache, disait-il un jour, simule une indifférence dont son naturel est incapable[10].

Pache ne manquait pas de qualités. Il causait platement, sèchement, sans éclat et sans chaleur. Mais il plaisait dans les sociétés : froid et taciturne comme il l'était, il savait écouter, et les remarques qu'il plaçait de temps à autre, faisaient croire qu'il connaissait plus de choses qu'il n'en disait ; on le jugeait modeste et réservé. Dumouriez confesse qu'il avait de l'esprit, et Mme Roland, qu'il raisonnait juste et possédait une instruction étendue[11]. En somme, un bon commis, un travailleur, mais un personnage bien médiocre[12] et dont l'élévation soudaine révéla, comme il arrive, la médiocrité. Cet homme qui passait pour un administrateur intelligent et propre à tout, ne montra dans le ministère qu'une incapacité profonde. Prudhomme disait qu'il avait peu de connaissances préparatoires à sa place ; Sillery, que ses fonctions lui étaient absolument étrangères ; Custine, qu'il lui manquait de l'acquis et que sa correspondance n'offrait que des idées décousues et nullement militaires[13].

Une fois ministre, Pacha prit des manières communes et négligea sa mise. Il permit à quiconque l'abordait de le tutoyer[14], et remplaça l'huissier de son prédécesseur par un valet déguenillé qui eut ordre de traiter familièrement tous les visiteurs, même les généraux[15]. Il dîna dans la loge de son concierge. Il envoya sa mère, sa fille, ses commis à la caserne des fédérés marseillais pour les détacher de la Gironde[16]. On devait se présenter à lui, dit Buzot, avec des cheveux gras, un vêtement sale ou déchiqueté, affecter les plus extrêmes exagérations du jacobinisme, et on ne s'informait pas si tel sujet était laborieux, s'il était instruit, s'il tenait une bonne conduite, mais s'il allait aux Jacobins, s'il lisait Hébert et Marat, s'il était patriote de septembre[17].

Comme Servan, il appela dans ses bureaux quelques militaires instruits : Caffarelli du Falga, l'adjudant-général Vergnes et deux maréchaux-de-camp, Vieusseux, gendre de Clavière, et Meusnier, membre de l'Académie des sciences, le futur défenseur de Mayence[18]. Meusnier, jacobin exalté, joua le rôle le plus important. Ce fut lui qui rédigea les réponses du ministre[19]. Il avait eu quelques démêlés à Cherbourg avec Dumouriez et il lui tenait rancune. Aussi le général écrit-il dans ses Mémoires j que Meusnier avait, avec beaucoup d'esprit, une des âmes les plus noires de France. Le jugement est sans i doute excessif. Mais Sauveur Chénier ne dit-il pas qu'on refuse à Meusnier ce degré de franchise et de loyauté qui commande la confiance[20] ?

Avec Meusnier, les personnages les plus considérables du ministère étaient Audouin, premier secrétaire du département, Hassenfratz, premier commis du matériel, et les chefs de bureau Vincent et Vandermonde. Xavier Audouin, d'abord vicaire de Saint-Thomas-d'Aquin, puis commissaire de la section de la Fontaine de Grenelle, commissaire-rédacteur, avec Tallien et Collot-d'Herbois, de l'adresse à l'armée, secrétaire de l'assemblée des commissaires qui demanda la déchéance de Louis XVI, membre de la Commune du 10 août, commissaire du pouvoir exécutif dans les Deux-Sèvres et en Vendée, s'était lié très intimement avec Pache qui lui donna sa fille Sylvie en mariage[21].

Hassenfratz avait un nom étrange et souvent défiguré par les journaux. On racontait que son père nommé Lelièvre et habile métallurgiste, s'était fait appeler Hassenfratz et qu'affublé de ce nom exotique et d'un habit à la mode allemande, il avait obtenu du ministre et une audience et une pension. Hassenfratz lui-même était grand géomètre, et personne ne mettait en doute son savoir et son honnêteté. Mais il prenait le cynisme pour du civisme, et ne reconnaissait pour républicain que le sans-culotte aux bas déchirés et aux mains crasseuses. On lisait sur la porte de son bureau les mots : Ici l'on se tutoie. C'est un rustre, disait une fois Sauveur Chénier, qui veut faire le Diogène. Prudhomme le nommait un charlatan, et un contemporain le regarde comme un esprit confus qui ne sait que mettre ses idées en peloton, sans pouvoir les dévider[22].

Vincent, à peine âgé de 23 ans, avait siégé dans la Commune du 10 août et il devait devenir secrétaire général de la guerre sous le ministère de Bouchotte. C'était lui qui proposait aux Cordeliers de parcourir les rues de Paris et de massacrer les aristocrates dans leur domicile après avoir planté devant leur porte un drapeau noir, signe de la vengeance populaire.

Vandermonde dirigeait le bureau de l'habillement ou, comme on disait par dérision, du déshabillement. Il était, de même que Meusnier, membre de l'Académie des sciences, et avait une grande influence sur Monge qui suivait docilement ses conseils ; aussi le nommait-on la femme de Monge. Mme Roland assure que son esprit était faux comme son regard et que la science figurait mal dans une pareille tête. Il ne commit que des fautes, non par friponnerie, mais par sottise. Quand il quitta le ministère, on lui demanda s'il rendrait ses comptes. Ni Pache ni moi ne rendrons de comptes, répondit-il, des gens comme nous ne rendent pas de comptes et nous ferons sauter les têtes de ceux qui voudraient nous y forcer ![23]

Les employés étaient à l'avenant. Gensonné se contentait de dire qu'ils avaient les cheveux lisses[24] et les brusqueries républicaines. Mais Buzot rapporte qu'ils furent pris parmi les plus effrontés de la gent jacobinière et qu'aux hommes sages et fidèles de Servan succéda je ne sais quel ramas de forcenés et de brigands. Dumouriez compare l'hôtel de la guerre à une caverne indécente ; on y voyait quatre cents commis, parmi lesquels plusieurs femmes, affectant la toilette la plus sale et le cynisme le plus impudent ; on n'y travaillait qu'en bonnet rouge ; on y tutoyait tout le monde, et il écrivait nettement à la Convention : Le bureau de la guerre est devenu un club, et ce n'est pas dans un club qu'on expédie les affaires ; ayez des commis qui travaillent, au lieu de faire des motions ![25]

Mais les commis ne travaillaient pas. Ils ne savaient pas leur métier, et, comme disait Prud'homme, ils embrouillaient leur besogne plus qu'ils ne l'expédiaient[26]. Tout ce qu'il y avait d'hommes éclairés et expérimentés, assure Miot[27], avait été banni. Barbaroux s'indignait des désordres de la nouvelle administration ; il y a trois fois plus de commis qu'au temps de Servan, mais tous sont désorganisateurs et ne connaissent rien à la guerre[28]. Buzot qualifie les bureaux d'ignorants et ne se rappelle qu'avec horreur leurs folles dépenses, leurs scandaleux gaspillages, leur friponnerie éhontée[29]. Gensonné déclarait que leur impéritie et leurs dilapidations coûteraient à la nation le double de ce qu'aurait coûté la guerre[30]. Sillery ne tarissait pas sur leur compte : Les employés sont patriotes zélés, mais la moindre chose leur offre une difficulté, et ils ont sans cesse la crainte de se tromper. On peut être un excellent citoyen et ignorer les détails nécessaires aux mouvements et à l'approvisionnement d'une grande armée ; mais pourquoi ces personnes qui se vantent de patriotisme, ont-elles brigué et accepté des places qu'elles sont incapables de remplir ?[31]

Pache ne se contentait pas de bouleverser ses bureaux. Avec Hassenfratz, Audouin, Vincent, Ronsin, Hébert et tous ceux qui désiraient pousser la Révolution à ses extrêmes conséquences, il voulait bouleverser l'armée, ou, comme on disait, la patriotiser en chassant les officiers nobles et en épurant les états-majors. Il était persuadé que les commissaires-ordonnateurs et les commissaires des guerres avaient la tête contre-révolutionnaire[32] ; il croyait que les administrateurs de la compagnie des vivres regrettaient l'ancien régime ; il accusait d'incivisme Boyé, le régisseur des fourrages de l'armée de la Belgique. Hassenfratz allait plus loin encore ; il flétrissait la conduite honteuse des administrateurs des subsistances militaires et déclarait qu'il purgerait l'armée, comme il avait purgé les bureaux ; à l'entendre, les troupes seraient vaincues tant qu'elles n'auraient pas de plébéiens à leur tête ; et les choses n'iraient bien que lorsque l'égalité serait assurée dans l'armée, lorsque Baptiste remplacerait Dumouriez ; encore, ajoutait-il, un Auvergnat valait autant que Baptiste[33].

Les coups de Pache, de Hassenfratz et de leurs amis devaient porter surtout contre le premier général de la République, contre celui qui, par ses exploits, effaçait les autres citoyens. Déjà le vainqueur des Prussiens donnait de l'ombrage. Lorsqu'il venait aux Jacobins, on l'accueillait sans enthousiasme, avec une reconnaissance raisonnée qui n'accorde au mérite que des hommages sévères, et Collot-d'Herbois lui disait rudement que, sans ses soldats, sa gloire ne serait rien. Après Jemappes, la Sentinelle se bornait à rendre grâces aux Dieux, en ajoutant que les monarchies ne se soutenaient que par la flatterie, et les républiques que par la sévérité. Après la prise de Liège, Kersaint priait inutilement la Convention de témoigner à Dumouriez cette gratitude qui n'est pas la vertu des républicains ; l'assemblée félicitait l'armée[34].

On jalousait ce général victorieux. On redoutait son ambition ; on le soupçonnait d'affecter la tyrannie. Les ministres refusaient de mettre Kellermann sous ses ordres et Roland lui disait tout net qu'il ne devait pas conduire toute la guerre. On ne perdait aucune occasion de le chapitrer, de l'humilier, de lui rappeler que le pouvoir militaire doit toujours obéir et céder au pouvoir civil. Le Conseil exécutif, écrivait Dumouriez à Miranda, me regarde comme un ennemi qu'il faut abattre. De fougueux montagnards parlaient déjà de rappel, de remplacement, d'arrestation. Ils auraient voulu compromettre le général, le pousser à quelque démarche de désespoir qui pût effacer l'éclat de ses succès. D'aucuns, chez qui l'intérêt de parti l'emportait sur le patriotisme, lui souhaitaient une défaite. Un jour que plusieurs conventionnels, des plus marquants, s'entretenaient de Dumouriez dans le cabinet de Le Brun, l'un d'eux s'écria : Vous ne pourrez l'arrêter qu'après l'avoir fait battre ![35]

Le 29 octobre, le Conseil, entendant maintenir dans toute son intégrité la hiérarchie des autorités constituées, enjoignit aux généraux d'armée et à tous ses agents de ne plus écrire directement à la Convention, mais de s'adresser au pouvoir exécutif. Dumouriez répondit à Pache qu'il s'inclinait. Mais cette décision ne portait-elle pas atteinte à la liberté individuelle ? Un général ne pouvait-il l'enfreindre pour sa propre sûreté, lorsqu'il était en désaccord avec son ministre ? Il alléguait son propre exemple. N'avait-il pas raison, avant le 10 août, d'écrire au président de l'Assemblée législative, et de montrer à la nation qu'elle avait encore un général et une armée[36] ?

Puis vint l'arrêté du 23 novembre. Les généraux eurent ordre de n'ouvrir aucune négociation sur les intérêts politiques et de n'entretenir avec l'ennemi que les communications nécessitées par les capitulations, par les cartels d'échange, par les détails purement militaires. Dumouriez répondit avec ironie que cette nouvelle décision était très sage : Il y a peu de nos héros en état de manier l'arme de la politique ; mais, ajoutait-il, des exceptions pouvaient se produire, et lui- même avait fait en Champagne un usage très utile des pourparlers[37].

Pache avait dicté ces arrêtés. Il y joignit d'autres mesures désagréables ou blessantes. Il voulait, sans consulter Dumouriez, ôter Kilmaine au 6e hussards et Laroque au 29e régiment d'infanterie, envoyer en Corse le commissaire-ordonnateur Soliva, grand ami du général, et aux îles Sous-le-Vent les deux frères Thouvenot. Il projetait, contre l'avis de Dumouriez, de transférer à Douai la grande fonderie de Malines. Il nommait adjoint à l'état-major un nommé Moras, ci-devant danseur chez Nicolet ; mais, demandait Dumouriez, ce Moras a-t-il autant de talent que de souplesse dans les reins ?[38]

Enfin, Pache frappa Dumouriez dans ses commissaires-ordonnateurs Malus et Petitjean. Ce fut le grand épisode de la querelle entre le ministre et le général. Il montre à nu l'ineptie de Pache et son mauvais vouloir.

 

II. Des compagnies étaient chargées de l'habillement, de l'approvisionnement et des charrois de l'armée. La compagnie Masson ou d'Espagnac[39] avait, en vertu de trois traités signés par Servan, l'entreprise des charrois de toutes les armées de la République. Une autre compagnie, représentée à l'armée de la Belgique par le munitionnaire Julliot, fournissait la viande et faisait son service avec la plus grande régularité ; Julliot avait le droit de dire qu'il dispensait les généraux de toute sollicitude à cet égard[40]. La compagnie, dite administration des subsistances militaires ou compagnie Doumerc, livrait et distribuait le pain et les fourrages. Elle était dirigée par plusieurs administrateurs, notamment par Doumerc, homme très actif et plein de ressources. Grâce à l'impulsion de Doumerc et à l'intelligence des régisseurs et des préposés qu'il avait mis à la suite de chaque armée, les troupes furent parfaitement approvisionnées durant la campagne de l'Argonne. Malgré leurs nombreux mouvements, et les chemins affreux, et les pluies incessantes, les deux armées du Nord et du Centre reçurent exactement leurs distributions. On dit même que la compagnie Doumerc avait toujours plus de 80.000 rations d'avance pour les cas pressés. Elle savait rassembler les vivres sans faire hausser les prix. Ses préposés trouvaient toujours les marchés abondamment fournis et inspiraient la confiance. Camus loue leur activité, leur expérience, leur connaissance des localités. Biron vante leur zèle infatigable et la solidité, la sûreté de leur service. Je dois leur rendre justice, disait Dumouriez après la retraite des Prussiens, c'est à leurs soins qu'on doit la bonne santé du soldat. Aussi était-il convenu avec Doumerc qu'il garderait comme régisseur des vivres Le Payen, et comme régisseur des fourrages Boyé qui avait rendu les services les plus importants en Champagne[41].

Tout manqua dès le début de la campagne par la faute de Pache. Dumouriez, sur le point d'envahir la Belgique, i écrivait au ministre qu'il se trouvait sans le sol, qu'il n'avait pas encore de payeur, qu'il ne recevait ni bidons, ni marmites, ni gamelles, ni chaussures, ni effets de campement, qu'il était obligé de cantonner la moitié de ses troupes[42], et il priait Pache d'envoyer sur le champ deux millions de numéraire nécessaires à la paye du soldat — qui, d'après la loi, n'était soldé qu'en espèces —, 30.000 paires de souliers, des tentes pour dix mille hommes, des couvertures pour quarante mille. Pache assura qu'il emploierait avec zèle et sans relâche tous les moyens dont il disposait pour satisfaire les besoins de l'armée. Mais rien n'arrivait, pas même la solde. Dumouriez restait sans payeur. Il se vit contraint, au lendemain de Jemappes, d'emprunter, d'ailleurs sans intérêts, trois cent mille francs à l'ex-abbé d'Espagnac, et lorsqu'il entra dans Bruxelles, la caisse de l'armée ne contenait pas treize mille livres. Il résolut de faire un emprunt aux abbayes et aux chapitres de la Belgique : cet emprunt, disait-il, garanti par la nation belge, assurait au clergé la conservation de ses biens et faisait circuler un numéraire jusqu'alors enfoui que la superstition respectait et auquel les Belges n'osaient toucher, étant trop jeunes en liberté pour avoir des idées précises sur ce genre de propriété nationale[43]. Il ordonna donc à Petitjean, commissaire-ordonnateur de l'armée de Labourdonnaye, d'emprunter deux millions au clergé de Flandre. Lui-même prit dans les caisses de Bruxelles quatre-vingts mille florins qu'il promit de rembourser promptement, et, grâce à Espagnac, le banquier Lis de Meulemeester, lui avança trois cent mille francs en espèces contre une lettre de change que le commissaire-ordonnateur de l'armée de Belgique, Malus, tira sur la trésorerie nationale[44].

Mais déjà s'engageait entre Pache et Dumouriez la première escarmouche. Malus, autorisé par le ministre Servan, avait passé le 14 octobre à Lille un marché de vingt mille sacs de fine fleur de farine d'Angleterre avec Fabre, de Paris, et Paulet. de Douai. Le marché était en pleine exécution. On annonçait l'arrivée de cinq mille sacs. Mais, lorsque les fournisseurs se rendirent au bureau de Hassenfratz, le premier commis leur déclara brutalement qu'il n'acceptait pas un marché qui fixait le prix du quintal à quarante-huit livres. Dumouriez s'emporta. Allait-il être arrêté par la lésinerie des bureaux, par les formes, par les discussions, par les idées étroites d'économie ? Il écrivit à Pache et au Comité militaire de la Convention : Hassenfratz prenait le ton tranchant d'un commis de l'ancien régime ; il ne pouvait rompre un marché qu'avait autorisé Servan ; les besoins étaient urgents ; un autre marché serait évidemment plus onéreux ; Fabre et Paulet consentaient d'ailleurs à rompre leur traité et à fournir les vingt mille sacs en recevant deux pour cent de commission, après avoir justifié des factures. Pache céda et prit les vingt mille sacs[45].

Or, le marché de Malus qui datait du 14 octobre, ne suffisait pas encore. Le 8 novembre, sur l'ordre de Dumouriez, Malus passait à Mons, avec Henry Simons, un des plus grands négociants de Bruxelles, deux marchés, l'un pour les fourrages, foin, paille, avoine, à fournir pendant un mois[46], l'autre pour vingt-cinq mille sacs de farine, au prix de facture, avec commission de deux pour cent. Toutes les armées entraient en Belgique et il fallait assurer leur subsistance pendant la marche rapide qu'elles allaient faire. Le ministre persistait à ne rien envoyer et, disait Dumouriez avec raison, les magasins étaient vides ; les approvisionnements, nuls ; les ressources, éloignées et incertaines ; les mouvements, impossibles. Le marché de Simons, nécessaire, avantageux, payable en assignats, préparait le succès de la campagne ; sans ce marché, l'armée manquait de vivres et de fourrages[47].

Pache refusa de le ratifier. J'ai peine à y croire, écrivait-il à Dumouriez ; j'ai approvisionné de farine l'armée que vous commandez de manière à assurer la subsistance pendant huit mois, et, quelques jours plus tard, il affirmait que les magasins de la frontière renfermaient de quoi nourrir quatre-vingts mille hommes durant six mois et huit jours[48].

 

III. Mais il avait pris une grande mesure, une mesure qu'il croyait géniale et qui lui était inspirée par son zèle révolutionnaire et par la cupidité de son entourage. Le 5 novembre fut créé le Directoire des achats. Les trois ministres de la guerre, de la marine et de l'intérieur chargeaient un comité d'acheter toutes les subsistances nécessaires à la République, c'est-à-dire aux armées de terre, à la marine et aux villes. Ce comité seul ferait l'acquisition des approvisionnements. Mû par une même volonté et par un même principe, comme disait Pache, il subviendrait sûrement, efficacement à la nourriture des troupes. Il entrerait en fonctions au 1er janvier 1793, et il envoyait déjà ses agents dans l'est de la France et en Belgique : les deux frères Théodore et Baruch Cerfberr faisaient des achats, l'un sur la rive droite, l'autre sur la rive gauche du Rhin[49] ; Simon Pick prendrait les ordres de Dumouriez ; Mosselman, de Bruxelles, et Perlan Carpentier, d'Ostende, achèteraient, l'un sur les marchés d'Alost, de Gand, d'Audenarde, soixante mille rasières de froment, quarante mille rasières de seigle et soixante-douze mille boisseaux d'avoine[50]. Pour mieux assurer les opérations de son Directoire, Pache ordonna par plusieurs lettres successives aux administrateurs des subsistances militaires[51] de remettre leurs caisses à la trésorerie nationale, et de ne plus faire aucun achat, de ne plus tirer aucune lettre de change, de ne plus donner aucun récépissé comptable. Il défendit, en outre, aux commissaires des guerres d'accepter aucune soumission, de passer aucun marché, de commander aucune livraison, sous quelque motif que ce pût être.

Le Comité des achats se composait de trois membres : Bidermann, Marx Berr et Cousin, nommés, le premier par Pache, le deuxième par Monge et le troisième par Roland. Mais l'honnête Cousin, professeur au Collège de France, ne prit aucune part aux opérations du Directoire et donna bientôt sa démission : dès le 9 décembre, Roland déclarait le Directoire des achats parfaitement étranger à son administration[52]. Bidermann et Marx Berr restèrent seuls. L'un était un banquier genevois, ex-associé de Clavière ; l'autre, Juif de Strasbourg, et fils d'un homme qui s'était rendu fameux pendant la guerre de Sept-Ans par ses friponneries dans les fourrages[53].

Ces deux hommes exercèrent un monopole. Pache disait bonnement qu'ils achetaient pour consommer et non pour revendre, qu'ils rendraient compte de clerc à maitre, que tout commerce leur était interdit. Mais Dumouriez connaissait Bidermann et Marx Berr[54]. Vous livrez la Belgique, écrivait-il à Pache[55], aux accapareurs et aux avides spéculations d'une compagnie exclusive arrangée par vos bureaux. Comment empêcherez vous qu'un aussi habile négociant que Bidermann ne spécule pas pour son compte, lorsqu'il est sûr de la défaite de sa marchandise ? Vous êtes entouré de gens qui ne pensent qu'à leur profit personnel ; ils vous font produire des états faux qui nous représentent dans l'abondance lorsque nous sommes réduits à un état misérable.

Telle était aussi l'opinion des commissaires que la Convention envoya dans la Belgique. Bidermann et Marx Berr pouvaient-ils être de simples directeurs, soucieux de l'intérêt de la République, uniquement préoccupés d'acheter les denrées au plus bas prix ? Ces manieurs et ces gagneurs d'argent, doués, comme disait Camus, d'une intelligence peu commune pour les spéculations, accepteraient-ils une si vaste entreprise, assumeraient-ils une si grave responsabilité par pur patriotisme et sans autre bénéfice qu'un salaire limité ? Non. Les fournisseurs dont ils présentaient les factures n'étaient que des prête-noms, des hommes de paille. Bidermann et Marx Berr avouèrent le 12 décembre aux Comités qu'ils avaient fait vendre des grains sur les marchés pour obtenir une baisse de prix. Ne pouvaient-ils user du même moyen pour obtenir la hausse ? Pour quelles raisons ces directeurs qui ne devaient commencer leurs fournitures qu'au 1er janvier, défendaient-ils à l'ancienne administration des subsistances militaires d'acheter quoi que ce fût pendant les mois de novembre et de décembre 1792 ? Pourquoi lui écrivaient-ils eux-mêmes et lui rappelaient-ils avec une singulière insistance les ordres rigoureux du ministre ? Pourquoi se faisaient-ils donner, comme disait Soliva, une mission privilégiée et exclusive ? Ils voulaient être maîtres du marché, écarter toute concurrence, augmenter leurs profits. Dès le 10 novembre, Perlan, d'Ostende, raflait argent comptant tous les blés des Flandres, et, en deux jours, le prix de la rasière de froment augmentait de deux florins. Le Directoire tenta même d'exporter en France trois cent mille sacs de grain pour les renvoyer en Belgique sous forme de farines, et l'administration d'Ostende ayant empêché l'embarquement, Pache pria naïvement Dumouriez d'user de son crédit pour lever l'embargo. Des agents cachés de la Compagnie, écrivait le loyal Thouvenot à la fin de décembre, accaparent depuis longtemps les grains et les fourrages du pays où est l'armée ; ils la laisseront manquer ; l'urgence sera constatée, et les mêmes ; agents reparaîtront avec les subsistances qu'ils ont achetées précédemment et les revendront fort cher[56].

 

IV. Dumouriez prit un parti décisif. Il déclara qu'il voulait être maître des subsistances, comme des mouvements de l'armée, et passer seul, par le ministère de Malus, tous les marchés nécessaires à l'approvisionnement de l'armée de Belgique, tous les traités qui lui paraîtraient le plus avantageux pour assurer le service du numéraire indispensable à la solde et aux dépenses de l'armée. Il sommait Pache de ratifier le marché conclu par Malus avec Simons ; les agents du Comité des achats devaient cesser toute acquisition de grains et de fourrages, et la trésorerie nationale, tout versement de numéraire dans les caisses militaires. Ne fallait-il pas intéresser les Belges à la Révolution et leur donner des fournitures de tout genre ? Des hommes du pays, actifs, intelligents, pleins de crédit, des patriotes brabançons, n'étaient-ils pas les seuls qui pussent acheter avec avantage les fourrages et les grains ? Ne serait-ce pas faciliter et assurer tous les services sans nulle crainte de retard et d'obstacle, les réunir en un même centre d'administration ? Ne pouvait-on ainsi employer le numéraire du Brabant, au lieu d'exporter le numéraire de France, de l'épuiser et d'en hausser le prix ? On lui objecterait peut-être qu'il ne devait pas intervenir dans l'administration de l'armée. Mais un général, disait-il avec raison, doit connaître toutes les ressources du territoire qu'il occupe et des pays qu'il a devant et derrière lui ; il doit indiquer lui-même les marchés et les endroits de la contrée qu'il faut ménager ou manger, disposer à son gré de l'emplacement, du transport, du versement des fournitures ; je regarde, écrivait-il, la partie des subsistances comme aussi essentielle à un général, que la partie militaire. N'était-ce pas à lui de tout diriger, puisqu'il tenait le fil politique de la Belgique ? Je ne me suis jamais mêlé du matériel des marchés, ajoutait-il, et quiconque a la bassesse de m'en soupçonner, est un fripon ou un sot[57].

Pache envoya la lettre de Dumouriez à la Convention. Il eut gain de cause. Le grand contrôleur des finances de la République, Cambon, se fit l'avocat du ministre de la guerre. Lui aussi s'imaginait que Dumouriez était un fripon, entouré de fripons. Lui aussi ne voyait dans tout régisseur qu'un aristocrate et dans tout entrepreneur qu'un coquin. Il accusait de brigandages épouvantables les fournisseurs et intendants de l'armée ; il les traitait d'intrigants, de sangsues, et, pour faire un exemple et détruire cette classe perverse, cette race dévorante qui ruinait la République, il avait traduit à la barre le commissaire-ordonnateur de l'armée du Midi. Vincent, et annulé les marchés que Vincent avait conclus avec le juif Benjamin Jacob, munitionnaire de la viande[58].

Cambon déclara donc, dans la séance du 22 novembre, que le commissaire-ordonnateur de l'armée de Belgique, Malus, le commissaire-ordonnateur de l'armée du Nord, Petitjean, et l'entrepreneur des charrois, Espagnac, ne méritaient aucune confiance. Malus, prétendait-il, avait passé un marché pour des mulets qui devaient rapporter chacun deux mille quatre cents livres par année au fournisseur. Petitjean avait volé trente-cinq mille livres à la nation, Espagnac était un spéculateur qui jouait à la hausse et à la baisse et aspirait au poste d'ordonnateur-général des finances. Dumouriez, conclut Cambon, ne doit pas manier les deniers publics ; plus un général a de succès et de prépondérance dans l'opinion, plus il doit être assujetti à des règles strictes ; que l'assemblée passe à l'ordre du jour ; que le ministre de la guerre continue à surveiller les commissaires-ordonnateurs, et la trésorerie, l'emploi du numéraire.

La proposition de Cambon fut adoptée. Un orage s'éleva contre d'Espagnac, Malus et Petitjean. Espagnac n'avait fait qu'opérer, de concert avec Malus, l'emprunt de trois cent mille livres et que passer des marchés avec le comité révolutionnaire des Belges et Liégeois pour l'équipement de cette armée belge que Dumouriez regardait comme un supplément de l'armée française et l'unique moyen d'assurer la révolution des Pays-Bas. Mais Dumouriez vantait en pure perte les ressources inépuisables d'Espagnac, sa fermeté qui le rendait propre aux entreprises les plus étendues, son zèle qui ne trouvait rien d'impossible[59].

Jeanbon Saint-André s'écria qu'Espagnac était un protégé de Calonne et un homme profondément immoral qu'on ne pouvait employer dans une république, sous le règne des mœurs et des vertus. Thibault raconta qu'Espagnac se promenait à Paris dans un beau cabriolet, et se vantait de faire fortune à l'armée du Nord. Cambon porta le dernier coup : Espagnac, dit-il, a passé des marchés tellement onéreux qu'une personne intéressée pour un huitième seulement, a déjà gagné dix-huit cent mille livres. Il ajouta que Malus avait à dessein retardé l'arrivée des approvisionnements et des ambulances, et laissé les blessés de Jemappes vingt-quatre heures sans secours. La Convention décida que Malus, Petitjean, Espagnac seraient mis en état d'arrestation et traduits à la barre de l'assemblée.

Pache se hâta d'exécuter le décret. Ronsin et Huguenin furent chargés de l'arrestation. Ronsin remplacerait Malus dans les fonctions de commissaire-ordonnateur en chef. Huguenin devait reconnaître les besoins de l'armée et prendre les mesures pour y pourvoir[60].

Dumouriez protesta. Il est temps, écrivait-il, que je développe toute l'énergie de mon caractère et que je déploie toute l'indignation que je ressens. On désorganisait l'armée et suspendait sa marche ! On employait tous les moyens pour faire manquer l'expédition ! On lui ôtait ses trois hommes les plus utiles qu'il eût été nécessaire de conserver, en supposant même qu'ils eussent été coupables ! Et un Ronsin remplaçait Malus, Ronsin, commissaire-ordonnateur postiche, qui n'avait peut-être de sa vie connu aucune des parties de l'administration militaire ! Mais on voulait, sans doute, le récompenser d'avoir dénoncé Malus dans une brochure pleine de fausseté[61] !

Le choix de Huguenin inspirait à Dumouriez la même irritation. Que cet Huguenin recherche les besoins de l'armée, soit ; mais comment le ministre l'avait-il chargé des fonctions des ci-devant exempts de police ? Non : Westermann mènera les trois accusés à Paris avec autant d'honnêteté que de sûreté. Dumouriez espère qu'ils se justifieront aisément, qu'ils seront bientôt rétablis dans leurs fonctions, que Ronsin ne tardera pas à perdre le fruit de ses dénonciations. Pour lui, il ne cessera de combattre la calomnie : Il me parait que dans cette guerre, mon arrière-garde n'est pas très sûre et que j'ai des ennemis beaucoup plus dangereux que les Autrichiens ; mais je vous prouverai que ma logique vaut mes canons ![62] Et il répète à la Convention qu'il veut être chargé seul de l'approvisionnement du soldat ; il y avait une régie dans l'Argonne et les troupes ne manquaient de rien ; en Belgique on n'avait ni payeur, ni magasins, ni hôpitaux ; c'est contre moi qu'il faut instruire un procès, si c'est un crime que d'avoir passé des marchés et fait les emprunts nécessaires à la subsistance de l'armée[63]. Quinze jours plus tard, il écrivait encore qu'il désirait être englobé dans la procédure, partager le sort de ses agents, et défendre à la barre de la Convention Malus, cet administrateur intègre dont l'arrestation était plus funeste qu'une défaite[64].

Bientôt Westermann arrivait à Paris. Il exposa la situation de l'armée à la Convention : Dumouriez était arrêté par les lenteurs des bureaux ; il manquait de numéraire, il manquait d'approvisionnements ; il avait dû faire des emprunts ; vous êtes trop justes, conclut Westermann, pour rester indifférents sur les besoins de nos braves soldats ; venez promptement à leur secours[65].

La Convention s'émut, et, sur la proposition de Cambon., quatre commissaires de l'assemblée, Camus, Gossuin, Delacroix, Danton, partirent pour la Belgique. Ils étaient autorisés à se faire remettre tous les livres, états, registres de correspondance, et ouvrir tous les dépôts et magasins. Ils reçurent même au bout d'un mois le pouvoir de faire toutes réquisitions et d'ordonner provisoirement toutes destitutions, remplacements et arrestations qu'ils jugeraient nécessaires pour le maintien ou le rétablissement de l'ordre public, à la charge d'en délibérer en commun, et d'envoyer aussitôt leurs arrêtés à la Convention[66].

Malus, Petitjean et Espagnac parurent à la barre le 1er décembre. Tous trois se plaignirent de l'administration de la guerre et affirmèrent qu'ils n'avaient agi que pour subvenir aux besoins urgents de l'armée de Belgique. Espagnac retraça ses opérations avec tant d'aisance et de clarté, tant de finesse et tant d'esprit, que la Convention le couvrit d'applaudissements ; on crut, avoue un de ses adversaires, qu'elle allait lui décerner une couronne civique[67]. Les trois prévenus furent laissés en liberté.

Mais le 5 décembre la Convention recevait une nouvelle lettre de Dumouriez. Le général déclarait qu'il communiquerait dorénavant à l'assemblée sa correspondance avec Pache. Il était encore sans pain, sans fourrages, sans argent. On avait rompu des marchés qui assuraient la subsistance de l'armée jusqu'au 1er janvier. Les chevaux n'auraient pas eu de nourriture le 4 or décembre, si des patrouilles n'avaient saisi sur la Meuse deux bateaux de fourrages que les Autrichiens envoyaient à Maëstricht. La caisse militaire ne renfermait pas trois mille livres, et Dumouriez avait dû faire un nouvel emprunt. Je me trouve obligé, disait-il, d'être l'emprunteur et l'approvisionneur de l'armée.

La Convention se partagea. Les uns, rappelant la jalousie de Louvois contre Turenne, proposaient de mander Pache à la barre. Les autres accusaient plus que jamais Petitjean et Malus. Le crédule Carra affirmait que la nation était volée par les fournisseurs, par les entrepreneurs, par les commissaires des guerres, et qu'Espagnac gagnait pour frais de commission vingt-quatre mille livres par jour[68] ! Cambon, désespéré, criait qu'il ne savait qui croire, du ministre ou du général. Que devenait donc l'argent destiné à la guerre ? Que devenaient tant de millions consacrés à la dépense des armées, et les cent quatre-vingt dix-huit millions de septembre, et les cent quarante-huit millions d'octobre, et les cent vingt-deux millions de novembre ? Que devenaient les assignats ? L'assemblée décréta que Pache rendrait compte[69] et que Petitjean, Malus, Espagnac seraient enfermés à l'Abbaye. Mais Pache ne rendit aucun compte, et Petitjean, Malus, Espagnac sortirent bientôt de leur prison, après s'être pleinement justifiés.

Espagnac se disculpa si bien que Châteauneuf-Randon se déclara devant le comité de la guerre intimement convaincu de son innocence et de l'utilité du service qu'il avait établi[70].

Petitjean, commissaire des guerres dans l'Argonne, un de ces habiles et infatigables vivriers que les chefs militaires s'arrachaient, demandé avec instance par Beurnonville, par Labourdonnaye, par Dumouriez, par Miranda, regardé par un agent du Conseil exécutif comme un citoyen très pur qui n'entravait pas la marche des généraux et par Gasparin comme le seul homme qui eût la clef de la machine, Petitjean se lava très aisément de tout reproche. Le comité de la guerre vanta ses lumières et son patriotisme. La Convention le rendit à ses fonctions, et le 13 janvier, à 5 heures du matin, Pache le mandait dans son cabinet pour lui confier le service des subsistances de l'armée de la Belgique : il était, dit Petitjean, revenu des mauvaises impressions qu'on lui avait suggérées contre moi, et la manière franche avec laquelle il me parla, me fit oublier tous les chagrins qu'il m'avait causés[71].

Enfin Malus gagna son procès, de même qu'Espagnac et Petitjean. Il servait depuis quarante ans et nul : n'avait encore soupçonné sa probité. Tous les généraux louaient ses talents. Dès le mois de juillet, Dumouriez et Arthur Dillon assuraient que Malus connaissait parfaitement les Flandres et leurs ressources. Le ministre d'Abancourt le regardait comme un des meilleurs moyens de l'armée[72]. La Convention l'avait appelé devant elle pour répondre à quatre chefs d'accusation. Elle l'accusait : 1° d'avoir passé des marchés avec Espagnac : il prouva qu'il n'avait fait aucun marché avec Espagnac ; 2° d'avoir laissé le 6 novembre 20.000 redingotes à Valenciennes : il prouva que les magasins de Valenciennes ne renfermaient pas au 6 novembre une seule redingote ; 3° d'avoir laissé l'hôpital ambulant à Quiévrain, dans la journée de Jemappes : il prouva qu'il avait porté tous les caissons de l'ambulance au-delà de Boussu et fait soigner les blessés dans les églises de Boussu, de Cuesmes et de Pâturages[73] ; 4° d'avoir signé des lettres de change tirées sur la trésorerie nationale : il prouva qu'il les avait signées avec l'autorisation du général et sur le conseil du contrôleur de la trésorerie. Mais la Convention ne l'avait pas interrogé sur ces quatre chefs. Elle lui posa quatre questions. 1° Qu'était-ce qu'un marché conclu le H septembre à Valenciennes, avec Worms, pour la fourniture de la viande aux hôpitaux des places du Nord, à raison de 11 sous la livre ; 2° qu'était-ce que le marché passé, le 11 octobre à Lille, avec Fabre et Paulet, pour un achat de fine fleur de farine d'Angleterre ? 3° et 4° qu'étaient-ce que deux marchés, faits le 8 novembre à Mons avec Henry Simons, l'un pour foin, paille et avoine, à un prix fort cher, l'autre pour 25.000 sacs de farine, au prix de facture, avec commission de 2 pour 100 ? Malus répondit victorieusement à ces quatre questions. 1° J'ai dû, disait-il, conclure le marché avec Worms dans un moment critique ; les Autrichiens entraient en Flandre ; il fallait sans nul retard approvisionner les places ; aucun autre entrepreneur ne sa présentait ; j'ai payé la livre de bœuf et de mouton 11 sous, au lieu de la payer, comme à Paris, 9 sous 14 deniers ; mais je n'étais pas à Paris. — 2° Quant a marché passé avec Fabre et Paulet, le ministre Pache l'a converti en traite sur facture avec commission de 2 pour 100[74]. — 3° et 4°. Restaient les deux marchés de Simons. Mais Malus ne les avait passés que sur l'ordre de Dumouriez, et il était instant de les passer. Depuis que j'ai quitté l'armée, ajoutait Malus, ne ressent-elle pas les mêmes besoins ? Je ne suis donc pas coupable. On ne doit pas trouver mauvais qu'un administrateur use de ressources qui se présentent sur les lieux. Ce n'est pas assis vis à vis d'un bureau, à 80 lieues, qu'on peut juge de la multiplicité des besoins d'une grande armée. Il faut considérer les objets en détail, et ce n'est que dan les camps, sur le théâtre même de la guerre, qu'on peu s'en former une idée juste9[75]. Le 29 janvier 1793, la Convention décrétait que Malus serait réintégré dans ses fonctions. Trois jours auparavant, le comité de la guerre sur le rapport de Le Cointre, décidait secrètement que Ronsin, le calomniateur et remplaçant de Malus, serait employé dans une autre armée. Les commissaires de la Convention n'avaient-ils pas déclaré que tous les papiers de Malus attestaient l'ordre, l'activité, un travail aussi assidu qu'heureux et facile ?[76]

 

V. Tandis que se débattait à sa honte le procès des commissaires-ordonnateurs, Pache poursuivait son œuvre de désorganisation. Il ne cessait d'affirmer son dévouement aux armées ; il voulait être informé chaque semaine de leur situation et de la position des différents corps ; il assurait imperturbablement qu'il s'efforçait de les préserver des rigueurs de la saison ; il annonçait des fournitures de toute sorte, et son comité des achats lui écrivait, en effet, le 22 novembre qu'il avait acheté dans le Brabant 400.000 sacs de froment et de seigle, 40.000 sacs d'avoine, 50 milliers de foin, 50 milliers de paille, c'est-à-dire la subsistance d'une armée de 80.000 hommes pendant neuf mois[77] !

Mais l'arrestation de Malus avait eu les plus fâcheuses conséquences. Toute l'armée, écrivait Dumouriez, est découragée, et le service en souffre, parce qu'il n'y a plus ni liaison ni confiance. Ronsin n'entendait rien à son métier, et, comme disait le général, était fort étonné de se livrer à des fonctions dont il ne connaissait pas les éléments. Les commissaires des guerres, d'ailleurs en petit nombre, ne savaient que faire et servaient à contrecœur sous les ordres de Ronsin. Les régisseurs dont la trésorerie avait saisi les caisses, ne pouvaient payer leurs employés. Boyé était destitué. Simons cessait ses livraisons. Les agents du comité des achats, Pick et Mosselman, déclaraient à Dumouriez qu'ils n'avaient encore que des grains et que le comité ne devait fournir des farines qu'au 1er janvier 1793. Pendant les six dernières semaines de l'année 1792 l'armée allait donc mourir de faim ! Tous les effets de la désorganisation, rapporte Camus, avaient éclaté[78].

Dumouriez, hors de lui, somma Ronsin de conclure un marché dans les quarante-huit heures. Ronsin était éperdu ; il avait défense expresse de faire des emprunts et de passer des marchés. Mais lui-même reconnaissait qu'il n'y avait plus de pain que pour trois jours, que les fourrages manquaient entièrement, que la caisse du payeur était vide, que l'armée ne pouvait se porter en avant. Il consentit à faire un emprunt de 174.000 livres sur les neuf chapitres de la ville de Liège et, avec l'autorisation des commissaires de la Convention, il maintint le marché conclu par Malus avec Simons. C'est le marché, écrivait Dumouriez à Pache, sur lequel nous vivons ; sans ce marché du 8 novembre et les emprunts, je n'aurais ni farines, ni fourrages, ni numéraire[79].

Le 10 décembre, un nouvel agent du Directoire des achats, Lipmann Cerfberr, se présentait à Dumouriez. Le général refusa d'entrer en rapport avec cet échappé d'Israël. Il ne reconnaissait pas le comité des achats et ne voulait pas livrer la Belgique à la cupidité des Juifs, se faire le complice de la faction financière et juive soutenue par les bureaux. Comme Pick et Mosselman, Cerfberr venait simplement préparer le service du mois de janvier. Ronsin se jeta dans ses bras[80] et lui exposa la situation navrante de l'armée. Tout manque, écrivait Cerfberr au Directoire, rien n'est approvisionné, l'armée dépérit. Il fit quelques marchés ; mais on ne put jamais en obtenir l'état positif. Il soupçonnait tout le monde, répondait sans cesse qu'il ne pouvait faire mieux, chicanait sur les prix : homme inepte, assurent les commissaires, ou qui affectait de l'être. D'ailleurs, il dut destiner au mois de décembre les fonds du mois de janvier ; il dut payer l'arriéré de l'ancienne administration, précaution indispensable, dit-il lui-même, tant la confiance était perdue et le discrédit extrême. Dès le 26 décembre, il n'avait plus d'argent, et les fonds qu'il demandait n'arrivaient pas. Il était seul, sans aide, sans auxiliaire, et, selon le mot de Valence, ne pouvait rien, n'annonçait rien. Pick et Mosselman dont il implorait l'assistance, demeuraient sourds à ses appels. Le Directoire lui envoya le citoyen Sallambier. Mais les deux hommes se querellèrent. Sallambier demandait des renseignements à tout le monde et conférait longuement avec Boyé ; il reprochait à, Cerfberr ses méfiances, sa malheureuse tête, ses fausses assertions, ses marchandages. Cerfberr l'accusait de prendre le ton du commandement et de vouloir faire la loi. Finalement Sallambier se retira. Nous ne sommes pas encore sûrs, disait Thouvenot, de ne pas mourir de faim, et de Bruxelles un Français mandait au Moniteur : J'ai bien peur que le comité des achats ne nous oublie encore[81].

 

VI. On comprend dès lors que Dumouriez n'ait pas poussé jusqu'à Cologne, et, comme juge Dejean, que le dénuement absolu de l'armée l'ait forcé de terminer la campagne. Le ministre, marquait le général à Miranda, me tient dans l'engourdissement et me met dans une telle détresse que je ne peux marcher en avant[82].

Les lettres et le rapport des commissaires de la Convention exposent, aussi bien que la correspondance de Dumouriez, les misères de l'armée. Camus et Gossuin arrivèrent à Liège le 3 décembre. Ils ne trouvèrent dans la caisse militaire que 65.000 livres en assignats et 40.000 livres en numéraire. N'est-il pas affreux, observaient-ils à l'assemblée, que l'officier et quelques volontaires aisés doivent vider leur bourse pour en garnir la caisse ?

Ils virent à l'hôpital des malades couchés sur le carreau ou sur la paille, sans matelas, sans couvertures, sans autre traversin que des fagots. Les administrateurs n'avaient pas reçu les fonds nécessaires à la dépense d'octobre et de novembre. Les officiers de santé annoncés par le ministre n'étaient pas encore à leur poste ; les autres que le premier médecin de l'armée, Menuret, avait trouvés sous sa main, attendaient leur salaire. Je vois, disait le régisseur général des hôpitaux Lafleurye, et je dénonce avec désespoir l'état de pénurie auquel on abandonne mon service depuis deux mois et demi[83].

Les commissaires parcoururent le camp et furent, selon le mot de Camus, à la fois affligés et indignés. Ils virent des hommes qui n'avaient pour vêtement que des guenilles, qu'un tissu de pièces rassemblées, qu'un assemblage informe de morceaux déchirés. Le soldat, écrivaient-ils, pourrit sous la tente, souffre, se dégoûte du service et murmure ; il est impossible que son corps résiste au froid et aux frimas que la saison amène. Ils ordonnèrent de faire aussitôt des culottes ou des capotes avec le drap qui se trouvait dans les magasins. Huguenin promit d'exécuter leur ordre ; mais le 31 décembre rien n'était encore distribué et les soldats ne pouvaient quitter l'hôpital après leur guérison parce qu'ils n'avaient pas de culottes. Il n'est pas possible, assurait Ruault, de diriger plus mal un service, et l'habillement de toute l'armée, depuis la tête aux pieds, est dans le plus grand délabrement[84].

La viande était exactement fournie ; c'est le seul service, mandait Gossuin, qui s'exécute loyalement et à temps[85], Le pain manquait rarement. Mais les fourrages faisaient défaut. Les Autrichiens avaient tout pris, tout dévasté. On était loin des magasins d'approvisionnement, et quarante lieues séparent Liège de Valenciennes. La plus grande difficulté, rapportent les commissaires, a été relative aux fourrages, et il y a eu disette réelle. Ce fut l'absolue nécessité d'établir un magasin de fourrages qui détermina Ronsin à conclure avec Simons un nouveau marché, et Simons promit de transporter à Liège, dans le plus court délai, avoine, foin, pailles, tout ce qu'il aurait à sa disposition. On fit aussi des réquisitions aux municipalités en s'engageant à payer leurs fournitures au prix coûtant. Mais on était réduit aux expédients. Simons n'avait pas assez de voitures pour amener les foins de Louvain à Liège. Les communes refusèrent de déférer aux nouvelles réquisitions de Ronsin parce qu'il n'avait pas acquitté le montant des premières. Il y eut des jours où les fourrages manquèrent entièrement. On ne put jamais réunir un approvisionnement de 300.000 rations exigé par Dumouriez. Ni les commissaires, ni Ronsin, ni Cerfberr ne trouvèrent de fourrages dans les magasins ou à la suite de l'armée. Le 7 décembre d'Hangest déclarait que les chevaux de l'artillerie avaient été la veille sans foin et sans avoine, et que trois des meilleurs étaient morts dans la nuit. Deux jours après, il renouvelait ses plaintes : Les chevaux se trouvent dans un tel dénuement de forces qu'on ne peut les relever de la boue dans laquelle ils languissent et meurent ; les moins abattus mangent la terre ; s'ils ne sont pas très promptement remis à la nourriture ordinaire, il sera impossible de lever le parc (d'artillerie), et les canons et les munitions resteront où ils sont[86].

Pache, vaincu par les clameurs qui s'élevaient contre lui, ordonna à l'ancienne administration des subsistances militaires de prendre dans les magasins des places du Nord et du Pas-de-Calais de la paille et de l'avoine pour six semaines et du foin pour deux mois[87]. Mais la mesure était tardive et désastreuse. La livre de foin que Pache envoyait de Valenciennes à Liège, revenait à 5 ou 6 sous ; achetée à Liège, au temps même de la plus grande cherté, lorsque la disette mettait les commissaires des guerres à la discrétion des marchands, elle ne coûtait que 15 à 18 deniers. Encore, le défaut de voitures et des événements imprévus, les boues, les pluies, la crue des rivières, retardèrent-ils le transport de fourrages ordonné par le ministre[88].

Quelle spéculation meurtrière, s'écrient les commissaires, de défendre d'user pendant deux mois des denrées du pays ! Malus avait trouvé en Belgique une étoffe solide et chaude pour les capotes qui auraient coûté chacune de 25 à 30 francs ; Pache envoyait des capotes d'un drap mince qui revenaient entre 50 et 60 francs et ne duraient pas deux mois. Il promettait 130.000 paires de bas de laine ; mais, lui disait Dumouriez, l'armée est donc entrée dans une colonie déserte ? Il n'y a donc ici ni cordonniers, ni tisserands, ni métiers à faire les bas ! N'avez-vous pas dans ce pays le meilleur marché ? Et quand les prix seraient plus élevés, n'est-il pas d'une bonne politique d'attacher les capitalistes belges au succès de la Révolution française ? Le général faisait faire à Liège d'excellents souliers pour 3 livres 45 sols la paire ; Pache envoyait des chaussures détestables qui coûtaient 7 à 8 francs et qu'il fallut réformer ; le dessus, disaient les commissaires, est d'un cuir qui se déchire comme du papier[89].

Toutes les fournitures offraient les mêmes abus. Le ministre, témoigne Camus, a été fréquemment trompé, soit que tant de détails excèdent les facultés d'un seul homme, soit que ses agents manquent de connaissances. Et les fournisseurs demeuraient impunis : ils ne marquaient même pas d'une empreinte reconnaissable les effets qu'ils livraient. Il y eut pis encore : Hassenfratz commanda de transporter de Saint-Denis à Liège des piquets pour attacher les chevaux. On aurait trouvé des piquets dans la forêt des Ardennes ; le premier bûcheron venu les aurait façonnés et le moindre ouvrier, munis d'un anneau. Hassenfratz déclara qu'il ne fallait rien perdre, et, au lieu de brûler les piquets dans les poêles du ministère, il leur fit faire le voyage de Liège et dépensa 10 sols pour un morceau de bois qui n'en valait pas trois[90].

Camus, convaincu que le système d'approvisionnement et d'équipement exposait l'armée à périr, se rendit à Paris et obtint de la Convention, dans la séance du 13 décembre, plusieurs décrets : les achats seraient faits sur les lieux mêmes où étaient les armées ; les fournitures seraient marquées d'une empreinte et les objets de mauvaise qualité, laissés à la charge des fournisseurs qui les remplaceraient sur le champ ; les généraux ne passeraient ou n'ordonneraient aucun marché, aucune disposition de fonds, mais sur leur réquisition écrite, dans les cas de besoins urgents, les commissaires-ordonnateurs fourniraient à toutes les demandes, sous condition d'instruire sans délai le ministre de la guerre[91].

 

VII. Enfin, le 1er janvier 1793 commencèrent les opérations réelles du Directoire des achats. On allait voir, disait Thouvenot, si ce service était monté et si les préposés se mettraient en évidence. Mais au bout de deux semaines, Ronsin avouait que les ressources de ce comité soit en fonds, soit en lumières, paraissaient absolument nulles. Les commissaires constatèrent que le Directoire n'avait à Liège ni magasins, ni argent, ni employés. Ils se rendirent aux cantonnements de l'avant-garde à Aix la-Chapelle. L'habillement des troupes était misérable. Les dragons, les hussards avaient le plus triste équipage : plusieurs manquent de bottes, comme les soldats de l'infanterie manquent de souliers ; les brides, les selles sont en mauvais état. De toutes les troupes, c'étaient celles qui avaient le plus peiné et pâti. Nous sommes dans la pénurie la plus affreuse, notait l'adjudant-général Montjoye à la date du 26 décembre ; nos chevaux meurent de faim ; plusieurs refusent le service ; le pays est épuisé, et les paysans sont obligés de tuer leurs bêtes, faute de pouvoir les nourrir. Le 1er janvier, Frégeville l'aîné annonçait que les magasins d'Aix-la-Chapelle ne contenaient que 384 boisseaux d'avoine, et le vaillant colonel ajoutait qu'il allait donner sa démission ; il était convaincu qu'on voulait absolument désorganiser l'armée. Valence déclarait qu'il fallait périr ou abandonner les cantonnements : pas un seul moyen de subsister ; l'armée est depuis un mois dans l'incertitude si elle sera approvisionnée pour le lendemain[92].

Pourtant le Directoire des achats avait dépêché à Aix-la-Chapelle un régisseur des vivres et fourrages, Delagreye. Mais, écrivaient les commissaires le 5 janvier, il ne fournit rien et il n'envoie même pas les fonds qu'il promet. Delagreye attestait qu'il n'avait pas une botte de foin dans ses magasins, qu'il devait déjà 269.200 livres pour cette denrée, et qu'il craignait de ne pouvoir livrer les approvisionnements en farines et en pain. Les conventionnels durent ordonner aux commissaires des guerres de passer des marchés et d'accepter des soumissions. Deux jours après, les fonds arrivaient ; on paya les anciennes fournitures, on assura les nouvelles, mais l'état dans lequel on se trouvait, n'était pas celui de l'abondance, et le 4 février, Delagreye se plaignait encore de manquer d'argent[93].

Les commissaires revinrent d'Aix-la-Chapelle à Louvain, à Malines, à Anvers. Partout, l'armée était tombée dans le même état ds langueur et de détresse. Partout les approvisionnements étaient médiocres. Le Directoire se vantait d'avoir à Louvain 1.060 quintaux de foin ; Petitjean lui répondit que c'était de quoi nourrir les chevaux de la garnison pendant un jour, et il acheta sur le champ à Simons 50.000 rations de foin qui furent envoyées à Liège et suffirent durant une semaine à la cavalerie. Partout, les troupes manquaient des vêtements les plus nécessaires ; des volontaires du 3e bataillon du Calvados avaient un simple sarrau de toile réduit en pièces. La désorganisation augmente, disait Ronsin à Pache le 29 janvier, les ressources de nos ateliers ne peuvent faire cesser les besoins des soldats parce qu'elles ne produisent que des distributions partielles. Cochelet annonçait de même le 2 février que les chevaux n'avaient pas de litière et périssaient d'inanition, que les habits et les culottes des soldats tombaient en lambeaux, que les malades couchaient sur une poignée de paille fétide, que les souliers, les bottes, les harnais faisaient défaut, que les magasins étaient presque vides[94].

Durant tout le mois de janvier 1793 et plus tard encore les généraux ne cessent de se plaindre. Petitjean déployait une grande activité et trouvait des ressources qu'on n'avait pas auparavant. Mais chaque lettre de Thouvenot au général en chef confirmait la disette et l'impéritie de la fameuse compagnie. La Noue écrivait que la cavalerie ne pourrait entrer en campagne ; Dampierre, que ses soldats étaient dénués de tout et qu'il fallait leur redonner et des habits et des provisions ; Stengel, que les troupes souvent aux expédients pour le pain, n'avaient les trois quarts du temps ni foin, ni avoine ; Harville, qu'il ne vivait qu'au jour le jour et que ses magasins ne se formaient pas ; Miranda, que dans quinze jours l'armée se débanderait peut-être. L'administration des vivres, mandait-il à Dumouriez, ne va presque pas, et nous sommes sur le point de la voir arrêtée. Pache s'obstine à croire qu'il y a des magasins quand ils n'existent pas, et il ne cachait pas au ministre que les bureaux l'entravaient constamment par leur négligence ou méchanceté dans le service. Charles de Flers affirmait que presque tous les bataillons de son commandement manquaient de canons, de caissons, de munitions, de cartouches, de bas, de souliers, de culottes et d'instruction. Gobert raconte dans un mémoire inédit qu'on faisait une prodigieuse quantité de demandes sur les besoins du soldat ; les états-majors, dit-il, et les conseils d'administration ne s'occupaient qu'à écrire ; on envoyait des réclamations de tout genre... et le soldat continuait toujours à souffrir[95].

Y avait-il, demandait Valence, friponnerie ou ineptie ? — Il y a friponnerie, répondirent les commissaires de la Convention dans leur rapport ; tous les moyens d'agiotage étaient dans les mains du Directoire des achats ; mais, ajoutaient-ils tristement, s'il fallait employer des fripons, mieux valait employer ceux qui faisaient vivre l'armée tout en gagnant beaucoup d'argent que ceux qui la faisaient périr en gagnant plus encore[96].

Pache tenta de se justifier. Le 1er janvier 1793 il affirmait dans une lettre publique la sévérité de ses principes et assurait qu'une grande nation qui triple soudainement ses forces actives, peut être un moment dans l'embarras ; il disait au comité militaire qu'il n'occupait le ministère que depuis deux mois et qu'il passait les nuits à donner des ordres ; il écrivait à Miranda que des querelles d'amour-propre avaient causé tout le mal[97]. En réalité, il ruina l'armée française et arrêta sa course victorieuse ; il cassa les marchés qui la faisaient vivre et la priva de ses commissaires-ordonnateurs ; il lui envoya l'incapable Ronsin[98] ; il réduisit la compagnie des subsistances militaires à la plus funeste inaction[99] ; il établit un Comité d'achats qui ne pourvut nullement à la subsistance des troupes ; et, si l'indiscipline, pire encore que la misère, s'empara des soldats, ce fut la faute de Pache ; ils recommencèrent la campagne, dit Gobert, dans un désordre aussi grand qu'ils l'avaient finie, mais il faut plus en accuser le ministre que le général[100].

Aussi, dès le 18 décembre, Dumouriez demandait-il un congé. Il l'obtint difficilement. Pache craignait sa présence à Paris et, selon le mot de Marat, ses mémoires fulminants. La querelle entre le ministre et le général était devenue si vive qu'ils n'échangeaient plus que des billets d'un impertinent laconisme. Le ministre de la guerre, écrivait Pache, a reçu votre lettre ; il aura droit à votre demande. Dumouriez le paya de même monnaie ; il lui mandait la prise de Herve et ajoutait sèchement : Il m'est impossible de poursuivre ces succès par la désorganisation que vous avez mise dans mon armée. Il allégua que sa santé était entièrement perdue, et menaça de donner sa démission. Le congé arriva, et le 1er janvier 1793 le général était à Paris. Personne, lui disait Thouvenot, ne tiendra contre l'évidence des raisons que vous allez donner. Mais Dumouriez ne venait pas seulement renverser Pache et le Comité des achats ; il venait plaider la cause de la Belgique[101].

 

 

 



[1] Cf. sur Pache les feuilletons de l'enthousiaste Avenel, République française, 1874 (20 et 22 oct., 3 et 4 nov.), 1875 (5 et 19 oct.), 1876 (23 mai, 7, 21 et 22 juin) et pour tout ce chapitre le premier Rapport des commissaires de la Convention en Belgique [tout entier de la main de Camus), leurs papiers (A. N. D. 2) et ceux de Dumouriez (A. N. F7 4598), la Correspondance de Pache et du général.

[2] Biron à Le Brun, 28 nov. 1792 (A. G.).

[3] Sa femme, fille du Sedanais Valette et fille adoptive de la comtesse de La Marck, était morte en 1786. Cf. sur son fils, devenu baron et colonel, Nauroy, Le Curieux, II, 118-119.

[4] La Révolution française, 1857, n° 8, p. 768 (par 280 voix sur 460) et Guiffrey, Les conventionnels, 1889, p. 46.

[5] Moniteur, 29 sept. 1792.

[6] Le 3 octobre 1792 par 434 voix sur 573 ; cf. Retraite de Brunswick, 68 et Buzot, Mém., éd. Dauban, 1866, p. 76-77.

[7] Elle le nomme même un hypocrite infâme.

[8] Rapport de Saladin, 12 ventôse an III, p. 27 et 160-161.

[9] Il a, en effet, poursuivi les Roland de sa haine après les avoir caressés. Lorsque je songe, s'écrie Mme Roland, combien de fois cet homme a été témoin de notre enthousiasme pour la liberté, de notre zèle à la servir, et que je le vois aujourd'hui à la tête de l'autorité arbitraire qui nous opprime et nous poursuit comme des ennemis de la République, je me demande si je veille. Voir de même l'acharnement de Pache contre Miranda, Moniteur, 15 juillet 1793.

[10] Garat, Mém., p. p. Maron, 1862, p. 158-159 ; Sayous, Mallet du Pan, II, 69.

[11] Dumouriez, Mém., III, 139, 285, 355 ; Mme Roland, Mém., I, 142, 151 ; Beaulieu, Essai historique sur les causes et les effets de la Révolution, 1803, tome IV, p. 199 ; Buzot, Mém., 75.

[12] Le mot est de Dumont, Souvenirs, 1832, p. 396 (il compare Pache à Lanthenas).

[13] Révolutions de Paris, n° 194, p. 10 : Sillery, discours du 31 jan. 1793, Custine à Le Brun, 21 déc. 1792 (A. E.). Une foule d'autres témoignages viendront en leur lieu, soit dans ce chapitre, soit dans le volume suivant.

[14] Le Batave, 17 févr. 1793.

[15] Tableau historique, 1808, I, 364.

[16] Moniteur, 1er janv. 1793 (discours de Barbaroux) et Mém. du même, p. p. Dauban, 1866, p. 477-478 ; Buzot, Mém., 78 ; Minerva, V, 364 (le fait y est narré avec indignation, et Pache, traité de Tropf et de Kuppler).

[17] Buzot, Mém., 77-78, et Mercier, Le Nouveau Paris, 1862, I, 158-159.

[18] Ce furent ces militaires des bureaux qui méritèrent le mieux des armées ; Dumouriez ne se plaint pas des munitions de guerre, et reconnait qu'il a été très bien servi par l'artillerie (3e mémoire à la Convention).

[19] Audouin, note à une lettre de Dumouriez, du 5 oct. 1792 (A. G.).

[20] Minerva, V, 360 ; Dumouriez, Mém., III, 286 ; Sauveur Chénier à la Convention, 10. Pache avait connu Meusnier, ainsi que ses collaborateurs, à la section du Luxembourg.

[21] Nauroy, Le Curieux, II, 118. (Acte de mariage ; témoins : Santerre, Meusnier, Hébert.)

[22] Minerva, V, 361-362 ; Révolutions de Paris, n° 187, p. 307 ; S. Chénier à la Convention nationale, p. 10.

[23] Mme Roland. Mém., I, 283 ; Minerva, V, 541-542.

[24] Ce que l'abbé Sicard nomme dans sa Relation la chevelure jacobite ; cf. discours du 2 janvier 1793. Moniteur du 4.

[25] Buzot, Mém., 77 ; Dumouriez, Mém., III, 309 et 355 ; lettre à la Convention, Moniteur, 9 janvier 1793 ; Tableau historique, I, 364 ; Jomini, II, 210.

[26] Révolutions de Paris, n° 187. p. 307.

[27] Miot, Mém., I, 33.

[28] Barbaroux, Mém., 472, et discours du 30 déc. 1792 (Moniteur, 1er janv. 1793).

[29] Mém., 77 ; cf. Jomini, II, 209-210.

[30] Discours du 2 janvier 1793.

[31] Discours du 31 janvier 1793.

[32] 12 déc. 1792, mot de Pache au Comité de la guerre (A. N. A. F. II, 22).

[33] Journal des Jacobins, séances du 3 déc. 1792 et du 23 janv. 1793 ; Minerva, V, 361-362.

[34] Moniteur, 17 oct. et 2 déc. ; Sentinelle, 16 nov. 1792.

[35] Correspondance, 70 et 211 ; Rojas, Miranda, 17 ; Réponse du général Dumouriez au rapport de Camus, 1796, note, p. 132-133 (lettre du colonel Weiss, 6 nov. 1795) ; cf. Dumouriez, Mém., III, 206 et 213, et Le Brun à Dumouriez, 28 nov. 1792 (A. E.). Plus vous acquérez de gloire, plus la rage de vos ennemis augmente.

[36] Correspondance, 64-65, 72.

[37] Correspondance, 63, 71-72.

[38] Cf. sur Kilmaine et Laroque, Correspondance, 189 ; sur les Thouvenot, id., 126-129 ; sur la translation de la fonderie de Malines, id., 265- 270, et le troisième mémoire de Dumouriez à la Convention ; sur Moras, id., 190 et 221, et journal des jacobins, séance du 14 janvier 1793 : sur Soliva, sa lettre du 24 déc. 1792 (A. N. F7 4598).

[39] L'ex-abbé était le principal intéressé de la compagnie, avec Mallet, Hogguer et Achard (1er rapport, 29).

[40] Julliot aux commissaires (A. N. D. II, 2, 4 déc. 1792) et notes de Lambert (id., 3, 6 déc.) : L'approvisionnement de bœufs qui se trouve à la suite de l'armée, ne laisse rien à craindre pour ce service.

[41] Mém. de Biron au Conseil (A. N. A. F., II, 9) ; premier rapport, 41 ; discours de Dumouriez, 12 oct. 1792 (Moniteur du 13) ; entretien avec Doumerc (A. N. D. II, 2) ; Correspondance, 184.

[42] Correspondance, II, 45-46, 48-49 ; lettre de Malus, 5 nov. 1792 (A. G.) La moitié de l'armée n'a pas de couvertures. L'armée est nue. J'ai épuisé les magasins.

[43] Dumouriez à Labourdonnaye, 18 nov. 1792 (A. G.).

[44] Dumouriez à Malus, 16 nov., et Malus à Pache, 18 nov. (A. G.) ; Moniteur, 29 nov. ; Correspondance, 112 ; 3e mémoire de Dumouriez au Comité de défense générale (A. N. F7 458) ; 1er rapport des commissaires, 15 et 39.

[45] Correspondance, 20-21, 50, et Précis pour Malus, 2 et 4.

[46] 60.000 quintaux d'avoine ; 120.000 de foin ; 40.000 de paille (1er rapport, 21).

[47] Correspondance, 78-79, 97-99 ; 1er rapport des commissaires, 46, la nécessité justifie les marchés de novembre ; Dumouriez était comptable à la République de la conservation ou de la perte de son armée ; notes de Lambert (A. N. D. II, 3) la soumission de Simons peut seule assurer la subsistance de l'armée.

[48] Correspondance, 78 et 118 (11 et 12 nov. 1792).

[49] Pache aux administrateurs des subsistances militaires, 6 déc. 1792 (A. N. D. II, 2).

[50] Correspondance, 76-77, 214.

[51] L'administration Doumerc ou des subsistances militaires resta chargée de la distribution et fit, sous le nom de régie de la manutention, le service des charrois et transports (Correspondance, 198 et 216) ; Le Directoire des achats à Delagreye, 31 déc. 1792, et à Custine, 5 avril 1793 (A. N. D. II, 4-5).

[52] A. N. D. II, 4-5, déclaration de Cousin, 28 janv. 1793, et lettre de Holand, 9 déc. 1792. Ce jour-là, Holand écrivait à Pache : Le Directoire des achats s'est abstenu non seulement de tenir ses comités chez moi, mais, il ne m'a donné aucune connaissance de son travail, et Cousin n'en a pas été plus instruit que moi. Or, les uns prétendent que je tire des grains de l'intérieur pour y porter la disette, d'autres que je me fais céder par le Directoire des farines de mauvaise qualité et que je les lais ensuite transporter dans nos ports comme venant de l'étranger, ou que je favorise l'exportation des subsistances pour les faire rentrer ensuite en France et en faire un trafic particulier. Je viens de prescrire à Cousin de ne plus avoir par la suite, ainsi qu'il m'a témoigné lui-même le désirer, aucune sorte de relation avec le Directoire des achats et je regarderai également ce Directoire comme étant parfaitement étranger à mon administration.

[53] Dumouriez, Mém., III, 199.

[54] Il avait refusé de confier à Bidermann les fonds secrets du ministère des affaires étrangères (Maison, Le département des affaires étrangères pendant la Révolution, 1877, p. 169) et Bidermann ne lui avait point pardonné (Minerva, V, 360-361, et Nauroy, Le Curieux, II, 71).

[55] Correspondance, 152, 180, 206-207, et 2e mémoire au Comité ce défense générale.

[56] 1er rapport, 44 ; Correspondance, 182 et 208-209 ; Dumouriez, Mém., III, 212-213 ; note du même et 2e mémoire au Comité ; lettres de Soliva, 24 déc., et de Thouvenot, 27 déc. 1792 (A. N. F7 4598).

[57] Correspondance, 101-102, 209-210, 250 ; 2e mémoire au Comité.

[58] Discours du 1er nov. 1792 (Moniteur du 3) ; Vincent et Jacob Benjamin, ainsi que le commissaire des guerres Delaunay, furent d'ailleurs déchargés d'accusation (Moniteur, 20 février 1793).

[59] Dumouriez, 3e mémoire au Comité ; Correspondance, 10. L'abbé Marc-René Sahuguet d'Espagnac, né en 1752 à Brives, avait débuté dans le monde par un Éloge de Catinat que l'Académie française honora d'un deuxième accessit, et par un Panégyrique de Saint Louis. De bonne heure, il se jeta dans les spéculations financières. En 1787 il réunit 45.000 actions des Indes nouvelles ou plus d'actions que la Compagnie elle-même. On l'accusa de bouleverser la place ; il dut, sur l'ordre du roi, renoncer à son bénéfice et fut exilé par lettre de cachet à Montargis. Il appartenait au club des jacobins (De Seilhac, L'abbé d'Espagnac, Tulle, 1881).

[60] Correspondance, 143 et 148. Ronsin est assez connu. Cf. sur Huguenin, Ternaux, Terreur, II, 455-457.

[61] Ronsin dit, en effet, dans cette brochure, que Malus est connu par son attachement à l'ancien régime et qu'il a fait des marchés onéreux (Détail circonstancié, p. 7).

[62] Correspondance, 157, 160, 224.

[63] Lettre du 25 nov. 1792, séance du 28, Moniteur du 29.

[64] Dumouriez au président de la Convention, 11 déc., Correspondance, 244 : 3e mémoire.

[65] Séance du 30 nov. 1792, Moniteur du 2 déc.

[66] Décrets des 30 nov. et 29 déc. 1792 (Rec. Aulard, I, 290 et 370).

[67] Moniteur, 2 déc. 1792. Cf. sur le succès d'Espagnac Tallien (séance ces jacobins du 3 déc.) et Courrier des départements, 3 déc. Espagnac comparut encore devant le comité militaire et y donna des renseignements utiles à la chose publique (3 et 4 déc. Procès-verbaux du Comité).

[68] Comment, disait Espagnac, pourrais-je gagner 24.000 livres par jour ? Mon entreprise me donne deux mois de loyer : 1° du 15 oct. au 15 nov. 685.000 livres ; 2° du 1er nov. au 10r déc. 775.875 livres = 1.460.875 livres ; si je gagnais 24.000 livres par jour, je gagnerais en deux mois ou 71 jours 1.064.000 livres ! (Seilhac, Espagnac, 124).

[69] Le 28 mars 1793, la Convention décrétait que la commission chargée de l'examen de la conduite ministérielle de Pache ferait son rapport dans trois jours (A.. N. C., 248). Les événements arrêtèrent le rapport.

[70] Comité milit., 8 janv. 1793. Le 1ec mars, la Convention maintenait le marché conclu le 31 août par Servan avec Espagnac pour le service des armées des Pyrénées.

[71] Cochelet, Rapport, 10 ; Rojas, Miranda, 79-86 ; Beurnonville à Pache, 9 nov. 1792 et Gasparin à Cambon, 11 avril 1793 (A. G.) ; décret du 2 janvier 1793, Moniteur du 4 ; Comité milit., 8 janv. 179 (A N. A. F. Il, 22) et Ma justification (mémoire de Petitjean, A. N. W. 360).

[72] Mémoire de Dumouriez, 18 juillet ; Dillon à Lajard, 21 juillet ; D'Abancourt à Dillon, 23 juillet 1792. Un agent dira, le 15 avril 1793, que l'administration de l'armée n'a pas gagné au remplacement de Malus et de Petitjean (A. G.).

[73] A la veille de Jemappes, Malus écrivait à Pache qu'il ne pouvait rendre la douleur dont il était pénétré en voyant le dénuement de son administration : il n'avait ni chirurgiens ni ambulances, et ce service pouvait manquer absolument à la première affaire. Deux semaines après, les médecins et les étudiants qu'annonçait le ministre, n'étaient pas arrivés ; les malades et les blessés manquaient des soins nécessaires ; pas d'argent, pas de fournitures, pas d'instruments de chirurgie (A. G., 5 et 22 nov. 1792).

[74] Cf. plus haut.

[75] Malus, Précis pour le commissaire-ordonnateur Malus, p. 1-12.

[76] Moniteur, 30 janv. 1793 ; Comité de la guerre, 26 janv. ; 1er rapport, 34-35.

[77] Correspondance, 92-93, 118 ; cf. la déclaration de Pache devant le Comité de la guerre, 28 nov. 1792.

[78] Correspondance, 97, 157, 174, 182-185, 224 ; Dumouriez, Mém., III, 210 ; 1er rapport, 35.

[79] Correspondance, 97, 185, 248 ; Correspondance de Ronsin, commissaire-ordonnateur en chef, 1793, p. 5-6, 9-14, 16-17 ; 1er rapport, 20 : Simons seul fournissait l'armée à la fin de décembre et dans tout le cours du mois de janvier ; Mémoire sur la situation des magasins, par Le Payen, 20 déc. 1792 (A. N. F7 4598) : Les armées n'ont été jusqu'ici fournies que par les farines de Simons ; Rec. Aulard, I, 307.

[80] Correspondance, 248.

[81] Correspondance, 248 ; 10r rapport, 20-23 et 44 ; Observations pour le citoyen Lipmann Cerfberr, 7 février (A. G.) ; Mém. de Sallambier et lettre à Cerfberr, 28 déc. 1792 ; Valence à Camus, 1er janvier 1793 (A. N. D. II, 4-5) ; Thouvenot à Dumouriez, 25 déc. 1792 (A. N. F7 4598) ; Gossuin à Ducos, 1er janvier 1793 (A. N. D XL, 28) : Les fourrages manquent ; je ne conçois rien à la conduite du Comité des achats.

[82] Mémoire de Dejean, le futur général (Ruremonde, 10 février 1792, A. G.) lettre de Limbourg, 1er janvier 1793 (Moniteur du 15 : Les gens de l'art disent que l'armée était dans un dénuement qui ne lui permettait pas de pousser plus loin ; Rojas, Miranda, 19 et 21.

[83] 1er rapport, 15 et 26-29 ; Rec. Aulard, I, 305 et 338 ; lettre de Gossuin, 5 déc. 1792 (A. N. A. F II, 281) ; lettre de Lafleurye, 16 déc. (A. N. D. II, 3).

[84] 1er rapport, 25 ; lettres de Gossuin et de Camus, 5 déc. 1792 ; de Ruault, 26 déc. (A. N. D II, 2 et AA 52).

[85] Gossuin à Camus, 10 déc. 1792 (D II, 4-5).

[86] 1er rapport, 21-23 et 40 ; Correspondance de Ronsin, 6 ; Observations de Cerfberr, 3-5 ; Rec. Aulard, I, 307 ; lettres de Camus, 5, 7 et 8 déc. 1792 (A. N. D II, 4-5) ; D'Hangest à Dumouriez, 7 et 9 déc. (id., D. II, 2) et 10 déc. (AA 52).

[87] Pour 20.000 chevaux, 1er rapport, 20-22 et lettres de Pache, 6 et 9 déc. 1792 (A. N. D II, 2).

[88] 1er rapport, 43 et Notes et mémoires de Boyé pour Camus (A. N. D II, 2).

[89] 1er rapport, 25 ; Correspondance, 206-207 ; Rec. Aulard, I, 318-319 ; les souliers, disaient encore les commissaires, sont de mauvais cuir, mal préparé, et souvent ce n'est que du vieux. 20.000 paires expédiées de Douai et de Bruxelles étaient hors d'état de servir ; on les distribua néanmoins ; les soldats les rapportaient tous les jours (lettre du garde-magasin général Vaudoyer, Liège, 4 déc. 1792, A. N. D. II, 2).

[90] 1er rapport, 48-49.

[91] Dumouriez et Malus n'avaient pas fait autre chose, comme le général le remarque (Correspondance, 201). Cf. Rec. Aulard, I, 318-319 322-324.

[92] Thouvenot et Montjoye à Dumouriez, 25 et 26 déc. 1792 ; Frégeville à Thouvenot, 1er janv. 1793 (A. N. F7 4598) ; Correspondance de Ronsin, 30 ; 1er rapport, 24, 25, 40, 45 ; Rec. Aulard, 461 et 470 ; La Noue à Ronsin, 26 déc. 1792. Les subsistances en pain et en fourrages sont prêtes à manquer ; Valence à Custine et à Pache, 2 et 3 janv. 1793 (A.. G.) ; Valence à Camus et procès-verbal de la réunion des commissaires et des généraux, 1er et 2 janv. (A. N. D. II, 3).

[93] Rec. Aulard, I, 404-405 ; Delagreye à Pache, 4 février 1793 (A. G.).

[94] Rec. Aulard, I, 485-486 ; Petitjean à Miranda, 16 janv. 1793 (A. G.) ; Correspondance de Ronsin, 63 (cf. Correspondance de Dumouriez et de Pache, 151, simples envois partiels ; Cochelet au ministre, 2 février 1793 CA. G.), et Rapport, 9-10.

[95] A. N. F7 4598 : Thouvenot (1er janv.), La Noue et Dampierre (17 janv.), Miranda (28 janvier), Harville (3 février) à Dumouriez ; A. G. De Flers aux commissaires (8 févr.), Miranda à Pache (16 et 28 janv. 1793), Mémoire de Gobert ; Stengel à Marat, p. 3.

[96] 1er rapport, 46 ; cf. le mot de Dumouriez (Rojas, Miranda, 21) scélératesse d'une part et ignorance de l'autre.

[97] Journal milit., 1793, VI, p. 31 (Pache à ses concitoyens) ; Comité milit., 3 janv. 1793 (A. N., A. F. II, 22) ; Rojas, Miranda, 24-26 (Pache à Miranda, 7 janv. 1793).

[98] Chépy lui-même écrivait qu'il ne fallait pas confier l'existence des armées à des poètes ou à des hommes qui n'avaient de mérite que dans leurs cheveux lisses. Gobert dit que Ronsin acheva de mettre le désordre ; sous son administration la bassesse, le pillage et la fraude furent en crédit et les fripons furent honorés. Pache, rapporte Mallet du Pan (Sayous, II, 53) le chargea d'aller brouiller les cartes, intriguer, voler et calomnier.

[99] Expression des commissaires, 1er rapport, 41.

[100] Mémoire de Gobert (A. G.).

[101] Moniteur, 10 et 16 déc. ; Thouvenot à Dumouriez, 25 déc. 1792 (A. N. F7 4598) ; Dumouriez, Mém., III, 300.