LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

LA PREMIÈRE INVASION PRUSSIENNE

 

CHAPITRE III. — L'ARMÉE PRUSSIENNE.

 

 

I. L'armée prussienne. Sa composition. Etrangers et cantonistes. Discipline rigide. Rares désertions. — Perfections de l'armée. L'infanterie. La cavalerie. Les sous-officiers. Les officiers. Les capitaines. Culture d'esprit des officiers. Sensibilité du XVIIIe siècle. — II. Orgueil de cette armée. Vices et lacunes. L'artillerie. Le génie. L'intendance. Les magasins. Les bagages. Le service sanitaire. Excès du soldat en campagne. Manœuvres pédantesques. Officiers politiqueurs et critiqueurs. Vieux généraux. Comment se faisait la guerre. — III. L'armée d'invasion. Ordre de bataille. Courbière. Kalkreuth. Grawert. Rüchel. Frédéric-Guillaume. Les émigrés : Roll, Caraman, Heymann. Nassau-Siegen. Charles-Ferdinand de Brunswick, son caractère, sa circonspection, ses pressentiments. Le duc et le roi. — IV. Les généraux répugnent à la guerre. Le prince Henri. Gorani. Un parti français à Berlin. Archenholz, Klopstock, Auguste de Gotha. — V. Politique de la Prusse et de l'Autriche à l'égard de la France. La question de l'indemnisation. Conférences de Mayence. — VI. La Russie. — VII. L'Empire. Le landgrave de Hesse. — VIII. Couronnement de François II. Fêtes. Forces insuffisantes de l'Autriche. — IX. Le manifeste et ses conséquences.

 

I. L'armée prussienne faisait la force principale de l'invasion. Elle comptait alors, sur le pied de guerre, 171,01)0 fantassins et 41.000 cavaliers. Chaque régiment d infanterie de ligne était formé de quatre bataillons : un bataillon de grenadiers, deux bataillons de mousquetaires et le bataillon de dépôt ; chaque bataillon était fort de 700 hommes répartis en 4 compagnies. L'infanterie légère comprenait des bataillons de fusiliers et un régiment de chasseurs à pied. Un certain nombre de tirailleurs, armés de carabines rayées, étaient joints à chaque compagnie. Tout bataillon avait deux canons. Tout régiment se composait de 2.213 combattants. La cavalerie se composait de cuirassiers, de dragons et de hussards ; chacun de ces régiments avait soit cinq, soit dix escadrons[1]. Chaque escadron comptait 175 chevaux, et chaque régiment de cinq escadrons, 908 combattants.

Le principe du service obligatoire venait d'être proclamé par le conseil supérieur de la guerre, que Frédéric-Guillaume avait créé depuis le 25 juin 1787. Le nouveau règlement avait paru le 12 février 1792 ; quiconque jouit de la protection de l'État ne peut se soustraire au devoir de le défendre[2]. Mais, dans la pratique, les exceptions étaient fort nombreuses. Tout gentilhomme et quiconque exerçait une profession libérale, les gros marchands, une foule de particuliers, les habitants des grandes villes et de certains districts, étaient exemptés ou, comme on disait, eximés du service militaire. Les autres, qu'on nommait cantonistes parce qu'on les prenait dans le canton assigné à chaque régiment, devaient servir pendant vingt ans. Mais tous n'étaient pas disponibles ; on ne pouvait recruter les hommes mariés, les pères de famille, les fils uniques de paysans, les fils de veuves, les maitres artisans, les gens absolument indispensables à la culture et à l'industrie. Sur dix-sept hommes en état de porter les armes, deux seulement étaient soldats, et tout paysan incorporé dans la cavalerie devait prouver que son père avait des terres et des chevaux. D'ailleurs ces cantonistes ne passaient guère que la première année sous les drapeaux. Parfois même, leur année de service se réduisait à six et à trois mois. Ils ne revenaient plus au régiment que tous les deux ans, pendant la période des exercices. En somme, un fantassin ne servait que vingt-un mois, et un cavalier trente-un mois. Sur 239.800 soldats dont se composait l'armée prussienne en 1806, à la veille d'Iéna, 131,667, c'est-à-dire plus de la moitié, étaient des cantonistes en congé[3].

Tout régiment renfermait deux tiers de sujets naturels du roi de Prusse et un tiers d'étrangers — Ausländer. Ces étrangers, qui fournissaient les cadres de l'armée, s'engageaient pour toute leur vie. C'étaient des aventuriers, des gens sans aveu, des déserteurs des autres nations, parfois même de faux étrangers — gemachte Ausländer —, enrôlés malgré la loi dans le canton ou dans d'autres provinces de la Prusse. C'est ainsi que le magister Laukhard, perdu de dettes et de vices, s'était engagé dans le régiment de Thadden qui tenait garnison à Halle ; ainsi qu'en 1792 un Parisien servait dans le régiment de Herzberg, et le prince royal raconte que ce drôle savait à la fois bien entretenir le feu et bien conter l'anecdote[4].

Frédéric II avait soumis les étrangers à la discipline la plus rude. Ils devaient, selon le mot de Cléanthe, craindre leurs officiers plus que leurs ennemis. On les menait à coups de bâton et à grand renfort de soufflets ; leur sort, dit un officier français en 1780, est vraiment barbare. On prenait les plus rigoureuses précautions pour les empêcher de déserter. On avait soin, en les disposant dans les chambrées, de les faire surveiller les uns par les autres, en mêlant les bons et les mauvais. Aucun d'eux ne sortait de la ville sans une permission signée de son capitaine. Des sentinelles étaient postées à cinquante pas d'intervalle, doublées dans les endroits propices à l'évasion, et obligées la nuit, à tous les demi-quarts d'heure, de crier qui vive. Si l'une d'elles désertait, elles passaient toutes par les verges, le sergent qui commandait le poste était cassé, et l'officier enfermé pour six mois dans une forteresse. Dès qu'un homme manquait à l'appel, on tirait un coup de canon, et, à ce signal, un officier, désigné d'avance, enfourchait un cheval qu'il tenait sellé jour et nuit, les patrouilles se répandaient dans la campagne, les paysans se rendaient à des postes fixes, les chasseurs battaient le pays avec des chiens dressés à cette espèce de traque ; celui qui s'emparait du déserteur recevait 50 écus. Presque toujours on découvrait le fugitif[5]. S'il était cantoniste, on le condamnait à passer en trois jours trente-six fois au milieu de 200 de ses camarades qui lui fouettaient les épaules. On le pendait à la seconde tentative d'évasion. S'il était étranger, il passait, à la première désertion, douze tours de verges ; à la deuxième, vingt-quatre ; à la troisième trente-six. Aussi comptait-on beaucoup de suicides dans l'armée prussienne ; le soldat que le métier dégoûtait n'avait guère d'autre moyen de mettre fin à ses misères.

L'armée ainsi composée était, selon le mot de Behrenhorst, à la fois une milice et une armée permanente. Mais, grâce à l'extrême sévérité des officiers, à l'expérience des instructeurs, à une incessante application, étrangers et cantonistes, vétérans et recrues, s'amalgamaient admirablement et manœuvraient avec tant de précision et de célérité que les troupes prussiennes étaient regardées comme les plus belles de l'Europe. François de Kleist écrivait eu 1791 tout un volume sur les perfections de l'armée prussienne. Où trouverait-on, s'écriait-il, autant d'ordre, autant d'exactitude, et qui peut voir, sans enthousiasme, manœuvrer une armée où l'art dépasse la nature, où la raison humaine apparaît dans sa plus belle victoire[6] ? Les étrangers, Mirabeau, Custine, Lafayette, Toulongeon, proclamaient l'armée prussienne la meilleure du monde. Elle est, disait Mirabeau, le modèle éternel de toutes les autres et elle obtient des résultats extraordinaires qui sont au-dessus de tout éloge et paraissent des fables. Toulongeon, entrant en Prusse et voyant les fusiliers qui tenaient garnison à Mittenwalde, éprouvait un vrai plaisir en trouvant le premier corps de ces fameuses troupes prussiennes qu'il venait chercher de si loin[7].

L'infanterie était en effet superbe. On ne peut croire, rapporte un officier français, la force de corps de ses soldats, les compagnies de fusiliers seraient chez nous de belles compagnies de grenadiers. On y mettait les étrangers et les nationaux les mieux faits. Les plus jeunes avaient dix-huit ans et les plus âgés ne dépassaient pas la cinquantaine. Leur taille devait être au moins de cinq pieds quatre pouces. On voulait que l'infanterie prussienne fût imposante et on soutenait qu'un soldat de haute stature chargeait plus vite son fusil qu'un homme de petite taille[8].

Le fusil, garni de cuivre, passait pour excellent. Il se chargeait avec une baguette cylindrique épaisse aux deux bouts et un peu plus grosse qu'une baguette ordinaire. Il avait une culasse coupée en biseaux. On n'était pas obligé d'amorcer ; la poudre, aussi fine que celle de chasse, passait facilement du canon dans le bassinet par une lumière conique. Le soldat tirait six coups et même sept à la minute[9].

Les exercices de cette infanterie étaient continuels. Dans les marches et les mouvements on exigeait de chacun, depuis le commandant du bataillon jusqu'au moindre soldat, une entière perfection. Le bataillon formait sur toute espèce de terrain une ligne absolument droite ; l'officier qui conduisait un peloton, gardait toujours son alignement et sa distance ; le soldat faisait mouvoir ses jambes comme les balanciers d'un pendule et marchait avec un sang-froid inaltérable, d'un seul et même pas, le pas de 75 à la minute, sans tourner la tête, sans toucher son voisin ni s'appuyer sur lui. Tous les ans, au printemps et en automne, les troupes s'assemblaient dans des camps spéciaux pour exécuter de grandes manœuvres sous les yeux du roi. C'était là qu'on voyait des lignes de vingt bataillons, occupant environ deux mille toises, s'avancer en bataille et parcourir douze cents pas et même davantage dans le meilleur ordre, puis faire une conversion sur le centre pour se mettre en oblique sur leur premier front, dans l'espace de dix minutes. L'austère Gneisenau chantait en vers ces magnifiques revues ; parlez, disait-il aux officiers étrangers, vous qui êtes venus de loin pour voir ce que peut le peuple de Frédéric, quelle nation imiterait ce merveilleux spectacle[10] ?

La cavalerie était plus belle encore que l'infanterie. Seydlitz, dit Mirabeau, avait changé la nature de cette arme et porté au plus haut degré la précision et la promptitude dans les évolutions. Les chevaux des dragons et des hussards venaient des rives du Don et du Dniéper ; ceux des cuirassiers, du Holstein et du Mecklenbourg ; ils sont, écrivait un officier français, aussi bien conformés que nos chevaux normands, mais ils sont plus grands et mieux soignés, ils ont plus de souplesse et de brillant. Les simples cavaliers, tous robustes, tous carrés, bien facés et capables de porter la cuirasse, étaient maîtres de leur monture et s'exerçaient de longue main à l'enlever au galop et à l'arrêter court. Les officiers avaient des chevaux qui coûtaient quarante à soixante louis et ne travaillaient, selon le mot de Mirabeau, qu'à rendre leur cavalerie leste, agile et véloce. Si les rangs ne marchaient pas avec la certitude qu'on exigeait en France, les mouvements s'exécutaient avec tant d'adresse et de rapidité que l'ordre, dit un témoin oculaire, était rétabli avant qu'on eût le temps de s'apercevoir qu'il avait besoin de l'être. On vit dans les grandes manœuvres de Magdebourg une colonne de vingt escadrons dont chacun occupait quarante-cinq toises de front, se déployer en cinquante-quatre secondes. Des ligues de trente escadrons, sans aucun intervalle, allaient au pas, au trot, au galop, et chargeaient, sans s'ouvrir en avant ni sur les flancs. On prétendait même qu'une ligne de cavalerie prussienne offrait dans sa marche en bataille moins de frottement et de dérive qu'une ligne d'infanterie, tant elle avait d'aisance dans les files et d'assurance dans les mouvements. En un mot, par son intelligence, par sa hardiesse, par son agilité, cette cavalerie était la première de l'Europe. On peut tout oser, tout entreprendre avec elle, s'écrie Toulongeon, et malheur à celle qui sera obligée de manœuvrer devant celle-là[11] !

Les sous-officiers et les officiers faisaient la force de l'armée. Les sous-officiers, armés de hallebardes et de sabres, choisis à l'ancienneté plutôt qu'au mérite, punis rigoureusement pour la plus petite faute, sûrs de recevoir sur les épaules, au moindre manquement, de grands coups de plat d'épée, restaient toujours au régiment, sans semestre ni congé. On vante leurs soins incessants, leur instruction, leur vigilance. Les divisions de l'armée prussienne, dit un observateur impartial, ressemblent à de grands troupeaux ; les officiers sont les bergers, et les sous-officiers, les chiens qui regardent et courent sans relâche.

Les officiers étaient tous gentilshommes[12]. Ils sortaient pour la plupart de l'École des cadets, établie à Berlin. Quelques-uns avaient suivi les cours de l'École militaire. Mais tous passaient par la même filière et servaient d'abord comme sous-officiers. Ils ne cessaient de dresser leurs soldats et assistaient à tous les exercices. Ils obtenaient à peine un congé de trois mois tous les quatre ou cinq ans. Aucune profession n'était plus considérée ; la dragonne ouvrait toutes les portes et l'uniforme donnait les avantages qu'on n'obtenait ailleurs que par l'intrigue ; un ministre n'aurait osé faire attendre dans son antichambre le moindre enseigne[13].

On tenait surtout les capitaines en grande estime. Le roi était capitaine d'une compagnie de ses gardes. Tous les généraux avaient leur régiment, et, dans ce régiment, une compagnie dont ils étaient capitaines ; on les voyait aux revues, l'esponton à la main, en tête de leur compagnie, rendre compte au roi et à l'inspecteur-général. Le commandant ou colonel en second, le lieutenant-colonel, le major du régiment avaient chacun leur compagnie qu'ils menaient à la manœuvre, en qualité de capitaines. Tous les officiers aspiraient à ce grade qui valait huit mille livres dans l'infanterie, et dix mille dans la cavalerie ; si on y reste, dit Toulongeon, on y est bien ; si on le dépasse, c'est pour arriver au grade de général-major et de lieutenant-général ; on devient propriétaire d'un régiment et on touche trente-deux mille livres dans l'infanterie et trente-quatre mille dans les troupes à cheval[14].

Fiers de leurs privilèges, convaincus qu'ils étaient les premiers en Prusse après le roi, enorgueillis des souvenirs de Rossbach et de Leuthen, les officiers prussiens se distinguaient des officiers des autres nations par la fierté de leur allure et leur tournure guerrière ; ils avaient tous, écrit le baron de Riesbeck, un air martial et cette vivacité qui annonce des hommes toujours prêts à couper un nœud avec l'épée[15].

La plupart n'étaient pas, comme on l'aurait cru, d'ignorants sabreurs. Un peuple envahi regarde volontiers ses agresseurs comme des barbares, et, de même que le Byzantin Nicétas reprochait aux croisés de n'estimer rien que la vaillance et de n'avoir aucun commerce avec lès muses, les Français de 1792 ne virent dans les envahisseurs que des êtres farouches qui n'avaient d'autres vertus que leur discipline de fer et leur bravoure brutale. Les officiers prussiens étaient hommes du monde ; après avoir vaqué le matin et l'après-midi aux travaux de leur état, ils quittaient le soir les bottes et les guêtres, se faisaient friser, mettaient des bas de soie, des manchettes, de longs jabots de dentelle et allaient, le chapeau sous le bras, de société en société, causant familièrement avec leurs généraux. De 1740 à 1760, ils avaient méprisé les choses de l'esprit, et Christian Ewald de Kleist n'osait dire à ses camarades de Potsdam qu'il faisait des vers. Mais le temps n'était plus où le gracieux imitateur de Thompson écrivait à Gleim que les officiers regardaient comme une honte d'être poète. La mort de ce généreux Kleist tombé glorieusement sur le champ de bataille de Kunersdorf, les leçons de Ramier qui professait à l'école des cadets, l'exemple de Frédéric II, l'éducation toute française que recevaient à cette époque les gentilshommes, avaient répandu dans le corps des officiers la curiosité de la science et le goût de la littérature. Des jeunes gens instruits et pleins de talent, comme Knebel, Münchow, Winanko, Knobloch, Diericke, Boguslawski, s'exerçaient à la poésie. De même que Voss et les disciples de Klopstock, ils célébraient dans leurs vers les douceurs de la vertu. Les officiers de Postdam allaient entendre le prédicateur de la garnison pour s'entretenir de ses sermons, et en prenaient copie pour les camarades absents. Ils s'enthousiasmaient pour les œuvres du philosophe juif Moïse Mendelssohn. Durant la campagne de 1792, Massenbach achetait au curé de Sivry-la-Perche un exemplaire de la Henriade, qui l'accompagnait dans sa croisade et lui adoucissait plus d'une heure amère. Lisez les curieux mémoires de cet officier ; il assure qu'un prince doit avoir sous son chevet les ouvrages de Machiavel, de Gibbon et d'Adam Smith ; il cite Salluste, Klopstock, Wieland ; son style est emphatique, prétentieux, farci de comparaisons et d'allusions mythologiques. Ô Tacite, dit-il dans son Éloge du prince Henri, prête-moi ton expressive brièveté pour raconter avec vigueur de vigoureuses actions ! L'officier prussien, qu'on nomme le témoin oculaire, lit pendant la campagne les Bucoliques de Virgile et le quatrième livre de l'Enéide dans la traduction française de Desfontaines ; il se compare au poète Ovide relégué à Tomes sur la mer Noire ; il se réjouit à la pensée d'emporter avec lui r Odyssée dans la prochaine guerre[16].

N'enseignait-on pas dans cette école militaire, que Frédéric-Guillaume II avait réorganisée en 1790, l'éloquence, la littérature, la philosophie, le droit public ? N'y lisait-on pas la Critique de la raison pure de Kant, Grotius, Montesquieu, le Contrat social ? D'après le règlement, le professeur d'histoire devait exposer les causes et les conséquences des événements, et aiguiser par des réflexions philosophiques le jugement des élèves. On formait ainsi, dit Scharnhorst, à la fois des officiers et des érudits[17].

Comme tous leurs contemporains de la classe éclairée, les officiers prussiens étaient imprégnés de la sensibilité et de la philanthropie du XVIIIe siècle. On voyait souvent au milieu d'eux, dit Gœthe, des hommes très estimables, graves, renfermés en eux-mêmes, légèrement hypocondres, faisant le bien avec une tendre passion. Depuis la mort de Frédéric II, ils n'étaient plus aussi sévères à l'égard des soldats et recouraient moins souvent à la canne. La discipline avait perdu de sa barbarie. Le maréchal de Möllendorf recommandait d'adoucir le sort du militaire et de gagner l'affection des soldats (avril 1788). Le comte Henkel défendait aux officiers de bâtonner leurs compatriotes qui formaient le noyau de l'armée (14 mars 1791). Frédéric-Guillaume II, passant une revue à Breslau, disait à son état-major qu'on obtenait plus par la politesse que par la brutalité. L'opinion commune, écrivait déjà Mirabeau, est qu'on se plaît à frapper le soldat tout le long du jour ; rien n'est plus faux ; on ne châtie que ceux qui le méritent, et les autres sont honnêtement traités. L'officier tutoyait les simples soldats ; il ne tutoyait pas les sous-officiers et employait en leur parlant, non pas la troisième personne du singulier, mais la troisième personne du pluriel, qui est, comme on sait, la formule de politesse en allemand. Frédéric II ne s'était servi que de la locution méprisante : il ou er ; qui est-il ? que fait-il ? Frédéric-Guillaume II disait toujours vous ou Sie, quel que fût le grade de l'officier auquel il adressait la parole[18].

On vit donc pendant la campagne de 1792 ces disciples de Voltaire et de Rousseau agir avec humanité, tempérer les rigueurs de la guerre, alléger les charges de la population vaincue, défendre aux soldats de violer la propriété de l'habitant, réprimer les excès des pillards. Gœthe et ses amis, les cuirassiers de Weimar, mettaient les paysans des Ardennes en garde contre les maraudeurs. Lombard faisait restituer par des soldais ce qu'ils avaient pris dans les maisons de Chênières et s'apitoyait sur les malheurs de l'invasion. Un chef d'escadron rencontrant près de Samogneux une jeune fille fugitive, la ramenait aussitôt à ses parents. On se contentait de renvoyer à coups de plat de sabre un paysan qui tirait sur l'avant-garde. Un lieutenant de hussards sauvait la vie au curé d'Aumetz, qui l'avait blessé ; les hussards de 1792, écrivait naguère un officier prussien, étaient plus bienveillants qu'aujourd'hui, en 1870 on aurait laissé le curé sur la place[19]. Massenbach vit expirer sur le champ de bataille de Valmy un paysan français, père de onze enfants, qui lui avait servi de guide. Je sautai de cheval, dit-il dans ses Mémoires, et me jetai sur lui ; il gisait dans son sang, et leva sur moi un regard défaillant. Jamais je ne versai de telles larmes ; je crus que la douleur me rendrait fou, et je maudis ma destinée et la guerre qui est, comme dit Klopstock, la flétrissure du genre humain. Ce souvenir me peine encore, et pendant que je le retrace, mes pleurs mouillent le papier ; mon cœur se révolte ; j'aurais dû renvoyer cet infortuné ![20]

 

II. Telle était l'armée prussienne. On la regardait comme invincible et elle-même se croyait, pour toujours en possession de vaincre. Il semblait, raconte un officier, qu'un seul escadron, une seule compagnie suffirait pour mettre les Français à la raison. Bischoffswerder recommandait à Massenbach de ne pas acheter trop de chevaux ; la comédie, disait-il, ne durerait pas longtemps et on serait de retour à Berlin en automne. Les officiers de l'état-major criaient à Paris ! à Paris ! la guerre ne sera qu'une chasse à courre ! La nouvelle de la double déroute de Mons et de Tournay acheva d'échauffer les têtes. L'armée des avocats avait fui, dès la première rencontre, devant les Autrichiens ; officiers et soldats, écrivait Caraman, marchent avec une joie générale et un désir extrême de se mesurer de valeur avec leurs nouveaux alliés. Jamais on n'a poussé plus loin le mépris de l'adversaire. J'envisage la guerre comme rien, affirmait le prince Henri, vaincre des bourgeois et une armée désorganisée me parait un triomphe facile. Quiconque, assure Scharnhorst, parlait des Français sans montrer le plus grand dédain, était regardé comme un partisan de la Révolution ; il fallait les rabaisser, déclarer que leurs généraux n'étaient que des tailleurs et des cordonniers, que leurs soldats étaient lâches et leurs forteresses délabrées ; personne ne parlait des difficultés qu'on devait rencontrer. Mais Frédéric II n'avait-il pas dit d'un de ses généraux qu'on ce pourrait lui confier un commandement dans une nouvelle guerre, parce qu'il n'avait combattu que des Français ? Les militaires de toutes les nations, témoigne Lafayette, s'accordaient pour nous mettre au dernier rang. Les officiers de la garnison de Strasbourg ayant écrit à l'Assemblée constituante que l'armée française comptait 26.000 hommes de moins que l'armée prussienne et coûtait 55 millions de plus, le Nouveau Journal militaire observa que les officiers n'oubliaient qu'une chose dans leur lettre, à savoir que l'armée française était, en outre, mal exercée et mal disciplinée[21].

Cette jactantieuse[22] armée ne soupçonnait pas les lacunes et les vices de son organisation. L'artillerie allait être désormais la partie essentielle d'une armée et jouer le rôle prépondérant dans les batailles. Or, l'artillerie prussienne était fort médiocre et même inférieure à celle des Saxons. On venait de créer à Berlin une école dirigée par le colonel Tempelhof, mathématicien profond, traducteur et continuateur de l'Histoire de la guerre de Sept-Ans de Lloyd, auteur d'une remarquable étude sur la courbe des projectiles lancés par la poudre. Il était trop tard. Même avant la campagne de 1792, tous les bons juges qui virent de près l'artillerie prussienne, en parlaient avec mépris. Ses pièces, ses caissons, ses fourgons, affirme Dampmartin, eussent été réformés par les chefs des arsenaux de France. Elle n'est, dit Toulongeon, ni belle ni savante comme la nôtre. Elle ignore absolument, écrit le duc de Choiseul, tous les détails relatifs à l'attaque comme à la défense des places. On devrait, rapporte Mirabeau, la croire excellente, elle n'est pas même bonne[23].

Comme les ingénieurs français avant le ministère de Louvois, les officiers de l'artillerie prussienne étaient peu considérés du reste de l'armée ; ils appartenaient presque tous à la bourgeoisie, et leur arme était la seule où les gens de basse naissance pouvaient sortir des grades subalternes. Frédéric II lui-même ne les estimait pas ; il n'assistait qu'une fois l'au à leurs exercices et leur donnait rarement l'ordre du Mérite. Qu'est-ce qu'ils ont de recommandable, s'écriait-il un jour ; est-il si difficile de tirer juste ?

On n'avançait, dans l'artillerie prussienne, qu'à l'ancienneté ; on passait du rang de sous-officier à celui d'officier et ainsi de suite jusqu'aux plus hauts grades, selon les règles de la routine. Le mérite ne pouvait donc percer, l'émulation n'existait pas, et lorsque le capitaine Tempelhof fut nommé major par ordre exprès du roi, cette promotion passa pour inouïe.

On n'enseignait aux futurs officiers qu'un peu de géométrie et de dessin. Ils ne savaient pas, comme en France, les petits détails du métier. Les connaissances physiques et mécaniques, dit Mirabeau, d'où dépend la perfection dans l'art de faire la poudre et de couler les pièces, les détails du charroi, mille autres choses de ce genre infiniment utiles, ne s'enseignent pas ou s'enseignent très mal dans l'armée prussienne. D'ailleurs, on faisait très peu de dépenses pour l'artillerie ; pas d'exercices incessants, pas d'expériences coûteuses, pas un seul essai d'amélioration ou de perfectionnement. Frédéric II ne donnait chaque année que la quantité de poudre suffisante pour six semaines[24].

La Prusse fut cependant la première puissance de l'Europe qui fit un fréquent usage des obusiers. Elle inaugura l'emploi de l'artillerie à cheval. Cette dernière innovation avait une très grande importance. On vit, pour la première fois, les pièces légères de 6 et les obusiers de 7 arriver au galop des chevaux sur le champ de bataille, se mettre en position et rétablir le combat dans des occasions où l'artillerie à pied était compromise ou serait arrivée trop tard. Cette artillerie de campagne rendit à Frédéric II des services infinis. Mais, comme disait le duc de Choiseul, elle n'avait d'autre avantage que dans sa facilité à se mouvoir un jour d'action et à faire des marches précipitées[25]. Les canonniers, très inexpérimentés, pouvaient à peine se tenir en selle, et leurs chevaux, achetés en hâte aux approches de la guerre, n'avaient pas l'habitude du feu[26].

Au reste, quelle que fût l'artillerie prussienne, artillerie de garnison ou de campagne, artillerie à cheval, elle manquait des choses les plus nécessaires. Durant la guerre de la succession de Bavière, le duc de Brunswick voulut incendier un village ; il fit avancer un obusier, mais les grenades tombaient en deçà ou au delà du but ; il dut détacher des hussards qui mirent le feu aux premières maisons avec des cartouches à fusée[27].

Le génie était aussi méprisé que l'artillerie. Personne, dit un contemporain, n'employa autant les ingénieurs que Frédéric II ; personne ne les a traités aussi indignement ni ravalé autant leur profession ; il n'y a pas de corps aussi abjectement tenu ; on n'y a nulle autre perspective que tous les genres d'humiliations et de dégoûts. Les grades les plus élevés étaient réservés aux étrangers et le plus souvent à des charlatans, rarement à d'honnêtes et habiles ingénieurs. La plupart des nationaux restaient lieutenants toute leur vie ; très peu arrivaient au grade de capitaine ; pas un capitaine n'était fait major, pas un officier de l'arme n'obtenait l'ordre du Mérite, et celui qui la commandait en chef n'eut jamais le titre de général. Il n'existe pas en Prusse, écrivait un Français à la veille de la Révolution, un ingénieur que l'on puisse nommer, et les officiers de génie, quels qu'ils soient, Prussiens ou aventuriers français et portugais, sont à peu près aussi ignorants les uns que les autres. On ne savait pas conduire un siège. On ne prit Schweidnitz qu'au bout de soixante-quatre jours, parce qu'une bombe fit sauter, dans la ville, un magasin de grenades. On échoua honteusement devant Olmütz. Les villes qui résistèrent avec vigueur pendant la guerre de Sept-Ans, comme Torgau et Colberg, n'étaient pas défendues par le génie. Mes ingénieurs, disait Frédéric, sont de vrais coqs d'Inde qui me rendent la vie bien amère par leurs balourdises et leur ineptie ; je leur enverrai, au lieu de couronnes murales un bonnet d'âne, dût-il m'en coûter le meilleur de mes mulets. Rien n'était plus mal fortifié que les places de Prusse. La mission militaire française de 1788 ne cachait pas sa surprise à la vue de ces longues courtines, de ces petits bastions, de ces fossés étroits et peu profonds, de ces contrescarpes sans revêtement qu'elle voyait partout ; on a cru qu'en mettant une infinité de mauvais ouvrages les uns sur les autres, on rendrait une place imprenable ; l'art d'attaquer et, de construire les places est encore au berceau dans ce pays[28].

L'administration militaire n'était pas moins négligée que les armes spéciales. Lorsqu'éclata la guerre de la succession de Bavière (1778) on perdit quatre mois en préparatifs, et au bout de ce temps, les régiments n'avaient pas encore les objets les plus indispensables. Les agents de l'intendance manquaient de vigilance et d'exactitude Ils ne remplissaient pas suffisamment les magasins. Ils n'envoyaient les subsistances qu'avec mille délais et ralentissaient ainsi les mouvements de l'armée. Beaucoup d'entre eux ne pensaient qu'à s'enrichir. Le 7 septembre 1792, en pleine invasion de la France, le feu éclata dans les magasins de fourrages établis à Châtillon-l'Abbaye ; les Hessois voulurent éteindre l'incendie, mais les employés prussiens leur défendirent d'entrer. Lorsqu'on ouvrit les portes, il n'était plus temps d'arrêter les progrès des flammes. Une enquête., ordonnée par le landgrave de Hesse, démontra que les employés avaient mis le feu de leur propre main pour cacher leurs malversations. A Longwy, à Verdun, pendant l'expédition de 1792, ou trouva des approvisionnements considérables ; ils furent maladroitement gaspillés. Je pus observer, dit Gœthe, qu'on ne ménageait pas assez le lard fumé, la viande, le riz, les lentilles et autres choses bonnes et nécessaires[29].

On n'avait pas encore inventé le système d'exploitation du pays ennemi ni posé en principe que la guerre nourrit la guerre et que le territoire envahi fait subsister l'envahisseur. On établissait sur les derrières de l'armée de grands magasins de farine, et à mi-chemin, entre ces magasins et les troupes, la boulangerie de campagne qui cuisait .c pain du soldat, le Commissbrod. Lorsque les Prussiens campèrent à Valmy, la boulangerie était à Verdun, et le magasin de farines à Trêves. Mais, si les chemins devenaient difficiles, les fourgons de pain arrivaient trop tard, et le temps qu'on perdait à les attendre était gagné par l'ennemi, qui profitait de ce répit pour se retrancher ou faire sa retraite. Telle fut une des causes de l'insuccès des Prussiens en 1792. Ils devaient presque à chaque instant compter avec les nécessités du ravitaillement et, tous les jours, résoudre cette question : aurons-nous demain et après-demain assez de pain pour les hommes et assez de fourrage pour les chevaux ? Il fallait quotidiennement 55.581 portions et 29.133 rations, c'est-à-dire plus de 4.100 boisseaux de farine et 5.500 d'avoine. De là des lenteurs, des retards, l'allure flottante et décousue des mouvements. On ne pouvait trop s'écarter de ses magasins et de sa boulangerie ; on craignait toujours pour ses communications ; on ne cessait de tourner la tête vers son point de départ ; on n'osait entreprendre rien de soudain et de hardi[30].

Ajoutez que cette armée était une trop lourde machine pour se mouvoir avec promptitude. Le train énorme qui la suivait, s'entassait sur les routes et les encombrait ; il était innombrable — zahllos —, dit un contemporain, et nous retardait infiniment. On permit aux officiers d'employer à leur service personnel, non pas des bêtes de somme, mais des voitures ; on vit donc s'étendre derrière les colonnes d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie, de longues et interminables colonnes de chariots où l'on avait accumulé le gros et le menu bagage, les équipages des corps, les tentes, le pain, tous les impedimenta. Une armée, embarrassée par un attirail si considérable, n'était pas propre aux marches rapides et décisives ; elle se voyait entravée à chaque pas ; elle ressemblait à l'armée de Darius plus qu'à celle d'Alexandre ; elle pouvait vaincre, mais elle n'aurait pu profiter de la victoire. On a calculé qu'elle comptait en son ensemble 700 boulangers, 120.462 goujats ou soldats du train, et 32.705 blanchisseuses : une lavandière par tente[31] !

Déjà, pendant la guerre de la succession de Bavière, le train que l'armée traînait après elle avait causé les plus grands embarras. L'artillerie, attelée de chevaux misérables, s'embourba dans les mauvais chemins de la, Bohême et ne s'arracha des boues qu'avec le secours des chevaux de la cavalerie. La campagne, dit Mirabeau, ne fut pas bien conduite, et on peut la regarder comme malheureuse, elle découragea l'armée prussienne et lui fit perdre quelque chose de cette haute opinion d'elle-même qu'elle avait en la commençant[32].

Le service sanitaire était détestable. Le chirurgien-major de chaque régiment touchait annuellement 36 sous par soldat ; en retour, il devait louer une maison qui servirait d'hôpital, fournir les lits, le feu, la lumière et les médicaments, payer les infirmiers ; c'était un entrepreneur qui sacrifiait le plus souvent son devoir à ses intérêts. Les malades et les blessés, dit le duc de Choiseul, sont fort mal soignés en temps de paix, et en temps de guerre presque toujours abandonnés. Deux contemporains, le fusilier Laukhard et un officier anonyme, le témoin oculaire, ont tracé le tableau le plus affreux des hôpitaux prussiens. Laukhard les compare à des coupe-gorges. J'allai, dit-il, voir au lazaret de Longwy mon ami le sous-officier Koggel. J'entrai, sans être arrêté ni interrogé par la sentinelle. Quelle fut mon horreur en ne voyant dès l'entrée que des excréments ! Pas un endroit où l'on pût passer sans se souiller, pas de table de nuit, très peu de lieux d'aisance, des malheureux se trainant à peine jusqu'à la porte, des cadavres qu'on ne relevait pas et qui gisaient au milieu des immondices. Je fus sur le point de défaillir ; la puanteur était horrible ; il me semblait traverser une écorcherie en plein été ; on ne faisait même pas de fumigations ; on n'ouvrait pas les fenêtres ; on bouchait les vitres cassées avec des chiffons ! La plupart des dysentériques couchaient, sans couvertures, sur la paille, sur le parquet où la vermine les dévorait ; leur linge n'était jamais lavé, leur chemise pourrissait sur leur peau. Je demandai où était Koggel, personne ne put me le dire. Je sortis, plein d'un dégoût profond. Ce soldat assure qu'en 1792 des milliers de Prussiens moururent, faute de soins, dans les hôpitaux. Les infirmiers, écrit-il encore, vieux caporaux insensibles aux souffrances d'autrui, ne songeaient qu'à remplir leur bourse : ils buvaient le vin des malades et vendaient au dehors le riz, la semoule et les fruits. Le témoin oculaire confirme le dire de Laukhard ; il assure que le chirurgien-major du régiment a toujours du savoir et du mérite, mais que les chirurgiens des compagnies ne savent que saigner et raser ; il prie le lecteur de sauter les pages écœurantes qu'il consacre aux hôpitaux prussiens ; il affirme que, si le lazaret de Coblentz avait encore bonne apparence, les lazarets de Trêves, de Longwy, de Verdun, de Dun, de Grandpré, rebutaient le soldat par leur malpropreté. Lui aussi a vu dans les hôpitaux les dysentériques se soulageant où ils pouvaient ; il a vu les grabats des malades affreusement souillés et pourris ; il a vu les morts gisant au milieu de leurs excréments et jetés au dehors avec leur paillasse[33].

Voilà le revers de la médaille, et on ne doit pas oublier que cette armée sans patrie n'avait pas en elle un seul de ces généreux sentiments qui faisaient battre les cœurs français et qu'il lui manqua la force morale ; qu'elle ne mangeait que du pain de la plus mauvaise qualité ; que son infanterie n'avait d'autre vêtement qu'un habit étroit et court, et qu'el e resta sans manteau durant toute la campagne de 1792 sous une pluie incessante et souvent torrentielle. Les Prussiens, écrit Ditfurth, supportèrent la fatigue et les privations avec moins d'endurance que les Autrichiens et les Hessois, mieux nourris et mieux vêtus[34].

L'armée prussienne passait en Europe pour l'armée classique. Mais elle n'était pas en campagne et devant l'ennemi ce qu'elle était sur le terrain de Potsdam. La discipline si rigidement observée dans les garnisons, se relâchait promptement en temps de guerre. On défendait de rien dérober, et nous lisons que des compagnies qui souffraient de la faim campèrent auprès d'un champ sans oser déterrer une seule pomme de terre. Mais presque toujours le soldat prussien abusait des droits de l'envahisseur, et en Hollande, en Lorraine, en Champagne, malgré les ordres de ses officiers, il commit à plaisir les plus grands dégâts. Si ses tentes n'arrivent pas, si le pain lui manque, si la pluie ou la chaleur lui semble insupportable, il s'en prend aux habitants du pays, il les insulte et les maltraite, il saccage les villages, il incendie les maisons. Après Valmy, dit Lombard, il n'était plus bon qu'à piller. On verra ces belles colonnes se rompre à leur entrée en France et dès le 30 août, en se portant sur Verdun, marcher à la débandade, sans être contenues par la présence de leurs chefs, et laisser derrière elles une foule immense de traineurs. La Prusse n'est plus ce qu'elle était, disait dès 1789 le prince de Ligne, les trésors, l'enthousiasme et la discipline n'y sont plus[35].

Ces parades, ces revues, ces longs exercices qu'on faisait avec tant de sérieux et de passion, ces manœuvres superbes qu'admirait l'Europe, étaient une mauvaise école de guerre. Elles s'écartent, dit nettement le duc de Choiseul, de la simplicité et de l'utilité que Frédéric II leur a données en principe, et il serait même dangereux d'en faire usage. Ces fameuses manœuvres, témoignait plus tard Dampmartin, l'alignement, la marche, le feu de l'infanterie, la vigueur des charges de la cavalerie étaient proclamés avec une pédantesque vanité comme les gages certains de la victoire ; mais des mouvements sans cesse répétés sur les mêmes terrains et d'après les mêmes combinaisons, n'étaient pas de nature à conserver de la prépondérance pour le soutien d'une campagne réelle. On s'amusait à former et à faire marcher dans la plaine de Tempelhof un bataillon carré de 12.000 hommes ; c'était, selon le mot de Toulongeon, un tour de force sans utilité. Déjà la mission militaire de 1788 observait beaucoup d'invraisemblances dans les manœuvres de Magdebourg. Que d'enfantillages, s'écriait Behrenhorst ; pauvre vieil officier, que je te plains, lorsque je te vois embarrassé au milieu de tes belles mesures, perdu dans tes suppositions, et ne sachant s'il manque dix pas à ta distance ! On était devenu chicanier, bagatellier[36] ; on oubliait que la guerre déjoue toutes les méthodes. Le duc de Brunswick, raconte Massenbach, ayant remarqué dans la retraite de Deux-Ponts à Kaiserslautern en 1793, que les derniers bataillons de l'arrière-garde marchaient sans beaucoup de cérémonie et contre les principes de la tactique de Potsdam, leur ordonna de revenir sur leurs pas et d'exécuter de nouveau toutes les évolutions, comme en présence du vieux Saldern[37].

On soumettait le soldat, même pendant la campagne, à des fatigues superflues. Durant la guerre de 1792 il n'y eut pas un camp, pas un bivouac, pas un emplacement destiné aux troupes, pas un pont, pas un passage de rivière ou de ruisseau, pas une ferme, pas un moulin qui ne fût garni d'un poste, pas un défilé qu'on ne voulût rendre inaccessible en élevant des épaulements, en abattant des arbres, en pratiquant de petites inondations, en creusant des fossés, en renversant des voitures de fumier. On avait la manie de la fortification et on la poussait jusqu'au ridicule. A quoi, dit un officier, servaient tous ces petits retranchements qu'un fantassin, un cavalier pouvait aisément franchir ? On ne faisait que lasser nos troupes en pure perte[38].

En réalité 1792 annonce 1806. Frédéric II avait formé des serviteurs, et non des élèves. Ce grand homme rapetissa tout autour de lui ; il sut, par l'inflexible rigueur de son despotisme éclairé, par une exactitude scrupuleuse, par une stricte parcimonie, mouvoir les ressorts compliqués de la monarchie. Mais en lui seul résidait la force de la Prusse ; après lui tout se désagrégea, même l'armée. Peut-on croire, s'écriait prophétiquement Mirabeau, que ses successeurs seront aussi infatigables que lui ; qu'ils liront, examineront, pèseront tous les rapports des inspecteurs sur chaque régiment ; qu'ils seront le premier général de leur armée ; que ni courtisan, ni ami, ni maitresse ne balanceront un seul instant en aucun d'eux l'intérêt militaire ; que leur armée sera toujours au-dessus de tout dans leur opinion[39] ?

Ces officiers, instruits, raffinés, accoutumés, comme Frédéric, à discuter sur toutes choses, étaient devenus critiqueurs. Ils dissertaient avec une verve maligne sur ce que faisait le général en chef et sur ce qu'il aurait dû faire ; ils insistaient complaisamment sur les moindres fautes qui se commettaient sous leurs yeux ; ils voyaient à tout des difficultés. Frédéric n'était plus là pour leur imposer silence, soit par un mot sec et impérieux, soit par une raillerie mordante. Aussi, pendant les guerres de la Révolution, eurent-ils recours à la négociation plus souvent qu'à la force. Ils ne tirèrent que rarement l'épée ; ils préféraient politiquer et ils s'en acquittèrent très bien ; ils firent mille honnêtetés aux officiers républicains et rivalisèrent avec eux de courtoisie ; ils montrèrent qu'ils savaient bien le français ; ils plurent à l'adversaire ; il eût mieux valu le battre et le mettre en déroute. Mais ce XVIIIe siècle qui finissait, était le siècle par excellence de la diplomatie. Les officiers prussiens avaient vu Frédéric II mêler sans cesse la politique aux armes, et depuis l'avènement de son successeur, il n'y avait plus à Berlin que cabales, intrigues et menées secrètes. On porta dans la guerre les procédés de la diplomatie du temps, on usa des mêmes feintes, on se parlait aux postes avancés, on se complimentait réciproquement, on se donnait des coups de chapeau, dit un contemporain, au lieu de se tirer des coups de fusil. Ces usages dataient de la guerre de Sept-Ans. Les vedettes, écrit le prince de Ligne, fumaient alors ensemble, les troupes légères pillaient de concert, et c'était une plaisanterie, aux armées française et anglaise, d'être prisonnier de guerre ; on dinait avec le prince Ferdinand et l'on était le lendemain à son corps[40].

Les généraux-majors, les capitaines avaient pris des habitudes d'oisiveté. Tous ou presque tous étaient usés pour l'action et ne désiraient pas chercher de nouveaux hasards. Ceux que Toulongeon rencontre dans les salons de Berlin sont, dit-il, finis par l'âge et hors d'état de faire la guerre. Ils avaient, rapporte Valentini, d'obscures réminiscences de la guerre de Sept-Ans et, pour la plupart, de gros ventres. La race des Seydlitz, des Kleist, des Fouqué, écrit le major Massenbach, était éteinte, et si, parmi les généraux de cavalerie, Köhler et Wolfradt avaient conservé l'étincelle, ils étaient sur le bord de la tombe. Avec quelle indolence les généraux Kenitz, Norrmann, Budberg menèrent leurs colonnes en 1792 de Verdun à Grandpré ! Le duc de Brunswick les tança plusieurs fois avec colère ; on devait pousser et stimuler sans cesse ces vieux soldats qui s'étaient fatigués à suivre Frédéric et que n'entraînait plus l'impulsion vigoureuse du grand roi[41].

D'ailleurs, là guerre se faisait alors d'après des principes fixes et immuables, dans les formes, et, selon le mot de Bülow, d'après l'étiquette. On ne savait pas, disait plus tard un de nos meilleurs écrivains militaires, faire marcher les armées, mouvoir avec rapidité des masses de troupes sur un grand développement de pays, dans l'objet d'écraser l'ennemi sur son point faible avec des forces supérieures, ou de le frapper d'un coup inattendu au fort de sa puissance[42]. Tous les mouvements devaient être prudents et compassés ; il fallait agir avec une extrême réserve, se tenir toujours sur ses gardes, prévoir les moindres obstacles, se précautionner en cas d'insuccès, n'avancer que pas à pas et progressivement, d'une ville à l'autre, et de position en position, ménager enfin le sang des soldats. On devait vaincre, sans carnage ni grand combat, par des marches sourdes, par des manœuvres méditées avec patience et conduites avec ruse, en suivant et observant l'adversaire pendant des semaines et des mois. On croyait qu'il valait mieux dérober la victoire que de l'enlever impétueusement et avec fracas ; on craignait, pour ainsi dire, de faire violence à l'ennemi. Vainement quelques esprits perspicaces citaient l'exemple de Frédéric II, le montraient marchant à pas rapides dans toutes ses campagnes, courant sus à l'ennemi, le déjouant et le déroutant sans cesse par la vivacité de son allure et sa hardiesse. Frédéric n'était plus, aux yeux des officiers prussiens, le héros de la lutte de Sept-Ans. Le prince Henri et le duc Ferdinand de Brunswick savaient mieux que lui l'art de la guerre ; ils étaient plus habiles et plus savants ; ils n'avaient rien risqué, rien livré au hasard ; leurs combinaisons lentes et ingénieuses n'offraient aucune prise à la critique ; leur esprit, selon le mot du prince Henri, concevait des idées qu'il faisait judicieusement fructifier. Frédéric, au contraire, avait une imagination déréglée, propre à des conceptions décousues[43] ; il n'avait pas vaincu dans les règles ; il n'avait triomphé qu'en commettant des fautes, en se fiant à la fortune, en se contentant d'à peu près ; ses batailles n'étaient que des coups d'audace et d'emportement ; il les gagnait en dépit du sens commun ; il aurait dû les perdre en bonne justice. Frédéric, disait Massenbach dans son Éloge du prince Ferdinand, fougueux, irrésistible, manque fréquemment son but et se blesse lui-même. Ferdinand est froid, calme, réfléchi, ponctuellement exact, circonspect ; il découvre avec une incroyable sagacité tous les avantages possibles, en tire parti rapidement et, au moment décisif, les poursuit avec une persistance inimitable, mais ne dépasse jamais la mesure des forces et ne reste pas en deçà du but. Frédéric répare ses fautes par des coups de génie ; mais si l'on admire le héros, on peut blâmer quelquefois le général ; Ferdinand et Henri furent les puissants athlètes dont le bras le retint au bord de l'abime. Erreur fatale qui dura jusqu'en 1806 ! Comme Frédéric, Napoléon ne fut pour l'état-major prussien qu'un naturaliste, un révolutionnaire, un donneur de batailles sanglantes et inutiles. Le fin de l'art n'était pas d'aller droit à l'ennemi, de l'attaquer sans miséricorde, de lui tuer beaucoup de monde, de le poursuivre ensuite sans lui laisser le temps de se reconnaître ; non, il ne fallait combattre qu'à la dernière extrémité. Pourquoi faire la besogne de vive force, disait Westphal, le confident de Ferdinand de Brunswick. N'était-il pas préférable de gagner doucement et sûrement du terrain, de tourner l'ennemi, de l'obliger à la retraite en menaçant de lui couper les moyens de subsister ? Aussi le vieux Wolfradt, l'élève de Zieten et le maître de Blücher, appelait-il plaisamment les tacticiens de l'époque les coupeursAbschneider —, et ses hussards, s'emparant du mot, avaient donné ce sobriquet aux officiers de l'état-major[44].

Mais les railleries de Wolfradt ne refroidirent pas l'admiration des généraux prussiens pour le prince Henri et Ferdinand de Brunswick. Ils refusaient de croire que l'audace fait à la guerre la moitié du succès et de s'enrôler, comme disait Frédéric, dans la bande des entreprenants. Les généraux autrichiens étaient imbus du même préjugé. On sait que Daun fut surnommé le Fabius de la guerre de Sept-Ans, qu'il ne galopa qu'une fois dans sa vie et qu'au lieu d'achever sa victoire de Hochkirch, il s'appuyait à une pierre — sa pierre d'achoppement, remarque le prince de Ligne — pour écrira à Marie-Thérèse la relation de la bataille. Comme lui, Hohenlohe-Kirchberg et Clerfayt, qui commandèrent les troupes autrichiennes en 1792, n'étaient pas entamants[45] ; Hohenlohe-Kirchberg voulait s'arrêter sur les bords de la Meuse et ne pas pousser plus loin ; Clerfayt, disait un bon juge, n'avait d'autre talent qu'une étroite méthode, et dans la guerre contre les Turcs, il n'aurait jamais attaqué l'ennemi sans l'ordre exprès et menaçant de Loudon[46]. Que de honteux échecs avait valus aux généraux autrichiens cette impuissante et sénile stratégie ! Tous, Clerfayt, Cobourg, Wartensleben, Mack, dont naissait la renommée, avaient manqué de nerf et de résolution. Tous, écrivait Joseph II, n'ont ni volonté, ni zèle, ni énergie ; tous sont au désespoir de faire la guerre ; ils voudraient être commodément au logis, et personne ne va qu'autant qu'on le pousse[47]. Tous, dit le prince de Ligne, ont fait des sottises, et c'est en pensant à leurs ridicules lenteurs qu'il s'écriait : qu'on bannisse chez nous le mot Unmöglichkeit (impossibilité), et la phrase que j'ai entendue si souvent et qui m'a tant fait enrager : Ich habe keinen BefehlJe n'ai pas d'ordre ![48]

Mais un des meilleurs généraux de la Révolution, Miranda, ne prétendait-il pas qu'il ne fallait jamais s'écarter des règles tracées par les écrivains militaires et appliquées par les plus grands capitaines des temps passés ? Vainement il voyait les stratégistes de la nouvelle école prendre des villes et gagner des batailles contrairement à tous les principes ; il soutenait que tant de succès n'étaient dus qu'au hasard et que la méthode, indignement violée, ne tarderait pas à prendre sa revanche[49].

 

III. L'armée prussienne qui marchait contre la France se composait de 42.000 hommes, dont 30.600 fantassins et 14.600 cavaliers. Elle traînait avec elle 200 pièces de canons : 27 pièces d'artillerie volante, 6 pièces de douze, 450 de six et 7 de trois, 2î obusiers, 46 mortiers.

L'avant-garde comprenait deux régiments d'infanterie, Kleist et Hohenlohe ; deux bataillons de fusiliers, Renouard et Forcade : une compagnie de chasseurs à pied ; les hussards de Wolfradt et les dragons de Schmettau. Elle était commandée par le prince de Hohenlohe-Ingelfingen qui avait sous ses ordres les trois généraux-majors Kleist, Herzberg et Wolfradt. Hohenlohe, entré en 4767 au service de la Prusse, était A la tête d'un régiment pendant la guerre de la succession de Bavière. Frédéric II le prit en affection et lui donna le grade de général-major. Frédéric-Guillaume II le nomma lieutenant-général et gouverneur de Breslau. C'est le Hohenlohe que Napoléon battit à Iéna[50]. Il avait pour chef d'état-major Massenbach, officier ardent et impétueux, très instruit, original, grand faiseur de projets, le même qui nous a laissé d'intéressants mémoires.

La première ligne d'infanterie de l'armée, sous les ordres du duc de Brunswick, comptait les six régiments Schönfeld, Budberg, Romberg, Thadden, Woldeck et Brunswick.

La seconde ligne d'infanterie se composait des régiments Wolframsdorf, Wittinghof, Herzberg, Borch et Kenitz. Le prince royal de Prusse, le futur Frédéric-Guillaume III, alors âgé de vingt-deux ans, commandait la brigade formée des trois bataillons Herzberg. Toute cette seconde ligne était placée sous le commandement du lieutenant-général Courbière. Guillaume-René de l'Homme de Courbière descendait d'une famille de protestants français chassés du Dauphiné par la révocation de l'édit de Nantes. Il était né a Maëstricht (1733) ; fils d'un major hollandais, il avait à peine quatorze ans qu'il prenait part à la défense de Berg-op-Zoom. Il entra dans l'armée prussienne en 1756, et se distingua pendant la guerre de Sept-Ans. Général-major en 1780, lieutenant-général en 1787, il fut nommé durant la campagne de France gouverneur de Verdun. Mais l'histoire ne se rappelle que le gouverneur de Graudenz : Courbière défendit cette forteresse en 1807 jusqu'à la paix de Tilsit et fut, avec Gneisenau et Nettelbeck qui commandaient la place de Colberg, le seul Prussien qui tint jusqu'au bout et ne, se rendit pas.

La cavalerie, commandée par le lieutenant-général Lottum, formait deux divisions, l'une sous les ordres du prince Louis de Wurtemberg, l'autre sous les ordres de Kaikreuth. Ce dernier était un des meilleurs hommes de guerre de la Prusse. A vingt ans, dit Mirabeau, on le désignait comme un général de premier ordre. Il avait été pendant la guerre de Sept-Ans adjudant-général du prince Henri. Il défendit vigoureusement Danzig en 1807. Il maniait habilement la cavalerie, et le régiment dont il était colonel-propriétaire, passait pour un des mieux disciplinés de l'armée ; lorsqu'un de ses cavaliers s était enivré, il faisait casser toutes les vitres de l'auberge, et les hôteliers, craignant pour leurs fenêtres, prêchaient la modération aux dragons de Kalkreuth. Au reste, propre à tout, spirituel et sagace, frondeur, processif comme un Normand, se moquant de tout le monde, critiquant sans cesse à la Feuquières les actes du gouvernement et les opérations des armées, délesté des autres généraux qui redoutaient ses bons mots et sa verve sarcastique, aimé des soldats qui le trouvaient toujours attentif à leurs besoins, jouant volontiers au diplomate et réunissant, dit Toulongeon, les qualités aimables aux talents militaires[51].

Les cuirassiers d'Ihlow et de Weimar, les dragons de Lottum, de Tschiersky, de Norrmann et de Bayreuth composaient la cavalerie qui prit part à la campagne. Le colonel du régiment de Weimar était le duc Charles-Auguste, le protecteur et l'ami de Gœthe ; il avait prié le poète de l'accompagner, et l'auteur de Faust devait, du 29 août au 8 octobre, chevaucher dans les rangs du premier escadron, causant avec l'un et avec l'autre, observant le pays qu'il traversait, recueillant quelques notes qu'il revit près de trente ans plus tard et publia sous le titre de Campagne de France.

Les majors-généraux Köhler et Eben commandaient deux corps détachés. Le corps de Kahler, qui devait se joindre à l'avant garde de Hohenlohe, était formé des dix escadrons de hussards de Köhler et des deux bataillons de fusiliers Müffling et Ernest ; le corps d'Eben, des dix escadrons des hussards d'Eben et des deux bataillons de fusiliers Schenk et Legat[52].

Le chef de l'état-major général était le colonel Grawert, homme froid, réfléchi, n'agissant, comme tous les officiers de l'armée, qu'après avoir tout considéré, tout pesé longuement dans son esprit. On le regardait comme -le créateur de l'état-major-général et comme une sorte de Lacy prussien. Brunswick lui dut une grande partie de ses succès de Pirmasens et de Kaiserslautern, et allendorf, le brillant début de sa campagne de 1794[53].

Deux majors, Rüchel et Tauenzien, étaient attachés aux Hessois et au corps d'Autrichiens qui devaient suivre l'armée prussienne. Rüchel prit sur le landgrave de Hesse un ascendant absolu ; aide de camp de Frédéric II qui l'avait employé dans plusieurs missions, brave, énergique, résolu, plein de feu et d'ambition, il disait que l'armée prussienne devait toujours attaquer ; ce fut lui qui mena les Hessois au secours de Coblenz et donna l'assaut à Francfort. IL eut un avancement prodigieux : il recevait, au mois de décembre 1792, un brevet de lieutenant-colonel que le roi antidatait de deux ans[54].

Frédéric-Guillaume II accompagnait l'armée. Intrépide, robuste, corpulent, passionné pour les exercices physiques, à la fois sensuel et sensible, aimant les femmes, polygame, dominé par ses favoris, il avait la taille d'un grenadier, des façons engageantes et très peu de jugement[55]. On remarquait dans la suite du monarque le général Bischoffswerder, son intime confident et le principal auteur de l'alliance austro-prussienne ; le lieutenant-colonel Manstein, premier aide de camp ; le ministre comte de Schulenbourg. Quelques émigrés se mêlaient à ce cortège : le marquis de Lambert, le baron de Pouilly, le baron de Roll, le vicomte de Caraman, Heymann. Le baron de Roll, nommé maréchal de camp en 1788, appartenait à la même promotion que Dumouriez, Kellermann et Le Veneur ; il avait conservé l'allure et l'extérieur d'un bon Suisse, mais comme son compatriote Besenval, il cachait sous cette apparence de simplicité la finesse d'un courtisan de Versailles et il sut plaider adroitement la cause des princes. Le baron de Roll représentait au quartier-général prussien le comte d'Artois, et le marquis de Lambert, le comte de Provence ; le vicomte de Caraman représentait le baron de Breteuil et Louis XVI. Mais il cachait sa mission à tous les yeux dans la crainte, d'ailleurs fort inutile, d'exciter les soupçons du parti populaire et de révéler aux jacobins la connivence du roi. Il fit toute la campagne sous l'uniforme prussien ; Frédéric-Guillaume l'avait nommé major de cavalerie et attaché à sa personne[56]. Heymann, ancien officier du régiment de La Marck, devait sa fortune au marquis de Conflans qui lui fit donner une compagnie de hussards. Il était maréchal de camp en 1791. Bouillé l'avait envoyé à Paris pour prendre les ordres de Louis XVI et arrêter la disposition des escortes de cavalerie qui devaient assurer l'évasion du roi. Mais il se défiait de lui ; il le croyait orléaniste ; il aima mieux l'avoir sur ses derrières qu'à ses côtés et le laissa à Sarrelouis. Heymann s'en plaignit ; il avait de la vigueur et de la résolution ; avec une poignée de mes hussards, écrivait-il, j'aurais ouvert le passage à la famille royale, et, si je n'avais pu forcer la barricade du pont de Varennes, je lui faisais traverser l'Aire à la nage. Il émigra avec Desoteux, Klinglin, d'Offelisse et Bouillé ; pendant que Klinglin entrait au service de l'Autriche, Heymann devenait général-major dans l'armée prussienne. Il fut plus tard ministre de Prusse à la cour de Deux-Ponts, puis en Bavière et mourut le 27 septembre 1801. Kellermann, Alsacien comme lui, le regardait comme un intrigant qui veut mettre son nez partout. Il avait servi d'intermédiaire dans les négociations que Dumouriez nouait, au mois d'avril, avec Schulenbourg ; il assista, ainsi que Mallet du Pan, aux conférences de Francfort ; il accompagna Manstein, après Valmy, au quartier-général de Dampierre[57].

De même que Louis XVI et les princes, l'Autriche et la Russie avaient leur représentant au quartier-général prussien. La cour de Vienne avait délégué le prince Henri XIV de Reuss, son ambassadeur à Berlin. L'envoyé de Catherine II était ce Nassau-Siegen, prince sans principauté, reconnu en France par un arrêt du parlement de Paris, repoussé en Allemagne par le conseil aulique et célèbre par mille folles prouesses. Son air froid et timide, ses manières communes, sa conversation stérile et plate faisaient un singulier contraste avec sa taille athlétique et surtout avec sa vie agitée, sa bouillante valeur et ses galantes aventures. Engagé volontaire à l'âge de quinze ans, capitaine de dragons à dix-huit ans, il avait fait le tour du monde avec Bougainville, créé en Afrique le royaume de Juïda, combattu les lions et les tigres, et rapporté en Europe le surnom de dompteur de monstres. Depuis, on l'avait vu se ruiner trois fois et devenir successivement colonel de Royal-Allemand, maréchal de camp (1er janvier 1784), amiral. Il était de toutes les guerres ; il formait la légion de Nassau et tentait un coup de main sur Jersey ; il commandait une batterie flottante au siège de Gibraltar ; il plaidait à grands coups de sabre dans les diétines de Pologne la cause de Stanislas-Auguste contre le parti Czartoryski ; il détruisait une escadre turque près d'Oczakov et combattait dans la Baltique la flotte suédoise ; le prince de Ligne ne le nommait plus que Nassau-Sieger ou le vainqueur. C'était le plus ardent champion des émigrés ; il donna aux comtes de Provence et d'Artois tout ce qu'il possédait, sa vaisselle, ses diamants, les belles épées qu'il avait reçues en cadeau de la tsarine[58].

De tous les chefs, ou, comme on disait, de tous les plumets — Federbüsche — de l'armée prussienne, le plus remarquable était le généralissime Charles-Ferdinand, duc de Brunswick-Lünebourg. Il avait le commandement en chef de toutes les forces des alliés, et les généraux autrichiens, le prince de Hohenlohe-Kirchberg et le feldzeugmestre Clerfayt, étaient absolument soumis à ses ordres ; jamais entreprise, lui avait écrit l'empereur François, n'aura été lormée pour une cause plus importante. elle sera digne d'avoir à sa tête le premier capitaine de nos jours[59].

Grand, vigoureux, rompu de bonne heure à tous les exercices du corps, Brunswick avait la figure noble et agréable, le front ouvert, des yeux bleus perçants et remplis de feu, le sourire aimable et fin, des manières avenantes et si courtoises que ses politesses semblaient quelquefois exagérées. J'ai cru voir, dit Toulongeon, un de nos princes avec toute la grâce de notre nation. Il joignait à ces beaux dehors tous les avantages de l'esprit ; une éducation soignée avait formé son goût, développé son jugement, aiguisé sa sagacité ; il lisait assidûment et témoignait le goût le plus vif pour l'étude de l'histoire ; il nomma Lessing bibliothécaire de Wolfenbüttel[60].

Il s'était signalé pendant la guerre de Sept-Ans. Il avait reconquis à Hastembeck une batterie dont les Français s'étaient emparés. La prise de Hoya, le passage du Rhin qu'il sut exécuter à la veille de Crefeld, le combat qu'il livra au duc de Brissac avant la bataille de Minden, l'affaire de Warbourg (31 juillet 1760) l'avaient mis au rang des meilleurs généraux de Frédéric II. Le vieux roi lui prédit le plus brillant avenir et lui donna le commandement d'un corps d'armée qui manœuvra dans la Haute-Silésie pendant la guerre de la succession de Bavière. Sa gloire fut à son comble lorsqu'il reçut de Frédéric-Guillaume II le titre de feld-maréchal et soumit en 1787 les Hollandais révoltés contre le prince d'Orange. Cette facile expédition parut extraordinaire aux contemporains ; le duc passa pour le premier homme de guerre de l'Europe et pour le héros du siècle. Mon cœur se gonflait, raconte Rist, lorsque j'appris que le duc s'avançait vers le Rhin, à la tête d'une puissante armée, dans le dessein d'affermir pour toujours la sûreté de l'Europe ; mes vœux volaient vers lui ; je croyais le voir ; j'achetai un médaillon de plâtre qui le représentait, et je le suspendis au-dessus de mon pupitre ; je ne pouvais en détourner les yeux et je fis des odes en son honneur. L'impression de respect et d'admiration pour les talents militaires de Brunswick était si forte dans les esprits que les commandants de Longwy et de Verdun, sommés de se rendre, répondaient tous deux à Charles-Ferdinand qu'ils se félicitaient de combattre un si illustre guerrier. Narbonne lui offrit, au commencement de 1792, le commandement des troupes françaises : le duc de Brunswick eût fait sous Louis XVI ce qu'avait fait le maréchal de Saxe sous Louis XV ; il aurait, par l'ascendant de son nom et, comme on disait, par la puissance de son génie, restauré l'armée en la pliant à une exacte discipline. Ce qui est inconcevable, mais parfaitement exact, disait Mirabeau, c'est qu'il est aussi profond et supérieur dans les détails que grand dans les hautes parties de la guerre[61].

Il était en réalité moins propre à la grande guerre qu'à la guerre de détail qui se fait en un pays couvert, facile aux embuscades et aux affaires d'avant-poste. Mais Hoche lui-même, dit Gouvion Saint-Cyr, ne put en 1793, pendant la campagne du Palatinat, vaincre l'habileté d'un capitaine tel que le duc de Brunswick. Il était brave, se risquait de sa personne et faisait à l'occasion le simple soldat ; plus d'une fois, dans des reconnaissances, il s'avança seul ou presque seul jusqu'aux abords des positions ennemies ; c'était, reconnait Valentini, un héros aux jours de combat. Il supportait les plus extrêmes fatigues avec autant de courage que le moindre fusilier de son armée, et en 1806, à l'âge de soixante et onze ans, on le vit montrer une activité prodigieuse, se coucher tout habillé, ne donner que quelques instants au sommeil et se lever avant l'aube. Il gardait toujours sa présence d'esprit, et le danger ne troublait pas la froide tranquillité de son âme. Aussi déployait-il surtout dans la défaite les ressources de son expérience ; il dirigeait avec adresse une retraite ; en Champagne, en Alsace, ses habiles dispositions sauvèrent l'armée battue et la mirent en sûreté[62].

Il avait le renom d'un sage administrateur. Initié de bonne heure à la politique et à la science du gouvernement, il sut régir son duché de Brunswick avec une telle économie qu'il amortit une partie de la dette publique et paya, en onze années, quatre millions de thalers aux créanciers de l'État. Il exempta ses sujets de tous les impôts extraordinaires. Il n'entretint pour la garde du pays qu'un très petit nombre de soldats. Il vécut sans ostentation et sans faste : aucun prince de l'Allemagne du XVIIIe siècle, excepté Frédéric II et ce margrave Charles-Frédéric de Bade qui protégea Klopstock et fut l'ami de Dupont de Nemours, n'a mieux fait son métier de souverain. Il a donné, disait Mirabeau, l'exemple à jamais respectable d'une administration tout a la fois éclairée, ferme et paternelle dont les succès sont vraiment inconcevables, à raison du délabrement où il a trouvé son duché ; dans toutes les classes de la société et dans tous les états de la vie humaine, il eût été un homme d'un mérite transcendant1[63].

Les républicains français le regardaient comme un des meilleurs princes de l'Europe et les plus dignes de la souveraineté. Girondins et montagnards vantaient son esprit supérieur aux idées vulgaires et le croyaient favorable aux principes de la Révolution. Carra le proclamait le plus grand guerrier et le plus grand politique du siècle ; il ne lui manquerait, disait le journaliste, qu'une couronne pour être le restaurateur de la liberté de l'Europe, et je gage que, s'il arrive à Paris, sa première démarche sera de venir aux Jacobins et de mettre le bonnet rouge. Lorsque Brunswick abandonna le commandement de l'armée prussienne, en 1794, l'agent Bâcher écrivit que le duc renonçait à la dépendance des despotes et même à tout service militaire, à moins que les Français ne voulussent l'admettre dans un bataillon de gardes nationales. Les patriotes jugeaient mal Charles-Ferdinand. C'était un grand seigneur philosophe ; mais, en sa qualité de grand seigueur, il haïssait la Révolution. Il suivait attentivement les affaires de France et approuvait le bicamérisme ; mais il ne souffrait pas la destruction de la noblesse : c'est un préjugé, disait-il, mais un préjugé reçu dans l'Europe entière. Je ne puis mieux le définir, écrivait le jeune Custine, qu'en le comparant à un de nos mécontents qui ne sont les partisans ni de l'aristocratie cléricale et parlementaire, ni d'un système oppressif ; l'égalité des droits a pour elle son esprit et non ses sentiments ; il l'approuve peut-être, mais à coup sûr il ne l'aime pas. Sa correspondance avec son intime confident Féronce de Rosencreuz prouve qu'il détestait le parti de l'émigration ; mais il méprisait la démocratie et désirait sincèrement délivrer Louis XVI des mains des jacobins[64].

Il avait malheureusement un bien grave défaut qui paralysait et gâtait tant de brillantes qualités, tant de capacités diverses. C'était une circonspection excessive[65]. Elle le rendait toujours incertain et tournait même à la timidité. II n'osait brusquer la fortune et ne savait se décider à temps Trop clairvoyant pour ne pas peser le pour et le contre d'une entreprise, assailli par la foule des idées et des points de vue, méticuleux, préoccupé des moindres détails, absorbé par d'incroyables minuties, écrivant de sa propre main les listes de cantonnements et les ordres de marche, demandant à la veille d'Iéna s'il fallait écrire Münchenholzen ou Münchholzen, voulant tout voir de ses propres yeux et, comme il disait, non seulement avec les yeux du corps, mais avec les yeux de la raison[66], il laissait toujours échapper l'occasion favorable. Il avait conscience de cette irrésolution qui faisait le fonds de son caractère. Les esprits de cette race savent s'observer eux-mêmes et pénétrer leurs propres défauts. Il avouait donc que cette cruelle et incurable indécision causait le tourment de sa vie mais que voulez-vous, disait-il, je n'y puis rien, c'est plus fort que moi C'était, par suite, un prudent guerroyeur, sans visées étendues et sans vastes desseins. Comme ses contemporains, il ne comprenait, pas qu'il faut arracher la victoire, non par lambeaux et pièce à pièce, mais par un coup décisif et foudroyant. Il n'imaginait pas que la guerre put être rapide et brillante comme l'éclair ; il ne l'envisageait que pénible et longuement laborieuse. IL admira l'énergie ardente et le prompt génie d'exécution de Frédéric et de Napoléon, ces deux chercheurs et gagneurs de batailles : mais cette façon de mener une campagne lui semblait imprudente et par trop brutale. Personne n'était moins propre à conduire une armée d'invasion. En 1792, dès ses premiers pas et jusqu'à la fin de l'expédition, Brunswick n'eut rien d'audacieux et d'éclatant, rien de cette allure décidée et impérieuse, de celte menaçante hardiesse, de cet air de supériorité des grands capitaines qui s'enfoncent d'un pas alerte au cœur du pays ennemi et marchent résolument sur la capitale. Il cherchait à fatiguer habilement l'adversaire ; mais le relancer, l'attaquer avec vivacité, le battre complètement, le poursuivre sans relâche, l'inquiet et flottant Brunswick ignorait cet art, et voulait l'ignorer.

Il manquait de caractère[67]. Que de fois ses confidents, ses amis lui conseillèrent de prendre sur l'esprit du mobile Frédéric-Guillaume II un ascendant facile à conquérir ! Que de fois ils l'engagèrent à revendiquer hautement sa part d'influence dans les destinées de la Prusse et à devenir le Marlborough de la coalition contre la France ! Mais Brunswick n'avait pas assez d'énergie pour dominer le roi. Le duc Ferdinand, sous lequel il avait combattu, le tint longtemps dans une dépendance extrême, et près de Frédéric II, à la fois son oncle et son maître, il n'avait appris que l'obéissance[68]. Il se souvenait trop que son petit duché était le vassal du Brandebourg et il craignait de déplaire au roi de Prusse, son puissant suzerain. Dès que Frédéric-Guillaume disait : je le veux, le duc baissait la tête et se résignait. Lorsque, l'année suivante, le monarque ordonnait, contrairement à l'opinion de son généralissime, de défendre Sarrebrück, le roi est à l'armée, disait le duc, il désire avoir l'air de commander, j'ai dû me taire et obéir[69].

Enfin, il craignait de compromettre sa renommée. Il n'y a rien de plus timide, écrivait un jour Mazarin, que celui qui a acquis de la réputation, trouvant difficulté à tout pour n'entreprendre pas les choses dans lesquelles elle puisse être hasardée[70]. Brunswick avait subi quelques échecs dans la guerre de Sept-Ans, et il gardait de ces mécomptes une grande défiance de lui-même. Son expédition de Hollande avait réussi, mais il avouait que le hasard l'avait favorisé, comme il aurait pu le détruire. Il aimait donc mieux attendre le combat que de le présenter, et conserver son armée que de la commettre, en même temps que sa gloire, au risque d'une bataille. Il se disait toujours si je perds et jamais si je gagne.

Perspicace comme il l'était, il voyait mieux que personne les réalités et les difficultés de l'expédition. Ses officiers croyaient réduire la France aussi facilement qu'ils avaient réduit en 1787 les marchands de fromage d'Amsterdam, Brunswick redoutait instinctivement la Révolution et, comme Necker rentrant à Paris trois ans auparavant, il aurait dit volontiers qu'il lui semblait se jeter dans le gouffre. Dès le mois de février 1792, il jugeait que la victoire ne serait pas aisée et que la valeur française, surexcitée par le sentiment de la liberté, égalerait tout ce qu'elle avait jamais été. Je me garderai, déclarait-il à François de Custine, de rien précipiter ; pourquoi livrer une bataille ; si les Français la gagnent, ils nous ruineront ; s'ils la perdent, ils ne resteront pas sans ressources. Mon plan, ajoutait-il, est de porter et d'entretenir longtemps sur votre frontière de nombreuses armées, de leur faire occuper des positions inattaquables, et d'attendre là votre défaite de vos inquiétudes intérieures et de la banqueroute8[71].

Tel était Charles-Ferdinand de Brunswick-Lünebourg ; il envahissait la France à contre-cœur, et avec le secret pressentiment d'un désastre ; il ressemblait, dit Massenbach, au Mornay de la Henriade :

Mornay, parmi les flots de ce torrent rapide.

S'avance d'un pas grave et non moins intrépide ;

Incapable à la fois de crainte et de fureur,

Sourd au bruit des canons, calme au sein de l'horreur.

D'un œil ferme et stoïque il regarde la guerre

Comme un fléau du ciel, affreux, mais nécessaire.

Il marche en philosophe où l'honneur le conduit,

Condamne les combats, plaint son maître, et le suit.

Il suivait en effet le roi plus que le roi ne le suivait. Le vrai chef de l'expédition était Frédéric-Guillaume. Le monarque ne devait pas se contenter du rôle de spectateur. Un roi de Prusse, dit l'auteur de la Lettre sur la vie de Dumouriez, n'est pas un roi de France, un Louis XIV qui laisse au prince de Condé ou au maréchal de Turenne l'entière disposition de ses affaires ; les rois de Prusse sont essentiellement militaires ; c'est à eux qu'aboutissent, pendant la guerre, tous les rayons de la direction, et l'influence du général en chef n'est plus qu'une réaction[72]. Le faible Brunswick subit en 1792 la volonté de Frédéric-Guillaume ; il n'osa contredire son souverain ; il le laissa traverser ses plans et dicter les opérations militaires. Il aurait dû donner sa démission ; il aima mieux garder le commandement, soit par ambition, soit parce qu'en restant à la tête de l'armée, il espérait conjurer les dangers qu'il connaissait d'avance. Mais peut-on exécuter le plan qu'on désapprouve ? A l'irrésolution naturelle de Brunswick se joignit l'irrésolution de l'homme qui n'agit qu'à regret et a son corps défendant. Il faut faire sans balancer ce que demande le roi, prendre une offensive prompte et vigoureuse ; Brunswick ne marche qu'avec lenteur et sans assurance ; l'embarras de son allure trahit les incertitudes de son âme. Il sent qu'il commet une faute et s'efforce de l'atténuer. On crie autour de lui que la partie est magnifique ; il sait au contraire qu'il joue un jeu dangereux, il hésite, et ses retards lui ravissent les chances qui lui restaient.

Ce fut encore une des causes si nombreuses de l'insuccès de la campagne. Saint-Simon disait à Beauvilliers, lorsque le duc de Bourgogne alla prendre en 1708 le commandement de l'armée de Flandre, avec le duc de Vendôme pour conseiller, que le feu et l'eau n'étaient pas plus différents ni plus incompatibles que ces deux princes, et qu'il était impossible que les affaires n'en souffrissent[73]. Frédéric-Guillaume et Brunswick, eux aussi, différaient l'un de l'autre autant que le feu et l'eau ; le roi, plein d'une ardeur martiale, voulait remporter des succès rapides et pénétrer jusqu'au cœur de la France ; le duc, partisan de la guerre méthodique, craignait de s'enfoncer trop avant dans l'intérieur du pays. Il est possible que l'un ou l'autre, seul et livré à lui-même, fût venu à bout de l'entreprise : sans la présence du roi, la prudence calculée de Brunswick aurait peut-être valu aux alliés la possession des forteresses de la Meuse et la réussite d'une seconde campagne ; sans la présence de Brunswick, l'impétuosité du roi aurait peut-être mis en déroute les armées françaises et ouvert à la coalition les portes de Paris ; l'un aurait habilement mené l'expédition, selon toutes les règles de l'art, et obtenu des avantages médiocres, mais certains ; l'autre aurait hardiment entrainé son-armée contre tous les principes de la stratégie et forcé la fortune par une heureuse témérité. Mais tous deux se disputèrent la direction de la guerre ; celui-ci voulut une chose et celui-là une autre ; la fougue de Frédéric-Guillaume et la circonspection de Brunswick furent sans cesse en conflit ; l'unité de commandement, cette condition essentielle de toute victoire, disparut ; deux partis se formèrent dans l'armée et prévalurent tour a tour ; un funeste esprit d'incertitude et de division régna dans les opérations ; on marcha tantôt à pas de tortue et avec une lenteur incroyable, tantôt à grandes journées et avec une précipitation extrême ; les fautes s'accumulèrent, l'adversaire en profita, et la campagne fut manquée[74].

 

IV. De plus graves dissentiments existaient entre les alliés. Au quartier-général prussien Frédéric-Guillaume et son favori Bischoffswerder étaient les seuls qui voulaient écraser la Révolution. Mais la plupart des généraux, Brunswick, Kalkreuth, Courbière, ne marchaient contre la France qu'avec répugnance. Manstein ; le maréchal Möllendorf ; Hertzberg qui venait de quitter le ministère ; Lucchesini et Haugwitz, qui représentaient la politique prussienne, l'un à Varsovie, et l'autre à Vienne ; Struensee, le ministre des accises, qui, selon le mot du jeune Custine, était aussi partisan de la Révolution qu'un ministre de Prusse peut l'être ; Hardenberg qui administrait les margraviats d'Anspach et de Bayreuth acquis par la Prusse en 1791, désapprouvaient la croisade antijacobine. Quelles que soient les suites, disait le prince Henri, je ne puis que les envisager comme funestes ; la Prusse ne fera qu'exécuter les volontés de l'Autriche[75]. Tous les personnages considérables du royaume détestaient la Révolution, mais l'Autriche ne leur inspirait pas moins d'aversion et de haine. Ils pensaient que la cause dont le roi se faisait le défenseur, était étrangère à la Prusse, et qu'on aurait dû s'épargner une guerre où l'on avait beaucoup à perdre et peu à gagner. Ils sentaient, comme l'avait écrit Mirabeau, que le grand conflit entre Vienne et Berlin recommencerait tôt ou tard, que la Prusse devait avoir pour objet éternel de surveiller l'Autriche, que la mission du Brandebourg était de servir de digue au torrent autrichien qui menaçait d'inonder l'Allemagne[76]. Ils lurent avec satisfaction dans le Moniteur la lettre de Gorani sur les intérêts du roi de Prusse envers la France et la Pologne[77]. L'aventurier italien disait nettement à Frédéric-Guillaume que son alliance avec la cour de Vienne avait été impolitique et absurde, qu'il se laissait tromper par Kaunitz, ce charlatan octogénaire, et que la France était la seule puissance qui fût intéressée à l'agrandissement de la Prusse en même temps qu'à l'affaiblissement de l'Autriche. Les idées qu'exprimait Gorani étaient celles de la plupart des politiques et des militaires de la Prusse ; eux aussi jugeaient que l'alliance autrichienne jetait la monarchie de Frédéric II dans une fausse route. En même temps que la lettre de Gorani, paraissait a Berlin une brochure sur l'intérêt de la monarchie prussienne, qui fit grand bruit et sensation. L'auteur anonyme soutenait que le roi devait s'unir à la France, surveiller l'Autriche, se défier de la Russie qui ne cherchait qu'à distraire l'attention des deux puissances voisines pour l'aire de nouveaux progrès en Pologne et en Turquie[78].

Il y avait à Berlin un parti français. Les petits-fils des réfugiés protestants n'étaient pas encore devenus les ennemis implacables de la France, et ce ne fut qu'après la catastrophe de 1806 qu'ils cessèrent volontairement de parler la langue de leurs pères. Ils formaient dans la capitale de la Prusse un foyer de propagande ; ils applaudirent à la chute de la dynastie intolérante des Bourbons et aux victoires de la nation française ; ils accueillirent avec enthousiasme la proclamation de la République et, plus tard, celle de l'Empire. Leurs chefs étaient alors Borelly, professeur à l'Ecole militaire, membre de l'Académie des sciences, et Chanvier, bibliothécaire du roi : tous deux devaient être chassés de Berlin à la fin de 1792, à cause des propos scandaleux qu'ils s'étaient permis à l'occasion de la Révolution française, et des sentiments jacobins qu'ils affichaient[79].

Quelques Allemands faisaient même de sombres pronostics. Archenholz venait de passer quelques semaines à Paris ; il rencontra Tempelhof à Erfurt dans les derniers jours de juin, et lui dit que les Prussiens n'arriveraient pas jusqu'à la capitale. Dès le mois de février, il écrivait dans sa Minerva : Les puissances réunies de l'Europe pourront être trop faibles pour rétablir en France L'ancien ordre de choses ; songez que les Français combattront à leurs portes, qu'ils ont une barrière de nombreuses forteresses qui arrêta Eugène et Marlborough ; songez que les soldats de la liberté française ne seront peut-être pas moins redoutables que les soldats de la liberté américaine, que leurs victoires ne sont pas impossibles, et, par suite, la conquête de provinces allemandes ! Klopstock composait l'ode intitulée : La guerre de la liberté : Ne jouez pas, s'écriait-il, le jeu terrible de la guerre ; quoi ! vous voulez, le feu et l'épée en main, précipiter le peuple français des cimes redoutables de la liberté ; écoutez les sérieux avis de la sagesse ; il envoya cette ode au duc de Brunswick et le conjura de déposer le commandement. Le prince Auguste de Gotha souhaitait le triomphe des Français et, assurait qu'il serait difficile de les vaincre sur leur propre territoire[80].

 

V. Ni l'Autriche, ni la Prusse ne s'entendaient sur le but de la guerre. Frédéric-Guillaume voulait restaurer en France la monarchie absolue pour nouer avec Louis XVI une liaison intime et gagner un puissant allié. Il sent, disait Fersen, l'avantage d'une alliance avec la France, il la désire, et c'est le prix qu'il mettra à ses secours. Il ne partageait pas le mépris de son entourage pour l'émigration, et quoique, selon le mot de Lafayette, il fût assez ridicule à l'héritier des grands maîtres de l'Ordre teutonique, de combattre contre la séquestration des biens ecclésiastiques[81], il avait le plus vif et le plus sincère désir de rétablir les privilèges de la noblesse et du clergé. Il écoutait volontiers Nassau, Caraman, Roll, qui vantaient sa grandeur d'âme. Il donnait aux princes français des sommes considérables[82], et, malgré la résistance de son ministre Schulenbourg, il consentait à proclamer le comte de Provence lieutenant-général du royaume. Si Marie-Antoinette recouvrait son autorité, ne la verrait-on pas subordonner de nouveau les intérêts de la France à ceux de l'Autriche ? Lorsque Frédéric-Guillaume avait entrepris sa campagne dans les Provinces-Unies en faveur de sa sœur, femme du stathouder, il n'avait nullement rempli l'objet qu'il se proposait, et la Hollande était restée, ainsi que disait Frédéric II, la chaloupe de l'Angleterre, ce vaisseau de guerre auquel elle est attachée. Le roi de Prusse craignait en 1792 un dénouement semblable. Il protégeait donc les émigrés ; il les appuyait de tout son pouvoir ; les ramener en France, leur rendre leur rang et leur crédit, c'était battre en brèche l'ascendant inévitable de Marie-Antoinette et balancer l'influence de l'Autriche. Je crains, écrivait Montmorin à La Marck, que la Prusse ne protège beaucoup les émigrés pour se servir d'eux ensuite et changer notre système politique ; en général, ils sont beaucoup plus contents de la cour de Berlin que de celle de Vienne, et je sais, à n'en pouvoir douter, que les plus marquants sont entièrement disposés de tout temps pour la Prusse, à commencer par le comte d'Artois et tout ce qui compose son entourage[83].

Le cabinet de Vienne, au contraire, n'avait nullement l'intention de rendre à Louis XVI ses prérogatives d'autrefois. Toujours jaloux de la France, il redoutait qu'un monarque absolu ne rétablit l'ordre dans les finances et la discipline dans les troupes, et qu'au lieu de se mettre, comme après 1756, à la remorque de la politique autrichienne, il ne se servit de ses nouvelles ressources contre son ancien allié. Il faut, disait Kaunitz, limiter au besoin de la sûreté générale le rétablissement de la constitution intérieure de la cour de France et prendre garde de faire revivre tôt ou tard l'influence française, qui serait si contraire à notre intérêt essentiel[84]. L'Autriche voulait donc affaiblir la royauté, tout en lui portant secours ; elle disait tout haut qu'elle étoufferait la Révolution, mais elle se promettait de ne pas brider entièrement les passions populaires et de laisser en France assez de mécontentement et de sourde résistance pour tenir en haleine la monarchie restaurée. Elle ne cachait pas son antipathie contre les émigrés ; elle leur imposa le rôle subalterne qu'ils durent jouer pendant la campagne et défendit à Monsieur de prendre le titre de lieutenant-général du royaume.

Mais la grande question qui divisait les alliés, était celle de l'indemnisation. Ce serait une vraie duperie, écrivait le ministère prussien, d'avoir fait des frais si énormes pour une cause qui d'ailleurs nous est étrangère, en pure perte et sans obtenir un juste dédommagement[85].

Quel serait ce dédommagement ? On songeait depuis longtemps à se faire payer le prix de ses secours en nature, c'est-à-dire en belles et bonnes provinces. Dès 1790 le comte de Goltz disait que l'Autriche prendrait une portion de territoire en Flandre ou en Alsace, et céderait à la Prusse un district de Bohème ou de Moravie sur les frontières de la Silésie[86]. Le 28 juillet 1794, Frédéric-Guillaume ordonnait à son ambassadeur à Vienne, Jacobi, de discuter avec le cabinet autrichien la question d'une conquête éventuelle de l'Alsace et de la Lorraine[87]. Cobenzl, le futur successeur de Kaunitz, pensait de son côté qu'on ferait bien de se rendre maitre de ces provinces de France dans lesquelles on peut se soutenir facilement et sans grands frais ; c'étaient la Flandre, le Hainaut français, le comté d'Artois[88].

Mais serait-il bienséant de dépouiller Louis XVI ? Les populations annexées accepteraient-elles sans déplaisir une domination nouvelle ? La France ne tenterait-elle pas de reprendre un jour les provinces arrachées de son sein ? Après mûre réflexion, on résolut de ne pas toucher au territoire français à cause des difficultés politiques et militaires auxquelles sont assujetties des acquisitions de ce genre.

Il fallait chercher ailleurs l'indemnisation. Des conférences eurent lieu à Francfort et à Mayence entre le Prussien Schulenbourg et les Autrichiens Cobenzl et Spielmann. On convint d'abord que les avantages seraient égaux de part et d'autre ; partage de frères, disait Cobenzl, partage égal de profits et de pertes[89]. Schulenbourg demanda pour la Prusse une partie de la Pologne : les palatinats de Posen, de Gnesen, de Kaliscz, de Kujavie et une portion de la Sieradie. Il ajouta qu'en revanche la Prusse permettrait à l'Autriche d'échanger la Belgique contre la Bavière. Le cabinet de Berlin faisait une grande concession ? son allié. Lorsqu'en 1778, à la mort de Maximilien-Joseph, qui ne laissait d'autre héritier que l'électeur palatin, Joseph II avait envahi la Bavière pour la réunir a l'Autriche, le grand Frédéric avait pris les armes au nom de l'empire et envahi lu Bohême et la Moravie avec deux armées ; on n'avait pas combattu, et, comme disait le roi de Prusse, on n'avait fait que des misères ; mais le traité de Teschen (1779) donna la Bavière à l'électeur palatin Charles-Théodore. En 1785, Joseph qui ne se rebutait pas, proposait à l'électeur d'échanger la Bavière contre les Pays-Bas autrichiens ; mais Frédéric II cria au feu, il apparut une seconde fois comme le défenseur de la constitution germanique, et Joseph dut fléchir encore devant l'énergique attitude du vieux Fritz. Si l'Autriche, disait Mirabeau en 1788, acquiert la Bavière à laquelle elle vise actuellement comme à son but principal et presque unique, la balance tombe si pleinement de son côté que l'Empire sera infailliblement soumis a ses volontés ; la Bavière lui forme un grand accroissement de puissance et la rend invulnérable[90].

Mais Frédéric II n'était plus et son successeur abandonnait les traditions de la politique prussienne. Schulenbourg, consulté par le prince de Reuss, répondit que le troc était le seul dédommagement qui pût convenir à la cour de Vienne et que le cabinet de Berlin adhérait pleinement au plan proposé[91] ; Charles-Théodore serait sommé de renoncer à la Bavière et d'aller régner sur les Pays-Bas qui deviendraient le royaume de Bourgogne ; on ajouterait même à ce nouvel état une parcelle du Hainaut français. Mais quelle fut la surprise de Schulenbourg, lorsqu'aux conférences de Mayence, Cobenzl et Spielmann lui déclarèrent que l'Autriche perdait à ce troc deux millions de revenus et qu'elle réclamait en sus Anspach et Bayreuth ! Céder ces principautés de Franconie que la Prusse avait acquises l'année précédente ! Céder ces margraviats que le roi considérait comme le berceau de sa race ! Schulenbourg trouva ce projet insoutenable, inadmissible. Ses collègues du ministère, Finkenstein et Alvensleben, jetèrent un cri d'indignation ; ils étaient révoltés, ils jugeaient la proposition effroyable, pour ne pas dire insolente ; c'était, ajoutaient-ils, partager l'Allemagne d'une manière aussi contraire aux intérêts les plus essentiels de la Prusse qu'avantageuse pour l'Autriche seule[92].

On se sépara sans rien conclure. L'article de l'indemnisation, disaient les ministres prussiens, est le plus important de tous, mais il est sujet à de grandes difficultés qu'il ne sera pas aisé de surmonter.

 

VI. La Prusse et l'Autriche étaient donc mécontentes l'une de l'autre. Mais toutes deux étaient mécontentes de la Russie et craignaient de devenir sa dupe. La cour de Pétersbourg, écrivait Kaunitz, veut nous embarquer sérieusement dans les affaires de France et garder les mains libres en Pologne[93]. Il voyait juste. On croyait en France qu'une flotte russe paraîtrait bientôt soit dans la Méditerranée, soit dans la mer du Nord, et le conseil exécutif provisoire ordonna que six navires se réuniraient aux neuf vaisseaux que l'amiral Truguet commandait à Toulon ; il décida même de faire encombrer le port d'Ostende qui devait recevoir incessamment la flotte russe[94]. Mais Catherine II ne pensait qu'à profiter des circonstances pour arrondir son empire ; elle ne parlait de la famille royale qu'avec émotion et du ramas des sans-culottes qu'avec mépris ; en secret elle écrivait à Grimm : Vous voulez que je plante là mes intérêts pour ne m'occuper que de la jacobinière de Paris ? Non, je la battrai et la combattrai en Pologne.

Elle poussa donc l'Autriche et la Prusse à s'armer contre la Révolution. Elle craignait, il est vrai, que les deux alliés n'eussent le désir de s'agrandir aux dépens de la France. Mais elle prit soin de leur recommander le désintéressement le plus pariait et de leur prêcher la magnanimité Elle leur remontra qu'il serait malséant de réclamer comme prix de leur secours une cession de territoire. Elle leur déclara qu'on devait, pour le bien et le repos de l'Europe, maintenir l'intégrité de la France[95]. Elle favorisa les émigrés, approuva leurs exigences, demanda que les frères de Louis XVI fussent mis à la tête de la coalition : elle savait que, si les émigrés jouaient un rôle actif dans la guerre, ils rendraient la paix plus difficile et s'opposeraient aux conquêtes de la Prusse et de l'Autriche.

En revanche elle offrit aux cabinets de Vienne et de Berlin de démembrer la Pologne une seconde fois, à condition de laisser à la cour de Pétersbourg la première et la plus grosse part. La Pologne avait profité de la guerre russo-turque pour se donner une nouvelle constitution, celle du 3 mai 1791, qui rendait le trône héréditaire, abolissait le liberum veto et confiait à deux chambres le pouvoir législatif. La tsarine proposa un nouveau partage, et Frédéric-Guillaume l'accepta. L'Autriche protestait ; elle voulait garantir la nouvelle constitution de la Pologne qui deviendrait un état neutre et n'entretiendrait qu'une armée de 40.000 hommes. Mais Catherine apaisa l'Autriche ; elle lui promit de fournir contre la France 15.000 soldats — qu'elle se garda bien d'envoyer, — et ce fut son ambassadeur, Rasumovsky, qui remit sur le tapis l'échange des Pays-Bas contre la Bavière.

Pendant que la Prusse et l'Autriche faisaient leurs armements contre la France révolutionnaire, les troupes russes envahirent la Pologne. Le roi Stanislas dut adhérer à la confédération de Targovitsa que soutenait la tsarine, la constitution de 1791 fut détruite, et l'anarchie restaurée. Chose curieuse, disait le marquis de Bombelles, les Polonais ont voulu favoriser chez eux la prérogative royale et sont vexés par la même souveraine qui se montre si portée à rétablir la prérogative royale en France[96]. Mais Catherine ne se souciait pas d'être prise en flagrant délit de contradiction ; elle ne suivait que ses intérêts, et il importait à la politique russe d'affermir la royauté en France et de l'affaiblir en Pologne.

L'invasion russe en Pologne avait eu lieu dans les dernières semaines du mois de juillet, tandis que s'ébranlait lentement l'invasion austro-prussienne. Mais Catherine victorieuse consentirait-elle à céder à Frédéric Guillaume les palatinats promis ? Laisserait-elle s'exécuter sans obstacle l'échange des Pays-Bas et de la Bavière ?

Prussiens et Autrichiens commençaient donc la guerre de France comme ils devaient la mener, avec tiédeur et mollesse. Ils partaient inquiets, jetant un regard en arrière, craignant la Russie, se disant qu'il serait peut-être plus utile de réprimer l'ambition de Catherine II que de combattre la Révolution. Dans son impatience et son dépit, le cabinet de Vienne écrivait à son ambassadeur à Pétersbourg, que le temps n'était plus où l'Autriche devait flatter la Russie, supporter ses caprices et prendre pour argent comptant ses belles paroles et ses défaites ; l'Autriche et la Prusse sont alliées, ajoutait Cobenzl, elles donneront le ton à l'Europe et dirigeront les affaires générales, ce système d'union nous donnera l moyen de mettre des bornes au jeu dangereux de la politique russe et d'arrêter les progrès de ce monstrueux état[97].

 

VII. Les deux alliés ne pouvaient compter sur une intervention armée de la Russie Ils tentèrent d'entraider avec eux le reste de l'Europe Déjà, dans un mémoire du 19 février, Brunswick avait prié Frédéric-Guillaume de gagner à la cause commune les cantons suisses, la Sardaigne et l'Espagne. Les troupes helvétiques auraient occupé les routes qui mènent en Franche-Comté par le Jura ; le roi de Sardaigne aurait porté ses forces dans la région de Pont-Beauvoisin et menacé Lyon ; le roi d'Espagne aurait envoyé dix à quinze mille hommes dans les Pyrénées.

Mais les Suisses restèrent neutres. Le roi de Sardaigne ne bougea pas, et lorsque Montesquiou envahit la Savoie, l'armée piémontaise, forte de 15.000 hommes, s'enfuit sans livrer combat. L'Espagne, gouvernée par d'Aranda, ne devait entrer dans la coalition qu'après la mort de Louis XVI ; quel parti peut-on prendre, disait le ministre à l'Autrichien Kageneck, dans ce moment d'incertitude où personne ne sait ce qu'il doit faire ?

On se flatta quelque temps d'obtenir l'appui de la Grande-Bretagne. Mais, malgré les efforts des alliés, malgré les intrigues des émigrés et la mission de l'évêque de Pamiers, le ministère anglais se contenta de rappeler de France son ambassadeur en le chargeant simplement d'exprimer la sollicitude de Sa Majesté britannique pour la situation personnelle de Leurs Majestés très chrétiennes.

La mort de Gustave III, le don Quichotte du Nord, qui devait, avec le concours et d'après le plan de Bouillé, tenter un débarquement en Normandie, avait délié la Suède de ses engagements. Le roi de Prusse lui-même avouait que les embarras de la régence imposaient au duc de Sudermanie la neutralité, et peut-être, ajoutait l'envoyé Carisien, ne désirait-on plus l'accession de la Suède ; on était persuadé que les forces réunies de l'Autriche et de la Prusse suffiraient pour vaincre la France et que le nombre des parties coopérantes pourrait gêner l'exécution ainsi que les plans de dédommagement formés d'avance[98].

Restait l'Empire. Mais les négociations de Dumouriez n'avaient pas été infructueuses. C'était à l'Autriche et non à l'Empire que la France avait déclaré la guerre. Vainement Kaunitz se révoltait contre cette distinction ridicule qu'établissaient les émissaires français ; vainement il demandait si la neutralité de l'Empire était à la fois juste, décente et utile ; vainement il priait les cercles de fournir un secours, quel qu'il fût, soit des soldats, soit de l'argent, soit des vivres. Le Hanovre répondit que la guerre entre la France et le roi de Hongrie ne le regardait pas, et qu'il ne lèverait son contingent que lors que le territoire de l'empire serait violé par des troupes françaises. Le cercle de Souabe déclara qu'il resterait provisoirement sur la défensive. Le cercle de Franconie osa dire que la marche des Prussiens faisait tout renchérir. Les électeurs ecclésiastiques se contentèrent d'insulter les envoyés français. Charles-Théodore, qui régnait à la fois sur le Palatinat et la Bavière, assura qu'il s'était toujours efforcé de vivre en bonne harmonie avec la France et qu'il ne changerait pas sa politique[99].

Un seul prince de l'Empire se joignit aux alliés. Ce fut le landgrave de Hesse-Cassel, Guillaume IX. Il ne possédait que 400.000 sujets, mais son économie rigoureuse avait fait de la Hesse une puissance militaire. Il avait mis dans ses coffres douze millions de thalers qui formaient son trésor de guerre. Il entretenait une armée d'environ 14.000 hommes bien disciplinés. Quelques-uns de ses soldats avaient fait la guerre d'Amérique sous les drapeaux anglais ; on admirait la haute stature et l'ai martial de ses grenadiers ; ses chasseurs avaient la réputation d'excellents tireurs ; tous étaient robustes et accoutumés aux privations. Les officiers, dit Valentini, se montrèrent plus instruits que les officiers prussiens ; ils savaient mieux prendre leurs précautions, mieux diriger leurs patrouilles, mieux prendre parti dans les circonstances difficiles ; c'est de l'armée hessoise que sont sortis York et Gneisenau. Il y a, écrivait Mirabeau, des peuplades en Allemagne supérieurement distinguées des autres par quelque qualité particulière ; tels sont l'esprit et l'industrie chez les Saxons , le flegme chez les Hanovriens, la bravoure chez les Hessois[100]. Le landgrave offrit aux alliés 4.000 fantassins et 2.000 cavaliers ; on lui promit en retour le chapeau d'électeur et le remboursement de ses frais. Il prit le commandement de sa petite armée : l'avant-garde, sous le colonel Schreiber, était formée d'un régiment de hussards, de deux compagnies de chasseurs et de deux compagnies d'infanterie légère. Le corps de bataille, sous les ordres du lieutenant-général de Biesenrodt, comprenait six bataillons. La cavalerie, dont le chef était le général-major baron de Dalwigk, se composait d'un régiment de dragons et d'un régiment de carabiniers. L'artillerie comptait vingt pièces de canon, dont seize de 3[101].

 

VIII. Cependant, au milieu des négociations, les trouves destinées à l'invasion de la France marchaient de tous côtés. Les chemins des électorats ecclésiastiques se couvraient de chariots et de trains d'équipages ; toute la région du Rhin, la rue des prêtres, se remplissait du bruit et des mouvements de la vaste croisade qui s'enflammait. Le 14 juillet, François II, roi de Bohème et de Hongrie, élu neuf jours auparavant empereur d'Allemagne, était couronné à Francfort. Ce fut, dit Metternich, un des spectacles les plus grandioses et les plus magnifiques qu'on pût voir ; tout, jusqu'aux moindres détails, parlait à l'esprit et au cœur autant par la puissance des traditions que par la réunion de tant de splendeurs[102]. Personne ne soupçonnait que les trois électeurs ecclésiastiques exerçaient pour la dernière fois l'office que leur avait conféré la Bulle d'or. Personne ne voyait dans les émigrés qui regardaient curieusement cette imposante cérémonie, les blanches mouettes, avant-coureurs de l'orage. Personne ne pensait que, trois mois plus tard, un général français entrerait dans Francfort et crierait superbement aux habitants qu'ils ne verraient plus d'empereur dans leurs murs[103].

Les fêtes succédaient aux fêtes. Le matin du 19 juillet, l'empereur d'Allemagne faisait son entrée à Mayence au son des cloches et au bruit de trois cents coups de canon. Les enfants jetaient des fleurs sur son passage et la petite armée mayençaise formait la haie. Au soir arriva le roi de Prusse. La cour de l'électeur de Mayence, la plus brillante de l'Allemagne, était le rendez vous des personnages les plus considérables de l'empire germanique et du monde de l'émigration ; on y rencontra, disent les journaux du temps, cinquante princes et une centaine de comtes et de marquis. Frédéric-Guillaume attirait tous les regards ; on observa qu'il parlait avec effort et par petites phrases hachées ; mais il dominait de la tête la foule qui l'entourait. Ce ne fut durant trois jours qu'un enchainement de concerts et de spectacles, de bals, de soupers de deux cents couverts. On vit une des plus magnifiques illuminations du siècle. La ville entière, les jardins de la Favorite, les bateaux ancrés au milieu du Rhin, et dans le lointain les clochers de Kostheim, de Kastel et de Hochheim étincelaient de lumières. De tous côtés on lisait des devises en l'honneur du nouveau chef de l'empire et des allusions à la défaite de la France et à l'union des deux aigles autrichienne et prussienne[104].

Mais au milieu de ces divertissements, les diplomates ne pouvaient s'entendre sur la grande affaire de l'indemnisation, et le généralissime remarquait avec effroi l'insuffisance de ses moyens militaires.

Déjà, dans son mémoire du 19 février, Brunswick priait le roi de ne pas se fier légèrement aux promesses des émigrés ; il peut, écrivait-il, se produire des événements dont les suites seraient incalculables, et qui nous dit que les gens qui gouverneront la France ne prendront pas les résolutions les plus extraordinaires[105] ?

Trois mois plus tard, aux conférences de Sans Souci (2 mai), il exprimait l'avis que les alliés ne soumettraient la France que s'ils levaient une armée de 110.000 hommes. Il avait formé son plan de campagne. Il partait de Coblenz avec ses 42.000 Prussiens ; il faisait sa jonction dans le Luxembourg avec 15.000 Autrichiens venus des Pays-Bas et commandés par Clerfayt ; il s'emparait de Longwy, de Montmédy, de Verdun qui deviendraient les entrepôts de son armée, dite armée de la Meuse. Pendant ce temps, la cour de Vienne envoyait deux corps détachés, l'un sur le Rhin et la Moselle, l'autre en Flandre : le premier de ces corps, fort de 23.000 hommes et commandé par le prince de Hohenlohe-Kirchberg, se diviserait en deux parties dont l'une menacerait Landau et Sarrelouis, tandis que l'autre ferait le siège de Thionville ; le second, formé de 40 à 50.000 hommes, sous les ordres du duc Albert de Saxe-Teschen, assiégerait Lille et se rapprocherait autant que possible de la ligne de la Meuse. Dès que Brunswick se serait rendu maitre de Verdun, il détacherait de son armée un corps de troupes assez considérable qui se porterait au devant de Saxe-Teschen et s'emparerait de Sedan, de Mézières, de Givet. Brunswick ne passerait pas la Meuse : Maitre, disait-il, de tous les points de la rivière, depuis Verdun jusqu'à Givet, ses flancs couverts par deux armées autrichiennes, il mettait ses troupes dans des quartiers de cantonnement et découvrant ainsi le revers des places ennemies sur la Sambre, il pouvait, partant d'une base si solide, marcher l'année suivante à des conquêtes presque certaines[106].

C'était le plan de Bouillé qui nous le détaille dans ses Mémoires. L'ancien commandant de la ville de Metz et de la province des Trois-Evêchés, mandé à Magdebourg le 27 mai par le roi de Prusse, s'était entretenu longuement avec le monarque et le duc de Brunswick. Il avait indiqué la Champagne comme la partie la plus faible de la frontière et l'attaque par Longwy, Verdun, Sedan comme la plus facile ; ces trois places, assurait Bouillé, étaient très mauvaises ; une fois qu'ils les auraient prises, les alliés marcheraient à Pans par Rethel et Reims à travers des plaines fertiles qui n'offraient aucun obstacle. S'il leur semblait impossible de pousser droit sur la capitale, ils s'empareraient, encore de Montmédy et de Mézières ; ils prendraient leurs quartiers d'hiver entre la Meuse et la Chiers ; ils auraient dans la forteresse de Luxembourg un point d'appui et une place d'armes[107].

Mais, au quartier-général de Hochheim, près de Mayence, le duc de Brunswick vit arriver du Brisgau le vieux général autrichien Pfau et de Flandre le major prussien Tauenzien. Ces deux officiers apprirent au généralissime que la cour de Vienne n'avait pas tenu ses promesses. L'Autriche, lente, routinière, invariablement en retard d'une idée et d'une armée ; épuisée d'ailleurs par cette guerre contre les Turcs qui dévorait les hommes[108], n'avait pu mettre sur pied la moitié des contingents annoncés. On sait du reste que ses contrôles étaient toujours fort enflés. Elle a, écrivait Tauenzien, une malheureuse maxime qui la trompe ainsi que ses alliés, d'être du double plus fort sur le papier qu'elle ne l'est effectivement. Qu'on se souvienne, dit un général autrichien, de la faiblesse de notre armée ou plutôt de sa non-existence à tous les commencements des guerres que nous avons toujours eues en voulant les éviter, et où l'économie et la difficulté du recrutage ne faisaient paraître nos régiments complets que sur le papier[109].

Brunswick sut que Clerfayt joindrait les Prussiens aux environs de Longwy avec onze bataillons et douze escadrons, c'est-à-dire environ 15.000 hommes. Mais Hohenlohe-Kirchberg qui devait menacer Landau et Sarrelouis, assiéger Thionville, couvrir le flanc gauche de la grande armée, avait à peine 14.000 hommes, une artillerie insuffisante et pas une pièce de siège ! Le duc de Saxe-Teschen, qui devait faire une vigoureuse diversion en Flandre, ne disposait que de 15.000 hommes[110]. Il est aisé, dit l'auteur de la Lettre sur la vie de Dumouriez, de se peindre la situation embarrassée où se trouvait le duc de Brunswick, lorsqu'au lieu des secours puissants sur lesquels il avait compté, il vit arriver des corps de troupes trop faibles pour effectuer les entreprises qui leur étaient destinées.

En réalité, l'armée d'invasion comptait 42.000 Prussiens, 14.000 Autrichiens commandés par Hohenlohe Kirchberg, 15.000 Autrichiens dirigés par Clerfayt, 5.532 Hessois et 4.500 émigrés, en tout 81.000 hommes. C'était assez pour conquérir la ligne de la Meuse, mais non pour conquérir Paris et dompter la Révolution.

On sut bientôt, au quartier-général que l'Autriche avait violé ses engagements. On vit la terrible humeur de Brunswick[111]. On blâma plus que jamais l'expédition. Le chef de l'état-major Grawert, les généraux Kalkreuth et Courbière, le prince royal, un grand nombre d'officiers, Massenbach, Lecoq, d'autres encore pensaient que les difficultés seraient grandes, qu'il fallait assiéger les forteresses de la Meuse et attendre d'une seconde campagne le succès final. Il est dangereux, disait Courbière, de pénétrer dans l'intérieur de la France avec une armée aussi faible, et vous verrez que les faciles promesses de messieurs les émigrés ne tiendront pas. Le prince royal rapporte dans son journal les paroles de Courbière et ajoute cette réflexion : Quel homme impartial pourrait lui donner tort ?[112]

Mais le roi de Prusse n'écoutait que les émigrés. On suit entièrement nos principes, écrivait Bouillé à Breteuil, et j'ai ri des intrigues dont j'étais témoin, parce que j'étais bien sûr qu'elles ne prévaudraient pas[113]. Ce fut sous l'inspiration des émigrés que fut lancé le fameux manifeste du 25 juillet.

 

IX. Ce manifeste, qui devait précéder les envahisseurs était instamment sollicité par Louis XVI et Marie-Antoinette. Le roi en avait arrêté les termes ; il fallait, disait-il, déclarer avec force à l'Assemblée, aux ministres, aux corps administratifs, aux municipalités, aux individus qu'on les rendrait personnellement et particulière ment responsables dans leur corps et dans leurs biens d tous les attentats commis contre la personne du roi celle de la reine et celle de leur famille. Depuis le moi de mai Louis XVI et Marie-Antoinette tremblaient e .effet pour leur vie. Leurs inquiétudes redoublèrent après le 20 juin ; la reine écrivit à Merey qu'on avait résolu d'assassiner le roi pour le 14 juillet et que les puissances devaient parler fortement, arrêter les factieux par la crainte d'une punition prochaine, lancer un manifeste qui rendrait l'Assemblée et Paris responsables des jour du souverain et de ceux de sa famille ; sauvez-moi ajoutait-elle, moi et les miens, s'il en est temps. Cl douloureux appel se renouvela le 24 juillet. Dites donc i M. de Mercy, écrivait Marie-Antoinette à Fersen, que les jours du roi et de la reine sont dans le plus grand danger, que le délai d'un jour peut produire des malheurs incalculables, qu'il faut envoyer le manifeste sur-le-champ, qu'on l'attend avec une extrême impatience, que nécessairement il ralliera beaucoup de monde autour du roi et le mettra en sûreté, qu'autrement personne ne peut en répondre pendant vingt-quatre heures[114].

Le manifeste devait donc être une sommation destinée à protéger le roi et sa famille contre la fureur du parti populaire. Il faut, disait la reine, en imposer ici, et tous ses amis, Fersen, Mercy, Montmorin, Caraman, approuvaient sa résolution. Le manifeste, — ainsi parlait Fersen, — doit être menaçant surtout pour ce qui regarde la responsabilité sur les personnes royales. La journée du 20 juin, écrivait Mercy, a démontré la nécessité d'une déclaration menaçante. Il est nécessaire, pensait Montmorin, de frapper les Parisiens par la terreur et de leur annoncer les malheurs auxquels ils s'exposeraient s'il arrivait la moindre chose au roi et à la reine. Il faut, mandait Caraman, que cela soit très court et insister sur la responsabilité de Paris ou de telle autre ville où sera le roi[115]. Tout le monde était d'accord sur ce point : le manifeste des alliés devait intimider Paris et menacer du châtiment le plus sévère les auteurs d'un attentat contre le roi et sa famille.

Mallet du Pan, chargé des instructions de Louis XVI, venait d'arriver à Francfort. Il fut reçu par Frédéric-Guillaume et s'entretint avec Coblenz, Haugwitz et Heymann : le manifeste, disait-il, annoncerait que les alliés étaient fermement résolus à ne poser les armes qu'après avoir rendu au roi sa liberté et son autorité ; il rendrait l'Assemblée et les autorités constituées responsables de la sûreté de Louis XVI et de la famille royale ; mais en même temps il séparerait les jacobins et les factieux du reste de la nation ; il déclarerait que les coalisés n'avaient d'autre but que d'arracher la France à l'anarchie ; il ne se prononcerait pas sur une réforme de la constitution, mais il ferait entrevoir que Louis XVI, remis en liberté, était le seul qui pût rétablir l'ordre dans le pays ; en un mot, le programme des alliés devait j être assez adroitement rédigé pour réfuter le grand argument des jacobins, que la guerre actuelle était une guerre 3 des rois contre les peuples[116].

Ce n'était pas assez : il fallait proclamer franchement et sans ambiguïté que l'ancien régime avait à jamais disparu ; que la nation conserverait ses conquêtes de 1789 désormais irrévocables ; qu'elle ne verrait pas renaître l'ordre féodal et fiscal qu'elle abhorrait ; que tous les emplois seraient offerts au mérite ; que la taille, la dîme, les droits seigneuriaux étaient abolis pour toujours ; que, si l'étranger intervenait dans les affaires de la France il ne ramenait pas avec lui le collecteur, le gabelou e les sanglantes représailles de l'émigration.

Le projet de manifeste, esquissé par Mallet du Pan, était donc incomplet ; il aurait manqué son but. Mais la déclaration qui parut sous le nom de Brunswick, était plus impolitique encore ; elle ne parlait ni de la constitution ni du futur gouvernement, elle ne renfermait que les menaces les plus violentes et sommait la France de se rendre à discrétion. Elle avait été rédigée par Geoffroy de Limon. C'était un ancien intendant du comte de Provence, chassé en 1777, puis rentré en faveur ; intrigant, présomptueux, sans scrupules, il jouait le rôle de secrétaire de l'émigration. Breteuil voulut un instant le nommer contrôleur général des finances ; la cour des Tuileries lui fit bon accueil en janvier 1792 ; Fersen pensait qu'il fallait le ménager et le recommandait chaudement à Mercy ; le cabinet prussien le connaissait de longue date et lisait les lettres qu'il envoyait régulière ment à Heymann. Ce Limon plaisait donc à tous les partis. On pensa que, s'il faisait la déclaration, il saurait tout concilier, et les désirs de Louis XVI et de Marie-Antoinette, et les espérances des princes, et les vœux des alliés. Schulenbourg le fit venir de Bruxelles à Mayence et lui proposa de rédiger le manifeste ; il na voulait pas, disait-il, de la prose de Calonne. Limon partit ; il avait en poche la déclaration qu'il avait écrit sous les yeux de Fersen et montrée à Mercy ; elle est fort bien faite, jugeait le Suédois, telle qu'on peut la désirer on ne promet rien à personne, aucun parti n'est dégoûté on ne s'engage à rien, et on rend Paris responsable du roi et de sa famille. Inspiré par Fersen et rédigé pa Limon, le manifeste fut approuvé par l'empereur, par le roi de Prusse, par Schulenbourg, et signé enfin par duc de Brunswick ; on ne supprima que le préambule[117].

Limon se rengorgeait. Calonne lui demandait une entrevue et louait son travail en présence de Nassau-Siegen et du marquis de Lambert. Le comte d'Artois l'invitait à Bingen et lui proposait de l'attacher à sa personne. De retour à Bruxelles, Limon recevait les félicitations de Breteuil, et Fersen le traitait sans hauteur ; c'est un gueux, disait-il, mais il a du mérite.

On lisait dans cette fameuse déclaration que les alliés ne voulaient ni s'enrichir par des conquêtes ni s'immiscer dans le gouvernement intérieur de la France, mais qu'ils venaient délivrer à la fois Louis XVI et la partie saine de la nation. Brunswick sommait l'armée de ligne de se soumettre à son légitime souverain et les gardes nationales de veiller à la sûreté des personnes et des biens jusqu'à l'arrivée des troupes austro-prussiennes. Il ajoutait que les habitants qui oseraient se défendre, seraient punis sur-le-champ comme rebelles et leurs maisons démolies ou brûlées. La ville de Paris devait mettre Louis XVI en pleine liberté et le traiter avec le respect que les sujets doivent à leur roi. Les souverains alliés rendaient personnellement responsables de tous les événements, sur leurs têtes, pour être punis militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée, du département, de la municipalité et la garde nationale. Si le château était forcé ou insulté, ils en tireraient une vengeance exemplaire et à jamais mémorable en livrant Paris à une exécution militaire et à une subversion totale[118].

Deux jours plus tard (27 juillet), paraissait une déclaration additionnelle, signée encore de Brunswick : si le roi, la reine ou toute autre personne de la famille royale était enlevée de Paris, tous les lieux et villes qui ne se seraient pas opposés à leur passage, subiraient le même sort que Paris, et la route que suivraient les ravisseurs, serait marquée par une continuité d'exemples[119].

Le manifeste avait paru le 25 juillet. Mais on oublia de le notifier dans les formes ordinaires. On a fait une grande faute, disait Fersen, de ne pas l'envoyer d'une manière officielle ; personne n'y a pensé[120]. Il circula néanmoins dans Paris dès le 28 juillet, et les agents royalistes le répandirent à profusion[121]. Mais on le commentait avec mépris, on s'en moquait, on en niait l'authenticité[122], on en critiquait le style, on ne croyait pas qu'il pût être parti de la main de Brunswick, le souverain le plus éclairé de l'Allemagne ; cet acte, disait Gorani, n'ose se montrer que clandestinement et il est si singulier qu'il serait ridicule d'en entreprendre la réfutation[123].

L'Assemblée législative ne daigna pas rédiger un contre-manifeste. Elle se contenta, lorsqu'elle publia le 2 août le décret sur les déserteurs, de déclarer que le peuple français méprisait les menaces, et n'opposait d'autre réponse aux émigrés et aux alliés qu'un simple décret qui conviait tous les peuples de la terre à partager avec la France les bienfaits de la liberté[124].

Telle fut l'impression des hommes instruits et de tous ceux qui, selon le mot de Gorani, savaient penser, parler et écrire ; ils ne parlaient du manifeste qu'avec une sorte de pitié et en haussant les épaules ; la grande cause des alliés devait être plaidée avec un art dont les auteurs du manifeste n'avaient aucune connaissance[125].

Mais la déclaration de Brunswick fournissait aux chefs du parti jacobin l'occasion d'enflammer le patriotisme et d'exciter l'indignation populaire. Voilà le langage qu'on osait tenir à une grande nation qui s'armait pour sa liberté ! Ce n'est pas à la fin du XVIIIe siècle, écrivait-on de La Haye au Moniteur, qu'on parle ainsi aux hommes, et surtout aux Français ; loin de ramener les esprits, cette pièce doit les irriter et les réunir tous dans le désir de venger cette insulte faite à la nation entière. Le Moniteur publia le texte du manifeste ; on a voulu, disait-il, essayer jusqu'où peut aller la patience de la nation et à quel degré de bassesse on peut se flatter de la réduire. Quelle ignorance et quelle audace ! Est-il un Français capable de rester calme en lisant ce libelle[126] ?

Au dédain du premier moment succéda l'indignation la plus vive. Le 5 août, le commandant du bataillon de la section Mauconseil se présenta devant l'Assemblée et déclara que le manifeste de Brunswick et des tyrans dont il était le vizir, remplissait d'une juste colère tous les cœurs français. A la lecture de cette pièce orgueilleuse et atroce, qui a été faite jeudi dernier (c'est-à-dire le 2 août), trente-huit jeunes gens, tous serruriers ou forgerons, se sont élancés au milieu de l'assemblée de la section et se sont enrôlés pour punir cet excès d'audace. Ces trente-huit citoyens, armés et équipés aux frais de la section, avaient suivi leur commandant et défilèrent devant la Législative[127].

Sur tous les points du territoire où fut connue la déclaration du 25 juillet, eut lieu la même explosion de patriotique colère. Brunswick, disait un bourgeois de Landau, voulait donc nous imposer comme unique loi la volonté de Louis XVI et nous remettre par la violence sous le joug de la cour, de la noblesse, du clergé et de la finance ! Ignorait-il que tous les Français, soldats, paysans, ouvriers et même la plupart des bourgeois avaient souhaité la Révolution et la regardaient comme le plus grand des bienfaits ? Ignorait-il qu'il exaspérerait contre lui la majorité du pays[128] ?

Mais on aurait tort de croire que le manifeste fut la principale cause du soulèvement de la nation contre les alliés. Selon Gouvion-Saint Cyr, il donna à la France plus de cent bataillons. Il fit surgir, écrit Mathieu Dumas, et appela à la défense du territoire tout ce qui portait un cœur français. La nation, dit Gay de Vernon, se dressa comme un seul homme souffleté au visage et arma un million de bras[129]. Cette opinion s'est produite après coup ; la proclamation de la patrie en danger suffisait pour exalter les esprits ; le manifeste fut emporté par le flot rapide des événements ; les décrets de l'Assemblée, l'approche de l'envahisseur, l'imminence du péril national, et non la déclaration du 25 juillet, jetèrent dans les camps des milliers de volontaires.

Mais le manifeste hâta la chute de la royauté : c'était, dit Dumas, un acte barbare, un véritable fratricide des princes français envers Louis XVI ; dans l'état de fermentation où était la capitale, faire un appel à la minorité ennemie de la Révolution, c'était évidemment compromettre le roi, l'accuser de complicité[130]. On était moins irrité contre Brunswick que contre les émigrés. On sentait instinctivement que le duc n'avait fait que signer la déclaration, et que les royalistes l'avaient inspirée. On devinait que le factum avait été rédigé par un Français de Coblenz ou de Bruxelles. On remarquait les termes favoris de la contre-révolution : l'anarchie, le trône et l'autel, la partie saine de la nation Prudhomme intitulait son article sur le manifeste le dernier mot des émigrés avant leur entrée triomphale à Paris. Ce sont les émigrés, écrivait Gorani à Brunswick, qui ont trompé Votre Altesse en lui persuadant qu'Elie pouvait intimider les Parisiens. Un grand homme, disait le Moniteur, s'est fait l'instrument d'une faction et on retrouve dans cette proclamation les idées et les expressions de ceux qui, depuis trois ans, n'aspirent qu'à déchirer le sein de la patrie. Mais le roi ne s'entendait-il pas avec les émigrés ? Les gens de Coblenz n'étaient-ils pas, selon le mot de Prudhomme, ses cointéressés, ses coopérateurs et ses complices ? On lisait dans le manifeste que si le château était forcé ou insulté, les alliés sauraient se venger On prévoit donc l'invasion populaire, s'écriait un journaliste ; Louis XVI sait que sa déchéance est déjà prononcée par le peuple ; il sait que les Tuileries pourraient bien, dans peu, ne plus être son palais ; aurait-il en conséquence, envoyé ses notes à Coblenz, et Je fatras pompeux de Brunswick n'aurait-il pas été publié dans la croyance qu'on peut en imposer aux Parisiens comme à des enfants[131] ?

Le manifeste devait empêcher la déchéance ; il la précipita. Vainement Louis XVI le désavouait le 3 août par un message et assurait qu'il maintiendrait jusqu'à son dernier soupir l'indépendance nationale. L'Assemblée s'opposait à l'impression de sa lettre. Ducos et Merlin le traitaient d'imposteur. Pour qui s'arment les cours ? s'écriait Isnard ; pour le roi. Que nous demandent-elles ? de le rétablir despote. C'est en son nom que les ennemis agissent. Tous les faits contractent entièrement avec la lettre du roi.

Dans la même séance, Pétion, à la tête d'une députation de la Commune, se présentait à l'Assemblée et annonçait que deux despotes avaient publié contre la nation française un manifeste aussi insolent qu'absurde. L'ennemi, disait le maire de Paris, oppose des bourreaux à nos guerriers ; il outrage impudemment la souveraineté nationale ; il renouvelle le souhait de Caligula et veut anéantir d'un seul coup tous les citoyens de la France. Le lendemain (4 août) la section Mauconseil déclarait qu'elle ne reconnaissait plus pour roi des Français le tyran méprisable qui se préparait à livrer le pays aux fers ensanglantés des despotes de l'Europe. Six jours après, le palais des Tuileries était pris d'assaut, et Condorcet, dans son adresse aux Français, citait le manifeste comme une des raisons essentielles de la journée. Cette déclaration dévouait à la mort tous les hommes libres et promettait une honteuse protection aux lâches et aux traîtres. L'ennemi n'y semble occupé que de la défense du roi ; vingt-six millions d'hommes n'étaient rien pour lui auprès d'une famille privilégiée ; leur sang devait couvrir la terre pour venger les plus faibles outrages, et le roi, au lieu de témoigner son indignation contre ce manifeste, semblait n'y opposer qu'à regret un froid et timide désaveu[132].

Même avant le 10 août, les alliés comprenaient la faute qu'ils avaient commise. Dès le 29 juillet, Merey proposait un contre-projet pour réparer le mauvais effet du manifeste, et sa déclaration ne renfermait pas la clause qui rendait Paris responsable de la sécurité du roi. Le 6 août, les deux ministres prussiens Finkenstein et Alvensleben écrivaient à Schulenbourg que, d'après l'opinion du public de Berlin et de tout le corps diplomatique, la proclamation du duc de Brunswick aurait des suites tout à fait contraires à celles qu'il avait prévues ; le duc, ajoutaient-ils, a pris beaucoup trop tôt le ton comminatoire et aurait dû se rappeler que toute menace faite avant le temps aigrit les esprits au lieu de les intimider. Le 8 août, Rivarol rédigeait un contre-manifeste et quelques jours plus tard, il persiflait l'auteur de la déclaration du 25 juillet dans ce Dialogue entre M. de Limon et un homme de goût qui est, au dire de la marquise de Coigny, plus fin que le comique, plus gai que le bouffon et plus drôle que le burlesque[133].

Brunswick avait-il signé cette pièce à contre-cœur ? Il est hors de doute qu'il regretta toute sa vie d'avoir apposé son nom au bas de ce factum. Lorsque Bertrand de Molleville l'accusa dans ses Mémoires d'avoir pris part à la rédaction du manifeste, il répondit par un démenti solennel et ajouta qu'il voulait éviter de passer, dans les siècles à venir, pour un étourdi inconsidéré[134]. Que de dures menaces on a proférées contre la France, lui disait un jour Massenbach. Ah ! répliqua le duc, ces malheureux manifestes[135] ! Je m'en repentirai jusqu'à mon lit de mort et je donnerais ma vie pour ne pas les avoir signés[136] !

Au reste, les effrayantes menaces que contenaient les déclarations du 25 et du 27 juillet, ne furent pas exécutées. On sait que la plupart des officiers prussiens de cette époque aimaient sincèrement la France, et se piquaient d'être généreux à la guerre. Le roi et le généralissime refusèrent d'abandonner à la fureur du soldat et Sierck, et Aumetz, et Verdun, et Varennes. Vainement Breteuil réclamait de rigoureux châtiments ; le caractère du duc de Brunswick, écrivait-il, est doux et ses principes du moment répugnent encore plus à la sévérité dont nous avons tant besoin[137].

Mais, comme dit Malouet, ce n'était point avec des manifestes menaçants et de petites armées qu'il fallait attaquer une nation décidée à soutenir la réforme, bien ou mal entendue, de son gouvernement[138]. Jamais partie plus décisive ne fut plus légèrement engagée. On comptait tellement sur une victoire facile et rapide qu'on avait négligé d'emmener de la grosse artillerie ; à quoi bon, disait-on, un attirail de siège ? On avait laissé passer la belle saison et on partait aux approches de l'automne, sans rien prévoir ni rien préparer, sans établir de magasins suffisants et en laissant tout au hasard[139] ; faire de grands approvisionnements de vivres et de fourrages, dit Dampmartin, c'était prendre des précautions inutiles et dispendieuses. Au lieu de se rassembler à Mayence et de faire ses places d'armes de cette importante forteresse ainsi que d'Ehrenbreitstein, de Düsseldorf et de Wesel, on se réunissait à Coblenz ; on se condamnait à passer par ces défilés de l'Eifel qui devaient, selon le mot d'un officier, donner le coup de grâce aux attelages de l'armée et devenir le tombeau de ses équipages. On ne jugeait pas nécessaire de s'assurer une base solide d'opérations sur les rives du Rhin et de mettre à couvert le seul point de retraite qu'on eût vers la ligne du fleuve[140]. On établissait ses magasins dans une ville très mal fortifiée, à Spire[141], presque sous le canon d'une armée française postée tout près de là, a Wissembourg, et on éparpillait dans le Brisgau la réserve formée par le corps d'Esterhazy et de Condé. On n'avait connu qu'au dernier moment l'état des forces effectives qui formaient le contingent de l'Autriche. On avançait sans protéger suffisamment ses ailes. On avait si peu de monde que, deux semaines après son entrée en France, le généralissime était contraint, pour se renforcer, de découvrir Spire et Mayence, d'appeler à lui la plupart des Autrichiens qui gardaient le cours inférieur du Rhin, d'ouvrir ainsi l'Allemagne à l'invasion. On aurait dû détacher en reconnaissance des officiers d'état-major sur les routes que suivrait l'armée, et, comme dit Massenbach, imiter l'exemple de Noé, envoyer des colombes pour savoir où le terrain était sec, où l'on pourrait mettre le pied ; les Prussiens, ajoute cet officier, entraient dans un pays qui leur était aussi étranger que la Mésopotamie[142].

 

 

 



[1] Les hussards, dix escadrons ; les dragons, soit dix, soit cinq ; les cuirassiers, cinq. Cf. Renouard, Geschichte des französischen Revolutionskrieges im Jahre 1792, 1865, p. 80-81.

[2] Von der Goltz, Rossbach und Iena, 1883, p. 115. Brunswick proposait d'établir le service de vingt ans. Les années où le soldat n'aurait encouru ni blâme ni punition, compteraient double. Les emplois inférieurs des administrations ne seraient donnés qu'à d'anciens soldats.

[3] Mirabeau, De la Monarchie prussienne, IV, 57-59, 86 ; von der Goltz, Rossbach und Iena, 87-88 ; Höpfner, der Krieg von 1806 und 1807, 1850, I, 75-77.

[4] Voir les mémoires de Laukhard ; Réminiscences du prince royal, 162 (parues dans le Militär-Wochenblatt de novembre et décembre 1846 et très mal traduites en 1848 par Mérat) ; Mirabeau, IV, 61.

[5] Deux, sur cent, échappaient.

[6] Ueber die eigenthümlichen Vellkommenheiten des preussischen Heeres. Cp. von der Goltz, Rossback und Iena, 115 et 271.

[7] Mirabeau, IV, 211 et 186-187 ; Une mission en Prusse (Toulongeon), 1881, p. 105.

[8] Une mission en Prusse (Toulongeon), 161, 170, 171 ; (anonyme), 276.

[9] Id. (anonyme), 279-280 ; Mirabeau, IV, 129-132.

[10] Mirabeau, IV, 187 et 194 ; von der Goltz, 271.

[11] Une mission en Prusse (Toulongeon), 160, 183, 186, 205, 206, 208, 214 ; Mirabeau, IV, 191-192 ; cf. Riesback, Voyage en Allemagne, 1788, III, 21 ; Cette partie de l'armée prussienne est inconcevable, et quelque surprenante que soit l'infanterie, la cavalerie la surpasse de beaucoup. Les officiers assurent qu'il n'y a point d'exemple qu'elle ait jamais atteint le degré de perfection où elle est à présent, et Lafayette (lettre à d'Abancourt, Mém., IV, 458) ; il loue la tactique et le talent des officiers de cette arme.

[12] Excepté dans trois corps : les fusiliers, les hussards et l'artillerie.

[13] Mirabeau, IV, 167 et 194.

[14] Une mission en Prusse, Toulongeon, 166-168.

[15] Voyage en Allemagne, III, 23.

[16] Une mission en Prusse (Toulongeon), 150-151 ; Kleist, Lettre du 8 février 1746 ; Preuss, Friedrich der Grosse, III, 151 et 326-355 ; Knebel, Nachlass, 1840, I, p. XV-XVI ; Massenbach, Mém., I, 51, et II, 155 ; Témoin oculaire, II, 67-68 (Briefe eines preusischen Augenzeugen über den Feldzug des Herzogs von Brauntchmeig, 1793).

[17] Von der Goltz, Rossbach und Iena, 113. Il y avait également à l'école d'artillerie un cours de philosophie et un cours de style allemand.

[18] Gœthe, Camp. de France, édit. Chuquet, 1884, p. 30 ; Toulongeon, Une mission en Prusse, 151 ; von der Goltz, Rossbach und Iena, 91-92 ; Mirabeau, IV, 164 166 ; cf. I, 113.

[19] D'Ardenne, Geschichte des Zieten'schen Husarenregiments, 1874, p. 229.

[20] Mém., I, p. 92-93.

[21] Témoin oculaire, I, 26 ; Massenbach, I, 25-27 ; Fersen, II 269210 ; Vie privée, politique et militaire du prince Henri, 1809, p. 295 (lettre du 19 mai) : Lafayette, Mém., III, 273 : von der Goltz, Rossbach und Iena, 227-229.

[22] Expression de Davout, après Auerstädt.

[23] Mirabeau, I, 40-41, et IV, 229 ; Toulongeon, Une mission en Prusse, 90 et 154 ; duc de Choiseul (l'Armée française du 27 mars 1879) ; Dampmartin, Quelques traits de la vie privée de Frédéric-Guillaume II, 1811, p. 105.

[24] Mirabeau, IV, 231-235 ; Toulongeon, Une mission en Prusse, 154.

[25] Armée française du 27 mars 1879.

[26] Neues militärisches Magazin de Hoyer, IV Stück, p. 60.

[27] Mirabeau, IV, 237-238 ; voir le peu de dégâts que l'artillerie prussienne fit à Longwy et à Verdun.

[28] Mirabeau, IV, 241-245 et 253-256 ; Une mission en Prusse (anonyme), 306-307 ; Catt, Memoiren p. p. Koser, 1884, p. 118-119.

[29] Ditfurth, Die Hessen, 69 ; Gœthe, Camp. de France, 50.

[30] Geschichte der Kriege in Europa, I, 16. L'armée avait avec elle du pain pour neuf jours ; le soldat portait la provision de trois jours ; le reste était transporté par les voitures régimentaires.

[31] Minutoli. Erinnerungen, 138 ; Busching, Beiträge zu der Regie rungsgeschichte König Friedrich II, p. 424 (cité par Philippson).

[32] Mirabeau, IV, 209 et 221, et I, 107.

[33] Duc de Choiseul (l'Armée française du 27 mars 1879) ; Laukhard, Laukhards Leben und Schicksale, 1796, III, 244-254 ; Témoin oculaire, II, 212-220 ; cf. sur l'armée autrichienne le chap. des hôpitaux (prince de Ligne, Mém. et mél., III, 103-105 : c'est là le champ de bataille où il périt plus de monde que dans les combats).

[34] Une mission en Prusse (anonyme), 2S2 : Strantz, Zeitschrift fur Kunst, Wissenschaft und Geschichte des Krieges, 1831, IV, 43 ; Ditfurth, die Hessen, 129.

[35] Renouard, 83 ; Lombard, Lettres, 316 ; prince de Ligne, I, 168 (lettre à Kaunitz, décembre 1789] ; cf. plus loin le chapitre sur Verdun.

[36] Mot du prince de Ligne (III, 210).

[37] Duc de Choiseul, id. ; Dampmartin, Quelques traits, 127 ; Une mission en Prusse, 245 et 264 ; Histor. Zeitschrift, VI, 1861, p. 58 (mot de Behrenhorst cité par Meerheimb) ; Massenbach, Mém., I, 231-232.

[38] Minutoli, Erinnerungen, 25-26, note.

[39] Mirabeau, IV, 343-344 ; Cp. le mot de Diderot à Catherine II : Qui mènera cette voiture-là lorsque le cocher nerveux qui tient les rênes sera tombé de son siège ? (Tourneux, Temps du 24 août 1885).

[40] Gœthe, Camp. de France, passim ; Philippson, Gesrhichte des preussitchen Staatswesens, 1882, II, 171 ; Sybel, I, 471 ; prince de Ligne, Mém. et mél., III, 160-1G2 (De la sensibilité dans le militaire).

[41] Une mission en Prusse, 149 ; Strantz, 22 : Massenbach, Mém., II, 162 ; Valentini, Erinnerungen eines alten preusischen Offiziers, 1833, p. 63 : Rémin. du prince royal (11 et 12 sept.).

[42] Voyez Hist. de la guerre de la Péninsule, II, 344, note.

[43] R. de Bouillé, Essai sur la vie du marquis de Bouillé, 1853, p. 167. On sait la jalousie du prince Henri contre Frédéric : Vous avez, disait-il à Louis Bonaparte en 1801, une très haute idée de mon frère. Dans quelle erreur vous êtes, vous autres Français ! vous ne connaissez pas le secret de ses victoires. Il aurait dû passer sa vie à écrire. (Lavallette, Mém., II, 7). Sainte-Beuve a touché ce point (Causeries du lundi, XII, 368). Cp. surtout Th. de Bernhardi, Friedrich der Grosse als Feldherr, 1881, II, 314-320, et von der Goltz, Rossbach und Iena, 214-225.

[44] Valentini, 5.

[45] Mot du prince de Ligne.

[46] Vivenot, Quellen, II, 469.

[47] Beer, Joseph II, Leopold und Kaunitz, 1873, lettre du 13 mai 1788.

[48] Prince de Ligne, Mém. et mél., III, 298.

[49] Voir ses conversations avec un détenu de la Force (Champagneux), suppl. du tome II des Mém. de Mme Roland, 350 et 355-356. Custine pratiquait le même système de guerre prudent et défensif, que Jean-Bon Saint-André nommait le custinisme.

[50] La Galerie des caractères prussiens (1808, p. 35-46) le juge très défavorablement. On l'a souvent confondu avec l'Autrichien Hohenlohe-Kirchberg. On le nommera dans ce récit Hohenlohe tout court.

[51] Sur Kaikreuth (ou Kalckreuth) voir Mirabeau, IV, 38 ; Une mission en Prusse, 151 ; Galerie des caractères prussiens, 150 ; Massenbach, Mém., II, 162 ; Vivenot, Quellen, II, 469 ; von der Goltz, Rossback und Iena, 41 et 106.

[52] Voir l'ordre de bataille dans Renouard, 487-488, note 2.

[53] Cp. sur Grawert les Mém. de Massenbach, II, 121-122 et 136 ; Ségur (Hist. de Napoléon et de la grande armée, 1825, 11, 439) dit que Grawert était un vieux guerrier loyal sans politique.

[54] Valentini, 20-21 : Lombard, Lettres, 331 (ces lettres curieuses ont été traduites et publiées par M. H. Huiler dans la Deutsche Revue, février et mars 1883, p. 241-251 et 293-334 ; l'attaché militaire hessois au camp du roi de Prusse était le colonel de Kreutzburg, et l'attaché autrichien, le comte Dietrichstein.

[55] Le portrait de ce prince a été fait bien des fois : un des meilleurs et des plus piquants est celui qu'a tracé A. Sorel, l'Europe et la Révolution française, I, 478-488.

[56] Cp. le fragment des Mémoires de Caraman, publié dans le numéro du 15 novembre 1853 de la Revue contemporaine, p. 11.

[57] Voir sur Heymann Dampmartin, Quelques traits, 89 ; Beaulieu, Essais hist., IV, 172 ; Dumas, Souv., I, 519-520 ; Dumouriez, Mém., I, 302 ; Kellermann à Servan, 24 septembre (arch. guerre).

[58] Voir sur Nassau-Siegen, prince de Ligne, Mém. et mél.. I, 186-188 (lettre du 1er août 1788) ; Ségur, Mém. ou souv., I, 98-99 ; duc de Levis, Souvenirs et portraits, 185-186 : Loménie, Beaumarchais et son temps, I, 275-276 ; Malmesbury (Diary, III, 38 et 46) le nomme keen and sanguine, mais parle aussi de his vanity and indiscretion. M. Feuillet de Conches a publié, dans le tome VI du recueil Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth, un extrait des mémoires de Nassau-Siegen que nous citerons souvent.

[59] Vivenot, Quellen, I, 434.

[60] Massenbach, Mém., I, 237 ; Pertz, Stein's Leben, I, 93 ; Une mission en Prusse, 161.

[61] Mirabeau, I, 4 et 26, IV, 35 ; Rist, Lebenserinnerunqen, 1880, I, 26 ; Sorel, Mission de Custine à Brunswick (Revue historique, I, 1876, p. 154-183).

[62] Gouvion Saint-Cyr, I. 200 ; Valentini, 75 ; Galerie des caractères prussiens, 17 ; Massenbach, Denkwürdigkeiten, 1809, II, 2, 11.

[63] Mirabeau, IV, 35-36, note ; Sybel. I, 469 ; Ranke, Hardenberg, 2e édit., 1879, I, 58-59 ; Beugnot, Mém., 1867, I, 400.

[64] Carra, Annales patriotiques ; Sorel, Mission de Custine à Brunswick ; Sybel, I, 472 ; voir le brillant portrait que Voltaire faisait du prince héréditaire dans le Siècle de Louis XV, XXXIII : Il eut soin du comte de Gisors comme de son frère, et lorsqu'il fut blessé, on vit les officiers français s'intéresser à sa guérison comme les siens propres.

[65] Bedächtlichkeit, disent tous les contemporains : timid and wavering (Malmesbury, III, 243). Hardenberg, qui fut à son service, le priait de lui répondre par un non résolu s'il le désapprouvait (Ranke, Hardenberg, I, 81).

[66] Massenbach, Mém., I, 11, et Deukwürdigheiten, I, 108.

[67] Cp. Massenbach, Mém., I, 11 (mot de Gaudy), et Malmesbury, III, 158.

[68] Aussi le prince Henri disait-il plaisamment que le duc craignait toujours ses deux oncles (Massenbach, II, 94).

[69] Massenbach, Mém., I, 178 ; Malmesbury, III, 74 ; cf. Manso, Geschichte des preussischen Staates, 1819, I, 251, et Dampmartin, Mém., 293 : il plia sous l'habitude d'une politesse excessive.

[70] Huitième carnet de Mazarin (Chéruel, Hist. de France pendant la minorité de Louis XIV, II, 295).

[71] Sorel, Revue hist., I, 173-176. Cp. le mot de Brunswick au prince d'Oels : Puissions-nous en finir au plus vite avec ces diables de Français ! (Sybel, I, 472).

[72] Lettre sur la vie de Dumouriez, Londres, 1795, p. 55-64 : elle fut évidemment écrite sous l'influence et presque sous la dictée de Brunswick ; cf. Massenbach, Mém., I, 324.

[73] Saint-Simon, Mém., chap. CXCV.

[74] Dès le mois de juillet on craignait a Berlin les tiraillements que ferait naitre au quartier-général la divergence des opinions, et l'envoyé de Suède, Carisien, écrivait que, d'après beaucoup de personnes, le roi de Prusse ne resterait pas longtemps à l'armée où sa présence ne laisserait pas de gêner le duc de Brunswick (Fersen, II, 335).

[75] Vie privée, politique et militaire du prince Henri, 295.

[76] Mirabeau, De la Monarchie prussienne, V, 360, 368, 393.

[77] Lettre du 20 juin, Moniteur du 15 juillet.

[78] Hausser, I, 349.

[79] Lombard, Lettres, 323-324, et note de H. Hüffer.

[80] Archenholz, Minerva, 1792, février, p. 369, et novembre, p. 117 (cf. sa conversation avec Forster, Forster, Sämmtliche Werke, VIII, 197) Klopstock, Olen, 1823, II, 126, et lettre à Brunswick ; lettres d'Auguste de Gotha (Gœthe-Jahrbuch, 1885, p. 44).

[81] Lafayette, Mém., IV, 337.

[82] Près de cinq millions de livres (Sybel, I, 468).

[83] Correspondance entre Mirabeau et La Marck, III, 329-330 ; cf. Fersen, I, 236.

[84] Kaunitz à l'empereur, 5 juin (Vivenot, Quellen, II, 84). Cp. aussi I, 340 : Il faut, dit Kaunitz, établir un ordre de choses supportable, nais pas davantage. pour que la Fiance ne puisse peu à peu revenir au degré de sou ancienne puissance, et il ne sera pas difficile d'y former un gouvernement tel que ce pays, dans une fluctuation et fermentation constante, soit faible à l'intérieur et nul à l'extérieur. Voir encore la lettre de Fersen à Marie-Antoinette, Fersen, II, 199.

[85] Ranke, Ursprung und Beginn der Revolutionskriege, append., 367.

[86] Goltz à Hertzberg, 25 mai 1790 (Hausser, I, 349).

[87] Hermann, Diplomatische Correspondenzen, 1867, p. 57.

[88] Vivenot, Zur Genesis der zweiten Theilung Polens, p. 45.

[89] Lettre à Reuss (Vivenot, Quellen, II, 160).

[90] Mirabeau, VII, 293-294.

[91] Vivenot, Quellen, II, 81.

[92] Hausser, I, 359, et Ranke, Ursprung, 367.

[93] Vivenot, Quellen, II, 91 (mot de Reuss : Die Dupe von Russland) et 105.

[94] Arch. nat., reg. des délib. du conseil, 31 août et 19 septembre, p. 71 et 122.

[95] Hermann, Diplomatische Correspondenzen, 15 mai et 21 juin (notes d'Osterman), p. 237, 240.

[96] Fersen, II, 266 ; ep. Rambaud, Hist. de Russie, 497-500.

[97] Vivenot, Quellen, II, 130-131.

[98] Massenbach, Mém., I, 273 (mém. de Brunswick) ; Vivenot, Quellen, II, 232 (Kageneck à Cobenzl) : Fersen, II, 344-345 (mission de l'évêque de Pamiers et lettre de Pitt), 334 335 (lettre de Carisien).

[99] Vivenot, Quellen, II, 35, 45, 58 ; Sybel, I, 476 ; Hausser, I, 341 Ditfurth, die Hessen, 29-30. L'électeur de Mayence promit de mobiliser deux bataillons de 1.000 hommes chacun ; ces 2.000 soldats sans expérience, commandés par un simple colonel du nom de Winkelmann, devaient garder avec les Autrichiens le grand magasin établi à Spire. Klein, Geschichte von Mainz, 1861, p. 26 ; Rambaud, Les Français sur le Rhin, p. 175.

[100] Ditfurth, die Hessen, 13 ; Dampmartin, Quelques traits..., 105 ; Valentini, 17-18 ; Mirabeau, VI, 204.

[101] Dirfurth, 35 et 449 (traité de Wilhelmsbad, du 31 juillet et ordre de bataille). En réalité, Guillaume IX ne fournit que 5.532 hommes.

[102] Metternich, Mém., I, 9.

[103] Freytag, 355 ; Kriegk, Deutsche Kulturbilder, 1874, p. 203.

[104] Metternich, Mém., I, 14 ; Vivenot, Quellen, II, 13 (Cobenzl à Kaunitz] ; Lombard, Lettres, 247 ; Forster, Sämmtliche Schriften., VII, 359.

[105] Massenbach. Mém., I, 268-269.

[106] Lettre sur la vie de Dumouriez.

[107] Bouillé, Mém., 355 ; cf. Lafayette, Mém., IV, 114-115.

[108] Menschenfressend.

[109] Hausser, 461 ; prince de Ligne, III, 114 ; cf. Favier (Polit. des cabinets de l'Europe, III, 270, p. p. Ségur) ; il remarquait déjà que les contingents de l'Autriche n'existaient que sur le papier et que ses alliés se plaignaient toujours du fardeau énorme qui retombait sur eux.

[110] Massenbach a vu les listes de Pfau ; les troupes de Hohenlohe-Kirchberg. dit-il, comptaient au plus 14.000 hommes. Tauenzien estimait les forces de Clerfayt à 14 ou 15.000 soldats.

[111] Von einem furchtbaren Humeur. Massenbach, Mém., I, 32.

[112] Rémin. du prince royal, 149.

[113] Fersen, II, 336.

[114] Recueil de Feuillet de Conches ; Fersen, II, 332-333 ; cf. Brunetière, Le manifeste de Brunswick en 1792 (Revue polit. et litt. du 26 juillet 1884).

[115] Fersen, II, 336 ; Correspondance entre Mirabeau et La Marck, III, 317, 328.

[116] Mallet du Pan, Mém. et corresp., I, 306-315.

[117] Voir sur Limon et la genèse du manifeste Fersen, II, 2, 3, 18, 24-26, 329, 337, 341.

[118] Moniteur du 3 août.

[119] Cette seconde déclaration avait été rédigée par le ministre des princes, le comte de Moustier, auquel Calonne réservait dans son futur cabinet le portefeuille de la marine. Le Moniteur ne la publia que le 8 août, et le manifeste la fit oublier. Fersen la jugeait très forte (II, 24 et 342) ; le ministère prussien au contraire pensait qu'elle faisait peu d'honneur au comte de Moustier, qui n'était, selon lui, qu'un intrigant de premier ordre (Ranke, Ursprung, 368).

[120] Fersen, II, 343.

[121] Révolutions de Paris, n° 160, 28 juillet-4 août. p. 181.

[122] Lettre de Limon, du 5 août (Hausser, I, 305) : lettre de Louis XVI à l'Assemblée, 3 août, Moniteur du 5.

[123] Première lettre au duc de Brunswick, Moniteur du 21 août et Massenbach, Mém., 343.

[124] Moniteur du 3 août.

[125] Mots de Gorani, lettre du 4, Moniteur du 21 août.

[126] Moniteur du 3 et du 13 août.

[127] Moniteur du 6 août.

[128] Laukhard, III, 26-28, entretien avec Brion.

[129] Cp. Gouvion-Saint-Cyr, I, 56 ; Mathieu Dumas, Souv., II, 427 ; Gay de Vernon, Custine et Houchard, 26 ; d'un avis contraire est Mme de Staël, Consid., II, 34.

[130] Mathieu Dumas, Souv., II, 427.

[131] Révolutions de Paris, n° 160, p. 181 et 192.

[132] Moniteur du 5 et du 16 août.

[133] Correspondance entre Mirabeau et La Marck, III, 331 ; Ranke, Ursprung, 368 ; de Lescure, Rivarol, 1883, p. 374 383. Merey avouait, le 3 octobre, que le manifeste annonçait des prétentions extravagantes et des rigueurs inouïes.

[134] Brunswick au chevalier Gallatin. (Mallet du Pan, Mém. et corresp., I, 236.)

[135] Il a signé trois manifestes : ceux de Coblenz (manifeste du 25 juillet et déclaration additionnelle du 27) et celui de Hans (28 septembre) ; aucun d'eux ne fut rédigé par le duc ; le premier a pour auteur Limon ; le deuxième, de Moustier ; le troisième, Lucchesini.

[136] Massenbach, Mém., I, 236.

[137] Fersen, II, 367 (lettre du 12 septembre).

[138] Malouel, Mém., II, 180.

[139] Lombard, Lettres, 319 ; cf. Dampmartin, Mém., 292.

[140] Nous avons vu en 1812, dit Jomini (II, 157), l'armée française marchant sur le Niemen, raser les faubourgs de Magdebourg et mettre celte ville dans un état formidable de défense, seulement pour s'assurer du passage de l'Elbe, tandis qu'on possédait toutes les places de l'Oder et de la Vistule ; cette précaution louable contraste avec la négligence de ces généraux présomptueux qui se jetaient en Champagne.

[141] Malgré les protestations de neutralité de cette ville libre, cf. Rambaud, Les Français sur le Rhin, p. 176.

[142] Massenbach, Mém., I, 27-28, et III, 272.