LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

LA PREMIÈRE INVASION PRUSSIENNE

 

CHAPITRE II. — L'ARMÉE FRANÇAISE.

 

 

I. Désorganisation de la France. Les ministres. Les places fortes. — II. L'armée de ligne et les bataillons de volontaires. Les premiers bataillons des régiments. Ils ne sont pas au complet. Augmentation des bataillons de volontaires. Les quatre-vingt-trois bataillons de 1791. Les levées de 1792 avant le 10 août. Défaut de fusils. Manque de temps. — III. Position des armées. L'émigration. Méfiance des troupes de ligne. Leur indiscipline. Désordres des volontaires. L'habit blanc et l'habit bleu. L'armée du Rhin. — IV. Déroute de Mons et de Tournay. — V. Mésintelligence des généraux. Lafayette, Luckner, Dumouriez. Le chassé-croisé. Insubordination de Dumouriez. — VI. Le 10 août et Lafayette. Lutte du général et de l'Assemblée. Fuite de Lafayette. — VII. Dévouement de l'armée à la Révolution. Les officiers et les soldats. On ne pense qu'aux Prussiens. Force du patriotisme. — VIII. Causes du succès final. Délais de l'Autriche. Discipline des armées du Nord et du Centre. Hemptinne, Glisuelle, Mairieux. Le grenadier Pie. Le camp de Maulde. Le règlement de 1791. La classe des sous-officiers. Les volontaires de 1791. Il ne faut pas les confondre avec ceux de 1792. Les futurs généraux. Bon esprit et bravoure. Embrigadement et commencement d'amalgame. Stricte défensive. La manière nouvelle de combattre. La cavalerie. L'artillerie. Sa supériorité. L'artillerie à cheval. L'intendance. L'unité de commandement.

 

I. Rien n'est plus triste à lire que la correspondance des généraux et des ministres, pendant les quatre mois qui s'écoulent entre la déclaration de guerre et l'invasion. Un mot de Lafayette résume tout. Je ne puis concevoir comment on a pu déclarer la guerre, en n'étant prêt sur rien[1].

La France, en effet, est prise au dépourvu ; elle ébauche à peine son organisation militaire et il semble évident que son armée, incomplète, confuse, déchirée par la méfiance et l'indiscipline, dénuée de tout, pliera dès le premier choc. On n'est prêt sur rien, non pas, comme on le croyait alors, parce que le roi trahit la nation et laisse, de dessein prémédité, la frontière sans défense ; mais le désordre universel, la ruine de toute autorité, la désorganisation sans cesse croissante des administrations, le manque d'argent, voilà ce qui paralyse la défense, ce qui produit l'incohérence des préparatifs et l'insuffisance des moyens militaires.

Les ministres de la guerre se suivent avec rapidité sans avoir le temps de remédier au mal ; après Narbonne, de Grave ; après de Grave, Servan ; après Servan, Dumouriez ; après Dumouriez, Lajard ; après Lajard, d'Abancourt. En cet instant de crise, où le département de la guerre devrait être dirigé par un seul homme qui eût la netteté des desseins et l'esprit de suite, sept ministres se succèdent dans l'espace de six mois, et leur impuissance égale leur instabilité. Ils avaient tous d'excellentes intentions. Constitutionnels ou girondins, feuillants ou républicains, ils étaient animés d'un sincère patriotisme, résolus à repousser l'étranger et à déployer contre l'invasion prochaine toutes les ressources de la France. Lajard, créature de Lafayette et d'Abancourt, neveu de Calonne, montrèrent autant d'activité que le patriote Servan. La victoire, a-t-on dit fort justement, était pour eux une question vitale, car le parti populaire les menaçait de la hache, et l'émigration, de la corde[2]. Lajard n'hésitait pas à demander la formation d'une légion batave composée de réfugiés hollandais. D'Abancourt voulait s'emparer de Germersheim et faisait livrer par son département 547.000 cartouches nécessaires à la totalité des districts[3]. Mais que pouvaient les ministres de la guerre, au milieu des conflits perpétuels du pouvoir exécutif et de l'Assemblée, sous la menace des partis et la crainte des insurrections, aux prises à tout moment avec l'imprévu, accusés sans cesse de se laisser tromper par leurs commis et de tromper la nation ? De Grave succombe sous le fardeau ; il donne sa démission dans les premiers jours de mai ; il avait si bien perdu la tête qu'il signait de Grave, maire de Paris[4] ! Servan, entraîné par la Gironde, songe à renverser la Constitution. Il propose de former un camp de 20.000 hommes pour donner à son parti, et non à la France, une force capable d'intimider la garde nationale. Il laisse aux corps administratifs le soin de lever les nouveaux bataillons de volontaires, et lorsque la région de l'Est appelle son attention sur le délabrement des places, je ne peux, écrit-il à Lafayette, que vous communiquer ces réclamations ; vous êtes plus à portée que moi de juger jusqu'à quel point elles sont fondées, et je vous prie d'user de tous les moyens pour tranquilliser ces départements[5]. Dumouriez reste trois jours au ministère de la guerre et n'a que le temps de rédiger le rapport le plus décourageant ; les bureaux, dit-il, sont au moins reprochables par la lenteur des expéditions, le désordre des détails et l'espèce des marchés dont plusieurs, comme celui des chevaux de peloton, sont frauduleux[6]. Lajard écrit à Luckner que les événements de l'intérieur exigent impérieusement tout son temps et se retire, au bout d'un mois, en déclarant qu'il manque à la France la force la plus puissante, l'union des volontés, et que l'anarchie menace de tout engloutir[7]. D'Abancourt ne sait plus quelle est la limite des commandements de Lafayette et de Luckner ; il ignore les mouvements des troupes ; il ne sait rien d'une armée postée à soixante lieues de Paris et n'en parle que par conjecture ; ne semblerait-il pas, dit-il avec tristesse, qu'il s'agit de la marche d'une armée ennemie[8] ?

Aussi le territoire est ouvert à l'invasion. On sait d'avance que la guerre débutera par des échecs. On ne compte pas sur la chance des premiers combats. On n'ignore pas que la frontière éclatera sous le premier coup des alliés. On regarde Châlons comme le point où pourront se rallier les débris d'une armée battue. La plupart des places, dit publiquement Dumouriez, sont aussi démantelées qu'en temps de paix. Il faudrait, assurait Bouillé dans une note confidentielle, dix à douze millions et au moins six mois de temps pour mettre en défense la frontière depuis Huningue jusqu'à Givet[9].

Vainement les municipalités, les généraux, Luckner, Victor de Broglie, Kellermann, avertissent le ministre que l'état des forteresses de la Lorraine, même de Metz, inspire les plus grandes inquiétudes. Les ouvrages étaient commencés, mais bientôt interrompus ou exécutés avec une lenteur désespérante ; on n'avait pas d'argent pour payer les entrepreneurs. Lafayette s'efforçait d'armer complètement les points les plus importants de la région qu'il commandait ; mais il passait de mauvais marchés pour Longwy et Montmédy. Il représentait qu'on ne devait épargner aucune dépense pour fortifier et approvisionner Verdun ; mais les bureaux s'obstinaient à regarder Verdun comme une place de deuxième et même de troisième ligne. Au milieu de juillet, Avesnes n'avait pas encore reçu les fonds votés par l'Assemblée législative pour la défense de la ville, et sur 38.000 palissades qui devaient l'entourer, 10.000 seulement étaient faites, mais restaient dans les magasins. Custine entrait à cheval dans Landau par une brèche où quarante hommes auraient pu pénétrer de front. L'Alsace assurait à l'Assemblée qu'elle saurait concourir à la défense générale de l'empire et qu'elle serait toujours le boulevard de la France ; mais ses places, même les plus importantes, étaient dépourvues de tout et n'avaient que des fortifications insuffisantes[10].

 

II. L'armée de ligne, réorganisée par l'Assemblée constituante, et recrutée par enrôlements volontaires à prix d'argent, se composait, en temps de paix, de 150.000 hommes, dont 110.000 d'infanterie, 30.000 de cavalerie et 40.000 d'artillerie'. Il y avait 104 régiments d'infanterie, parmi lesquels 11 régiments suisses qui furent licenciés le 20 août. Tous ces régiments étaient désignés par des numéros d'ordre. Chacun d'eux comptait 1.029 hommes, répartis en deux bataillons. Il avait à sa tête trois officiers supérieurs, un colonel et deux lieutenants-colonels qui commandaient les deux bataillons. Le bataillon, fort de 504 hommes, comprenait 9 compagnies, dont une de grenadiers et 8 de fusiliers[11].

Aux 104 régiments d'infanterie s'ajoutaient 14 bataillons d'infanterie légère, chacun à huit compagnies.

La cavalerie comprenait 2 régiments de carabiniers, 24 régiments de cavalerie proprement dite, 18 régiments de dragons. 12 régiments de chasseurs, 6 régiments de hussards. Chaque escadron se composait de 142 hommes répartis en deux compagnies. Les régiments de carabiniers, de chasseurs et de hussards étaient formés de quatre escadrons ; les régiments de cavalerie et des dragons, de trois escadrons ; ceux-ci comptaient 580 hommes, ceux-là 439.

Le génie n'avait, comme sous l'ancien régime, que des officiers, au nombre de 334.

L'artillerie comprenait 7 régiments désignés par des numéros, 6 compagnies de mineurs et 10 compagnies d'ouvriers, chacune a 50 hommes.

La maréchaussée avait été remplacée par une gendarmerie nationale qui formait 30 divisions, commandée chacune par un colonel.

Les sous-officiers — on ne les nommait plus les bas officiers — étaient nommés de la façon suivante : les sous-officiers du régiment présentaient chacun à leur capitaine le nom du sujet le plus capable, le capitaine dressait une liste de trois noms, le colonel choisissait. Une place de sous-lieutenant, sur quatre, appartenait de droit aux sous-officiers ; elle était donnée alternativement au choix et à l'ancienneté. On ne devenait lieutenant et capitaine qu'à l'ancienneté. Un tiers des places de lieutenant-colonel et de colonel et la moitié des grades de maréchal de camp et de lieutenant-général se donnaient au choix. Il y avait 60 maréchaux de camp, 34 lieutenants-généraux et 4 généraux d'armée. L'état-major se composait de 30 adjudants-généraux dont 17 colonels et 43 lieutenants-colonels, et de 137 aides de camp, dont 4 colonels, 4 lieutenants-colonels et 129 capitaines[12].

Après la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes, l'armée de ligne eut ordre de se former au complet de guerre et de porter ses bataillons à 750 hommes et ses escadrons à 170.

A côté de cette armée de ligne existaient les volontaires destinés à la soutenir. L'Assemblée constituante avait décrété la levée de 169 bataillons qui formeraient f un effectif de 101.000 soldats. Chaque bataillon comptait 574 hommes, répartis en 9 compagnies, huit de fusiliers et une de grenadiers. Il était commandé par un lieutenant-colonel en premier et un lieutenant-colonel en second qu'il élisait lui-même. Les officiers — deux capitaines, un lieutenant et un sous-lieutenant —, et les sous-officiers étaient pareillement nommés dans chaque compagnie à la majorité des suffrages. Deux pièces d'artillerie pouvaient être attachées à tout bataillon. On avait dispensé les soldats ou, comme on les appelait, les volontaires nationaux, des conditions de taille exigées des troupes de ligne. Ils étaient libres de se retirer après chaque campagne, c'est-à-dire au 1er décembre de chaque année, en prévenant leur capitaine deux mois à l'avance. Ils pouvaient s'absenter par permission, lorsque des affaires urgentes les obligeaient à suspendre momentanément leur service. Le soldat touchait 15 sous par jour, le capitaine cinq soldes ou 75 sous, le lieutenant-colonel six soldes ou 90 sous.

On croyait opposer à l'envahisseur près de 300.000 hommes de troupes régulières et de volontaires. Mais, en réalité, les garnisons déduites, les forces défensives de la France, de Dunkerque à Bâle, ne se composaient, au 10 août, que de 82.000 soldats[13].

Tout d'abord, l'armée de ligne n'était pas au complet de guerre. Sur les deux bataillons de chaque régiment, le premier seul commandé par le lieutenant-colonel le plus ancien, avait été dirigé sur la frontière ; le second demeurait dans l'intérieur pour servir au recrutement du premier bataillon, à l'instruction des recrues et à la défense des places. La cavalerie fut l'objet de la même mesure. On fit partir deux escadrons sur trois ou trois sur quatre ; le dernier escadron restait au dépôt. Les généraux avaient protesté contre cette décision. Vous avez des troupes de ligne très inutiles dans l'intérieur, écrivait Kellermann au ministre, il faut les remplacer par des bataillons de volontaires ou charger les gardes nationales de veiller au bon ordre ; il est sans exemple que l'on ait été réduit à ne faire entrer en campagne qu'un bataillon par régiment d'infanterie, et à peu près les deux tiers de la cavalerie[14]. On devrait, mandait le commissaire Prieur à Servan, porter dans les camps toutes les troupes de ligne qui sont actuellement dans les garnisons et suivre en cela l'exemple de Washington, qui destinait les hommes d'un âge avancé à garder la défensive, tandis que ceux qui étaient dans la vigueur de l'âge attaquaient l'ennemi[15]. Mais ni Kellermann ni Prieur ne furent écoutés.

Or ces premiers bataillons n'atteignirent jamais le chiffre légal de 750 hommes. Vainement on s'efforçait de réparer les pertes que leur causaient les combats, les désertions, les maladies en puisant dans les bataillons de dépôt ; ceux-ci mêmes, disait Lafayette, se réduisent à rien et, si l'on ne prend pas des moyens vigoureux de recrutement, nous verrons fondre d'abord les deuxièmes bataillons, et ensuite les premiers[16]. Vainement Lajard déclarait que la mesure la plus urgente était le complètement de ces corps déjà exercés et aguerris, de cette partie la plus solide des forces françaises qui s'énervait par la consommation[17]. On ne pouvait renforcer les troupes régulières que par le recrutement spécial à prix d'argent ou par l'incorporation des volontaires.

Des dépôts destinés à recevoir les recrues furent établis à Valenciennes, à Strasbourg, à Metz, à Nimes. Mais personne ne se présenta. Les racoleurs envoyés par les régiments ramenaient à peine quelques hommes. L'armée du Nord envoyait de tous côtés des officiers et des sous-officiers ; il n'y eut pas vingt recrues en deux mois[18]. Tous les jeunes gens qui voulaient défendre la patrie entraient dans les bataillons nationaux. Pourquoi se seraient-ils engagés dans l'armée de ligne ? Ne trouvaient-ils pas dans les corps de volontaires une discipline plus indulgente et plus douce ? Ne touchaient-ils pas une solde de quinze sous par jour ? N'élisaient-ils pas leurs officiers ? N'avaient-ils pas la faculté de s'absenter pour affaires instantes et de se retirer à la fin de chaque campagne ?

L'Assemblée législative aurait dû décréter que l'armée de ligne pourrait se recruter parmi les volontaires. Tous les généraux demandaient ce décret au ministre de la guerre. Si l'on donne seulement la liberté aux volontaires de passer dans les troupes de ligne, écrivait Kellermann, ce seul moyen suffirait pour les compléter[19]. Narbonne avouait à l'Assemblée qu'il manquait 51.000 hommes à l'armée régulière, et il proposait de combler ce vide en incorporant les volontaires dans les vieux régiments. La formation des bataillons nationaux, disait-il, a porté vers ce genre de service la classe précieuse d'hommes qui fournissaient le plus généralement aux recrues. Le travail du recrutement, suspendu partout, ne donne aucun espoir d'être ranimé avec succès, à moins de se soumettre a des conditions ruineuses pour nos finances par un prix excessif dans les engagements. Renforcer les troupes de ligne par les volontaires serait un de ces moyens tout à la fois vastes et simples de maintenir au complet nos régiments. Les volontaires n'éprouveraient, dans cette destination momentanée, qu'une différence bien légère. Par leur dévouement ils sont engagés comme de véritables soldats de ligne et soumis au même régime tant que la patrie réclamera leur secours — rapport du 11 janvier.

L'Assemblée législative repoussa la proposition de Narbonne. Elle forma, il est vrai, deux nouveaux corps avec d'anciens soldats en ordonnant aux seize cents brigades de gendarmerie de fournir chacune un gendarme monté ; ces cavaliers, dirigés sur Paris, devaient être organisés en deux divisions de 800 hommes chacune. Elle invita les compagnies de vétérans et d'invalides à se transporter dans les places de guerre réputées en danger. Elle appela les anciens soldats et les militaires mutilés à se réunir à leurs anciens compagnons d'armes pour rendre encore un dernier service à la patrie. Elle autorisa tout citoyen, de dix-huit ans jusqu'à cinquante, à s'engager pour la durée de la guerre moyennant une prime de 80 livres dans l'infanterie, de 120 livres dans la cavalerie et l'artillerie. Elle rendit, le 17 juillet, un décret tardif et impuissant qui enjoignait aux quatre-vingt-trois départements de fournir, suivant un tableau de répartition, 50.000 soldats destinés à compléter l'armée de ligne. Enfin, le 12 septembre, en pleine invasion, elle accorda par décret une prime de 30 livres pour chaque année d'engagement à tout volontaire dont le bataillon ne serait pas encore formé et qui voudrait entrer dans les troupes de ligne. Mais elle refusa obstinément d'augmenter les vieux régiments par l'incorporation des gardes nationaux en activité et, comme elle les nommait, des soldats de la liberté ; la formation des bataillons de volontaires par les municipalités et les corps administratifs leur imprimait, disait-elle, une sorte de naissance civique qui écartait les préjugés militaires ; la discipline de l'armée affaiblirait leur patriotisme, leur inspirerait un esprit d'obéissance aveugle et absolue, les rendrait idolâtres de leurs chefs, les attacherait à la cause du royalisme ; après une vive discussion elle décida que dans aucun temps et sous aucun prétexte l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie ne pourraient se recruter parmi les volontaires[20].

L'armée de ligne s'affaiblissait donc de jour en jour. Luckner ne cessait d'écrire que ses troupes régulières étaient peu nombreuses, incomplètes, nullement recrutées. Il demanda même la suspension des cours martiales et proposa, pour augmenter son monde, de relâcher six cents soldats qu'on détenait en prison pour cause d'indiscipline[21].

Il ne restait qu'un seul moyen de remédier à la diminution de l'armée ; c'était d'accroître le nombre des volontaires nationaux. Déjà, comme on l'a vu, la Constituante avait décrété la levée de 169 bataillons. Un élan généreux répondit à cet appel ; l'affluence des volontaires sembla surpasser un instant le chiffre déterminé par l'Assemblée ; un grand nombre de jeunes gens s'équipèrent à leurs frais ; les directoires des départements, chargés de l'habillement, promirent d'employer sans retard les fonds que leur envoyait le ministre et offrirent de prendre leur part de la dépense ; les villes donnèrent l'argent des caisses municipales, passèrent des marchés à terme, contractèrent des emprunts. Mais, dit Grimoard, on ne crée pas des soldats à coups de plume. Si les départements du Nord-Est organisèrent promptement leurs volontaires, si le Jura donna sept bataillons qui furent prêts en six semaines, si la Meurthe, les Vosges, le Haut-Rhin, la Gironde, l'Isère, fournirent cinq bataillons, si les Ardennes, la Marne, la Meuse, la Moselle, la Haute-Saône, la Drôme, Seine-et-Oise, mirent chacun sur pied quatre bataillons dans les derniers mois de l'année 1791, l'Ardèche, l'Aveyron, le Cantal, la Dordogne, le Gers, la Haute-Loire, le Lot, le Lot-et-Garonne, la Lozère, le Tarn, ne payèrent leur dette à la patrie qu'aux mois de juin et juillet 1792[22]. Paris qui devait six bataillons n'en donna que trois, qui offraient, selon le mot du commissaire Prieur, des bigarrures embarrassantes de composition. Un grand nombre de départements ne parvinrent pas à compléter le contingent fixé, et on voyait errer dans les villes de petites bandes de volontaires oisifs et inutiles qui prétendaient former un bataillon entier et se faisaient armer et nourrir au détriment des bataillons de la frontière. D'autres départements envoyèrent aux armées un nombre de volontaires suffisant, mais sans leur donner leurs effets d'habillement et d'équipement. Ils n'ont pas le sol, disait François Wimptlen, et ce n'est pas non plus de leur ressort ; leur comptabilité me semble étrange, compliquée, propre à favoriser les gaspillages de toute espèce. Ils ne répondent pas aux réclamations, écrivait le maréchal de camp commandant à Boulogne, et ne paient même pas les premières fournitures faites d'après leurs ordres. Le 1er bataillon de la Drôme n'avait que vingt-cinq uniformes et ses hommes étaient déguenillés au point d'inspirer le mépris. Le département d'Eure-et-Loir, mandait le jeune Marceau à ses amis de Chartres, ne fournit aucun habit et ses recrues manquent du nécessaire[23]. En somme, sur ces 169 bataillons de la première levée, 83 seulement s'organisèrent à temps pour se rendre soit dans les places fortes, soit aux armées de la frontière[24].

Il eût fallu donner aux 83 bataillons déjà formés et prêts à combattre tout ce qui leur manquait et organiser complètement les 86 autres. Mais l'Assemblée législative ne recherchait que le nombre et croyait que les foules font des armées ; elle décrétait, décrétait, et ne daignait même pas, en appelant aux armes de nouveaux bataillons, dresser l'état estimatif de la dépense et assigner au ministre les fonds nécessaires. Le 5 mai 1792 elle décida d'ajouter aux 169 bataillons de 1791 45 autres bataillons, et elle porta l'effectif de chacun de ces corps de 574 hommes à 800.

Naturellement les deux levées de volontaires, celle de 1792 (45 bataillons) et celle de 1791 — qui durait encore puisque la moitié des bataillons n'étaient pas formés et que tous sans exception devaient se renforcer de 226 hommes —, se croisèrent, s'enchevêtrèrent, se nuisirent fort l'une à l'autre. Dans la Haute-Marne, les citoyens inscrits depuis l'année précédente refusèrent soit de compléter le bataillon de 1791, parce qu'ils n'avaient ni le droit de nommer leurs officiers, ni l'espérance d'obtenir un grade par l'élection, soit d'entrer dans le bataillon de 1792 parce qu'ils ne regardaient pas leur enrôlement comme un engagement véritable, parce qu'ils s'étaient mariés depuis leur inscription, etc.[25].

Le zèle de la nation s'était évidemment refroidi. Il fallait frapper fortement les esprits et rallumer l'enthousiasme. L'Assemblée déclara la patrie en danger. Elle mit en état d'activité permanente tous les citoyens valides qui avaient déjà fait le service de la garde nationale et arrêta qu'ils se réuniraient par cantons pour choisir parmi eux, au prorata des contingents demandés, les hommes qui marcheraient au secours de la patrie (11 juillet). Elle ordonna la levée de 42 nouveaux bataillons de volontaires qui formeraient les corps de réserve entre les frontières et Paris (19 juillet). Elle abaissa de dix-huit à seize ans la limite d'âge requise pour le service militaire. Elle décida que les localités qui fourniraient, outre les levées décrétées, des bataillons, des compagnies, même de simples escouades, auraient bien mérité de la patrie (17 juillet). Elle avait autorisé la formation de 54 compagnies franches, de 200 hommes chacune, qui seraient habillées de drap gris, attendu la disette du drap vert[26], et de légions étrangères, composées des patriotes de tous les pays : la légion allobroge, organisée par les patriotes savoisiens ; la légion belge et liégeoise, composée de réfugiés brabançons ; la légion batave, que tentèrent de créer des Hollandais expatriés[27]. Elle décréta la formation de compagnies de chasseurs volontaires nationaux, chacune de cent cinquante hommes (17 juillet), et de légions qui prirent le nom des armées ou des généraux : légion du Nord, légion du Centre ou de Luckner, légion de Kellermann, légion du Rhin, légion du Midi. Elle accorda, par un décret qui devait être imprimé dans toutes les langues, une pension viagère de cent livres et une gratification de cinquante livres à tout sous-officier ou soldat qui abandonnerait le drapeau des alliés (2 août) ; ces déserteurs étaient invités à s'engager dans l'armée française et à défendre la cause des peuples et de la liberté ; ils obtiendraient les mêmes récompenses et les mêmes retraites que l'es citoyens français.

Ce n'est pas tout. On se rappelle que Servan avait proposé la formation d'un camp de 20.000 hommes aux portes de Paris ; chaque canton du territoire aurait envoyé cinq hommes armés ; ces nouveaux volontaires devaient recevoir le nom de fédérés, parce qu'ils assisteraient, comme délégués de toutes les gardes nationales, à la fête du 14 Juillet et prêteraient le serment civique de la fédération. Ce décret demandé par Servan fut voté par l'Assemblée, Louis XVI refusa de le sanctionner, mais le constitutionnel Lajard le présenta de nouveau. Il existait, disait-il, à la frontière du Nord deux points vulnérables, l'un près de Maubeuge, l'autre entre Longwy et Montmédy ; les deux routes qui menaient à ces deux trouées, se rejoignaient à Soissons ; c'était donc à Soissons, et non à Paris, qu'il fallait placer la réserve destinée à couvrir la capitale. L'Assemblée adopta ce projet le 2 juillet, en ajoutant que les 20.000 fédérés passeraient par Paris et prendraient part à la cérémonie du serment. Cette fois le roi sanctionna le décret. Mais déjà les fédérés s'étaient mis en route sans attendre une convocation légale ; ils fraternisèrent le 44 Juillet avec les Parisiens et prirent successivement le chemin de Soissons.

En même temps l'Assemblée réquisitionnait une partie des compagnies de grenadiers et de chasseurs de la garde nationale. Ces compagnies formaient l'élite de la population sédentaire armée ; depuis le commencement de la Révolution elles étaient habillées, équipées, armées ; elles avaient fait l'exercice. L'Assemblée divisa le royaume en quatre grandes circonscriptions qui correspondaient à chacune des quatre armées du Nord, du Centre, du Rhin et du Midi. Elle autorisa les quatre généraux d'armée Lafayette, Luckner, Biron, Montesquiou, à requérir, dans chaque circonscription, la moitié des compagnies de grenadiers et de chasseurs de la garde nationale pour les organiser en bataillons. Le premier, Biron, requit (19 juillet) les départements du Haut et du Bas-Rhin, du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône, des Vosges et de la Meurthe, de mettre en armes le sixième de leurs citoyens actifs. Quelques jours plus tard (11 août) il ordonnait aux départements de Saône-et-Loire, de la Côte-d'Or, de la Haute-Marne, de l'Aube, de l'Yonne, de la Nièvre, de l'Allier, du Puy-de-Dôme, du Cher, de l'Indre et d'Indre-et-Loire, de former et d'envoyer immédiatement à Strasbourg un bataillon de 800 hommes. Les trois autres généraux d'armée suivirent l'exemple de Biron et s'empressèrent de requérir dans la circonscription de leur commandement l'élite de la garde nationale sédentaire[28].

En résumé, l'Assemblée avait approuvé ou décrété, pour soutenir l'armée de ligne, la levée de 256 bataillons de volontaires, la formation d'un camp de 20.000 fédérés à Soissons, la création de corps francs et de légions, la réquisition d'une partie de la garde nationale. Mais avait-on assez de provisions de bouche, assez de munitions et même assez d'armes pour cette multitude d'hommes[29] ? Que de fusils avaient été donnés depuis trois ans à la garde nationale et depuis quelques mois aux habitants des frontières ! On passa des marchés de tous côtés, on voulut acheter au prix de vingt quatre millions cinq cent mille fusils ; quelques milliers seulement furent livrés ; les commerçants savaient le désordre des finances et craignaient de n'être pas payés. On établit une nouvelle manufacture d'armes à Moulins ; on stimula les ouvriers des fabriques de l'État à Maubeuge, à Charleville, à Saint-Etienne, à Tulle, en leur offrant des primes. Mais rien ne se faisait qu'avec lenteur. Avant 1789 la manufacture de Charleville fournissait 25.000 armes à feu tous les ans ; elle n'en donnait plus que 5.000 depuis le commencement de la Révolution[30]. Des villes armèrent à leurs frais des volontaires ; elles furent trompées par des spéculateurs ; sur dix fusils qu'elles reçurent, un seul faisait feu On vit dans quelques garnisons des volontaires monter la garde avec un bâton. Carnot proposa de fabriquer trois cent mille piques ; il soutenait que le Français avait toujours l'avantage à l'arme blanche et qu'il saurait assez bien manier la pique, cette arme de la liberté, pour arrêter la charge des escadrons prussiens[31]. Un ancien colonel de dragons, Scott, écrivit un Manuel du citoyen armé de la pique. L'Assemblée décida que la pique serait donnée à tout citoyen qui ne posséderait pas une arme à feu, que les municipalités feraient fabriquer des piques de six à dix pieds de long et en armeraient les citoyens dans le délai d'un mois ; elle envoya partout une instruction sur le mode le plus favorable de disposer un bataillon de fusiliers et de piquiers. Mais que peuvent les piques contre le canon ?

Cette levée générale, comme l'avait dit Dumouriez dans son rapport du 13 juin, ne pouvait opposer à l'invasion qu'une tourbe sans ordre et sans force, qui, rassemblée tumultueusement, aurait le sort de ces immenses armées indiennes que quelques hommes aguerris dissipaient facilement. Heureusement, elle n'eut pas le temps de se rendre aux armées. Quelques corps francs arrivèrent et rendirent d'importants services ; ce furent, entre autres, la légion belge et la première compagnie franche ; la légion belge ou belgique, composée de 350 hommes et divisée en quatre compagnies, accompagna Duval et Beurnonville en Champagne ; la première compagnie franche ou des Ransonnets était commandée par le capitaine Ransonnet et fit la campagne de l'Argonne à l'avant-garde de l'armée de Dumouriez[32]. Les bataillons de grenadiers volontaires, formés des compagnies d'élite de la garde nationale, purent renforcer les garnisons. Mais ni les fédérés du camp de Soissons, ni les bataillons de volontaires que l'Assemblée législative appelait en 1792 à la défense de la patrie en danger, ne prirent part à la lutte. Deux armées, celle du Nord et celle du Centre, devaient tenir tête à l'invasion ; au 40 août, la première ne comptait que trente-deux, et la seconde, que dix-huit bataillons de volontaires, et ces bataillons appartenaient à la levée de 1791 décrétée par la Constituante[33] !

 

III. En somme, au 10 août 1792, la France avait sur la frontière que menaçaient les Austro-Prussiens trois armées insuffisantes en nombre : 4e l'armée du Nord, commandée en chef par Lafayette, et répartie entre Dunkerque et Montmédy, dans les camps de Maulde, de Famars, de Pont-sur-Sambre et de Sedan ; les camps de Maulde, de Famars et de Pont-sur-Sambre, sous les ordres du lieutenant-général Arthur Dillon, contenaient 24.000 hommes environ ; les troupes de Sedan, qu'on nommait plus spécialement l'armée des Ardennes ou de la Meuse et qui devaient être l'armée de l'Argonne, comptaient 19.000 hommes ; 2e l'armée du Centre ou de Metz, de Montmédy à Bitche ; elle avait à sa tête le maréchal Luckner et comprenait 47.000 soldats ; 30 l'armée du Rhin, entre Landau et Porrentruy ; elle était commandée par Biron et forte de 22.000 hommes, mais 45.000 seulement, détachés en observation vers Lauterbourg, avaient une valeur sérieuse. Il faut ajouter à ces trois armées l'armée du Midi, sous les ordres de Montesquiou ; il avait fallu la créer pour réprimer les troubles du sud de la France et se défendre contre la Sardaigne.

Ces troupes, numériquement faibles, avaient été désorganisées par l'émigration des officiers et par l'indiscipline des soldats. On peut assurer, sans crainte de se tromper, que sur 9.000 officiers de l'armée de ligne, près de 6.000 quittèrent leur emploi[34]. Malgré les décrets de l'Assemblée, l'émigration était jugée avec indulgence dans les camps ; elle avait encore un grand caractère, dit Gay de Vernon ; nous l'avons plus tard traitée sévèrement lorsqu'elle eut dévoilé ses intrigues et ses haines, mais beaucoup de nous pensaient qu'elle avait été commandée par l'honneur, par le dévouement à d'anciens devoirs, par la sainteté des vieilles habitudes.

L'avant-garde de l'armée du Rhin devait être dirigée par quatre maréchaux de camp ; l'un d'eux, Pestalozzi, émigrait ; un autre, Dulac, donnait sa démission parce que les choses allaient trop mal ; il ne restait au camp de Neukirch que Kellermann et l'Anglais Sheldon. Lafayette ne trouvait à l'armée du Nord que deux lieutenants-généraux sur cinq et trois adjudants-généraux sur six. Le régiment de Berwick (88e de ligne), le régiment de Royal-Allemand (15e cavalerie), celui des hussards de Saxe (4e hussards), celui de Berchiny (1er hussards) passaient la frontière et se rangeaient sous les drapeaux de l'émigration. La défection du 4e hussards excita l'émotion la plus vive ; elle eut lieu dans la nuit du 9 mai, trois semaines après la déclaration de guerre : pas un officier, pas un maréchal des logis ne resta au camp de Neukirch. Quelques soldats revinrent et 150 hommes de la garde nationale de Strasbourg offrirent avec un patriotique dévouement de combler le vide qu'avait fait cette désertion ; mais, écrivait Victor de Broglie, dans d'autres circonstances, la perte de 430 hussards mériterait peu d'attention ; dans l'état où nous sommes, ce qui peut aggraver les craintes, augmenter les défiances, me parait de la plus haute importance[35].

Pour comble de malheur, cette fatale émigration dura jusqu'au jour où les alliés envahirent le territoire ; elle était pour le ministre, dit Rochambeau, l'ouvrage de Pénélope et défaisait le lendemain tout son travail de la veille. A tout instant, de nouvelles vacances se produisaient dans les cadres. Des officiers ne désertaient qu'au dernier moment ; ils étaient inscrits sur les registres de Luxembourg et de Coblenz, mais ils restaient à l'armée pour envoyer leurs appointements aux camarades dont l'absence n'était pas encore officiellement constatée. Ils semblent, écrivaient les administrateurs du Bas-Rhin, s'être concertés pour abandonner successivement les postes afin de multiplier les embarras de nos généraux et de communiquer à l'ennemi leurs plans de campagne. En vain Lafayette priait au nom de l'honneur les officiers royalistes d'émigrer sur-le-champ. Le commandant de Longwy, Gaston, ne s'enfuit à l'étranger qu'après avoir reçu six mille livres destinées à l'espionnage Les officiers de Royal-Suédois (89e) ne passèrent à l'ennemi que dans la nuit où le premier détachement de l'armée franchissait la frontière belge.

Notre position, dit Lafayette, était donc incertaine et pénible, et on comprend la trop juste méfiance des soldats à l'égard d'une grande partie des officiers[36]. Les soldats, écrivait Biron le 23 août, sont si habituellement trahis et trompés par ceux qui les commandent et qu'ils voient journellement déserter à l'ennemi, que leur méfiance est bien naturelle[37]. On regardait la plupart des officiers comme des aristocrates, tout prêts à pactiser avec l'envahisseur. Quiconque avait la particule passait pour un traître. Le 6 septembre, un officier d'infanterie, député par le corps d'armée, qui campait sous les murs de Huningue, se présentait à l'Assemblée et la priait de nommer commandant un homme qui ne fût point noble ; nous vous indiquons, disait l'officier, M. Ferrières ; un sang corrompu ne coule pas dans ses veines ; il n'est pas de cette caste qui a produit tant de crimes et si peu de vertus. La défiance, s'écriait Pastoret, voilà la source principale de nos maux : quoi qu'il arrive, on accuse et on égare ; quand nos armées seront victorieuses, on dira : tremblez, méfiez-vous de vos chefs ; si la victoire se refuse à notre courage, tremblez, dira-t-on encore, méfiez-vous de vos chefs, ils vous trahissent, ils sont vendus aux ennemis de la patrie[38].

Tous les liens de la discipline semblèrent un instant rompus. Les comités qui s'étaient formés dans chaque régiment, les manifestations patriotiques des troupes, les offrandes qu'elles envoyaient à l'Assemblée de leur propre mouvement sans autorisation de leurs supérieurs, leurs adresses au corps législatif, leur contact incessant avec les gardes nationales, leurs fédérations avec les milices bourgeoises — comme celle de Royal-Étranger avec les milices de Franche-Comté et du régiment de Languedoc avec les légions toulousaines —, leurs fédérations entre elles — comme celle des régiments de Beauce et de Normandie, et celle des sept régiments qui voulurent former un congrès militaire —, l'intervention de l'autorité civile dans leur police intérieure, la puissance des municipalités qui méconnaissaient fréquemment les ordres des généraux, les excitations des sociétés populaires et des journalistes qui, comme Marat, conseillaient à l'armée de massacrer ses chefs, les liaisons qu'avaient formées à Paris les soldats députés à la Fédération du 14 juillet 1790, tout avait semé l'insubordination dans les régiments. Lorsqu'éclata le terrible soulèvement de Nancy, l'Assemblée constituante se contenta de licencier les régiments du Roi et Mestre de camp, et de donner aux deux corps qui les remplaçaient le dernier numéro de la série. Elle autorisa les soldats à faire partie des sociétés patriotiques. On vit la garnison de Lille protester contre le nouveau règlement qui ne respirait que la tyrannie, et dénoncer a la Législative M. de Narbonne comme despote, prévaricateur et réfractaire à la loi ; le ministre de la guerre dut se justifier en présence des soldats auxquels l'Assemblée avait accordé les honneurs de la séance. On vit les Suisses du régiment de Châteauvieux, qu'on avait condamnés aux galères après l'insurrection de Nancy, reçus dans l'Assemblée au bruit des applaudissements, fêtés par la population de Paris, acclamés dans les rues et les jardins publics. Le 18e cavalerie laissa massacrer, dans ses rangs, par une bande de séditieux, le maire d'Étampes, Simonneau. Des régiments se partagèrent la masse, mirent leurs officiers aux arrêta, conduisirent leurs chevaux au marché pour les vendre. Les soldats, dit l'auteur du Tableau historique (II, 30), aspirant tous à remplacer leurs chefs, ne négligeaient aucun moyen pour les dégoûter, et menaçaient même de les égorger s'ils ne quittaient pas de bon gré.

Même indiscipline chez les volontaires. Quelques bataillons avaient mis à leur tête des intrigants et des braillards ; les grands parleurs, et surtout les grands buveurs, écrivait François Wimpfen, l'ont emporté dans la concurrence sur les. plus capables. D'autres commettaient des désordres en rejoignant leur garnison ou en se rendant aux frontières. Nos jeunes militaires, disait Naibonne, ont adopté la manière ancienne de se battre et d'inquiéter leurs hôtes. Ils brisaient les vitres des auberges comme au Pied de Bœuf, à Wasselonne. Ils faisaient des arrestations illégales, comme le 1er de la Corrèze, à Senlis et à Pont-Sainte-Maxence. Ils voulaient, comme le 3e de l'Yonne, à Dormans, mettre à la lanterne des prisonniers décrétés d'accusation par l'Assemblée, et couchaient en joue leurs officiers[39].

Ajoutez que les volontaires étaient en désaccord avec les vieux régiments. Ils se vantaient d'être les vrais soutiens et, comme disait le député Bruat, les enfants chéris de la Liberté. Ils avaient l'habit bleu ; les soldats de ligne avaient conservé l'habit blanc. Ceux-là se distinguaient par les noms de leurs départements ; ceux-ci ne portaient plus ces noms de Champagne, de Navarre, d'Auvergne, de Bourbonnais, qui rappelaient de glorieux souvenirs, et ils regrettaient encore de n'être désignés que par un simple numéro d'ordre. Nos ennemis, écrivait Couthon, insinuent à la troupe de ligne que les citoyens armés la méprisent et se croient très au dessus d'elle, afin d'établir entre ces deux corps, qui ne doivent essentiellement en faire qu'un, une diversion utile à leur projet[40].

L'armée du Rhin est peut-être celle que la correspondance des généraux et des administrateurs avec le ministre de la guerre nous fait le mieux connaître. Partout des querelles et des actes d'indiscipline dans les troupes de ligne comme parmi les volontaires. Un commencement d'insurrection éclate dans la garnison de Phalsbourg. A Lunéville, le 30e régiment d'infanterie provoque le 15e de cavalerie. Le 1er bataillon du Haut-Rhin, excité par son lieutenant-colonel Offenstein, se soulève ; il faut le changer de cantonnement et jeter Offenstein en prison. Le 2e de Seine-et-Oise s'insurge pendant sa marche de Belfort à Strasbourg. A Neufbrisach, le 1er de l'Ain et le 6e du Jura se livrent a des désordres qui désespèrent le vieux Lamorlière. A Strasbourg, la garnison se divise en deux partis, l'un formé par l'ancien régiment de Normandie cavalerie et le régiment suisse de Vigier, l'autre composé des volontaires nationaux, de l'artillerie, des chasseurs à cheval ; le 8 juin, les deux partis en viennent aux mains dans une brasserie[41].

Pas une lettre de Luckner, de son chef d'état-major Victor de Broglie, de Lamorlière, de Custine, de Biron, qui ne retrace la faiblesse de cette armée. Nous n'avons plus de fusils, mande Broglie, pour armer nos volontaires ; les 7.100 qui sont à l'arsenal de Strasbourg n'y suffiront pas. Lamorlière ne cesse de se lamenter sur la pénurie de ses moyens ; sa position, dit-il, devient tous les jours de plus en plus difficile ; il lui sera bientôt impossible de répondre de rien ; jamais armée, chargée de défendre la frontière de l'Alsace, n'a été aussi faible que la sienne. Broglie reconnaît le zèle et l'ardeur des troupes : il lui semble qu'elles gagnent en instruction et en discipline, mais que de choses à faire encore ! L'émigration d'un grand nombre d'officiers, des vacances longtemps prolongées, des changements rapides et multiplies dans les officiers et sous-officiers, la nécessité de morceler les troupes pour obéir aux réquisitions des corps administratifs et maintenir l'ordre, telles sont les principales causes qui ont retardé le progrès des troupes et surtout des volontaires nationaux ; ils ont singulièrement besoin d'apprendre à servir sous l'œil d'un général qui prenne de leur instruction un soin particulier. Le 19 juillet, Lamorlière, Custine, Biron, Broglie adressent un mémoire collectif au ministre de la guerre ; ils exposant franchement leur situation. Ils ne disposent que de 47.700 hommes, dont 15.000 dans les places et 22.000 dans les camps, et on ne leur promet d'autre renfort que huit bataillons ! Ils manquent de tout. L'habillement des troupes est dans un état de délabrement véritablement honteux et qui compromet essentiellement la santé du soldat. L'armée est dépourvue d'officiers généraux, d'officiers supérieurs, de subalternes, d'ingénieurs, de canonniers, de mineurs ; sans ces officiers, sans ces soldats, on n'a ni armée, ni garnison capable de se défendre avec vigueur. Le 10 mai, l'adjudant-général Vieusseux écrivait à Brissot, son ami :

Les tentes, les marmites, les bidons, les canons, les munitions, les outils n'arrivent que successivement et en petit nombre ; quand on a une chose, l'autre manque. De pauvres officiers, à qui on ne fournit pas la viande comme aux soldats, ni des chevaux pour porter leurs tentes, sont obligés d'acheter tout cela et n'ont que des assignats dont personne ne veut ; ils manquent à la lettre du nécessaire et cet état de choses, en même temps qu'il décide les gens faibles à abandonner la cause commune, dégoûte les mieux intentionnés et finira par tout perdre. Le soldat est défiant, mutin et mal discipliné ; les plaintes sont inutiles, parce qu'il n'y a plus de moyens de punir et que les lentes formalités prescrites par la loi pour les délits majeurs sont impraticables en campagne A chaque instant, on croit voir des ennemis, -et tout de suite les têtes se montent, on crie à la trahison et l'on fait circuler les contes les plus extravagants. Nous n'avons que des troupes très neuves, très négligentes et très peu accoutumées aux fatigues, qui font le service avec nonchalance et légèreté, qui n'écoutent pas les remontrances ni les instructions des officiers, qui murmurent quand on exige d'elles des choses qui leur paraissent pénibles. Ce n'est pas avec des adresses, des pétitions, des fêtes et des chansons qu'on résiste à des troupes aguerries, disciplinées, faites à la tactique et commandées par d'excellents officiers[42].

 

IV. Aussi la guerre avait commencé par une honteuse déroute ; les soldats avaient lâché pied à la vue de l'adversaire et massacré leur général qu'ils accusaient de trahison.

Le 28 avril, une colonne, commandée par Théobald Dillon, marchait de Lille sur Tournay ; les hussards autrichiens parurent tout à coup ; aussitôt la cavalerie française tourna bride en criant sauve qui peut et entraîna l'infanterie. Dillon essaya de rallier les fuyards ; ses propres soldats lui tirèrent deux coups de pistolet, l'arrachèrent de la grange où il s'était réfugié, le ramenèrent à Lille tout sanglant et l'égorgèrent dans la rue. Le colonel du génie Berthois, l'ancien curé de la Madeleine et quatre prisonniers autrichiens furent pendus.

Le même jour, Biron se porte de Quiévrain sur Mons et chasse de Boussu quelques uhlans ; mais il voit les hauteurs de Jemmapes garnies de troupes. Il n'ose tenter l'attaque, et, sur le soir, après une canonnade inutile contre les avant-postes ennemis, il ordonne la retraite. Il campe à Boussu. Mais ses soldats étaient épuisés par la marche, la chaleur et la faim ; ils avaient jeté leur pain sur la route. Soudain, à dix heures, le bruit se répand que la cavalerie autrichienne a pénétré dans le camp. Les dragons du 5e et du 6e enfourchent leurs chevaux et s'enfuient au grand trot sur le chemin de Valenciennes, en criant nous sommes trahis ! Biron et Dampierre s'efforcent de les arrêter : Dampierre ramène la moitié du 5e régiment, mais Biron et les officiers de son état-major parcourent plus d'une lieue sans pouvoir rallier les dragons du 6e. Il faisait, dit Latour-Foissac, un beau clair de lune, mais sa lumière était horriblement obscurcie par les flots épais de poussière que la course précipitée des chevaux élevait loin au-dessus des têtes, on était emporté par le torrent, on ne se reconnaissait pas, on ne se voyait pas. Enfin, Biron parvient à se faire obéir ; il reforme les dragons dans la plaine d'Orun et les reconduit au camp. Le lendemain, au point du jour, on se dirige dans le plus grand désordre sur Valenciennes et on laisse les uhlans s'emparer de Quiévrain. Vainement le maréchal de camp Fleury se met à la tête du 68e régiment et tente de reprendre le village ; blessé, jeté à bas de son cheval, il voit le régi- ment se débander en criant qu'il faut retourner à Valenciennes. Vainement Biron mène le 49e régiment à l'attaque de Quiévrain et refoule les uhlans ; deux autres régiments d'infanterie qu'il court chercher pour garder le village reconquis, refusent de suivre leur général. Biron abandonne Quiévrain et repasse la frontière un des derniers. Tout se confondait dans cette déroute, infanterie, cavalerie, artillerie ; les chemins étaient couverts de fusils, de sabres et de sacs ; plus de soixante soldats expirèrent de fatigue et de peur ; quelques-uns, tourmentés par une soif ardente, se trainèrent jusqu'à des mares d'eau fétide et y moururent. On laissa sur la place les effets de campagne, les équipages, plusieurs pt de canon ; on rentra et s'entassa pêle-mêle dans Valenciennes ; on leva les ponts ; personne ne voulait regagner les cantonnements et quitter l'abri qu'offraient les murailles. Biron ne déblaya la ville que le lendemain[43].

La guerre ne pouvait commencer sous de plus tristes auspices, et cette double déroute trompa l'Europe sur la valeur de l'armée française. On crut partout qu'elle se débanderait dès la première bataille. Les Autrichiens affichèrent sur les arbres de la Flandre les mots vaincre ou courir. Ô Français, s'écriait le poète allemand Bürger, honte à vous qui cachez votre lâcheté sous des actes de tigres, qui égorgez votre général et vos prisonniers, qui fuyez comme des gredins ! Je voulais être votre Tyrtée, mais je souhaite la victoire à quiconque vous portera des chaines. Celui qui ne peut mourir pour la liberté, mérite que le prêtre et le noble le chassent à coups de fouet de ses propres foyers ! On croyait en effet, dit Latour-Foissac, que pour vaincre ces fameux soldats de la Révolution, il n'y avait plus besoin que de fouets de poste[44].

 

V. A l'indiscipline et aux défiances de l'armée se joignait la mésintelligence entre les généraux, les uns méditant une guerre d'invasion, les autres résolus à se tenir sur la défensive, les uns attachés à la Constitution de 1791, les autres flatteurs du parti populaire, tous voulant n'en faire qu'à leur tête, aspirant à l'indépendance, regardant leur armée comme leur propriété, sans cesse préoccupés des événements de Paris.

Luckner avait, après la déroute du 28 avril, remplacé Rochambeau à la tête de l'armée du Nord. Dumouriez, sorti du ministère et nommé lieutenant-général, vint rejoindre le maréchal à Valenciennes. L'état-major lui fit l'accueil le plus méprisant ; on ne lui envoya ni ordonnance ni garde d'honneur ; on ne mit pas son arrivée à l'ordre du jour de l'armée, et pendant une semaine l'ancien ministre des affaires étrangères se promena dans les rues de Valenciennes comme un simple particulier. Luckner le traitait à la hussarde ; Dumouriez lui représenta qu'il valait mieux camper à Quiévrain ; le maréchal s'emporta et déclara en jurant qu'il n'avait pas besoin de conseils et ferait mettre a la citadelle tout officier-général qui raisonnerait. Lorsqu'il fallut donner un commandement à Dumouriez, il lui confia le moins important, celui du camp de Maulde.

Ce fut alors qu'eut lieu ce mouvement singulier et dangereux que les contemporains nommèrent le chassé-croisé des deux armées du Centre et du Nord. Lafayette, alors à Metz, était trop loin pour marcher sur Paris lorsqu'éclaterait l'insurrection jacobine que tout le monde prévoyait. Un jour, il quitte son camp et se rend à Valenciennes ; il s'enferme avec Luckner et lui propose un échange : Lafayette défendra la frontière de Dunkerque à Montmédy, et Luckner, de Montmédy à Besançon ; le premier se transportera dans les Flandres avec ses troupes, et le second, sur la Moselle ; le ministre Lajard approuve tout. L'opération s'exécuta dans les dernières semaines de juillet. Mais elle alarma l'opinion. En pleine guerre, à la vue des Autrichiens, on découvrait la frontière pendant quelques jours ! On imposait aux soldats une marche inutile et fatigante de quatre-vingts lieues à l'intérieur du pays ! Si Lafayette et Luckner voulaient échanger leur commandement, pourquoi ne laissaient-ils pas leurs troupes dans leurs positions ? Ne devait-il pas leur être indifférent de commander telle ou telle armée, pourvu qu'elle fût française[45] ?

Dumouriez était compris dans ce mouvement. Il avait ordre de quitter le camp de Maulde et de rejoindre Luckner à Metz, le 20 juillet, avec l'arrière-garde composée de six bataillons et de cinq escadrons. Mais il ne voulait pas quitter la Flandre ; il projetait l'invasion de la Belgique et désirait, comme Lafayette, rester à portée de Paris. Il n'hésita pas à désobéir.

Dans la nuit du 14 juillet, les Autrichiens attaquèrent Orchies. Dumouriez écrivit aussitôt, non pas à Lafayette ou à Luckner, non pas au ministre, mais à l'Assemblée législative. Sa lettre fut lue dans la séance du 18. J'ignore, disait-il impertinemment, s'il existe un ministre de la guerre ; de deux généraux d'armée, l'un est en route pour la Moselle ou à Paris, l'autre est presque sur la même route ; on a l'air de regarder la frontière des Pays-Bas comme indifférente et avec deux armées qui se croisent à une vingtaine de lieues d'ici, il ne se trouve même pas de quoi exercer une défensive honorable. Il racontait l'attaque d'Orchies par les Impériaux ; il louait le courage des volontaires de la Somme, qui s'étaient battus pendant trois heures avec sang-froid ; mais il ajoutait que les Autrichiens menaçaient le camp de Maulde et que sa petite armée devenait la' seule ressource de la Flandre. Il est possible, concluait Dumouriez, que cette circonstance m'empêche de partir pour Metz ou même qu'elle amène d'autres dispositions de la part de l'Assemblée nationale et du pouvoir exécutif.

Le lendemain (19 juillet), nouvelle lettre de Dumouriez à l'Assemblée. J'ignore encore, écrit-il, s'il y a un ministre de la guerre et je crois devoir m'adresser à l'Assemblée pour l'instruire des circonstances graves qu'a fait naître le départ de M. Luckner. Il annonce que les Autrichiens se sont emparés de Bavay, qu'il ne peut quitter sans danger ce département du Nord où il est né et dont il a la confiance ; s'il emmenait à Metz, comme le veut Luckner, l'arrière-garde de l'armée, il ne resterait plus en Flandre assez de troupes pour repousser l'agression des Impériaux.

Vainement, dans la séance du 20 juillet, Lacuée s'étonne que Dumouriez feigne d'ignorer l'existence du ministre. Vainement Mathieu Dumas accuse le général de désobéir au roi et au maréchal, son supérieur hiérarchique. Arthur Dillon, nommé commandant de l'aile gauche de l'armée du Nord et de toutes les forces de Flandre, se laisse persuader par Dumouriez. Un conseil de guerre s'assemble à Valenciennes. On y déclare que le département du Nord court le plus grand péril et qu'il faut y garder la deuxième division que commande Dumouriez, jusqu'à la retraite des Autrichiens. En réalité, le danger n'était pas aussi grave qu'on le proclamait ; il ne faut en Flandre, disait justement Lafayette, qu'un très petit corps pour manœuvrer entre les places, et un mois plus tard, Dumouriez ne craignait pas d'appeler dans l'Argonne les troupes du camp de Maulde[46].

Cependant Luckner attendait avec impatience son arrière-garde qui ne venait pas. Dumouriez n'avait pas daigné l'avertir, et le maréchal n'apprit la décision du conseil de guerre que par le ministre d'Abancourt. On imagine la colère du vieux soudard : Dumouriez se permet de changer mes ordres ; il oublie les devoirs d'un lieutenant-général subordonné à un maréchal de France ; il montre un esprit d'indépendance contraire aux principes des lois militaires ; il s'arroge de son propre chef le commandement des troupes du Nord ; il faut qu'il soit puni : si sa désobéissance reste sans châtiment, l'armée est perdue !

Mais l'opinion était favorable à Dumouriez. D'Abancourt répondit à Luckner que la conduite du général lui paraissait extrêmement répréhensible, mais qu'il n'osait désapprouver la délibération du conseil de guerre de Valenciennes. Luckner, à son tour, écrivit qu'on se moquait de lui, puisqu'on changeait ses plans sans le consulter ; que ses troupes étaient réduites aux deux tiers ; qu'il ne répondait plus de la défense de la Lorraine[47].

Ainsi, à la veille de l'invasion prussienne, les généraux tournent leurs regards vers la capitale et se soucient beaucoup plus de l'Assemblée et du roi que de l'ennemi qui s'approche. Le 10 août survient, et la guerre civile est sur le point d'éclater et de se joindre à la guerre étrangère ; un instant, l'insurrection des troupes de Sedan semble répondre à l'insurrection du peuple de Paris, et tandis que les coalisés franchissent la frontière, Lafayette essaie d'entraîner ses soldats contre l'Assemblée !

 

VI. Lafayette a rendu de grands services à l'armée française. Actif et désireux de se signaler, il accoutuma ses soldats à supporter la fatigue et à voir l'ennemi ; grand, mince, bien fait, il avait l'extérieur du commandement ; son rôle sous la Constituante et ses prouesses d'Amérique augmentaient le prestige qu'exerçait sa personne Mais son attention se portait moins sur l'ennemi du dehors que sur celui du dedans ; il avait juré d'anéantir la faction jacobine, et le 22 juin, en exposant à Lajard la situation de son armée, il ajoutait : Tous ces objets, quoique bien intéressants, le sont encore moins que notre situation politique ; c'est sur elle que doivent se porter les efforts de tous les bons citoyens ; mon combat avec les factieux est à mort, et je veux le terminer bientôt, car, dussé-je les attaquer tout seul, je le ferai sans compter ni leur force ni leur nombre[48]. On sait qu'il écrivit à la Législative pour lui dénoncer les usurpations, les maximes désorganisatrices et la fureur délirante des jacobins ; qu'il parut le 28 juin à la barre de l'Assemblée et lui déclara qu'il fallait détruire la secte qui envahissait la souveraineté et tyrannisait tous les citoyens ; les armées, disait-il, doivent être assurées par des actes décisifs de l'Assemblée que la Constitution ne recevra aucune atteinte au dedans, tandis qu'elles prodiguent leur sang pour la défendre au dehors.

Tout autre, à la nouvelle du 10 août, aurait aussitôt marché sur Paris. Lafayette voulut rester fidèle à la Constitution et refusa de la violer, même lorsqu'elle était violée par ses adversaires. La Constitution portait que les troupes ne devaient agir dans le royaume que sur la réquisition des corps administratifs. Faire une grande manifestation de la province contre Paris, rallier autour de la municipalité de Sedan toutes les municipalités et autour du conseil général qui siégeait à Mézières tous les conseils généraux de France, former soit à Châlons soit en Flandre un congrès des départements qui se serait déclaré investi de tous les pouvoirs, être le Washington de cette assemblée, tel fut le dessein de Lafayette.

Sûr du concours de Desrousseaux, maire de Sedan et de l'adhésion du conseil général des Ardennes, il écrit à l'un et à l'autre qu'il se met à la disposition du pouvoir civil. On l'approuve ; les corps administratifs de Sedan répondent qu'ils sont résolus à maintenir la Constitution et le conseil général de Mézières décide de ne pas publier les décrets de l'Assemblée.

Le soir du 14 août, trois commissaires de la Législative, Kersaint, Antonelle et Peraldi, arrivent aux portes de Sedan. Un lieutenant-colonel de volontaires, Bruat, frère du député, accourt au devant d'eux, les avertit qu'ils seront arrêtés. Ils entrent néanmoins. On les arrête, on les mène à l'Hôtel-de-Ville, on les interroge. Ils se nomment et déposent sur le bureau leurs passeports, leurs commissions, le décret qui suspend Louis XVI. Mais on refuse de reconnaitre leurs pouvoirs qui ne tendent qu'à tromper la nation et à soulever l'armée contre ses généraux. On se récrie contre le décret qui n'est qu'une violation outrageante de la Constitution et un acte monstrueux. On les retient comme otages, on les conduit au château, on les remet à la garde du colonel Sicard pendant qu'autour d'eux retentissent les cris Vive Lafayette ! Une proclamation affichée sur les murs de Sedan invite les habitants de la ville à rester fidèles à la Constitution et à s'unir contre les agitateurs de la capitale qui veulent répandre dans la cité et jusque dans l'armée le mépris des lois et la guerre civile.

Cependant Lafayette envoie à tous les membres de l'Assemblée, à tous les directoires de département, aux principales municipalités de France les arrêtés de l'administration des Ardennes. Il recommande à ses troupes de se rallier autour de la Constitution qu'elles ont juré de défendre jusqu'à la mort. Il ordonne à tous les généraux soumis à son commandement de faire prêter de nouveau à leurs régiments le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Les chefs de corps réunis à Douzy, chez le colonel Stengel, rédigent une adresse à leur général ; ils veulent, disent-ils, la Constitution tout entière ; ils ne reconnaissent pas une assemblée qui s'attribue illégalement le pouvoir exécutif ; ils ont pleine confiance en Lafayette et le suivront partout où il voudra les conduire pour délivrer le roi et châtier les factieux. Le Veneur assemble au camp de Vaux les chefs de bataillon et leur fait signer une lettre qui engage l'armée à rétablir le roi, représentant héréditaire de la nation : Soldats, voulez-vous marcher sous les étendards de la loi ou sous ceux de Pétion ? En Flandre, Dillon obéit aux ordres de Lafayette et proteste hautement contre le 10 août : On assure que la Constitution a été violée ; quels que soient les parjures, ils sont les ennemis de la liberté française, et le général saisit cette occasion de renouveler le serment de verser jusqu'à la dernière goutte de son sang pour le maintien de la Constitution de 1791[49].

Mais, de son côté, l'Assemblée législative prenait en toute hâte des mesures vigoureuses. Elle déclara les administrateurs des Ardennes et de Sedan personnellement responsables de la liberté de Kersaint, d'Antonelle et de Peraldi. Elle ordonna l'arrestation du maire de Sedan el des membres du directoire de Mézières. Elle fit partir trois nouveaux commissaires, Isnard. Quinette, Baudin, qu'elle autorisait à requérir la force publique, et proclama infâme quiconque refuserait d'obéir à leur réquisition. Elle décréta le renouvellement de toutes les administrations des départements, avec la clause expresse que les patriotes pourraient être réélus. Elle accusa Lafayette du crime de conspiration contre la liberté et de trahison envers la nation et défendit à tous les fonctionnaires de lui prêter assistance. Elle décida que Dillon avait perdu la confiance du pays. Elle fit envoyer aux armées les pièces trouvées chez le roi et chez l'intendant de la liste civile de Laporte ; ces pièces qui démontraient les relations de Louis XVI avec les émigrés et ses desseins de contre-révolution, devaient être lues à la tête des compagnies et dans les chambrées. Elle rédigea une adresse aux troupes de Sedan et leur rappela que la nation répandrait sur eux de nouveaux bienfaits en effaçant jusqu'aux dernières traces de distinctions aristocratiques qui survivaient encore à la Révolution dans l'armée de la liberté et de l'égalité. Une autre adresse aux départements disait que l'Assemblée était le point de ralliement nécessaire, qu'on ne pouvait se séparer d'elle sans trahir la patrie, qu'il fallait s'unir au corps législatif pour combattre les armées étrangères et maintenir l'inviolabilité du territoire.

Les décrets succédaient aux décrets. Mais déjà la fortune avait tourné, et Lafayette se voyait abandonné des départements et de l'armée. Le directoire de l'Aisne voulait le livrer à l'Assemblée A Soissons et à Reims, Ket, Antonelle et Peraldi avaient été reçus aux cris de vive la nation et de vive l'Assemblée ! A Reims, la commune et la garde nationale avaient écrit qu'elles ne reconnaissaient d'autres rois que les législateurs. Au camp de Maulde, Dumouriez refusait de faire prêter à ses troupes le serment exigé par Dillon. Au camp de Maubeuge, Dillon, consterné de ce refus, apprenant la résolution du directoire de l'Aisne, voyant les officiers et les soldats garder le silence à la prestation du serment, se rétractait fort péniblement et cessait de correspondre avec Lafayette. A Metz, Luckner se contentait de gémir. A Phalsbourg, à Wissembourg. à Lauterbourg. les commissaires de l'Assemblée, Carnot, Coustard, Prieur de la Côte-d'Or et Ritter étaient accueillis par les acclamations des troupes ; ils réunissaient l'état-major de Biron : Vous soumettez-vous, disait Carnot, purement et simplement aux décrets de l'Assemblée, oui ou non ? Oui, sans restriction, répondait Biron. Oui, répondaient après leur général la plupart des officiers de l'état-major. Les commissaires ne destituaient que Victor de Broglie, Caffarelli du Falga, Briche, Rouget de Lisle et quelques autres[50].

Cependant, le 15 août, a lieu dans la plaine de Sedan la revue des troupes de Lafayette. Le général, accompagné du maire et de la municipalité de la ville, fait lire la formule du serment ; mais pas une voix ne crie vive Lafayette, et on entend de divers côtés vive l'Assemblée. Les compagnies de canonniers ne veulent prêter d'autre serment que celui d'être fidèles à la nation et à ses représentants. Les volontaires de l'Allier refusent de lever la main et un capitaine sortant du rang dit au général : La liberté, l'égalité, l'Assemblée nationale, voilà les seuls noms qui puissent entrer dans nos serments. La compagnie des grenadiers de Mayenne-et Loire imite le bataillon de l'Allier. Les jours se passent ; on apprend que l'Assemblée a destitué Lafayette ; des émissaires venus de Paris, entre autres Westermann, se répandent dans le camp ; quelques-uns, pour mieux se déguiser, se présentent comme recrues. Lafayette laisse distribuer à ses troupes les journaux de Paris et mettre à la poste des pétitions contre lui ; il veut, dit-il, laisser à ses adversaires des moyens qui seraient indignes de sa cause. Bientôt l'armée regarde la résistance de son général comme une révolte. Plusieurs veulent sauver sa vie ; la plupart disent tout haut que Lafayette est un traître qu'il faut livrer pieds et poings liés à l'Assemblée. La cavalerie hésite encore, mais l'infanterie et surtout l'artillerie se prononcent avec éclat contre le général. Le colonel du 6e régiment, Galbaud, a refusé d'assister à la réunion de Douzy, qu'il déclare illégale ; les canonniers, écrit-il au Moniteur, n'ont jamais été la dupe de Lafayette, on les décorait du titre de factieux, mais ils ne voulaient pas encenser l'idole du jour ni se séparer de l'Assemblée[51].

Lafayette se jugea perdu. Il prit les dispositions nécessaires à la sûreté de l'armée. Il écrivit une lettre antidatée du 13 août, dans laquelle il prenait sous sa responsabilité unique et personnelle toutes les mesures de résistance à l'Assemblée. Il fit ses adieux à la municipalité de Sedan et à ses soldats. Le 19 août il passait la frontière avec tout son état-major[52]. Il tomba dans les avant-postes autrichiens et fut arrêté. Il aurait échappé s'il l'avait voulu : ses compagnons s'étaient saisis d'un paysan qui devait leur servir de guide, mais cet homme s'y refusait obstinément ; Lafayette le relâcha au lieu de lui faire peur. La nouvelle de son arrestation fut accueillie dans le camp des alliés avec les plus vifs transports ; la justice de Dieu, disait-on, avait livré un homme abominable au destin qu'il méritait ; on le regardait comme coupable du crime de lèse-majesté ; on croyait qu'il prêcherait partout l'insurrection, s'il était remis en liberté ; il fallait donc le tenir sous bonne garde et le mettre dans une forteresse jusqu'au jour où Louis XVI restauré voudrait bien décider de son sort. Monsieur, lui écrivit le duc de Saxe-Teschen, on ne vous a point arrêté ni comme constitutionnel ni comme émigré ; mais c'est vous qui avez été le fauteur de la Révolution, qui avez donné des fers à votre roi, qui avez été le principal instrument de toutes ses disgrâces ; il n'est que trop juste qu'on vous retienne[53].

 

VII. Telle était après le 10 août la situation de l'armée française. L'Europe la jugeait incapable de faire face à l'invasion prussienne. Mais cette armée était entièrement dévouée à la Révolution ; elle aimait avec passion Le nouveau régime ; elle voulait combattre, souffrir et mourir pour la cause de la liberté.

Elle devait tout à la Révolution. La Révolution avait renversé les barrières que le manque de naissance, de fortune ou de faveur opposait encore au mérite. Elle avait proclamé que tout Français était admissible aux grades militaires ; elle avait donné à tout soldat qui servirait seize années, les droits de citoyen actif ; elle avait établi l'égalité entre les régiments de même arme et augmenté la solde, accordé la décoration militaire aux officiers de us grades après vingt-quatre ans de services révolus, fin p. pension ou les Invalides à tout militaire qui aurait rente ans de services et cinquante ans d'âge, le maximum de la retraite du grade à quiconque serait blessé à guerre et désormais incapable de porter les armes, des pensions particulières à ceux qui contracteraient des infirmités au service. Un vieux capitaine du 6e régiment avouait à Lafayette qu'il n'aimait pas la Révolution, mais qu'il se battrait pour elle parce qu'elle lui donnait la retraite que lui refusait l'ancien régime[54].

L'armée avait donc insensiblement donné son affection au pouvoir législatif. C'était à l'Assemblée qu'elle exprimait directement ses désirs. Les sous-officiers et les soldats voyaient dans la réunion des représentants de la nation le seul pouvoir légitime, le seul qui leur rendait justice et accueillait leurs plaintes. En avril 1790, les chasseurs de Normandie et le régiment de Colonel-général, retirés dans la citadelle de Lille, disaient au lieutenant du roi qu'ils attendraient la décision de l'Assemblée. Une lettre du président de la Constituante ramenait au devoir la garnison de Tarascon et apaisait les plus graves désordres.

Avec quel enthousiasme l'armée s'était ralliée autour de l'Assemblée, lorsqu'elle avait appris la fuite de la famille royale ! La Constituante prescrivit alors un nouveau serment pour les troupes de ligne et les gardes nationales ; ce serment enjoignait de maintenir la Constitution, mais il portait aussi qu'il fallait mourir plutôt que de souffrir l'invasion du territoire français par des troupes étrangères et n'obéir qu'aux décrets qui seraient rendus en conséquence par l'Assemblée nationale. Il fut prêté partout avec la plus grande solennité et le plus imposant appareil. Jusque-là, dit Bonaparte, si j'eusse reçu l'ordre de tourner mes canons contre le peuple, je ne doute pas que l'habitude, le progrès, l'éducation, le nom du roi ne m'eussent porté à obéir, mais le serment national une fois prêté, c'était fini ; je n'eusse plus connu que la nation[55].

Après le 10 août 1792 comme après le 20 juin 1791, l'armée ne connut plus que la nation. Le retour de Varennes, assure Lavallette, avait détruit la majesté du trône ; tout sentiment d'amour et même d'intérêt pour le monarque était éteint dans le cœur du soldat : on ne comprenait plus la nécessité d'un roi ; l'armée ne tenait plus à lui par aucun lien[56].

Beaucoup d'officiers étaient encore attachés au roi et à la Constitution de 1791. Les colonels et les lieutenants-colonels, mandait Biron à Servan, ne me paraissent pas très patriotes et il est plus prudent de les surveiller que de leur accorder une grande confiance. Le nom du roi, écrit le duc de Raguse, avait encore une magie que rien n'avait altérée dans les cœurs droits, la majorité des élèves de l'école de Châlons était royaliste constitutionnelle et j'appartenais à cette nuance d'opinion[57]. Après le 10 août, le maréchal de camp qui commandait l'avant-garde de l'armée du Centre, Deprez-Crassier, affirmait à Hohenlohe qu'il servait la France libre et le roi. Le commandant de Longwy répondait aux sommations des alliés qu'il combattait au nom de la nation et du roi. Le commandant de Verdun, Beaurepaire, faisait la même réponse ; il ne pouvait rendre la place, disait-il, sans manquer à la fidélité qu'il devait au roi, ainsi qu'à la nation et à la loi[58].

Mais les officiers décidés à suivre la pente de la Révolution formaient un puissant parti. Dès 1790, dans le régiment où servait Dommartin, le lieutenant-colonel, trois officiers et tous les lieutenants en troisième, qui n'avaient rien à perdre, s'étaient déclarés pour le parti populaire. Leur nombre n'avait fait qu'augmenter ; les capitaines qui voulaient devenir colonels, les lieutenants qui voulaient devenir capitaines, les sous-lieutenants qui voulaient devenir lieutenants, accueillirent la journée du 10 août sans répugnance. Nous nous sentons en état d'être de bons capitaines, disait le lieutenant Montauban après le 20 juin 1792 à son colonel Dampmartin ; Monsieur, lui répliqua ce dernier, l'an dernier vous ne songiez qu'à devenir un bon lieutenant, cette année vous vous jugez capable d'être un bon capitaine, l'année prochaine vous aurez assez de mérite pour être colonel[59].

Les officiers patriotes l'emportèrent. Avec le levier des soldats, dit Bonaparte, ils conduisaient le régiment et faisaient la loi ; s'ils se trouvaient dans les salons ou parmi leurs camarades, ils se voyaient en minorité ; mais dans la rue ou parmi les soldats, ils se retrouvaient au milieu de la nation tout entière[60].

Voilà pourquoi l'armée abandonna Lafayette et acclama la journée de la Saint-Laurent. Ce n'était plus l'armée royale ; c'était l'armée de la Révolution, l'armée nationale qui ne tenait compte que de la patrie, et, selon le mot de Lavallette, elle restait fidèle, avant tout, à sa haute destinée de défendre le territoire. Un très petit nombre d'officiers démissionnèrent ou émigrèrent après le 10 août. Les autres sacrifièrent à la France les inclinations secrètes d'un cœur royaliste. Je pense, écrivait Victor de Broglie, que l'Assemblée n'a pas le droit de suspendre le roi ; mais, à cause du danger de la patrie et de la présence des ennemis, je reste à l'armée pour m'opposer à l'invasion. Je demeure à mon poste, disait d'Aiguillon, pour défendre l'indépendance nationale. Dommartin mandait à sa mère qu'il fallait tendre le dos ; mais, ajoutait-il, c'est à l'armée qu'est la place de tous les gens de bien, et il ne lisait plus les journaux et ne pensait qu'à son service. Un officier de l'armée du Rhin haranguait ainsi ses soldats : Camarades, on veut nous diviser, mais loin de nous toute dissension ; nous sommes en présence de nos ennemis irréconciliables, ne les perdons pas de vue et bornons-nous à ce seul objet[61].

Tels étaient les sentiments des troupes de ligne. Les volontaires pensaient de même ; eux aussi ne voulaient pas délibérer sur les affaires intérieures ; eux aussi ne voyaient que l'ennemi du dehors. Je suis l'interprète du bataillon, écrivait Davout au directoire de l'Yonne, et nous sommes certains que vous ne partagez pas l'opinion des directoires qui ont trahi le peuple et embrassé une cause aussi vile, aussi méprisable que les gros et importants personnages qui en étaient l'objet. Vous prenez sous notre sauvegarde tout ce qui nous appartient ; nous, nous savons combien les délibérations des corps armés sont illicites et attentatoires à la liberté et à l'égalité ; nous ferons nos efforts pour empêcher notre ennemi commun de mettre le pied sur notre territoire ; voilà tout ce que nous pouvons faire pour le service de la patrie. Dans un pays libre, s'écriait devant l'Assemblée l'orateur des deux premiers bataillons de la Gironde, tout citoyen, depuis le soldat jusqu'au général, doit marcher à l'ennemi sans tourner la tête en arrière. Notre poste est aux frontières, disaient les volontaires de Sedan et de Pont-sur-Sambre, nous ne le quitterons qu'à la dernière extrémité ; si l'Assemblée a besoin de bataillons, qu'elle parle, mais elle en trouvera dans l'intérieur et au camp de Soissons. Le 16 septembre, quatre jours avant Valmy, un volontaire de l'armée de Kellermann mandait à ses amis de la capitale : Notre armée ne s'occupe pas beaucoup de l'intérieur et nous ne voyons que les Prussiens. Le mot de patrie, racontait plus tard Lavallette, me faisait battre le cœur ; toutes les idées qui m'avaient tourmenté à Paris s'étaient effacées ; le bonheur de combattre pour ma patrie animait toutes mes pensées, et ces impressions profondes étaient partagées par tous les Français[62].

Cet ardent patriotisme est le principal secret des victoires de la Révolution. L'armée ressemblait à la Convention qui se réunissait au lendemain de Valmy et que nous décrit Mallet du Pan ; cette assemblée, dit-il, était composée individuellement de pygmées, mais ces pygmées, toutes les fois qu'ils agissaient eu masse, avaient la force d'Hercule, celle de la fièvre ardente. De même, l'armée française se composait peut-être individuellement de soldats inférieurs aux Prussiens par l'expérience et la discipline, mais toutes les fois qu'elle agissait en masse, elle avait une force que n'eurent jamais les alliés, celle de l'enthousiasme qui, selon le mot de Toulongeon et de Gouvion Saint-Cyr, suppléait à tout[63]. Elle luttait pour la liberté et pour l'indépendance. Je pense, écrivait le grenadier Gazin à son fils, soldat au 34e de ligne et désarmé par la capitulation de Longwy, je pense que la guerre d'un peuple qui veut être libre contre les tyrans, ne peut durer longtemps, car le peuple a pour lui la raison, sa force et sa bravoure ; il est debout ; il n'a qu'à dire : je veux être libre, et il le sera. Le soldat Fricasse s'écriait, à la nouvelle des premiers succès de l'envahisseur : avec du courage on vient à bout de bien des choses, et il faisait à Dieu la prière suivante : Dieu de toute justice, prends sous ta protection une nation généreuse qui ne combat que pour l'égalité ![64]

On manqua, dans les premières campagnes, des choses les plus indispensables, mais personne ne désespéra du salut du pays. Lisez les lettres de nos généraux sous le règne de Louis XV, disait Servan à Luckner, et vous les verrez partout se plaindre amèrement de l'indiscipline de leurs soldats, de la négligence des officiers, du dénuement excessif de tous les objets nécessaires, de tout ce qui fait aujourd'hui la base des plaintes que je reçois journellement... toutefois le maréchal de Saxe sut, avec ces troupes dont il avait à se plaindre, battre les Anglais, les Autrichiens, les Hollandais, les Bavarois, les Hessois et les Hanovriens, réunis à Fontenoy, Rocoux et Lawfeld, prendre toutes leurs places fortes, et soumettre le même pays qui devient aujourd'hui le théâtre de la guerre[65]. Ces paroles étaient prophétiques.

 

VIII. Mais d'autres causes importantes expliquent le succès des Français, qui parut inexplicable aux contemporains. Si la nation, écrit Mme de Tourzel, commençait la guerre sans argent, avec une armée désorganisée et des places sans défense, les alliés lui laissèrent le temps de revenir de son premier émoi et agissant toujours mollement, ils laissèrent ranimer le courage si naturel aux Français qui finirent par se défendre comme des lions et devinrent invincibles. Ce furent en effet les retards ordinaires de la cour de Vienne qui sauvèrent la France en 1792. Avec 3.000 hommes, disait le général autrichien Beaulieu, je ne puis que défendre la frontière ; j'habituerai les Français au feu, je les formerai à la guerre et je les apprendrai à nous battre. L'Autriche, toujours lente à se mouvoir, donna quatre mois de répit à la Révolution. L'armée qui bordait nos limites de Dunkerque à Belfort eut le temps de s'organiser et de s'aguerrir ; la boue et les circonstances aidant, elle suffit à la tâche et Bouillé témoigne qu'elle fut en état de résister à l'ennemi dans le courant de la première campagne[66].

Les troupes du Rhin, que commandaient Biron et Custine, étaient peut-être moins capables que celles du Nord et du Centre de soutenir l'épreuve redoutable de l'invasion[67]. Mais on savait que l'orage éclaterait en Lorraine et en Champagne ; le bruit se répand, disait Lafayette, que les ennemis pénétreront par les Flandres ou par l'Alsace, mais ce sont eux qui le font courir, et ce n'est pas là leur chemin. Aussi avait-on déployé dans la région au nord-est toutes les ressources dont on disposait. On n'avait pu fortifier suffisamment les places et leur donner toute leur valeur militaire ; mais elles étaient à l'abri d'un coup de main et tiendraient quelques jours les envahisseurs en respect. Les approvisionnements de Longwy, de Verdun, de Sedan étaient considérables ; Givet regorgeait de munitions de bouche ; on y sale en ce moment, écrivait Dommartin le 24 décembre 1791, cinq cents bœufs gras et une prodigieuse quantité de moutons et de porcs. Enfin, les armées de Sedan et de Metz s'étaient sérieusement préparées à la défensive ; c'étaient celles auxquelles le ministère avait appliqué sa sollicitude la plus ardente, celles où pendant six mois, malgré les misères et les lenteurs fatales de la situation, malgré les lamentations des généraux, les services s'étaient le plus solidement organisés, celles où les régiments s'étaient le mieux habitués à une action commune, où les troupes, déjà façonnées et endurcies, étaient assez fortes pour regarder les ennemis en face, et donner au pays le temps de compléter ses armements.

Déjà de petits combats livrés par l'avant-garde de Lafayette aux Impériaux avaient lavé la honte de Mons et de Tournai. Le 24 mai, un détachement chargé de faire du fourrage était attaqué près de Florennes, à Hemptinne, par les Autrichiens. Gouvion, qui le commandait, n'avait que 4.000 hommes dont deux bataillons de volontaires, ceux de la Côte-d'Or et de la Marne ; il fit sa retraite en disputant le terrain avec obstination ; il perdit trois pièces de canon, mais qui tirèrent jusqu'au dernier moment. Les chasseurs à cheval reçurent le feu de l'artillerie autrichienne avec la bravoure la plus tranquille. Pendant cinq heures, écrivait Lafayette au ministre de la guerre, pas un homme n'a quitté son rang, et les troupes ont conservé le silence et le sang-froid comme le courage de vieux soldats[68].

Le 11 juin eut lieu un second engagement, celui de Glisuelle. L'avant-garde française était postée à une lieue de Maubeuge et séparée du reste de l'armée par le défilé de la Sambre. Surprise par les Impériaux, elle se replia lentement derrière les buissons qui couvraient le terrain. Elle perdit deux de ses chefs, Gouvion qui fut tué raide par un boulet, et le lieutenant-colonel des volontaires de la Côte-d'Or, Cazotte, âgé de soixante-quinze ans et connu par cinquante ans de services distingués dans l'artillerie. Mais les renforts arrivaient ; le feu de l'artillerie légère arrêta les colonnes ennemies qui se retirèrent sur Mons ; on les suivit à plus d'une lieue au delà des postes qu'occupait l'avant-garde[69].

Quelques jours plus Lard (29 juin), les Autrichiens feulaient une nouvelle attaque sur l'avant-garde de Lafayette et chassaient de Mairieux l'infanterie française. Mais le 99e régiment défendait avec bravoure les haies qui bordent le village ; le 3e et le 41e régiment de chasseurs à cheval faisaient une charge furieuse, refoulaient les Impériaux et les poursuivaient au delà de Bettignies et de Gognies-Cauchies ; l'ennemi perdait 83 prisonniers[70].

La panique du 29 avril avait provoqué dans l'armée de ligne une réaction profonde et salutaire. On se répétait le mot héroïque d'un soldat du 74e régiment, le grenadier Pie ; grièvement blessé, il disait à l'adjudant-général Beauharnais : Mon officier, achevez-moi, que je ne voie pas la honte de cette journée ; je meurs à côté de mon fusil et avec le regret de ne plus le porter[71].

Lafayette avait établi dans son armée une rigoureuse discipline. On loua dans la marche qu'elle fit aux derniers jours de juillet l'ordre et la bonne tenue de ses bataillons[72]. La vie des camps avait exercé sa bienfaisante influence sur les soldats. Les désordres causés par les clubs avaient cessé. Nous parvenons, écrivait Dommartin dès le 20 août 1791, à mettre la discipline sur un pied où elle n'a jamais été[73].

Les troupes de Luckner avaient suivi l'exemple du vieil hussard qu'elles voyaient à leur tête ; elles ont reçu la leçon de l'expérience, disait le maréchal, et ne sont plus étrangères à la guerre. Partout, dans son commandement, on avait strictement exécuté les règlements qu'il prescrivait le 6 mai 1792 : Habituer les troupes d'infanterie à élever des retranchements et des ouvrages de fortification de campagne, à faire de longues marches en observant les précautions qui seraient prises à la guerre, exercer la cavalerie et l'artillerie simultanément avec l'infanterie. Soult raconte que tous les matins, des corps entiers devaient aller à la découverte ou occuper avant le jour des positions sur la frontière ; c'était, dit-il, une fort bonne pratique qui avait pour but d'entretenir la vigilance et d'instruire les troupes des détails du service[74].

Au camp de Maulde, Dumouriez avait su ménager à ses soldats de petits succès par une série d'engagements qui semblaient imprévus, mais qu'il calculait adroitement. Dans un de ces combats, un bataillon de volontaires abandonna ses canons et jeta ses fusils ; Dumouriez fit arrêter et garrotter les plus lâches ; on leur rasa la tête, on les dépouilla de leur uniforme, on les chassa du camp au milieu des huées et des insultes. Il avait formé deux corps de flanqueurs composés chacun de quatre à cinq cents hommes et les menait tous les jours à la petite guerre ; il les renouvelait chaque semaine en les prenant à tour de rôle dans les bataillons ; il donnait aux chefs des détachements une instruction détaillée qui leur marquait exactement les chemins, les ponts, les villages, les censes, les moulins, les bois où ils devaient passer à l'aller et au retour ; il exerçait tout son monde à palissader les redoutes, à jeter des ponts sur la Scarpe, à tracer des tranchées ; il fixait à chacun son poste, en cas d'alerte. Il n'y avait plus au camp, dit-il, ni oisiveté ni cabales ; on y lisait peu de papiers ; les douze mille hommes qu'il renfermait s'aguerrissaient à vue d'œil et les soldats ramenaient fréquemment des chevaux et des prisonniers[75].

On oublie trop souvent que la réorganisation de presque toutes les parties de notre état militaire avait été préparée par l'Essai général de tactique de Guibert, où tous les généraux de la Révolution apprirent les principes de l'art de la guerre, comme les diplomates apprenaient la politique de l'Europe dans les écrits de Favier. On oublie surtout les travaux de ce conseil de la guerre dont Gribeauval était membre et Guibert secrétaire. Malgré la rigueur pédantesque des ordonnances à la prussienne, les troupes, écrit Lafayette, quoique tracassées mal à propos, avaient gagné beaucoup d'instruction manœuvrière et devenaient de plus en plus disponibles. Le règlement élaboré au camp de Saint-Orner et promulgué en 1791 était, de l'aveu de tous les bons juges, un excellent code de manœuvres ; c'est, dit le général Foy, un modèle de concision et de clarté, qui resta pour les subalternes le livre de la loi. A la fin de l'année 1791, Mathieu Dumas faisait manœuvrer la garnison de Metz au polygone par régiment et par brigade ; il observa que tous les mouvements s'exécutaient avec une scrupuleuse attention et une précision irréprochable ; dès ce moment il fut aisé de prévoir que, loin d'entraîner la désorganisation de l'armée, la perte d'un si grand nombre d'officiers serait promptement réparée[76].

En réalité, l'émigration fut un bienfait pour l'armée française. La plupart des officiers de l'ancien régime étaient des gentilshommes de province, très fiers, assez insubordonnés, communément dépourvus d'instruction[77], et l'émigré Las Cases avoue qu'il lui manquait ainsi qu'à ses camarades une éducation forte et suivie[78]. Les sous-officiers qui remplacèrent ces officiers en savaient autant qu'eux et même davantage. Il y a entre les uns et les autres, disait Achille Duchatelet, la même différence qu'entre les amateurs et les artistes ; nous aurons plus d'émulation dans l'armée et il se trouvera des généraux parmi nos soldats[79]. Telle est aussi l'opinion de Lafayette, de Bouillé, de Liger, de Latour-Foissac, des deux Gay de Vernon. Lafayette compte parmi les causes de nos succès l'égalité qui permit à tous les talents de parvenir et assure qu'en 1792 la classe des sous-officiers était très distinguée. et fort supérieure à celle des autres armées de l'Europe. Bouillé les connaissait ; c'étaient, lit-on dans ses Mémoires, des fils de bourgeois ou de riches artisans bien élevés et auxquels le libertinage avait fait prendre l'état de soldat, depuis longtemps instruits et formés dans les exercices militaires, plus accoutumés que les anciens officiers aux devoirs et à l'obéissance que le service exige[80]. Liger reconnait qu'il y avait des ganaches parmi les sergents auxquels on donna l'épaulette, mais il ajoute qu'on trouva dans le nombre des talents très précieux[81]. On croyait, écrit Latour-Foissac, que les grades seraient livrés à l'ignorance ; on ne voulait pas se rappeler que souvent les meilleurs généraux avaient été confondus dans les rangs et que l'esprit propre à la nation française, ce sentiment d'honneur qui n'était pas exclusivement l'apanage de la caste nobiliaire, enfin les lumières plus généralement répandues en France et la meilleure composition des troupes étaient autant de causes qui devaient produire des Rose et des Fabert ; les descendants des Césars furent battus par des héros qui passaient rapidement de la giberne au commandement en chef des armées[82]. Les émigrés, disent les deux Gay de Vernon, furent bien remplacés, parce qu'à la première distribution des grades, on donna la préférence aux plus capables ; la chaleur vraie ou affichée du patriotisme n'était pas encore le moyen le plus facile de parvenir, et l'émigration tourna plutôt au profit de l'instruction des troupes et de leur bon esprit de corps[83].

Les nouveaux officiers prirent sans peine un grand ascendant sur leurs hommes. Les soldats avaient foi en eux. Les uns, sortis des rangs, ne cherchaient qu'à se montrer dignes de leur grade ; les autres, désireux de s'élever comme eux, et s'honorant de leur obéir, s'efforçaient à l'envi d'acquérir la profonde connaissance du métier ; tous étaient unis par une touchante alliance qu'établissaient la communauté d'origine et la simplicité des mœurs, tous se regardaient comme les membres solidaires d'une même famille, tous, dit Lafayette, soldats, sous-officiers, officiers, étaient pleins du même zèle. Je ne puis, écrivait Biron, dire trop de bien des soldats ; ils sont pleins d'ardeur et de patriotisme, prêts à tout entreprendre sous des chefs dont ils ne suspectent pas les principes. Nous aurons bon compte du roi de Sardaigne, mandait Dommartin le 26 septembre, l'ardeur de nos soldats est telle qu'ils ne se donneront pas le temps de construire sur le Var un pont qui faciliterait leur attaque[84].

Les régiments n'étaient pas au complet ; mais le déficit qu'offrait l'armée de ligne ne fut pas aussi considérable qu'on le croyait. Lorsqu'eut lieu l'invasion, il manquait en moyenne cinquante ou soixante hommes à chaque bataillon pour atteindre le chiffre légal. Dans l'armée du Centre, le 1er régiment se composait de 699 soldats ; le 24e de 735 ; le 81e de 679 ; le 22e de 695, etc.[85]. Les régiments de cavalerie à deux escadrons comptaient 300 hommes au lieu de 340 On avait puisé sans scrupule dans les deuxièmes bataillons. On avait fait partir les compagnies de grenadiers qu'on réunit en bataillons : Lafayette, puis Dumouriez eurent six bataillions de ces grenadiers qui renforcèrent de 3.000 hommes l'armée du Nord, et 30 compagnies de grenadiers de ligne, comptant 1,920 hommes, se trouvaient au 10 août dans l'armée du Centre. On forma même dans chaque bataillon de garnison deux compagnies de chasseurs volontaires choisis parmi les gens de bonne volonté que l'âge, la tournure et la force rendaient les plus susceptibles à ce genre de service et Lajard autorisait Luckner à prendre dans les dépôts tout ce qui serait en état de renforcer ses bataillons et ses escadrons de campagne[86].

D'ailleurs si l'armée de ligne n'était pas assez nombreuse pour repousser l'ennemi, elle trouva, dans les volontaires de 1791 qui formaient environ les deux tiers des troupes, un puissant soutien[87].

Il ne faut pas confondre ces volontaires de 1791 avec les volontaires de 1792 qui s'enrôlèrent lorsque le décret du 11 juillet déclara la pairie en danger. Ceux-ci, tirés, d'après le décret, de la garde nationale et choisis par leurs camarades, ne prirent pas les armes sur un simple appel de l'Assemblée, ils furent en réalité soumis à la réquisition. Ils n'eurent pas le temps de s'instruire et de s'aguerrir. On les forma avec tant de précipitation et d'irrégularité que le ministre de la guerre ignorait leur nombre et leur situation et ne put jamais en tenir un état détaillé. Ils arrivaient en guenilles, sans armes, sans gibernes, sans souliers. Beaucoup n'avaient été séduits que par la solde de quinze sous par jour ; ce sont, disait Biron, des gens achetés par les communes et la plupart sans aveu. Il y avait déjà dans les volontaires de 1791 des hommes incapables de supporter les fatigues de la guerre[88]. Mais la levée de 1792 entraina tous les sujets malingres et chétifs. Duhoux à Soissons, Biron à Strasbourg, Chambarlhac à Fort-Louis se plaignaient de ne recevoir que des enfants, des gens contrefaits et infirmes, qui ne pouvaient soulever leur arme. Le tiers du 12e bataillon de la Haute-Saône, levé le 15 août 1792, se composait de garçons de treize à quatorze ans. Dans tous ces bataillons et leurs dépôts, écrivait Carnot-Feulins, il existe des citoyens qui n'ont ni l'âge ni la force pour remplir le métier auquel ils se sont voués[89].

Enfin, ces volontaires de 1792 étaient pour la plupart imprégnés de la doctrine jacobine, exaltés, fanatiques, bien moins souples à la discipline que les volontaires de 1791. C'est à la levée de 1792 qu'appartiennent les bataillons de fédérés[90], qu'appartiennent ces divisions de gendarmerie parisienne qui menaçaient de couper la tête aux aristocrates de Roye et se disaient autorisées à tout exiger et à tout oser[91], ces volontaires de nouvelle levée dont parle Biron, plus embarrassants qu'utiles, plus redoutés que désirés par les officiers-généraux[92]. Pas un général, pas un représentant qui ne blâme les contingents de 1792. Dans les combats livrés en Belgique et sur le Rhin, les bataillons qui se distinguent sont les premiers qu'ait armés leur département c'est-à-dire des bataillons créés en 1791 ; ceux qui se conduisent mal, sont, à peu d'exceptions près, les bataillons de 1792. Aussi les généraux s'opposaient-ils énergiquement en 1793 à la formation de nouveaux bataillons de volontaires. Biron recommandait de compléter plutôt les anciens bataillons, c'est à-dire ceux de 1791 où les recrues se formeraient plus rapidement et mieux[93]. Lorsqu'on voulait, au mois de juillet 1793, envoyer dans la Vendée une division de 6.000 bons soldats, on formait ce détachement en prenant 57 hommes dans chaque régiment de ligne et dans chaque bataillon de volontaires de 1791[94].

Les volontaires de 1791 comptaient en effet dans leurs rangs un grand nombre de jeunes gens instruits, pleins d'enthousiasme, animés par un profond sentiment du devoir et par une force morale qu'ils communiquèrent à leurs camarades. Pas un général, pas un officier qui ne loue leur ardeur et leur dévouement. Ils formaient l'élite de la nation, et ce furent, comme on l'a dit, les vrais volontaires, les seuls qui méritèrent ce titre, les seuls à peu près qui valurent quelque chose[95]. Ils avaient, écrit Gouvion Saint-Cyr, l'énergie, l'entrain, la confiance. Ils eurent, assure Gay de Vernon, plus de tenue qu'on ne le croit communément ; ils accouraient aux frontières, enorgueillis de leur nom, de leur nombre et de leur union ; leur patriotisme était fervent, et leur courage appelait la guerre. Ils ont, témoignait Kellermann, enlevé les hommes les plus propres au service. Victor Perrin, le futur duc de Bellune, rappelant plus tard qu'il s'était engagé en 1791, cinq mois après son mariage, dans le 3e bataillon de la Drôme, s'écriait avec émotion : Ô sublime élan de 91, que ne puis-je te célébrer dignement ! Ô spectacle le plus magnifique que jamais aucune nation ait offert au monde ! Ô jours de patriotisme et de gloire, échauffez et nous et nos générations de vos feux immortels ![96]

La plupart des bataillons de 1791[97] élurent pour chefs des hommes dont ils connaissaient le mérite et les services passés. Un article très sage de la loi prescrivait de ne choisir les officiers et sous-officiers de volontaires que parmi e ceux qui avaient précédemment servi dans les milices bourgeoises ou dans les troupes de ligne[98]. Les bataillons nationaux eurent donc à leur tête d'anciens soldats, et c'est de là, dit Foy, que sont venus presque tous les généraux célèbres dont la France s'honore.

Le 1er bataillon du Lot fut commandé par Bessières ; le 1er de la Drôme par Bon, ancien soldat du régiment de Bourbon ; le 11e des Vosges, par Bontemps, ancien soldat de Roi infanterie ; le 5e des Bouches-du-Rhône, par Chabran ; le 6e de la Drôme, par Championnet, ancien soldat des gardes wallonnes et volontaire du régiment de Bretagne ; le 3e de l'Yonne, par Davout, ancien officier de Royal-Champagne ; le 1er de la Côte-d'Or, par Delaborde et Pille ; le 1er de la Corrèze, par Delmas ; la légion des Allobroges, par Doppet ; le 2e du Var, par Gazan ; le 1er et le 3e des Côtes-du-Nord par Gelin et Félix ; le 8e de la Marne, par Hardy, ancien fourrier à Royal-Monsieur ; le 3e des Vosges, par Nicolas Haxo, ancien soldat de Touraine-infanterie et Jean-Louis Dumas qui avait été gendarme pendant trente-trois ans ; le 13e des Vosges, par Humbert ; le 2e de la Haute-Vienne, par Jourdan, enrôlé dès sa seizième année dans l'infanterie ; le 4e de Seine-et-Oise, par Laharpe ; le 7e du Jura, par Lecourbe, ancien soldat du régiment d'Angoulême ; le 1er de Mayenne-et-Loire, par Lemoine ; le 1er d'Eure-et-Loir, par Huet et Marceau ; le 1er d'Ille-et-Vilaine, par Moreau, le héros de Hohenlinden ; le 1er des Ardennes, par René Moreaux ; le 3e de la Meuse, par Oudinot, ancien sergent au régiment de Médoc : la légion des Pyrénées, par Pérignon ancien sous-lieutenant des grenadiers royaux de Guyenne ; le er des Vosges, par Raoul ; le 5e de l'Ain, par Robin ; le 1er du Haut-Rhin, par Salomon, ancien capitaine au régiment suisse de Diesbach ; le 26 de la Corrèze, par Souham, ancien soldat de Royal-Cavalerie ; le 4e de l'Ardèche, par Suchet : le 1er de la Manche, par Valhubert ; le 5e des Bouches-du-Rhône, par Victor, ancien artilleur du régiment de Valence. A Paris, le 2e bataillon des volontaires élut pour commandants Haquin Malbrancq et Gratien ; le 3c, Prudhon ; le 6e, Boucret ; le 76 bis, Hardy ; le 9e bis ou de l'Arsenal • Friant ; le 4 4e ou 4 2e de la République, Boussard ; le bataillon de Molière, Lefebvre : le 1er bataillon des Lombards, Lavalette et Valletaux ; le bataillon de la Commune et des Arcis ; Dumoulin ; le 3e de la République, Richard ; le 1er des grenadiers, Leval[99].

Le choix des capitaines fut généralement heureux. Le 1er de la Vendée élisait Belliard ; le 3e de la Meuse, Broussier ; le 1er de l'Aisne, Charpentier ; le 1er du Finistère, Chassereaux ; le 3e de la Haute-Garonne, Compans ; le 1er et le 3e du Gers, Dessolles et Delort ; la légion des Allobroges, Dessaix ; le 1er de Saône-et-Loire, Duhesme ; le 1er des volontaires parisiens, Gouvion Saint-Cyr ; le 2e de la Marne, Lochet ; le 40r des Lombards, Lorge : le 2e de l'Aube, Ludot ; le 9e des fédérés, Maison ; le 4e des Vosges, Marion ; le 4 0e du Jura, Meunier ; le 2e et le 7e du Doubs, Michaud et Morand ; le 48 de la Moselle, Molitor ; le 1er du Nord, Mortier qui venait d'être nommé lieutenant de carabiniers ; le 4e de l'Aisne, Pécheux ; le 3e de la Haute-Garonne, Pégot ; le or de la Charente, Pinoteau : le 9e de la Seine-Inférieure, Rouelle ; le 12e des Vosges. Salme ; le 1er de l'Hérault, Soulier ; le 1er du Haut-Rhin, Soult.

Citons encore parmi les adjudants-majors de volontaires qui devinrent plus tard généraux : Brune (2e de Seine-et-Oise) ; Féry (2e de la Marne) ; Delaage (1er de Mayenne-et-Loire) ; Masséna (2e du Var) ; Oulié (légion des Pyrénées) ; Radet (2e de la Meuse) ; Verdier (2e de la Haute-Garonne) ; parmi les lieutenants : Bonnet (1er de l'Orne) ; Boudet (7e de la Gironde) ; Heudelet (3e de la Côte-d'Or) ; Jacquinot (1er de la Meurthe) ; Leclerc (2e de Seine-et-Oise) ; Mouton (9e de la Meurthe) ; Sémélé (3e de la Moselle) ; Subervie (2e du Gers) ; parmi les sous-lieutenants : Defrance (3e des fédérés nationaux) ; Guilleminot (4e du Nord) ; Lannes (2e du Gers) ; Romme (8e du Jura) ; Vincent (1er des Pyrénées-Orientales) ; parmi les sergents-majors, Antoine Merlin, frère de Merlin Thionville (4e de la Moselle) ; parmi les sergents, Compère (10e des volontaires parisiens).

Les bataillons de 1791 avaient d'abord effrayé les généraux par leur turbulence. Mais peu à peu, comme dans l'armée de ligne, la fermentation se dissipa ; l'ordre se rétablit ; les volontaires eux mêmes firent justice des agitateurs ; ceux du 2e bataillon du Pas-de-Calais forcèrent un officier qui faisait des bassesses, à donner sa démission ; ceux du 3e bataillon du Jura protestèrent avec indignation contre la désertion de six d'entre eux ; ceux du 3e bataillon de l'Yonne se calmèrent et devinrent très tranquilles à la voix de Davout. La plupart de ces bataillons, écrit Lafayette qui les a vus de près, étaient excellents. Ils sont, disait Dumouriez, l'espoir de notre résistance par leur bon esprit. Belair, inspectant les volontaires de l'armée du Rhin, n'était mécontent que de deux bataillons sur cinq ; il louait les volontaires de la Haute-Saône et citait ceux de Rhône-et-Loire comme exemple aux troupes de ligne. Montesquieu .jugeait les volontaires de l'armée du Midi plus instruits et plus sages, plus lestes et plus disciplinés que les soldats de l'armée régulière. Le 5e bataillon des Bouches du Rhône, assure le duc de Bellune, pouvait être comparé aux meilleures troupes pour la tenue, l'ordre et la précision dans les mouvements. A la veille de l'invasion, Laharpe et les officiers du 4e bataillon de Seine-et-Oise qui tenaient garnison à Rodemack, signaient la promesse de se défendre à outrance et, si la retraite devenait impossible, de faire sauter le château[100].

Mais les soldats ne s'improvisent pas, et les volontaires de -1791 n'eurent guère que huit a dix mois pour acquérir les fortes qualités nécessaires aux combattants. Malgré le zèle et l'expérience de leurs chefs, malgré leur propre ardeur et leur bonne volonté, ils ne reçurent, en général, qu'une instruction insuffisante. Le temps leur manqua, et le temps seul donne les habitudes militaires.

Heureusement, on faisait déjà une sorte d'amalgame. Les bataillons de volontaires, écrivait Victor de Broglie à Narbonne, sont bien en général, mais il est intéressant de favoriser le mélange de leurs postes et de leurs services avec les troupes de ligne afin d'accélérer leur instruction. Ce mélange s'opéra partout, et, du haut de la tribune, Aubert-Dubayet le recommandait aux généraux ; il serait très possible, disait-il, d'embrigader les gardes nationales avec les troupes de ligne, c'est-à-dire non pas d'incorporer les hommes, mais de réunir les bataillons. Lorsque Custine allait, dès le commencement de la guerre, se saisir des gorges de Porrentruy, Luckner lui commandait, avant tout, de composer son corps à peu près également en troupes de ligne et volontaires nationaux. Kellermann employa ce système d'embrigadement en Alsace, et le 1er bataillon du Haut-Rhin, où Soult était capitaine, appartenait à la même brigade que le 13e d'infanterie. Lafayette divisa son corps de bataille en huit brigades, composées chacune de deux bataillons de volontaires et d'un régiment de ligne. Le régiment de troupes régulières occupait le centre, et son colonel commandait la brigade. Durant la campagne de 1792, le 1er bataillon de l'Aisne et le 3e de Paris furent toujours adjoints au 43e d'infanterie ; le 4e de la Marne et le 1er de la Vienne au 55e de ligne ; le 1er de la Marne et le 6e de la Sarthe au 94e ; le 1er de la Meurthe et le 2e de Saône-et-Loire au 17e ; le 1er de l'Allier et le 1er de la Charente au 29e ; le 1er de la Seine-Inférieure et le 5e des Vosges au 98e ; le 4e des Ardennes et le 5e de la Meurthe au 71e : le 2e de la Marne et le 3e du Nord au 99e. Dumouriez garda l'ordre de bataille établi par Lafayette et forma constamment ses lignes en plaçant un régiment de l'armée régulière entre deux bataillons nationaux. Il envoyait au secours de Verdun un bataillon de volontaires, mais en le faisant soutenir par le 47e d'infanterie. Il postait au défilé de la Croix-au-Buis le 2e bataillon de la Meuse auquel il joignait le 71e de ligne et Un escadron de dragons. Son lieutenant Dillon mettait à la côte de Biesme trois régiments d'infanterie à côté des volontaires et aux Islettes un régiment de hussards et une centaine de vieux soldats à côté de cent volontaires des Vosges. La fidélité des troupes de ligne, a dit Beaulieu, était encore suspectée, mais les volontaires les surveillaient, sans qu'on leur en eût donné la mission, et les vieux régiments ne pouvaient avoir d'autre ambition que de soutenir en présence de l'ennemi leur réputation de bravoure ; ceux qui devaient se battre le mieux, furent précisément ceux qui se battirent le moins, mais ils furent utiles à forcer les autres à se battre, et ceux-ci s'en acquittèrent très bien[101].

Un grand nombre de ces volontaires montrèrent du courage. Leur contact incessant avec les troupes de ligne leur avait donné l'aplomb et la solidité. Ce n'est que de la faïence bleue, disaient les émigrés par allusion à l'uniforme des volontaires ; mais on avait eu l'occasion de présenter cette faïence au premier feu pour la durcir[102]. A la déroute de Mons, le 2e bataillon de Paris fit rougir de leur lâcheté le 5e et le 6e dragons ; je ne connais pas, disait Biron, de bataillon plus brave, plus ferme, plus soumis aux ordres qu'on lui donne. Le 1er bataillon de Mayenne-et-Loire se décourageait après la prise de Verdun, mais quelques jours plus tard, à Dommartin-sous-Hans, il résistait à la panique. Le 1er d'Eure-et-Loir assaillait hardiment les Hessois. Le 1er de la Saône-et-Loire et le 2e de la Moselle, que Kellermann avait encadrés dans son armée de ligne, firent preuve d'une étonnante fermeté dans la journée du 20 septembre, et leur général louait cette brave garde nationale formée depuis quelque temp. Le 1er de la Corrèze, dont le directoire de l'Oise avait dénoncé les désordres, donna dans le Hundsrück l'exemple de la vaillance[103].

Les volontaires de 1791 avaient donc pris insensiblement l'esprit des troupes régulières, et une généreuse concurrence s'était établie entre les milices nouvelles et les vieux corps. L'organisation des volontaires, dit le général Pamphile Lacroix, excitait leur émulation et les mettait en rivalité avec les troupes de ligne[104]. Les querelles qu'avait causées la différence d'origine et d'uniforme, cessèrent à l'approche de J'ennemi. Je vous montrerai, écrivait Dumouriez à Couthon, une armée brûlant de zèle, de courage, de civisme et surtout de fraternité[105].

Ce fut cette armée composée de troupes de ligne et de volontaires de 1791 qui tint tête à l'invasion. On ne peut, dit le Prussien Minutoli, comparer ces carmagnoles déguenillés aux soldats des Hoche et des Bonaparte, mais, malgré la panique du 15 septembre, il faut reconnaître leur bravoure ; les troupes bien organisées et conduites par des officiers qui connaissaient la guerre, se sont presque toujours bien battues et n'ont été que dans des cas extrêmement rares la victime de l'inexpérience[106].

D'ailleurs, le général qui dirigea la résistance se garda d'exposer l'armée aux risques d'une bataille en rase campagne, Dumouriez transporta le théâtre de la guerre aux Islettes, à Grandpré, en avant de Sainte-Menehould, dans la région boisée et boueuse de l'Argonne. Il sut affaiblir l'adversaire et fortifier ses propres troupes, soit en ne livrant que de petits combats, soit en défendant des positions avantageuses. Ce genre de lutte était inévitable. Les journalistes le désapprouvaient et disaient hautement qu'il fallait attaquer, que l'attaque seule était digne des Français et de leur courage, que le gain d'une bataille purgerait d'ennemis le territoire et assurerait la paix[107]. Mais tous les généraux se prononçaient pour une stricte défensive. Dans la position où nous nous trouvons, écrivait Luckner ou plutôt son chef d'état-major, Victor de Broglie, celle qui destine les généraux français à mener à l'ennemi des soldats peu accoutumés aux fatigues, courageux par élan, mais sans cette habitude de la guerre qui seule en fait apprécier les dangers, la vraie tactique à observer, c'est d'environner chaque camp d'ouvrages et de retranchements imposants, de ne se livrer qu'à des attaques de postes, d'éviter toute rencontre en plaine, de choisir des positions fortes et inattaquables, d'aguerrir successivement par de petites rencontres, mais habituelles, mais journalières, ceux qui passeraient facilement, subitement même, de l'ardeur la plus vive au découragement le plus absolu[108]. Le vieux Lamorlière était du même avis. Il serait possible, disait-il, d'éviter toute espèce de revers et de tirer un parti très avantageux de la volonté des citoyens en prenant pour quelques semaines au moins des rassemblements considérables derrière des camps retranchés ou de fortes positions[109]. C'est ce que fit Dumouriez. On adopta pour maxime, rapporte un auteur allemand, de changer la grande guerre en une série d'engagements isolés, et cette maxime s'appliqua sur le terrain coupé de Grandpré et de Clermont ; Valmy même n'est qu'un combat de poste[110].

Cette nouvelle manière de combattre était favorable à l'infanterie qu'on n'avait pu dresser et instruire aussi bien que l'infanterie prussienne. Déjà Lafayette avait introduit dans son armée une manœuvre encore inconnue qui convenait particulièrement à l'ardeur du soldat français, à son intelligence remuante et à la prestesse de ses mouvements. Il imagina de couvrir la masse agissante des troupes par un rideau de nombreux tirailleurs qui profitaient des accidents du terrain pour se porter aussi loin que possible, lestes, résolus, toujours prêts à suivre leur pointe ou à regagner le gros de l'armée. Il se rappelait que le marquis de Pescaire avait gagné la bataille de Pavie en lançant pêle-mêle et sans ordre 4.500 arquebusiers bien exercés au milieu de l'ordonnance française. Il se souvenait que le duc de Guise proposait d'envoyer de la même façon 1.500 soldats expérimentés contre les bataillons suisses pu les reitres qu'ils perceraient à jour et larderaient d'arquebusades comme canards[111]. Durant la guérilla qui précéda la véritable guerre, du mois de mai au mois d'août, Lafayette accoutuma ses troupes à cette tactique. Toutes les fois qu'elles faisaient un mouvement, elles jetaient en avant et lâchaient à l'aventure une foule de tirailleurs. Cette innovation, consacrée par le succès, devint une partie essentielle de l'art militaire. Ce furent les tirailleurs qui décidèrent la victoire de Jemmapes. Leur emploi en grandes bandes date de la campagne de l'Argonne. Il s'agissait, il est vrai, de se défendre et non pas d'attaquer ; mais les Prussiens commirent la faute de s'étendre et de se développer démesurément ; les soldats français en profitèrent avec esprit ; ils se dispersèrent en tirailleurs, trouvèrent des postes favorables, obligèrent les ennemis à détacher aussi des tirailleurs pour les combattre ; il n'y eut pas de grande bataille, mais ces escarmouches aguerrirent l'infanterie française et la préparèrent à des opérations plus vastes[112].

Notre infanterie pouvait donc se présenter aux envahisseurs sans trop de désavantage.- La cavalerie ne valait pas la cavalerie prussienne. Néanmoins, écrit Gay de Vernon, elle avait cette instruction parfaite qu'on ne peut atteindre qu'à la suite d'une longue paix, car notre sol n'est pas habité par des cavaliers de naissance, et nos paysans, nos artisans sont lents à s'identifier avec les chevaux[113]. Elle était, dit Lafayette, manœuvrière, bien montée, et lorsque les alliés l'interrogèrent à Luxembourg sur l'état de son armée, il répondit fièrement qu'il avait confiance dans la cavalerie française et qu'elle se battrait bien[114]. Il disait vrai. Exercée de longue date et dirigée par des chefs hardis et habiles, par Stengel, par Pully, par Frégeville, par Nordmann, par les officiers qu'on nommait sous l'ancien régime les officiers de fortune et qu'on appela pendant la Révolution les vieilles culottes de peau, la cavalerie se battit avec bravoure. Nos chasseurs, rapporte un historien militaire, prouvèrent, dès leurs premières rencontres avec l'ennemi en Champagne et sur le Rhin, qu'ils n'étaient inférieurs ni pour le courage ni pour les ruses du métier aux intelligents et entreprenants hussards prussiens d'Eben et de Wolfradt[115]. On verra dans le cours de ce récit leur acharnement au combat de Fontoy, l'intrépidité du fameux régiment de Chamborant à Montcheutin, l'audace des hussards qui retardèrent la marche des Prussiens seules rives de la Tourbe ou harcelèrent leurs convois, la belle contenance des carabiniers[116] au mamelon de la Lune et le sang-froid des dragons de l'armée du Centre pendant la canonnade de Valmy.

Mais ce qui donnait à l'armée française un incontestable avantage sur l'armée prussienne, c'était l'artillerie. Elle est, disait Lafayette, notre seul point de supériorité sur les ennemis. Dans tous les récits de la campagne, dans tous les mémoires des contemporains, revient la même phrase consacrée et comme proverbiale : L'artillerie française est la première de l'Europe[117]. Seule de toutes les armes, elle n'avait pas été désorganisée par la Révolution ; seule, elle avait fidèlement conservé, à travers toutes les agitations, sa discipline, son instruction et son esprit militaire. Quoi qu'ait dit Gouvion Saint-Cyr, beaucoup d'officiers d'artillerie avaient émigré ; du 1er septembre i791 au 15 juillet 1792, cent sept étaient partis sans donner leur démission ; quelques élèves de l'école de Châlons, entre autres Duroc, avaient pris du service dans l'armée des princes ; Lafayette constatait un déficit effrayant dans les canonniers ; Biron avouait que l'armée du Rhin avait perdu un très grand nombre d'artilleurs, et on peut assurer que le tiers des officiers de l'arme abandonna la France[118].

Néanmoins, dans l'artillerie comme dans l'infanterie et la cavalerie, ceux qui restaient prirent la place de ceux qui partaient : les capitaines devinrent chefs de bataillon ; les lieutenants, capitaines ; les sous-officiers, officiers. Bonaparte, lieutenant en premier au mois de juin 1791, était nommé capitaine à l'ancienneté le 11 septembre 1792. Au 1er avril 1793, l'ancien régiment de la Fère comptait vingt-sept capitaines parvenus par les grades et qui n'étaient encore en 1785 que sergents ou sergents-majors dans ce même régiment[119].

L'émigration fut d'ailleurs moins considérable dans l'artillerie et le génie que dans les autres armes. Gay de Vernon en donne finement la raison. On ne vit pas, dit-il, émigrer Champmorin, Meunier, d'Arçon, Doyré, d'Hangest, d'Aboville, d'Urtubie et leurs successeurs les plus proches et les plus illustres, Marescot, Dejean, Chasseloup-Laubat, Tholosé, Eblé, Lariboisière, Senarmont. Mais dans ces corps spéciaux, le service et le genre d'instruction tenaient l'officier éloigné de la cour et rapproché du territoire national. L'exemple des seigneurs de Versailles et des oisifs gentilshommes de province ne pouvait être contagieux pour des militaires occupés de travaux utiles. Les souvenirs et les habitudes font partie du patriotisme ; un ingénieur s'attache au sol qu'il a fouillé, l'artilleur à l'arsenal qu'il a construit ; on aime doublement son pays quand on l'a retranché et armé[120].

Il faut ajouter que les officiers des armes spéciales étaient dispensés de la preuve de quatre degrés de noblesse qu'exigeaient les ordonnances de 1781 et de 4788. Il y avait par conséquent dans l'artillerie beaucoup de roturiers naturellement dévoués au nouvel ordre de choses ; ceux-là entraînèrent les autres. Au 4e régiment qui tenait garnison à Valence, les capitaines Gouvion, Vaubois, Faultrier, Borthon, Villantroys, de Sugny, Songis, Ducos de Labitte, Pernetty, Taviel, les lieutenants Bonaparte et d'Authouard s'étaient déclarés pour la Révolution. Ce régiment-ci, écrivait le futur empereur, est très sûr en soldats, sergents et la moitié des officiers. Lui-même lisait régulièrement à sa compagnie les articles du Moniteur et s'était fait affilier au club de Valence dont il devint secrétaire. Un capitaine d'artillerie proposait au club de Maubeuge de briser la couronne royale en quatre-vingt-trois parties qui seraient envoyées à chacun des quatre-vingt-trois départements. Au camp de Sedan les artilleurs se soulevaient les premiers en faveur du 10 août et le lieutenant-colonel du 6d régiment, Galbaud, dénonçait au Moniteur les projets de Lafayette. A l'école de Châlons, cinq élèves, entre autres Demarçay et Foy, étaient membres du club jacobin. Lorsque l'artillerie de la garnison de Metz marcha sur Varennes, à la nouvelle de l'arrestation de Louis XVI, elle dit à ses officiers que le premier coup de canon serait pour la voiture royale, et le second, pour eux, s'ils ne faisaient pas leur devoir[121].

Ce corps, presque entièrement républicain, était excellent. L'ancienne monarchie avait fait beaucoup pour l'artillerie. Elle mit successivement à la tête de l'arme M. de Vallière, lieutenant-général, homme qui avait poussé le service de l'artillerie aussi loin qu'il peut aller[122] et, après Vallière, ce Gribeauval que la France devrait honorer à l'égal de Vauban.

Vallière réglementa sévèrement l'admission et l'avancement dans le corps de l'artillerie ; il fallait subir un examen pour parvenir au grade de capitaine en second. Il développa les écoles où soldats et officiers tenus sans cesse en haleine, formés par de continuels exercices, acquirent une forte instruction à la fois théorique et pratique. IL établit la fixité des calibres et l'uniformité des pièces.

Gribeauval, placé en 1776 à la tête de l'arme avec le titre de premier inspecteur-général, sut combiner ce qu'il avait trouvé de bon et d'utile en Autriche et en France, et former ainsi, comme il disait, une artillerie qui déciderait presque toutes les actions. Il varia les engins selon les besoins de leur emploi. Il créa un matériel distinct pour chacun des services de campagne, de siège, de place et de côte. Il rendit plus courtes les proportions des pièces, introduisit un obusier du calibre de six pouces et limita à trois (12, 8, 4) les calibres des canons pour la guerre de campagne. Il adopta la hausse et sépara l'avant-train de l'affût en les reliant par la prolonge. Tout ce qui sortait des arsenaux eut des dimensions exactes et précises. L'artillerie forma sept régiments ; chaque compagnie dut prendre soin de son propre matériel : les mêmes officiers et les mêmes soldats furent attachés constamment aux mêmes pièces ; l'infanterie n'aida plus les canonniers qui firent seuls leur service et eurent chacun leur fonction spéciale. Gribeauval mourut en 1789, mais il léguait à la Révolution un recueil d'ordonnances qui réglementait minutieusement tous les détails de l'instruction et du service de l'artillerie, un matériel uniforme d'une grande mobilité et d'une solidité à toute épreuve, enfin un corps admirable auquel de sages dispositions et des exercices fréquents avaient donné l'expérience, la fermeté, la justesse et la rapidité du tir[123]. Foy témoigne qu'on ne trouvait que dans l'artillerie française l'universalité des connaissances et la fécondité des ressources. Les officiers sortis des écoles spéciales, raconte le duc de Bellune, joignaient l'instruction la plus solide à l'éducation la plus brillante ; les sous-officiers vieillis dans leur emploi formaient une classe vraiment respectable ; les soldats étaient l'élite de la population militaire ; à Valence, le 4e régiment continuait à se montrer aussi docile qu'il devait bientôt se montrer entreprenant sur le champ de bataille ; il conserva ses habitudes de subordination et ne permit pas que le moindre excès vînt flétrir son drapeau[124].

Mais la France n'avait pas encore d'artillerie à cheval, Lafayette la lui donna. Il obtint de l'Assemblée constituante la création de deux compagnies d'artillerie volante ; l'une, à son armée, fut commandée par le capitaine Barrois ; l'autre, à l'armée de Luckner, par le capitaine Chanteclair. Mais ces deux compagnies ne suffisaient pas. J'ai causé sur cet objet, disait Lafayette au ministre, avec Frédéric II, le prince Henri, le duc de Brunswick, Mollendorf, avec Loudon et Lacy et les principaux généraux de Prusse et d'Autriche ; la prompte formation d'une artillerie à cheval est un des plus grands services que le ministre de la guerre puisse rendre à l'armée française. Ce fut sous son commandement que l'artillerie légère obtint ses premiers succès. Les Impériaux avaient beaucoup souffert à Glisuelle du feu des quatre pièces que commandait le capitaine Barrois ; mon goût pour cette arme, écrivait Lafayette à Lajard, s'est encore augmenté et si j'avais à me battre dans la position étendue que j'occupe, je suis bien sûr que mes quatre pièces seraient d'une grande utilité ; mais, ajoutait-il, je vous recommande avec la plus vive instance de former tout de suite mes compagnies ; je voudrais en avoir au moins quatre, une à l'avant-garde, une à la réserve, et deux à chaque aile. Il ne cessait de recommander l'artillerie à cheval, cette arme excellente, et souhaitait que toutes les pièces de 8 et tous les obusiers de son armée fussent servis par des canonniers montés. Un décret du 29 avril 1792, proposé par un ancien officier de l'arme, Lacombe Saint-Michel, décida que le corps de l'artillerie serait augmenté de neuf compagnies de canonniers à cheval : deux furent attachées au 1er et au 2e régiment, et une à chacun des cinq autres[125].

En 1791, à Metz, il demanda au régiment d'artillerie cinquante cavaliers de bonne volonté et au 12e régiment de chasseurs à cheval cinquante autres cavaliers ; cette compagnie de cent hommes fut commandée par le capitaine Barrois et le lieutenant Debelle ; après six semaines d'exercice, elle était suffisamment instruite pour manœuvrer en ligne.

Cette supériorité de l'artillerie eut sur le moral de l'armée plus d'influence qu'on ne le croit d'ordinaire. Le soldat comptait sur cette puissante protection ; il savait que les batteries seraient toujours habilement disposées et parfaitement servies ; c'est du succès de cette arme, observe Dumouriez, que dépend la confiance des troupes et leur courage se refroidit sensiblement, lorsqu'elles voient leur artillerie recevoir un échec ou se rebuter[126].

Il reste à parler de l'intendance. Elle avait à sa tête des hommes probes et vigilants qui montrèrent autant d'activité que de rigidité dans leurs fonctions ; c'étaient les commissaires-ordonnateurs[127] Petitjean qui suivit, le 12 septembre, le corps de Chazot et fut, après Valmy, attaché à l'avant-garde de Beurnonville ; Malus, dont Dumouriez ne pouvait trop louer le zèle et les talents ; Boyé, qui envoyait les fourrages et rendit les services les plus importants[128] ; l'intègre Petiet, qui fut ministre de la guerre sous le Directoire et réprima si sévèrement les désordres et les rapines de ses subordonnés. La régie des vivres de l'armée, dit Dumouriez, avait été portée au point de la perfection par soixante années d'expérience[129]. Elle assura toujours la subsistance des armées et les opérations des généraux. Les provisions de guerre firent quelquefois défaut, celles de bouche ne manquèrent jamais, au moins par la faute de l'administration militaire. L'armée française fut mieux ravitaillée en 1792 qu'elle le fut en 1870, dans la même contrée. Lorsque Dumouriez parut devant la Convention, au. retour de la campagne, il rendit hommage à ceux qui avaient su, malgré la saison et la fange des chemins et les mouvements imprévus des troupes, entretenir l'abondance dans son camp ; c'est à leurs soins, dit le général, qu'on doit la bonne santé du soldat[130].

Enfin, dernier et grand avantage, l'unité de commandement fut établie après le 10 août. Les forces que la France opposait à l'invasion se réunirent sous une même autorité, celle de Dumouriez. Si les ennemis, écrivait Victor de Broglie à la fin de mai, exécutent une attaque sur notre territoire, je ne sais vraiment de quelle manière les différents pouvoirs militaires, maintenant indépendants les uns des autres, pourraient se concerter pour opposer une résistance combinée[131]. Il n'y eut après le 10 août qu'une volonté. Lafayette craignait les généraux prussiens[132] ; Luckner, qu'on affubla du titre de généralissime, était timide et incapable ; Dumouriez alla tête levée et osa. Du 28 août au 20 septembre, il est seul en face de l'armée prussienne, et s'il commet des fautes, il les répare aussitôt. Il y a plusieurs chefs dans le camp des alliés ; il n'y a qu'un chef dans l'armée française, un chef résolu à barrer par tous les moyens, par les négociations comme par la guerre, le chemin de Paris aux alliés. En réalité, pendant toute la campagne, Dumouriez exerça la dictature diplomatique et militaire ; il n'en fit qu'à sa tête et n'écouta ni les conseils du ministre, ni les clabauderies des journalistes et de ses officiers, ni les terreurs de Paris. Les coalisés furent indécis et faibles ; Dumouriez seul fut agissant, et, lorsque dans les derniers jours de septembre, des conflits d'autorité s'élevèrent entre Kellermann et lui, il sut encore imposer son plan, garder la direction de la guerre, tenir dans ses mains, jusqu'à la retraite des Prussiens, le commandement des troupes qui défendaient la frontière de Champagne[133].

 

 

 



[1] Lafayette à de Grave, 6 mai (arch. guerre).

[2] Sybel, 4e édit., I, p. 544.

[3] Moniteur du 9 juillet : Lajard à Luckner, 22 juin : d'Abancourt à Luckner, 8 août (arch. guerre). et au président de l'Assemblée (arch. nat., AA, 61).

[4] Dumont, Souvenirs, 1831, p. 383 : je tiens ce fait de lui-même. Il est vrai, disait la marquise de Coigny, que pour avoir de ces ministres-là, il n'y a qu'à se baisser et à prendre. (Lettres, 1884, p. 123.)

[5] Servan à Lafayette, juin (arch. guerre).

[6] Rapport du 13 juin, Moniteur du 16.

[7] Lajard à Luckner, 22 juin. et Moniteur du 12 juillet.

[8] D'Abancourt à Luckner, 1er août (arch. guerre).

[9] Rapport de Lajard, Moniteur du 12 juillet ; Délib. du cons. exéc. appelant Luckner à Châlons ; Rapport de Dumouriez, 13 juin : Bouillé, Mém., 417.

[10] V. de Broglie et Kellermann à Servan, 22 mai et 17 juin ; Lafayette à Lajard, 25 juin (arch. guerre) ; lettre de la municip. d'Avesnes, Moniteur du 27 juillet : lettre de Custine, Moniteur du 18 août ; lettre des admin. du Bas-Rhin, Moniteur du 20 juillet.

[11] En réalité, 164.269 hommes ; voir, pour ce chapitre, Grimoard, Tabl. histor., I, 347-359 : Poisson, L'armée et la garde nationale, 1858, I, passim ; le Journal militaire de Gournay, 1790-1792, et le Moniteur.

[12] Le roi seul nommait les maréchaux de France, au nombre de six.

[13] 24.000 (Flandre), 19.000 (Sedan), 17.000 (Metz), 22.000 (Rhin).

[14] Kellermann au ministre, 1er juillet et 23 août (arch. guerre).

[15] Moniteur du 23 août, lettre de Prieur.

[16] Lafayette à Lazard, 25 juin (arch. guerre).

[17] Rapport de Lajard, Moniteur du 12 juillet.

[18] Luckner à l'Assemblée, Moniteur du 19 juillet.

[19] Kellermann à Servan, 10 juin, et à Lajard, 21 juillet ; cp. Victor de Broglie à Narbonne, 9 janvier (arch. guerre).

[20] Décret du 24 janvier, sanctionné le 25, art. I.

[21] Moniteur du 19 juillet.

[22] Cp. les annexes de Rousset, Les Volontaires, 307-329 ; discours de Carnot et de Cambon (Moniteur du 21 Juillet) ; le Jura forma, du 1er octobre 1791 au 12 août 1792, jusqu'à douze bataillons de volontaires, et la Meurthe, dix.

[23] Rousset, Les Volontaires, 21, 43, 44 ; Doublet de Boisthibault, Marceau, 1851, p. 147 ; cp. le rapport de Dumouriez, 13 juin : Plusieurs bataillons (de 1791) manquent encore des équipements les plus nécessaires et sont à peine organisés.

[24] 83 est le chiffre officiel donné par Dumouriez (rapport du 13 juin).

[25] Rousset, 68, le ministre au président de l'Assemblée, 13 juillet.

[26] Loi du 6 mai 1792 et décret du 7 juillet.

[27] Dumouriez avait eu l'idée de cette légion ; il forma un comité hollandais et lui donna 700.000 livres sur les fonds secrets.

[28] Rousset, 70-71 ; Moniteur des 25 et 26 juillet.

[29] Cp. le rapport de Dumouriez. 13 juin. Ajoutons, à ce propos, que l'armée avait encore le fusil du modèle de 1777 qui servit pendant toutes les guerres de la Révolution ; la longueur du canon était de 42 pouces, l'arme pesait 9 livres 8 onces.

[30] Rapport des commissaires envoyés à Sedan, Moniteur du 6 sept.

[31] Moniteur du 27 juillet.

[32] Cp. l'ordre de bataille de l'armée du nord. Les Ransonnets firent, avec Miaczynski, la pointe du 1er septembre sur Stenay (Moniteur du 6 sept.) ; ils étaient, le 19 septembre, au Four-le-Moine (lettre de Ransonnet à Herman, Annales patriot. du 2 octobre).

[33] Ordres de bataille du 10 août (arch. guerre).

[34] 2.160 officiers émigrèrent du 15 septembre au 1er décembre 1791, en deux mois et demi ; c'étaient 46 officiers de l'état-major, 190 officiers supérieurs, 1.294 officiers inférieurs (Buchez et Roux, Ass. législ., II, 387). 187 officiers d'artillerie abandonnèrent leur emploi sans donner leur démission, du 1er septembre 1791 au 15 juillet 1792 ; 144 officiers de cavalerie et 398 officiers d'infanterie quittèrent leur emploi, soit en donnant leur démission soit autrement du 27 avril 1792 au 15 juillet 1792. (Arch. nat., AA, 61.)

[35] Vieusseux à Brissot, 10 mai ; Lafayette à de Grave, 25 avril ; Kellermann et V. de Broglie à de Grave, 10 et 11 mai (arch. guerre). Ce fut alors que la législature décréta que tout émigré serait réputé déserteur et, s'il passait à l'ennemi, puni de mort.

[36] Lafayette, Mém., III, 297 ; les administrateurs du Bas-Rhin à l'Assemblée, 11 juillet.

[37] Biron à Servan, 23 août (arch. guerre).

[38] Moniteur du 8 septembre (discours d'un officier), et du 1er juillet (rapport de Pastoret). Voici, entre mille, un exemple de cette incurable défiance qui régnait partout. On avait établi dans l'église Saint-Jean, à Soissons, une boulangerie militaire. Les vitraux de l'église étaient dégradés ; des éclats de verre écrasé tombèrent dans la pâte du pain destiné aux volontaires. Trois jours après, la France apprenait que 170 soldats avaient péri empoisonnés et que 700 autres étaient à l'hôpital. Une députation se présentait à la barre de l'Assemblée pour dénoncer ce crime atroce et demander vengeance. (Séances des 2 et 3 août.)

[39] Rousset, Les Volontaires, 53 ; rapport de Narbonne, 11 janvier ; Mise de Blocqueville, Le maréchal Davout, 1879, I, 295.

[40] Moniteur du 31 août (lettre de Bruat) ; Gay de Vernon, Custine et Houchard, 1844, p. 39 ; Correspondance de Couthon, 1872, p. 180 (lettre du 30 août).

[41] Arch. guerre, Luckner au commandant de Phalsbourg, 2 mai ; lettre de Defranc, 23 avril ; Custine à Servan, 9 juin, et Rousset, 57-58.

[42] Arch. guerre : de Broglie à de Grave (11 mai), et à Lajard (23 juin) ; Lamorlière à Servan (7 et 10 juin) ; les généraux de l'armée du Rhin à Lajard (19 juillet) ; cp. les deux lettres de Vieusseux à Brissot (10 et 15 mai) ; la lettre du 15 mai est reproduite en son entier par Roussel, Les Volontaires, p. 54-55 ; on ne cite ici que celle du 10 mai, qui est inédite.

[43] Arch. guerre, Mém. de Latour-Foissac et lettres de Biron. Remarquons, une fois pour toutes, qu'on nommait régiment le premier bataillon ou bataillon de marche.

[44] Latour-Foissac ; Bürger, Werke p. p. Bohtz, 1835, p. 102.

[45] Dumouriez, Mém., édit. Barrière, 1878, I, 231 ; Moniteur, discours de Sers (20 juillet) et de Brissot (8 août) ; Moniteur du 18 juillet, Lajard aux généraux.

[46] Lafayette à Lajard, 8 juillet, et Mém., III, 499.

[47] Correspondance de Luckner et de d'Abancourt, 25 juillet-1er août (arch. guerre).

[48] Lafayette à Lajard, 22 juin (arch. guerre).

[49] Moniteur des 20, 21, 22, 27 et 30 août.

[50] Moniteur des 20 et 22 août.

[51] Moniteur du 22 août (lettres de Sedan et discours d'un sergent de l'Allier, député par ses camarades qui s'étaient cotisés pour payer son voyage) ; Moniteur du 27 août (lettre de Galbaud), et du 21 août (lettre du canonnier Deprez) ; Lafayette, Mém., IV, 395 et 400 ; lettre à Mme d'Hénin. IV, 479. Tous ces faits sont peu connus.

[52] Daverhoult tenta de le rejoindre ; des douaniers le poursuivirent ; il se tira un coup de pistolet et mourut quelques jours après (Moniteur du 25 août).

[53] Mém. de Vaublanc (récit de La Tour-Maubourg) ; Vivenot, Quellen, 180 et 192, Reuss à Saxe-Teschen ; Saxe-Teschen à Lafayette.

[54] Lafayette, Mém., III, 297.

[55] Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, V, 239 (3 août 1816).

[56] Lavallette, Mém. et souvenirs, 1831, I, 53 et 70 ; cp. Bouillé, Mém., 417 : l'opinion des soldats sur la nullité du roi et la puissance de l'Assemblée.

[57] Marmont, Mém., 1857, I, 23-25.

[58] Voir plus loin les chapitres Fontoy, Longwy et Verdun. Brunswick répondit à Beaurepaire : Les commandants et les troupes de la garnison de Verdun ayant employé le nom de leur roi comme un motif de résistance, sont avertis que, dans un moment où Sa Majesté très chrétienne est évidemment au pouvoir des usurpateurs de sa puissance légitime, un pareil motif perd jusqu'a l'apparence même de raison propre à les excuser. Le Moniteur n'a pas inséré ce passage.

[59] A. de Besancenet, Dommartin, 1880, p. 43 ; Dampmartin, Mém., édit. Lescure, p. 253.

[60] Las Cases, Mémorial, V, 239.

[61] Lavallette, I, p. 116 ; Ternaux, III, p. 452-455 ; de Besancenet, Dommartin, 62 et 66 ; Moniteur du 25 août.

[62] Lettre de Davout du 4 septembre (Mise de Blocqueville, Le maréchal Davout, II, 299) ; Moniteur du 22 juin, séance du 20 (discours de l'orateur des bataillons de la Gironde) ; Moniteur du 20 août, lettre du volontaire bouquet et de Chauvet, capitaine au bataillon de la Sarthe ; journal des Jacobins, corresp. 20 septembre, lettre de Vitry ; Lavallette, Mém., I, 114.

[63] Toulongeon, II, p. 327 ; Gouvion Saint-Cyr, Introd. aux Mém. sur les campagnes de l'armée du Rhin et de Rhin-et-Moselle, I.

[64] Moniteur du 17 septembre (lettre de Gazin) ; Larchey, Journal de Fricasse, 1882, p. 5 et 183-184.

[65] 9 juin, Servan à Luckner, Arch. nat., AA, 61.

[66] Mme de Tourzel, Mém., 1883 : II, 94 ; Marcillac, Mém., édit. Lescure, 105 ; Bouillé, Mém., 329 et 417.

[67] Voir plus haut les extraits des correspondances des généraux de l'armée du Rhin.

[68] Lafayette au ministre, 24 mai (arch. guerre).

[69] Lafayette au ministre, 24 mai. Lafayette à Servan, un officier de l'avant-garde à Lafayette, 11 juin.

[70] Arch. guerre. Lallemant à Lafayette et Lafayette à Lajard, 29 juin. Lafayette renvoya les officiers à Mons. Il savait que les Autrichiens répondaient à dessein les bruits les plus odieux sur la cruauté des troupes françaises ; des uhlans, à la vue du chirurgien qui venait panser leurs blessures, avaient jeté des cris terribles : ils s'imaginaient qu'on voulait les tuer.

[71] Moniteur du 13 mai ; dans une adresse à l'armée française, l'Assemble, on recommanda d'imiter le dévouement de d'Assas et le courage du brave Pie (11 juillet).

[72] Relation de Laumoy, chef d'état-major, Moniteur du 31 juillet.

[73] De Besancenet, Dommartin, p. 49. Les soldats étaient restés, pour ainsi dire, disciplinés dans leur indiscipline même ; au temps de leurs plus grands excès, ils faisaient leur service comme à l'ordinaire ; s'ils consignaient un officier, ils allaient le chercher et le mettre à leur tête, lorsque venait l'heure de l'exercice ; après la manœuvre, ils le ramenaient à son logement. (Bouillé, Mém., 119.)

[74] Moniteur du 19 juillet ; Luckner aux généraux, 6 mai (arch. de la guerre) ; Soult, Mém., 1854, I, 7.

[75] Mém. de Dumouriez, I, 242. Des volontaires se plaignaient de manquer d'armes : Suivez l'armée à la première bataille, leur dit-il, vous ramasserez les fusils des morts.

[76] Lafayette, Mém., III, 276 ; Foy, Hist. de la guerre de la Péninsule, 1827, I, 209 : Math. Dumas, Souvenirs, I, 512.

[77] Ségur, Mém., I, 127.

[78] Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, I, 2.

[79] Dumont, Souvenirs, 413.

[80] Lafayette, Mém., IV, 111, 113, 178, Bouillé, Mém., 318.

[81] Liger, Campagnes des Français pendant la Révolution, 1798, I, 7.

[82] Latour-Foissac, Mémoire inédit (arch. guerre).

[83] Gay de Vernon, Custine et Houchard, 1844, p. 38 ; J. Gay de Vernon, Essai hist. sur l'organisation de la cavalerie légère, 1853, p. 105.

[84] Lafayette. Mém., III : Biron à Servan, 23 août (arch. guerre) de Besancenet, Dommartin, 79.

[85] Voir les étals de situation de l'armée du Centre (arch. guerre) les plus exacts, car ils sont de Berthier (10 août 1792).

[86] Lajard à Luckner, 27 juin ; Servan à Luckner et au commandant de l'armée du Rhin, 1er juin. (Arch. guerre et arch. nat., AA, 61.) Le 1er bataillon, dit Lafayette, était tenu au complet par le 2e, resté en garnison.

[87] Lafayette, Mém., IV, 335.

[88] Gouverneur Monis cité par Taine (La Conquête jacobine, 331).

[89] Biron à Servan, 7 septembre ; Duhoux à Servan, 21 et 29 août ; Biron à Pache, 7 novembre ; Chambarlhac à Biron, 17 août ; Moimé à Biron, 20 et 25 novembre ; Carnot-Feulins à Pache, 24 novembre ; cp. Rousset, Les Volontaires, 106, 74, 108, 104-105, 127. On n'a pas assez remarqué que les documents cités par M. Camille Rousset ne se rapportent guère qu'aux volontaires de 92.

[90] On reviendra sur ce point.

[91] Taine, La Conquête jacobine, 332 et 334.

[92] Biron à Servan, 7 septembre (arch. guerre).

[93] Biron au ministre, 4 février 1793 ; Rousset, 146.

[94] Gay de Vernon, Custine et Houchard, 188.

[95] Susane, Hist. de l'infanterie, I, 316.

[96] Voir outre Gouvion Saint-Cyr, Gay de Vernon, Custine et Houchard, 38-39 ; Kellermann à Servan, 23 août (arch. guerre) ; duc de Bellune, Mém., I, 39 ; il s'était marié le 16 mai 1791 et s'engagea le 12 octobre suivant. Cp. Lavallette, Mém., I, 149 : Une foule de jeunes gens bien élevés que la passion de la gloire et une noble ambition avaient réunis sous les drapeaux.

[97] Comme aussi un certain nombre des bataillons de 1792 ; on mêle les uns et les autres dans la liste qui suit.

[98] La plupart des historiens, pour ne pas dire tous, oublient cet article essentiel. Les milices bourgeoises ou troupes provinciales, supprimées le 4 mars 1791, offraient, dit Susane (Hist. de l'inf., I, p. 316-317 et 352) des cadres tout préparés, elles étaient le grenier de réserve de l'armée et avaient, surtout dans la région du nord-est et sur les côtes, un véritable esprit militaire. Cp. sur les choix que firent les volontaires, Foy, Hist. de la guerre de la Péninsule, I, 75 : On pouvait prévoir que le choix des pairs mettrait le mérite en évidence ; le fameux rapport de Dubois-Crancé sur l'amalgame : Il est vraisemblable que les volontaires chercheront parmi leurs frères d'armes les plus sages, les plus instruits pour les commander, et Gouvion Saint-Cyr, Introd. aux mém. sur les campagnes des armées du Rhin, p. LXXXVI.

[99] Nous avons augmenté du double la liste de Ternaux, mais elle est loin d'être complète ; il faudrait citer encore Pichegru, lieutenant-colonel d'un bataillon du Gard ; Malet, capitaine d'un bataillon du Jura ; Pajol, sergent-major du 1er des volontaires du Doubs (21 août 1791) et nommé sous-lieutenant au 92e de ligne le 12 janvier 1792. (Le général Pajol, 1874, I, p. 4 et 5.) Cp. sur les choix des volontaires parisiens Lavallée, Hist. de Paris, p. 99, et sur les choix des départements les dictionnaires biographiques et les ouvrages spéciaux, comme l'étude de Bouvier sur les Vosges pendant la Révolution, 1885.

[100] Rousset, Les Volontaires, 44-45 ; Mise de Blocqueville, Le maréchal Davout, II, 296 ; Lafayette, Mém., IV. 335 ; Dumouriez, rapport du 13 juin, Moniteur du 16 ; Montesquiou à Servan, 20 mai ; duc de Bellune, Mém., I, 40 ; Moniteur du 29 juillet.

[101] Victor de Broglie à Narbonne, 9 janvier ; Luckner à Custine, 3 mai (arch. guerre) ; Soult, Mém., I, 7 ; Lafayette, Mém., IV, 335 ; ordres de bataille du 20 août et du 20 septembre (armée du Nord, arch. guerre) ; Dumouriez à Galbaud, 28 août ; Mémoire de Chazot (id.) ; Money, The Campaign (ordre de bataille de Dillon, 61-63) ; Beaulieu, IV, 175-176. Les généraux, dit Dubois-Crancé dans son rapport du 7 février 1793, ont constamment, dans la campagne dernière, mis de brigade ensemble les bataillons de ligne et les bataillons de volontaires. Dès 1792, écrit d'Ardenne dans son Hist. des hussards de Zieten, on remarqua l'énorme talent d'organisation (das enorme Organisationstalent) des Français.

[102] Le mot est de Liger, I, 30. Les volontaires qui joignirent les armées, dit Grimoard (Tableau hist., I, 362), suppléèrent au défaut d'instruction par une valeur indomptable.

[103] Biron à de Grave, 2 mai ; Kellermann à Servan, 23 septembre ; Gay de Vernon, Custine et Houchard, 119, 123-124. (Il ne cesse de louer la constance, l'intelligence, la bravoure des Corréziens).

[104] Notes historiques sur la guerre de 1792 (arch. guerre).

[105] Correspondance de Couthon, 180, Lettre du 3 août.

[106] Minutoli, Ecinnerungen, 1845, p. 120.

[107] Révolution de Paris, de Prudhomme, 25 août-1er septembre, 380.

[108] Luckner à de Grave, 5 mai (arch. guerre).

[109] Luckner à de Grave, 5 mai. Lamorlière à Lajard 10 juillet.

[110] Bemerkungen uber die französische Armee der neuesten Zeit (anonyme), 1808, p. 2-4.

[111] Lafayette, Mém., III, 296 ; il cite le récit de Brantôme sur cette confuse et nouvelle forme de combat.

[112] Marbot, Remarques critiques sur l'ouvrage de M. le lieutenant-général Rognat, 1820, p. 60-62 ; Vial, Cours d'art et d'histoire milit., I 189 ; Foy, Hist. de la guerre de la Péninsule, I, 101-102 ; Liger, I, 43. Minutoli reconnaît que les Schützen prussiens étaient moins habiles que les tirailleurs français : Ohne alle Hehl gesagt, minder gewandt (der Feldzug der Verbündeten, 1847, p. 13).

[113] Gay de Vernon, Custine et Houchard, 39-40.

[114] Vivenot, Quellen, II, 211 (Esterhazy à Spielmann).

[115] J. Gay de Vernon, Not. histor. sur le 8e régiment de chasseurs à cheval, 1853, p. 168, et Essai sur l'hist. de l'organ. de la cavalerie légère, ibid., p. 106.

[116] Les carabiniers formaient alors deux régiments composés chacun de quatre escadrons. Les deux régiments tirent brigade pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire. Leur dépôt était à Metz. On s regardait comme les grenadiers des troupes a cheval et ils ne se recrutaient que parmi les autres corps ; chaque régiment de cavalerie leur fournissait six hommes, ayant au moins 5 pieds 4 pouces ½ de taille (De Juzancourt, Not. sur les carabiniers, 1877). Houchard réclamait, le 9 août 1793, l'étonnant régiment des carabiniers de l'armée la Moselle (Gay de Vernon, Custine et Houchard, p. 227). Nous devons, disaient les commissaires de l'Assemblée législative, rendre particulièrement justice au civisme pur des carabiniers ; ils ont des premiers crié Vive la nation, Vice la liberté et l'égalité (Moniteur du 31 août 1792).

[117] Lafayette à Lajard, 25 juin (arch. guerre), et Mém., III, 276 ; Bouillé, Mém., 319 ; Toulongeon, II, 327 ; Pellenc, Lombard, Frédéric II, etc. ; cp. surtout le témoignage de Napoléon (Las Cases, Mém. de Sainte-Hélène, V, 74) : C'était le corps le meilleur, le mieux composé de l'Europe.

[118] Gouvion Saint-Cyr, Introd., LXXVII. — Arch. nat., AA61, état des officiers d'artillerie qui ont abandonné leur emploi : 1 maréchal de camp, 1 colonel, 2 lieutenants-colonels, 63 capitaines, 36 lieutenants, 2 aides de camp et 2 adjudants-majors (14 capitaines dans le 1er régiment ; 11 capitaines et 9 lieutenants dans le 2e ; 6 capitaines et 3 lieutenants dans le 3e ; 4 capitaines et 11 lieutenants dans le 4e ; 21 capitaines et 8 lieutenants dans le 6e ; le 5e et le 7e régiments n'ont, l'un que 2 capitaines et 2 lieutenants, l'autre que 1 capitaine et 1 lieutenant émigrés). Cp. duc de Raguse, Mém., I, 26 ; Lafayette à Lajard, 26 juin ; Biron à Servan, 21 août (arch. guerre). Un décret du 23 mai porte qu'il est instant de remplacer dans les compagnies d'artillerie les places d'officiers vacantes par de nombreuses démissions. — Il en était de même pour le génie : il fut si dénué de sujets, dit Liger (I, 7), que le service ne se fit que par des élèves tirés des pts et chaussées.

[119] Jung, Bonaparte, I, 329-334, et II, 506-507 ; Journal milit., 1792, I, 316-317 ; un décret du 23 mai accordait aux sous-officiers la moitié des places vacantes de lieutenant en second.

[120] Gay de Vernon, Custine et Houchard, 40-41 ; Lafayette, Mém., II, 278.

[121] Iung, Bonaparte, II, 83 : duc de Bellune, Mém., 33-34 ; Romain, Souv. d'un officier royaliste, II, 138-139, 141-142, 155 (il était capitaine en second dans le régiment de Bonaparte) : de Besancenet, Dommartin, 68 ; Moniteur du 27 août ; duc de Raguse, Mém., I, 23 ; Bouillé, Mém., 265-266. On sait que la Convention compta parmi ses membres trois officiers d'artillerie, Lacombe Saint-Michel, Aubry, d'Espinassy, et cinq officiers du génie, Carnot, Prieur de la Côte-d'Or, Letourneur, de Calon, Varlet. Cette tradition de républicanisme survécut à tous les régimes. C Balzac, la Duchesse de Langeais les opinions libérales et presque républicaines que professait l'artillerie.

[122] Voltaire, Siècle de Louis XV, X.

[123] Favé, Hist. et tactique des trois armes et plus partic. de l'artillerie de campagne, 1845, p. 143-154, et Etudes sur le passé et l'avenir de l'artillerie, t. IV, Hist. des progrès de l'artillerie, II, p. 107 et suiv. ; Mention, Saint-Germain, 1884, p. 161-185. Cp. de Besancenet, Dommartin, 30 : On se levait à cinq heures du matin pour aller au polygone et on travaillait toute la journée (en 1786).

[124] Duc de Bellune, Mém., I, 26 et 33-34 ; Foy, Hist. des guerres de la Péninsule, I, 294-295.

[125] Lafayette à de Grave, 21 avril, et à Lajard, 22 et 25 juin ; Mém., III, 297 et 440-441 ; Journal milit., 1792, 203-204. Il faut dire pourtant que Mathieu Dumas (Souvenirs, I, 514-517) revendique l'honneur d'avoir formé la première compagnie d'artillerie à cheval.

[126] Dumouriez, Mém., I, 413. Du reste, la guerre eut lieu dans un pays coupé, et, dit Bonaparte dans le Souper de Beaucaire, c'est dans les pays coupés que par la vivacité des mouvements, l'exactitude du service et la justesse de l'évaluation des distances le bon artilleur a la supériorité.

[127] Un décret du 10 avril portait qu'on nommerait commissaires-ordonnateurs ceux qui seraient les plus propres à remplir ces fonctions, sans égard à leur ancienneté. Journal milit., 1792, I, 243.

[128] Correspondance de Dumouriez avec Pache, 1793, p. 28, 146, 184. Citons encore à l'armée du Centre Blanchard et à l'armée du Rhin Villemanzy qui devint pair de France et qui avait été intendant de l'armée de Rochambeau en Amérique (Ségur, Mém., I, 252).

[129] Dumouriez, Mém., I. 354.

[130] Séance du 12 octobre, Moniteur du 13. Cp. Foy, Hist. des guerres de la Péninsule, I, 138 : La défaveur qui s'attacha aux vieilles institutions ne fit que les effleurer (les vivriers). Leur corps, a peu près intact et partant riche en traditions, se renforça de sujets distingués.

[131] Victor de Broglie à Servan, 21 mai (arch. guerre).

[132] Lafayette à Lajard, 25 juin : Je suis destiné a combattre les régiments et, qui pis est, les généraux prussiens. Il n'a pas reproduit ce fragment de lettre dans ses Mémoires.

[133] Lafayette, Mém., IV, 113 ; il ne faut pas oublier, dit-il dans une note familière sur les causes des succès de 1792, le débarras des maîtresses, favoris, généraux de cour, etc. La grandeur du danger, dit Dumouriez de lui-même, avait réuni les esprits autour de lui et forcé la France à l'écouter, à lui obéir et à le seconder (Mém., II, 79).