LA GUERRE

1870-1871

 

CHAPITRE II. — FRŒSCHWILLER ET FORBACH.

 

 

Positions de Mac-Mahon. — Bataille de Frœschwiller (6 août). — Avantage des Français dans la matinée. — Échec de la division Lartigue. — Charge des cuirassiers sur Morsbronn. — Efforts obstinés de Mac-Mahon. — Prise d'Elsasshausen. — Dévouement de l'artillerie de réserve. — Charge des cuirassiers de Bonnemains. — Attaque des turcos. — Retraite de Mac-Mahon sur Reichshoffen et les Vosges. — Bataille de Forbach (6 août). —Coup de tête de Kameke. — Reculade de Frossard. — Inaction de Bazaine et marottes inutiles de ses lieutenants. — Hardiesse des Allemands.

 

Mac-Mahon voulut réparer aussitôt l'échec de Wissembourg. Il aurait dû gagner les défilés des Vosges, et avec le 5e corps de Failly et le 7e de Félix Douay que l'empereur avait mis sous son commandement, arrêter l'adversaire dans des positions presque inexpugnables. C'était abandonner Strasbourg et la vallée du Rhin. Il aima mieux arracher sur-le-champ la Basse-Alsace aux envahisseurs.

Mais il fixait au 7 août la bataille qui serait la revanche de Wissembourg. Elle se livra le 6 août à l'improviste, et il fut écrasé. Il n'avait avec lui que le 1er corps et une seule division du 7e corps, la division Conseil-Dumesnil, venue en toute hâte de Mulhouse. Il pouvait appeler de Bitche Failly et le 5e corps. Failly eut ordre de ne faire sa jonction que le 7 août ; il ne reçut pendant l'action aucun message du maréchal, et sa troisième division, la division Guyot de Lespart, qui prenait les devants, qui entendait le canon, qui n'avait que cinq lieues à. parcourir, ne s'avança qu'avec une extrême lenteur, en s'attardant à tous les carrefours pour envoyer et attendre ses reconnaissances ; aussi ne devait-elle arriver qu'après la déroute.

Le duc de Magenta avait établi son armée sur les hauteurs de Frœschwiller et d'Elsasshausen. Il fallait, pour aborder la ligne française, passer la Sauer grossie par les pluies et traverser des prairies sur un espace de mille pas. Les pentes qui dominent de -soixante mètres la rivière sont roides, rapides, couvertes de vignes, de jardins et de houblonnières. Le plateau où se trouvent le village de Frœschwiller et, en contre-bas, le hameau d'Elsasshausen, est également coupé de vergers, de haies et de chemins creux, très favorable par conséquent à l'emploi des grandes bandes de tirailleurs et fait exprès pour dissimuler la cavalerie et les réserves. -Mais la-droite de Mac-Mahon était en l'air ; il avait trop peu de monde pour l'appuyer à la forêt de Haguenau, comme il appuyait sa gauche aux bois de Neehwiller, et il ne put garnir Morsbronn, au sud-est de la position. Chose plus grave, en face de lui, sur l'autre bord de la Sauer, s'étendait le plateau de Dieffenbach et de Gunstett, plateau vaste et nu où les ennemis se déployèrent hors de portée des pièces françaises et mirent en batterie plus de 250 canons. C'est pourquoi il n'avait pas occupé sur la rive droite de la Sauer, au pied de Frœschwiller, le gros bourg de Wœrth que commandent les feux de la rive gauche, et Wœrth devait fournir aux Allemands une tête de pont, un point de refuge et d'appui qui couvrit à la fois leurs retraites et leurs attaques.

Le 6 août, au matin, les divisions françaises avaient pris leur ordre de bataille. A gauche, Ducrot, en avant de Frœschwiller, entre Neehwiller et le Grosswald. Au centre, Raoult qui défend avec Conseil-Dumesnil et Pelle la route de Reichshoffen à Wœrth ainsi que las croupes de Frœschwiller et d'Elsasshausen. A droite, Lartigue qui tient l'épais et grand bois de Niederwald et qui fait front vers Gunstett comme Raoult vers Dieffenbach et Ducrot vers Gœrsdorf. Derrière Lartigue, la brigade de cavalerie Michel. Plus au nord, en arrière d'Elsasshausen, la division de cavalerie Bonnemains.

Certain que Mac-Mahon ne marchait pas vers les Vosges, le prince royal de Prusse avait résolu de pousser vers l'ouest et d'infliger aux Français derrière la Sauer une seconde et plus rude défaite. Toutefois, de même que le duc de Magenta, il ne voulait livrer bataille que le 7 août. Aussi la journée du 6 ne commença que par une reconnaissance offensive que le général prussien Walther dirigeait sur Wœrth. Mais peu à peu la lutte s'enflamme, l'escarmouche se transforme en combat, et l'on se fusille et se canonne, non plus pour tâter le terrain, mais pour le conquérir violemment.

Jusqu'à onze heures et demie les Français eurent l'avantage : si les Allemands avaient, dès le début, réduit notre artillerie au silence ; s'ils attaquaient par unités de compagnies et en ordre dispersé, leur infanterie ne faisait que des efforts partiels, successifs, et ne savait sur aucun point se donner la supériorité du nombre.

A gauche, sous la protection des bois de Neehwiller, les postes avancés de Ducrot refoulèrent les Bavarois de Hartmann, tantôt par des charges à la baïonnette, tantôt par le feu de leurs chassepots et de ces mitrailleuses que le général de Tann nommait les maudits moulins à café.

Au centre, le commandant du Ve corps prussien, Kirchbach, descendait vers la rivière et occupait Wœrth. Ses bataillons franchissaient la Sauer en divers endroits, à gué ou sur des ponts de madriers et de perches à houblons. Mais, lorsqu'ils voulurent gravir les pentes de Frœschwiller et d'Elsasshausen, ils furent promptement ramenés. Durant toute la matinée, ils ne purent dépasser Wœrth et prendre pied sur la côte ; chaque fois ils reculèrent, et à plusieurs reprises les zouaves les poursuivirent dans les rues du village.

Même succès à la droite des Français. Lorsque l'infanterie du XIe corps prussien eut traversé la Sauer et pénétré dans le Niederwald, elle aussi fut impétueusement assaillie par les tirailleurs de Lartigue et rejetée au delà de la rivière. Ses compagnies avaient presque toutes perdu leur capitaine, et le combat, avoue la relation allemande, était sans direction.

A midi, Mac-Mahon demeurait donc maître de ses positions, et il pouvait faire en bon ordre sa retraite. Il combattit encore. Le maréchal voyait pourtant que son artillerie, incapable de riposter, gagnait les sommets du plateau pour ne plus se montrer qu'à de rares intervalles. Du pied d'un noyer qu'on a depuis nommé l'arbre de Mac-Mahon, il voyait les batteries prussiennes qui, des hauteurs de Dieffenbach et de Gunstett, fouillaient de leurs obus tout le terrain d'Elsasshausen et du Niederwald. Mais il se croyait victorieux et il comptait se maintenir.

Kirchbach avait, sur ces entrefaites, reçu du prince royal l'ordre de suspendre l'action. Il jugea qu'il donnerait aux Français le temps de se renforcer et le droit de se dire vainqueurs. Malgré ses instructions, il revint à, la charge avec son Ve corps en priant Hartmann à. sa droite et Bose à sa gauche de le seconder, l'un avec le Ife corps bavarois, l'autre avec le XIe corps. Lorsqu'a une heure de l'après-midi, le prince royal arriva sur le champ de bataille, il ne put qu'approuver son lieutenant. Cette fois, c'étaient non plus les avant-gardes, mais les corps d'armée qui s'engageaient, et ils s'engageaient à fond : Hartmann contre Ducrot, Kirchbach contre Raoult, Bose contre Lartigue, 100.000 Allemands contre 43.000 Français.

A notre gauche, l'attaque des Bavarois qui ne perdirent que 700 hommes dans cette journée, fut très molle, si molle que Ducrot envoya des renforts à ses voisins et dégarnit sa seconde ligne.

Au centre, Kirchbach ne réussit qu'a prendre le mamelon du Calvaire, et sur le reste du plateau ses assauts échouèrent contre la fusillade des Français et leurs retours brusques et furieux.

A droite, la division Lartigue fléchit et céda. De midi à une heure, sur la lisière du Niederwald, dans les fourrés du bois, autour de la ferme d'Albrechtshausen, elle fait face et résiste aux 12.000 Prussiens que Bose a poussés contre elle en deux colonnes. Mais, à la faveur de 72 pièces d'artillerie établies à Gunstett, les Allemands finissent par s'emparer de l'Albrechtshäuserhof et par entrer sous le Niederwald. Une troisième colonne de 5.000 hommes se saisit de Morsbronn et débouchant de ce village pour remonter le plateau, menace de fondre sur les derrières de la division française.

Lartigue, sur le point d'être enveloppé, appelle à son aide la brigade Michel, composée du 6e lanciers et des 8e et 9e cuirassiers. En vain, le général Duhesme, les larmes aux yeux, assure que ses pauvres cuirassiers se feront inutilement hacher. Lartigue n'a plus d'autre ressource. Allez, dit-il à l'un des colonels, allez et faites comme à Waterloo. La brigade se range en bataille, se précipite à bride abattue sur les pentes au cri de Vive la France et roule vers Morsbronn. Mais des fossés, des arbres, des souches et les talus élevés des chemins l'arrêtent à tout moment. Bientôt, de ces beaux cavaliers bardés de fer, les uns sont jetés à terre par leurs chevaux qui trébuchent, les autres tombent sous les balles des compagnies prussiennes qui les attendent de pied ferme ; le reste s'engouffre dans Morsbronn, oü les Allemands tirent sur eux par les fenêtres des maisons à bout portant et de si près que la flamme des coups de fusil leur brûle la tunique. Ils sortent du village, ils se rallient, et pêle-mêle cherchent à rejoindre l'armée par un détour. Soudain, non loin d'Hegeney, un régiment de hussards prussiens, dispos et intact, les charge de toutes parts ; ils essaient de se faire jour ; brisés de fatigue, accablés sous le nombre, ils succombent ; la brigade Michel n'existe plus.

Pendant qu'avait lieu cette sanglante diversion, Lartigue réunissait ce qui lui restait du 3e turcos et du 1er chasseurs contre les brigades confuses de Bose. Le choc de ces chasseurs et de ces tirailleurs algériens fut Fi vigoureux qu'ils reprirent la ferme d'Albrechtshausen. Mais de nouveau tonna l'artillerie de Gunstett qui s'était tue quelque temps, masquée par ses propres troupes. Les Français ne purent aller plus avant. Quatre bataillons tout frais ressaisirent l'Albrechtshauserhof. Malgré l'héroïsme du 3e régiment de zouaves qui défendit le bois une heure durant, le XI' corps prussien occupa les futaies du Niederwald et aborda Elsasshausen.

La droite des Français rompue fuyait par Eberbach vers Schirlenhof, et Mac-Mahon aurait pu, aurait dû faire sa retraite, sauver ainsi l'artillerie et la cavalerie de réserve. Pourtant, avec une superbe obstination et dans l'espoir que la division Guyot de Lespart arriverait enfin au bruit du canon, il ne croyait pas la bataille perdue. Il résolut, avant de dégager sa droite, et tandis que le 3e zouaves tenait encore dans le Niederwald, de refouler décidément sur Wœrth les attaques que Kirchbach dirigeait contre son centre. La brigade Maire s'élance, enlève le Calvaire et descend les pentes jusqu'aux abords de Wœrth ; sous les feux redoublés de l'infanterie et de l'artillerie allemandes, elle regagne en désordre ses positions ; mais les colonnes de Kirchbach qui la poursuivent, ne parviennent qu'à reprendre le mamelon du Calvaire et à s'établir sur la crête du plateau ; elles ne peuvent déboucher ; elles masquent le canon qui les avait soutenues ; elles s'arrêtent devant la division Raoult appuyée par trois bataillons de Ducrot.

A cet instant, à deux heures et demie, Bose sort du Niederwald. Mac-Mahon fait face des deux côtés. Pendant que la brigade Lhériller se porte sur Wœrth pour attaquer Kirchbach, le 96e régiment, puis la brigade Wolff, puis la brigade Montmarie entrent en ligne contre Bose, et l'artillerie française reparaît. Mais à quoi servent ces efforts acharnés ? La foule des ennemis ne cessait de grossir ; ils se pressaient, se serraient sur le front et la droite des Français, et leur feu était effrayant. Déjà Bose se joignait à Kirchbach ; le premier amenait dix batteries à travers le Niederwald, et il fallut lui abandonner Elsasshausen incendié ; le second appelait la moitié de son artillerie qui venait par Wœrth se mettre en position à l'est et à l'ouest d'Elsasshausen. 102 pièces entourèrent Frœschwiller.

Recogné sur Frœschwiller et forcé désormais de préparer sa retraite, Mac-Mahon tente de gagner quelques minutes. Il jette en avant sa réserve d'artillerie. Il jette en avant sa réserve de cavalerie. Il jette en avant le seul régiment d'infanterie qui n'ait pas encore donné, le ler des tirailleurs algériens.

Les huit batteries de réserve qui s'abritaient derrière Frœschwiller, se déploient à portée de pistolet des assaillants ; mais elles ont à peine lâché deux ou trois coups que les canonniers et les chevaux tombent percés de balles ; les tirailleurs allemands qui débouchent d'Elsasshausen, s'emparent de plusieurs pièces, et ce qui reste de l'artillerie française se replie sur Reichshoffen en lançant ses derniers projectiles.

La cavalerie s'engage à son tour. La division Bonnemains, composée des 1er, 2e, 3e et 4e cuirassiers, sort du pli de terrain qui la cachait, et fond sur les bataillons prussiens. Elle a le même destin que la brigade Michel. Elle galope sur un sol accidenté et rempli d'obstacles ; l'infanterie allemande qui se dérobe dans les houblonnières et les clôtures des vignes, l'accueille par le feu le plus meurtrier ; l'artillerie la décime par les obus et la mitraille.

Alors paraissent les turcos qui l'avant-veille, à Wissembourg, perdaient le tiers de leur monde. Ils bondissent comme des chats, agitent leurs fusils au-dessus de leurs tètes et poussent de grands cris. Rien ne semble arrêter leur impétuosité sauvage. Ils refoulent les masses allemandes qui s'enfuient à travers Elsasshausen jusque dans le Niederwald, à près de 1.200 mètres ; ils reprennent six canons ; ils se ruent follement sur l'artillerie du XIe corps. Mais à cent cinquante pas des pièces prussiennes ils reculent en désordre sous un feu épouvantable et se dispersent vers Reichshoffen.

A quatre heures de l'après-midi, quatre corps allemands assaillent Frœschwiller et l'enveloppent par le sud, par l'est, par le nord : deux d'entre eux, le XIe corps de Bose et le Ve corps de Kirchbach, épuisés, tout à fait mélangés et incapables d'avancer, mais les deux autres, alertes et presque intacts, la deuxième brigade wurtembergeoise qui vient par Elsasshausen et la division bavaroise qui part de Gœrsdorf et arrive par la Scierie et le Vieux Moulin, après avoir rejeté dans les bois les turcos du colonel Suzzoni. Mac-Mahon n'avait plus d'autre issue que celle de l'ouest par Reichshoffen. Il fit enfin sonner la retraite. Son chef d'état-major Colson était tué et Raoult mortellement blessé. Ducrot protégea la déroute avec le 3e zouaves, le 45e régiment et les batteries de sa division. Mais beaucoup de braves, notamment les chasseurs à pied du 8e et du 13e bataillon, tinrent jusqu'au dernier instant dans le bois et les vergers de Frœschwiller. Une compagnie du génie défendit longtemps une barricade qu'elle avait élevée sur la route de Wœrth et sut encore, après la prise du village, se frayer un chemin, baïonnette baissée. Des turcos se firent massacrer (levant le château des Dürckheim sur un tertre qui, tout couvert de leurs uniformes bleus, avait à distance l'aspect d'un champ de lin. On vit un petit pioupiou, calme et froid, s'arrêter un moment, griffonner quelques mots sur une page de son calepin, jeter ce billet dans la boite aux lettres en face de la mairie et, le chassepot au poing, marcher seul à l'ennemi. Vers cinq heures, au son du clairon et parmi les bourras, des milliers d'Allemands noirs de poudre envahissaient Frœschwiller en demandant à boire et en criant : Die Deutschen sind da, les Allemands sont là !

Les vainqueurs avaient plus de 10.000 hommes hors de combat, et leur fatigue était si grande qu'ils poursuivirent à peine les vaincus. Leur cavalerie fut d'ailleurs arrêtée à Niederbronn par la division Guyot de Lespart. Mais l'armée de Mac-Mahon fuyait éparpillée. Le maréchal avait indiqué Saverne comme point de ralliement. On s'y rendit par la route, par les chemins de traverse et par les terres labourées. Le 7, au matin, une cohue de soldats, fantassins à cheval, cavaliers à pied, cuirassiers sans cuirasse, entrait à Saverne pour remonter aussitôt à Phalsbourg et descendre de là vers Sarrebourg et Lunéville. 10.000 Français gisaient sur le champ de bataille ; 6000 furent faits prisonniers ; 4.000 gagnèrent Strasbourg ; le reste de cette vieille et vaillante armée d'Afrique qui n'avait reculé que lorsque ses forces étaient à bout, devait s'engloutir à Sedan.

 

Le même jour où la bataille de Frœschwiller ouvrait l'Alsace aux Allemands, la bataille de Forbach ou de Spickeren leur ouvrait la Lorraine. A la nouvelle de l'échec de Wissembourg, l'empereur avait remis le commandement des 2e, 3e et 4e corps et de la garde à Bazaine, tout en se réservant la direction générale des opérations. Sur ses ordres, la garde s'établit à Courcelles et le 2e corps de Frossard à Forbach, pendant que le 3e corps de Bazaine et le 4e corps de Ladmirault demeuraient à Saint-Avold et à Boulay. C'était Frossard qui, ne se jugeant pas en sûreté à Sarrebruck, avait proposé de se replier sur Forbach et le plateau de Spickeren. Il plaça la division Laveaucoupet au Rothberg et sur les hauteurs de Spickeren, la division Vergé à Stiring et la division Bataille en réserve à Oettingen. Le 6 août il était subitement assailli par l'avant-garde de Steinmetz. Le général Kameke arrivait à Sarrebrück ; il n'avait avec lui que sa division ; mais il croyait que les Français battaient en retraite et il voulait, sans perdre un instant, attaquer 'leur arrière-garde. Il n'attendit même pas la brigade Woyna, qui ne devait paraître qu'à trois heures, et engagea sur-le-champ, à midi, la brigade François. Sa témérité faillit lui être funeste. Ses bataillons reculèrent au Rothberg et aux abords de Stiring sous un feu meurtrier. François fut tué. La situation des Allemands devenait critique, et si Frossard eût pris l'offensive il aurait aisément culbuté Kameke dans la Sarre. Mais de toutes parts les ennemis, profitant de l'excessive circonspection du général français, accouraient les uns à marches forcées, les autres par chemin de fer. Le commandement passait de main en main ; Kameke le cédait à Stülpnagel, qui le cédait à Gœben, qui le cédait à Zastrow, qui le cédait à Steinmetz. Malgré l'opiniâtre résistance des divisions Laveaucoupet et Vergé que secondait la division Bataille, les Allemands gagnaient peu à peu du terrain ; ils emportaient le Pfaffenwald, le Rothberg, Baraque-Mouton, la Brême-d'Or, la Douane, la ferme de Stiring ; ils essayaient de tourner les hauteurs de Spickeren, et s'ils faisaient sottement donner un régiment de cavalerie qui ne pouvait plus avancer au milieu des éboulis, leur artillerie gravissait audacieusement des pentes abruptes, et d'eux batteries s'établissaient sur le Rothberg. A sept heures du soir, Laveaucoupet évacuait le Forbacherberg et reculait lentement sur le plateau du Pfaffenberg. Enfin, une colonne de la division Glümer marchait par les deux rives de la Rossel sur Forbach où il n'y avait que deux escadrons de dragons, une centaine de soldats du génie et 200 réservistes d'un régiment de ligne descendus de wagon pendant le tombât. Frossard, débordé sur sa gauche, ordonna la retraite après avoir perdu 4.000 hommes.

Bazaine n'avait pas secouru son lieutenant qui l'appelait à son aide. Laissant, comme il disait, Frossard livrer sa bataille et gagner à lui seul son bâton de maréchal, craignant d'être attaqué le lendemain et ne songeant qu'à couvrir son camp de Saint-Avold et à garder ses bataillons intacts, il ne se rendit même pas sur le lieu de l'action où le chemin de fer l'aurait conduit en vingt minutes. Ses divisionnaires, Metman, Castagny, Montaudon, qui pouvaient dégager Frossard et arrêter le mouvement tournant des ennemis, ne firent que des reconnaissances et d'inutiles manœuvres. Metman vint se poster à Bening, puis, sur un pressant message de Frossard, se dirigea vers Forbach et n'arriva qu'à la nuit close, après la retraite du 2e corps. Castagny eut un moment l'idée d'aller droit à Forbach ; mais il rebroussa parce qu'il n'entendit plus la canonnade, et lorsqu'il l'entendit de nouveau et se remit en marche, la journée était décidée. Montaudon, le plus rapproché de Frossard, ne fut averti qu'à trois heures par le maréchal et ne reçut d'autre instruction que d'occuper la position de Grosshliedersdorf. Aussi, malgré leurs efforts incohérents et bien que l'affaire eût été aventureusement engagée et menée au hasard et sans aucun plan, bien qu'ils n'eussent donné que par fractions et comme goutte à goutte, bien qu'ils fussent épuisés de fatigue et incapables de poursuivre le vaincu, les Allemands avaient eu l'avantage, et ils le devaient à leur hardiesse, à leur confiance guerrière, à leur esprit de généreuse camaraderie ; tous marchaient résolument au canon.