DUMOURIEZ

 

CHAPITRE II. — VOYAGES.

 

 

PROJET DE MARIAGE ET DE SUICIDE — VOYAGES — SÉJOUR EN ESPAGNE — MÉMOIRE SUR LE PORTUGAL — EXPÉDITION DE CORSE — UN HIVER À PARIS — FAVIER, GUIBERT ET MLLE LEGRAND.

 

LE régiment d'Escars étant venu, à la fin de 1762, à Saint-Lô, Dumouriez fit alors un assez long séjour à Pont-Audemer. La sœur de son père, Marie-Anne Du Perier Du Mourier, femme d'un Legris de la Poterie, puis d'un marquis de Belloy, vivait dans cette ville. Elle avait deux filles très jolies et fort bien élevées ; l'aînée devait se marier avec un lieutenant-colonel de cavalerie, le marquis de Perry ; la cadette, Marguerite de Broissy, aima Dumouriez et Dumouriez l'aima. Mais la jeune fille n'avait que 800 livres de rente et le jeune homme allait quitter le service après avoir mangé son petit héritage maternel. Nos amoureux reconnurent qu'ils ne pouvaient encore se marier, et Dumouriez promit à sa cousine de l'épouser lorsqu'il aurait trente ans et un état. Or son père avait voué à Mme de Belloy, qui l'avait frustré d'une succession, une haine irréconciliable. Lorsqu'il sut que Dumouriez était féru dé Marguerite, il lui ordonna par un billet très sec de regagner son régiment et il écrivit à Mme de Belloy une lettre insultante. Furieuse, Mme de Belloy somma Marguerite de renoncer à son cousin Marguerite répondit qu'elle n'aurait pas d'autre mari ; sur quoi, sa mère l'envoya dans un couvent de Caen.

Désespéré, Dumouriez résolut de mourir. Un soir, dans une auberge de Dieppe, il prend quelques grains d'opium et il se couche. Puis, changeant d'avis, jugeant que le suicide est une lâcheté, pensant que sa mort peut entraîner celle de son père et celle de sa cousine, il se lève, s'élance dans un corridor où brûle une lampe, et, après avoir bu toute l'huile et rendu l'opium qu'il avait avalé, se remet au lit. Il partit le lendemain pour sa garnison et, deux semaines plus tard, alla rejoindre son père qui lui pardonna.

Mais ce père, si philosophe qu'il fût, et malgré toutes ses belles qualités, était infirme, chagrin, misanthrope, et de Caen, Marguerite ne cessait d'écrire qu'elle supportait sa réclusion avec impatience. Dumouriez prit le parti de voyager.

Il a dit qu'il était allé voir- le duc de Choiseul pour obtenir du ministre un passeport et la permission de lui écrire. Il a dit aussi que son père sollicita vainement une lettre de cachet contre lui. Quoi qu'il en soit, il parcourt l'Italie ; il offre .ses services à Gênes contre Paoli, à Paoli contre Gênes, à Costa de Castellana contre Gênes et Paoli ; il lie partie avec ce Costa ; il lui propose de l'aider à fonder la république corse ; il lui demande en échange de son appui le commandement de l'armée et la concession d'un grand domaine ; il débarque à Porto-Vecchio ; à la tête d'une bande de Corses, il essaie d'assiéger et d'enlever Bonifacio. Mais assiéger une place, c'est pour les Corses tirer contre elle des coups de fusil, et, si le canon riposte, ils détalent comme des lièvres. Dumouriez se rembarque, il rentre en France après avoir essuyé une affreuse tempête qui l'a jeté jusqu'en vue de Tunis, après avoir subi des calmes plats, après avoir souffert de la faim et abordé le pistolet au poing une pinque napolitaine pour avoir des vivres. Il arrive à Marseille. Il court chez le plus riche des armateurs de la ville, Roux, homme entreprenant qui s'engage à donner aux Corses des armes, des munitions, des canonniers en échange des beaux arbres de la forêt de Porto-Vecchio. Il se rend à Versailles et se présente à Choiseul. Le duc a traité avec Gênes. Laissez-moi faire, lui dit Dumouriez, laissez-moi fonder la République corse, laissez-moi abattre Paoli qui sera toujours dangereux, et, si votre traité vous embarrasse, permettez que j'enlève Ajaccio ; il est rompu. Or, le marquis Sorba, ministre de Gênes, a gagné les entours de Choiseul, sa sœur la duchesse de Gramont, et la femme de chambre de la duchesse, l'intrigante Julie. Lorsque. Dumouriez revient le lendemain à l'audience publique, Choiseul l'apostrophe rudement, le traite d'aventurier, le chasse. Les aventuriers, répond Dumouriez avec rage, ce sont ceux qui vous entourent. Il s'éloigne, il franchit la frontière et, de Mons, écrit à Choiseul, lui envoie un mémoire sur la Corse, lui demande l'autorisation de servir en Espagne. Dumouriez, réplique le duc, est diablement vif, mais il voit en grand ; eh bien, qu'il aille user son feu contre le flegme espagnol !

Voilà ce que raconte Dumouriez il mérite peu de créance. A ce récit des Mémoires s'oppose une lettre du 14 septembre 1764 où il retrace à Choiseul ce qu'il a fait depuis qu'il est en réforme. Il a cherché à entrer aux affaires étrangères ; mais, par la faute d'un secrétaire, le duc n'a pas reçu sa requête. Il a présenté au duc, à Fontainebleau, un mémoire sur le commerce du Portugal, et Choiseul y a trouvé de bonnes idées ; mais rien n'est venu. Il a parcouru l'Italie, et il a écrit au duc plusieurs fois sans obtenir de réponse. Il est allé en Corse et il a remis un plan d'opérations qu'il croit très bon, d'autant meilleur qu'il a plus l'air aventuré ; mais il a encore manqué le but. Il a désiré entrer dans la marine : le duc l'approuvait ; mais, de nouveau, il a été noyé par les formes de la routine. Que devenir ? Il a fait des voyages coûteux ; il s'est endetté ; le temps qu'il emploie en sollicitations, achève de le ruiner. Et pourtant, il est jeune ; il a de l'ambition, du zèle, quelques talents, des connaissances de guerre et de politique ; il parle assez facilement les langues de l'Europe. Daignez, conclut-il, me faire lieutenant-colonel et m'envoyer ou en Pologne servir le parti qui soutient la France ou à Cayenne, ou à l'île de Bourbon.

 

Il n'est pas question de l'Espagne dans cette lettre de Dumouriez. Ce fut son père qui le fit envoyer au delà des Pyrénées. Antoine-François était fort mécontent de Charles. Les imprudences de sa conduite, dit-il au commencement de novembre 1764, forcent ce fils égaré à s'expatrier jusqu'à ce que les dettes qu'il a follement contractées soient éteintes, et les bontés du ministre seront plus propres à lui ouvrir les yeux sur tous ses torts que les traitements les plus sévères, car son âme fière et ardente le rend plus susceptible d'être gagné que vaincu. Le père demande donc que son enfant — d'ailleurs Wallon puisqu'il est né à Cambrai — entre au service d'Espagne avec une lettre de recommandation de Choiseul.

Le duc recommande le jeune capitaine au marquis d'Ossun, ambassadeur de France à Madrid, et c'est alors sans doute que Dumouriez se rend à Mons et s'embarque à Ostende. Le 1er janvier 1765, à Cadix, il touchait le sol espagnol.

Il resta dans la péninsule près de trois années, les plus heureuses peut-être de sa vie. Le marquis d'Ossun le combla de bontés, le reçut à sa table, lui prêta de l'argent, le traita comme son fils.

Après plusieurs voyages en Catalogne et sur les côtes, Dumouriez composa un Essai sur l'Espagne, et plus tard, en 1781 et 1782, il devait lire à la Société académique de Cherbourg des extraits de ce travail, un mémoire sur la dépopulation du pays, un exposé de son état militaire, de son commerce, de ses mœurs ainsi que la description d'une révolte de Madrid, et cette révolte était sans doute celle de 1766 qu'il rappelait dans un mémoire du 23 octobre 1791 adressé à Gensonné : J'ai vu en 1766 une révolte à Madrid. Le roi Charles III céda au vœu de son peuple ; il renvoya un mauvais ministre qui avait pensé être victime de l'insurrection ; il lui donna pour successeurs deux ministres que le peuple désigna, et il devint par cette condescendance plus puissant et plus heureux ; le roi ne doit écouter ni ses affections particulières ni les intrigues de ses dangereux entours.

Marguerite de Broissy, dans un accès de mysticisme, avait pris le voile en exhortant son cousin à sortir, comme elle, de l'abîme du siècle. Il résolut de s'attacher au service d'Espagne et, pour obtenir un grade supérieur, de rendre à la cour de Madrid un service important. Il alla donc en Portugal afin d'étudier sur le terrain la désastreuse campagne que l'armée espagnole avait faite en 1762. De là, son livre sur l'État présent du royaume de Portugal en l'année 1766 qui parut, sans nom d'auteur, à Lausanne en 1775 et, sous son nom, avec nombre de corrections et d'additions, à Hambourg en 1797. Il représente le Portugal en 1766, ses six provinces, ses établissements coloniaux aussi faibles qu'étendus, son état militaire trop considérable pour un petit royaume, sa croyance et ses mœurs, son alliance avec les Anglais dont les Portugais ne sont que les courtiers, son gouvernement et notamment le ministère de Pombal, ce restaurateur et créateur, ce Richelieu de la nation.

De retour à Madrid, avec l'autorisation de Choiseul et par l'intermédiaire du marquis d'Ossun, il remit à la cour d'Espagne un mémoire sur le système d'attaque et de défense du Portugal, accompagné d'observations sur les réformes nécessaires dans l'armée espagnole, sur la formation d'un état-major, sur l'établissement d'arsenaux, de magasins, d'hôpitaux. Fort de ce mémoire, il demandait un grade supérieur. On lui offrit la lieutenance-colonelle d'un corps de trois bataillons, le corps des volontaires étrangers. Il refusa. Mais il ne s'ennuyait pas à Madrid. Il fréquentait les membres du corps diplomatique. Le duc de Crillon, le comte de Crillon, le prince Emmanuel de Salm-Salm s'étaient liés avec lui. Il avait une aimable et spirituelle maîtresse, Mlle Marquet, fille d'un architecte français il voulait même l'épouser dès qu'il aurait un emploi convenable. Un matin de 1767 le marquis d'Ossun l'envoya chercher. Choiseul ordonnait à Dumouriez de rentrer aussitôt en France. Le jeune officier fit ses adieux à Mlle Marquet. Partez, dit-elle noblement, suivez votre destin et ne me regardez plus que comme votre meilleure amie.

 

Il n'eut pas à se repentir de son séjour en Espagne, Choiseul savait par des lettres de Madrid que Dumouriez y était vivement regretté, qu'il avait montré des talents et une grande justesse d'esprit, qu'il avait gagné l'estime et l'amitié des premiers seigneurs de la cour, et le ministre lui-même, après avoir lu les mémoires de Dumouriez sur l'Espagne et le Portugal, avait exprimé sa satisfaction, avait dit que l'officier aurait de l'avancement, qu'on saurait réparer le mauvais état de ses affaires. Dumouriez devait alors 8.000 livres ; on les lui donna pour le rembourser du prix de sa compagnie ; on lui paya l'arriéré de sa pension de réforme ; on la convertit en appointements à dater du 1er avril 1766 600 livres par an ; on promit enfin de lui faire continuer ses voyages d'une manière convenable parce qu'il avait tout l'esprit qu'il fallait pour étendre ses connaissances.

L'expédition de Corse fut un de ces voyages. Choiseul voulait réduire Paoli et, conquérir le pays. Il se souvenait que Dumouriez connaissait l'île ; il le nomma aide-major général des logis de l'armée.

La campagne de Corse de 1768 n'eut pas de succès. L'armée comptait à peine 3.000 hommes et le marquis de Chauvelin, qui la commandait, n'avait plus l'habitude de. la guerre. La jeunesse de cour qui composait le corps d'officiers, méprisait les Corses ; elle croyait dissiper en quelques jours cette canaille d'insulaires, cet ennemi qui n'avait pas d'uniforme, et retourner bientôt aux bals de l'Opéra.

Les Corses, il est vrai, eurent le dessous dès la première rencontre, le 5 septembre 1768. Dumouriez se signala dans cette journée ; il ne portait d'autre arme qu'une canne ferrée ; il sauta bravement dans une redoute et d'un coup au travers du visage, abattit un des chefs.

Quatre mois plus tard, autre prouesse. On l'avait envoyé à Calvi sous les ordres de Narbonne-Fritzlar. Dans la nuit du 12 janvier 1769 il tenta de surprendre l'Ile-Rousse. Il avait avec lui 150 Corses, ennemis de Paoli, montés sur cinq barques, et un homme nommé Capocchio qui devait livrer la tour de l'Ile-Rousse. Ce Capocchio trahit. Lorsque Dumouriez descendit, il fut assailli par une grêle de balles et il eut de la peine à regagner Calvi avec la moitié de son monde.

Ses camarades l'accusèrent de témérité. Mais ce prétendu casse-cou donnait de sages avis, que Chauvelin avait le tort de ne pas écouter. Il recommandait d'attendre des renforts, même si l'on avait un succès, de ne pas étendre et disperser l'armée, de ne pas former de petites colonnes que les Corses refouleraient l'une après l'autre. Il priait Chauvelin de ne pas occuper la position de Borgo qui lui semblait trop hasardée. Chauvelin fit tout le contraire il divisa son armée, jeta le comte du Lude avec 500 hommes dans Borgo, et Borgo, bloqué et manquant d'eau, se rendit.

Le comte de Vaux, qui remplaça Chauvelin, sut enfin conquérir l'île. Ce fut Dumouriez qui prit le château de Corte. 17 Corses, enfermés dans ce château, menaçaient d'y mettre le feu. Sur leur parole, Dumouriez entra et les renvoya libres après avoir donné dix louis à chacun. M. de Vaux lui permit de prendre cent volumes dans la bibliothèque de Paoli et lui fit obtenir, le i mai 1769, une commission de mestre de camp ou colonel Dumouriez, disait-il, avait du mérite et beaucoup de zèle.

A la fin d'août 1769, Dumouriez s'embarquait à Bastia pour aller à Paris régler avec sa sœur Mme de Schomberg les affaires de la succession paternelle. Il avait dès lors 3000 livres de rentes, et le duc de Choiseul lui accorda, en considération des services d'Antoine-François, une pension de 3.000 livres.

Notre colonel passa l'hiver de 1769 à Paris dans une brillante société de gens de lettres et d'hommes d'esprit, Crébillon fils, Collé, Guibert, Favier.

Guibert était un de ses amis les plus intimes. L'un et l'autre devinrent en même temps colonels, brigadiers, maréchaux de camp. Jamais ils ne se jalousèrent. Mais Dumouriez reprochait à Guibert de trop viser au paraitre et de trop aimer les succès de salon, d'avoir de l'orgueil, de vivre dans l'empyrée. Nous sommes, disait-il à Guibert, les deux rats de la fable, tu es le rat de la ville, je suis le rat des champs.

Favier, ancien syndic des États de Languedoc, avait l'esprit très caustique et il se fit haïr de ceux 'mêmes qui le consultaient et le regardaient comme un oracle. Débauché, besogneux, criblé de dettes, il menait une vie de bohème. Lorsque l'âge eut amorti ses passions, il se livra sans mesure aux plaisirs de la table. Aussi finit-il par avoir un tel embonpoint qu'il craignait l'apoplexie et disait gaiement chaque matin : Voilà une gratification extraordinaire. Mais il avait étudié profondément l'histoire. Secrétaire de la légation de Turin, il s'était initié à tous les secrets des cabinets de l'Europe nul ne connaissait mieux que lui les traités, les parentés, les droits des maisons souveraines. D'Argenson, Bernis, Choiseul, le comte de Broglie, le duc d'Aiguillon l'employèrent. Le prince Henri correspondait avec lui, l'encourageait à prêcher l'alliance prussienne qui rétablirait la vraie balance de l'Europe. Un petit écrit qu'il publia en 1756 sous le titre de Doutes et questions contre l'alliance autrichienne, fut le bréviaire des publicistes de son temps et Dumouriez témoigne qu'il apprit de Favier tout ce qu'il savait en politique.

Favier, Guibert, Dumouriez et autres se réunissaient chez Mlle Legrand, amie et compagne de la Du Barry, mais qui n'avait pas fait la même fortune, parce qu'elle avait beaucoup plus d'esprit, et il est bien dommage que nul n'ait recueilli les conversations du cénacle qui s'assemblait chez cette Ninon du XVIIIe siècle. On y causait hardiment des personnages les plus en vue, de la Du Barry, de Choiseul, du roi.

Dire, s'écriait Dumouriez, que j'ai soupé vingt fois avec la Du Barry, une fille que toute la France a eue et que j'aurais eue si j'avais pu la payer ! Et sûrement, elle m'en veut ! A mon retour de Corse, je ne suis pas allé l'adorer, et elle m'a fait faire des reproches !

Bah ! répondait Favier, elle n'est pas vindicative.

Pas plus que le duc de Choiseul, répliquait Dumouriez, et nos amis se mettaient à débiter sur le ministre tout le bien et tout le mal possible que Choiseul était trop complaisant pour ses entours et particulièrement pour la duchesse de Gramont qu'il aimait trop sa sœur ; qu'il méritait d'être nommé Ptolémée, comme certain roi d'Égypte ; qu'il prodiguait l'argent ; que Sophie Arnould avait eu raison de dire en voyant sur une tabatière le portrait de Sully à côté du portrait de Choiseul C'est la recette et la dépense ; qu'il était indiscret, léger, étourdi ; mais qu'il était très bon ; qu'il riait des chansons qu'on faisait contre lui ; qu'il avait une extrême facilité de travail, une grande justesse d'esprit, une extraordinaire promptitude de coup d'œil, une merveilleuse pénétration ; que nul en France ne saurait être maire du palais, sinon lui. Tout dans le duc, disait Dumouriez, tout, jusqu'à ses vices, est aimable, et il faut regretter qu'il n'ait pas trouvé une monarchie mieux ordonnée ou qu'il n'ait pas été roi lui-même.

Mais, ainsi que Favier, il craignait que la Du Barry ne fit sauter Choiseul. A Compiègne, ajoutait-il, au camp de plaisance, j'ai vu le roi, à pied, chapeau bas, sous les yeux de l'armée, près du phaéton où trônait la Du Barry, et je n'ai pu m'empêcher de dire à M. de Choiseul que le spectacle de cette honteuse passion me faisait rougir pour mon roi et gémir pour ma patrie. Que veux-tu, m'a répondu le duc, le roi a besoin de maîtresses ; mais la coquine me donne bien de l'embarras ; d'Aiguillon et Maupeou sont derrière !

Nos amis ne traitaient pas Louis XV avec autant de bienveillance que son ministre. Dumouriez jugeait que le roi était, au fond, bon et juste ; mais que, s'il était indulgent, il avait lui-même grand besoin d'indulgence et que la France, sans le haïr, le méprisait. Quel roi que l'amant de la Du Barry, que l'homme qui, pour se désennuyer, se fait donner chaque matin une note sur les scandales de Paris !

A quoi Favier remarquait : Il y a là une négation absolue du genre nerveux, un tissu de faiblesse et de bassesse d'où naissent toujours l'ingratitude et la perfidie.

Oui, concluait Dumouriez, c'est le plus faible et le plus dissimulé des rois, et quelques années plus tard, il appliquait au monarque deux vers du Don Carlos d'Otway qu'il traduisait ainsi :

Conseillé par des fous, servi par des poltrons,

Louis XV a reçu les plus sanglants affronts.

Il pressentait un bouleversement. Nous sommes en 1770, s'écriait-il un jour, je vous donne la décade, jusqu'à l'an 80, pour la grande révolution du royaume !