LA CAMPAGNE DE L'ARGONNE (1792)

SECONDE PARTIE. — LA RETRAITE DE BRUNSWICK

 

CHAPITRE PREMIER. — PARIS ET CHÂLONS.

 

 

I. Le conseil exécutif. Grouvelle. Monge. Lebrun. Clavière. Roland. Danton, son énergie et son intelligence politique. Ses émissaires à l'armée, Fabre d'Églantine, Billaud-Varennes, Westermann. Sa liaison avec Dumouriez. Il empêche le gouvernement de quitter Paris. — II. Servan. Ses collaborateurs. Lacuée. Activité de Servan. Sa passion de la résistance. Son système de temporisation. Le bon Fabius. La vraie mission d'un ministre de la guerre. — III. L'Assemblée législative. Décrets. Longwy et Verdun. Apothéose de Beaurepaire. Les corps francs. Les fusils. Enthousiasme. Dons patriotiques. Le camp de Paris. Mesures tardives. Les tyrannicides. — IV. La grande levée et le camp de Châlons. Laclos. Luckner. Labourdonnaye. Indiscipline des volontaires de 1792. Ont-ils repoussé l'invasion ? — V. La Commune de Paris. Massacres de septembre. Terrible prépondérance de Danton. Les commissaires. L'anarchie. Lutte des partis dans la Convention. Dislocation du conseil exécutif. Démission de Danton et de Servan. La France sauvée par son armée.

 

I. L'affaire du 20 septembre, comme tout le monde nomma la canonnade de Valmy, avait sauvé la France. L'invasion, commencée le 11 août, s'arrêtait quarante jours plus tard, à trois lieues de Sainte-Menehould. Secondés par les lenteurs de Brunswick et par la mauvaise saison, les généraux, à la tête des troupes de ligne et des volontaires de 1791, avaient fatigué l'adversaire et le tenaient en échec dans les plaines de Champagne. La diplomatie de Dumouriez devait faire le reste ; une semaine après Valmy, l'armée des alliés battait en retraite. Mais il faut auparavant exposer le rôle de l'Assemblée et des ministres pendant cette campagne et retracer ce qui se passait à Paris, où siégeait le gouvernement, et à Châlons où s'organisaient les levées nationales.

L'Assemblée législative avait élu, après la journée du 10 août, un conseil exécutif provisoire formé des ministres. Elle donna les portefeuilles de l'intérieur, des finances et de la guerre aux trois Girondins Roland, Clavière et Servan qui, selon le mot d'Isnard, avaient emporté les regrets de la nation. Lebrun fut ministre des affaires étrangères ; Monge, de la marine ; Danton, de la justice. Grouvelle, qu'une partie de l'Assemblée voulait appeler au département des affaires extérieures, était secrétaire du conseil[1].

Grouvelle, rédacteur de la Feuille villageoise et littérateur médiocre, voulut jouer au ministre ; il intervint dans les débats du conseil et donna son avis sur toutes choses avec le ton décisif de l'ignorance.

Monge avait, disait-il, accepté le ministère de la marine à cause de la présence des Prussiens sur le sol français ; Condorcet le recommandait à l'Assemblée ; ce fut un honnête homme et un grand géomètre, mais un mauvais administrateur[2].

Lebrun, d'abord abbé, puis soldat, puis ouvrier imprimeur, enfin rédacteur du Journal général de l'Europe qui se publiait à-Liège, était l'homme des Girondins et partagea leur fortune comme leur disgrâce. Il vint à Paris en 1791, à la tête d'une députation des patriotes liégeois ; Brissot se l'attacha ; Dumouriez le nomma premier commis du ministère des relations extérieures. Il rédigeait facilement une lettre ou un rapport ; il n'avait pas l'adresse, l'activité, l'expérience des grandes affaires. D'ailleurs tous les ambassadeurs quittèrent Paris après le 10 août ; Dumouriez mena les négociations en même temps que la guerre ; Lebrun ne fit donc rien de très utile durant l'invasion prussienne[3].

Le Genevois Clavière possédait, de même que ses deux collègues de la Gironde, Roland et Servan, une grande faculté de labeur et de précieuses connaissances dans sa spécialité. Voyez cette tête chauve, disait de lui Mirabeau, je ne fais rien sans la consulter. Mais il n'avait dé l'énergie que l'apparence : très ambitieux, rêvant depuis son arrivée à Paris d'habiter le ministère des contributions publiques et de réussir où son compatriote Necker avait échoué, fertile en projets, plus sagace que sensé, pointilleux, irascible, opiniâtre dans ses vues et emporté dans la discussion, faible néanmoins, manquant de caractère, incapable de manier les ressorts de la machine révolutionnaire. Toute son attention se tourna vers Genève et l'armée du midi. Chassé de sa ville natale en 1782, il voulait renverser le parti qui l'avait proscrit. Ennemi secret de Montesquiou, jaloux des aptitudes financières que ce général avait montrées à l'Assemblée constituante, il mit tout en œuvre pour obtenir sa destitution[4].

Roland, intègre et droit, parlait au lieu d'agir ; il protestait sans cesse de son honnêteté ; il offrait sa démission et ne la donnait pas ; il ne savait qu'écrire et écrire encore ; ses lettres diffuses, qui couvraient les murailles et remplissaient les journaux, ne contenaient que d'inutiles plaintes et d'impuissants regrets sur l'anarchie de la France et sur la domination jacobine.

Le plus agissant de tous les ministres dont la guerre n'était pas l'attribution particulière, fut Danton. Il savait peu, n'étudiait rien et osait tout. Il s'était jeté dans la Révolution avec ardeur parce qu'il comptait y trouver la richesse et le pouvoir. Tout en lui, sa personne, son langage, ses actes, était révolutionnaire. Sa figure laide et criblée de petite vérole, sa voix tonnante et qu'on nommait stentoriale, ses manières brusques et impérieuses, tout ce que sa nature avait d'impétueux et de violent, lui donnait un grand ascendant sur les masses[5]. N'ai-je pas, disait-il, reçu de la nature les formes athlétiques et l'âpre physionomie de la liberté ? Il parlait avec chaleur, avec une force souvent rude et brutale, parfois avec emphase, mais ses discours, concis, passionnés, toujours prononcés d'abondance, lui méritent les surnoms qu'on lui donna, de Pluton de l'éloquence et de Mirabeau de la populace. Du reste, profondément corrompu, débarrassé de tout scrupule, raillant les hypocrites et avouant ses vices avec cynisme, tantôt armé d'une volonté puissante que n'effraient ni les obstacles ni les crimes, tantôt comme épuisé par l'effort qu'il vient de faire et saisi d'un besoin irrésistible de paresse et de jouissance[6], barbare et froidement sanguinaire, capable pourtant de généreuses pensées, sensible par accès et, comme dit un de ses contemporains, couvrant sa pitié sous des rugissements. L'influence qu'il exerça durant les mois d'août et de septembre sur les résolutions du conseil exécutif, fut si considérable que les Girondins l'accusèrent d'aspirer à la dictature. Tous les témoignages, si rares qu'ils soient, confirment le jugement de Michelet : Danton tenait alors dans sa main les affaires qui intéressaient le salut de la France. Il avait, en effet, de grandes parties du politique et de l'homme d'État. Il s'initiait aisément aux affaires ; il jugeait nettement les choses et savait qu'elles sont plus difficiles à combiner que les phrases ; il avait la lucidité de l'esprit, la justesse des vues, la connaissance pratique des hommes, la décision prompte et vigoureuse. Quelques mois plus tard, un représentant des Pyrénées-Orientales, Cassanyes, entrant dans la salle du Comité de salut public, annonçait inopinément la prise de Bellegarde. Qui t'a si bien informé ? lui dit Danton. — C'est mon pays. — Ah ! c'est ton pays, réplique le tribun, et tu es ici ! Tes foyers sont la proie de l'ennemi, et tu n'es pas parti encore ! Il entraîne Cassanyes. Viens, viens, tu vas remplir tes poches d'assignats et courir nous sauver ![7]

C'est lui qui, le 28 août, parle au nom du conseil exécutif, en ministre du peuple et en ministre révolutionnaire, et qui déclare qu'il faut faire rétrograder les despotes par une grande convulsion nationale, en précipitant le peuple. en masse sur les ennemis. C'est lui qui, le 2 septembre, mêlant, il est vrai, ses vues secrètes de terrorisme aux mesures de défense nationale, annonce encore, au nom des ministres du peuple libre, que tout s'émeut, que tout s'ébranle, que tout brûle de combattre, qu'on doit diriger le mouvement sublime du peuple et punir de mort quiconque refuse de servir de sa personne ou de remettre ses armes ; que le tocsin qu'on va sonner, est non pas un signal d'alarme, mais la charge sur les ennemis de la patrie ; qu'il faut pour vaincre, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace[8].

Il envoyait à Londres son jeune cousin, le futur général Mergez, pour échauffer le zèle timide de Noël, émissaire de Lebrun. Mais, avant son départ, Noël avait mis son âme et sa vie à nu devant Danton ; il le nommait son cher maitre ; il lui rendait compte de sa mission, de ses entrevues avec les membres de l'opposition, de ses démarches auprès du ministère anglais[9].

Il stimulait l'activité de l'administration militaire. J'ai été, disait-il fièrement en pleine Convention et sans trouver de contradicteurs, j'ai été autant l'adjudant du ministre de la guerre que le ministre de la justice ; j'ai talonné Servan et Lacuée[10]. Il était continuellement, raconte Mme Roland, dans les bureaux. Mais n'y venait-il seulement que pour faire placer aux armées des gens de son bord, pour donner à ses amis une part dans les fournitures et les marchés, pour augmenter son crédit et se former une faction ?[11] Il pria Servan de nommer colonel du régiment de Chamborant l'intrépide Frégeville[12]. Lorsqu'il apprit le dissentiment de Dumouriez et de Kellermann qui se disputaient le commandement des armées et avaient chacun un plan d'opérations différent, il se prononça nettement pour Dumouriez. Il déclara qu'on devait laisser au plus habile la direction de la guerre. Il mit fin à la mésintelligence des généraux en dépêchant au camp de Sainte-Menehould son intime confident, Fabre d'Eglantine, l'auteur de Philinte. Danton l'avait choisi comme secrétaire du sceau et-venait de le faire nommer à la Convention par les électeurs de Paris[13]. Fabre flatta Kellermann, caressa son amour-propre et lui promit le bâton de maréchal à la fin de la campagne. De son côté, Kellermann rechercha l'amitié de Fabre d'Eglantine. Un frère du conventionnel, Fabre-Fonds, servait dans l'armée du Centre, et le rapport de Kellermann sur la canonnade de Valmy avait loué son courage. Le général aida Fabre-Fonds à lever un corps franc[14] ; il lui fit remettre une somme de dix mille livres en assignats et s'engagea à lui donner, après la guerre, si ce corps franc était licencié, le commandement de sa légion. Il entretint une correspondance active avec Fabre d'Eglantine. L'aide de camp Lajolais[15] tenait l'ami de Danton au courant des opérations militaires. Dans des lettres confidentielles, Kellermann rappelait à Fabre le maréchalat promis et le priait d'user de son influence pour envoyer à son armée les objets nécessaires et à lui-même, outre le bâton, des chevaux et une bonne voiture légère de l'ancienne maison du roi[16].

Danton connaissait déjà Dumouriez qui l'avait tâté pour le ministère, lorsqu'il dirigeait les affaires extérieures. Ces deux hommes avaient quelques ressemblances de nature : l'audace, le scepticisme, l'immoralité. Danton s'était défié du général dans les derniers jours du mois d'août. Il avait chargé Westermann, puis Billaud-Varennes de le surveiller[17]. Il fut rassuré par le rapport de ses deux agents. Dumouriez, lui écrivait Westermann, réunit tout pour mériter la confiance de la nation. Qu'elle lui donne carte blanche, et pour la première fois, elle n'aura pas lieu à se repentir de s'être livrée entièrement à un général d'armée ; s'il avait le malheur de la trahir, je jure que je serais moi-même son assassin[18]. Quant à Billaud-Varennes, il fit, à son retour, l'éloge de Dumouriez. Il vous portera ma lettre, mandait le général à Servan le 18 septembre[19], il ne m'a quitté ni jour ni nuit, il a tout vu, il rendra compte de tout au pouvoir exécutif, à l'Assemblée, à la nation entière. Dumouriez, qui se liait sans scrupules avec tous les partis, avait conquis le sombre et bilieux Jacobin ; Billaud-Varennes se disait son ami pour la vie, et, dès le 20 septembre, lui envoyait un émissaire, le citoyen Laribeau : Ce sera pour vous un homme de confiance ; c'est un ami que je donne à un ami. Je vous demande une grâce, celle de m'écrire dans les circonstances décisives pour me mettre en mesure d'agir[20].

Le ministre de la justice soutint Dumouriez dans le conseil. Lorsque le général demanda les instructions du gouvernement, après ses pourparlers avec Manstein, Danton approuva sa conduite et déclara qu'il fallait négocier avec le roi de Prusse pour le détacher de la coalition[21]. Il fit envoyer au camp de Sainte-Menehould Benoit et Westermann[22]. Il correspondait avec Dumouriez qui, pour être plus sûr de son appui, le priait de garder le pouvoir et de renoncer à son mandat de député : Mon cher Danton, j'ai une peur terrible que vous ne quittiez le ministère ; j'en serais désolé, car j'y ai besoin de votre tête. Portez votre caractère fort dans le conseil ; vous y êtes plus utile qu'à la Convention nationale, et elle ne vous perdra pas, puisque vous pouvez lui donner des conseils et de l'énergie comme ministre[23].

Aussi, lorsque Dumouriez revint à Paris après la campagne, il eut de fréquents entretiens avec Danton. On vit l'homme de guerre et le tribun s'entretenir familièrement à l'Opéra. Danton présidait le club des Jacobins, lorsque Dumouriez se présenta, le 14 octobre, à la société et il félicita le général d'avoir sauvé la France en tenant bon à Sainte-Menehould et en conservant cette station qui ruina l'ennemi[24].

Dumouriez essaya même de réconcilier les modérés avec Danton. Il avait regagné par ses succès militaires la faveur des Girondins. Il écrivait régulièrement pendant la campagne à son intime ami Gensonné et, dès le 6 octobre, il lui recommandait de se mettre en garde contre le parti de la Montagne[25]. Il estimait sincèrement Vergniaud[26]. Il voulait attacher à son état-major un frère de Guadet[27]. Il conseilla donc aux Girondins de ménager Danton et de s'allier à lui ; c'était le seul homme qui pût les soutenir, et son appui leur assurait la vie de Louis XVI et la défaite des Montagnards ; mais, dit Dumouriez, les Girondins achevèrent d'aliéner Danton et le poussèrent à bout[28].

Le général fait dans ses mémoires un portrait de Danton qu'il représente aussi hideux au moral qu'au physique ; mais il ajoute que Danton avait beaucoup d'esprit naturel et un caractère très énergique. Lui seul, dans le plus grand danger des Prussiens, n'avait point perdu courage, n'avait point partagé la consternation publique, s'était opposé à ce qu'on transférât la Convention et le roi de l'autre côté de la Loire, et avait forcé l'Assemblée et les ministres à déployer toutes les ressources nationales[29]. Les Girondins eurent, en effet, le dessein de quitter Paris et de transférer le gouvernement en province. Déjà avant le 10 août, Barbaroux, Servan, Roland, examinant la carte de France, se disaient qu'on pourrait abandonner le nord à la royauté triomphante, demander au Limousin, à l'Auvergne, à la Provence un asile contre le despotisme et fonder la République du midi. Mme Roland traçait à l'avance la ligne de démarcation ; Servan étudiait les positions défensives ; Barbaroux proposait de se retirer successivement dans les montagnes du Velay, dans les Cévennes et jusque dans la Corse où l'on n'avait pas encore naturalisé la tyrannie[30].

L'approche des Prussiens, leurs succès en Lorraine, leur marche dans le Clermontois, leur dessein hautement annoncé de pousser droit à Paris épouvantèrent les Girondins. Roland et ses collègues se réunirent au ministère des affaires étrangères. La conférence eut lieu au bout du jardin. On avait admis Duhem, Pétion, Fabre d'Eglantine et Kersaint qui revenait de Sedan. Roland, pâle, abattu, la tête appuyée contre un arbre, disait qu'il fallait partir. Où comptez-vous aller ? demanda Danton. — A Tours ou à Blois, répondit Roland, et nous emmènerons avec nous le trésor et le roi. Clavière et Kersaint appuyèrent la proposition. Dans quinze jours, s'écria Kersaint, Brunswick sera à Paris aussi certainement que le coin entre dans la bûche quand on frappe dessus. Mais Danton s'opposa de toutes ses forces à ce départ ; il soutint que le gouvernement devait demeurer dans la capitale. J'ai fait venir, dit-il, ma mère qui a soixante-dix ans ; j'ai fait venir mes deux enfants ; ils sont arrivés hier. Avant que les Prussiens entrent dans Paris, je veux que ma famille périsse avec moi ; je veux que vingt mille flambeaux, en un instant, fassent de Paris un monceau de cendres. Roland, garde-toi de parler de fuite, crains que le peuple ne t'écoute ![31]

Le même projet fut, à ce qu'il semble, agité une seconde fois quelques jours plus tard. C'était après la prise de la Croix-aux-Bois. La commission des Vingt et Un ne cachait pas ses alarmes. Les députés, élus à la Convention, ne se rendaient à leur poste qu'avec le sentiment du péril qu'il faudrait braver[32]. Brissot et d'autres, rencontrant Mathieu Dumas, l'invitèrent à se rendre avec eux au comité militaire. On envoya chercher au dépôt de la guerre des cartes détaillées du cours de l'Aisne. L'affaire, dit Dumas, est décisive ; Dumouriez se voit coupé de Paris : en deux manœuvres les Prussiens le rejetteront dans le Barrois ; en quatre marches, ils arriveront aux portes de la capitale. Il fallait donc abandonner Paris, passer la Loire, emmener le roi et faire une campagne d'hiver[33]. Heureusement, les lettres de Dumouriez furent rassurantes.

Ces délibérations furent révélées dans une des premières séances de la Convention. Il y eut un moment, déclara Danton le 29 septembre, où la confiance fut tellement abattue qu'il n'y avait plus de ministres et que Roland eut l'idée de sortir de Paris. Pas un membre ne se lève pour lui donner un démenti. J'en ai été témoin, s'écrie Duhem. Le Girondin Louvet se contente de répondre que Roland avait perdu quelque confiance, mais qu'il possédait encore tout son courage. Le ministre de l'intérieur tenta le lendemain de se justifier ; il écrivit à la Convention qu'aucun de ses collègues n'avait proposé de quitter Paris, mais, ajoutait-il, nous avons traité la question de savoir si, dans le cas de l'approche de l'ennemi, il y aurait des mesures relatives au salut de l'empire, et si la sortie de l'Assemblée, du trésor national, du pouvoir exécutif et du roi même qui appartenait à toute la France, serait dans le nombre de ces mesures[34].

Cette explication embarrassée montre que Roland et ses amis voulaient abandonner Paris lorsque l'ennemi n'était encore ni à Châlons ni à Reims. Mais ce départ eût passé pour une désertion ; il aurait consterné le pays, paralysé la résistance, rompu les plans de Dumouriez, encouragé les envahisseurs. L'Assemblée n'avait-elle pas juré, dans sa séance du 26 août, de ne point quitter son poste avant le 20 septembre ? Tous ses membres, levant la main et répétant le serment par acclamation, n'avaient-ils pas promis de rester à Paris jusqu'au jour où la Convention tiendrait sa première séance ? Le procès-verbal de cette résolution n'avait-il pas été imprimé, publié, affiché, envoyé par des courriers extraordinaires à tous les départements et à toutes les assemblées électorales[35] ?

Danton, mû à la fois par le patriotisme et par son propre intérêt, combattit le projet de départ. Il était plus fort que les Girondins sur le pavé de Paris ; il comprenait que le pouvoir exécutif donnerait à la France un fatal exemple, s'il fuyait devant l'invasion. Il empêcha la translation, disait plus tard le vainqueur de Jemmapes, en la peignant comme une lâcheté, et il rendit des services aussi importants à Paris, que Dumouriez en Champagne[36].

Mais faut-il croire avec le général et comme l'ont répété les Jacobins, par haine de la Gironde, que Danton seul déclara dans le conseil qu'abandonner la capitale, c'était quitter la partie ? Des Girondins comme Pétion, Vergniaud, Condorcet, partagent avec Danton l'honneur de n'avoir pas désespéré. Pétion, avoue un des plus ardents Jacobins, fut courageux et calme, et s'indigna du projet de fuite[37]. Vergniaud nous dit lui-même que, dans la commission des Vingt-et-Un, il s'éleva contre la proposition de Roland avec la plus grande énergie ; c'est à Paris, s'écriait-il, qu'il faut assurer le triomphe de la liberté ou périr avec elle, et l'Assemblée législative ne peut sortir de Paris que comme Thémistocle sortit d'Athènes, c'est-à-dire avec tous les citoyens, en ne laissant à l'envahisseur que des cendres et des décombres[38] ! Condorcet inséra dans sa Chronique de Paris un appel d'Anacharsis Cloots à ses concitoyens : Français, ne songeons pas à nous réfugier dans les montagnes méridionales. Le quartier général de la nation est à Paris, et ceux qui vous conseilleront de rétrograder sont des ignorants ou des fourbes. Paris est la ville des Français ; la conquête du chef-lieu désorganiserait complètement le corps politique. Il importe donc aux aristocrates de s'en emparer, et aux démocrates d'y accourir en foule pour le défendre[39]. Peu de jours après, Condorcet faisait un appel semblable aux habitants de la capitale : Il importe que tous les citoyens qu'elle renferme montrent à tout l'empire la ferme résolution où ils sont de défendre la liberté sur le théâtre qui en a été le berceau. Paris doit se regarder aujourd'hui comme frontière par rapport au reste de la France, et le camp doit être continué avec célérité sous le double point de vue de lui servir de rempart pour sa propre défense et d'ouvrir, en cas d'échec, un asile à nos armées qui se replieraient sous ses murs[40].

 

II. Telle fut la part que prit Danton à la défense nationale. Il a été, pendant l'invasion prussienne, le véritable président du conseil. Mais il ne faut pas l'exalter aux dépens de son collègue Servan. Le ministre de la guerre n'eut, durant son administration, du 20 août au 3 octobre, qu'une seule pensée, un seul souci : repousser l'agression étrangère. Quand l'ennemi était aux portes de Paris, s'écriait Danton le 10 mars 1793, j'ai dit à ceux qui gouvernaient alors : Vos discussions sont misérables, je ne connais que l'ennemi, battons l'ennemi[41]. Ces paroles seraient plus justement placées dans la bouche de Servan.

Joseph Servan de Gerbay, né à Romans, le 12 février 1741, était frère du célèbre avocat-général de Grenoble, l'ami des encyclopédistes et l'émule de Beccaria. Il s'était engagé au régiment de Guyenne en 1760. Il fit la campagne de Corse et devint successivement capitaine (1770), major au régiment des grenadiers royaux de l'Ile-de-France (1779), major du fort Saint-Jean à Marseille (1790) et sous-gouverneur des pages. Il avait écrit un livre plein de vues originales, le Soldat citoyen[42]. Il voulait donner à l'armée près de deux millions d'arpents de terres incultes qu'elle aurait défrichés pendant la paix. Il proposait une nouvelle constitution militaire : trente provinces ou généralités de population égale, fourniraient chacune 9.405 hommes ; les enfants trouvés et les orphelins seraient voués au métier des armes ; le service serait obligatoire pour tous, de dix-huit ans à quarante ans, lorsque le territoire serait envahi ; en temps ordinaire, chaque citoyen servirait huit années, soit personnellement, soit par un remplaçant ou avoué.

Auteur d'un ouvrage que le public avait apprécié, destitué par le ministre de la maison du roi, M. de Saint-Priest, de sa charge de sous-gouverneur des pages, ami de Roland qui l'avait connu pendant un séjour à Lyon, Servan reçut de la Gironde le portefeuille de la guerre, abandonné par de Grave. Il était alors colonel du 104e régiment d'infanterie et comptait trente-deux ans de services[43]. Il fut nommé maréchal de camp (8 mai), se signala par une vive opposition à Dumouriez et proposa, sans avertir le conseil, la formation d'un camp de 20.000 hommes au nord de la capitale. Renvoyé du ministère à la suite de cette motion et pourvu d'un commandement, d'abord à l'armée de la Sarre (13 juin), puis au camp de Soissons (2 août), enfin à l'armée des Alpes, Servan se trouvait à Lyon, lorsque Dampmartin, sur le point d'émigrer, le rencontra sur les quais de la Saône. Servan prédit à Dampmartin le renversement de la monarchie et, prenant le ton d'un homme qui donnait naguère des audiences, blâma durement l'émigration : Quel officier aurait, avant la Révolution, abandonné le champ d'honneur au début d'une guerre ? Voudrez-vous vous cacher dans Paris ou vous enterrer au fond d'un département ? On saura vous atteindre. Vous souillerez-vous du sacrilège de grossir les hordes que la tyrannie arme contre la liberté ? Vous n'aurez, hors de France, que déboires et humiliations ; c'est tôt ou tard le sort de l'enfant qui déchire le sein de sa mère[44].

En prenant congé de Dampmartin, Servan avait assuré qu'il rentrerait bientôt au ministère. Il revint aux affaires après le 10 août. C'était un fort honnête homme, passionnément épris, disait-on, de Mme Roland, austère d'ailleurs, se piquant de philosophie et de sensibilité, très dévoué à ses amis de la Gironde, obstinément fidèle aux principes de la Révolution, animé d'un patriotisme ardent. Mais sa mauvaise santé l'avait rendu morose et sombre ; tous ses contemporains le regardent comme atrabilaire. Défiant, rebuté par les difficultés, se désespérant au moindre obstacle, il n'avait pas, de même que Clavière et Roland, assez de sang-froid et de force de caractère pour dominer la situation et tenir tête en même temps aux ennemis du dehors et à ceux du dedans. Néanmoins, actif, vigilant, infatigable, travaillant jour et nuit, il avait accepté la tâche que lui confiait l'Assemblée[45].

Il appela autour de lui des officiers d'un grand mérite dont il prit les avis. Ce furent Laclos, Grimoard, Mathieu Dumas, Meunier, le futur défenseur de Mayence, à la fois officier du génie et membre de l'Académie des sciences, Vieusseux, gendre de Clavière, enfin Lacuée qui devait être l'un des meilleurs instruments de Napoléon[46].

Le plus précieux collaborateur de Servan et le plus rapproché de sa personne fut Lacuée. Capitaine en 1785 au régiment de Dauphin-Infanterie (29e), et auteur d'un Guide de l'officier en campagne, Lacuée était uni à Servan par les liens d'une longue camaraderie et d'une étroite amitié. Il avait, comme lui, publié dans l'Encyclopédie plusieurs articles sur l'art de la guerre, et un Projet de constitution pour l'armée des Français, qui parut en 1789, était leur œuvre commune. Durant l'Assemblée Constituante, Lacuée, appelé à Versailles comme membre externe du comité militaire, logea chez Servan alors sous-gouverneur des pages. Les deux amis se retrouvèrent sur les bancs de la Législative, Servan comme ministre, Lacuée comme député du Lot-et-Garonne et président de l'Assemblée (29 avril-13 mai 1792). Lacuée traitait surtout les questions relatives à l'organisation de l'armée ; il était le principal membre du comité militaire et le rapporteur de toutes ses décisions ; on a souvent cité le dilemme dans lequel il enfermait Dumouriez ou il connaissait la situation de l'armée, et c'est un traitre ; ou il l'ignorait, et il est incapable. Membre de l'Académie de Metz et plus tard de l'Académie française, il avait une instruction profonde, mais une mince expérience de la guerre. Comme Servan, comme Berthier, il fut plus administrateur que général. Le grand capitaine qu'il préférait et auquel il souhaitait de ressembler, était Catinat, non point parce que cet avocat devenu maréchal de France avait remporté les victoires de Staffarde et de la Marsaille, mais parce qu'il n'avait jamais fait une seule action contraire à son devoir. Durant la période révolutionnaire Lacuée fut un de ces obscurs et laborieux serviteurs de la France qui se vouaient tout entiers à une seule cause, la seule bonne, celle de l'intégrité du territoire. Nous étions placés, disait-il à Victor Cousin, entre l'épée de l'étranger et l'échafaud des clubs. Lacuée ne vit que l'épée de l'étranger[47].

Servan n'arriva que le 20 août à Paris. Lacuée le suppléa durant dix jours, sous le nom de Clavière chargé de l'intérim, et c'est alors que Miot le vit paré du ruban tricolore, établi dans le cabinet du ministre[48]. Mais Lacuée resta près de Servan, et personne n'ignorait que tous deux pourvoyaient de concert aux nécessités de la France envahie. On les nommait ensemble ; on ne les séparait pas l'un de l'autre ; je talonnai Servan et Lacuée, disait Danton devant le tribunal révolutionnaire ; mes compliments à Lacuée, écrivait Labourdonnaye, dans une dépêche à Servan. Lorsque ce dernier donna sa démission, quelques conventionnels offrirent sa succession à Lacuée. Servan ne me désavouera pas, s'écria Vergniaud, depuis le 10 août Lacuée a fait presque tout le travail de la guerre et il a servi très utilement la chose publique. Servan voulut même, à la fin du mois d'août, envoyer Lacuée au quartier-général de Dumouriez ; l'alter ego du ministre aurait suivi de près les opérations militaires et donné son avis sur le meilleur plan de défensive. Mais Lacuée était député ; s'il se rendait à l'armée, comme représentant du ministre, il se chargeait de la responsabilité des événements ; l'Assemblée législative décida qu'il resterait à Paris[49].

Aidé des conseils de Lacuée et, comme il disait, de quelques amis instruits[50], Servan fit les levées de volontaires et accrut les moyens de défense. Dans la place qu'on m'a confiée, écrivait-il le 25 septembre à la Convention, il ne suffit pas de méditer pour correspondre avec les armées ; il faut s'occuper à les alimenter, les augmenter et suivre leurs mouvements ; il faut être dans une action continuelle[51]. Tous les chemins, rapporte un contemporain, se couvrirent de voitures qui conduisaient partout des munitions de guerre et de bouche, des effets de campement, des fournitures d'hôpitaux et des approvisionnements de tout genre ; des soins aussi multipliés allégeaient infiniment aux généraux les embarras du commandement[52].

Il eut parfois des idées aventureuses. Un jour qu'il ne pouvait donner de la poudre à Dumouriez, il lui conseillait de joindre les Prussiens et de leur livrer bataille. Combattons corps à corps, serrons nos ennemis la baïonnette au bout du canon ; nous économiserons la poudre. Une autre fois il lui proposait d'attaquer les Prussiens pendant la nuit à l'arme blanche et même avec des piques, afin de rendre leurs manœuvres et leurs feux inutiles ; les nôtres, ajoutait Servan, n'ont pas besoin d'être vus pour être braves[53].

Il eut tort, après le 20 septembre, d'approuver le plan de Kellermann et de rejeter celui de Dumouriez. Si ce dernier eût écouté Servan, il se serait retiré derrière la Marne ; mais il n'eut garde de suivre le timide conseil du ministre, il resta audacieusement en face des Prussiens et attendit leur retraite. J'espère, lui écrivait-il le 2 octobre sur un ton de juste reproche, que dorénavant vous prendrez confiance en moi et que vous ne laisserez pas détruire cette confiance par d'autres correspondances qui ne pourraient que nuire à l'unité du commandement et du plan de campagne. Enfin, on doit reprocher à Servan d'avoir donné sa démission dès le 25 septembre et, comme dit le duc de Bellune, de s'être trop tôt soustrait, sous prétexte de fatigue, à la responsabilité de plus en plus effrayante qui pesait sur sa tête[54].

Mais Servan eut raison de s'opposer à cette invasion de la Belgique que Dumouriez médita jusqu'au 31 août. Il comprit l'importance des défilés de l'Argonne. Il ne craignit pas de diminuer les forces qui gardaient la frontière du nord pour augmenter celles qui défendraient la frontière de l'est. Il envoya résolument Duval, puis Beurnonville au secours de Dumouriez, et tira des camps et des forteresses de la Flandre près de 14.000 hommes qui grossirent l'armée principale. C'est grâce à Servan, à sa vigoureuse impulsion, à ses recommandations réitérées et pressantes, que s'accomplit la jonction de Dumouriez et de Kellermann. Il faut, mandait-il aux deux généraux, vous réunir le plus tôt possible ; c'est en présentant à l'ennemi un front respectable et de gros bataillons que nous les forcerons à marcher avec circonspection[55].

Il étendait ses soins de tous côtés, mais c'était pour la Champagne qu'il faisait ses plus grands efforts. C'est sur vous, disait-il à Dumouriez, que repose le destin de l'Etat ; et, si nous parvenons à repousser cette grosse colonne ou seulement à la rendre stationnaire, la victoire est à nous. Il sentait qu'il fallait avant tout refouler, recogner la grande armée au delà de la frontière. Nous devons nous attacher fortement au tronc, écrivait-il le 11 septembre au président de l'Assemblée, si nous parvenons à le déraciner, nous serons aisément maîtres des branches[56].

Il avait la passion de la résistance et un espoir obstiné dans le succès. On lutterait pendant deux mois, trois mois, durant toute la mauvaise saison, dans les boues et les neiges, et s'il le fallait, jusqu'au cœur de l'année suivante ; mais à force de courage et de ténacité, la France lasserait la mauvaise fortune. Automne, hiver ou printemps, il faut harceler les Prussiens si constamment et si fort qu'il n'y en ait pas un vestige dans le mois de mars. Il commandait des vêtements d'hiver pour l'armée, et le 16 septembre il informait Dumouriez et Kellermann qu'il comptait leur envoyer incessamment 300 à 400 redingotes par jour. Résolu à faire la guerre l'hiver, tout l'hiver, je vais employer tous les moyens imaginables pour porter cette fourniture à 80.000. C'était la guerre à outrance, la guerre opiniâtre et désespérée avec toutes ses souffrances et tous ses sacrifices, jusqu'à l'entier épuisement des ressources du pays. Ne ménagez, lisons-nous dans une de ses lettres à Dumouriez, ni les courriers, ni les moyens pour assurer vos subsistances ; c'est le moment de prouver que nous ne prisons l'argent qu'autant qu'il peut nous assurer la liberté. Soyons libres et bientôt nous deviendrons riches[57].

Il voulait organiser le soulèvement universel contre les envahisseurs et les fatiguer par une incessante et meurtrière guérilla de la population qui ferait le vide autour d'eux et défendrait le territoire pied à pied, en tirant parti de chaque obstacle. Il donnait aux administrateurs des départements menacés et à tous les généraux l'ordre de détruire les moulins, de combler les puits et les fontaines, de faire sauter les magasins de poudre, de transporter dans l'intérieur les fourrages et les provisions de bouche, de soustraire aux alliés les chevaux, les bêtes de somme et de trait, les vaches, les veaux, les moutons, d'envoyer vers Paris et Soissons, vers Châlons et Reims tous les bateaux de l'Aisne et de la Marne. Il rappelait le principe de destruction qui avait si bien réussi en France, notamment sous le règne de François Ier et proposait à la région du nord-est l'exemple de la Provence résistant à Charles-Quint et au prince Eugène. Les habitants des campagnes s'embusquaient sur les flancs et les derrières de l'armée, et là, couverts par un arbre, une haie, une maison, un tas de pierres, ils tiraient sans danger sur l'ennemi ; ils se postaient sur la route de ses convois. C'est ainsi, ajoutait Servan, que les miquelets font la guerre ; c'est ainsi qu'une poignée de Corses a conservé longtemps sa liberté, et il assurait aux habitants qu'ils seraient indemnisés de tous leurs dommages par l'Assemblée[58].

Mais le solide noyau de la défense, c'était l'armée de Dumouriez et de Kellermann. Servan encourageait les généraux. Il citait à Dumouriez les insurgents d'Amérique : Désorganisés, manquant d'armes, de munitions, de vêtements, nous n'en devons pas moins conquérir notre liberté. Les Américains, dans un climat bien plus âpre, étaient nu-pieds, sans habits, sans armes et sans munitions avant l'affaire de Trenton où ils assurèrent leur liberté[59]. Mais il fallait ne livrer aux ennemis que de petits engagements, profiter habilement de leurs moindres fautes, en un mot, traîner la guerre en longueur et en dégoûter l'adversaire par une série d'escarmouches, par le ravage systématique du pays qu'il traversait, par la constance et la durée d'une défense qu'il n'avait pas prévue. En gagnant du temps, nous gagnons tout ; chaque jour, nos forces s'accroissent et en nombre et en qualité ; chaque jour celles des ennemis doivent s'affaiblir. L'intérêt des Prussiens est de livrer bataille, et, par conséquent, le nôtre, de ne combattre qu'à la dernière extrémité ; ils comptent sur l'impatience française et conviennent eux-mêmes qu'ils sont perdus si l'on se borne à les harceler ; donc, pas de grand combat, toujours des défenses de poste, des attaques d'arrière-garde, d'équipages, de convois ; n'oubliez pas le bon Fabius, cunctando restituit rem. Il donnait les mêmes conseils à Kellermann : Nous devons temporiser et temporiser encore, nous défendre de la manie des batailles... j'aime cent fois mieux que Dumouriez et vous, acquériez la réputation de temporiseurs que celle de batailleurs[60].

Telle fut la part que le ministre de la guerre prit à la défense du territoire en août et septembre 1792. Ce fut un ministre patriote ; resserrons-nous, disait-il, pour sauver notre liberté, voilà mon unique vœu, mon unique but. Il accomplit, selon le mot de Grimoard, des miracles administratifs[61]. Il sacrifia ses ressentiments au salut de la patrie ; il oublia que Dumouriez l'avait chassé du ministère ; il ne se souvint que de son génie, et il put dire, à la fin de la campagne, avec un noble orgueil : Lorsque j'écrivais au général Dumouriez, à Maulde, de venir sauver l'armée Lafayette et contribuer ensuite à repousser les ennemis, je savais à qui je m'adressais[62].

Il faut se rappeler que pendant qu'il secondait et stimulait Dumouriez et Kellermann, il veillait aux besoins des troupes de Flandre, du Rhin, du Midi ; qu'il correspondait avec tous les commandants de corps d'armée, les gouverneurs des places et les généraux chargés d'organiser les bataillons de volontaires ; qu'il envoyait des renforts aux défenseurs de Lille : qu'il pressait la conquête de Nice et de la Savoie ; qu'il assistait aux séances de l'Assemblée et du Conseil exécutif ; qu'au milieu de tant de soins, il suivait anxieusement sur la carte les progrès des alliés. Que d'incertitudes et de péripéties durant ces mois d'août et de septembre, soit lorsque Dumouriez détournait ses regards de Sedan et ne songeait qu'à l'invasion de la Belgique, soit lorsque se succédaient coup sur coup les tristes nouvelles de la prise de Longwy, de la retraite de Luckner, de la capitulation de Verdun, soit enfin lorsque les alliés s'emparaient de la Croix-aux-Bois et franchissaient l'Argonne ! Je vous sais dans la bagarre, écrivait-il à Dumouriez le 15 septembre, et, deux jours après, j'ai quelquefois été sur votre compte dans de rudes transes, notamment après la retraite du corps de Chazot et plus encore aux premières nouvelles de la terreur panique ; mais rien ne m'étonne plus depuis qu'on a vu une armée victorieuse mise en fuite par un lièvre[63].

On doit dire encore à l'honneur de Servan, que l'esprit de parti n'avait pas éteint chez lui la raison et le patriotisme. Il aurait donné un commandement à Mathieu Dumas si l'opinion publique n'eût pas été trop prononcée contre lui, mais il prit ses avis et réintégra dans l'armée le frère du député, Dumas de Saint-Marcel, colonel du régiment d'Auvergne[64]. Il destitua Berthier, mais il garda Stengel et Le Veneur. Il chargea d'Arçon d'inspecter les frontières, car il connaissait la qualité et la constance de ses services[65]. Il avait nommé d'excellents ingénieurs pour fortifier le camp de la plaine Saint-Denis : la Commune objecta qu'ils étaient royalistes et voulut les remplacer par des républicains ignorants. Servan s'emporta : Je garderai mes ingénieurs, s'écriait-il, je ne les chargerais pas de donner leur voix sur la forme du gouvernement, mais je suis sûr qu'ils serviront bien celui qui saura les employer ; il nous faut ici des redoutes, et non des motions ![66]

Enfin, et ce fut peut-être le plus grand mérite de Servan, il comprit la véritable mission d'un ministre de la guerre et resta toujours dans son rôle. Tl n'eut pas la prétention de conduire les opérations du fond de son cabinet. Il connut les plans des généraux, il ne les inspira pas. Il fut le pourvoyeur des armées et l'organisateur des forces nationales ; il ne se crut pas un stratégiste. S'il donna des conseils, il ne donna jamais des ordres et laissa la responsabilité de l'action aux chefs militaires. Dumouriez n'a pas reçu, comme on l'a dit, de lettres impératives ; il agit toujours de lui-même et ne suivit que ses propres idées. Servan l'invitait, le priait, mais ne lui commandait pas. Il écrivait à Moreton que les généraux auraient pendant son ministère la carte blanche la plus étendue. Je ne veux point, mandait-il à Dumouriez et à Kellermann, diriger vos mouvements, mais uniquement en causer avec vous... je ne vous prescris rien parce que je veux vous laisser absolument le maître... je vous dirai toujours ce que la prudence me suggérera et tout ce qu'exige de moi l'ensemble des grands objets qui me sont confiés ; mais, comme vous êtes en état de bien voir et en place pour le faire, je ne contrarierai jamais les opérations auxquelles vous tenez fermement, et je ferai au contraire tout ce qui dépendra de moi pour les faire réussir. Quand j'écris à un général, mon intention n'est jamais d'influencer les opérations comme ministre ; je ne mets d'autre poids à mes opinions que celui qu'elles auraient, si je n'étais pas ministre[67].

 

III. Pendant que l'activité de Servan mettait les armées françaises en état de résister, l'Assemblée législative, animée d'un grand esprit de patriotisme, rendait, dans l'imminence du péril, décrets sur décrets[68].

Dès le 10 août, elle s'était déclarée en séance permanente et avait envoyé aux armées des commissaires investis du pouvoir d'arrêter et de destituer les généraux et les fonctionnaires civils et militaires. Lorsqu'elle apprit la capitulation de Longwy, elle lança la proclamation suivante : Citoyens, la place de Longwy vient d'être vendue ou livrée ; les ennemis s'avancent ; peut-être se flattent-ils de trouver partout des lâches ou des traîtres ; ils se trompent. Nos armées s'indignent de cet échec et leur courage s'en irrite. Citoyens, vous partagez leur indignation ; la patrie vous appelle, partez ![69] et en même temps, le 27 août, elle requit le département de Paris et les départements voisins de fournir à l'instant 30.000 hommes armés et équipés. Elle décréta que quiconque parlerait de reddition, dans une ville assiégée, serait puni de mort, et ce décret fut proclamé solennellement et à son de trompe dans les armées et dans toutes les places fortes[70]. Guadet avait été chargé de faire à l'Assemblée un rapport sur la capitulation de Longwy ; il le fit avec sa vivacité coutumière, et, sur sa proposition, la Législative décida que, dès que la ville serait rentrée au pouvoir de la nation, toutes les maisons seraient détruites et rasées ; que les habitants seraient privés durant dix ans du droit de citoyen français ; que les administrateurs et officiers municipaux seraient renvoyés devant les tribunaux criminels[71]. Elle fit à la garnison de Longwy l'accueil le plus méprisant. Des soldats sortis de la place se présentèrent à la barre et se plaignirent d'avoir été désarmés par l'ennemi. C'est bien fait !, crièrent plusieurs membres, et l'Assemblée, se levant tout entière d'un mouvement unanime et passant à l'ordre du jour, enjoignit aux soldats de se retirer. Le 3e bataillon des Ardennes envoya un mémoire justificatif dans lequel on lisait ces mots : La garnison a été trompée, et que pouvait-elle faire ? Mourir, répondirent quelques membres[72].

La prise de Verdun inspira la même indignation. L'Assemblée interrompit par de violents murmures la lecture des pièces de la capitulation. Elle mit en accusation Ternaux et Gossin qui s'étaient rendus à Verdun sur la sommation du roi de Prusse, cassa le conseil général de la Meuse, autorisa les corps administratifs et électoraux, menacés par l'invasion, à changer le siège de leurs séances, et prononça la peine de mort contre tout fonctionnaire qui obéirait aux réquisitions de l'ennemi[73]. Elle décréta que le corps de Beaurepaire serait déposé au Panthéon[74] et que cette inscription Il aima mieux se donner la mort que de capituler avec les tyrans serait gravée sur son tombeau. Le président de l'Assemblée, Hérault de Séchelles, écrivit à la veuve de Beaurepaire que le commandant de Verdun laissait un grand modèle à tous les soldats de la liberté. On profitait de la mort de Beaurepaire[75] pour exalter les esprits et surexciter le patriotisme. Elle est plus utile que sa vie, s'écriait Delaunay dans la séance du 12 septembre, elle encourage les timides et raffermit les chancelants. De quelle impression profonde seront frappés nos guerriers, en voyant passer de Sainte-Menehould à Paris le char funèbre qui porte les restes de Beaurepaire ! Cette vue élèvera les âmes, inspirera le courage et animera tous les cœurs du désir de la vengeance. Rome, disait Louvet dans la Sentinelle du 18 septembre, n'a pas eu de héros plus magnanime. On entourait de circonstances romanesques le suicide du lieutenant-colonel de Mayenne-et-Loire. On prétendait qu'il s'était tué sous les yeux des administrateurs de Verdun. Il s'est donné la mort, affirmait Delaunay, en présence des fonctionnaires publics qui ont livré le poste confié à son courage[76]. Un décret du 14 septembre défendit de payer provisoirement aux habitants de Verdun et de Longwy les sommes que leur devait le trésor national pour offices ou autres créances. On les déclara traîtres à la patrie ; on ne vit plus en eux que des Français qui renonçaient à leur pays. Les journaux ne parlaient que de la lâcheté de ces deux villes. Les municipalités écrivaient de toutes parts à l'Assemblée qu'elles n'imiteraient pas l'exemple des deux cités parjures. L'auteur d'un drame intitulé Le siège de Lille mettait sur la scène un aristocrate qui portait le nom de M. de Verdun. Le Patriote français proposa même d'ôter son nom à la ville de Verdun et de le remplacer par celui de Beaurepaire ; mais, objectait la Chronique de Paris, ce repaire n'est point beau, et nous opinons que Verdun et Longwy gardent leurs noms jusqu'à ce que, par des actes de patriotisme, ces villes aient expié leur honte[77].

L'Assemblée devenait ainsi, selon le mot de Vergniaud, un grand comité militaire plutôt qu'un corps législatif. Elle décrétait que les employés de l'Etat qui couraient aux armes pour la défense du sol, conserveraient le tiers de leurs appointements[78]. Elle décidait la formation en deux régiments de ligne des officiers, sous-officiers et soldats des régiments ci-devant coloniaux de la Martinique, de la Guadeloupe et de Port-au-Prince[79]. Elle augmentait le nombre des troupes légères et des corps francs et décrétait successivement la formation de deux compagnies à cheval, de 80 hommes chacune, levées dans la ville de Versailles, habillées de l'uniforme des gardes du roi, montées sur les chevaux des écuries du château[80] ; d'une légion étrangère, la légion des Germains qui serait composée de 3.000 hommes dont 1.000 cavaliers et 2.000 fantassins[81] ; d'un corps de chasseurs à cheval qui prendrait le nom de hussards braconniers[82] ; d'une compagnie franche de chasseurs bons tireurs de l'Oise et de la Somme, au nombre de 450 hommes, qui devraient soit harceler l'ennemi, soit s'opposer aux chasseurs tyroliens[83]. Elle ordonnait que tous les chevaux laissés en France par les émigrés appartiendraient à la nation et serviraient à monter les compagnies franches ; Coblentz, disait Choudieu, nous fournit de la cavalerie[84]. Elle décrétait, sur le rapport de Beaupuy, que le conseil exécutif provisoire pouvait requérir, pour le service de l'armée, d'abord les chevaux de luxe, ensuite les chevaux de commerce, enfin les chevaux d'agriculture[85]. Elle autorisait tout Français à lever des corps armés. Elle acceptait les offres de deux citoyens, Louis Rutteau, de Paris et Louis Dumont, de Lille, qui levèrent chacun un corps de hussards de la liberté composés de 400 hommes qui avaient déjà servi dans les troupes légères ou dans la ligne[86]. Elle adoptait la formation d'une légion de déserteurs prussiens qui porterait le nom de légion des Vandales[87].

Mais, disait Lasource, ce n'est pas à coups de poing qu'on repousse des coups de fusil. Sur le rapport de sa commission des armes, l'Assemblée décréta qu'on fabriquerait à l'arsenal de Paris cent canons de 4, cinquante de 12 et vingt obusiers ; que le plomb et le fer des châteaux de Versailles et de Marly seraient convertis en balles et en mitraille[88] ; que tous les ouvriers des manufactures d'armes — Charleville, Maubeuge, Tulle, Saint-Etienne — seraient en activité et que leur travail serait compté comme service militaire ; qu'une compagnie de canonniers serait adjointe à tous les bataillons de volontaires[89]. Elle décida qu'on avancerait une somme de 60.000 livres à des entrepreneurs qui s'engageaient à fournir 40.000 fusils[90] ; qu'on transporterait à Paris les fusils de Rochefort et de Brest destinés au service de la marine[91] ; que les municipalités feraient des visites domiciliaires pour rechercher les armes ; que tous les fusils de munition et de calibre de guerre qu'on pourrait trouver, seraient achetés au prix de 38, de 35, de 30 et de 25 livres en assignats[92]. Elle ôtait aux gardes nationales des départements, aux sous-officiers de l'armée, aux soldats de l'artillerie, aux dragons, aux préposés des douanes les fusils qu'on leur avait distribués, pour les donner aux volontaires et aux troupes de ligne[93]. Elle autorisait le ministre de la guerre à retirer ses mousquetons à la cavalerie[94] ; elle décrétait même que le gouvernement achèterait les fusils de munition de réforme déposés dans les magasins des négociants qui faisaient le trafic sur les côtes de Guinée[95].

Cependant, de toutes parts, les jeunes gens se présentaient pour s'enrôler. 300 habitants de Bar-le-Duc s'engageaient du 11 juillet au 15 août. 650 hommes prenaient les armes dans le district de Cognac ; 30 dans la commune de Boyer (Saône-et-Loire) qui comptait à peine trois cents âmes et ne fournissait qu'un milicien sous l'ancien régime ; 33 dans la paroisse de Longpont. A Lisieux, le citoyen Leroy, père de sept fils, dont quatre servaient à l'armée, offrait à la patrie les trois qui lui restaient et jurait de remplacer le premier qui périrait pour la défense nationale[96]. Chaque village, dit l'auteur du Tableau historique, envoie au moins un fantassin ; tous les esprits sont stimulés par la crise révolutionnaire et la crainte d'un joug étranger ; une prodigieuse quantité d'individus, même des pères de famille, prennent les armes par pur patriotisme.

Les corps francs s'organisaient à l'envi. Mlle Montansier levait une compagnie composée de 85 artistes et ouvriers de son théâtre. Les peintres, les sculpteurs, les graveurs formaient la compagnie des artistes qui casernait au Louvre ; les nègres et les mulâtres, la compagnie des hommes de couleur ; les acteurs, la compagnie franche des acteurs ; les élèves les plus âgés du collège Louis-le-Grand, la seconde compagnie des volontaires du Panthéon. Cent dix boursiers de cet établissement s'enrôlaient dans l'armée.

Les dons patriotiques affluaient. De généreux citoyens offraient de prendre à leur charge les enfants de ceux qui mourraient pour la patrie. D'autres envoyaient à l'Assemblée leurs modestes épargnes. Les officiers donnaient leur croix de Saint-Louis et la garnison de Philippeville, un jour de sa paye pour les frais de la guerre. Bataillons, détachements, compagnies, escouades, défilaient dans la salle où siégeait l'Assemblée, au son de la musique militaire et au cliquetis des armes, en jurant de vaincre ou de mourir.

Paris donna l'exemple au reste de la France. Les 60 bataillons de la garde nationale avaient été remplacés après le 10 août par 48 sections armées, divisées en compagnies. Il n'y avait plus de grenadiers ni de chasseurs, car ces distinctions semblaient contraires aux principes de l'égalité. L'Assemblée décréta que les sections enverraient à l'armée 5.000 volontaires destinés à remplacer la moitié du contingent de grenadiers et de chasseurs que devait fournir la garde nationale. Ces 5.000 volontaires se présentèrent immédiatement et vingt-neuf bataillons se formèrent durant le mois de septembre[97].

Dès le 10 août, sur la proposition de Choudieu, l'Assemblée avait résolu l'établissement d'un camp retranché sous les murs de Paris. Quatre commissaires tracèrent dans la plaine Saint-Denis un emplacement suffisant pour 40.000 hommes. Chaque section de Paris dut fournir tous les quatre jours deux compagnies et une pièce d'artillerie pour la garde de ce camp. La garnison fut composée de citoyens inscrits sur les registres de la municipalité ; ils formèrent six bataillons et plusieurs compagnies à cheval qui reçurent le nom de cavalerie nationale de Paris ; on leur joignit 4.600 gendarmes tirés des brigades et répartis en deux divisions. L'officier du génie Belair, secondé par des ingénieurs des ponts et chaussées, dirigea les travaux du camp. Le lieutenant-général Berruyer commanda l'armée destinée à la défense de la capitale ; après avoir prêté serment à l'Assemblée législative dans la séance du 9 septembre, il établit son état-major et ses bureaux rue Louis-le-Grand à l'hôtel d'Egmont[98].

Toutes ces mesures, prises dans l'espace de quarante jours, augmentaient-elles réellement les forces de la défense nationale ? Elles étaient à la fois tardives et impuissantes. Les décrets de l'Assemblée, dit Vergniaud, amenèrent souvent une confusion qui entravait la marche des affaires[99]. Les représentants en mission furent presque toujours en désaccord avec le conseil exécutif. Servan destituait Dillon ; les commissaires lui conservaient son commandement. Servan destituait Luckner ; les commissaires obtenaient que le vieux maréchal fût nommé généralissime des armées. Servan confiait à Dumuy une mission en Suisse ; les commissaires, à leur tour, destituaient Dumuy que le ministre se hâtait de réintégrer[100].

Le camp retranché de Paris aurait-il arrêté l'invasion ? J'ai été au camp, disait Vergniaud le 16 septembre ; les travaux avancent très lentement ; il y a beaucoup d'ouvriers, mais peu travaillent et un grand nombre se reposent ; les bêches ne sont maniées que par des mains salariées, et non par des mains que dirige l'intérêt commun[101].

Les corps francs dont l'Assemblée avait autorisé la formation après le 10 août, ne rendirent aucun service. Il y avait à l'armée de Dumouriez des compagnies franches : la légion belge placée sous les ordres du maréchal de camp Rosières, les Ransonnets, la compagnie de Lorient et celle des Quatre-Nations, les volontaires de Cambrai ou, comme on les nommait, les Cambretots. Les Ransonnets étaient commandés par le capitaine de ce nom qui avait servi successivement l'Autriche, les insurgents d'Amérique, les patriotes de Liège et de la Belgique ; ils appartenaient à l'avant-garde de Dillon. La compagnie de Lorient et celle des Quatre-Nations eurent le temps d'arriver au camp de Braux et subirent le 20 septembre sur le mont d'Yvron la canonnade prussienne[102]. Mais les chasseurs du Louvre et ceux de l'Observatoire, les hussards de la Mort n'arrivèrent en Champagne que lorsque la retraite des Prussiens était déjà commencée. La compagnie des hommes de couleur qui prit le nom de légion des Américains, ne fut prête que pour la campagne de Belgique[103]. Les hussards de la Liberté étaient encore casernés le 16 septembre à l'École militaire[104]. La bizarre légion des Germains qui devait comprendre quatre escadrons de cuirassiers légers, quatre escadrons de piqueurs à cheval et un bataillon d'arquebusiers (sic), se forma tout autrement que l'avait décrété l'Assemblée et se trouvait encore cantonnée à Fontainebleau dans le mois de décembre[105].

La Législative avait même approuvé la création d'une légion de tyrannicides. Le 26 août, Jean Debry proposait l'organisation d'un corps de douze cents volontaires qui se dévoueraient, comme de nouveaux Scévola ou comme les satellites du Vieux de la montagne, à frapper les rois qui faisaient la guerre à la France ; chacun d'eux aurait un traitement de 2.000 livres ; ils s'appelleraient les douze cents ; le poignard et le pistolet seraient leurs armes. Aussitôt Chabot et Merlin de Thionville déclarent qu'à l'expiration de leur mandat parlementaire, ils s'engageront dans ce corps des vengeurs de l'humanité. Mailhe applaudit à ce projet, car la guerre actuelle est une guerre à mort, et tous les moyens sont justes pour soustraire un peuple à l'esclavage. Sans Vergniaud, la motion de Jean Debry était adoptée. Mais l'orateur de la Gironde monte à la tribune. Je ne traiterai point, dit-il, cette question sous le rapport de la moralité ; la solution est dans toutes les âmes. Mais c'est une guerre loyale que vous voulez faire ; si vous organisez un corps de tyrannicides, vos ennemis organiseront un corps de généralicides et votre décret sera un décret d'assassinat contre vos propres généraux. Sers de Bordeaux ajoute que l'Assemblée se déshonorerait devant toutes les nations civilisées. La proposition fut renvoyée au comité de législation, puis oubliée[106]. Mais du camp de Malancourt, Reuss et Lucchesini répondirent le 12 septembre à l'Assemblée : Elle vient, disaient les ministres des deux cours alliées, de décréter qu'il serait envoyé un corps de bandits pour assassiner les souverains de l'Europe et les généraux de Prusse qui sont ligués pour faire cesser les malheurs de la France... Tout Français sera désormais fouillé par les postes, et celui sur lequel on trouvera une arme offensive quelconque, canne avec une dague ou tout autre moyen homicide, sera puni d'une mort ignominieuse, devant le camp, sans rémission et sans aucune forme de procès[107].

Enfin, la grande levée des mois d'août et de septembre 1792 ne fut qu'une force d'apparence ; elle n'eut pas le temps de se joindre aux soldats de Dumouriez et de Kellermann ; lorsqu'elle s'ébranla, la question était décidée ; l'armée de ligne, secondée par les volontaires de 1791, avait soutenu le choc, et l'ennemi se retirait.

 

IV. L'histoire de l'invasion prussienne serait cependant incomplète si l'on ne retraçait pas ce que fut eu immense levée de volontaires de 1792 et de fédérés[108]. Elle s'organisa dans quatre camps, à Meaux, à Soissons, à Reims, à Châlons ; à Meaux, commandait Lenglantier ; à Soissons, Duhoux auquel succéda Lapoype activement secondé par l'adjudant général Chadelas ; à Reims, d'Harville ; à Châlons, le maréchal Luckner.

Châlons était le principal rassemblement. Le conseil exécutif avait prescrit le 31 août de former dans cette ville un camp de 12.000 hommes. Le chef réel de ce rassemblement fut Choderlos de Laclos, chargé par les ministres de surveiller Luckner et de contresigner tous ses ordres.

Il n'est connu que par le roman des Liaisons dangereuses (1782), énergique peinture de la corruption froide et cynique du XVIIIe siècle. Mais il a pris une part active à la Révolution. C'était, dit Mme Roland, un homme plein d'esprit, et que la nature avait fait pour de grandes combinaisons, mais qui consacra toutes ses facultés à l'intrigue[109]. D'abord capitaine du génie, puis secrétaire des commandements du duc d'Orléans, il avait publié sous le voile de l'anonyme, dans la Galerie des États généraux, une série de profils parlementaires où l'on devinait Lafayette sous le nom de Philarète et Talleyrand sous celui d'Amène[110]. Il se fit affilier a la société des Jacobins et demanda un des premiers, après le retour de Varennes, la déchéance de Louis XVI. Il rédigea avec Brissot la pétition du Champ-de-Mars, en ayant soin d'insérer une clause qui rappelait la royauté et ouvrait une porte au duc d'Orléans. Le nouveau gouvernement l'avait nommé colonel d'artillerie et commissaire du conseil exécutif. On ne l'appelait plus que le patriote Laclos.

Le patriote Laclos joignait à sa perspicacité naturelle le coup d'œil du militaire. Dès son arrivée à Châlons, il craignit un désastre. Que faudrait-il faire, se demandait-il, si les Prussiens forçaient les passages de l'Argonne ou prenaient la route de Bar-le-Duc et de Vitry-le-François par Revigny ? On ne pouvait défendre Châlons ; la Marne était guéable au-dessus et au-dessous de la ville ; l'ennemi prendrait l'armée comme dans une cage. On devait donc, selon Laclos, ou se retirer dans la direction de Paris ou bien occuper la position de Pont-Faverger et de Suippes où le maréchal de Praslin avait arrêté en 1650 les Espagnols commandés par Turenne. Ce dernier plan frappa vivement l'entourage du ministre, et Servan le soutint avec obstination jusqu'à la fin de septembre. Mais Laclos se prononçait résolument pour le premier parti : il fallait, disait-il, battre en retraite jusqu'à Paris et défendre le camp retranché : Dumouriez se replierait par Reims ; Luckner longerait, avec les troupes de Châlons, la rive gauche de la Marne ; Kellermann prendrait le chemin de Bar-sur-Aube et se porterait rapidement sur la Seine ; les trois armées de Dumouriez, de Luckner, de Kellermann refouleraient devant elles toutes les subsistances et brûleraient celles qu'elles ne pourraient transporter ; elles gâteraient les routes et couperaient les ponts ; elles se réuniraient devant Paris pour livrer bataille à l'adversaire épuisé, Labourdonnaye approuvait sans réserve le plan de Laclos. Lui aussi pensait qu'il était impossible de défendre cette grande villasse de Châlons[111] et qu'on devait laisser les Prussiens s'avancer dans l'intérieur du pays, les harceler sur leurs flancs et leurs derrières, les attaquer sans cesse en fourrageurs, livrer enfin devant Paris la partie décisive où l'on jouerait quitte ou double[112].

Pendant que Laclos rédigeait des plans qui devaient être inutiles, Luckner faisait sérieusement le généralissime. Il dictait et recevait des dépêches ; il donnait des conseils aux généraux ; il passait des revues. Mais il restait aussi incapable et aussi nul que sous les murs de Metz, deux semaines auparavant. Les commissaires de l'Assemblée[113] le respectaient encore ; sa routine même peut nous être précieuse, écrivaient-ils au comité de correspondance, et si nous étions obligés de rétrograder, une bonne mesure présentée à temps et prise avec célérité influerait essentiellement sur le salut de l'Etat. D'ailleurs, à Châlons comme à Metz, Luckner affirmait son dévouement au nouveau régime et mêlait sans cesse les larmes aux protestations. Il prodigue, disait Laclos, des serments et des pleurs qui le serviront à merveille auprès des troupes pour rejeter sur les autres ses propres sottises[114].

Mais les troupes se moquaient du maréchal. Les Parisiens, toujours gouailleurs, le couvraient de huées et faisaient mille plaisanteries sur sa figure et son jargon. Bientôt le vieux sabreur, entièrement découragé, perdant ce qui lui restait encore de jugement, tomba dans le plus profond désespoir. Il disait à tout venant que c'en était fait de la France, que la trahison régnait partout, qu'il servait depuis trente ans et n'avait jamais vu de si horribles perfidies. Il radote, écrivait Custine, et sa nullité, le désordre qui régnera dans son armée, me fait faire d'amères réflexions sur le salut de la capitale[115].

Si encore Luckner n'avait pris aucune mesure, s'il s'était borné à donner des avis ! Mais il essayait de se soustraire à la surveillance de Laclos. Un jour, sans le consulter, il fait afficher un placard qui porte que tous les soldats armés et non organisés doivent quitter Châlons. Laclos court chez le maréchal et l'accable de reproches. Quoi, on renvoie des volontaires armés qu'il suffit d'incorporer dans les bataillons déjà formés ! On ne prend pas son avis ! On publie un arrêté qui n'est pas contre-signé par le commissaire du pouvoir exécutif ! Avez-vous signé le placard, oui ou non, demande Laclos à Luckner. — Non, répond le maréchal, je n'ai jamais signé un ordre semblable, qu'on me montre ma signature, je donne ma tête. Mais les serments de Luckner n'ont pas convaincu le patriote Laclos ; je vais, dit-il, au département et je me ferai montrer l'original du placard. — Allez, réplique le maréchal, allez, je vous en prie. Laclos se rend au directoire ; on lui montre l'original de l'arrêté, signé de la main de Luckner ! Je vous demande, écrivait-il au ministre, ce qu'on peut faire d'un pareil homme ! C'est notre plus grand obstacle, et peut-être ai-je assez fait en neutralisant autant qu'il est en moi cet homme faible ou pervers ou peut-être tous deux. Il proposa, non pas de le destituer brutalement, mais, par ménagement pour sa réputation militaire, de le mander à Paris devant le conseil exécutif, sous prétexte de prendre son avis. Gardez-le, ajoutait Laclos, jusqu'à la fin de la campagne ; ce n'est qu'à Paris qu'il sera utile sans être dangereux.

Billaud-Varennes était alors à Châlons. Il partageait l'opinion de Laclos sur le maréchal. Laclos, mandait-il à Danton, n'est pas lui-même un être en qui l'on puisse avoir une confiance aveugle ; mais Luckner est un hors-d'œuvre, il fait pitié ; conserver cette machine étrangère où elle est placée, c'est se charger d'une responsabilité terrible et compromettre le sort de nos armes[116].

Le conseil exécutif fit ce que demandaient Laclos et Billaud-Varennes. Il donna l'ordre à Luckner de se rendre à Paris. Le maréchal, suivi de Laclos qui l'accompagnait comme son ombre, arriva le 22 septembre. On le logea dans l'hôtel qu'habitait Berruyer, et on l'invita à éclairer le conseil de ses avis ; ce qu'il pourrait faire plus utilement dans la capitale qu'à Châlons, vu la fermentation qui règne dans cette ville[117].

Il serait injuste d'attribuer à la faiblesse de Luckner la fermentation qui, de l'aveu du conseil exécutif, régnait à Châlons. Labourdonnaye assista Luckner durant quelques jours et fut aussi impuissant que le vieux maréchal. On l'avait nommé commandant en chef de l'armée de l'intérieur. Il eut l'esprit de ne pas organiser cette armée de l'intérieur ; il se contenta d'envoyer des renforts à Dumouriez et à Kellermann ; je suis, disait-il, un commis au bureau mouvement des troupes, en attendant que je sois général[118].

Mais les volontaires étaient en trop grand nombre. 18.635 quittèrent Paris du 3 au 16 septembre[119] et Servan annonçait que 24.000 autres arriveraient à Châlons du 18 au 25 ; c'étaient 2.000 environ par jour ! La plupart n'avaient pas d'armes et avouaient franchement à Labourdonnaye qu'ils ne savaient pas se servir d'un fusil. Il fallait donc les armer et les exercer ; mais on n'avait à Châlons ni assez de fusils ni assez d'instructeurs. Il fallait les abriter ; mais on n'avait pas assez de tentes et d'effets de campement. Il fallait les nourrir ; mais il n'y avait pas à Châlons de commissaire ordonnateur chargé de pourvoir spécialement à leur subsistance ; les volontaires sans armes consommaient une partie des vivres destinés aux volontaires armés ; les distributions, écrivait Labourdonnaye, sont livrées au pillage. Enfin, il fallait discipliner cette foule confuse et frémissante, composée surtout de Parisiens indociles : ce sont, disait le ministre de la guerre, nos braves frères d'armes de Paris, mais il avouait lui-même qu'ils avaient plus de bonne volonté que de soumission et qu'il faudrait une forte dose de patience pour mettre de l'ordre au milieu de gens aussi exaltés[120].

Le 17 septembre, Labourdonnaye priait Servan de suspendre, durant deux jours, le départ des troupes qui venaient de Paris pour ne pas augmenter l'engorgement et le désordre. Châlons n'offrait plus, en effet, qu'un vaste chaos où s'agitait une multitude rebelle à toute discipline. Tantôt les volontaires enlevaient les drapeaux militaires suspendus à la voûte de la cathédrale et les armoiries du chapitre épiscopal pour les brûler sur la place au blé et ils dansaient la farandole autour du bûcher. Tantôt, à l'instigation de Billaud-Varennes qui leur dénonçait l'incivisme de la municipalité de Châlons, ils se rendaient pêle-mêle à l'hôtel de ville et voulaient égorger le maire. Tantôt, ils juraient de massacrer les aristocrates enfermés dans la prison et braquaient leurs canons contre la porte ; déjà les artilleurs approchaient des pièces les mèches allumées ; sans Prieur de la Marne, sans Luckner qui se jeta devant la bouche d'un canon en s'écriant : Tuez votre général si vous l'osez !, ils auraient envahi la prison et mis à mort les détenus[121]. Tantôt encore ils égorgeaient un pauvre vieillard sourd qui portait un paroissien sous le bras, mettaient son corps en morceaux et promenaient sa tête au bout d'une pique. Ils massacraient le lieutenant-colonel du 38e régiment. Ils voulurent tuer un élève de l'Ecole d'artillerie, le futur général Allix, parce que les boutons de son uniforme portaient trois fleurs de lis. Allix fut sauvé par sa présence d'esprit. Mes boutons vous déplaisent, dit-il aux volontaires, eh bien, je vous donne mon uniforme, il est tout neuf et en drap fin de Sedan ; mais je ne puis aller tout nu, que l'un de vous échange son habit avec le mien, et il fera des boutons ce qu'il voudra. On rit, on le laissa aller et Allix enleva ses boutons à fleurs de lis[122].

Le matin du 15 septembre, trois bataillons de Paris reçurent l'ordre de se diriger sur Sainte-Menehould pour renforcer l'armée de Dumouriez. Deux refusèrent d'obéir, le troisième, le bataillon de la section des Lombards, consentit à partir après de grandes hésitations, et seulement dans l'après-midi. Mais il rencontra sur la route les fuyards de Montcheutin et revint sur ses pas en criant à la trahison. Le lendemain et le surlendemain, les volontaires parcouraient les rues de la ville, accusant de perfidie les généraux, les poursuivant d'insultes et d'outrages, disant que leur pain de munition était moins blanc que celui de Paris. Ils pillèrent les boulangeries. Ils menacèrent de mort Luckner et ses aides-de-camp. Le maréchal, convaincu que les fugitifs de Montcheutin excitaient le désordre, déclara qu'il les renverrait à leurs régiments. Mais les volontaires s'écrièrent qu'on n'était plus sous l'ancien régime, qu'on ne pouvait traiter ainsi des citoyens et des frères, qu'il fallait arrêter le maréchal ; plusieurs lui tenaient déjà son cheval par la bride[123].

Vainement Labourdonnaye essayait, avec les gendarmes du département, de tenir tête à ces forcenés. Que faire avec 450 gendarmes contre une foule méfiante et méchante ? On lui avait adjoint deux maréchaux de camp, du Hamel, commandant en second de l'École d'artillerie, et Saint-Jean ; tous trois, écrivait Labourdonnaye, nous sommes excédés au physique et au moral.

Aussi avait-il hâte de quitter Châlons ; il craignait d'être immolé par ses soldats. Dès qu'il eût reçu le commandement de l'armée du Nord, il partit. Un mot peint les embarras cruels qu'il avait éprouvés ; il recommandait Santerre comme son successeur : Si Santerre ne vient pas raccorder et subordonner la force armée de Paris, nous sommes perdus, non par nos ennemis, mais par nos désordres.

Servan le remplaça par le lieutenant-général de Sparre[124]. Mais Sparre, lui aussi, fut bientôt dégoûté de sa mission. C'est un furieux travail, disait-il au ministre, quand on veut faire obéir des volontaires qui contrarient vos ordres à chaque instant. Il lui décrivait ce rassemblement de soldats tapageurs, surexcités, pérorant follement sur les ordres du général et les mouvements des troupes. La crainte d'être trahis les rend méfiants et paralyse souvent les meilleures dispositions. Tout volontaire veut juger les opérations militaires et se croit trahi quand elles ne répondent pas à ses idées. Laclos m'aurait été d'un grand secours pour arrêter l'effervescence des têtes parisiennes qui croient qu'il n'y a qu'à attaquer les ennemis pour les vaincre[125].

Mais ces volontaires qui se vantaient de tout renverser, refusaient de marcher à l'ennemi. Je ne puis vous dire, mandait Luckner à Dumouriez, si vous recevrez du renfort ou non, parce qu'un instant ils consentent à partir, et l'instant d'après ils ne le veulent pas, à moins d'être tous les Parisiens ensemble. Dumouriez, qui n'était jamais à bout d'expédients, conseillait à Frégeville de piquer leur amour-propre et de leur montrer que la besogne était aisée : Il existe un moyen... c'est de leur dire que l'armée prussienne est épuisée par la faim, la fatigue et la maladie, que je suis déterminé à achever sa ruine en lui donnant bataille, mais que je ne veux pas le faire sans que les fédérés y aient part, que c'est pour cela que je les envoie chercher. Il donnait le même conseil au général d'Harville ; il lui recommandait de ne pas combattre en rase campagne, de se retrancher dans le camp d'Aubérive, de n'exposer les fédérés en plaine que si la cavalerie des émigrés osait les assaillir ; ce serait le cas, ajoutait Dumouriez, d'exciter dans une telle circonstance le zèle de nos fédérés, car c'est une guerre personnelle entre les ci-devant et le peuple français ; dites-leur surtout de ne pas craindre cette cavalerie très mal organisée et mourant de faim[126].

Enfin, Servan et Dumouriez perdirent patience ; tous deux écrivirent au président de la Convention. Le ministre disait hautement qu'on profitait à Châlons des moindres circonstances pour y répandre la terreur et il proposait de décimer tout bataillon qui troublerait l'ordre et violerait la loi. Le général priait Pétion, ce vertueux président de la plus auguste assemblée de l'univers, de faire des lois fermes et rigides pour arrêter les désordres et les crimes des volontaires. Nous avons cru, ajoutait Dumouriez, que ces citoyens se montreraient remplis d'amitié et de fraternité. Quelle est notre surprise en apprenant qu'ils marquent leur passage par des menaces, des meurtres et du pillage ! Légitimez les punitions ; je n'ose pas prononcer la peine de mort si elle n'est pas passée en loi ; rectifiez surtout notre jury militaire, dont les formes font échapper le coupable ou rendent la punition trop lente pour être exemplaire[127].

Les volontaires eux-mêmes s'enrayaient de leur propre indiscipline. Ils élurent deux commissaires qui rédigèrent et signèrent avec les colonels de deux régiments d'infanterie, le 94e et le 38e, une adresse aux citoyens-soldats. Cette adresse qu'on nommait une instruction de discipline, fut imprimée et envoyée au nom des troupes de Châlons à tous les corps de l'armée. Le mot discipline, disaient nos volontaires, dérive du mot disciple qui signifie l'observateur d'un principe ou d'une loi quelconque ; sans discipline, les plus braves corps de troupes ne sont que des amas confus de brigands plus propres à opérer l'anéantissement total d'une société ou d'un empire qu'à contribuer à la gloire et à l'élévation où ils se proposent d'atteindre. Les auteurs de l'Instruction citaient l'histoire ancienne ; ils rappelaient que les Romains avaient été vaincus par les barbares, parce qu'ils avaient perdu toute discipline ; Français, le sort des Romains vous attend !... Au nom de la patrie, unissons-nous ou attendons-nous à devenir des esclaves mille fois plus à plaindre que nous étions avant la Révolution, car notre esclavage amènera la banqueroute, des impôts quadruples pour payer la horde de satellites qui nous chargeront de fers, enfin, le meurtre, l'incendie et le pillage affreux qui dépouillera de leurs biens ceux qui auront le malheur de survivre à une pareille catastrophe[128].

Malgré cette belle instruction, la discipline ne s'établissait pas dans les bataillons de nouvelle levée. Le 2 octobre, des volontaires du camp de Notre-Dame de l'Epine coupaient la tête à un paysan qu'ils accusaient faussement de fournir de la farine aux émigrés et ils voulaient jeter bas un moulin à vent qui se trouvait au milieu de leur camp, sous prétexte qu'il appartenait à un aristocrate[129]. Le 6 octobre, les volontaires parisiens des bataillons Républicain et Mauconseil massacraient à Rethel quatre déserteurs de l'armée des émigrés et menaçaient Chazot de l'expédier lui-même : Il est impossible, écrivit Chazot à Dumouriez, d'entreprendre quelque chose avec de pareilles troupes. Ce sont des volontaires dans toute l'étendue du mot. Je défie, sans de nouveaux décrets, d'en tirer le moindre avantage. Ils n'inspirent que l'effroi aux citoyens[130].

Partout où passaient les volontaires de 1792, à Meaux, à Soissons, à Reims, à Sedan se produisaient les mêmes désordres. A Meaux, et dans les villages voisins, on se plaignait de leurs excès qu'on ne pouvait tolérer plus longtemps[131]. A Soissons, ils ne voulaient pas de riz ni de pain de munition ; ils refusaient de camper sous la tente ; ils demandaient vingt sous par jour ; ils arrêtaient au passage les farines destinées à l'armée du Nord ; ils ouvraient les tombeaux des religieux, jetaient les corps par dessus les remparts et promenaient les têtes par la ville ; ils massacraient un officier, trois sous-officiers et l'ancien bourreau du bailliage[132]. A Reims, où il n'y avait encore, au 7 septembre, ni général, ni commissaire des guerres, ils faisaient la loi aux administrateurs ; le 6e bataillon des fédérés exigeait une somme de 40.000 livres en argent ; Duhoux, consterné, entouré de séditieux qui l'accusaient de trahison, piquait des deux et fuyait à Châlons[133]. A Saint-Quentin, des bataillons de récente création se saisissaient, malgré les efforts de leurs officiers, de 1.900 fusils qu'on transportait de Saint-Omer à Reims et, dans le tumulte, brisaient la moitié des armes[134]. Les volontaires de la garnison de Sedan, chargés par Miaczynski d'enlever un magasin de vivres dans une ferme de l'abbaye d'Orval, s'arrêtaient à Carignan pour s'enivrer et piller les maisons. Comment, s'écria Miaczynski, des hommes qui se disent Français et libres ont-ils pu, au mépris du bon exemple qui leur était donné par la garde nationale de Sedan et par les troupes de ligne, violer indignement les propriétés ?[135] A Charleville, un bataillon de Seine-et-Oise, malgré la généreuse résistance de son commandant Persinet, se mêlait à la populace pour égorger le lieutenant-colonel Juchereau et menaçait de mort les officiers municipaux[136]. Quelques mois devaient s'écouler encore avant que les volontaires, oubliant les déclamations politiques, confiants dans leurs généraux, aguerris aux dangers, assouplis par le temps à l'obéissance, pénétrés de la grandeur et de la justice de leur cause, fiers de leur dévouement à la patrie, devinssent les Sa admirables qui portèrent leurs armes au cœur de l'Allemagne, au delà du Rhin et du Danube. Il fallait énergiquement Hulot, purifier ces bandes au feu de l'ennemi et les purger en leur tirant du sang[137].

Voilà ce que fut ce magnifique élan si vanté par les contemporains ; voilà ce que furent les volontaires de 1792, soupçonneux, méfiants, s'obstinant à ne voir autour d'eux qu'incurie et trahison, inexercés, indisciplinés, ignorant de parti pris leur devoir militaire, dépensant leur ardeur en manifestations inutiles ou sanglantes, et enfin, lorsqu'ils virent l'ennemi, prenant honteusement la fuite, comme ce bataillon des Lombards qui lâchait pied devant un escadron de hussards prussiens[138]. On ne saurait trop le répéter ; ce ne furent pas ces bataillons levés pendant les mois de juillet, d'août et de septembre, qui sauvèrent la France en 1792 ; ce ne fut pas cette cohue qui vainquit les Prussiens et refoula invasion. L'honneur de la résistance revient aux soldats de ligne et aux volontaires de la première formation, aux braves du camp de Maulde que Beurnonville menait à Sainte-Menehould, à l'armée de Sedan que Lafayette avait organisée et que Dumouriez anima de sa confiance et de sa hardiesse, à l'armée du Centre presque entièrement formée de troupes régulières[139]. Loin de nous l'idée de nier ce grand et généreux mouvement qui précipita tant de bataillons à la rencontre des envahisseurs. Tous les contemporains, Hulot, Gouvion Saint-Cyr, Lafayette, Soult, Belliard, Lavallette, Grimoard et Servan, les militaires qui publièrent plus tard le récit des Victoires et conquêtes, ont décrit l'enthousiasme qui saisit la jeunesse française lorsque l'Assemblée législative proclama la patrie en danger et que la colonne brunswickoise eut envahi le territoire. Toutes les réquisitions, assure Rochambeau, marchèrent avec une rapidité dont je n'ai jamais vu d'exemple, même en Amérique, dans les situations les plus critiques, et cette levée qui se fit au mois d'août, en pleine récolte, peut être comparée aux croisades de saint Bernard ; l'enthousiasme de la liberté produisait les mêmes effets[140]. De toutes parts, dit Gouvion Saint-Cyr, on courait aux armes ; tout ce qui était en état de supporter les fatigues de la guerre, se porta dans les camps ; un jeune homme aurait rougi de rester dans ses foyers, quand l'indépendance nationale paraissait menacée ; chacun abandonna ses études, sa profession : noble exemple, imité, parodié aussi, mais qui vivra dans la mémoire des hommes aussi longtemps que les nations conserveront le sentiment de leur dignité et que le nom de patrie ne sera pas un vain mot ![141]

Mais il faut se rappeler que sept bataillons de fédérés seulement arrivèrent le 19 septembre au camp de Sainte-Menehould[142]. Encore Labourdonnaye ne les avait-il envoyés qu'à regret, sur la demande expresse de Dumouriez et sur la réquisition des commissaires de l'Assemblée législative. Ils ne prirent aucune part à la journée de Valmy ; ils n'étaient là, selon le mot de Servan, que pour s'habituer à l'ordre, à la discipline et surtout à l'idée de ce qu'est une armée[143].

Est-ce à dire que la levée de 1792 fut entièrement inutile ? Non, car elle prouvait aux coalisés que la nation entière s'armait pour la défense du territoire, que la France irritée se levait avec enthousiasme pour repousser l'ennemi[144], que la jeunesse exaltée par une généreuse colère et brûlant de l'amour de la patrie, s'élançait contre l'envahisseur[145]. A la vue de cette foule de volontaires qui s'écoulait de tous côtés comme un torrent, les alliés craignirent de succomber fatalement sous le nombre. Ils reconnurent à la fois l'erreur politique qu'ils avaient commise et leur impuissance. Ils comptaient ne rencontrer qu'une ligne de bataille ; et voici qu'une seconde ligne se présentait pour soutenir la première, voici que les armées succédaient aux armées ! Evidemment ils s'étaient trompés sur les forces comme sur les sentiments de la France nouvelle, et Bouillé avoue dans ses Mémoires qu'il avait mal jugé les ressources de la Révolution[146].

 

V. La France fut donc sauvée par son armée et non par son gouvernement. Pendant que ses soldats contenaient les envahisseurs dans l'Argonne, les deux pouvoirs, restés seuls en présence après le renversement de la royauté, l'Assemblée législative et la Commune de Paris se combattaient avec acharnement, au lieu de s'unir dans une même pensée et dans une action commune[147].

La Commune de Paris vantait son patriotisme ; elle vouait les Prussiens à l'exécration ; elle renchérissait sur les mesures défensives de l'Assemblée ; elle établissait des estrades où ses membres recevaient les enrôlements volontaires ; elle réquisitionnait dans les départements voisins des munitions et des vivres ; elle faisait transformer en piques les grilles des monuments publics, fondre les crucifix et les cloches des églises, porter à la Monnaie l'argenterie des sacristies et des autels. Mais elle n'avait d'autre but que de garder le pouvoir usurpé dans la nuit du 9 août. Elle conservait les Marseillais à Paris, malgré Servan et l'Assemblée[148].

Elle faisait les visites domiciliaires, moins pour chercher des armes que pour remplir ses prisons. Elle recueillait à peine 2.000 fusils, mais, en fermant les barrières et en consignant les habitants, elle tenait Paris durant quarante-huit heures (29-31 août) dans la stupeur et l'épouvante. Elle imputait à l'Assemblée les premières calamités de la guerre. Elle prétendait que plusieurs députés se munissaient de passeports sous des noms supposés, et dénonçait par une affiche à la vengeance publique les traitres qui remplissaient le Corps législatif[149]. Elle mandait devant elle le rédacteur du Patriote Français, Girey-Dupré, et, le journaliste refusant de comparaître, ses agents bloquaient le ministère de la guerre où l'on croyait Girey-Dupré réfugié ; pendant deux heures, écrivait Servan, personne n'a pu sortir de l'hôtel[150]. Elle désorganisait tous les services par des arrestations arbitraires[151]. Elle arrêtait et retenait, malgré les passeports des ministres, les courriers du conseil exécutif. Notre folle Commune, écrivait Mme Roland, lutte avec le Corps législatif ; elle dérange toutes les combinaisons du pouvoir exécutif ; si cela continue, nous ne pouvons manquer de finir bientôt et ce sera peut-être par le peuple de Paris plus encore que par les Prussiens[152].

Roland prenait des arrangements avec le comité de subsistances de la ville ; mais la Commune cassait ce comité. Servan discutait avec elle les mesures qu'il fallait prendre pour l'établissement du camp retranché, mais je l'ai vu, disait Roland, gémir des lenteurs qu'apportait à la formation du camp l'intervention d'une commission étrangère aux dispositions de cette nature[153].

Poussée à bout, l'Assemblée législative casse la Commune, qui lui répond par les massacres de septembre. On a dit que ces massacres étaient dus uniquement au fanatisme politique, au déchaînement d'un peuple exaspéré qui voulait, avant de marcher au devant des ennemis, se débarrasser de leurs complices et ne pas laisser de conspirateurs derrière lui. On a prétendu que ces horreurs étaient nécessaires et, qu'en inspirant la peur, elles envoyèrent à la frontière des milliers de soldats. Comme s'il fallait, pour se donner du cœur, égorger ses concitoyens ! Mais ni les volontaires qui s'armaient pour la défense de la patrie, ni le peuple de Paris n'ont commis les crimes de septembre. Les volontaires étaient au Champ de Mars, où la Commune avait convoqué le 2 septembre tous les hommes valides. La population parisienne demeurait consternée par la soudaineté du crime[154]. Les assassins furent, pour la plupart, les tape-durs des bandes de Maillard, de Lazowski, de Fournier, des fédérés du Midi qui ne voulaient combattre que les ennemis de l'intérieur, et des artisans du plus bas étage qui croyaient travailler pour la nation et réclamèrent leur salaire. Leurs chefs furent les meneurs de la Commune, ceux qui répandaient le bruit que les citoyens enrôlés ne partiraient pas avant d'exterminer les royalistes, qui décidaient le 30 août que les sections jugeraient les détenus, qui proclamaient le 2 septembre la trahison du conseil exécutif, et l'accusaient formellement de révéler aux Prussiens le départ d'un renfort destiné à Verdun. Les uns étaient résolus à conserver la dictature ; les autres, coupables de vols, craignaient de rendre leurs comptes de gestion ; tous voulaient faire trembler la Gironde, s'imposer par la terreur au choix des électeurs parisiens, et conquérir, en entrant à la Convention, à la fois le pouvoir et l'impunité.

Le comité de surveillance de la Commune organisa la tuerie. Panis, Sergent, Duplain, Jourdeuil, qui formaient ce comité, s'adjoignirent le 2 septembre six membres nouveaux : Leforgues, Duffort, Guermeur, Leclerc, Lenfant, Marat, et, dans l'après-midi, commencèrent les massacres qui devaient durer jusqu'au 5 et même jusqu'au 6 septembre. Partout où ils s'exécutent on trouve la main de la Commune. Partout, sur l'ordre de la Commune, les concierges des prisons ouvrent les portes et apportent les registres d'écrou. Maillard et sa bande entrent à l'Abbaye en présentant un billet signé de Panis et de Sergent : Mes camarades, il vous est enjoint de juger tous les prisonniers de l'Abbaye sans distinction. Billaud-Varennes, membre de la Commune, coiffé de sa perruque noire et vêtu de son petit habit puce, vient encourager les assassins et promet à chacun des ouvriers un louis pour leur travail. Le procureur de la Commune, Manuel, leur déclare qu'ils exercent des vengeances légitimes et les prie de ne pas frapper indistinctement toutes les têtes. A la Force, le sanglant tribunal est présidé successivement par trois membres de la Commune : Hébert, Monneuse et Rossignol. A Saint-Firmin, douze hommes de la section des Sans-Culottes, qui viennent aider au massacre des prêtres, sont requis par un membre du comité de surveillance. 1.300 à 1.400 personnes furent massacrées. Mais, le 3 septembre au matin, lorsque les électeurs se rendirent à la salle du club des Jacobins, ils passèrent sur le Pont-au-Change devant les cadavres qu'avaient entassés les égorgeurs de la Conciergerie et du Châtelet. La députation de Paris ne fut composée que des instigateurs et des complices du massacre : Robespierre, Danton, Marat, Collot d'Herbois, Billaud-Varennes, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine, Sergent, Panis, Manuel, Fréron[155].

L'Assemblée et le ministre de l'intérieur demeurèrent impuissants, sans force, sans police, sans pouvoir sur la garde nationale dont le commandant général Santerre, beau-frère de Panis, paralysait l'action. L'Assemblée applaudit, sans l'imiter, au courage de l'horloger Monnot qui sauva la vie de l'abbé Sicard ; elle envoya le soir du 2 septembre à la prison de l'Abbaye des commissaires qui ne furent pas écoutés ; elle lança le lendemain une proclamation et décréta que les corps administratifs de Paris veilleraient à la sûreté des biens et des personnes ; elle nomma de nouveaux commissaires qui se rendirent le 4 septembre dans les sections pour y porter des paroles de paix et d'humanité. Roland, comme à son ordinaire, adressa de longues lettres à l'Assemblée, à Pétion, maire de Paris, à Santerre, commandant de la garde nationale, et jura qu'il resterait à son poste jusqu'à la mort ; mais il n'osa flétrir les massacres : Hier, écrivait-il le 3 septembre, fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile ; le peuple, terrible en ses vengeances, y porte encore une sorte de justice. Il était sous le couteau. Robespierre et Marat, disait Mme Roland, s'efforcent d'agiter le peuple et de le tourner contre l'Assemblée nationale et le conseil ; ils ont fait une chambre ardente ; ils ont une petite armée qu'ils soudoient à l'aide de ce qu'ils ont trouvé ou volé dans le château et ailleurs, ou de ce que leur donne Danton. Si les départements n'envoient une garde à l'Assemblée et au Conseil, on perdra l'une et l'autre[156].

Désormais, le Corps législatif et les ministres étaient sous la dépendance de Marat, de Robespierre, de Danton, des trois hommes qu'on nommait les triumvirs de la liberté[157]. Marat, journaliste officiel de la Commune, qui lui donne une tribune dans la salle de ses séances, attaque sans relâche les membres de l'Assemblée, les généraux, les ministres, excepté Danton. Robespierre accuse, en pleine Commune, Brissot le liberticide, la faction de la Gironde et la scélérate commission des Vingt et un, d'avoir vendu la France au duc de Brunswick (1er et 2 septembre), et, à son instigation, le comité de surveillance lance des mandats d'arrêt contre Roland et Brissot ; des bandes d'hommes armés envahissent le ministère de l'intérieur, et des commissaires de la Commune pénètrent dans l'appartement de Brissot pour examiner ses papiers. Quant à Danton, en secret il dirige tout. C'est le chef de la horde, écrit Mme Roland, Robespierre est son mannequin, Marat tient sa torche et son poignard ; ce farouche tribun règne, et nous ne sommes que des opprimés, en attendant que nous tombions ses victimes[158]. Tout-puissant depuis la journée du 10 août, où ce substitut du procureur-syndic avait pris d'une heure du matin à sept heures toutes les dispositions, où il avait signé l'arrêt de mort du commandant de la garde nationale Mandat, où il avait été le véritable point de ralliement, entré au ministère avec le prestige de la victoire et, comme il disait, porté au pouvoir par un boulet de canon[159], il n'avait cessé de soutenir ses amis de l'Hôtel-de-Ville contre l'Assemblée et, fort de cette alliance, il dominait le conseil exécutif. Ce fut lui qui fit décréter ces visites domiciliaires qui jetèrent dans les prisons de la Commune les futures victimes de septembre. Son intime, Thuriot, obtint le 1er septembre un décret ambigu qui maintenait provisoirement la Commune dissoute. La plupart des hommes de la Commune, le secrétaire-greffier, Tallien, et Billaud-Varennes, étaient ses affidés, Deforgues, chef de bureau à la mairie et membre du comité de surveillance, était un de ses anciens clercs[160]. Lui-même avait résolu de se maintenir dans Paris par tous les moyens et en faisant peur. Je me moque des prisonniers, dit-il à Grandpré, qu'ils deviennent ce qu'ils pourront ! Il expédia, sous son contreseing, la fameuse circulaire du comité de surveillance qui engageait les départements à suivre l'exemple de Paris, et à mettre à mort les conspirateurs. Il laissa massacrer les prisonniers d'Orléans et félicita les meurtriers. Véritable dictateur, écrit Mathieu Dumas, dédaignant toute espèce de ménagement, prenant sur lui la responsabilité de tout ce qui lui semblait nécessaire pour consommer la révolution démagogique, il opposait à la Gironde le monstrueux pouvoir de la Commune[161]. C'était Danton que Roland dénonçait à mots couverts dans sa lettre du 30 septembre : Des hommes ardents, peut-être égarés, sèment les défiances contre toutes les autorités qu'ils n'ont pas créées, ne parlent que de trahisons, paralysent le glaive de la loi pour lui substituer le poignard des proscriptions ; ils se font un droit de leur audace, un rempart de la terreur qu'ils essaient d'inspirer ; ils veulent de l'autorité, du pouvoir dont ils se croient seuls capables de bien user. Combien serait coupable l'individu supérieur par sa force ou ses talents à cette horde insensée qui voudrait la faire servir à ses desseins ambitieux ; qui tantôt avec l'air d'une indulgence magnanime excuserait ses torts et adoucirait ses excès ; tantôt avec une apparente sévérité s'élèverait adroitement contre elle pour lui porter des coups plus funestes ; mais toujours la protégerait en secret, caressant ses erreurs, animant sa colère et dirigeant ses pas !

Il régente en effet, il gourmande, il talonne ses faibles collègues et prend sur eux, de l'aveu de Roland, une terrible prépondérance. Trois mois auparavant, Roland, Clavière, Servan tenaient tête à Dumouriez dans le conseil des ministres ; Roland lisait à Louis XVI cette lettre impérieuse qui le sommait d'accepter la Révolution ; Servan proposait à l'Assemblée l'établissement d'un camp de 20.000 fédérés, sans en prévenir Dumouriez et le roi. Aujourd'hui, les trois Girondins courbent la tête ; ils subissent le joug du ministre qui s'intitule le ministre du peuple ; ils signent tout ce que Danton leur présente. Monge, Lebrun, Grouvelle reçoivent aussi docilement que les trois autres, les ordres du redoutable tribun. C'est Danton qui le veut, répond Monge à toutes les objections, et, si je refuse, il me fera pendre. Que de fois Roland avait demandé, sous son précédent ministère, la nomination d'un secrétaire qui rédigerait le procès-verbal de chaque séance du conseil ! Que de fois, avec Clavière et Servan, il avait réclamé de Louis XVI un registre des délibérations qui constaterait l'opinion des ministres et laisserait un témoignage utile à l'histoire ! Nous sommes responsables, disaient alors au roi les trois ministres girondins, nous voulons trouver notre garantie dans un livre où seront consignés nos avis, et la manière courageuse dont nous aurons pris les intérêts du peuple[162]. Mais Danton ne voulait pas laisser la moindre trace de ses avis. Le secrétaire Grouvelle ne fit donc, en échange de ses 20.000 livres d'appointements, que des rapports insignifiants ; il se contenta de résumer en termes vagues les discussions du conseil et de reproduire ses arrêtés sans déductions de motifs, ni mention des oppositions[163].

Roland a tracé le tableau des séances du conseil exécutif pendant les mois d'août et de septembre. Elles offrirent le même aspect que les séances de l'Assemblée, de la Commune ou des comités des sections : même tapage, mêmes clameurs, mêmes invectives, même affluence de gens du dehors, et, au milieu de ce vacarme, la voix tonnante de Danton qui dicte à ses collègues sa volonté, tantôt d'un air jovial et avec bonhomie, tantôt sur un ton de menace et avec un emportement brutal. Les conseils de son temps, dit Roland, ne présentèrent jamais aucun plan, aucune suite de discussion ; ce n'étaient que des propositions ex abrupto, entremêlées de cris, de jurements, d'allées, de venues des membres mêmes, et d'étrangers postés comme pétitionnaires, interlocuteurs, et finalement usant et abusant de la liberté, à peu près comme firent ensuite les tribunes à la Convention même ; Danton faisait les propositions, les arrêtés, les proclamations, les brevets, etc.[164].

Ce fut Danton qui choisit les trente commissaires chargés de seconder les représentants que l'Assemblée avait envoyés dans les départements pour hâter la formation des nouveaux bataillons de volontaires. En vain Roland demande un jour de réflexion. Danton enlève en une séance la nomination de ses agents ; il se présente au conseil le 29 août, il jette sur la table les commissions dressées à l'avance, il assure que ses candidats sont d'excellents patriotes. Roland et ses collègues signent sans faire d'objection, et voilà un essaim d'intrigants de sections ou brouillons de clubs, patriotes par intérêt, très dévoués à Danton, leur protecteur, les voilà représentants du conseil exécutif dans les départements ![165] On remarquait dans le nombre l'imprimeur Momoro, Fréron, Clémence, Laclos, Brochet, etc. Fréron était envoyé avec André et Sutières à Metz et dans les autres places fortes de la Moselle ; Clémence dans les provinces de l'Est ; Laclos, à l'armée de Luckner ; Brochet, à Châlons-sur-Marne et dans les départements voisins[166]. Mais Danton retint quelques-uns d'entre eux jusqu'aux premiers jours de septembre[167]. Ils purent emporter avec eux la circulaire du comité de surveillance.

A ces trente commissaires du conseil exécutif, nommés le 29 août, se joignirent vingt-quatre autres commissaires choisis le 3 septembre par la Commune et dans son sein. Ils devaient, d'après l'arrêté du conseil ; général, engager les citoyens des départements à se réunir à l'armée parisienne et employer tous les moyens pour repousser l'ennemi. En réalité, ils avaient mission d'exercer une pression vigoureuse sur le corps électoral, de faire nommer les députés publiquement et à haute voix comme dans la salle du club des Jacobins, de présenter à la province le 2 septembre comme le grand article du Credo de la liberté[168].

On ne cite ici que les commissaires envoyés dans les départements envahis ou menacés par l'invasion : ce furent Paris pour la Moselle ; Harou-Romain et Sigaut pour la Meurthe ; Crosne et Laborie pour l'Alsace ; Billaud-Varennes, Celliez et Varin pour Châlons[169] ; Janson et Legray pour le département du Nord. Tous reçurent, en même temps qu'un passeport de la Commune, une commission du pouvoir exécutif. Le conseil des ministres, entrainé par Danton, les chargea de faire les réquisitions qu'ils jugeraient nécessaires, d'exciter le zèle des citoyens, de diriger le mouvement qui portait les volontaires vers la défense des frontières et de la capitale, enfin de se concerter avec les commissaires précédemment envoyés pour veiller à l'équipement des nouvelles levées et les pourvoir d'armes, de munitions et de chariots de subsistance.

Quel fut le résultat de ces missions révolutionnaires, comme les nommait Danton ? Seul, Laclos rendit quelques services. Mais Billaud-Varennes excita l'indiscipline des volontaires de Châlons[170]. Les commissaires envoyés dans l'Yonne annoncèrent que la Commune de Paris s'était emparée de tous les pouvoirs et invitait les communes de France à se rallier autour d'elle. Ceux qui vinrent à Douai assurèrent que la Commune de Paris était maitresse de toute l'autorité, qu'elle seule sauverait le pays, qu'il suffisait de dresser contre les opposants des échafauds et des potences. Ronsin et Lacroix, revêtus de leurs écharpes, se rendirent à Meaux où siégeait l'assemblée électorale de Seine-et-Marne et proposèrent de fondre un canon du calibre de la tête de Louis XVI, afin d'envoyer cette tête, en guise de boulet, aux premiers Prussiens qui paraîtraient ; à leur instigation, des gendarmes parisiens, joints à la populace, envahirent la prison de la ville et massacrèrent treize personnes, dont sept prêtres[171]. Partout où passaient ces commissaires, ils faisaient l'éloge de Marat, de Robespierre, surtout de Danton. Ils ne correspondaient qu'avec le ministre de la justice, leur patron, et leurs lettres, disait Prudhomme[172], expriment toutes le désir qu'ont les départements devoir M. Danton rester au ministère et la crainte que, s'il passe à la Convention nationale, il ne soit pas remplacé dignement. Ils exaltaient l'énergie de la Commune, diffamaient le conseil exécutif et l'assemblée, et comme ce Guermeur qui fut envoyé dans le Finistère, déblatéraient contre les brissotins, les rolandistes et la clique girondaise. Ils déclaraient qu'il n'existait plus de loi, que chacun était maître puisque le peuple était souverain, que chaque fraction de la nation pouvait prendre les mesures qui lui conviendraient, qu'on avait le droit de taxer les blés, de les saisir dans les granges, de couper la tête du fermier qui refuserait d'amener ses grains au marché. Ils destituaient les magistrats et créaient des comités de surveillance auxquels ils déléguaient toute l'autorité[173]. Bientôt on se plaignit partout des commissaires. Quelques-uns furent arrêtés ou expulsés. Danton se contenta de faire une plaisanterie accompagnée d'un juron : Croyaient-ils donc qu'on leur enverrait des demoiselles ! Le 14 septembre, sur la proposition de Vergniaud, l'Assemblée décréta que les commissaires devaient se renfermer dans les bornes de leur mission et montrer leurs instructions aux autorités ; elle frappa de nullité les destitutions qu'ils avaient prononcées. Huit jours après (22 septembre), le conseil exécutif révoquait les pouvoirs de ces commissaires nommés pour le salut du pays et qui n'avaient fait, pendant trois semaines, selon l'expression de Roland, que provoquer des rumeurs, occasionner des troubles, exposer même la sûreté des personnes et des biens[174].

Telle était la situation de Paris et de la France pendant l'invasion prussienne. Roland la résumait ainsi : faiblesse du corps législatif et du conseil exécutif, confusion des pouvoirs, mépris des autorités, commune active et despote, désorganisation fatale où se sont développées les passions les plus nobles et les plus atroces, la partie saine du peuple intimidée et contrainte, l'autre partie travaillée par des flatteurs et enflammée par la calomnie[175]. La peur régnait, non la peur des Prussiens, mais la peur de la nouvelle tyrannie. Du 5 au 16 septembre, la Commune, poursuivant son système de terreur, fit 400 à 500 arrestations, et lorsque Roland ordonna des recherches dans les prisons, on ne trouva ni registre ni écrou ; la plupart des mandats d'arrêt, signés tantôt par la municipalité, tantôt par les sections, tantôt par de simples particuliers, n'étaient pas motivés[176]. Le peuple, lit-on dans le journal de Prudhomme, répète en chœur le chant des Marseillais que des chanteurs, placés devant la statue de la Liberté, dans le jardin des Tuileries, lui apprennent chaque jour, mais en même temps et au même lieu, d'autres harangueurs provoquent la multitude du geste et de la voix à de nouvelles sentences de mort et insinuent que tous les coupables ne sont pas encore punis[177]. On dénonçait le pouvoir exécutif à la tribune des électeurs, dans la grande salle des Jacobins, et des septembriseurs criaient que la hache était encore levée, qu'ils n'avaient pas perdu leurs poignards[178]. Le 17 septembre, Roland comparait sa situation à celle de d'Assas élevant sa voix au milieu des baïonnettes[179] et le même jour, Pétion craignait un nouvel envahissement des prisons et notamment de la Conciergerie. Les détenus de Sainte-Pélagie suppliaient l'Assemblée de veiller à leur sûreté. Le Garde-Meuble était pillé. Des voleurs arrêtaient les passants en plein jour, les dépouillaient de leurs montres et de leurs boucles d'argent, enlevaient aux femmes leurs bijoux et leurs pendants d'oreilles. Des hommes du peuple, découvrant une cave dans les décombres du Carrousel, y pénétraient pour s'enivrer de vin ou, malgré Pétion, emportaient les tonneaux d'huile qu'ils y trouvaient. Les ouvriers qui construisaient la salle de la Convention s'insurgeaient tous les jours. On menaçait d'assassiner les députés de la Législative dès qu'ils auraient cessé leurs fonctions, et l'Assemblée craintive publiait une longue proclamation qui rappelait l'inviolabilité de ses membres et les principes garants de la liberté publique et individuelle. Partout la défiance. Mais Roland n'avait-il pas dit qu'en temps de guerre, et surtout lorsqu'une révolution intérieure avait provoqué la lutte, la défiance est presque une vertu[180] ? Défiez-vous de vos places fortes, écrivait Prudhomme, défiez-vous de vos généraux, défiez-vous de vos officiers, défiez-vous de l'état-major des troupes de ligne, défiez-vous même de vos ministres quoique de votre choix ; défions-nous même de nos députés à la Convention[181]. La section des Amis de là patrie dénonçait l'incivisme des hussards de la liberté. Les bruits les plus sinistres couraient dans Paris. On ne parlait plus que de grandes défaites. Vainement le ministre de l'intérieur faisait afficher une lettre rassurante de Servan au président de l'Assemblée. Vainement on annonçait que le prince de Ligne était tué, que les troupes de Chazot avaient bravement combattu. Vainement on publiait que l'armée de Dumouriez était, malgré la panique de Montcheutin, intacte et pleine de résolution. Paris croyait l'armée entièrement défaite et le peuple répétait dans les rues que le général n'avait sauvé qu'à grand'peine la caisse militaire[182].

Ce spectacle d'un pays où d'affreuses discordes domestiques se mêlaient aux violences de l'invasion étrangère, révoltait les esprits généreux. On ne peut enchaîner la France, s'écriait Lasource, mais on veut la déshonorer[183]. Est-il possible, écrivait Pétion, que nous nous déchirions nous-mêmes lorsque l'ennemi est à nos portes et que nous avons besoin de toutes nos forces pour le repousser[184] ? Vergniaud flétrissait avec une éloquente mais inutile indignation l'audace des hommes qui ne se montrent que dans les calamités publiques comme les insectes malfaisants que la terre produit dans les orages : Citoyens de Paris, disait-il, ne démasquerez-vous pas ceux qui aristocratisent la vertu pour la fouler aux pieds et démocratisent le crime pour s'en rassasier ? Lorsqu'un homme au lieu de prendre l'épée pour repousser l'ennemi qui s'avance, vous engage à égorger froidement des citoyens désarmés, celui-là est ennemi de votre bonheur et de votre gloire. Lorsqu'au contraire un homme ne vous parle que des Prussiens pour vous indiquer le cœur où vous devez frapper, celui-là est ami de votre gloire et de votre bonheur[185].

La même anarchie régnait dans les départements. En pleine invasion, les municipalités de Rouen et de Perpignan arrêtèrent l'envoi des farines et des grains, et il fallut prononcer la peine de mort contre quiconque disposerait sans le consentement du conseil exécutif et de l'Assemblée, de la subsistance des armées[186]. Lavallette se rendait alors de Paris à Villefranche pour s'engager dans la légion du Midi ; il assure dans ses Mémoires que la terreur était au comble : les dernières classes du peuple effrayaient par leurs clameurs, et partout elles devinrent maîtresses[187].

Il n'y avait plus de gouvernement[188]. La Législative, dit Levasseur, était presque oubliée et ne possédait aucune puissance réelle ; le ministère, émanant de cette assemblée impuissante, n'était pas lui-même un véritable pouvoir ; tous les regards se tournaient avec espoir, vers la Convention[189].

 

La Convention, ou comme on la nommait aussi, l'assemblée conventionale, se réunit et, dès sa première séance, décréta l'abolition de la royauté. Mais l'anarchie ne disparut pas. Elle nous a dévorés, s'écriait Cambon le 10 novembre, depuis le 10 août jusqu'au moment de notre réunion. — Dites jusqu'à présent, ajoutèrent quelques membres.

La lutte des partis avait en effet commencé dès le 24 septembre et il était aisé de prévoir que la Gironde serait vaincue. Elle fit élire Pétion, président de l'Assemblée et obtint cinq secrétaires sur six : Condorcet, Brissot, Rabaut Saint-Étienne, Lasource et Vergniaud. Mais, composée de brillants orateurs et non pas d'hommes d'action, indisciplinée, n'agissant jamais avec concert, elle devait inévitablement succomber ; il lui manquait ce qui fit la force de la Montagne : l'énergie, la hardiesse, la volonté tenace, même la clairvoyance.

Pourtant, sa prépondérance semblait assurée dans le conseil exécutif. Danton, élu à la Convention, avait déclaré dès le 21 septembre qu'il résignait ses fonctions ministérielles et n'acceptait d'autre mandat que le mandat de représentant du peuple. Il connaissait trop la Révolution et les hommes, écrit Garat[190], pour ignorer que rester ministre, n'était qu'un moyen de se perdre, et il renonça à un pouvoir exécutif qui mettait les infortunés qui en étaient membres, sous le pouvoir de qui voulait les écraser. Mais Danton siégea dans le conseil jusqu'au 10 octobre, toujours aux trousses des ministres, leur poussant ses protégés, les forçant de les placer[191], et le successeur que lui donna la Gironde, fut Garat, ce littérateur toujours pliant, toujours prêt à flatter le parti victorieux, servant tous les régimes avec la même bassesse, les louant tour à tour sur le même ton emphatique et banal, sacrifiant sans hésiter ses meilleurs amis pour ne pas déplaire au plus fort[192].

Servan donnait sa démission en même temps que Danton (25 septembre). Il se disait fatigué et à bout de forces[193]. Cependant le jour même où il annonçait son dessein de quitter le ministère, il se faisait nommer par ses collègues lieutenant-général et commandant de l'armée des Pyrénées. En réalité, il l'avoua plus tard, il se trouvait comprimé entre les membres du conseil ; il voyait la Convention se diviser en deux partis bien prononcés[194] ; il pressentait la défaite de la Gironde. Dumouriez, qui le vit trois semaines plus tard, le trouva fort triste et abattu. Valmy et la retraite des Prussiens, dit-il dans ses Mémoires[195], auraient dû délivrer Servan de toutes ses craintes ; il semblait au contraire qu'elles se fussent augmentées ; moins fin que les autres Girondins, il ne savait pas, comme eux, cacher les impressions de son âme sous des dehors agréables ; il prévoyait les malheurs qui ont suivi.

La Convention nomma le 3 octobre le successeur de Servan. Elle élut par 434 voix sur 573 le citoyen Pache[196]. C'était un ami de Roland ; le ministre de l'intérieur vantait sa modestie et le recommandait au choix de la Convention comme un nouvel Abdolonyme. Mais ce Pache qui devait n'agir que sous l'inspiration de la Gironde, devint l'ennemi le plus acharné de Roland et livra le département de la guerre à la Montagne.

Le 21 septembre, Monge, alors président du conseil, s'était présenté devant la Convention et avait prononcé ce discours : La Convention vient de ratifier le vœu de tous les sages et de légaliser la volonté de tous les Français en les délivrant du fléau de la royauté. Certes, cette journée est la plus grande dont les fastes du genre humain puissent jamais conserver la mémoire et il est sans doute permis au premier conseil exécutif de la République française de se glorifier d'avoir de telles fonctions à remplir dans une époque si solennelle[197]. Trois jours après, ce ministère, si fier de sa mission, se disloquait, et le ministre le plus spécialement chargé de la défense nationale donnait sa démission lorsque les Prussiens étaient encore sur le sol français ! On crut même un instant que Roland, élu député de la Somme, allait suivre l'exemple de Servan. La Convention s'émut. Verrait-on sous le régime républicain cette instabilité ministérielle qu'on avait tant reprochée à la monarchie ? Servan et Roland avaient tous deux bien mérité de la patrie ; tous deux devaient conserver leur poste ; si Servan est malade, s'écriait Granet, on peut lui donner un adjoint. Mais dès cette discussion, éclatait la fatale indiscipline des Girondins qui ne surent jamais se rallier à la voix d'un chef et concourir avec ensemble au même but. Lasource déclara que la reconnaissance faisait le malheur des nations, et la Convention passa à l'ordre du jour[198].

Heureusement, si l'Assemblée législative n'avait pris que d'impuissantes mesures contre l'invasion prussienne, si Roland ne savait que gémir[199], si Servan se décourageait, si le conseil exécutif formé au 10 août était dissous dans les derniers jours de septembre, si le gouvernement n'était qu'une sorte d'anarchie ministérielle[200], la puissance militaire de la France s'affirmait par la canonnade de Valmy. Son esprit guerrier se ranimait, selon le mot de Gouvion Saint-Cyr, et jetait un nouvel éclat sous les drapeaux de la liberté. L'indépendance de la nation était assurée par l'armée régulière, par cette armée sur laquelle on aime à reporter ses regards et où, pendant la Terreur, allait se réfugier et briller du plus vif éclat tout ce que la Révolution avait de généreux et d'énergique, la bravoure et le talent, l'enthousiasme et l'amour sincère de la patrie.

 

 

 



[1] Lebrun avait eu 109 voix, et Grouvelle, 91 ; on fit une seconde épreuve par assis et levé, et on décida, sur la proposition de Brival, que celui qui n'était pas ministre serait secrétaire du Conseil. Danton eut 222 voix et Monge 150 (sur 224 votants). Le rappel des trois Girondins, Roland, Clavière et Servan fut voté tout d'une voix.

[2] Buzot (Mém., édit. Dauban, 18bb, p. là) le juge très durement l'imbécile Monge qu'on avait pris pour un bonhomme. Son élève et panégyriste (Jomard) dans ses Souvenirs sur Gaspard Monge et ses rapports avec Napoléon, 1853, p. 5, reconnaît que l'administration lui convenait peu.

[3] Lebrun, dit Prudhomme (Révolutions de Paris, n° 173, 240), poursuit sa besogne assez rondement ; il la connaît, d'ailleurs elle n'a jamais été si facile à conduire ; son journal lui donnait plus de mal que le département des affaires étrangères. Voir sur Lebrun Dumouriez, (édit. Barrière) Mém., II, 49 ; Desmoulins, Hist. des Brissotins, 43 ; Forster, qui le vit l'année suivante, le juge faible et timide.

[4] Mme Roland, Mém., 1827, I, 385 ; Dumont, Souvenirs, p. 1831, 399 ; Dumouriez, Mém., I, 341-342, et Servan, Notes sur les Mém., XIV ; Lafayette, Mém., 1837-38, III, 311 ; Clermont-Gallerande, Mém., 1826, III, 452 ; Beugnot, Mém., 1827, I, 255 ; Buzot, Mém., 74.

[5] Un des portraits les plus curieux et les moins connus de Danton a été tracé par Moreau de Jonnès (Aventures de guerre au temps de la République et du Consulat, 1858, I, p. 35). La scène se passe en 1791, au comité des Minimes, et Moreau ne connaît pas Danton. Un personnage m'adressa la parole avec une autorité qui se montra, non seulement dans son langage, mais encore dans le silence qu'on fit pour l'écouter. C'était un homme corpulent, à large figure, ayant le verbe haut et des yeux hardis et pénétrants... Quel est donc ce gentilhomme, dis-je en sortant au vainqueur de la Bastille qui servait de planton au Comité. — C'est l'excellent M. Danton.

[6] Dès le mois de novembre 1792, Prudhomme le jugeait ainsi (Révolutions de Paris, 297) : Jamais il ne sera dictateur ou le premier des triumvirs, parce que, pour l'être, il faut de longs calculs, des combinaisons, une étude continuelle, une assiduité tenace, et Danton veut être libre en travaillant à la liberté de son pays.

[7] Miot de Mélito, Mém., 1838, I, 39-40 ; Meillan, Mém., 1823, I, 2-3 ; Garat, Mém. sur la Révolution, an III, p. 189-191 ; Michelet, Hist. de la Révolution française, 3e édit., 1869, IV, 33 ; Fervel, Camp. des Français dans les Pyrénées-Orientales, 1861, I, 72 ; Taine, Le gouvernement révolutionnaire, 1885, p. 174-187.

[8] Moniteur du 31 août et du 4 septembre.

[9] Robinet, Le procès des dantonistes, 1879, p. 290-292 (lettres de Noël). Mergez était né le 4 novembre 1772 à Arcis-sur-Aube (voir son acte de baptême dans Vatel, Charlotte de Corday et les Girondins, 1872, p. 809) ; il commandait à Libourne en 1793 et ce fut lui qui arrêta Salles et Guadet à Saint-Emilion.

[10] Réponse à Cambon, 10 octobre (Moniteur du 11), et au tribunal révolutionnaire (notes de Topino Lebrun, prises au procès de Danton et publiées par Chardoillet, 1875, p. 21).

[11] Mme Roland, Mém., II, 29.

[12] Servan à Dumouriez, 21 septembre (arch. guerre).

[13] La mission de Fabre est attestée par Danton (bulletin du trib. révol. et notes de Topino-Lebrun). Elle eut lieu à la fin de septembre ; le 24 de ce mois, Fabre parle à la Convention (Moniteur du 25) ; le 28, il a quitté Paris, car, ce jour-là, au comité de la guerre, dont il est membre, il est seul absent, sur quoi un membre a observé que le citoyen Fabre d'Eglantine était indisposé et ne pouvait se rendre. (Arch. nat., Comité de la guerre, AF. II, 22). Mais le 28, Fabre n'était pas encore arrivé au camp de Sainte-Menehould ; sans quoi, Dumouriez n'eût pas écrit à Danton la lettre du 28 septembre qu'on trouvera plus loin.

[14] Ce corps franc se composait de 1.050 hommes à la fin de 1792 et avait le titre d'éclaireurs ; il était en garnison à Nancy lorsqu'un décret du 28 février 1793 (Moniteur du 2 mars) lui prescrivit de prendre rang dans les hussards et de former le 9e régiment. Fabre-Fonds, écrivait Fabre d'Eglantine à Gorsas (Courrier des quatre-vingt-trois départements, 27 septembre, p. 89) est mon frère unique ; j'ajoute que c'est moi qui, connaissant bien ce frère, l'ai appelé et envoyé, par ordre du ministère de la guerre, au général Kellermann, et je vois avec plaisir que mes espérances eu ce frère ne sont pas trompées.

[15] C'était un compatriote de Kellermann ; il était né en 1761 à Wissembourg où son père était lieutenant du roi ; comparez sur le rôle odieux qu'il joua plus tard Les derniers jours du consulat, manuscrit inédit de Fauriel, p. p. Lalanne, 1886, p. 150. Dumouriez l'estimait peu, et, à son propos, disait de Kellermann à Servan : Méfiez-vous des gens qui ne savent pas bien le français, parce qu'ils sont livrés à leurs aides de camp (28 septembre).

[16] Lettre de Kellermann à Fabre, 21 octobre (Robinet, Le procès des dantonistes, p. 530-533).

[17] Notes de Topino-Lebrun, 21.

[18] Lettres de Westermann, 31 août (Journal des Jacobins, corresp., 10 septembre), et 10 septembre (Révolution de Paris, XII. 491).

[19] Dumouriez à Servan, 18 septembre (arch. guerre).

[20] Lecointre, Crimes des sept membres des anciens comités, p. 243-244. Ce Laribeau est cité dans la séance du 29 août de la Commune de Paris, comme médecin et demeurant rue Sainte-Anne ; il doit donner un certificat aux prêtres infirmes. Nous le retrouvons plus tard lieutenant-colonel à l'armée du Nord pendant la campagne de Belgique. Il profita de l'a mission que lui avait donnée Billaud-Varennes pour signaler quelques abus qui s'étaient glissés dans l'administration des hôpitaux, et son rapport, appuyé devant la Convention par Prieur de la Marne, provoqua le décret du 11 novembre 1792 qui enjoignit aux municipalités de fournir aux hôpitaux ambulants autant de matelas qu'il y aurait de blessés, et aux ministres d'établir à la suite des armées des chariots suspendus et couverts (Moniteur du 13 novembre).

[21] Tous les historiens ont admis cette tradition recueillie par l'auteur des Mém. d'un homme d'Etat, I, 515.

[22] On sait que Westermann fut, plus tard, l'homme d'épée des dantonistes. Si les Girondins, dit Dumouriez (Mém., I, 340), avaient voulu quitter Paris, le général aurait travaillé auprès de Danton par son agent Westermann. Danton dut influer également sur le choix de Benoît, car Noël lui écrit de Londres à deux reprises : M'envoyez-vous Benoît ?Pourquoi ne m'avez-vous pas envoyé Benoît ? (Robinet, Le procès des dantonistes, 290-292). Danton jugea que Benoît serait plus utile au camp prussien qu'en Angleterre.

[23] Lettre du 28 septembre (Biblioth. nation., collection Deslys, p. 122, et arch. nat., papiers de Dumouriez) ; voir aussi le Curieux de mai 1886, n° 29, p. 66-67.

[24] Dumouriez, Mém., I, 340 : d'après ce que lui a dit Danton ; Journal des Jacobins du 16 octobre et Moniteur du 17 ; Mme Roland, Mém., I, 401-402 : Desmoulins, Hist. des Brissotins, 35 ; discours de Guadet (Moniteur du 15 avril 1793) : Dans tous les spectacles de Paris, qui était sans cesse à ses côtés ? Danton. Danton, Fabre, Santerre formaient la cour du général.

[25] Meillan, Mém., 1823, p. 31 ; témoignage très important : J'ai vu sa correspondance avec Gensonné. Elle s'arrête au 17 décembre. Elle respire partout un patriotisme ardent, raisonné, clairvoyant, une égale haine du despotisme et de l'anarchie, la crainte des malheurs qui depuis ont affligé la France et le désir de les prévenir. Prenez garde, dit-il dans sa lettre du 6 octobre, à ce parti qui se forme dans la Convention !

[26] Dumouriez, Mém., I, 340.

[27] Guadet à Robespierre (Moniteur du 15 avril 1793).

[28] Dumouriez, Mém., I, 333 ; Bailleul, II, 183 ; Durand de Maillane, Mém., 297 ; Paganel, Essai hist. et crit. sur la Révolution, II, 339.

[29] Mém., I, 336 et 340.

[30] Barbaroux, Mém., édit. Dauba, 337-338 ; Mme Roland, Mém., I, 408 ; Durand de Maillane, Mém., édit. Lescure, 300.

[31] Fabre d'Eglantine, discours du 5 novembre 1792 (Journal des Jacobins du 9 novembre et du 1er mai 1793 ; discours de Robespierre (3 avril 1793, Moniteur du 6 ; 10 avril, Moniteur du 12) ; Tableau historique, I, 362 : le ministre de la guerre songeait à donner au gouvernement les moyens de gagner sûrement la rive de la Loire ; Lettres de Mme Roland à Bancal, 2 septembre, p. 345-346 : Peu de jours encore jetteront de grandes lumières sur le sort de la capitale d'où la sagesse voudrait peut-être qu'on sortit le gouvernement ; Lettre de Roland à l'Assemblée (3 septembre, Moniteur du 5) : Le peuple sait que le midi, plein de feu, d'énergie et de courage, était prêt à se séparer pour assurer son indépendance lorsque la révolution du 10 août nous a valu une Convention qui doit tout rallier ; il aperçoit que les sages et les timides se réuniraient aisément pour établir cette Convention ailleurs. Dumouriez, Coup d'œil polit. sur l'avenir de la France, 1795, p. 10 : La nation est consternée, l'assemblée de ces représentants est prête à abandonner la capitale.

[32] Durand de Maillane, Mém., édit. Lescure, p. 294.

[33] Mallet du Pan, Mém., II, 48o-489 (récit de Dumas).

[34] Moniteur du 30 septembre et du 1er octobre.

[35] Moniteur du 28 août.

[36] Dumouriez, Mém., 336 et 340.

[37] Discours de Fabre aux Jacobins, 1er mai 1793.

[38] Vergniaud à la Convention, 10 avril 1793 (Moniteur du 13) ; la proposition fut repoussée par la commission d'une voix unanime.

[39] Chronique de Paris, 9 septembre.

[40] Chronique de Paris, 19 septembre.

[41] Discours du 10 mars 1793, Moniteur du 13.

[42] Le Soldat citoyen ou vues patriotiques sur la manière la plus avantageuse de pourvoir à la défense du royaume (1780), voir surtout p. 39, 55, 60, 66-67, 74-75. Max Lehmann a très bien apprécié cet ouvrage dans le premier volume de son Scharnhorst (1886, p. 60-62).

[43] Notes de Servan aux Mém. de Dumouriez, p. 21. Il avait été nommé lieutenant-colonel du 61e régiment le 6 novembre 1791, et colonel le 7 mars 1792. Cp. Iung, Dubois-Crancé, I, 252, note.

[44] Dampmartin, Mém., p. 260-261.

[45] Mme Roland, Mém., 385 et 405 ; Dumouriez, Mém., I, 339 ; Dumont, Souvenirs, 395 ; Math. Dumas, Souvenirs, II, 154-155 ; Buzot, Mém., 74 : un militaire sage, éclairé, actif, bon patriote, honnête homme ; Corr. de Mallet du Pan, 1884, 1, 257 ; Tableau historique, I, 358.

[46] Dumouriez, Mém., I, 339. Cp. sur Laclos la suite de ce chapitre ; sur Grimoard, Valmy, p. 4 ; sur Mathieu Dumas, ses Souvenirs, II, 475 : je continuai de prendre une part très active aux travaux du comité de la guerre. Mes conseils, mon zèle sincère dans tout ce qui pouvait tendre à la défense du territoire, à l'accroissement et à l'organisation des forces nationales, me concilièrent l'estime. Vieusseux, lieutenant-colonel employé à la formation des bataillons de nouvelle levée (état de situation de l'armée du Rhin. 20 août), puis adjudant-général et maréchal-de-camp (1er septembre), fut mandé le 11 septembre à Paris et n'arriva qu'après Valmy (lettre de Vieusseux à Biron, datée de Delémont, du 19 septembre).

[47] D'Aldéguier, Eloge historique de Lacuée, 1845, p. 18 ; De La Madelaine, Not. nécrol. sur Lacuée, 1841, p. 13 ; du Coetlosquet, Eloge du comte de Cessac (Mém. de l'Académie de Metz, XXIII, 1841-42, p. 183) ; Cousin, discours du 18 juin 1841.

[48] Miot de Mélito, Mém., I, 31.

[49] Notes de Topino Lebrun, p. 21 ; lettre de Labourdonnaye, 18 septembre ; séance du 3 octobre, Moniteur du 4 (discours de Vergniaud) ; séance du 28 août, Moniteur du 30 (discours de Guyton de Morveau).

[50] Servan à Dumouriez, 1er septembre (arch. guerre).

[51] Moniteur du 27 septembre.

[52] Tableau historique, II, 96.

[53] Servan à Dumouriez. 4 et 5 septembre (arch. guerre).

[54] Duc de Bellune, Mém., I, 71.

[55] Servan à Dumouriez, 16 et 18 septembre.

[56] Il empruntait cette comparaison à Dumouriez (voir Valmy, p. 40) qui l'avait prise à Brissot. Cp. Servan à Dumouriez, 17 septembre, et à Moreton, 8 septembre.

[57] Lettres des 8, 16 et 7 septembre.

[58] Arch. guerre, 22 septembre, ordre à donner, au cas que l'ennemi veuille pénétrer dans l'intérieur.

[59] 6 septembre, et Dumouriez lui répondait le 9 : Je pense comme vous, nous sommes presque aussi désorganisés que les Américains, mais nous saurons de même conquérir notre liberté. Cette comparaison était à la mode ; les Américains, écrivait Gorani au roi de Prusse, étaient neufs dans l'art de la guerre, et cependant l'amour de la liberté leur a fait vaincre les meilleures troupes du monde (lettre du 20 juin). Le 13 juillet on écrivait de La Haye au Moniteur (numéro du 19) : Apprenez et faites la guerre comme les Américains. Dans la séance du 22 décembre, Guadet lut et fit adopter une adresse de la Convention aux Etats-Unis d'Amérique, où se trouve la phrase suivante : Seuls contre la coalition des rois, nous nous sommes montrés dignes de nous dire vos frères, et nos succès doivent vous rappeler Saratoga, Trenton et Yorktown. Comparez encore l'article de la Chronique de Paris (n° 266) où Condorcet rappelle ces milices américaines qui soutenaient les efforts des troupes les mieux disciplinées de l'Europe et le mot de Franklin, lorsqu'il apprenait un revers : Cela est fâcheux, mais ça ira.

[60] Servan à Dumouriez, 12, 16, 17 et 18 septembre, et à Kellermann, 18, 19 et 20 septembre (arch. guerre). Cp. le Patriote français du 24 septembre : La campagne est à nous, si nos généraux veulent faire la guerre en Fabius ou en Washington.

[61] Tableau historique, I, 361 et p. XIV-XVI de l'avertissement ; cp. l'éloge que fait de lui Barbaroux, Moniteur du 1er janvier 1793, séance du 30 décembre 1792 : Il trouva le moyen de former des armées et d'assurer le succès de nos armes.

[62] Lettre de Servan à Dumouriez, 4 octobre (arch. guerre).

[63] 15 et 17 septembre, Servan à Dumouriez (arch. guerre).

[64] Ou 17e régiment. Dumas de Saint-Marcel avait été renvoyé par Dumouriez ; il vit Servan et revint à son régiment aux Islettes ; il avait pris les épaulettes de grenadier, mais Dillon lui rendit son grade de colonel, et lorsque Dumouriez le retrouva, il lui tendit la main : C'est bien ici, lui dit-il, et c'est bien ainsi qu'il faut se raccommoder. (Mathieu Dumas, Souvenirs, II, 474-475 ; Servan à Dumouriez, 12 septembre.)

[65] Servan à d'Arçon, 12 septembre (arch. guerre).

[66] Mme Roland, Mém., II, 213. Les bureaux de la guerre étaient bien composés et, dit Grimoard, à une époque très difficile où les écritures étaient nécessairement immenses, ne comptaient que 80 commis, secondés par 40 auxiliaires. Il suffit de comparer l'administration de Servan et celle de Pache ; aux hommes instruits, sages et fidèles de Servan, dit très bien Buzot (Mém., 77), succéda je ne sais quel ramas d'ignorants et de forcenés. — Ce qui rend encore remarquable cette étonnante administration, c'est qu'on n'y aperçut pas ces abus ou gaspillages presque toujours inévitables dans les crises violentes, et qu'on a vu fourmiller depuis dans des conjonctures beaucoup moins difficiles. (Tableau historique, I, 362.)

[67] Servan à Moreton, 8 septembre ; à Dumouriez, 7, 17, 23 et 29 septembre ; à Kellermann, 20 septembre (arch. guerre).

[68] Sous l'impulsion de sa commission extraordinaire ou des Vingt et Un qui a rempli, pour ainsi dire, l'intérim entre la monarchie tombée le 10 août et la République proclamée le 21 septembre. Voir sur cette commission, Vatel, Vergniaud, 1873, vol. II, p. 128-141.

[69] 26 août, proposition de Hérault de Séchelles.

[70] 26 août, proposition de Vergniaud.

[71] Séance du 31 août, Moniteur du 2 septembre.

[72] Séances des 28 et 29 août.

[73] 5 septembre. Lorsque Ternaux et Gossin sortirent de prison, leurs biens étaient sous le séquestre, et leurs papiers sous les scellés. Ternaux s'enfuit. Gossin voulut purger sa contumace et fut traduit devant le tribunal révolutionnaire qui le condamna. Un an après, la Convention reconnut son innocence et le rapporteur déclara qu'en se rendant à Verdun il avait agi comme Regulus partant pour Carthage. (Ternaux, IV, p. 150-151 et 507-517 ; Harmand de la Meuse, Anecdotes, 1814, p. 106-128.) Cp. Invasion prussienne, 266, et Valmy, 77.

[74] On n'a pas dit jusqu'ici que Ducos, dès le 6 septembre, proposa de transporter le corps de Beaurepaire au Panthéon ; j'espère, dit-il, que Beaurepaire. le seul Français qui s'est trouvé dans Verdun, aura un monument au Panthéon français. (Annales patriotiques du 8 septembre.) La veuve du commandant envoya, quelques jours plus tard, à la Convention la décoration militaire de son mari ; elle avait un fils, disait-elle, qui combattrait un jour pour assurer la liberté de son pays et venger la mort de son père (Patriote français du 5 octobre).

[75] Le décret en faveur de Beaurepaire, dit Cavaignac dans son rapport sur la reddition de Verdun (9 février 1793), fut sans doute un décret nécessaire dans les circonstances ; lorsque l'Assemblée a honoré sa mémoire, elle se voyait environnée de traîtres et l'ennemi menaçait Paris même.

[76] Telle est, dit Dommartin (Beaurepaire, 57), l'origine de la légende qui court encore aujourd'hui et qu'ont reproduite le témoin oculaire, Gœthe, Lamartine, Michelet. Mais, dès le 8 septembre, Carra, dans ses Annales patriotiques, assure que Beaurepaire s'est brûlé la cervelle au milieu du conseil de guerre.

[77] Chronique de Paris, 19 octobre, p. 1172. Par un arrêté de la commune de Paris (8 septembre), la section des Thermes de Julien dut s'appeler désormais section de Beaurepaire ; la place de Sorbonne, place Beaurepaire (et il sera apposé sur l'angle de la place un marbre portant une inscription du trait héroïque du brave Beaurepaire) ; la rue Richelieu, rue Beaurepaire ; la rue de Sorbonne, petite rue Beaurepaire.

[78] 27 août.

[79] 27 août. Port-au-Prince, au nombre de 206 hommes, figure dans l'ordre de bataille de l'armée du Centre du 26 octobre ; il forma le 110e régiment ; la Guadeloupe et la Martinique formèrent le 109e (proposition de Mathieu Dumas).

[80] 29 août, proposition de Lecointre.

[81] 5 septembre. Marceau entra le 1er mai 1793 dans les cuirassiers de cette légion germanique.

[82] 9 septembre.

[83] 1er septembre.

[84] 10 septembre.

[85] 14 août.

[86] Séance du 2 septembre.

[87] 26 août, proposition de Lasource.

[88] 11 septembre, sur la demande de Duhem.

[89] 13, 14, 16 août.

[90] 16 septembre.

[91] 27 août.

[92] 28 août.

[93] 26 août (prop. de Bréard) ; 2 septembre ; 5 septembre (prop. de Français) ; 14 septembre (prop. de Lacroix).

[94] 2 septembre.

[95] 9 septembre, proposition de Français.

[96] Séance du 16 août ; lettres des commissaires à l'armée du Midi, 15 août ; Moniteur des 20 et 28 août, du 18 septembre.

[97] 4e, 5e et 6e bataillons de volontaires, dits des sections réunies (3, 5 et 7 septembre) ; 6e bataillon bis ou Mauconseil (21 septembre) ; 7e bataillon ou du Théâtre français (8 septembre) ; 7e bataillon bis (2 septembre) ; 8e bataillon ou de Sainte-Marguerite (21 septembre) ; U. bataillon ou de Saint-Laurent (16 septembre) ; 9e bataillon bis ou de l'Arsenal (11 septembre) ; 10e bataillon ou des Amis de la patrie (4 septembre) ; 11e bataillon ou 11e de la République (4 septembre) ; 12e bataillon ou 12e de la République (1er septembre) ; 13e bataillon ou de la Butte-des-Moulins (5 septembre) ; 14e bataillon ou 14e de la République ; bataillon de Molière (24 septembre) ; 1er Républicain (21 septembre) ; 1er des Gravilliers (4 septembre) ; 1er des Lombards (S septembre) ; 19e bataillon ou du Pont-Neuf (2 septembre) ; bataillon de la Commune et des Arcis (13 septembre) ; bataillon de Popincourt (5 septembre) ; bataillon de Saint-Denis (7 septembre) ; bataillon des Amis de la République (27 septembre) ; 1or de la République (15 septembre) ; 2e de la République (15 octobre) ; 3e de la République (17 octobre) ; 1er de la Réunion ; bataillon de grenadiers (septembre) ; bataillon des chasseurs républicains ou des Quatre-Nations (4 septembre).

[98] Prop. de Carnot, 12 août ; décrets du 16 et du 29 août, du 12 septembre ; rapport de Letourneur lu dans la séance du 16 septembre. Voir sur le camp de Paris en 1792 le rapport fait au Comité de défense de l'empire en 1815 (Las Cases, Suite au Mémorial de Sainte-Hélène, 1825, p. 420-426).

[99] Discours du 27 août.

[100] Servan à l'assemblée, 15 septembre (Moniteur du 16) ; la Législative, émue de ces conflits, rappela ses commissaires le 28 août, sur la proposition de Cambon et la demande des ministres (Moniteur du 31 août, Procès-verbaux du conseil exéc. provisoire, 28 août).

[101] Moniteur du 18 septembre.

[102] Voir sur les Ransonnets, Invasion prussienne, p. 39 (note) ; sur Ransonnet leur chef Juste, Révolution brabançonne, 265 (il devint général et mourut à Essling) ; sur la compagnie de Lorient une lettre de Luckner à Dillon (13 septembre, Dillon, Compte-rendu, p. 83-84. et Moniteur du 9 octobre, lettre des commissaires sur le chasseur Dubois, de la compagnie libre de Lorient ; il nous a répondu : j'ai perdu un bras dans l'affaire du 20, mais j'en ai encore un autre au service de la patrie) ; sur la compagnie des Quatre-Nations notre récit de Valmy, p. 218. Elle devait servir d'avant-garde aux contingents de la garde nationale de Paris (arrêté du cons. exéc. du 29 août, Moniteur du 1er septembre). La section des Quatre-Nations, dit Prudhomme (Révolutions de Paris, n° 164, p. 397, 25 août-1er septembre), a offert 700 jeunes citoyens qui se sont enrôlés dans le courant de la semaine dernière pour les compagnies franches. Vous remercierez particulièrement, écrivait Dumouriez à Stengel le 21 septembre, la compagnie des chasseurs de Paris qui, n'ayant jamais fait la guerre, auraient pu marquer de l'étonnement.

[103] Discours de Sers, 16 mai 1793, Moniteur du 17.

[104] Moniteur du 18 septembre 1792.

[105] J. Gay de Vernon, Essai hist. sur l'organisation de la cavalerie légère, 1853, p. 69, et Moniteur du 24 décembre 1792.

[106] Moniteur du 28 août ; Gazette de France du 27 ; Révolutions de Paris, n° 164, p. 410.

[107] Un exemplaire de cette proclamation signée prince Reuss et Lucchesini est à la bibliothèque de Verdun, Verdun-Révolution, II, p. 48.

[108] Les fédérés étaient primitivement les gardes nationaux réunis au camp de Soissons, par ordre de Servan, puis de Lajard, après avoir assisté au serment fédératif du 14 juillet (Invasion prussienne, 36) ; mais on nomma fédérés les volontaire de toute provenance, composant les bataillons qui ne pouvaient porter le nom d'un département. Nous voyons (Rousset, 329) qu'on forma du 14 juillet au 15 septembre 1792, 17 bataillons de ces fédérés ainsi qu'un bataillon dit ¿es départements. Il y eut, en outre, 31 bataillons de la réserve qui furent formés du 27 avril au 28 octobre 1792 (Rousset, id., 330) ; 15 d'entre eux portent en même temps le nom d'un département ; le nom de fédérés ne leur appartient donc pas proprement, et revient ; plutôt aux 16 autres. Fédérés, volontaires des réserves, volontaires des départements, ou volontaires de 1793 se réunirent un peu au hasard. Remarquons seulement qu'à Meaux se rendirent les hommes réquisitionnés par le décret du 27 août, dans les seize départements voisins de Paris : le camp de Soissons, disait Servan, nous couvre suffisamment du côté du nord ; il faut faire à Meaux un autre rassemblement, car, si l'ennemi veut venir, il se dirigera de Châlons sur Montmirail (28 août, Moniteur du 30). Observons, en outre, que, lorsqu'on décida la formation d'un corps de troupes à Châlons, Versailles, Paris et les fédérés qui s'y trouvaient, en fournirent le noyau. (Révolutions de Paris, n° 165, p. 455).

[109] Mme Roland, Mém., I, 368 ; II, 277.

[110] Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, 1877, vol. XII, p. 16.

[111] Le mot est de Dumouriez.

[112] Laclos à Servan, 13 septembre (arch. guerre).

[113] Prieur de la Côte-d'Or, Broussonnet, Crublier d'Obterre.

[114] Ce serait bien mal connaître l'esprit de la Révolution, ajoutait Laclos, que de ne pas sentir que toute croyance sera donnée au général trompeur de préférence au pouvoir exécutif trompé. Voir sur Luckner, Invasion prussienne, 193-201 ; il est né en Bavière, à Chum, le 12 janvier 1722, et devait être guillotiné le 4 janvier 1794. Son père était brasseur et devint maire de Cham. Après de mauvaises études au collège des jésuites de Passau, Luckner entra, en 1741, dans le régiment d'infanterie de Morawitzky et y devint enseigne. Lieutenant au corps franc du capitaine Gschray, il se met au service de la Hollande (1745), puis du Hanovre (1747), commande un corps de hussards dans la guerre de Sept-Ans, et, ce régiment dissous, se rend en France. Il avait acquis de grands domaines dans le Holstein et reçu le titre de baron (22 avril 1778), puis de comte (31 mars 1784). Ses deux fils, Nicolas et Ferdinand, pourvus des majorats de Schulenburg et de Deppenau, servaient en Danemark et non en Autriche, comme on le disait à Paris. Cp. Œsterr. milit. Zeitschrift, 1801, p. 400-403, Marschall Luckner, eine biographische Skizze.

[115] Rapport de deux députés du corps électoral de l'Aube, 7 septembre ; lettre de Custine à Biron, 7 septembre (arch. guerre).

[116] Lettres de Laclos des 10 et 11 septembre (arch. guerre et Intermédiaire du 25 septembre et du 10 novembre 1885 ; Billaud-Varennes à Danton (Révolution de Paris, XIII, p. 492-493).

[117] Procès-verbaux du conseil exéc. prov., p. 135 (arch. nat.). Ajoutons que Laclos fut nommé le 22 septembre maréchal de camp.

[118] Lettre du 10 septembre.

[119] Gazette de France, n° 176, 18 septembre, p. 706-707. Départ des troupes de Paris depuis le 3 jusqu'au 16 septembre. Le 3, 827 hommes ; le 4, 1.044 ; le 5, 897 ; le 6, 1.473 ; le 7, 1.493 ; le 8, 2.972 ; le 9, 1.191 ; le 10, 1.218 ; le 11, 1.503 ; le 12, 2.025 ; le 13, 2.115 ; le 14, 360 ; le 15, 1.517 ; du 3 au 16, 18.635 hommes.

[120] Cp. la correspondance de Labourdonnaye avec Servan, 16, 17, 18 septembre ; Laclos à Servan, 13 septembre ; Servan à Dumouriez, 4 et 11 septembre ; Luckner à Dillon, 13 septembre : Il doit se faire un rassemblement de 30.000 hommes, et nous n'avons encore d'effets de campement que pour 8.000 (arch. guerre). Cp. Révolutions de Paris, n° 168, p. 13 ; Prudhomme, qui vient d'alter à Châlons, résume ainsi la situation : des campements mal organisés, mal fournis ; des troupes volontaires insubordonnées à qui il faut faire aimer la discipline. Le curé de Bar-sur-Seine écrit, le 26 septembre, à un député, qu'il voit passer tous les jours des jeunes gens de Perpignan, de Tarbes, de Lavaur ; ils sont sans souliers, la plupart estropiés. (Babeau, Hist. de Troyes pendant la Révolution, 1874, II, 54.)

[121] Labourdonnaye à Servan, 17 et 18 septembre ; lettre de Châlons, du 12 septembre (Moniteur du 16) : discours de Charlier, 18 septembre (Moniteur du 19) ; Souvenirs du général Allix (Journal des sciences milit., 1828, p. 496) ; Taine, Conquête jacobine, p. 350 ; la prison renfermait vingt-deux gentilshommes, parmi lesquels plusieurs verriers de l'Argonne.

[122] Taine, Conquête jacobine, p. 349-350 ; Barbat, Hist. de Châlons, 1855, p. 420-426 ; Allix, Souvenirs, p. 495 ; (il avait alors vingt ans ; il professait les mathématiques au collège de Coutances ; il était entre à l'école d'artillerie le premier ou, comme on disait alors, le prince de sa promotion ; il y eut pour camarades Marmont, Foy, etc.). Comparez les Mém. du duc de Raguse, 1857, I, 26 ; il faillit être mis à la lanterne, et dut, ainsi qu'un camarade, mettre l'épée à la main.

[123] Arch. guerre et Rousset, Les volontaires, p. 80-83 ; Luckner à Servan, 16 septembre ; Labourdonnaye à Servan, 18 septembre ; Moniteur du 21 septembre (lettre de Châlons, du 17).

[124] De Sparre était lieutenant-général depuis le 1er janvier 1784.

[125] Arch. guerre, Sparre à Servan, 22 et 25 septembre.

[126] Luckner à Dumouriez, 16 septembre ; Dumouriez à Frégeville, 24 septembre, et à d'Harville, 26 et 28 septembre (arch. guerre).

[127] Servan à Pétion, 23 septembre (Rousset, Les Volontaires, p. 94-96) ; Dumouriez à Pétion, 26 septembre (Bibl. nat., mss., collection Deslys, p. 119) ; voir plus loin l'accueil qu'il fit aux fédérés.

[128] Arch. guerre.

[129] Révolutions de Paris, n° 169, p. 77, lettre de Celliez.

[130] Voir sur cet épisode Ternaux et Rousset.

[131] Lettre de Châlons du 6 octobre, Moniteur du 10.

[132] Arch. guerre. Duhoux à Servan, 21 et 29 août, 5 septembre ; Rousset, 74-76 ; Michaux, Les milices et les régiments soissonnais, les garnisons et les camps de Soissons, 1885, p. 122-125 (d'après les mémoires manuscrits de Brayer et de Patté) ; voir aussi Ed. Fleury, Le camp de Soissons et les fédérés.

[133] Arch. guerre. Duhoux à Servan, 21 et 29 août, 5 septembre. Le conseil général de Reims à Luckner ; Luckner à Servan, 6 septembre ; Rousset, 76.

[134] Servan au président de l'Assemblée, Moniteur du 21 septembre.

[135] Proclamation du 25 septembre, Moniteur du 3 octobre.

[136] 4 septembre. Cp. Hubert, Hist. de Charleville, 1854, p. 205-210. Juchereau dirigeait sur Huningue deux voitures chargées d'armes, on prétendit qu'il les envoyait à l'ennemi. Comparez à Troyes le meurtre du chanoine Fardeau ; un volontaire lui tranche la tête avec une hache empruntée chez un boulanger ; la tête ensanglantée, lavée dans la rivière, fut promenée dans les rues et portée à l'hôtel de ville. (Babeau, Hist. de Troyes, I, p. 504-505.)

[137] Hulot, Souvenirs militaires (Spectateur milit., 15 janvier 1883, p. 131). Les jeunes soldats seront battus à la première campagne, à la seconde peut-être ; mais à la troisième vous aurez les soldats de 1 794, qui n'étaient plus les soldats enrégimentés de 1792 (Stendhal, Le rouge et le noir, II, p. 128). Les Français, dit le prince de Ligne [de l'armée française], se battirent peu ou mal pendant presque deux campagnes. ; entendez par les Français les bataillons de nouvelle levée.

[138] Westermann à Servan, 30 septembre (arch. guerre).

[139] Les bataillons de volontaires, disait Bugeaud, — qui oublie les bataillons de 1791 et ne songe qu'à ceux de 1792 — auraient vaincu, grâce à l'enthousiasme ! C'est faux ! Dans les deux premières campagnes, ils furent presque indisciplinables, parce qu'il s'y trouvait des hommes qui avaient apporté l'esprit des clubs. Ils furent battus dans presque toutes les circonstances, à cause de leur inexpérience. Ce n'est qu'à la bataille de Fleurus qu'ils ont commencé a rendre des services. A Jemmapes et à Valmy, les principales forces étaient composées de la vieille armée de ligne. (Disc. des 6 et 9 janvier 1834. D'Ideville, Bugeaud, 1882, II, p. 230-232.)

[140] Rochambeau, Mém., I, 427-428.

[141] Gouvion Saint-Cyr, I, LVII. Le 1er septembre, le jeune peintre Laurent Gouvion s'engageait dans le 1er bataillon des chasseurs de Paris ; il était élu sergent-major le 15 septembre, et capitaine le 1er novembre (Gay de Vernon, Vie du maréchal Gouvion Saint-Cyr, p. 1 et suiv.). Il rejoignit l'armée du Rhin, mais sa troupe, raconte Lavallette (Mém., I, 145), était composée de mauvais sujets parisiens, c'est tout dire, et se vantait hautement qu'elle allait mettre l'armée au pas.

[142] Cp. Dillon, Compte-rendu, p. 25 : Je ne pouvais concevoir que de toute la masse des forces qu'on annonçait dès longtemps devoir arriver à Châlons, rien ne fût encore venu au secours de Dumouriez, et Billaud-Varennes (Journal des Jacobins, 26 septembre) : Vainement Dumouriez demandait des forces, on ne lui en envoyait pas.

[143] Servan à Dumouriez, 8 septembre (arch. guerre). Voir Valmy, p. 161, le mot de Beurnonville sur ces fédérés ; il écrivait, le 30 septembre, à Dumouriez : Je vous renverrai 1.000 fédérés qui présenteront un front et figureront en masse ; je n'ai pas besoin de mangeurs ici ; il s'agit de besogner. (Arch. nat., papiers de Dumouriez).

[144] Expression de Soult, Mém., I, 9.

[145] Mots de Lavallette, Mém., II, 99.

[146] Bouillé, Mém., 337.

[147] On ne fait pas ici l'histoire intérieure de la Révolution ; on n'y touche que légèrement et au point de vue de la défense nationale.

[148] Ternaux, IV, 465-466.

[149] Lettre de Tallien, 26 août (Moniteur du 28) ; Ternaux, III, 143.

[150] Lettre de Servan, Ternaux, III, 154-155.

[151] Plainte de Lacuée à Miot. Miot de Mélito, Mém., I, 31.

[152] Mme Roland, Lettres à Bancal, 344-345 (2 septembre) ; la municipalité de Paris, disait Choudieu, désorganise tout et entrave tout. (Séance du 30 août, Moniteur du 1er septembre).

[153] Roland à l'Assemblée, Moniteur du 5 septembre. Comparez Servan, Notes sur les mémoires de Dumouriez, 20 : ... la Commune dominant les sections, se mêlant du gouvernement, chaque individu s'immisçant dans les affaires publiques et se donnant le droit d'en blâmer les opérations et les agents.

[154] Cp. Lavallette, Mém., I, 94. On ne cite qu'un volontaire qui ait pris part aux massacres de septembre, le perruquier Chariot (Lavallée, Hist. de Paris, 96) et ces deux ou trois soldats de la gendarmerie parisienne qui déclarèrent en passant à Roye, qu'ils étaient de ceux qui avaient massacré les prisonniers de Paris à la journée du 2 septembre, et qu'il ne leur en coûtait rien de massacrer. (Taine, Conquête jacobine, p. 334-335.) Les égorgeurs, écrivait plus tard l'abbé Sicard à la fin de sa célèbre relation des massacres, ont la plupart fui de Paris ; ils ont été dans les armées, espérant y trouver des camarades. Les scélérats ! Pouvaient-ils ainsi se méprendre sur les soldats français ? On les a reconnus, et ils n'y ont trouvé que des vengeurs.

[155] On ne cite ici que le témoignage de Cambon qui n'est pas suspect ces agitateurs qui n'aspirent qu'à être nommés a la Convention... ils brûlent de nous remplacer (4 septembre, Moniteur du 6) ... ils voulaient s'emparer de la Révolution pour en recueillir les avantages, et dès lors il n'y a pas d'horreurs dont le Corps législatif n'ait été le témoin. (10 novembre, Moniteur du 12.)

[156] Lettre du 5 septembre à Bancal, 346. Servan, Notes sur les mémoires de Dumouriez, 20 : ... les massacres de septembre, les projets de les étendre sur plusieurs députés et sur quelques ministres. D'après le Tableau hist., I, 392, Servan fut le seul membre du conseil exécutif qui eut assez de courage pour oser entreprendre de détourner les magistrats séditieux de Paris, de souiller leurs mains par les massacres ; mais les représentations les mieux fondées et les plus pathétiques sont vaines parce qu'ils veulent absolument des victimes, et le sang commence à couler. Si l'acte de dévouement de Servan faillit lui coûter la vie, puisqu'on agita en sa présence s'il ne convenait pas de l'égorger un des premiers, il lui mérita la réputation d'homme de bien.

[157] Révolutions de Paris, n° 167, p. 516.

[158] Lettre du 9 septembre à Bancal, 348.

[159] La peur, dit Buzot (Mém., 73), l'avait place au milieu de la justice. Il fallait dans le ministère, écrit Condorcet (Œuvres, 1847, vol. I, p. 602) un homme qui, par son ascendant, pût contenir les instruments très méprisables d'une révolution utile.

[160] Il devint ministre des affaires étrangères, de même que Paré, lui aussi ancien clerc de Danton, succédait à Grouvelle, comme secrétaire du conseil, puis à Garat, comme ministre de la justice.

[161] Math. Dumas, Souvenirs, II, 467. Voir sur les massacres de septembre, Granier de Cassagnac, Guadet, Ternaux et M. Taine qui ont réuni tous les textes. Un témoignage écrasant et très peu connu, et qui se produit quelques jours après l'événement, me semble être celui de Prudhomme, non du Prudhomme des Crimes de la Révolution, mais du Prudhomme des Révolutions de Paris. Kersaint ayant dit que le peuple avait déshonoré Paris par les massacres de septembre. Dites, Monsieur, répondit Prudhomme, que ce sont les meneurs qui ont déshonoré le peuple en lâchant au milieu de lui des sicaires gagés à tant par assassinat. Attaquez tant qu'il vous plaira votre collègue Marat ; celui-ci est là pour se défendre, s'il y a lieu. (Révolutions de Paris, 27 octobre-3 novembre 1792, p. 243). Dans le même numéro, Prudhomme accuse à mots couverts Robespierre et Danton (après le discours de Louvet) : Il serait vrai que Robespierre ait voulu se frayer un chemin de la Commune à la dictature, à travers les cadavres amoncelés aux portes des prisons de Paris ? Cela n'est pas possible. Mais faut-il huit jours pour répondre ?... Et toi, Danton, tu te tais aussi ou tu n'ouvres la bouche que pour désavouer lâchement ton agent subalterne (Marat). Quelle idée prendre de la Convention d'après la moralité et la conduite de ceux qui en sont les coryphées ? Fidèle à notre impartialité, nous te rendons pourtant justice pour un fait. Tu donnas le contre-ordre qui sauva les jours de Roland et de Brissot contre lesquels Marat avait fait décerner des mandats d'arrêt. A la nouvelle qu'ils étaient menacés, tu courus chez Robespierre pour parer à ces deux assassinats. Cp. encore n° 174, p. 299. Si on veut absolument que Robespierre, Marat et Danton aient amené, provoqué et dirigé ce supplément indispensable peut-être à la révolution du 10...

[162] (Servan), Notes aux Mémoires de Dumouriez, IX-X.

[163] Mme Roland Mém., I, 383 ; II, 6, 21, 23, 24.

[164] Ecrit tracé par Roland et reproduit dans ses principaux passages par les éditeurs des Mém. de Mme Roland, II, 17, 23-24, 67-68, 436-442. D'où vient, disait Prudhomme, que les membres du conseil ne sont pas plus d'accord entre eux ? (Révolution de Paris, n° 167, 15-22 septembre, p. 514.)

[165] Mme Roland, Mém., II, 28. Quelle vertu, remarque à ce propos Lafayette (Mém., IV, 126) que celle d'un ministre de l'intérieur qui n'exige pas même que l'on examine et discute de tels choix et signe par complaisance l'envoi, dans les départements, de tous les scélérats nommés par Danton ! Lafayette ajoute plus loin (135) : Roland laissait Danton envoyer officiellement des ordres d'assassinat dans les départements. Il dit a Mme d'Ayen que les assassinats s'organisaient dans le Conseil (octobre 92).

[166] Brochet, fils d'un vannier champenois, et d'abord garde de la connétablie, logeait dans la même maison que Billaud-Varennes dont il devint le flatteur ; il fut juré du tribunal révolutionnaire. (Campardon, Hist. du trib. rév., I, 223, note).

[167] Vingt et un commissaires du pouvoir exécutif, tous pris dans l'élite des patriotes de la capitale, viennent de partir dans la nuit du 29 au 30. (Révolutions de Paris, n° 164. p. 380.)

[168] Expression de Collot d'Herbois (discours du 3 novembre aux Jacobins). Voir Révolutions de Paris, n° 166, 473-475, l'instruction destinée à diriger la conduite des commissaires patriotes envoyés dans les départements.

[169] La plupart de ces missionnaires, passèrent par Châlons qui devint ainsi le rendez-vous des commissaires du pouvoir exécutif. On vit même à Châlons (outre Celliez et Varin, Billaud-Varennes et Brochet, Laclos, Harou-Romain et Sigaut), le frère du fameux brasseur Santerre et le citoyen Prudhomme, rédacteur des Révolutions de Paris. Prudhomme était accompagné du correcteur de son imprimerie ; il avait obtenu de Roland un pouvoir en vertu duquel il devait presser sur son passage la fabrication des piques et prendre tous les renseignements nécessaires. (Révolutions de Paris, n° 204, 1-8 juin 1793, p. 471).

[170] Cp. ci-dessus. Sa mission était une des plus importantes. Il la devait à Danton dont il avait été secrétaire (voir sa lettre du 11 septembre, Mon cher Danton, etc. Révolutions de Paris, n° 166, p. 492-495). Le conseil l'envoyait à l'effet d'annoncer l'arrivée des soldats-citoyens de la capitale, d'observer les dispositions faites pour l'établissement de l'armée qui doit s'y rassembler sous les ordres de Luckner, d'alimenter le civisme et l'amour de la liberté, de correspondre avec le conseil exécutif et de l'informer régulièrement de tous les résultats de ses observations. (Procès-verbaux du conseil exécutif, p. 85, 4 septembre).

[171] Séance de la Convention du 25 septembre, témoignages de Boilleau, de Fockedey, de Bailly ; lettre de Roland (Moniteur du 14 septembre) ; Ternaux, III, 324-325, et IV, 89-91. Ce même Lacroix — qu'il ne faut pas confondre avec le conventionnel, ami de Danton, et qu'on retrouve en 1793, membre du comité révolutionnaire de la section de l'Unité, — poussa jusqu'à Châlons, fut nommé par Prieur procureur-syndic de la Marne et déclara qu'il mourrait plutôt que de laisser entrer un Prussien dans Châlons. Lorsqu'il vit arriver les fuyards de Montcheutin, il partit pour Paris, sans avertir ses collègues du département, (Lettre de Celliez, Révolutions de Paris, n° 202, p. 389, et dénonciation de Lacroix à la Convention, par Celliez et Varin. Arch. nat. C II, 202, lettre du 4 octobre).

[172] Révolutions de Paris, n° 166, p. 477.

[173] Rapport de Fauchet, 6 novembre Meillan, Mém., 12.

[174] Moniteur du 25 septembre. Harou-Romain et Sigaut ont publié le compte-rendu de leur mission. Ils parcoururent cinq départements. Ils trouvèrent des cocardes blanches dans les bagages du 92e régiment qui venait de Verdun, et constatèrent qu'elles avaient été oubliées par des officiers émigrés ; ils se joignirent à Luckner et à Prieur pour sauver les prisonniers de Châlons que menaçaient les volontaires ; ils ranimèrent l'esprit public par leurs discours et leur conduite, et ce fut tout ; leur compte-rendu ne renferme pas autre chose.

[175] Rapport du 20 octobre, Moniteur du 10 novembre.

[176] Roland à l'Assemblée, Moniteur du 17 septembre.

[177] Révolutions de Paris, n° 167, p. 519 et 521.

[178] Lettre de Roland, du 16 septembre ; Gazette de France du 19.

[179] Lettre de Roland, du 16 septembre ; Gazette de France du 19. C'est alors que Mme Roland écrivit à Buzot cette lettre dont parle Duroy dans la séance du 13 juin 1793 (Moniteur du 15) ; elle racontait que la Commune avait lancé un mandat d'arrêt contre son mari, exposait les dangers qu'il courait et ajoutait que le seul moyen de le sauver était de le faire nommer député à la Convention. Comparez sa lettre à Bancal, du 11 septembre (p. 349), Brissot m'a fort grondée des recherches de nomination, etc.

[180] Moniteur du 19 août.

[181] Révolutions de Paris, n° 167, p. 318.

[182] Lettres de Servan à Roland, de Pétion à l'Assemblée (Moniteur des 17, 18 et 19 septembre ; Gazette de France, 17 septembre) ; mot de Lacroix : Les malveillants abusent le peuple d'une manière terrible, de Coustard : bruits tantôt exagérés, tantôt alarmants, et de Kersaint : Il est urgent d'arrêter la calomnie qui s'accroît dans Paris au sujet des armées.

[183] Discours du 17 septembre, Moniteur du 18.

[184] Moniteur du 18 septembre.

[185] Discours du 16 septembre (Moniteur du 18) ; le lendemain, il prononçait le fameux discours où se trouve la phrase : Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, pourvu que la France soit libre !

[186] Séance du 16 septembre (Moniteur du 18 et du 19), discours de Servan à l'Assemblée et de Lacroix, décret proposé par Vergniaud.

[187] Lavallette, Mém., I, 104.

[188] C'est le mot de Dubois-Crancé (Analyse de la Révolution, p. 98). Il n'y avait plus à proprement parler de gouvernement. Le Corps législatif n'osait outrepasser la limite de ses pouvoirs. Les ministres n'étaient pas sans nuances dans leurs opinions.

[189] Levasseur, Mém., 1829, I, p. 42. Comparez les mots de Cambon (10 novembre, Moniteur du 12) La Constitution étant brisée, le Corps législatif n'avait plus de pouvoir, et, je suis honteux de le dire, il était accablé.

[190] Garat, Mém. sur la Révolution, an III, p. 189.

[191] Mot de Roland, mémoire cité.

[192] Voir sur Garat les Mém. de Buzot, 79-83.

[193] Il écrit, en effet, dès le 21 septembre, à la Convention qu'il se présenterait à elle sans des douleurs très aiguës qui le retiennent dans son lit, et le 3 octobre, il mande au président. : Mes douleurs sont tellement augmentées que plusieurs fois dans la journée ma tête ni mon corps ne pouvant plus agir, les affaires les plus essentielles s'entassent sans se terminer ; il lui est impossible même de signer et il veut aller recouvrer des forces dans son air natal. (Arch. nat., C II, 202.)

[194] Notes sur les mémoires de Dumouriez, 20.

[195] Dumouriez, Mém., I, 339-341.

[196] Pache, 434 voix ; du Chatelet, 42 ; Bouchotte, 22 ; Laclos, 13 ; Wimpfen, 13 ; Anselme, 8 ; Valence, 6 ; Berruyer, 6 ; Lapoype, 5 ; Ligniville, 4 ; Hassenfratz, Biron, Beauharnais, Labourdonnaye, 2 ; Kellermann, Beurnonville, Meunier, Ferrières, Vergne, 1. (Arch. nat., C II, 195.)

[197] Arch. nat., C II, 202.

[198] Séance du 29 septembre. On sait que Roland revint sur sa résolution et garda le ministère.

[199] C'est le mot qu'il emploie dans ses réponses aux administrateurs. Taine, Conquête jacobine, 362.

[200] Paganel, Essai hist. et crit. sur la Révolution, I, 425 ; comparez Dubois-Crancé, Analyse de la Révolution, p. 98, véritable anarchie.