La chute de l’empire romain, la naissance et les progrès du christianisme et l’invasion des barbares

 

Étude quatrième

 

 

Première partie : d’Arcade et Honorius à Théodose II et Valentinien III

Théodose ne survécut que trois mois à sa victoire sur Eugène : il mourut à Milan ; son corps fut transporté à Constantinople. Il laissa deux fils, Arcade et Honorius. Arcade avait été déclaré auguste par son père, la cinquième année du règne de ce dernier ; Honorius fut revêtu de la même dignité après la mort de Valentinien II et lorsque Théodose se préparait à marcher contre Eugène. Arcade hérita de l’empire d’Orient, Honorius de celui d’Occident, Arcade s’ensevelit dans le palais de Constantinople, Honorius dans les murs de Ravenne. Arcade était petit, mal fait, laid, noir et bête ; il avait les yeux à demi endormis, comme un serpent[1] ; Honorius était fainéant et léger[2]. Rufin se chargea de tromper et d’avilir les deux empereurs, Stilicon de les trahir et de les défendre. Arcade subissait le joug des eunuques et de sa femme ; Honorius élevait une poule appelée Rome, et Alaric prenait la cité de Romulus.

Rufin fut le ministre d’Arcade, comme Stilicon le ministre d’Honorius. Originaire d’Eause, dans les Gaules, Rufin avait obtenu sous Théodose, qui le favorisa trop, les charges de grand-maître du palais, de consul et de préfet du prétoire. Il est accusé d’ambition, de perfidie, de cruauté et surtout d’avarice, par Claudien, Suidas, Zosime, Orose, saint Jérôme et Symmaque[3], lequel louant tout le monde ne louait personne, ainsi qu’on l’a remarqué.

Déclaré préfet d’Orient, aspirant secrètement à l’empire, Rufin avait une fille qu’il prétendait donner en mariage à Arcade. Eutrope l’eunuque déjoua ce projet, et Arcade mit dans le lit impérial Eudoxie, fameuse par ses démêlés avec saint Jean Chrysostome ; elle était fille de Bauton, vaillant chef franc, devenu comte et général romain.

Stilicon gouvernait l’Occident sous Honorius ; c’était un grand capitaine, de race vandale[4]. Il avait épousé Serène, nièce de Théodose. Cette alliance enflait le coeur du demi-barbare[5] ; il prétendait que son oncle Théodose lui avait laissé la tutelle de ses deux fils, et ne supportait qu’avec impatience l’autorité dont Rufin jouissait en Orient.

Celui-ci, trompé dans ses projets par le mariage d’Eudoxie, craignant les entreprises de Stilicon, qui levait des soldats, déchaîna les barbares sur l’empire ; il invita les Huns à se précipiter sur l’Asie, et il livra l’Europe aux Goths[6]. Ces derniers étaient commandés par Alaric.

Alaric était né dans l’île de Peucé, à l’embouchure du Danube, au sein même de la barbarie. Claudien appelle poétiquement le Danube le dieu paternel d’Alaric. Cet homme, un des cinq ou six hommes millénaires ou fastiques, n’était pas de la famille des Amales, la première de la nation des Goths, mais de la seconde, la famille des Balthes. Son courage lui avait fait donner parmi ses compatriotes le surnom de Balt, qui signifie le hardi ou le vaillant.

Tout jeune encore, Alaric avait passé le Danube en 376, avec les Visigoths, lorsqu’ils fuyaient devant les Huns. Il s’était trouvé aux combats qui précédèrent et amenèrent la défaite et la mort de Valens[7]. Il fit la paix avec Théodose, et le suivit en qualité d’allié dans l’expédition contre Eugène.

Rufin alla déterrer, pour venger sa querelle domestique, l’homme que Dieu avait destiné pour venger la querelle du monde. Afin que le Goth ne rencontrât aucun obstacle, le favori d’Arcade plaça deux traîtres, Antioque et Géronce, l’un à la garde des Thermopyles, l’autre à celle de l’isthme de Corinthe[8] : ces deux portiers de la Grèce la devaient ouvrir aux barbares.

Alaric, feignant donc quelque mécontentement de la cour d’Arcade, marauda tout le pays entre la mer Adriatique et le Pont-Euxin. Les Goths promenaient avec eux quelques troupes des Huns qui l’hiver d’antan avaient passé le Danube sur la glace. Les barbares butinèrent jusque sous les murs de Constantinople, d’où Rufin sortit en habit goth pour parlementer avec eux[9].

Stilicon, sous prétexte de secourir l’Orient, se mit en marche avec l’armée que Théodose avait employée contre Eugène.

Alors arrive un ordre d’Arcade qui redemande à Stilicon l’armée de Théodose et lui défend de passer outre de sa personne : Stilicon obéit : il remet le commandement de l’armée à Gaïnas, capitaine goth qui servait sous lui, et le charge secrètement de tuer Rufin ; entreprise dans laquelle il ne manqua pas d’être assisté par l’eunuque Eutrope[10].

Rufin se flattait d’être proclamé empereur par les soldats qui lui apportaient une autre pourpre ; il alla avec Arcade au-devant d’eux : Gaïnas le fit envelopper, et tout aussitôt massacrer aux pieds d’Arcade. Sa tête, détachée de son corps, fut portée à Constantinople au bout d’une pique et promenée par les rues ; sa main droite coupée accompagnait sa tête ; on présentait cette main de porte en porte[11]. Un caillou introduit dans la bouche du mort la tenait ouverte, et les lèvres entrebâillées étaient censées demander l’aumône que la main[12] attendait ; satire populaire d’une effrayante énergie contre l’exaction et le pouvoir. On ne gagna rien au changement du ministère : Eutrope prit la place de Rufin.

Alaric et ses Goths, n’ayant plus rien à piller ni à combattre, passèrent le défilé des Thermopyles, qui n’était défendu que par le tombeau de Léonidas. Des pâtres avaient enseigné aux Perses le sentier de la montagne ; des robes noires (ce qui dans le langage d’Eunape signifie des moines) le découvrirent aux Goths[13]. Quel prodigieux changement dans les temps ! Quelle révolution parmi les hommes !

Les murailles de Thèbes la protégèrent[14] ; les souvenirs de cette ville venaient d’Oedipe, passaient par Epaminondas et Alexandre. Alaric épargna Athènes, qui n’était plus qu’une université, moins fameuse par sa philosophie que par son miel[15]. Il accepta un repas, et se baigna dans la cité de Périclès et d’Aspasie pour montrer qu’il n’était pas étranger à la civilisation[16]. Mais l’antique fut livrée aux flammes. On voit encore aujourd’hui cette Athènes qui ressemble, comme elle ressemblait au temps des Goths, à la peau vide et sanglante d’une victime dont la chair avait été offerte en sacrifice[17]. On affirmait que Minerve avait remué sa lance ; que l’ombre d’Achille avait effrayé Alaric[18]. Des esprits débilités par des fables sont bien petits dans les réalités des empires : la Grèce, conservée et comme embaumée dans ses fictions, opposait puérilement les mensonges du passé aux terribles vérités du présent.

Alaric continua sa marche vers le Péloponnèse : Cérès périt à Eleusis avec ses mystères ; plusieurs philosophes moururent de douleur ou par l’épée des barbares, entre autres Protère, Hilaire et Priscus, si chéri de Julien[19]. Corinthe, Argos et Sparte virent leur gloire foulée aux pieds. Alors périt aussi peut-être ce Jupiter Olympien qui n’avait d’immortel que sa statue. Malheureusement il était d’or et d’ivoire ; s’il eut été de marbre, quelque espoir resterait de le retrouver sous les buissons de l’Elide, à moins que la pensée broyée de Phidias ne fût devenue la chaux d’une cahute ou d’un minaret.

Stilicon débarque avec une armée sur les côtes de la Grèce ; il enferme Alaric dans le mont Pholoé, et le laisse ensuite échapper[20]. Sorti du Péloponnèse, Alaric, par un soudain changement de fortune, est déclaré maître général de l’Illyrie orientale, au nom de l’empereur Arcade. Ce prince prétendait qu’Honorius n’avait pas eu le droit de le secourir, parce que la Grèce était du ressort de l’empire d’Orient[21] : Arcade ne voulait rien perdre de la légitimité de sa couardise. Il crut gagner Alaric en l’investissant du commandement d’une province, et ne fit que le rendre plus redoutable. Une éternelle justice punit la lâcheté : Alaric venait d’égorger les fils ; on lui donna la puissance sur les pères : on ne règne point par de pareils moyens.

Les Goths déclarent Alaric roi, sous le nom de roi des Visigoths : ils envahissent l’Italie, la première année même de ce Ve siècle, fameux par la destruction de l’empire d’Occident et la fondation des royaumes barbares. Stilicon rassemble une armée ; Alaric se retire. Honorius va triompher à Rome. Je ne vous parle de ce ridicule triomphe qu’afin de rappeler le véritable triomphateur : c’était un moine qui portait un nom voué à l’immortalité : Télémaque, sorti tout exprès de la solitude de l’Orient, était venu à Rome sans autre autorité que celle de son froc, pour accomplir ce que les lois de Constantin n’avaient pu faire. Il se jette dans l’amphithéâtre au milieu des gladiateurs, et s’efforce de les séparer avec ses mains pacifiques. Les spectateurs, enivrés de l’esprit du meurtre, le massacrèrent[22] ; vrai martyr de l’humanité, il racheta de son sang le sang répandu au spectacle de la mort. De ce jour les combats des gladiateurs furent définitivement abolis.

Stilicon, dont Honorius épousa successivement les deux filles, avait traité avec les Francs aux bords du Rhin. Marcomir et Sunnon, frères, régnaient sur ces peuples. L’un fut banni en Toscane, l’autre tué par ses compatriotes. On veut que Marcomir ait été père de Pharamond[23].

Saint Ambroise était mort dès l’année 397. Stilicon regarda sa mort comme la ruine de l’Italie[24].

Guidon se révolta en Afrique, et fut défait par son frère Marcezel. L’incertitude des choses de ce siècle est si grande, écrivait alors saint Augustin, on voit si souvent tomber les princes de la terre, que ceux qui mettent en eux leurs espérances y trouvent leur ruine[25].

Marcezel fut jeté dans une rivière près de Milan, par ordre de Stilicon, jaloux.

Les Scots et les Pictes ravagèrent l’Angleterre. Alaric sorti d’Italie y rentra vers la fin de l’an 402. L’histoire confuse de cette époque ne laisse pas voir les causes de ces mouvements divers. Les partis s’accusent mutuellement : tantôt c’est Alaric représenté comme un chef sans foi, se jouant des serments qu’il prête tour à tour aux deux empereurs Arcade et Honorius ; tantôt c’est Stilicon soupçonné de vouloir faire tomber la couronne sur la tête d’Eucher, son fils, et suscitant à dessein les barbares. Mais cette fièvre à redoublements n’était que l’effet de la décomposition du corps social dans sa maladie de mort. L’Italie fut consternée à la seconde irruption d’Alaric. Rome répara les murailles d’Aurélien ; Honorius, prêt à fuir, tremblait dans les marais de Ravenne. Stilicon attaque les Goths à Pollence, sur les confins de la Ligurie, et remporte une victoire chèrement achetée[26]. Les Goths avaient d’abord refusé le combat, à cause de la célébration des fêtes de Pâques (403). La femme et les enfants d’Alaric demeurèrent prisonniers entre les mains de Stilicon, et pour les délivrer Alaric consentit à évacuer ses conquêtes. Dieu avait au milieu de l’Empire Romain deux armées de Goths investies de ses justices : l’une conduite par un Goth chrétien, Alaric, l’autre par un Goth païen, Radagaise, ou Rhodogaise, selon la forme grecque. L’armée de celui-ci était composée de toute la race gothe trans-danubienne et trans-rhénane. Il menait aux batailles deux cent mille soldats.

Radagaise monta à son tour en Italie (405), comme une haute marée remplace celle qui est descendue. Stilicon rassemble des Alains, des Huns et d’autres Goths commandés par Sarus. Les ennemis pénètrent jusqu’à Florence. Saint Ambroise apparaît à un chrétien dont jadis il avait été l’hôte dans cette ville, et lui promet une délivrance subite. Le lendemain Stilicon, par force ou par famine, contraint la multitude barbare à fuir ou à se rendre. Radagaise est pris, chargé de chaînes, et enfin exécuté ; ses compagnons, parqués en troupeaux, sont vendus un écu pièce. Ils moururent presque tous à la fois : ce qu’on avait épargné en les achetant fut dépensé pour creuser leurs fosses.

Un an après la défaite de Radagaise (406), les Alains, les Vandales et les Suèves envahirent les Gaules, toujours, supposait-on, excités par Stilicon, qui renversait les barbares par ses batailles et les relevait par ses intrigues.

Les Bourguignons et les Francs suivirent les Alains, les Vandales et les Suèves dans les Gaules, en 407, et n’en sortirent plus.

Les légions de la Grande-Bretagne élurent cette même année pour empereur Marcus, qu’ils massacrèrent, et ensuite un soldat nommé Constantin. Celui-ci passa dans le continent, battit ce qu’il rencontra, et s’établit à Arles. Il fut reconnu ou toléré par Honorius, qui faisait paisiblement des lois assez bonnes pour des sujets qu’il n’avait plus. Il proscrivit les priscillianistes et les donatistes.

Constant, fils de ce Constantin, empereur d’Arles, d’abord moine, ensuite césar et auguste, se rendit maître de l’Espagne. Il en ouvrit la porte aux barbares, en retirant la garde des Pyrénées aux fidèles et braves paysans chargés de les défendre[27].

Honorius épouse, en 408, Thermancie, seconde fille de Stilicon. Alaric traite avec Stilicon par députés : il obtient la qualité de général des armées d’Honorius, dans l’Illyrie occidentale, Aetius, donné en otage à Alaric, passa trois ans auprès de lui.

Alaric, non encore satisfait, s’avança vers l’Italie, et demanda quatre mille livres pesant d’or, que Stilicon lui fit accorder.

Honorius commençait à se défier de Stilicon, à la fois son oncle et son beau-père, et accusé de songer à la pourpre pour Eucher, son fils, ouvertement attaché au paganisme.

Un camp réuni à Pavie, secrètement travaillé par Olympe, favori d’Honorius, donna le signal de la révolte. Stilicon apprend cette révolte à Bologne, en devine la cause, et se retire à Ravenne. Deux ordres d’Honorius arrivent, l’un pour arrêter, l’autre pour tuer le sauveur de l’empire, déclaré ennemi public : il eut la tête tranchée le 23 août 408 ; c’était Rome qui portait sa tête sur l’échafaud. Héraclien exécuta Stilicon de sa propre main, et fut fait comte d’Afrique : par une vertu d’extraction, le sang d’un grand homme anoblissait son bourreau. Eucher, qui voulait les temples et qui chercha à Rome un abri dans les églises, fut tué ; Thermancie, femme d’Honorius, eut le même sort. Olympe hérita de la faveur dont avait joui Stilicon.

Durant ces troubles de l’Occident, l’Orient avait été gouverné par Arcade, successivement gouverné lui-même par Rufin et par Eutrope ; l’un mauvais favori, qui se croyait haï à cause de sa fortune, et ne l’était que pour sa personne ; l’autre hideux, eunuque, devenu consul, d’esclave d’un palefrenier qu’il avait été, avide publicain qui prenait tout, même des femmes, qui vendait tout par habitude, se souvenant d’avoir été vendu[28]. Vous avez vu la mort de Rufin.

Eutrope, pour défendre sa bassesse, inventa des lois qui restent dans le Code comme un monument de la honte humaine[29]. Ces lois appliquent le crime de lèse-majesté à ceux qui conspirent contre les personnes dévouées à l’empereur ; elles punissent la pensée, et s’appesantissent jusque sur les enfants des coupables de lèse-favoris. Ces lois, qui ne mirent pas même leur auteur à l’abri, firent trembler des esclaves et n’arrêtèrent pas les Goths. Tribigilde, chef d’une colonie d’Ostrogoths établie par Théodose dans la Phrygie, se révolta à l’instigation de Gaïnas, cet autre Goth, meurtrier de Rufin. Tribigilde, opprimé tant qu’il fut ami, fut respecté quand il devint ennemi ; on reconnut qu’il avait été fidèle lorsqu’il cessa de l’être. L’eunuque régnant, accusé de ces désordres, les paya de sa chute. Il avait osé insulter l’impératrice Eudoxie. Saint Chrysostome, qui devait le siège épiscopal de Constantinople à Eutrope, eut le courage de défendre son bienfaiteur ; s’il ne put le sauver du glaive de la loi, il l’arracha du moins aux fureurs populaires ; il le peignit trop vil pour être égorgé, et réclama en sa faveur l’inviolabilité du mépris. Eutrope, tout tremblant, la tête couverte de poussière, s’était réfugié dans l’église à laquelle il avait retiré le droit d’asile. Elle lui ouvrit son sein, dit Chrysostome, elle l’admit au pied de l’autel, elle le cacha des mêmes voiles qui couvraient le lieu sacré : elle ne permit pas qu’on l’arrachât du sanctuaire dont il embrassait les colonnes[30].

Eutrope fut banni dans l’île de Chypre, ramené à Pantique et décapité. Cet homme, qui avait possédé plus de terre qu’on n’en pouvait mesurer, obtint à peine le peu qu’il en fallait pour couvrir son cadavre[31].

Saint Chrysostome sauva la vie à Aurélien et à Saturnin, que Gaïnas accusait d’être les auteurs des troubles de l’Orient. Gaïnas, trompé dans ses projets de vengeance, conspira ouvertement. Les Goths qu’il commandait, et à l’aide desquels il voulait surprendre Constantinople, furent massacrés, et lui-même, après avoir été défait par Fravitas, trouva la mort chez les Huns, de l’autre côté du Danube, dans l’ancienne patrie des Goths.

Eudoxie, proclamée augusta, ordonna d’honorer ses images. Une statue d’argent élevée à cette femme ambitieuse, assez près de l’église de Sainte-Sophie, excita le zèle de saint Chrysostome, et devint la principale cause de l’exil de ce grand prélat. Il sortit de Constantinople le 20 juin 404. Eudoxie succomba le sixième jour d’octobre : une fausse couche termina sa vie, son règne, sa fierté, son animosité et tous ses crimes[32].

Arcade mourut le 1er mai de l’année 408, quelques mois avant la fin tragique de Stilicon ; il laissa un fils unique, Théodose II. Anthemius, préfet d’Orient, fut son tuteur. Les Huns et les Squières envahirent la Thrace.

Pulchérie, soeur aînée de Théodose, devint dès l’âge de quinze ans l’institutrice de son frère. Le palais se changea en monastère. Théodose se levait de grand matin avec ses soeurs pour chanter à deux choeurs les louanges de Dieu. Jamais ce prince ne vengea une injure ; il laissa rarement exécuter un criminel à mort. Il disait : Il est aisé de faire mourir un homme, mais Dieu seul lui peut rendre la vie. Un jour le peuple demandait un athlète pour combattre les bêtes féroces ; Théodose, qui était présent, répondit. Ne savez-vous pas qu’il n’y a rien de cruel et d’inhumain dans les combats où nous avons accoutumé d’assister ?[33]

Ce prince doux avait inventé une lampe perpétuelle, afin que ses domestiques ne fussent pas obligés de se lever la nuit pour la rallumer[34]. Instruit[35], aimant les arts jusqu’à peindre et à modeler de sa propre main, il écrivait si bien, qu’on lui avait donné le surnom de Calligraphe. Du reste, il manquait de grandeur d’âme, avait peu de coeur, n’aimait point la guerre, achetait la paix des barbares, et particulièrement d’Attila. Il mettait son seing au bas de tous les papiers qu’on lui présentait sans les lire, tant il avait aversion des affaires[36]. Il signa de la sorte l’acte de l’esclavage de l’impératrice[37]. Ce fut Pulchérie qui essaya de le corriger par cette innocente leçon. Saint Augustin remarque que cet empereur aurait été un saint dans la solitude[38].

Théodose était livré aux eunuques, qui débauchaient la virilité du prince : Antioque, grand-chambellan du palais, conduisait tout. Théodose se mêla trop des affaires ecclésiastiques ; il favorisa l’hérésie d’Eutychès et appuya les violences de Dioscore.

Je dois vous faire remarquer sous Théodose quelques lois caractéristiques du temps : lois contre les hérésiarques de toutes les sortes : manichéens, pépuzéniens, phrygiens, priscillianistes, ariens, macédoniens, tunoniens, novatiens, sabastiens ; lois pour les professeurs des lettres à Constantinople ; dix professeurs latins pour les humanités, dix grecs, trois latins pour la rhétorique ; cinq grecs appelés sophistes : un pour les secrets de la philosophie ; deux pour le droit : c’était le sénat qui choisissait les professeurs publics : ils subissaient un examen ; lois pour défendre d’enseigner (419) aux barbares la construction des vaisseaux, et qui prononcent la peine de mort contre les délinquants ; lois qui accordent à chacun le droit de fortifier ses terres et ses propriétés[39]. Ce droit est tout le moyen âge.

En 421 Théodose épouse Eudocie, fille d’Héraclide, philosophe d’Athènes, ou de Léonce, sophiste ; elle s’appelait Athénaïde avant d’être baptisée. Athènes, qui n’avait pas fourni un tyran à l’empire romain, lui donnait pour reine une muse : Eudocie était poète ; elle mit en vers cinq livres de Moïse, Josué, les Juges et la touchante églogue de Ruth.

Il ne faut pas confondre Eudocie avec Eudoxie, nom de sa belle-mère et nom aussi de la fille qu’elle eut de Théodose, et qui fut mariée à Valentinien III, l’an 437.

Revenons aux affaires de l’Italie.

Honorius s’étant privé du secours de Stilicon aurait pu donner le commandement des troupes romaines à Sarus le Goth, homme de guerre ; mais il le rejeta parce que Sarus était païen. Alaric proposait la paix à des conditions acceptables ; on les refusa : il vint mettre le siège devant Rome (an 408). Serène, veuve de Stilicon, était dans cette ville ; le sénat la crut d’intelligence avec Alaric, et la fit étouffer, par le conseil de Placidie, soeur d’Honorius.

Alaric ferma le Tibre : la famine et la peste désolèrent les assiégés[40]. Alaric consentit à s’éloigner moyennant une somme immense[41]. On dépouilla les statues des richesses dont elles étaient ornées, entre autres celles du Courage et de la Vertu[42].

Honorius, renfermé dans Ravenne, ne ratifiait point le traité conclu. Le sénat lui députa Attale, intendant des largesses, Cécilien et Maximien : ils n’obtinrent rien de l’empereur, dominé par Olympe.

Alaric se rapprocha de Rome, et battit Valens, qui la venait secourir.

Olympe, disgracié, puis rétabli, puis disgracié encore, eut les oreilles coupées, et on l’assomma. Jove succéda à Olympe ; il avait connu Alaric en Epire ; il était païen et versé dans les lettres grecques et latines. La nécessité des temps avait amené une tolérance momentanée ; une loi d’Honorius, de 409, accorde la liberté de religion aux païens et aux hérétiques.

Alaric assiège de nouveau la ville éternelle ; l’habile et dédaigneux barbare, voulant trancher les difficultés qu’il avait avec l’empereur, change le chef de l’empire ; il oblige les Romains à recevoir pour auguste Attale, devenu préfet de Rome. Attale plaisait aux Goths parce qu’il avait été baptisé par leur évêque.

Attale nomme Alaric général de ses armées. Il va coucher une nuit au palais, et prononce un discours pompeux devant le sénat.

Il marche ensuite contre Honorius, son digne rival. Honorius envoie des députés à Attale, et lui offre la moitié de l’empire d’Occident. Attale propose la vie à Honorius et une île pour lieu d’exil. Jove trahit à la fois Honorius et Attale. Alaric, qui tient Ravenne bloquée, et qui commence à se dégoûter d’Attale, lui soumet néanmoins toutes les villes de l’Italie, Bologne exceptée[43]. Ces scènes étranges se passent en 409.

En Espagne, Géronce se soulève contre Constantin, l’usurpateur qui régnait à Arles, et communique la pourpre à Maxime.

L’Angleterre, que Rome ne défend plus, se met en liberté. Dans les Gaules, les provinces armoricaines se forment en républiques fédératives[44]. Les Alains, les Vandales et les Suèves entrent en Espagne (409, 28 septembre). Les Vandales avaient pour roi Gonderic, et les Suèves Ermeric. Les provinces ibériennes sont tirées au sort : la Galice échoit aux Suèves et aux Vandales de Gonderic ; la Lusitanie et la province de Carthagène sont adjugées aux Alains, la Boétique tombe en partage à d’autres Vandales, dont elle prit le nom de Vandalousie. Quelques peuples de la Galice se maintinrent libres dans les montagnes[45].

En 410, sur des négociations entamées avec Honorius, Alaric dégrade Attale ; il le dépouille publiquement des ornements impériaux à la porte de Rimini[46]. Attale et son fils Ampèle restent sur les chariots de leur maître. Alaric gardait aussi dans ses bagages Placidie, soeur d’Honorius, demi-reine, demi-esclave. Il essaye de conclure la paix avec le frère de cette princesse, auquel il envoie le manteau d’Attale. Honorius hésite ; Alaric reprend son empereur parmi ses valets, remet la pourpre sur le dos d’Attale, et marche à Rome. L’heure fatale sonna le vingt-quatrième jour d’août, l’an 410 de Jésus-Christ.

Rome est forcée ou trahie : les Goths, élevant leurs enseignes au haut du Capitole, annoncent à la terre les changements des races[47].

Après six jours de pillage, les Goths sortent de Rome comme effrayés ; ils s’enfoncent dans l’Italie méridionale ; Alaric meurt : Ataulphe, son beau-frère, lui succède.

Dans les années 411 et 412 il n’y eut plus de consul, comme il n’y avait plus de monde romain : du moins on ne trouve pas leurs fastes dans ces deux années. Il s’éleva pourtant alors un général de race latine. Constance était de Naïsse, patrie de Constantin ; il s’était fait connaître du temps de Théodose ; il avait le titre de comte lorsque Honorius songea à l’employer. Si l’on ne connaissait l’orgueil humain, on ne comprendrait pas qu’Honorius pardonnât moins à un chétif compétiteur qui lui disputait le diadème, qu’aux barbares qui le lui arrachaient : Constance eut ordre d’aller attaquer Constantin, tyran des Gaules.

Géronce, qui avait proclamé Maxime auguste en Espagne, tenait Constantin assiégé dans Arles : il fut abandonné de son armée aussitôt que Constance parut. Maxime tomba avec Géronce, et vécut parmi les barbares dans la misère.

Constantin, délivré de Géronce, se remit lui et son fils Julien entre les mains du général d’Honorius : il s’était fait ordonner prêtre avant de se rendre[48], par Héros, évêque d’Arles ; précaution qui ne le sauva pas : il fut envoyé avec son fils en Italie ; on les décapita à douze lieues de Ravenne.

Edobic ou Edobinc, chef franc et général de Constantin, avait essayé de le secourir. Constance et Ulphilas, capitaine goth qui commandait sa cavalerie, défirent Edobic sur les bords du Rhône. Edobic se réfugia chez Ecdice, seigneur gaulois auquel il avait jadis rendu des services[49]. Ecdice coupa la tête à son hôte, et la porta à Constance[50]. L’empire, dit Constance en recevant le présent, remercie Ulphilas de l’action d’Ecdice[51] ; et Constance chassa de son camp, comme y pouvant attirer la colère du ciel, ce traître à l’amitié et au malheur[52].

Jovin prit la pourpre à Mayence dans l’année 412.

Les Goths, après avoir évacué l’Italie, étaient descendus dans la Provence. Ataulphe s’allie avec Jovin, lequel avait nommé auguste Sébastien son frère : il se brouille bientôt avec eux, et les extermine[53]. Les généraux d’Honorius s’étaient joints aux Goths dans cette expédition.

L’an 413, Héraclien se révolte en Afrique. Il aborde en Italie, et repoussé, s’enfuit à Carthage, et va mourir inconnu dans le temple de Mnémosyne.

Honorius avait une qualité singulière : c’était de n’entendre à aucun arrangement ; il opposait son ignominieuse lâcheté à tout comme une vertu. Lui offrait-on la paix lorsqu’il n’avait aucun moyen de se défendre, il chicanait sur les conditions, les éludait, et finissait par s’y refuser. Sa patience usait l’impatience des barbares ; ils se fatiguaient de le frapper, sans pouvoir l’amener à se reconnaître vaincu. Mais admirez l’illusion de cette grandeur romaine qui imposait encore même après la prise de Rome !

Ataulphe désirait ardemment épouser Placidie, toujours captive ; il la demandait toujours en mariage à son frère, qui la refusait toujours. Pendant ces négociations, cent fois interrompues et renouées, le successeur d’Alaric s’empara de Narbonne et peut-être de Toulouse ; il échoua devant Marseille : il y fut repoussé et blessé par le comte Boniface ; Bordeaux lui ouvrit ses portes.

Les Francs, dans l’année 413, brûlèrent Trêves. Les Burgondes ou Bourguignons[54] s’établirent définitivement dans la partie des Gaules à laquelle ils donnèrent leur nom.

Las du refus d’Honorius, Ataulphe résolut de prendre à femme celle dont il eût pu faire sa concubine par le droit de victoire. Le mariage avait peut-être eu lieu à Forli[55], en Italie ; il fut solemnisé à Narbonne, au mois de janvier l’an 414. Ataulphe était vêtu de l’habit romain, et cédait la première place à la grande épousée : on la voyait assise sur un lit orné de toute la pompe de l’impératrice. Cinquante beaux jeunes hommes, vêtus de robes de soie, eux-mêmes partie de l’offrande, déposèrent aux pieds de Placidie cinquante bassins remplis d’or et cinquante remplis de pierreries[56]. Attale, qui d’empereur était devenu on ne sait quelle chose à la suite des Goths, entonna le premier épithalame[57]. Ainsi un roi goth, venu de la Scythie, épousait Narbonne Placidie, son esclave, fille de Théodose et soeur d’Honorius, et lui donnait en présent de noces les dépouilles de Rome ; à ces noces dansait et chantait un autre Romain, que les barbares faisaient histrion, comme ils l’avaient fait empereur, comme ils le firent ambassadeur auprès d’un aspirant à l’empire, comme il leur plut de lui jeter de nouveau la pourpre.

Finissons-en avec Attale. Après le mariage de Placidie, ce maître du monde, qui n’avait ni terre, ni argent, ni soldats, nomme intendant de son domaine le poète Paulin, petit-fils du poète Ausone[58]. Abandonné par les barbares, Attale, qui avait suivi les Goths en Espagne, s’embarque pour aller on ne sait où : il est pris sur mer et conduit enchaîné à Ravenne. A la nouvelle de cette capture, Constantinople se répandit en actions de grâces[59] et s’épuisa en réjouissances publiques.

Honorius, dans une espèce de triomphe à Rome, en 417, fit marcher devant son char le formidable vaincu, le contraignit ensuite de monter sur le second degré de son trône, afin que Rome, déshonorée par Alaric, pût contempler et admirer l’illustre victoire du grand césar de Ravenne. Le prisonnier eut la main droite coupée, ou tous les doigts, ou seulement un doigt de cette main[60] : on ne craignait pas qu’elle portât l’épée, mais qu’elle signât des ordres ; apparemment qu’il y avait encore quelque chose au-dessous d’Attale pour lui obéir. Il acheva ses jours dans l’île de Lipari, qu’il avait jadis proposée à Honorius ; et comme il était possédé de la fureur de vivre, il est probable qu’il fut heureux. On avait vu un autre Attale, chef d’un autre empire : c’était ce martyr de Lyon à qui on fit faire le tour de l’amphithéâtre, précédé d’un écriteau portant ces mots : Le chrétien Attale.

Honorius avait conclu la paix avec Ataulphe, son beau-frère ; celui-ci s’engageait à évacuer les Gaules et à passer en Espagne. Placidie accoucha d’un fils, qu’on nomma Théodose, et qui vécut peu. Retiré au delà des Pyrénées, Ataulphe est tué d’un coup de poignard par un de ses domestiques, à Barcelone (415). Les six enfants qu’il avait eus d’une première femme sont tués après lui.

Les Visigoths mettent sur le trône Sigeric, frère de Sarus ; Sigeric est massacré le septième jour de son élection. Son successeur fut Vallia : Vallia traite avec Honorius, et lui renvoie Placidie, redevenue esclave, pour une rançon de six cent mille mesures de blé[61].

Constance, général des armées d’Occident, épousa la veuve d’Ataulphe malgré elle : elle lui donna une fille, Justa Grata Honoria, et un fils, Valentinien III.

L’année qui précéda l’éclipse de 418 marque le commencement du règne de Pharamond[62].

En 418, Vallia extermina les Silinges et les Alains en Espagne. Les Goths revinrent dans les Gaules, où Honorius leur céda la seconde Aquitaine, tout le pays depuis Toulouse jusqu’à l’Océan[63].

Le royaume des Visigoths prenait la forme chrétienne sous les évêques ariens[64]. Théodoric porta la couronne après Vallia. Vallia laissa une fille, mariée à un Suève, dont elle eut ce Ricimer[65] qui devait achever la ruine de l’empire d’Occident. Une constitution d’Honorius et de Théodose, adressée l’an 418 à Agricola, préfet des Gaules, lui enjoint d’assembler les états généraux des trois provinces d’Aquitaine et de quatre provinces de la Narbonnaise. Les empereurs décident que, selon un usage déjà ancien, les états se tiendront tous les ans dans la ville d’Arles, des ides d’août aux ides de septembre (du 15 août au 15 septembre). Cette constitution est un très grand fait historique, qui annonce le passage à une nouvelle espèce de liberté.

Constance, père d’Honoria et de Valentinien III, est fait auguste, et meurt.

Honorius oblige sa soeur Placidie, qu’il aimait trop peut-être[66], à se retirer à Constantinople avec sa fille Honoria et son fils Valentinien. Au bout d’un règne de vingt-huit ans, qui n’a d’exemple pour le fracas de la terre que les trente dernières années où j’écris, Honorius expire à Ravenne, douze ans et demi après le sac de Rome, attachant son petit nom à la traîne du grand nom d’Alaric.

Cette époque compte quelques historiens ; elle eut aussi des poètes. Ceux-ci se montrent particulièrement au commencement et à la fin des sociétés : ils viennent avec les images ; il leur faut des tableaux d’innocence ou de malheurs ; ils chantent autour du berceau ou de la tombe, et les villes s’élèvent ou s’écroulent au son de la lyre. Une partie des ouvrages d’Olympiodore, de Frigerid, de Claudien, de Rutilius, de Macrobe sont restés.

Honorius publia (414) une loi par laquelle il était permis à tout individu de tuer des lions en Afrique, chose anciennement prohibée. Il faut, dit le rescrit d’Honorius, que l’intérêt de nos peuples soit préféré à notre plaisir.

 

Deuxième partie : de Théodose II et Valentinien III à Marcien, Avitus, Léon Ier, Majorien, Anthême, Olybre, Glycerius, Nepos, Zénon et Augustule

L’empereur d’Occident, Valentinien III, était à Constantinople avec sa mère Placidie lorsque Honorius décéda. Jean, premier secrétaire, profita de la vacance du trône, et se fit déclarer auguste à Rome. Pour soutenir son usurpation il sollicita l’alliance des Huns. Théodose défendit les droits de son cousin. Ardabunus passa en Italie avec une armée. Jean, abandonné des siens, fut pris : on le promena sur un âne au milieu de la populace d’Aquilée ; on lui avait déjà coupé une main[67] ; on lui trancha bientôt la tête. Ce prince d’un moment décréta la liberté perpétuelle des esclaves[68] : les grandes idées sociales traversent rapidement la tête de quelques hommes, longtemps avant qu’elles puissent devenir des faits : c’est le soleil qui essaye de se lever dans la nuit.

Valentinien avait six ans lorsqu’on le proclama auguste sous la tutelle de sa mère. L’Illyrie occidentale fut abandonnée à l’empire d’Orient. Un édit déclara qu’à l’avenir les lois des deux empires cesseraient d’être communes.

Deux hommes jouissaient à cette époque d’une réputation méritée : Aetius et Boniface ont été surnommés les derniers Romains de l’empire, comme Brutus est appelé le dernier Romain de la république : malheureusement ils n’étaient point, ainsi que Brutus, enflammés de l’amour de la liberté et de la patrie ; cette noble passion n’existait plus. Brutus aspirait au rétablissement de l’ancienne liberté affranchie de la tyrannie domestique : qu’auraient pu rêver Aetius et Boniface ? Le rétablissement du vieux despotisme délivré du joug étranger. Ce résultat ne pouvait avoir pour eux la force d’une vertu publique : aussi combattaient-ils avec des talents personnels pour des intérêts privés nés d’un autre ordre de choses. Il se mêlait à leurs actions un sentiment d’honneur militaire ; mais l’indépendance de leur pays, s’ils l’avaient conquise, n’eût été qu’un accident de leur gloire.

La défaite d’Attila a immortalisé Aetius ; la défense de Marseille contre Ataulphe et la reprise de l’Afrique sur les partisans de l’usurpateur Jean ont fait la renommée de Boniface : il est devenu plus célèbre pour avoir livré l’Afrique aux barbares que pour l’avoir délivrée des Romains. Dans les titres d’illustration de Boniface, on trouve l’amitié de saint Augustin. Placidie devait tout à ce grand capitaine : il lui avait été fidèle au temps de ses malheurs ; Aetius, au contraire, avait favorisé la révolte de Jean et négocié le traité qui faisait passer soixante mille Huns des bords du Danube aux frontières de l’Italie.

Aetius était fils de Gaudence, maître de la cavalerie romaine et comte d’Afrique : élevé dans la garde de l’empereur, on le donna en otage à Alaric vers l’an 403, et ensuite aux Huns, dont il acquit l’amitié. Aetius avait les qualités d’un homme de tête et de coeur ; un trait particulier le distinguait des gens de sa sorte : l’ambition lui manquait, et pourtant il ne pouvait souffrir de rival d’influence et de gloire. Cette jalouse faiblesse le rendit faux envers Boniface, quoiqu’il eût de la droiture : il invita Placidie à retirer à Boniface son gouvernement d’Afrique, et il mandait à Boniface que Placidie le rappelait dans le dessein de le faire mourir[69]. Boniface s’arme pour défendre sa vie, qu’il croit injustement menacée ; Aetius représente cet armement comme une révolte qu’il avait prévue. Poussé à bout, Boniface a recours aux Vandales répandus dans les provinces méridionales de l’Espagne.

Gonderic, roi de ces barbares, venait de mourir ; son frère bâtard Genseric, ou plus correctement Gizerich, avait pris sa place. Sollicité par Boniface, il fait voile avec son armée et aborde en Afrique, au mois de mai 429 : trois siècles après, le ressentiment et la trahison d’un autre capitaine devaient appeler d’Afrique en Espagne des vengeurs d’une autre querelle domestique : les Maures s’embarquèrent ou les Vandales avaient débarqué ; ils traversèrent en sens contraire ce détroit, dont les tempêtes ne purent défendre le double rivage contre les passions des hommes.

Les troubles que produisait en Afrique le schisme des donatistes facilitèrent la conquête de Genseric ; ce prince était arien : tous ceux qu’opprimait l’Eglise orthodoxe regardèrent l’étranger comme un libérateur[70]. Les Vandales, assistés des Maures, furent bientôt devant Hippone, où mourut saint Augustin.

Boniface et Placidie s’étaient expliqués : la fourberie d’Aetius avait été reconnue. Boniface, repentant, essaya de repousser l’ennemi : on répare le mal qu’un autre a fait, rarement le mal qu’on fait soi-même. Boniface, vaincu dans deux combats, est obligé d’abandonner l’Afrique, quoiqu’il eût été secouru par Aspar, général de Théodose[71] : Placidie le reçut généreusement, l’éleva au rang de patrice et de maître général des armées d’Occident. Aetius, qui triomphait dans les Gaules, accourt en Italie avec une multitude de barbares. Les deux généraux, comme deux empereurs, vident leur différend dans une bataille : Boniface remporta la victoire (432), mais Aetius le blessa avec une longue pique qu’il s’était fait tailler exprès[72]. Boniface survécut trois mois à sa blessure ; par une magnanimité que réveillaient en lui les malheurs de la patrie, il conjura sa femme, riche Espagnole, veuve bientôt, de donner sa main à Aetius[73]. Placidie déclare Aetius rebelle, l’assiège dans les forteresses, où il essaye de se défendre, et le force de se réfugier auprès de ces Huns qu’il devait battre aux champs catalauniques.

Après avoir négocié un traité de paix avec Valentinien III, pour se donner le temps d’exterminer ses ennemis domestiques, Genseric s’approcha de Carthage, surnommée la Rome africaine ; il y entra le 9 octobre 439. Cinq cent quatre-vingt-cinq ans s’étaient écoulés depuis que Scipion le jeune avait renversé la Carthage d’Annibal.

L’année de la prise de la Carthage romaine par un Vandale fut celle du voyage d’Eudocie, l’Athénienne, femme de Théodose II, à Jérusalem. Assise sur un trône d’or, elle prononça, en présence du peuple et du sénat, un panégyrique des Antiochiens[74], dans la ville dont Julien avait fait la satire. De Jérusalem, elle envoya à Pulchérie, sa belle-soeur, le portrait de la Vierge, fait, disait-on, de la main de saint Luc[75]. La tradition de cette image arriva, par la succession des peintres, jusqu’au pinceau de Raphaël : la religion, la paix et les arts marchent inaperçus à travers les siècles, les révolutions, la guerre et la barbarie. Eudocie, soupçonnée d’un attachement trop vif pour Paulin, retourna à Jérusalem, où elle mourut. Une pomme que Théodose avait envoyée à Eudocie, et qu’Eudocie donna à Paulin, découvrit un mystère dont l’ambition de Pulchérie profita[76].

Maintenant que je vous ai retracé l’invasion des Goths et des divers peuples du Nord, il me reste à vous parler de celle des Huns, qui engloutit un moment toutes les autres.

Lorsque les Huns passèrent les Palus-Méotides, ils avaient pour chef Balamir ou Balamber ; on trouve ensuite Uldin et Caraton[77]. Les ancêtres d’Attila avaient régné sur les Huns, ou, si l’on veut, ils les avaient commandés. Munduique ou Mundzucque, son père, avait pour frères Octar et Rouas, ou Roas, ou Rugula, ou Rugilas, et il était puissant. Les Huns multiplièrent leurs camps entre le Tanaïs et le Danube[78] : ils possédaient la Pannonie et une partie de la Dacie lorsque Rouas mourut[79] ; il eut pour successeurs ses deux neveux, Attila et Bléda, qui pénétrèrent dans l’Illyrie. Attila tua Bléda, et resta maître de la monarchie des Huns[80]. Il attaqua les Perses en Asie, et rendit tributaire le nord de l’Europe ; la Scythie et la Germanie reconnaissaient son autorité ; son empire touchait au territoire des Francs et s’approchait de celui des Scandinaves ; les Ostrogoths et les Gépides étaient ses sujets ; une foule de rois et sept cent mille guerriers marchaient sous ses ordres[81].

On veut aujourd’hui, sur l’autorité des Nibelungen, poème allemand de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe, que le nom original d’Attila ait été Etzel : je n’en crois rien du tout. Dans tous les cas il n’est guère probable que le nom d’Etzel fasse oublier celui d’Attila.

Vainqueur du monde barbare, Attila tourna ses regards vers le monde civilisé. Genseric, craignant que Théodose II n’aidât Valentinien III à recouvrer l’Afrique, excita les Huns à envahir de préférence l’empire d’Orient[82]. Vous remarquerez combien les barbares étaient rusés, astucieux, amateurs des traités, combien les intérêts des diverses cours leur étaient connus, avec quel art ils négociaient en Europe, en Afrique, en Asie, au milieu des événements les plus divers et les plus compliqués. Une querelle pour une foire au bord du Danube fut le prétexte de la guerre entre Attila[83] et Théodose (407 ou 408).

Le débordement des Huns couvrit l’Europe dans toute sa largeur, depuis le Pont-Euxin jusqu’au golfe Adriatique. Trois batailles perdues par les Romains amenèrent Attila aux portes de Constantinople. Une paix ignominieuse termina ces premiers ravages. Attila en se retirant emporta un lambeau de l’empire d’Orient : Théodose lui donna six mille livres d’or, et s’engagea à lui payer un tribut annuel du sixième ou des deux sixièmes de cette somme[84].

A la suite de ces événements le roi des Huns avait envoyé à Constantinople (449) une députation dont faisait partie Oreste, son secrétaire, qui fut père d’Augustule, dernier empereur romain. Ces guerres prodigieuses, ces changements étranges de destinée, nous étonnaient plus il y a un demi-siècle qu’ils ne nous frappent aujourd’hui : accoutumés au spectacle de petits combats renfermés dans l’espace de quelques lieues et qui ne changeaient point les empires, nous étions encore habitués à la stabilité héréditaire des familles royales. Maintenant que nous avons vu de grandes et subites invasions ; que le Tartare, voisin de la muraille de la Chine, a campé dans la cour du Louvre, et est retourné à sa muraille ; que le soldat français a bivouaqué sur les remparts du Kremlin ou à l’ombre des pyramides ; maintenant que nous avons vu des rois de vieille ou de nouvelle race mettre le soir dans leurs porte-manteaux leurs sceptres vermoulus ou coupés le matin sur l’arbre, ces jeux de la fortune nous sont devenus familiers : il n’est ni monarque si bien apparenté qui ne puisse perdre dans quelques heures le bandeau royal du trésor de Saint-Denis ; il n’est si mince clerc ou gardeur de cavales qui ne puisse trouver une couronne dans la poussière de son étude ou dans la paille de sa grange.

L’eunuque Chrysaphe, favori de Théodose, essaya de séduire Edécon, un des négociateurs d’Attila, et crut l’avoir engagé à poignarder son maître. Edécon de retour au camp des Huns révéla le complot.

Attila renvoya Oreste à Constantinople avec des preuves et des reproches, demandant pour satisfaction la tête du coupable. Les patrices Anatole et Nomus furent chargés d’apaiser Attila avec des présents[85] ; Priscus les accompagnait ; il nous a laissé le récit de sa mission et de son voyage. Ce même Priscus avait vu Mérovée, roi des Francs, à Rome[86].

Sur ces entrefaites Théodose mourut à Constantinople, l’an 450, d’une chute de cheval[87] ; il était âgé de cinquante ans. Le code qui porte son nom a fait la seule renommée de ce prince ; monument composé des débris de la législation antique, semblable à ces colonnes qu’on élève avec l’airain abandonné sur un champ de bataille ; monument de vie pour les barbares, de mort pour les Romains et placé sur la limite de deux mondes.

Les historiens ecclésiastiques sont de cette époque ; les rappeler, c’est reconnaître la position de l’esprit humain : Sozomène, Socrate, Théodoret, Philostorge, Théodore, auteur de l’ Histoire Tripartite, Philippe de Side, Priscus et Jean l’orateur.

Pulchérie, depuis longtemps proclamée augusta, plaça la couronne de son frère Théodose sur la tête de Marcien : pour mieux assurer les droits de ce citoyen obscur, moitié homme d’épée, moitié homme de plume, elle l’épousa et demeura vierge (451)[88]. Cette élection ne fut contestée ni du sénat, ni de la cour, ni de l’armée ; prodigieux changement dans les moeurs. Ici commence un esprit inconnu à l’antiquité, et qui fait pressentir ce moyen âge où tout était aventures : des femmes disposaient des empires ; Placidie, soeur d’Honorius et captive d’un Goth, passe dans le lit de ce Goth, qui aspire à la pourpre ; Pulchérie, soeur de Théodose II, porte l’Orient à Marcien ; Honoria, soeur de Valentinien III, veut donner l’Occident à Attila ; Eudoxie, fille de Théodose II et veuve de Valentinien III, appelle Genseric à Rome ; Eudoxie, fille de Valentinien III, épouse Hunneric, fils de Genseric. C’est par les femmes que le monde ancien s’unit au monde nouveau : dans ce mariage, dont nous sommes nés, les deux sociétés se partagèrent les sexes : la vieille prit la quenouille, et la jeune l’épée.

Marcien était digne du choix de Pulchérie ; il possédait ce mérite qu’on ne retrouve que dans les classes inférieures au temps de la décadence des nations. Il a été loué par saint Léon le Grand[89] : on dit qu’il avait le coeur au-dessus de l’argent et de la crainte. Il apaisa les troubles de l’Eglise par le concile de Chalcédoine ; il répondit à Attila qui lui demandait le tribut : J’ai de l’or pour mes amis, du fer pour mes ennemis[90]. Lorsque Aspar, général de Théodose, attaqua l’Afrique, Marcien l’accompagnait en qualité de secrétaire ; Aspar fut défait par les Vandales, et Marcien se trouva au nombre des prisonniers de Genseric : attendant son sort, il se coucha à terre et s’endormit dans la cour du roi. La chaleur était brûlante ; un aigle survint, se plaça entre le visage de Marcien et le soleil, et lui fit ombre de ses ailes. Genseric l’aperçut, s’émerveilla, et, s’il en faut croire cette ingénieuse fable, il rendit la liberté au prisonnier, dont il préjugea la grandeur[91]. La fière réponse de Marcien à Attila blessa l’orgueil de ce conquérant : le Tartare hésitait entre deux proies ; du fond de sa ville de bois, dans les herbages de la Pannonie, il ne savait lequel de ses deux bras il devait étendre pour saisir l’empire d’Orient ou l’empire d’Occident, et s’il arracherait Rome ou Constantinople de la terre.

Il se décida pour l’Occident, et prit son chemin par les Gaules. Aetius était rentré en grâce auprès de Placidie : on a vu qu’il avait été l’hôte et le suppliant des Huns.

Le royaume des Visigoths, dans les provinces méridionales des Gaules, s’était fixé sous le sceptre de Théodoric, que quelques-uns ont cru fils d’Alaric. Clodion, le premier de nos rois, avait étendu ses conquêtes jusqu’à la Somme ; Aetius le surprit et le repoussa[92] ; mais Clodion finit par garder ses avantages. Clodion mort, ses deux fils se disputèrent son patrimoine ; l’un d’eux, peut-être Mérovée, qui tout jeune encore était allé en ambassade à Rome[93], implora le secours de Valentinien, et son frère aîné rechercha la protection d’Attila[94].

Honoria, soeur de Valentinien, rigoureusement traitée à la cour de son frère, avait été aimée d’Eugène, jeune Romain attaché à son service[95]. Des signes de grossesse se manifestèrent ; l’impératrice Placidie fit partir Honoria pour Constantinople. Au milieu des soeurs de Théodose et de leurs pieuses compagnes, Honoria, qui avait senti les passions, ne put goûter les vertus : de même que Placidie, sa mère, était devenue l’épouse d’un compagnon d’Alaric, elle résolut de se jeter dans les bras d’un barbare : elle envoya secrètement un de ses eunuques porter son anneau au roi des Huns : Attila était horrible, mais il était le maître du monde et le fléau de Dieu[96].

Armé de l’anneau d’Honoria, le chef des Huns réclamait la dot de sa haute fiancée, c’est-à-dire une portion des Etats romains : on lui répondit que les filles n’héritaient pas de l’empire. Attila se prétendait encore attiré par des intérêts que mettait en mouvement une autre femme. Théodoric avait marié sa fille unique à Hunneric, fils de Genseric : sur un soupçon d’empoisonnement, Genseric la renvoya à son père, après lui avoir fait couper le nez et les oreilles. Les Visigoths menaçaient les Vandales de leur vengeance, et Genseric appelait Attila son allié pour retenir Théodoric son ennemi[97].

Trois causes ou trois prétextes amenaient donc Attila en Gaule : la réclamation de la dot d’Honoria, l’intervention réclamée dans les affaires du royaume des Francs, la guerre contre les Visigoths, en vertu d’une alliance existant entre les Huns et les Vandales. Arbitre des nations, défenseur d’une princesse opprimée, le ravageur du monde, devancier de la chevalerie, se prépara à passer le Rhin au nom de l’amour, de la justice et de l’humanité.

Des forêts entières furent abattues ; le fleuve qui sépare les Gaules de la Germanie se couvrit de barques[98] chargées d’innombrables soldats, comme ces autres barques qui transportent aujourd’hui, le long du Pénée, les abeilles nomades des bergers de la Thessalie[99]. Saint Agnan, évêque d’Orléans, saint Loup, évêque de Troyes, sainte Geneviève, gardeuse de moutons à Nanterre, s’efforcèrent de conjurer la tempête : vous verrez l’effet et le caractère de leur intervention quand je vous parlerai des moeurs des chrétiens.

Aetius n’avait rien négligé pour combattre ses anciens amis : les Visigoths s’étaient, non sans hésitation, joints à ses troupes ; beaucoup de négociations avaient eu lieu entre Théodoric, Attila et Valentinien[100]. Aetius marcha au devant des Huns, et les rencontra occupés et retardés devant Orléans, dont la destinée était de sauver la France ; Attila se retira dans les plaines catalauniques, appelées aussi mauritiennes, longues de cent lieues, dit Jornandès, et larges de soixante-dix[101] : il y fut suivi par Aetius et Théodoric.

Les deux armées se mirent en bataille. Une colline qui s’élevait insensiblement bordait la plaine ; les Huns et leurs alliés en occupaient la droite ; les Romains et leurs alliés la gauche. Là se trouvait rassemblée une partie considérable du genre humain[102], comme si Dieu avait voulu faire la revue des ministres de ses vengeances au moment où ils achevaient de remplir leur mission : il leur allait partager la conquête et désigner les fondateurs des nouveaux royaumes. Ces peuples, mandés de tous les coins de la terre, s’étaient rangés sous les deux bannières du monde à venir et du monde passé, d’Attila et d’Aetius. Avec les Romains marchaient les Visigoths, les Loeti, les Armoricains, les Gaulois, les Bréonnes, les Saxons, les Bourguignons, les Sarmates, les Alains, les Allamans, les Ripuaires et les Francs soumis à Mérovée ; avec les Huns se trouvaient d’autres Francs et d’autres Bourguignons, les Rugiens, les Erules, les Thuringiens, les Ostrogoths et les Gépides. Attila harangua ses soldats :

Méprisez ce ramas d’ennemis désunis de moeurs et de langage, associés par la peur. Précipitez-vous sur les Alains et les Goths, qui font toute la force des Romains : le corps ne se peut tenir debout quand les os en sont arrachés. Courage ! que la fureur accoutumée s’allume ! Le glaive ne peut rien contre les braves avant l’ordre du destin. Cette foule épouvantée ne pourra regarder les Huns en face. Si l’événement ne me trompe, voici le champ qui nous fut promis par tant de victoires. Je lance le premier trait à l’ennemi : quiconque oserait devancer Attila au combat est mort[103].

Cette bataille (453) fut effroyable, sans miséricorde, sans quartier. Celui qui pendant sa vie, dit l’historien des Goths, fut assez heureux pour contempler de pareilles choses et qui manqua de les voir, se priva d’un spectacle miraculeux[104]. Les vieillards du temps de l’enfance de Jornandès se souvenaient encore qu’un petit ruisseau, coulant à travers ces champs héroïques, grossit tout à coup non par les pluies, mais par le sang, et devint un torrent. Les blessés se traînaient à ce ruisseau pour y étancher leur soif, et buvaient le sang dont ils l’avaient formé[105]. Cent soixante-deux mille morts couvrirent la plaine ; Théodoric fut tué, mais Attila vaincu. Retranché derrière ses chariots pendant la nuit, il chantait en choquant ses armes ; lion rugissant et menaçant à l’entrée de la caverne où l’avaient acculé les chasseurs[106].

L’armée triomphante se divisa, soit par l’impatience ordinaire des barbares, soit par la politique d’Aetius, qui craignit qu’Attila passé ne laissât les Visigoths trop puissants. Comme je marque à présent tout ce qui finit, la victoire catalaunienne est la dernière grande victoire obtenue au nom des anciens maîtres du monde. Rome, qui s’était étendue peu à peu jusqu’aux extrémités de la terre, rentrait peu à peu dans ses premières limites ; elle allait bientôt perdre l’empire et la vie dans ces mêmes vallées des Sabins où sa vie et son empire avaient commencé ; il ne devait rester de ce géant qu’une tête énorme, séparée d’un corps immense.

Attila s’attendait à être attaqué ; il ne s’aperçut de la retraite des vainqueurs qu’au long silence des campagnes[107] abandonnées aux cent soixante-deux mille muets de la mort. Echappé contre toute attente à la destruction et rendu à sa destinée, il repasse le Rhin. Plus puissant que jamais, il entre l’année suivante en Italie, saccage Aquilée et s’empare de Milan. Valentinien quitte sa cache de Ravenne pour se recacher dans Rome, avec l’intention d’en sortir à l’approche du péril : la peur le faisait fuir, la lâcheté le retint ; également indigne de l’empire en l’abandonnant ou en le vendant. Deux consuls, Avienus et Trigesius, et le pape saint Léon, viennent traiter avec Attila. Le Tartare consent à se retirer, sur la promesse de ce qu’il appelait toujours la dot d’Honoria : une raison plus intérieure le toucha ; il fut arrêté par une main qui se montrait partout alors, au défaut de celles des hommes : cela sera dit en son lieu.

Attila se jette une seconde fois sur les Gaules, d’où Thorismond, successeur de Théodoric, le repousse. Le Hun rentre encore dans sa ville de bois, méditant de nouveaux ravages : il y disparaît. Le héros de la barbarie meurt, comme le héros de la civilisation, dans l’enivrement de la gloire et les débauches d’un festin ; il s’endormit une nuit sur le sein d’une femme, et ne revit plus le soleil ; une hémorragie l’emporta : le conquérant creva du trop de sang qu’il avait bu et des voluptés dont il se gorgeait. Le monde romain se crut délivré ; il ne l’était pas de ses vices ; châtié, il n’était pas averti.

L’invasion d’Attila en Italie donna naissance à Venise. Les habitants de la Vénétie se renfermèrent dans les îlots voisins du continent. Leurs murailles étaient des claies d’osier ; ils vivaient de poisson ; ils n’avaient pour richesse que leurs gondoles et du sel, qu’ils vendaient le long des côtes. Cassiodore les compare à des oiseaux aquatiques qui font leur nid au milieu des eaux[108]. Voilà cette opulente, cette mystérieuse, cette voluptueuse Venise, de qui les palais rentrent aujourd’hui dans le limon dont ils sont sortis.

La Grande-Bretagne, malgré ses larmes et ses prières, avait été abandonnée des Romains.

Quand l’épée d’Attila fut brisée, Valentinien, tirant pour la première fois la sienne, l’enfonça dans le coeur du dernier Romain : jaloux d’Aetius, il tua celui qui avait retardé si longtemps la chute de l’empire[109]. Valentinien viole la femme de Maxime, riche sénateur de la famille Anicienne[110] ; Maxime conspire ; Valentinien, dernier prince de la famille de Théodose, est assassiné en plein jour par deux barbares, Transtila et Optila, attachés à la mémoire d’Aetius[111]. Maxime est élu à la place de Valentinien ; son règne fut de peu de jours, et il le trouva trop long. Fortuné Damoclès ! s’écriait-il, regrettant l’obscurité de sa vie, ton règne commença et finit dans un même repas[112].

Maxime, devenu veuf, avait épousé de force Eudoxie, veuve de Valentinien et fille de Théodose II. Eudoxie cherche un vengeur, et n’en voit point de plus terrible que Genseric. Les Vandales étaient devenus des pirates habiles et audacieux ; ils avaient dévasté la Sicile, pillé Palerme, ravagé les côtes de la Lucanie et de la Grèce. Genseric appelé par Eudoxie[113], ne refuse point la proie ; ses vaisseaux jettent l’ancre à Ostie. Maxime se veut échapper ; il est arrêté par le peuple, qui le déchire. Saint Léon essaye de sauver une seconde fois son troupeau, et n’obtient point de Genseric ce qu’il avait obtenu d’Attila : la ville éternelle est livrée au pillage pendant quatorze jours et quatorze nuits. Les barbares se rembarquent ; la flotte de Genseric apporte à Carthage les richesses de Rome, comme la flotte de Scipion avait apporté à Rome les richesses de Carthage. Le chantre de Didon semblait avoir prédit Genseric dans Annibal. Parmi le butin se trouvèrent les ornements enlevés au temple de Jérusalem : quel mélange de ruines et de souvenirs ! Tous les vaisseaux arrivèrent heureusement, excepté celui qui était chargé des statues des dieux[114]. Ces nouvelles calamités n’étonnèrent pas : Alaric avait tué Rome ; Genseric ne fit que dépouiller le cadavre.

Avitus, d’une famille puissante de l’Auvergne, beau-père de Sidoine Apollinaire et maître général des forces romaines dans les Gaules, remplaça Maxime. Il reçut la pourpre des mains de Théodoric II, roi des Visigoths, régnant à Toulouse. Ce Théodoric était frère de Thorismond, fils de Théodoric Ier, tué aux champs catalauniques. Il soumit le reste des Suèves en Espagne ; mais tandis qu’il avait l’air de combattre pour la gloire de l’empereur, son ouvrage, Avitus était déjà tombé : il fut dégradé par le sénat de Rome, qui semblait puiser ce pouvoir d’avilir dans sa propre dégradation. Ricimer ou Richimer, fils d’un Suève et de la fille du roi goth Vallia, comme je vous l’ai déjà dit, fut le principal auteur de cette chute. Ce chef des troupes barbares à la solde des Romains en Italie donna une double marque de sa puissance en nommant l’empereur déposé (16 octobre 456) évêque de Plaisance[115] : la tonsure allait devenir la couronne des rois sans couronne. On ne sait trop comment finit Avitus : privé de l’empire, il le fut aussi de la vie, dit pourtant un historien[116].

Ricimer passa la pourpre à Majorien, ancien compagnon d’Aetius. Majorien était un de ces hommes que le ciel montre un moment à la terre dans l’abâtardissement des races : étrangers au monde où ils viennent, ils ne s’y arrêtent que le temps nécessaire pour empêcher la prescription contre la vertu[117]. Majorien ranima la gloire romaine en attaquant les Francs et les Vandales avec les vieilles bandes sans chef d’Attila et d’Alaric. On a de lui plusieurs belles lois. Ricimer ne l’avait placé sur le trône que parce qu’il le croyait sans génie ; quand il s’aperçut de sa méprise, il fit naître une sédition, et Majorien abdiqua. On croit qu’il fut empoisonné[118] (7 août 461). Le faiseur et le défaiseur de rois (à cette époque de révolutions, cela ne supposait ni talents supérieurs ni grands périls) remit le diadème à Libius Sévère : il prit garde cette fois que le prince ne fût pas un homme, et il y réussit. On ne connaît guère que le titre impérial de ce Libius Sévère : l’excès de l’obscurité pour les rois a le même résultat que l’excès de la gloire ; il ne laisse vivre qu’un nom.

Deux hommes, fidèles à la mémoire de Majorien, refusèrent de reconnaître la créature de Ricimer ; Marcellin, sous le titre de patrice de l’Occident, resta libre dans la Dalmatie ; Aegidius, maître général de la Gaule, conserva une puissance indépendante ; ce fut lui que les Bretons implorèrent et que les Francs nommèrent un moment leur chef, quand ils chassèrent Childeric.

L’Italie continua d’être livrée aux courses des Vandales ; chaque année, au printemps, le vieux Genseric y rapportait la flamme. Par un renversement de l’ordre du destin, dit Sidoine, la brûlante Afrique versait sur Rome les fureurs du Caucase[119].

Léon Ier, surnommé le Grand ou le Boucher, ou plus souvent Léon de Thrace, avait été élu empereur d’Orient après la mort de Marcien, arrivée vers la fin de janvier l’an 457. Constantinople, échappée aux barbares, obtenait sur Rome la prééminence, non la supériorité, que donne le bonheur sur l’infortune. L’empire d’Occident, sur son lit de mort, ressemblait à un guerrier ou à un roi dont on pille la tente ou le palais tandis qu’il expire, ne lui laissant pas un linceul pour l’ensevelir. Léon, qui voyait donner des maîtres à Rome, lui accorda Anthême (468) en qualité d’empereur, sur la demande du sénat. Ricimer empoisonna Libius Sévère, et épousa la fille d’Anthême. Il y eut de grandes réjouissances ; tout parut consolidé dans une ruine.

Vous avez vu qu’Anthême pensait à rétablir le culte des idoles[120]. Les deux empires, et surtout celui d’Orient, préparèrent un puissant armement contre les Vandales. Le commandement en fut donné à Basilisque, qui laissa brûler sa flotte devant Carthage, réduit à la nécessité de passer pour un traître, afin de conserver la réputation d’un grand général. Sauvé de ce danger, Genseric reprit ses courses, et s’empara de la Sicile.

Théodoric II avait rompu ses traités avec Rome à la mort de l’empereur Majorien ; il réunit Narbonne à son royaume. Euric, son frère qui l’assassina, acheva la conquête des Espagnes sur les Romains et sur les Suèves : ceux-ci reconnurent son autorité, en restant en possession de la Galice. Dans les Gaules, Euric ne fut pas moins heureux : il étendit sa domination, d’un côté depuis les Pyrénées jusqu’au Rhône, de l’autre jusqu’à la Loire. En ce temps les Bourguignons étaient alliés de Rome et se déchiraient entre eux ; il en était ainsi des Francs et des Saxons.

Cependant Ricimer se brouille avec Anthême, son beau-père, et se détermine à changer encore le maître titulaire de l’Occident. Il appelle à la pourpre Olybre, qui avait épousé Placidie, fille de Valentinien III. Il en résulte une guerre civile. Rome est saccagée une troisième fois dit le pape Gélase, et les misérables restes de l’empire sont foulés aux pieds. Anthême est tué (11 juillet 472), Olybre meurt, et Ricimer le précède dans la tombe où il avait précipité cinq empereurs, tous faits de sa main[121].

Gondivar ou Gondibalde, neveu de Ricimer, et élevé à la dignité de patrice par Olybre, pousse Glicerius à s’emparer du pouvoir. Gondibalde est peut-être le célèbre roi des Bourguignons. A Constantinople, on proclama Julius Nepos empereur d’Occident. Il surprit son compétiteur Glycerius, le fit raser et ordonner évêque de Salone[122]. Julius Nepos céda l’Auvergne à Euric, roi des Visigoths, croyant qu’on pouvait sacrifier ses amis à ses ennemis. Les troupes que Nepos tenait à sa solde se révoltent ; il fait, traînant dans sa retraite en Dalmatie un titre que lui seul reconnaissait : il retrouva à Salone son rival impérial, qu’il avait fait évêque[123]. Nepos ne valait pas la peine d’un coup de poignard, et fut assassiné pourtant[124]. Les Ostrogoths pendant l’apparition de Glycerius s’étaient montrés en Italie, Les autres barbares, qui opprimaient plus qu’ils ne défendaient ce malheureux pays, avaient alors pour chef Oreste, ce secrétaire d’Attila dont je vous ai déjà parlé. A la mort du roi des Huns, il passa au service des empereurs d’Occident, sous lesquels il devint patrice et maître général des armées ; il avait eu un fils d’une mère inconnue, ou peut-être de la fille de ce comte Romulus que Valentinien envoya en ambassade auprès d’Attila. Ce fils est Romulus Auguste, surnommé Augustule : humiliez-vous, et reconnaissez le néant des empires !

Oreste refusa la pourpre que lui offraient ses soldats, et en laissa couvrir son fils[125]. Les Scyres, les Alains, les Rugiens, les Hérules, les Turcilinges, qui composaient ces défenseurs redoutables des misérables Romains, enflammés par l’exemple de leurs compatriotes établis en Afrique, dans les Espagnes et dans les Gaules, sommèrent Oreste de leur abandonner le tiers des propriétés de l’Italie ; il leur crut pouvoir résister. Odoacre (peut-être fils d’Edécon, ancien collègue d’Oreste dans sa mission à Constantinople), Odoacre, après diverses aventures, se trouvait investi d’une charge éminente dans les gardes de l’Italie ; il se met à la tête des séditieux, assiège Oreste dans Pavie, emporte la place, le prend et le tue[126]. Le 23 août de l’an 476, Odoacre, arien de religion, est proclamé roi d’Italie. L’empire romain avait duré cinq cent sept ans moins quelques jours, depuis la bataille d’Actium ; on comptait douze cent vingt-neuf ans de la fondation de Rome.

Quand Augustule, dernier successeur d’Auguste ; quitta les marques de la puissance, Simplicius, quarante-septième pontife depuis saint Pierre, occupait la chaire de l’apôtre dont l’empire avait commencé sous l’héritier immédiat d’Auguste ; les successeurs de Simplicius, après treize cent cinquante-quatre ans, règnent encore dans les palais des césars.

Odoacre établit son siège à Ravenne. Le sénat romain renonça au droit d’élire son maître ; satisfait d’être esclave à merci, il déclara que le Capitole abdiquait la domination du monde, et renvoya, par une ambassade solennelle, les enseignes à Zénon, qui gouvernait l’Orient. Zénon[127] reçut à Constantinople les ambassadeurs avec un front sévère ; il reprocha au sénat le meurtre d’Anthême et le bannissement de Nepos : Nepos vit encore, dit-il aux ambassadeurs ; il sera, jusqu’à sa mort, votre vrai maître. Ce brevet de tyran honoraire, délivré par Zénon à Nepos, est le dernier titre de la légitimité des césars.

Augustule, trouvé à Ravenne par Odoacre, fut dégradé de la pourpre[128]. L’histoire ne dit rien de lui, sinon qu’il était beau[129]. Le premier roi d’Italie accorda au dernier empereur de Rome une pension de 6 000 pièces d’or ; il le fit conduire à l’ancienne villa de Lucullus[130], située sur le promontoire de Mycènes, et convertie en forteresse depuis les guerres des Vandales ; elle avait d’abord appartenu à Marius ; Lucullus l’acheta[131].

Ainsi la Providence assignait pour prison au fils du secrétaire d’Attila, à un prince de race gothique, revêtu de la pourpre romaine par les derniers barbares qui renversaient l’empire d’Occident, la Providence assignait, dis-je, pour prison à ce prince une maison où fut portée la dépouille des Cimbres, premiers barbares du Septentrion qui menacèrent le Capitole. C’est là qu’Augustule passa sa jeunesse et sa vie inconnues, sans se douter de tout ce qui s’attachait à son nom, indifférent aux leçons que donnait sa présence, étranger aux souvenirs que rappelaient les lieux de son exil.

Ajoutons ceci, attentif que nous sommes à l’immutabilité des conseils éternels et à la vicissitude des choses humaines : les reliques de saint Séverin succédèrent à la personne d’Augustule dans la demeure que Marius décora de ses proscriptions et de ses trophées, Lucullus de ses fêtes et de ses banquets : elle se changea en une église[132]. Odoacre, n’étant encore qu’un obscur soldat, avait visité saint Séverin dans la Norique. Le solitaire à l’aspect de ce barbare d’une haute taille, qui se courbait pour passer sous la porte de la cellule, lui dit : Va en Italie ; tu es maintenant couvert de viles peaux de bêtes ; un temps viendra que tu distribueras des largesses[133].

Enfin, le Dieu qui d’une main abaissait l’empire romain élevait de l’autre l’empire français. Augustule déposait le diadème l’an 476 de Jésus-Christ, et l’an 481 Clovis, couronné de sa longue chevelure, régnait sur ses compagnons.

 

 

 



[1] Philostorgius, Hist. ecclés., lib. XI, cap. III ; Procope, De Bell. Persic., lib. I, cap. II.

[2] Procope, De Bell. Vandal., lib. I, cap. II ; Phot., cap. LXXX.

[3] In Rufin ; Suidas, p. 690 ; Zosime, lib. V ; Orose, p. 221 ; Hier., epist. III ; Symmaque, lib. VI, epist. XV.

[4] Orose, lib. VII, cap. XXXVIII.

[5] Hier., ep. XXI.

[6] Hier., ep. III, XXX, XX, p. 783.

[7] Claude, De Sext. Hon. consul., p. 117 ; Claude, De Bell. Get., p. 170 ; Symmaque, lib. II ; Jornandès, cap. XIV, XXIX.

[8] Zosime, p. 782.

[9] Claude, in Rufin, p. 22.

[10] Zosime, p. 785 ; Philostorgius, lib. II, cap. III.

[11] Data a Gaine tessera simul universi Rufinum circumdatum gladiis feriunt. Et hic quidem ei dexteram adimebat, ille manum alteram procidebat. Alius a cervice revulso capite recedebat consuetos victoriae Poanas accinens... et manum ejus ubique per urbem circumgestarent et ab occurrentibus peterent insatiabili pecuniam darent. (Zosime, Hist., lib. V, p. 89.)

Rufinus quidem etiam imperatorium nomen ad se ipsum trahere omni arte studebat... Milites, in loco qui Tribunal dicitur, ad ipsos imperatoris pedes gladiis contrucidarunt... Eo ipso die que ii qui militum delectum agebant, purpuram ipsi circumdaturi erant. (Philostorgius, Hist. ecclés., lib. IX, p. 528.)

[12] Porro milites cum Rufino caput amputassent, lapidem ori ejus immiserunt, hastaeque infixum circumferentes quaqua versum discurrere coeperunt. Dextram quoque ejusdem praecisam gestantes, per singulas officinas urbis circumtulerunt, haec addentes : Date stipem insatiabili. Magnamque auri vim hujusmodi postulatione collegerunt. (Philostorgius, Hist. ecclés., lib. IX, p. 528.)

[13] Eunape, cap. VI, p. 93, in Vita Philosoph.

[14] Zosime, p. 783.

[15] Athenae vero quondam civitas fuit, sapientum domicilium, nunc eam mellatores celebrant ; quibus pars illud sapientum plutarcheorum adjice, qui non orationum suarum fama juvenes in theatris congregant, sed mellis ex Hymeto amphoris. (Synes., epist. CXXXV, Ad fratrem, p. 272.)

[16] Zosime, p. 784.

[17] Nihil enim jam Athenae splendidum habent, praeter celeberrima locorum nomina. Ac velut ex hostia consumpta sola pellis superest animalis, quod olim aliquando fuerat indicium. (Synes., Ad fratrem, ep. CXXXV, p. 272.)

[18] Zosime, p. 784.

[19] Eunape, cap. VI, p. 93-94.

[20] Zosime, p. 784.

[21] Claude, De Bell. Get.

[22] Telemachus, monasticae vitae deditus. Hic ab Orientis partibus profectus, ejusque rei causa Romam ingressus... Ipse quoque in amphitheatrum venit. Et in arenam descendens, gladiatores qui inter se pugnabant compescere conabatur. Sed cruentae caedis spectatores eum aegre ferentes, et daemonis qui eo sanguine oblectabatur furorem animis suis concipientes, pacis autorem lapidibus obruerunt. (Theod., Episcop. ; Cyri., Hist. ecclés., lib. V, cap. XXVI, p. 234 ; Parisiis, 1673.)

[23] Adrian, Val. Rer. Fr., lib. III.

[24] S. Ambroise, Vit. P., cap. XLV.

[25] Deus noster refugium et virtus ; sont quaedam refugia que quisque cum fugerit magis infirmatur quam confirmetur. Confugis, verbi gratia, ad aliquem in seculo magnum... Tanta hujus seculi incerta sunt et ita potentum ruinae, quotidianae crebrescunt, ut, cum ad tale refugium perveneris, plus tibi timere incipias. (S. Augustin, Enarrationes in Psalmos, XLV, V. 2, p. 299, IV.)

[26] Claude, De Bell. Get., p. 173 ; Prudence, in Sym., lib. II ; Orose, lib. VII, cap. XXXVII ; Jornandès, p. 653. Pollence est encore un petit village dans le Piémont, sur le Tanaro.

[27] Orose, p. 223.

[28] Claude, in Eutrop. eun., lib. I, p. 94 et sqq.

[29] Code Théodosien, loi du 4 septembre 397.

[30] Homelia IV, p. 60.

[31] Ac tantum telluris possedit quantum nec facile nominare qui nunc exigua conditur humo, et quantulum ei non nemo miseratione motus imperties. (S. Chrysostome, t. IV, p. 481, a, d.)

[32] Tillemont, Hist. des Emp., t. V, p. 472.

[33] Populus vociferari coepit : Cum fera bestia audax quidam bestiarius pugnet !

Quibus ille ita respondit :

Nescitis nos cum humanitate et clementia spectaculis interesse solitos ? (Socrate, p. 362.)

[34] Sozomène, Prolegom., p. 396.

[35] Semper lectitandis libris occupatus. (Constantini Manassis Compendium, p. 55.)

[36] Si quis ei chartam offerret, rubris et in ea litteris nomen imperatorium subscribebat, pon inspectis prius eis quae essent in ea preascriptis. (Constantini Manassis Compendium, p. 55.)

[37] Quamobrem divinis exornata dotibus Pulcheria fratrem ab hoc vitio revocare studens, singulari diligentia imperatorem monebat... Litteras fingit in quibus perscriptum foret imperatorem Pulcheriae sorori conjugem suam veluti mancipium donasse. Hanc chartam fratri offert, rogat hanc scripturam litteris imperatoriis munire ac subsignare velit. Imperator precibus sororis annuit, mox calamum prehendit manu, et exaratis purpurei coloris litteris, chartam confirmat. (Constantini Manassis Compendium, p. 55.)

[38] Epist.

[39] Code Théodosien.

[40] Portas undique concluserat, et occupato Tiberi flumine, subministrationem commeatus e porta impediebat... Famem pestis comitabatur. (Zosime, Hist., lib. V, p. 105 ; Basileae.)

[41] Omne aurum quod in urbe foret et argentum. (Zosime, Hist., lib. V, p. 106.)

[42] Non ornamenta duntaxat sua simulacris ademerunt, verum etiam nonnulla ex auro et argento facto conflarunt : quorum erat in numero Fortitudinis quoque simulacrum quam Romani Virtutem vocant.

Quod sane corrupto quidquid fortitudinis atque virtutis apud Romanos superabat extinctum fuit. (Zosime, Hist., lib. V, p. 107 ; Basileae.)

[43] Zosime, p. 829 et sqq.

[44] Zosime, p. 829 et sqq.

[45] S. Augustin, ep. 122 ; Pros., Chr. ; Zosime, p. 814 ; Idat., Chr., p. 10.

[46] Zosime, p. 830.

[47] Les détails se trouveront à l’article des Mœurs des barbares.

[48] Post hanc victoriam... Constantinus cognita Edonici caede, purpuram et reliqua imperii insignia deposuit.

Cumque ad ecclesiam venisset, illic presbyter ordinatus est. (Sozomène, lib. IX, cap. XV, p. 816, d.)

[49] Profugit ad Ecdicium, qui, multis olim beneficiis ab Edobico affectus, amicus illi esse putabatur. (Sozomène, lib. IX, cap. XV, p. 816, d.)

[50] Verum Ecdicius caput Edobici amputatum ad Honorii duces detulit. (Sozomène, lib. IX, cap. XV, p. 816, d.)

[51] Constantius vero caput quidem accipi jussit, dicens rempublicam gratias agere Ulfilae ob facinus Edicii. (Sozomène, lib. IX, cap. XV, p. 816, d.)

[52] Sed cum Ecdicius apud eum manere vellet, abscedere eum jussit, nec sibi, nec exercitui commodam fore ratus consuetudinem hujus viri, qui tam male hospites suos exciperet. (Sozomène, lib. IX, cap. XV, p. 816, d.)

[53] Orose, p. 224 ; Idat., Chr.

[54] Il y a aussi les Burugondes, qu’il ne faut pas confondre avec les Burgondes ou Bourguignons.

[55] Jornandès, cap. XXXI.

[56] Inter alia nuptiarum dona, donatur Adulphus etiam quinquaginta formosis pueris, serica veste indutis, ferentibus singulis utraque manu ingentes discos binos, quorum alter auri plenus, alter lapillis pretiosis, vel pretii inaestimabilis, quae ex romanae urbis direptione Gothi depraedati fuerant. (Idat., Chron., an. 414. Voyez aussi Olymp. apud Photium.)

[57] Idat., Chron., an. 414 ; Olymp., ap. Phot.

[58] Paulin., Poenit. Euchar., poem., p. 287.

[59] Chron. Alex., p. 708.

[60] Orose, p. 224 ; Philostorgius, lib. XII, cap. V ; Zosime, lib. VI.

[61] Pros., Chron. ; Phot. ; Zosime, lib. IX, cap. IX ; Philostorgius, lib. XII, cap. IV, p. 534 ; Orose, p. 224.

[62] Vales. Rer. Franc., lib. III, p. 118.

[63] Vales. Rer. Franc., lib. III, p. 115.

[64] Sidoine Apollinaire, Carm., II, p. 300.

[65] Dom. Bouquet, Rer. Gall. et Franc. Script. ; Sidoine Apollinaire

[66] Phot., cap. LXXX, p. 197, voce Olymp.

[67] Philostorgius, 538 ; Procope, De Bell. Vand., lib. I, cap. III.

[68] Code Théodosien, t. III, p. 938.

[69] Procope, De Bell. Vand., lib. I, cap. III, p. 183.

[70] Gibbon, Fall of the Rom. Emp.

[71] Procope, De Bell. Vand., lib. I, cap. III.

[72] Idat., Chron. ; Marcellin, Chron. ; Excerp. Hist. ex Goth. ; Priscus

[73] Marcellin, Chron.

[74] Chron. Alex., p. 732 ; Le Sag., De Hist. ecclés., p. 227.

[75] Nicéphore, lib. XIV, cap. II, p. 44, b, c.

[76] Chron. Pascal. seu Alex., p. 315-16.

[77] Jornandès, cap. XXIV-XLVIII ; Vales. Rer. Franc., lib. III ; Phot., cap. LXXX.

[78] Ammien Marcellin, lib. XXXI.

[79] Priscus, p. 47 ; Prospère Tis., Chron.

[80] Prospère ; Marcellin.

[81] Priscus, p. 64 ; Prospère, Chron. ; Jornandès.

[82] Priscus, p. 40.

[83] Priscus, p. 33.

[84] Evagrius, De Hist. ecclés., p. 62 ; Marcellin, Chron., Jornandès, Rer. Goth., cap. XLIV ; Priscus, p. 44 ; Théophane, Chron., p. 88.

[85] Priscus, De Leg., p. 34 et sqq.

[86] Priscus, De Leg., p. 40.

[87] Théodoret, p. 55.

[88] Evagrius, lib. I, cap. I.

[89] Léon, ep. LXXXIX, p. 616 ; ep. XCIV, p. 628.

[90] Priscus, p. 39.

[91] Illi sub dium coacti circiter meridiem, cum a sole quippe aestivo languescerent, sederant, inter quos Marcianus, negligenter stratus, ducebat somnum ; quadam interim, ut perhibent, aquila supervolante, quae passis alis ita se librabat, eodemque in aere locum insistebatur, umbra blandiretur uni Marciano. Rem Gizericus e superiori contemplatus aedium parte, atque, ut erat sagacissimus vir ingenio, divinum ostentum interpretatus... Deus illi destinasset imperium. (Procope, De Bell. Vand., lib. I, p. 185 et 186.)

[92] Idat., Chron., p. 19 ; Vales., Rer. Franc. lib. III.

[93] Priscus, Leg., p. 40.

[94] Sidoine, Carm. VII ; Greg. Tours, lib. II.

[95] Marcellin, Chron.

[96] Jornandès place plus tôt l’envoi de cet anneau ; mais il confond les temps.

[97] Hujus ergo mentem ad vastationem orbis paratam comperiens Gizericus, rex Vandalorum, quem paulo ante memoravimus, multis muneribus ad Vesegotharum bella praecipitat, metuens ne Theodoricus, Vesegotharum rex, filiae ulcisceretur injuriam, quae Hunnerico, Gizerici filio, juncta, prius quidem tanto conjugio laetaretur : sed postea, ut erat ille et in sua pignora truculentus, ob suspicionem tantummodo veneni ab ea parati, eam, amputatis naribus, spolians decore naturali, patri suo ad Gallias remiserat, ut turpe funus miseranda semper offerret, et crudelitas, qua etiam moverentur externi, vindictam patris efficacius impetraret. (Jornandès, De Reb. Get., cap. XXXVI.)

[98] ..... Cecidit cito secta bipenni

Hercynia in lintres, et Rhenum texuit alno.

(Sidoine Apollinaire, Carm., VII, p. 97.)

[99] Pouqueville, Voyage en Grèce.

[100] Jornandès, cap. XXXVI.

[101] ... leugas, ut Galli vocant, in longum tenentes, et LXX in latum. (Jornandès, cap. XXXVI.)

[102] Fit ergo area innumerabilium populorum pars illa tellarum. (Jornandès, cap. XXXVI.)

[103] Adunatas despicite dissonas gentes. Judicium pavoris est, societate defendi... Alanos invadite, in Vesegothas incumbite... Nec potest stare corpus cui ossa substraxerit. Consurgant animi, furor solitus intumescat... Victuros nulla tela convenient, morituros et in ocio fata praecipitant... Non fallor eventu, hic campus est quem nobis tot prospera promiserant. Primus in hostes tela conjiciam. Si quis potuerit Attila pugnante ocium ferre, sepultus est. (Jornandès, cap. XXXVI.)

[104] Ubi talia gesta referuntur, ut nihil esset, quod in vita sua conspicere potuisset egregius, qui hujus miraculi privaretur aspectu. (Jornandès, cap. XL.)

[105] Nam si senioribus credere fas est, rivulus memorati campi humili ripa prolabens, peremptorum vulneribus sanguine multo provectus, non auctus imbribus, ut solebat, sed liquore concitatus insolito, torrens factus est cruoris augmento. Et quos illic coegit in aridam sitim vulnus inflictum, fluenta mixta clade traxerunt : ita constricti sorte miserabili sordebant, potantes sanguinem quem fudere sauciati. (Jornandès, cap. XL.)

[106] Strepens armis tubis canebat, incussionemque minabatur : velut leo venabulis pressus, speluncae aditus obambulans. (Jornandès, cap. XL.)

[107] Sed ubi hostium absentia sunt longa silentia consecuta, erigitur mens ad victoriam, gaudia praesumuntur, atque potentis regis animus in antiqua fata revertitur. (Jornandès, cap. XLI.)

[108] Aquatilium avium more domus est. (Variar., lib. XII, ep. XXIV.) Voyez aussi Verona illustrata de Maffei, et l’Histoire de Venise, par M. Daru.

[109] Prospère Idat., an. 454.

[110] Maximus quidam erat senator romanus... Uxorem habebat singulari continentia et forma, commendatissimae famae praeditam... Huic nactae concabitu, obscoeni libidine ardens Valentinianus... vim attulit obluctanti. (Procope, De Bell. Vand, lib. II, cap. IV, p. 187.)

[111] Procope, De Bell. Vand, lib. II, cap. IV, p. 187 ; Evagrius, lib. II, cap. VII.

[112] Dicere solebat vir litteratus atque ob ingenii merita quaestorius Fulgentius, se ex ore ejus frequenter audisse, cum perosus pondus imperii veterem desideraret securitatem : Felicem te, Damocles, qui non uno longius prandio regni necessitatem toleravisti ! (Sidoine Apollinaire, ep. XIII, lib. II, p. 166.)

[113] Procope, De Bell. Vand., p. 188.

[114] Navibus Giserici unam qua simulacra veebantur periisse ferunt. (Procope, De Bell. Vand., lib. II, p. 189.)

[115] Victor de Tunne.

[116] Idat., Chron.

[117] Sidoine Apollinaire, Carm. V, p. 312 ; Procope, De Bell. Vand., lib. I, cap. VII.

[118] Selon une autre version, Majorien fut déposé par Ricimer, qui le fit tuer cinq jours après sa déposition.

[119] ..... conversosque ordine fati

Torrida caucaseos infert mihi Byrsa furores.

(Sidoine Apollinaire).

[120] Ci-dessus, Étude troisième, seconde partie.

[121] Valois s’appuie de l’auteur anonyme, conforme pour ces temps obscurs à ce que l’on trouve dans les Fastes consulaires d’Onuphre, dans les Actes des Conciles dans Cassiodore, dans Victor de Tunne, dans la Chronique d’Alexandrie, etc., etc. (Vales. Rer. Franc.)

[122] Phot., cap. LXXVIII, p. 372 ; Onuph. ; Jornandès, De Reg. ac. temp. Suc., p. 654.

[123] Que comperto, Nepos fugit in Dalmatias, ibique defecit privatus regno, ubi jam Glycerius, dudum imperator, episcopatum Salonitanum habebat. (Vales. Rer. Franc., p. 227 ; Id. in not. Ammien Marcellin)

[124] Onuph., p. 477 ; Marc., Chron., XVI.

[125] Augustulo a patre Oreste in Ravenna imperatore ordinato. (Jornandès, cap. XLV.)

[126] Ennodh. Ticin., Vit. Epiph., p. 387.

[127] Malchno., Excerpt. de Leg., p. 93.

[128] Non multam post, Odovacer, Turcilingorum rex, habens secum Scyros, Herulos, diversarumque gentium auxiliarios, Italiam occupavit, et Oreste interfecto, Augustulum, filium ejus, de regno pulsum. (Jornandès, cap. XLVI.)

[129] Pulcher erat. Anon. Vales.

[130] Deposuit (Odovacer) Augustulum de regno... Tamen donavit ei reditum sex millia solidos. (Jornandès, p. 706.) In Lucullano Campaniae castello exilii poena damnavit. (Jornandès, cap. XLVI.)

[131] Plutarque, In Mario et in Lucullus.

[132] Eugip., In Vit. S. Severin.

[133] Vade ad Italiam, vade vilissimis nunc pellibus coopertus, sed multis cito plurima largiturus. (Anon. Val., p. 717.)