L’ÉGYPTE

ARCHÉOLOGIE — HISTOIRE — LITTÉRATURE

 

LA TROUVAILLE DE DÉIR-EL-BÂHÂRÎ.

 

 

I

Janvier 1882.

Le successeur de l’illustre et regretté Mariette Pacha, M. G. Maspero, a inauguré une coutume qui, bien que peu en rapport avec les mœurs de l’Égypte, n’en mérite pas moins une pleine approbation. A peine a-t-il fait une découverte, à peine une de ces chances heureuses, qui sont très nombreuses dans un pays dont le sol est rempli de documents historiques de premier ordre, mais qui n’arrivent cependant qu’auX hommes doués d’une science profonde, a-t-elle fait tomber entre ses mains un nouveau trésor, il communique sa trouvaille au public, il lui en expose tous les détails, il l’appelle à venir l’étudier avec lui. On avait quelquefois reproché à Mariette de se réserver à lui-même le fruit de ses travaux, d’en vouloir garder soigneusement le monopole. L’accusation n’était juste qu’en partie. On oublie trop souvent, lorsqu’on parle de Mariette, la situation dans laquelle il s’est trouvé et les difficultés contre lesquelles il a eu à lutter ; on le juge d’après ce qui se passe aujourd’hui, non d’après ce qui se passait à l’époque où il a tenté pour la première fois de réveiller l’antique Égypte de son sommeil séculaire.

L’Égypte moderne ne se prêtait guère à cette entreprise. Il a fallu à Mariette un courage et une énergie presque surhumains pour renverser les obstacles que chacun s’efforçait d’élever devant lui. Personne ne lui prêtait un concours convaincu, désintéressé ; tout le monde, au contraire, s’appliquait à l’entraver. S’il cachait bien des choses, s’il ne disait pas tout ce qu’il trouvait, s’il n’avouait que la moitié de ce qu’il savait, c’est qu’il ne rencontrait autour de lui qu’indifférence, jalousie, dédain, parfois brutalité. Jusqu’à la chute d’Ismaïl Pacha, les fouilles égyptiennes et le musée de Boulaq ont été à la merci d’un caprice. Grâce à Dieu ! les choses ont changé de face, et on peut légitimement espérer qu’aucun accident grave ne menacera désormais en Égypte la campagne scientifique que Mariette y a ouverte avec tant d’éclat et que M. G. Maspero y poursuit avec tant de succès. Les débuts du nouveau conservateur des musées égyptiens ont été des plus heureux. Quelques mois après ses premières fouilles à Saqqarah, dont on connaît l’heureuse issue, il faisait, suivant son expression, une trouvaille bien plus intéressante encore, une trouvaille inespérée, surprenante, et de la réalité de laquelle on se prendrait à douter, si le doute était possible en présence de preuves irrécusables. Une cachette, découverte et révélée par les Arabes, le mettait en possession d’un plein hypogée de Pharaons. Et quels Pharaons ! les plus illustres peut-être : Thoutmos III, que Mariette appelait le Napoléon de l’Égypte, Séti Ier, le constructeur de la salle hypostyle de Karnak et du temple d’Osiris à Abydos, Ahmos, le vainqueur des Hycsos, Ramsès II, le conquérant dont la gloire, transfigurée par les Grecs, a émerveillé l’antiquité tout entière dans la légende de Sésostris. M. G. Maspero n’a pas les mêmes raisons que Mariette pour mettre une prudente discrétion à divulguer ses travaux. Il sait qu’il rencontrera autour de lui un public sympathique, que tous les Égyptiens, même ceux qui la comprennent le moins, applaudiront à son œuvre, que la vanité nationale s’en Mêlera même au -besoin. Aussi, dès qu’il a remporté une victoire, s’empresse-t-il, comme je le disais tout à l’heure, d’en publier le bulletin. Jusqu’ici il s’était borné à le faire au moyen de notes et d’articles assez courts qu’insérait le Moniteur égyptien. Mais la trouvaille de Déir-el-Bâhârî méritait un rapport étendu. M. G. Maspero vient d’adresser ce rapport au ministre des travaux publics du gouvernement égyptien, dans le service duquel sont placées les fouilles. Il l’a ensuite édité, à l’usage de tous, avec de remarquables photographies de M. Emile Brugsch, son collaborateur au musée de Boulaq, lequel a pris, comme je vais le raconter, une part importante à la découverte qu’il s’agissait de faire connaître et de publier complètement.

Cette découverte n’est pas, quoi qu’on en ait dit, un simple effet du hasard, le résultat d’un coup de fortune imprévu. Sans doute on ne la doit point à des fouilles en règle, comme la découverte du Sérapeum de Memphis, on ne la doit même point du tout à des fouilles. Elle n’a été accompagnée non plus d’aucun des incidents dramatiques qui ont signalé le premier succès de Mariette. La découverte du Sérapeum est un véritable roman ; la découverte de la cachette de Déir-el-Bâhârî serait plutôt une comédie orientale. Mais dans l’une et dans l’autre entreprise, quelle qu’ait été la différence des moyens, le succès provient de la même cause ; c’est pour avoir deviné, à quelques faibles indices l’existence d’hypogées royaux que M. G. Maspero est parvenu à s’en rendre maître, de même que c’est pour avoir reconnu que quelques sphinx dépareillés devaient appartenir aux tombes des Apis que Mariette a pénétré dans ces tombes. Il en est de l’archéologue comme du naturaliste et du physiologiste, il essaie une expérience d’après une idée préconçue ; si l’idée est juste, l’expérience donne des résultats ; si elle ne l’est pas, l’expérience avorte, mais l’expérience n’est rien sans l’idée qui l’a provoquée. Depuis quelques années déjà, des fragments de rituel, des statuettes funéraires vendus par les Arabes de la plaine de Thèbes attiraient vivement l’attention de M. G. Maspero. L’examen minutieux auquel il avait soumis ces objets lui permettait d’affirmer ; dès 1879, qu’une tablette, appartenant à Rogers Bey, provenait d’un tombeau avoisinant le groupé encore inconnu des tombes de la famille de Hrihor. Il était sur la trace ; mais comment la suivre jusqu’au bout ? Peu après son arrivée en Égypte, M. G. Maspero se mit à l’œuvre. Il se transporta à Thèbes, non pour opérer des sondages et installer des chantiers, ce qui eût été probablement inutile, mais pour entreprendre d’arracher aux fellahs un secret qu’ils avaient le plus grand intérêt à cacher. Il ne s’agissait pas de fouiller la terre, chose relativement facile, il fallait fouiller en quelque sorte les hommes, et quels hommes ! les plus habiles à opposer le mensonge et l’inertie, non seulement à loups les, séductions, mais à toutes les menaces et à tous les châtiments. On devait s’attendre à une résistance désespérée de la part de gens pour lesquels la possession des tombes royales était une source constante de revenus. Tout ce qu’on savait d’ailleurs, c’est que les principaux marchands d’antiquités étaient un certain Abd-er-Rassoul Ahmed, de cheikh Abd-el-Gournah, et un certain Moustapha-Aga-Ayad, vice-consul d’Angleterre et de Belgique à Louqsor. Le premier obstacle qu’on allait rencontrer était donc, comme il arrive si souvent en Orient, un privilège diplomatique. Fort de l’immunité consulaire, Moustapha-Aga-Ayad avait pris sous sa protection les vendeurs d’antiquités ; il leur avait persuadé qu’en s’appuyant sur lui ils échapperaient à l’autorité locale et pourraient la braver impunément ; en conséquence il avait formé avec eux une sorte de société dont il était le chef, et les pavillons belge et britannique couvraient la contrebande qui enlevait ainsi à la science tant de monuments précieux.

Il serait trop long de raconter en détail de quelle manière M. G. Maspero est parvenu à rompre l’accord qui existait entre Moustapha-Aga-Ayad et ses complices, et a obtenu d’un de ces derniers des révélations complètes. Dans un premier voyage, il avait fait arrêter Abd-er-Rassoul Ahmed, et l’avait soumis à un interrogatoire en règle ; sa maison avait été fouillée du haut en bas ; une nuit tout entière avait été employée à chercher à le surprendre dans ses opérations frauduleuses. Rien n’avait réussi. Avec la dissimulation profonde de l’Arabe, Abd-er-Rassoul avait protesté constamment de son innocence ; il avait joint les larmes aux serments. Chargé de chaînes, prêt à être conduit en prison, il avait joué une scène d’attendrissement tragique sur le berceau de son enfant. Jamais victime plus pure n’avait été mise à la torture par des savants soupçonneux ! A l’enquête de M. G. Maspero succéda une autre enquête exécutée par les magistrats de la moudiriéh (préfecture). Là les témoignages réitérés, unanimes et assermentés des notables de Gournab attestèrent encore la parfaite loyauté, le désintéressement absolu d’Abd-er-Rassoul. Nul n’était moins capable que lui de détourner le moindre objet d’antiquité. Accuser un homme aussi scrupuleux de violer des tombes royales, était une épouvantable calomnie. Tous ses concitoyens répondaient de son honnêteté. Il fallut donc bien les en croire et relâcher Abd-er-Rassoul. Mais ce long procès, dont les résultats semblaient nuls, avait produit pourtant un heureux effet : il avait ébranlé la confiance des vendeurs d’antiquités dans l’efficacité du protectorat de Moustapha-Aga-Ryad, il leur avait inspiré des craintes sérieuses pour l’avenir. On savait que M. G. Maspero devait arriver de nouveau dans quelques mois, qu’il recommencerait ses investigations, qu’il organiserait une surveillance plus étroite dans la plaine de Thèbes. Le danger n’était donc qu’ajourné ; il pouvait, il allait renaître d’un moment à l’autre. Dès lors, la discorde se -mit dans la famille d’Abd-er-Rassoul, dont les quatre frères étaient les principaux associés. L’aîné d’entre eux, Mohammed-Ahmed-Abd-erRassoul, plus prudent ou mieux avisé que les autres, se rendit secrètement à Kénéh, et déclara au moudir (préfet) qu’il connaissait l’emplacement qu’on cherchait en vain depuis plusieurs années ; il lui apprit en outre que la tombe exploitée par ses frères et lui ne contenait pds seulement, comme on le supposait, deux ou trois momies, mais une quarantaine environ, et que la plupart des cercueils portaient au front un petit serpent pareil à celui qu’on voit sur la coiffure des Pharaons. C’était donc une série de rois qu’on rencontrait d’un seul coup ! La nouvelle, transmise au Caire, y produisit une vive impression. M. G. Maspero venait de partir pour l’Europe ; mais son collaborateur, M. Émile Brugsch, était là et pouvait se transporter immédiatement à Thèbes. Il n’hésita pas une minute, heureux d’être le premier à contempler un trésor inappréciable. Pourtant il doutait, et il a douté tant qu’il n’a pas eu la réalité sous les yeux. La déclaration imprévue d’un fellah pouvait-elle nous livrer en un jour plus de momies royales qu’on n’en avait trouvé en un demi-siècle de fouilles ? Rien n’était plus vrai. L’égyptologie doit à la mauvaise foi de Mohammed-Ahmed-Abd-er-Rassoul envers ses associés une de ses plus riches découvertes. Aussi M. G. Maspero l’a-t-il largement récompensé ; il a donné à Mahammed-Abd-er-Rassoul une somme de cinq cents livres égyptiennes et l’a nommé lui-même réis des fouilles à Thèbes, en vertu de ce principe, fort répandu en Occident comme en Orient, que les voleurs convertis font les meilleurs gendarmes. Bien des indices semblent indiquer qu’il existe encore d’autres cachettes semblables à celle de Déir-el-Bâhârî. Puisse l’exemple de Mohammed-Abd-er-Rassoul convaincre tous ses confrères qu’ils ont un plus grand intérêt à s’entendre avec l’administration des fouilles, et, à travailler pour elle, qu’à continuer avec les voyageurs un commerce dangereux et moins productif !

Le caveau funéraire où reposaient les momies royales était merveilleusement dissimulé. Creusé dans l’un des cirques naturels que forme la chaîne de collines qui sépare le Bab-el-Molouk de la plaine thébaine ; entre l’assassif et la vallée des Reines, on y arrive à travers un puits de onze mètres cinquante de profondeur sur deux mètres de largeur et un couloir de largeur inégale, long de soixante-dix mètres, dont la direction irrégulière était faite de manière à dérouter toutes les recherches. Il se compose d’une chambre oblongue, de sept mètres quatre-vingts de longueur, dans laquelle les cercueils, les boîtes à statuettes funéraires, les canopes, les vases à libation en bronze, la tente funéraire de la reine Isimkheb semblaient entassés dans un désordre et un encombrement complets. A la lueur des bougies, on distinguait sur les cercueils les noms d’Aménophis Ier, de Thoutmos III, d’Ahmos Ier, de Siamoun Soqnounrî, de la reine Ahhotpou, d’Ahmos de Nofritari, de Nibsonou, de la reine Tiouhathor-Honttoouï, de Séti Ier, etc. M. Émile Brugsch, dit M. G. Maspero, crut être le jouet d’un rêve de tomber à l’improviste en pareille assemblée, et je suis encore à me demander comme lui si vraiment je ne rêve point, quand je vois et je touche ce qui fut le corps de tant de personnages dont je croyais ne devoir jamais connaître que les noms.

L’Égypte est .le seul pays du monde on de pareilles surprises soient possibles. Qu’était-ce. jusqu’ici pour nous que ces rois dont ce souvenir effacé si longtemps, puis retrouvé péniblement par la science moderne, restait cependant enveloppé d’un nuage mystérieux ? On lisait leurs cartouches, on savait vaguement qu’ils avaient existé, on connaissait par des inscriptions fastueuses quelques-uns de leurs exploits, plus ou moins véridiques. Mais tout cela tenait autant du roman que de l’histoire. A part quelques faits précis, quelques formules certaines, l’imagination seule pouvait retrouver la trace d’un passé si lointain. Pour beaucoup de personnes les souverains de l’antique Égypte étaient en quelque sorte des fantômes historiques, plus légendaires que les héros d’Homère ou des épopées indiennes. Et voilà que tout à coup les principaux d’entre eux apparaissent au fond d’un souterrain obscur, où ils ont dormi durant des siècles, tandis que la Grèce et Rome accomplissaient leurs brillantes et orageuses destinées, que le christianisme naissait, que le monde antique était détruit, que le moyen âge ramenait la barbarie en Europe, que l’islam dévastait l’Orient, que la civilisation moderne apparaissait, et que les générations actuelles, poussées à la fois par l’amour du passé et par la foi en l’avenir, créaient l’histoire et inauguraient nous ne savons quelles destinées ! Jamais assurément résurrection n’a été plus étrange ; les vieilles légendes du roi Arthur et de Frédéric Barberousse, dont la poésie populaire promettait à nos pères le réveil miraculeux, ne sont rien en comparaison d’une réalité pareille. Toutefois, il est impossible de croire à une illusion. C’est bien Thoutmos III, c’est bien Ramsès II et Séti Ier qui sont là, sous leurs bandelettes mortuaires ! Leurs momies encombrent le musée de Boulaq, trop étroit pour les contenir ; plusieurs d’entre elles sont couvertes de guirlandes de fleurs qu’on croirait cueillies d’hier ; sur l’une de ces guirlandes une guêpe s’était posée et elle est restée aussi intacte que les fleurs elles-mêmes ; c’est à. peine si ses pattes sont endommagées. Le soir, lorsque le soleil se couche sur le Nil et que ses derniers rayons pénètrent dans le musée, une lumière fantastique se joue sur les cercueils. Un jour que la chaleur avait été plus vive qu’à l’ordinaire, le bras d’une des momies s’est contracté subitement, et la momie a levé la main vers sa tête renversée, comme pour protester contre la violation de son sommeil, qui devait être éternel et qui n’a été que séculaire. C’est la première momie qu’on ait vue bouger : mais n’est- ce pas la première fois aussi qu’une découverte scientifique a tenu aussi manifestement du prodige, a ressemblé si complètement à une féerie ?

Les momies n’ont pourtant point poussé la bonne volonté et l’amour du merveilleux jusqu’à arriver toutes seules à Boulaq. Leur transfert a même été une opération des plus délicates, qui n’a réussi qu’avec des efforts et des précautions infinies.

On était en plein mois de juillet, et l’on peut juger de l’effet que produisait la température de l’été sur tous ces cercueils et sur tous ces corps qui n’avaient point vu la lumière depuis des milliers d’années. L’exhumation avait été longue ; mais ce n’était que la plus faible partie de la tache. Trois cents Arabes, rassemblés par le moudir, avaient enlevé tous les objets et les avaient alignés côte à côte. Il restait à conduire cet immense convoi à travers la plaine de Thèbes et au delà de la rivière jusqu’à Louqsor. Plusieurs des cercueils soulevés à grand’peine par douze ou seize hommes, dit M. G. Maspero, mirent de sept à huit heures pour aller de la montagne à la rive, et l’on s’imagine sans peine ce que dut être ce voyage par la poussière et la chaleur de juillet. Trois jours après, le vapeur du musée de Boulaq emportait vers le Caire une cargaison de rois. Il parait pie Cette dernière Opération a été accompagnée d’une scène pittoresque qui rappelait les plus antiques souvenirs de l’Égypte. Sur les deux rives du Nil, les femmes fellahs échevelées suivaient le bateau en poussant des hurlements et les hommes tiraient des coups de fusil comme aux funérailles.

Ainsi la nouvelle marche funèbre des momies, se rendant à une demeure où certainement elles ne resteront pas des siècles, a donné lieu à des manifestations du genre de celles qui s’étaient produites il y a trois ou quatre mille ans, lorsqu’on les conduisait à la prétendue demeure éternelle dont on vient de les arracher. Ces manifestations ont été décrites en détail par M. G. Maspero dans sa belle Étude sur quelques peintures et sur quelques textes relatifs aux funérailles[1]. Les enterrements à Thèbes n’étaient pas de ces processions muettes où la douleur se trahit à peine par quelques larmes furtives. Serviteurs, parents, amis, ceux qui accompagnaient la momie ne craignaient pas de se donner en spectacle ni de troubler par le bruit de leur deuil l’indifférence des passants. Ils froissaient ou déchiraient leurs vêtements avec des gestes désordonnés, se battaient à deux mains le front et la poitrine, se couvraient les cheveux et la face de poussière et de boue. Leurs voix tantôt s’élevaient isolées, tantôt se confondaient dans une plainte commune, et formaient un concert de lamentations dont l’éclat couvrait par intervalle la cantilène monotone du prêtre officiant. Aux cris inarticulés, aux appels, aux sanglots, se mêlaient l’éloge des vertus du mort, des allusions à ses goûts et à ses actions, aux charges qu’il avait remplies, aux honneurs qu’il avait obtenus, des réflexions sur l’incertitude de la vie humaine, des plaintes sur les dangers de la vie d’outre-tombe, refrain mélancolique que chaque génération de l’Égypte ancienne répéta sur la génération précédente, en attendant que la génération suivante l’entonnât sur elle à son tour. Le convoi s’avançait ainsi, au milieu d’une foule bruyante, qui escortait le mort jusqu’à son tombeau, portant autour de lui le mobilier funèbre, le lit, les chaises, les guéridons, les coffrets, les statuettes, les amulettes, tout le matériel de sa nouvelle existence. Arrivé au Nil, une flottille de barques peintes conduisait le cortège sur la rive du fleuve où la tombe était creusée. La flottille de barques peintes a été remplacée, pour les momies royales de Déir-el-Bâhârî, par un bateau à vapeur ; mais les pleureuses ne leur ont pas manqué, et les objets funéraires qu’on avait trouvés en grand nombre dans la cachette ne les ont pas quittées. Une fois encore un concert de lamentations a accompagné leur marche, et le cri de désespoir des générations qui restent, au départ des générations qui s’en vont, a été poussé sur leur cercueil.

II

La découverte des momies royales de Déir-el-Bâhârî soulève un problème dont la solution présente de nombreuses difficultés. Comment se fait-il qu’un si grand nombre de rois aient été ensevelis à la même place ? Comment se fait-il surtout que les souverains les plus illustres de la XVIIIe et de la XIXe dynastie se soient trouvés confondus avec les grands prêtres d’Ammon et les princes dégénérés de la XXe ? Les objets extraits de la cachette révélée par Mohammed-Abd-er-Rassoul se divisent en effet en deux groupes bien distincts : d’une part une vingtaine de cercueils environ, presque tous refaits ou brisés, qui appartiennent à la XVIIIe et à la XIXe dynastie, d’autre part un certain nombre de cercueils d’aspect uniforme et portant le cachet de la XXe dynastie. Les témoins et les auteurs de la grandeur thébaine étaient confondus avec les contemporains de la décadence. La famille d’Ahmos le libérateur reparaît à côté des grands prêtres d’Ammon et des derniers des Ramessides. D’où provient ce mélange de personnages si divers appartenant à des époques si différentes ? Le problème, déjà fort obscur, se complique encore lorsqu’on se .rappelle que les rois et les princes de la XVIIIe et de la XIXe dynastie avaient chacun leur tombe, dont nous connaissons l’emplacement, qui nous est révélé d’une manière certaine par les documents. A quelle époque et pour quelle raison en ont-ils été arrachés, et ont-ils été enfouis pêle-mêle auprès de leurs indignes successeurs ? Quelles révolutions, quels cataclysmes ont jeté le cercueil de Thoutmos III, qui avait porté la puissance égyptienne depuis Ninive jusqu’au fond de l’Éthiopie, au milieu de ceux de ces prêtres et de ces rois médiocres dont les mains débiles ne purent maintenir intact le faisceau de cette puissance et laissèrent l’Égypte se morceler en deux royaumes ?

Il serait impossible de répondre à ces questions, si, par bonheur, les monuments eux-mêmes n’y répondaient pas. Plusieurs des momies ou des cercueils portent inscrits l’encre, de la main des scribes contemporains, la date, les détails, parfois la raison du transfert qu’ils ont subi. Ce sont de véritables procès-verbaux, dont le témoignage est irrécusable, et auquel il est d’ailleurs d’autant plus facile de croire que les faits qu’ils nous racontent s’expliquent de la manière la plus naturelle par les circonstances historiques au milieu desquelles ils se sont produits. La XXe dynastie a été une époque d’appauvrissement presque effroyable, lorsqu’on songe de quelles victoires et de quelle fortune elle avait été précédée. Épuisée par six siècles de conquêtes durant lesquels, suivant une expression employée sous Thoutmos III, elle posait ses frontières où il lui plaisait, l’Égypte n’avait plus la force de maintenir sa domination sur les provinces asiatiques ; la Syrie lui échappait, et avec elle disparaissait la source principale de ses revenus. M. G. Maspero nous avait déjà donné dans des travaux précédents des renseignements nombreux et précis sur l’étendue de cette crise de la grandeur égyptienne. La découverte de Déir-el-Bâhârî confirme tout ce que les monuments lui avaient déjà révélé à ce sujet. Les grandes villes du Delta, Memphis, Tanis, Bubastis, Saïs, conservèrent, au milieu de l’affaiblissement politique du pays, une certaine vitalité commerciale. Placées sur la route de l’Asie, elles restèrent en relations courtoises avec les provinces asiatiques, subissant il est vrai leur influence, mais profitant aussi de leurs richesses. Il ‘n’en fut pas de même de Thèbes. Thèbes ne devait sa grandeur qu’au génie de ses rois et qu’à l’esprit militaire qui lui avaient permis d’étendre son pouvoir au loin. Située au centre de l’Égypte, loin des voies du commerce, il n’y avait aucune raison géographique, aucun motif économique pour qu’en perdant sa force elle conservât sa prospérité. Sa chute fut aussi profonde que son élévation avait été considérable. Le Delta, séparé d’elle, l’abandonna à ses propres ressources. L’Éthiopie lui devint difficile à gouverner. Pour soutenir son ancienne splendeur, il ne lui resta plus bientôt que les produits de la région dans laquelle elle était construite, la moins féconde peut-être de l’Égypte. Les conséquences matérielles de pareils événements sont faciles à deviner. Tandis que les derniers des Ramessides disputaient à la caste sacerdotale les restes d’un pouvoir sans prestige comme sans vigueur, tandis que ces troubles intérieurs paralysaient toute action au dehors, la misère sévissait cruellement sur la ville. Les travaux de construction furent suspendus pour la plupart, et l’immense population ouvrière qu’ils avaient attirée à Thèbes commença à sentir la faim. Qu’on se figure ce que deviendrait Paris si, par suite d’une série de révolutions et de guerres, son commerce, son industrie disparaissaient tout à coup, sans que ses habitants vinssent à diminuer. Tel était à peu près l’état de Thèbes durant la XXe dynastie. De là des grèves, des désordres journaliers, une incroyable anarchie. Toutes les autres sources de revenus étant taries, il n’en restait plus qu’une seule : le vol. Le vol fut donc organisé sur une large échelle. Des bandes formées pêle-mêle d’employés civils, d’officiers, de manœuvres, de femmes même, s’y consacrèrent complètement. Elles volaient tout ce qu’elles pouvaient atteindre ; mais l’es plus grandes richesses était enfermées dans la nécropole, ce furent les tombes qui eurent à souffrir surtout de leurs déprédations. On enfonçait les portes pour enlever les objets précieux, les bijoux, les armes de luxe que la piété des parents avait déposés avec les cadavres, pour arracher l’or qui recouvrait les cercueils. Les rois ne furent pas plus épargnés que les simples particuliers ; on n’hésita pas à porter sur eux une main sacrilège et avide. C’est en vain que les Ramsès firent de nombreux  efforts pour arrêter le pillage. Les commissaires chargés de faire une enquête sur l’état de la nécropole trouvèrent, en l’an XVI de Ramsès IX, une tombe royale violée sur dix qu’ils avaient mission de visiter. Un curieux procès verbal, qui nous a été conservé, nous fait connaître de quelle manière procédaient les voleurs. : Nous ouvrîmes les cercueils du roi Sovkemsaouf et de Sa femme Noubkhâs, ainsi que les coffres funéraires dans lesquels ils étaient. Nous trouvâmes la momie auguste du roi, et, à côté d’elle, son sabre, ainsi qu’un nombre considérable de talismans et de fournitures en or à son cou. La tête était recouverte d’or, et toute la momie parsemée d’or et d’argent, en dedans et en dehors, et incrustée de- toutes sortes de pierres. Nous prîmes l’or que nous trouvâmes sur la momie, ainsi que les talismans et les garnitures du cou et l’or des cercueils. Nous prîmes également tout ce que nous trouvâmes sur la royale épouse, puis nous brûlâmes leurs coffres funéraires, et nous volâmes leur mobilier, qui consistait en vases d’or, d’argent et de bronze, et nous le partageâmes en huit parts.

On comprend sans peine combien il [était important de préserver les Pharaons défunts contre la rapacité de voleurs aussi déterminés. Dans les idées des anciens Égyptiens, la prolongation de la vie d’outre-tombe était intimement liée à la conservation de la momie ou du moins d’un corps quelconque destiné à, la remplacer ; le mobilier funéraire, de son côté, n’était pas moins nécessaire au mort que le mobilier ordinaire ne l’était au vivant. C’était donc un devoir pieux, auquel les rois ne pouvaient se soustraire, que d’essayer de mettre leurs prédécesseurs à l’abri des insultes dont ils étaient menacés. Une série de procès-verbaux, que M. G. Maspero a déchiffrés sur les cercueils de Déir-el-Bâhârî, prouvent qu’à des intervalles plus ou moins rapprochés on visitait les momies, on restaurait leur appareil funéraire et, si leur cachette avait été découverte, on les transportait dans une autre plus sûre où ils étaient mieux à l’abri. Ce n’est point du premier coup que ces rois de la XVIIIe et de la XIXe dynastie ont été enfouis à la place où nous les avons trouvés. Ils forment un groupe composé des trois premiers rois de la XVIIIe dynastie, des trois premiers de la XIXe, et d’un nombre considérable de princes et princesses dont la série chronologique n’est pas des plus faciles à déterminer. Tous appartenaient à la famille d’Ahmos Ier, le fondateur de la XVIIIe dynastie. Leurs pérégrinations paraissent s’être faites avec ensemble. Les monuments nous apprennent, en effet, dit M. G. Maspero, qu’un grand nombre de tombes royales étaient groupées autour de la tombe d’Aménophis Ier, à Drah-Abou’l-Neggah, et qu’un culte commun était rendu par les mêmes prêtres à tous les occupants de ces tombes. Un de ces prêtres, dont l’hypogée était jadis à Déir-elMédinéh, s’est fait représenter adorant : 1° Aménophis Ter ; 2° Nofritari ; 3° Soqnounrî Tiouâqen ; la princesse Miritamon ; 5° la princesse Tirini ; 6° la mère royale Kannout ; 7° la princesse Sitamoun ; 8° la princesse Sitkamos, puis avec d’autres princes et princesses de la même race, le roi Ahmos Ier. Il est impossible de comparer cette liste à la liste de nos momies sans reconnaître à première vue que toutes deux sont composées des mêmes noms et par suite des mêmes personnes. Nous avons en effet avec Aménophis Ier, Soqnounrî, Ahmos Ier, Nofritari, Siamoun, Sitamoun, bref, le groupe presque entier des hauts personnages enterrés à Drah-Abou’l-Neggah. D’autre part, nous savons par les procès-verbaux que les momies de Ramsès Ier, de Séti Ier et de Ramsès II avaient été transportées dans une dépendance du tombeau d’Aménophis Ier. Les princes des XVIIe et XVIIIe dynasties, et les trois princes de la XIXe dynastie, dont nous avons les momies, formaient donc, sous les grands prêtres d’Ammon, un seul et même groupe de corps, dont le transfert en une seule et même cachette a dû se faire en une seule et même opération.

Mais, s’il en est ainsi, il reste encore à savoir ce qu’était cette cachette et à qui elle appartenait. J’ai dit, en commençant, qu’à côté du groupe royal de la XVIIIe et de la XIXe dynastie se trouvait le groupe sacerdotal de la XXe. De même que le premier groupe est formé de la famille de Ahmos, de même le second est formé principalement de la famille du grand prêtre Pinotmou. M. G. Maspero a reconstitué la généalogie de cette famille, et il a trouvé que Pinotmou avait eu deux fils, Masahirtî et Menkhopirrî ; ce dernier avait épousé sa nièce, Isimkheb, fille de Masahirtî. Ces détails sont importants si l’on veut suivre le fil des inductions par lesquelles M. G. Maspero est arrivé à reconstituer l’histoire des momies royales de Déir-el-Bâhârî. Il n’a pas eu de peine à constater que les morts de la famille d’Ahmos n’avaient ni canopes, ni statuettes funéraires, tandis que ceux de la famille sacerdotale possédaient un appareil funèbre presque complet. Le musée de Boulaq est rempli en ce moment des figurines et des boîtes à figurines dont ils étaient entourés. La conclusion de ce fait est facile à tirer. Ce qui caractérise, en effet, le tombeau égyptien, c’est la présence du mobilier particulier à chaque époque. Pour que le mort habitât sans trop de regrets sa demeure éternelle, pour qu’il s’acquittât des soins et jouît des avantages de l’autre vie, il fallait qu’il eût autour de lui tous les objets que la religion déclarait nécessaires à cette autre vie. Ces objets étaient de deux sortes : les uns, tels que vases, statuettes, papyrus, canopes, étaient permanents et ne devaient jamais quitter la momie, les autres, tels que perruques, offrandes de fruits, oies, gigots, etc., ne restaient dans la tombe que jusqu’au jour où un deuil plus récent exigeait qu’on les remplaçât par des objets nouveaux et qu’on offrît un repas plus frais. Puisque la cachette de Déir-el-Bâhârî contenait tout le matériel de la tombe des grands prêtres, c’est donc qu’elle leur servait en effet de tombe. M. G. Maspero va plus loin encore. Il affirme que la reine Isimkheb est la dernière personne qui y ait été ensevelie. Tandis que les autres momies n’avaient plus que la partie durable de l’appareil mortuaire, on a rencontré avec elle, outre les figurines, des vases en verre bleu ou émaillé, des paniers remplis d’immenses perruques frisées et un panier de vivres momifiés, gigot de gazelle, oies troussées, tête de veau, raisins, dattes, fruits de palmiers, etc., enfin une sorte d’immense linceul en cuir vert, jaune et rose qui avait reposé sur son cercueil, et une momie de gazelle qui probablement lui appartenait. Les paniers qui renfermaient le repas et les perruques portent le cachet de Menkhopirrî, ce qui prouve que celui-ci était encore vivant lorsque Isimkheb fut enterrée, car, en Égypte comme dans le reste de l’Orients on n’employait à sceller que les cachets des personnes vivantes.

La grotte de Déir-el-Bâhârî, dit M. G. Maspero, a donc servi de tombeau jusqu’à Isimkheb, mais jusqu’à elle seulement ; son mari Menkhopirrî et son fils Pinotmou III reposent ailleurs. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Je ne vois qu’une solution probable à cette question. Quelque temps après l’enterrement de sa femme, Menkhopirrî aura fait transporter dans le tombeau de famille le premier groupe de momies qu’on avait gardé jusque-là dans le tombeau d’Aménophis Ier ; le tombeau, encombré par l’arrivée de tant d’étrangers, n’aurait plus conservé assez d’espace pour recevoir convenablement les derniers rois-prêtres et les gens de leur famille.

Ainsi, pour sauver les souverains de la XVIIIe et de la XIXe dynastie du danger que leur faisaient courir les bandes de voleurs de la nécropole thébaine, les grands prêtres d’Ammon n’auraient rien trouvé de mieux que de les faire transporter dans leur propre caveau de famille. Peut-être s’étonnera-t-on de la pauvreté de ce caveau. Une simple grotte, grossièrement creusée dans le roc, sans le moindre ornement, quelle misérable sépulture comparée aux magnifiques hypogées des dynasties précédentes ! Mais la décadence de Thèbes était telle qu’il fallait bien se contenter d’une tombe médiocre. Peut-être aussi cette médiocrité était-elle une garantie de sécurité, et préférait-on à cette époque dissimuler sa demeure mortuaire, qu’éveiller la cupidité en la couvrant d’ornements ? Le temps des souverains qui régnaient sur toute l’Égypte et qui pouvaient faire venir des provinces les plus reculées des milliers d’ouvriers, afin de tailler et de décorer d’immenses syringes, était passé. Pinotmou et sa famille n’avaient que la région la plus pauvre de l’Égypte et de la Nubie. C’est ce qui explique le sans-gêne avec lequel il leur arrivait d’usurper les cercueils. de momies précédentes, afin d’y faire déposer la leur. Peu de pays sont aussi dégarnis d’arbres que l’Égypte, et lorsque Thèbes ne put plus faire venir du bois de Syrie ou de l’Éthiopie, l’unique ressource de ses souverains, pour se procurer celui qui était nécessaire aux funérailles, fut de dépouiller leurs prédécesseurs et de prendre la place où ils avaient espéré reposer éternellement. Rien ne doline peut-être une idée plus triste de l’appauvrissement où était tombée Thèbes sous la XIXe dynastie que le spectacle de ces morts se volant les uns les autres. Non seulement on n’était pas assez riche pour vivre ; on ne l’était même plus assez pour mourir.

Ne regrettons pas trop cependant cette décadence thébaine puisqu’elle nous a valu la conservation de tant de momies royales, dont la découverte est l’une des meilleures preuves de la solidité des inductions historiques de l’égyptologie. On est tenté quelquefois de douter du témoignage des monuments ; on a peine à croire à la véracité des historiens ; on hésite à regarder comme des personnages réels et comme des événements incontestables les personnages et les événements qu’ils nous révèlent. Il est heureux que de temps à autre un nouveau trait de lumière vienne illuminer un passé si obscur. Sous ce rapport la trouvaille de Déir-el-Bâhârî a une importance scientifique de premier ordre. Elle nous met en présence des héros de la grandeur de Thèbes, et elle nous apporte des indices certains, indubitables, de sa chute. Qui sait si elle ne nous réserve pas encore quelque surprise ? La momie de Thoutmos III était fortement endommagée ; il a fallu la dérouler, et on a trouvé sur les linges qui l’entouraient de longs textes hiéroglyphiques tracés à l’encre, le chapitre XVII du Livre des morts et des fragments des Litanies du Soleil, qui contenaient quelques variantes et un nom inconnu. Peut-être d’autres momies, si on les développait, nous livreraient-elles des textes et des manuscrits importants. On comprend sans peine que M. G. Maspero éprouve quelque perplexité avant de tenter l’expérience. Les momies sont aujourd’hui admirablement enveloppées ; elles se conserveraient longtemps intactes dans l’état actuel ; lorsqu’on les aura mises à nu, il n’en sera plus de même : à combien de risques ne seront-elles pas exposées ! On ne porte point sans quelque émotion la main sur de pareils personnages, on ne détruit pas sans crainte une œuvre que les siècles ont respectée. Cependant il est bien difficile de s’arrêter devant ces maillots fermés qui peuvent recouvrir des objets précieux ; il est bien difficile aussi de résister au désir de contempler face à face Ramsès II ou Séti Ier. L’étude anatomique des corps présenterait aussi un bien vif intérêt. J’ignore à quelle résolution s’arrêtera M. G. Maspero ; ses hésitations sont bien légitimes, mais, à tout prendre, puisque après des milliers d’années les momies royales de Déir-el-Bâhârî sont sorties de la cachette où on l’es avait enfouies dans l’espoir qu’elles y jouiraient du repos éternel que les anciens Égyptiens avaient rêvé pour elles, ne faut-il pas qu’elles soient soumises à leur tour à la loi constante de ce monde, qu’elles avaient si longtemps éludée, et qui veut que bout passe, se dissolve et disparaisse ?

III

Les momies royales de Déir-el-Bâhârî ne présentent pas seulement l’intérêt général que j’ai essayé d’exposer ; chacune d’elles mériterait une description détaillée, car elles offrent presque toutes quelques particularités remarquables. J’ai dit qu’on pouvait les diviser en deux groupes : les cercueils du premier, le plus important des deux, sans comparaison, sont pour la plupart d’un style simple, qui rappelle la bonne époque de l’art égyptien. Je citerai, par exemple, ceux de Soqnounrî Ier, de Thoutmos III et de Ramsès II, dont le goût sévère et l’heureuse ornementation frappent tout d’abord. Le second groupe est plus riche, plus brillant d’apparence, mais on y reconnaît les signes à une dégénérescence incontestable ; il faut cependant faire une exception pour deux cercueils, en bois émaillé, qui devaient être d’une splendeur étonnante avant d’avoir été mutilés. Le premier, celui de la reine-mère Notémit, a servi de modèle à l’autre. Une feuille d’or recouvrait la caisse entière, à l’exception de la coiffure et de quelques détails ; les hiéroglyphes et les parties principales de l’ornementation étaient formées de pierres précieuses et de pâtes de verre incrustées dans l’or ; la richesse de l’ensemble était merveilleuse. Par malheur, on l’a gratté pour en enlever l’or, de sorte qu’il ne reste plus que des débris de l’ancienne ornementation. Le second cercueil est celui du roi Pinotmou ; il avait appartenu à Thoutmos Ier, auquel il a été volé. A la suite de nous ne savons quel accident qui l’avait fort endommagé, on l’a restauré et orné sur le modèle de celui de la reine Notémit. Mais de nouveau, hélas ! il n’a pas été moins maltraité : il ne conserve aujourd’hui que de bien faibles vestiges de ce qu’il fut autrefois. Tous les autres cercueils du deuxième groupe sont conformes au type bien connu de la XXe dynastie : ils se composent de deux caisses et de trois gaines à tête humaine s’emboîtant l’une dans l’autre ; la perruque est noire ou bleue, la tête et les mains dorées, ou cuivrées par économie ; enfin, toutes les parois sont couvertes d’innombrables représentations au pinceau, engluées d’un épais vernis jaune. Les couleurs ont encore une vivacité extraordinaire, et quoique ces cercueils soient d’un luxe un peu criard, ce sont eux peut-être qui produisent le plus d’effet, lorsque la lumière du soir éclaire leurs têtes dorées tandis que leur masse assombrie commence à se perdre dans l’obscurité.

Deux cercueils ont des dimensions absolument nouvelles ce sont ceux de la reine Nofritari et de la royale épouse, royale mère Ahhotpou. On les a dressés contre une des portes du musée de Boulaq, où ils apparaissent comme des colonnes gigantesques. Ils reproduisent, à la coiffure près, l’aspect extérieur des piliers osiriens qui décorent la cour de Médinet-Abou. Ils ont trois mètres dix-sept centimètres de haut, et portaient sur la tête de grands plumets, qui malheureusement ont été brisés. La composition de ces cercueils n’est pas moins originale que leur taille est inusitée. Ils ne sont pas en bois ; ils sont formés par des épaisseurs d’étoffes superposées et imprégnées de stuc. Le tout est recouvert d’une peinture jaune, à l’exception de la chevelure et de certaines parties de la figure qui sont peintes en bleu. La momie d’Ahhotpou était placée directement dans son immense cercueil ; le cercueil de Nofritari en contenait un second de dimensions ordinaires, mais peint en rouge et formé également d’étoffes superposées ; c’est là que reposait la momie. Ces deux cercueils sont des spécimens uniques, et parmi les objets du musée de Boulaq, s’il en est beaucoup de plus importants, peut-être ‘feu est-il pas de plus curieux.

L’enveloppement des momies, ainsi que je l’ai remarqué, est fait avec un soin remarquable. La plupart sont enfermées dans des étoffes d’un rose clair ou d’un jaune écru du plus heureux effet ; des bandelettes transversales blanches Maintiennent ces étoffes. On dirait, qu’on me passe la comparaison, de gracieux paquets entourés de faveurs. Autour de la tête s’enroule un bandeau décoré souvent de figures mystiques ; d’autres fois un masque aux yeux d’émail la recouvre. Il y avait sur presque toutes les momies des guirlandes de fleurs ; beaucoup d’entre elles ont conservé cet ornement. Il se compose de lotus bleus et blancs, et de petites fleurs jaunes, rouges et bleues, liées les unes aux autres au moyen dés plus ingénieux procédés. Le docteur Schweinfurth, qui étudia ces fleurs, a reconnu l’espèce de la plupart d’entre elles ; pourtant il y en a une au moins qui paraît avoir disparu et d’autres qu’on ne rencontre plus, qu’en Abyssinie. Jamais botaniste n’a été en présence d’un plus rare trésor. Les herbiers les plus anciens que nous possédions jusqu’ici celui de Tournefort, par exemple, avaient deux cents ans à peine ; en voilà un qui a trois mille ans au bas mot ! Et cependant il est aussi bien conservé que s’il ne datait que de quelques mois. Lorsque le docteur Schweinfurth l’aura classé et arrangé, ce sera une collection incomparable, qui rendra le musée de Boulaq aussi cher aux botanistes qu’il l’est déjà aux archéologues. C’est la première fois qu’on aura herborisé sur des momies ; espérons que ce ne sera pas la dernière ! Les fruits du repas de la reine Isimkheb ont aussi quelque intérêt pour les naturalistes, quoiqu’ils soient assez ordinaires ; mais leur conservation est si parfaite qu’on distingue sans la moindre peine, sur la pulpe des dattes, la trace des doigts qui les ont cueillies il y a tant de siècles. On se rappelle l’émotion de Mariette en découvrant dans le sable du Sérapeum l’empreinte des pieds des prêtres qui étaient sortis les derniers de la nécropole des Apis ; il est difficile de ne pas éprouver, sinon la même émotion, au moins un vif étonnement à la vue des marques que portent les dattes de la reine Isimkheb.

Les ornements extérieurs des momies, si intéressants qu’ils soient, ont néanmoins un défaut : ils nous cachent la momie elle-même. C’est à peine si deux ou trois d’entre elles ont été déroulées. On peut voir très distinctement par exemple la tête du roi Pinotmou, qui a été découverte ; elle est absolument intacte ; on croirait seulement qu’elle est en bois ou en parchemin très dur et très noir. Les cils, les sourcils, les dents, tout est conservé. On peut voir également Thoutmos III ; sa momie avait été fouillée par les Arabes ; elle était en si mauvais état qu’il a fallu l’ouvrir. Hélas ! elle était brisée en trois endroits, et la tête était méconnaissable. Les mains seules sont intactes ; elles sont d’une finesse et d’une délicatesse charmantes, très petites, très allongées, avec des ongles remarquablement faits. Thoutmos III mesurait seulement un mètre soixante ; il était de petite taille, comme Napoléon, auquel Mariette aimait à le comparer. Les toiles qui l’enveloppaient portaient de longs textes hiéroglyphiques ; son linceul était formé d’une sorte de gaze légère, de mousseline, je crois, qui prouve que l’art textile avait atteint sous son règne un degré surprenant de perfection. Deux petites rames et un paquet d’alfa égyptien étaient attachés à son corps. Les rames devaient servir à Thoutmos dans ses voyages d’outre-tombe. La barque, si nécessaire en Égypte, l’était bien plus dans l’autre monde, au dire des anciens Égyptiens. Le firmament formait en effet une sorte de Nil étroit, sur lequel naviguaient les dieux. Il faut espérer que Thoutmos III s’est mêlé depuis longtemps au cortège divin, car on lui a maintenant enlevé ses rames, et il ne lui serait plus possible aujourd’hui de le rejoindre et de le suivre dans ses évolutions surnaturelles.

Deux momies, celles de la princesse Sitamon et celle de la royale fille, royale sœur Mashonttimihou, nous réservaient une singulière surprise. Ce sont des momies postiches. La première se compose d’un paquet de bâtons de un mètre vingt de longueur, surmonté probablement d’un crâne d’enfant et enveloppé de manière à présenter l’apparence d’un corps humain. La seconde n’est pas moins habilement faite. Si les Arabes n’avaient pas eu l’idée de pratiquer un trou dans le maillot pour la fouiller, personne n’aurait deviné la supercherie. Un morceau de cercueil à vernis jaune de la XXe dynastie, accompagné de quelques miroirs et de quelques menus objets, tient lieu du corps de la royale épouse, royale sœur Mashonttimihou un paquet de chiffons reproduit sa tête ; un autre paquet de chiffons ses pieds. Décidément il faut se méfier des Égyptiens ! Tout étant figure pour eux, à défaut d’une momie véritable une figure de momie leur suffisait. Leurs inscriptions mêmes risquent souvent de nous induire en erreur. Un cercueil renferme la momie de la reine Mâkerî et de la princesse Moutemhât. Cette dernière n’est qu’une enfant ; il est clair que la reine Mâkerî est morte en lui donnant le jour. Néanmoins, la petite Moutemhât, qui n’a peut-être eu que quelques heures d’existence, porte tous les titres de sa mère et en particulier celui de Royale épouse principale. M. Naville, dit M. G. Maspero, croit reconnaître dans ces mots l’indication d’une fonction sacerdotale[2] ; il me semble qu’ils font partie d’un protocole royal et marquent simplement la descendance de la famille Ramesside. Toute princesse qui naissait dans une famille recevait, dès la naissance, tous les titres qui devaient être siens un jour. Moutemhât n’a pas plus été épouse royale qu’elle n’a été quoi que ce soit sur cette terre. Mais l’usage voulait qu’elle eût cette dignité de naissance, et elle l’a eue. Le fait est bon a noter, car il montre à. quelles erreurs on est exposé lorsqu’on spécule sur certaines indications des monuments. Si nous, n’avions pas la momie de Moutemhât, aurions-nous jamais supposé qu’elle était née morte ? Quelqu’un n’aurait-il pas été tenté de la marier et de lui attribuer des enfants ? M. G. Maspero fait une remarque du même genre au sujet de quelques personnages qui portent le titre de fils royaux de Ramsès. De même que la famille des Ramessides se perpétuait en des reines qui transmettaient à leurs enfants des droits héréditaires, elle se perpétuait en des princes qui avaient quelques-uns des titres et des honneurs de la royauté. Un Ramsès de cette famille n’avait pas besoin de porter l’uræus et la double couronne pour que ses fils fussent qualifiés de fils royaux, pas plus que la petite Moutemhât n’avait besoin d’arriver à l’âge de puberté pour recevoir l’épithète d’épouse royale. Ainsi donc, dès la plus haute antiquité, les épithètes ont été trompeuses, et il ne faut s’y fier qu’avec la plus extrême discrétion.

La trouvaille de Déir-el-Bâhârî n’a pas servi seulement à mettre en lumière la décadence de. Thèbes sous la XXe dynastie et à jeter un jour nouveau sur quelques points encore obscurs de l’histoire d’Égypte ; elle a donné en outre une confirmation de plus à la belle et féconde théorie au moyen de laquelle M. G. Maspero, a expliqué l’idée que les anciens Égyptiens se faisaient de l’âme et de son existence au delà de ce monde. Cette théorie est connue ; il serait d’ailleurs trop long de l’exposer ici. Je rappellerai seulement que l’homme se composait pour eux de deux parties, le corps et une substance à peine moins matérielle que le corps lui-même, qui avait tous les traits et tous les attributs de l’individu vivant, qu’il fallait loger, nourrir, habiller comme lui. Cette substance nommée le ka ou le double était en effet une sorte de fantôme, une sorte de représentation, de dédoublement de la personne humaine, qui subsistait après la mort terrestre, mais dont l’existence était subordonnée à celle d’un support matériel sur lequel elle pouvait continuer à s’appuyer, comme dans la vie de ce monde elle s’appuyait sur le corps. Le support était d’abord et surtout la momie, ce qui explique le mal qu’on se donnait afin de lui assurer une durée aussi considérable que possible. Mais, si la momie venait à disparaître, détruite par une cause quelconque, il restait encore au ka la ressource de se réfugier dans les statues du défunt, dont on remplissait à cet effet le tombeau. L’exemple de Sitamon et de Mashonttimihou nous prouve qu’à défaut de momie véritable, le ka savait même se contenter d’une momie postiche à laquelle on s’appliquait à conserver la forme humaine. Les voleurs de la nécropole de Thèbes avaient sans doute dispersé les ossements des deux princesses ; on s’en aperçut dans une des nombreuses inspections que les grands prêtres d’Ammon faisaient exécuter dans les tombes : La religion n’admettait pas, dit M. G. Maspero, que l’âme désincarnée pût vivre pleinement dans l’autre monde, si le corps qu’elle avait eu pendant sa vie terrestre venait à disparaître complètement. Faute d’avoir le corps réel, les commissaires chargés d’inspecter les tombes et de les restaurer, prirent le parti de fabriquer à Sitamon et à Mashonttimihou des apparences de corps. Un morceau de cercueil brisé simula lé buste de Mashonttimihou, un tas de chiffons la tête, un tas d’autres chiffons les pieds, puis le tout, dûment emmailloté, fut déposé dans le cercueil restauré tant bien que mal. On refaisait un corps à Sitamon et à Mashonttimihou, comme on restaurait le maillot de Ramsès II ; l’une et l’autre opération avaient pour but de réparer l’enveloppe dont l’âme avait besoin pour subsister, et qu’un accident quelconque avait compromise.

Singulière immortalité, en vérité, que celle du ka égyptien ! Immortalité bien fragile, puisqu’elle dépendait de la persistance du corps ! Immortalité bien figurée, puisqu’à la place du corps une apparence de corps pouvait encore lui suffire ! La nature de cette immortalité répondait aux conditions dans lesquelles elle se produisait. C’était une immortalité matérielle, l’existence d’outre-tombe étant soumise aux mêmes besoins, aux mêmes nécessités que celle de ce monde-ci. C’est pour cela qu’on entourait le mort d’un mobilier si complet, et qu’on plaçait auprès de lui ces innombrables statuettes en terre bleue dont la cachette de Déir-el-Bâhârî nous a donné trois mille échantillons. Ces statuettes étaient des serviteurs chargés de servir le défunt et d’accomplir pour lui les travaux de l’autre vie. C’est également pour cela qu’on mettait dans ces tombeaux des objets de toilette, des repas entiers, des gigots, du vin, des fruits comme ceux qu’on a trouvés autour de la reine Isimkheb. Ne fallait-il pas que le ka de la reine pût revêtir les immenses perruques que celle-ci portait de son vivant, et se nourrir des vivres qu’elle mangeait ici-bas ? Il n’y avait d’autre différence entre la première et la seconde existence, sinon que la seconde se passait sous terre loin des regards de tous. Mais d’ailleurs, elle était remplie des mêmes occupations, des mêmes soins, des mêmes travaux. Les peintures que nous voyons sur les tombes n’en sont pas seulement le tableau, la reproduction, ils la constituent en quelque sorte. Ne pouvant pas donner toujours au mort des objets réels, on lui en donnait l’image, et cela faisait fout comme. Le double, dit M. G. Maspero dans son Étude sur quelques peintures et sur quelques textes relatifs aux funérailles, le double, enfermé dans sa syringe, se voyait, sur la muraille, allant à la chasse, et il allait à la chasse, mangeant et buvant avec sa femme, et il mangeait et buvait avec sa femme, traversant, sain et sauf, avec la barque des dieux, les horribles régions de l’enfer, et il traversait sain et sauf les horribles régions de l’enfer. Le labourage, la moisson, la grangée des parois étaient pour lui labourage, moisson et grangée réels. De même que les figurines funéraires déposées dans sa tombe exécutaient pour lui tous les travaux des champs, sous l’influence d’un chapitre magique, et s’en allaient, comme dans la ballade de Gœthe le pilon de l’apprenti magicien, puiser de l’eau ou transporter les grains, les ouvriers de toutes sortes, peints dans les registres, fabriquaient des souliers et cuisaient pour le défunt, le menaient à la chasse dans le désert ou à la pèche dans les fourrés de papyrus. Après tout, ce monde de vassaux plaqués sur le mur était aussi réel que le double ou l’âme dont il dépendait ; la peinture d’un serviteur était bien ce qu’il fallait à l’ombre d’un maître. L’Égyptien croyait, en remplissant sa tombe de figures, qu’il s’assurait, au delà de la vie terrestre, la réalité de tous les objets et de toutes les scènes représentées ; c’était là ce qui l’encourageait à construire un tombeau de son vivant. Les parents, en s’acquittant des cérémonies à sens mystérieux qui accompagnaient l’enterrement, croyaient faire bénéficier le défunt de leurs actes ; la certitude d’avoir rendu service à quelqu’un qui leur avait été cher les consolait et les soutenait au retour du cimetière, quand, le convoi terminé, le mort, enfin seul dans son caveau, restait en possession de son domaine imaginaire.

Hélas ! grâce aux malheurs des temps, grâce à la décadence d’un pays que quelques-uns d’entre eux avaient fait si, grand, les rois de Déir-el-Bâhârî n’ont eu durant des siècles qu’une partie des avantages de la vie d’outre-tombe. Les murs nus de leur cachette ne contenaient aucune représentation de chasse, de pêche ou de festins auxquels ils pussent prendre part, et si nombreuses que fussent les figurines de terre bleue, elles ont certainement dû se fatiguer au .service de tant de princes et de princesses.

Quant aux repas, ils ont encore plus fait défaut que les serviteurs à cette cour souterraine. Durant trois mille ans, tous les hôtes de Déir-el-Bâhârî n’ont eu à se partager que les vivres de la reine Isimkheb. Heureusement les ombres de souverains n’ont sans doute qu’une ombre d’appétit. Mais la réunion en un lieu si restreint d’une si grande quantité de doubles, et de doubles si illustres, n’a pu manquer d’amener les scènes les plus étranges, les plus fantastiques. Les doubles de Thoutmos III et de Ramsès II, qui avaient porté si haut et si loin la gloire de l’Égypte, n’ont pu vivre si longtemps à côté de ceux des grands prêtres et des Ramessides qui l’avaient laissée s’éclipser si profondément sans accuser ceux-ci d’avoir ruiné leur œuvre. Il y a eu assurément, dans cette grotte obscure, des plaintes, des récriminations mutuelles, un murmure séculaire de reproches et de regrets, jusqu’au jour où les pas des fellahs sont venus effacer tous ces bruits et arracher toutes ces ombres à leur dernier refuge.

Je m’arrête. Je n’ai pas eu la prétention d’écrire une véritable étude sur la trouvaille de Déir-el-Bâhârî. Cette étude ne sera pas possible avant que tous les documents de genres si divers qu’elle nous a -fournis aient été examinés un à un avec le plus grand soin, ni avant que M. G. Maspero ait visité dans toutes ses parties et sondé dans tous ses recoins la cachette où ils étaient enfermés. Peut-être y trouvera-t-il quelque inscription qui nous expliquera la raison du transfert de tant de momies en une seule place, raison que, pour l’instant, nous sommes réduits à deviner. Peut-être aussi, pourvu qu’il se décide à dérouler les momies, rencontrera-t-il sur-elles quelques renseignements utiles. Il faudra du temps encore pour apprécier toute l’importance d’une découverte dont nous n’avons guère éprouvé jusqu’ici que la surprise. Mais il m’a paru intéressant de la signaler sans me permettre de la juger, en me bornant à dire ce qu’elle est, ce qu’elle a tenu et ce qu’elle promet.

 

 

 



[1] Gaston Maspero, Études égyptiennes (tome 1, 2e fascicule).

[2] Sur trois reines de la XXe dynastie, dans la Zeitschrift, 1878, p. 29-32.