LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

XXVI

 

Le président Monroë offre un bateau de l'Etat pour transporter La Fayette aux Etats-Unis (7 février 1824). — Départ de La Fayette avec son fils Georges et son secrétaire Levasseur (11 juillet). — Embarquement au Havre sur le Cadmus (13 juillet). — Arrivée à New-York, le 15 août 1824. — Entrée solennelle dans la ville et réception enthousiaste (16 août). — La Fayette est l'hôte de la nation. — Départ de New-York (20 août). — Il assiste à deux services divins à New-London. — Entrée dans Boston (24 août). — Visite à l'Université de Cambridge et discours d'Edward Everest (26 août). — Visite du champ de bataille de Bunker's Hill et allocution de La Fayette (27 août). — Visite à John Adams, retiré à Quincy (28 août). — Revue et banquet (30 août). — Il quitte Boston, le 31 août, et passe par Lexington, Concorde, Salem, Marble-Head et New-Buryport. — Empressement des dames de Portsmouth (1er septembre). — Les élèves d'Hartfort lui remettent une médaille en or (4 septembre). — Retour à New-York (5 septembre). — Le colonel Muir lui offre une épée richement ciselée (10 septembre). — Réception maçonnique des chevaliers du Temple (11 septembre). — Fête de nuit et bal dans le fort abandonné de Castle-Garden (13 septembre). — Témoignage de Fenimore Cooper. — Lettre à Mathieu Dumas (21 septembre). — Départ de New-York (23 septembre). — Visite à Joseph Bonaparte (26 septembre). — Voyage en Pensylvanie (27 septembre). — Entrée dans Philadelphie (28 septembre). — Réception dans la salle de la Déclaration de l'indépendance. — Banquets et réceptions. — Départ de Philadelphie (5 octobre). — Arrivée à Baltimore (6 octobre). — Il débarque sous la tente de Washington. — Arrivée à Washington (12 octobre). — Le président Monroë le reçoit au Capitole. — Visite au tombeau de Washington, à Mount Vernon (17 octobre). — Remise d'un anneau d'or contenant des cheveux du président. — Discours de Custis. — Scène émouvante. — Célébration, à York-Town, de l'anniversaire de la prise de cette ville (19 octobre). — Harangue du général Taylor. — Visite à Williamsburg, James-Town, Norfolk, Portsmouth (20 au 23 octobre). — Arrivée à Richmond et réception au Capitole (24 et 25 octobre). — Nouvelle de la mort de la princesse d'Hénin. — Fête maçonnique et toast de La Fayette (30 octobre). — Visite à Jefferson dans sa demeure de Monticello (3 novembre). — Il se repose auprès de son ami et assiste à un banquet, à Charlotteville. — Visite à Madison dans sa demeure de Montpellier (15 novembre). — Retour à Washington (21 novembre). — Il reçoit des chefs indiens. — Ouverture de la session du Congrès et message du président Monroë sur le voyage de La Fayette. — Proposition d'une dotation et d'une réception solennelle (9 décembre). — Réception solennelle au Capitole, le 10 décembre, discours de Henry Clay et réponse de La Fayette. — Don fait par le Congrès au général de 200.000 dollars et d'un terrain de 24.000 acres. — Banquet et toasts (1er janvier 1825). — Election de John-Quincy Adams à la présidence des Etats-Unis (9 février). — La Fayette félicite le nouveau président. — Départ de Washington, le 23 février. — Il passe par Norfolk, Halifax et Raleigh (25 au 28 février). — Arrêt à Fayetteville et réception enthousiaste (4 mars). — Pose de la première pierre, à Camden, du monument du général Kalb (10 mars). — Il se trouve à Colombia, le 11 mars, et à Charlestown, le 15. — Il revoit Francis Huger. — Séjour à Savannah et pose de la première pierre du monument en l'honneur des généraux Greene et Pulawski (19 et 21 mars). — Visite d'Achille Murat. — Il passe par Augusta, Milledgeville, Mâcon et Indian-Agency (25 au 29 mars). — Conférences avec les Indiens. — Fête donnée par la tribu du chef Mac-Kintosh (31 mars). — Arrivée et séjour à la Nouvelle-Orléans (8 au 15 avril). — Voyage sur le Mississipi. — Arrêt à Natchez (18 avril). — Lettre à Dupont de l'Eure et remerciements à Béranger de sa chanson La Fayette en Amérique. — Arrivée à Saint-Louis (29 avril). — Réception, à Nashville, par le général Andrew Jackson (4 mai). — Naufrage du vapeur l'Artesian sur l'Ohio, dans la nuit du 8 au 9 mai. — La Fayette et tous les passagers sont sauvés. — Continuation du voyage sur le Paragon. — Passage à Louisville, Frankfort. Versailles et Lexington. — Arrivée à Cincinnati, le 19 mai, et éloquente harangue du général Harrison. — Entrée en Pennsylvanie (22 mai). — Gallatin le reçoit dans sa résidence de New-Geneva près d'Uniontown (27 mai). — Arrêt à Pittsburg (29 mai). — Visite à Erié, Buffalo, Manchester, aux chutes du Niagara, à Syracuse et Utica. — Arrivée à Albany (12 juin) et à Boston (15 juin). — Réception maçonnique. — Fête de l'anniversaire de Bunker's-Hill (17 juin). — Discours de Daniel Webster. — Toast de La Fayette. — Diner de la Société des artisans (20 juin). — Visite à John Adams. Départ de Boston (22 juin). — Visite aux villes de Concorde, Dorer et Hennebanck. — Réception à Portland (25 juin). — L'Académie de cette ville lui confère le titre de docteur en droit. — Il s'embarque à Burlington (28 juin). — Visite à Whitehall (30 juin). — Arrivée à New-York (3 juillet). — Célébration de l'anniversaire de la déclaration de l'indépendance (4 juillet). — Voyage en Pennsylvanie (14 juillet). — Visite à Joseph Bonaparte. — Séjour à Philadelphie. — Visite au champ de bataille de Brandywine (25 juillet). — Arrivée à Baltimore (30 juillet) et Washington (10 août). — Il est l'hôte du président John-Quincy Adams. — Visite à Monroë (7 août) et à Jefferson, à Monticello. — Le président lui offre la frégate la Brandywine pour le transporter en France et La Fayette accepte. — Lettre à Bolivar (1er septembre). — Diner chez le président et toasts (6 septembre). — Départ de La Fayette sur le vapeur le Mount-Vernon (7 septembre). — Eloquents adieux de John-Quincy Adams et réponse de La Fayette. — Embarquement sur la frégate la Brandywine et départ. — Arrivée en vue du Havre (3 octobre). — Débarquement dans ce port et remise par les marins à La Fayette du drapeau américain qui flottait à l'arriéré du navire (4 octobre 1825).

 

Dès le 7 février 1824, James Monroë, président des États-Unis, avait transmis à La Fayette la résolution prise par le Congrès de mettre à sa disposition un vaisseau de l'État pour le transporter en Amérique, dès qu'il aurait décidé son voyage. Au mois d'avril, La Fayette avait décliné l'offre du navire, mais avait annoncé que l'été ne se passerait pas sans qu'il eût la satisfaction de s'embarquer pour les États-Unis. En effet, le 11 juillet 1824, le général quitta Paris avec son fils, son secrétaire Levasseur et son fidèle serviteur Bastien. Ils arrivèrent, le 12, au Havre, et ils s'embarquèrent. le 13, à midi, sur le Cadmus, bâtiment de commerce américain. Une foule de citoyens assista au départ et acclama La Fayette, malgré les mesures prises par la police.

Après une heureuse navigation, le Cadrans aborda à New-York le dimanche 15 août 1824[1]. En raison du repos dominical, La Fayette descendit à Staten-Island, chez M. Thompkins, vice-président des États-Unis, et on remit au lendemain l'entrée solennelle. Le 16 août, le Cadrans, escorté par deux bateaux à vapeur et par de nombreuses embarcations pavoisées, amena l'illustre voyageur sur le quai, à deux heures de l'après-midi. La Fayette fut conduit à l'Hôtel de ville, où le maire harangua l'hôte de la nation :

Le peuple des Etats-Unis vous regarde comme un de ses enfants les plus chers, et j'espère, général, que sa conduite prouvera l'erreur de ceux qui prétendent qu'une République est toujours ingrate pour ses bienfaiteurs.

Plus de deux cent mille personnes l'avaient acclamé sur son passage ; de nombreux citoyens se pressaient dans l'Hôtel de ville pour voir le héros de la guerre de l'indépendance. Il fut comme livré à l'adoration du peuple. C'était son cœur qui parlait quand il répondait au maire :

C'est l'orgueil de mon cœur d'avoir été un des premiers fils adoptifs de l'Amérique. Je suis fier d'ajouter qu'il y a quarante ans j'ai été particulièrement honoré du droit de cité de cette ville.

 

Pendant quatre jours, ce ne furent que fêtes, réceptions, banquets, bals, où les marques les plus touchantes de vénération et d'affection furent données à La Fayette. L'hôte de la nation, tel il fut pendant tout son séjour aux États-Unis. Le 20 août, au bruit de l'artillerie du fort La Fayette, les voyageurs quittèrent New-York, escortés par une foule de citoyens jusqu'à New-Rochelle. Ils traversèrent Fairfield, New-Haven et New-London, dans le Connecticut, Providence, dans le Rhode-Island. Partout, les vivats l'accueillaient ; partout, on passait sous des arcs de triomphe où les noms de Washington et de La Fayette étaient inscrits. New-London, le général, pour ne blesser en rien les habitudes de cet excellent peuple, voulut assister au service divin, mais les congrégationalistes et les épiscopaux se disputèrent à qui offrirait son temple. La Fayette, voulant contenter tout le monde, alla dans les deux temples et entendit deux sermons, dans lesquels les pasteurs rivalisèrent de flatteries et d'éloges.

Le 24 août, La Fayette entra dans Boston, où il fut reçu par le gouverneur Eustis. Le 25, il visita l'Université de Cambridge, au milieu d'une foule où les dames se montraient empressées à le voir. Edward Everett prononça un discours sur les circonstances favorables au progrès de la littérature en Amérique[2], et il termina en souhaitant la bienvenue au général, qui ne retrouvait plus ses compagnons de lutte, ni le premier des héros et des hommes, l'ami de sa jeunesse, le sauveur de la patrie, qui repose au sein de la terre qu'il a affranchie :

Mais les enfants reconnaissants de l'Amérique vous souhaitent la bienvenue en son nom. Bienvenu, trois fois bienvenu soyez-vous sur nos rivages ! et en quelque endroit que vous dirigiez vos pas, d'un bout à l'autre des limites du continent, l'oreille qui vous entend vous bénira, l'œil qui vous voit vous rendra témoignage, et chaque langue s'écriera avec joie : Vive, vive La Fayette !

Le 27 août, La Fayette visita le champ de bataille de Bunker's-Hill et prononça une patriotique allocution :

C'est avec un profond respect que je foule cette terre sainte, où le sang des patriotes américains, le sang de Warren et de ses compagnons, glorieusement versé, a ranimé l'énergie de trois millions d'hommes, assuré le bonheur de dix millions qui vivent maintenant, et de tant d'autres millions à naître. Ce sang a appelé les deux continents américains à l'indépendance républicaine, a éveillé chez les nations de l'Europe le besoin de leurs droits et en a, je l'espère, assuré l'exercice pour l'avenir. Tels ont été les résultats de cette résistance à l'oppression, que quelques prétendus sages de cette époque ont appelée imprudente, quoiqu'elle fût un devoir, une vertu, et qu'elle ait été le signal de l'émancipation du genre humain !

 

Ainsi l'ami et l'élève de Washington rendait un solennel hommage aux premiers héros qui avaient versé leur sang pour l'indépendance américaine.

Le 28 août, La Fayette alla rendre visite au successeur de Washington, John Adams, retenu à Quincy par son grand âge et par ses infirmités, et auquel était réservée la joie suprême de voir son fils élevé à la présidence des États-Unis. Les deux amis s'embrassèrent et dinèrent ensemble ; Adams, courbé sous le poids de ses quatre-vingt-neuf ans, incapable de sortir de sa chambre, se sentit rajeunir par l'évocation des souvenirs de l'époque héroïque, et La Fayette, toujours vert malgré ses soixante-sept printemps, revivait sa vingtième année.

Le 30 août, une grande revue et un banquet de douze cents couverts complétèrent cette triomphale réception des habitants de Boston. Le lendemain 31, La Fayette partit p6ur se rendre aux invitations des villes de Lexington, Concorde, Salem, Marble-Head et New-Buryport. Partout, les illuminations et les banquets se succédaient. Le 1er septembre, à Portsmouth, quatre cents dames se firent présenter au général, qui n'avait rien perdu de sa galanterie d'autrefois. On revint à Boston le 2 septembre, puis on repartit pour Hartford, où, le 4, les élèves des écoles remirent une médaille en or au général puis, sur un vapeur, les voyageurs rentrèrent, le 5 septembre, dans le port de New-York. Pendant huit jours, ce furent des fêtes inoubliables. Le 9, dans l'église Saint-Paul, on le reçut au son de cette Marseillaise, proscrite en France. Le 10, le colonel Muir, colonel du 9e d'artillerie, lui offrit une épée richement ciselée. Le 11, les chevaliers du Temple lui firent une réception maçonnique. Enfin, le 13, la ville de New-York donna à La Fayette une fête de nuit et un bal dans le fort abandonné de Castle-Garden, élevé sur une He artificielle. Le coup d'œil était féerique ; chacun voulait adresser un dernier adieu au héros ; Fenimore Cooper, qui assistait à cette grandiose manifestation, a témoigné de l'enthousiasme de ses compatriotes et des honneurs rendus à l'hôte de la nation[3].

La Fayette, tout habitué qu'il fût à la gloire, était profondément ému de ces témoignages d'admiration ; mais il ne savait comment répondre aux invitations qui lui parvenaient de toutes parts. Il en exprimait le regret avec cette bienveillance qui charmait tous les cœurs[4]. Malgré ces fêtes incessantes, il écrivait à sa famille et à ses amis. De New-York, le 21 septembre, il mandait à son vieux compagnon d'armes Mathieu Dumas :

Quelle que fût mon attente sur les miracles produits ici par quarante-huit ans d'indépendance, d'instruction civique et de liberté, ils dépassent tout ce que j'aurais pu imaginer. Que serait aujourd'hui la France si notre révolution de 89 avait conservé son impulsion primitive ?[5]

Le 23 septembre, La Fayette quitta New-York et dut s'arrêter à Bergen, Newark, Elisabeth-Town, Rahway, New-Brunswick, Princeton et Trenton. Le dimanche 26, il alla visiter, dans sa demeure de Bordenton, Joseph Bonaparte, qui vivait avec sa fille et son gendre, le prince de Canino. Ils dînèrent ensemble, échangeant les souvenirs d'une époque où le frère de Napoléon était au faîte des grandeurs. Sur cette terre d'exil, le prince déchu et le héros triomphant s'embrassèrent en se quittant.

Le 27 septembre, les voyageurs poursuivirent leur route ; ils pénétrèrent en Pennsylvanie, s'arrêtant à Morrisville, à Bristol, à l'arsenal de Frankfort, et, le 28, ils firent leur entrée dans Philadelphie. La Fayette fut reçu dans la salle où avait été proclamée l'indépendance des États-Unis, au pied de la statue de Washington. Ces grands souvenirs et la présence d'un des héros de cette glorieuse épopée soulevaient un enthousiasme indescriptible. Justement ému de voir un peuple entier presque à ses genoux, l'illustre vieillard dut, pendant plusieurs heures, serrer les mains de tous ces braves citoyens, fiers de contempler ses traits. Pendant huit jours, les illuminations, les banquets, les réceptions maçonniques se succédèrent. La Fayette eut grand plaisir à revoir un de ses anciens compagnons d'armes, Duponceau, aide de camp de Steuben, et le général Bernard, que l'ingratitude de ses compatriotes avait forcé à se réfugier en Amérique.

Le 5 octobre 1824, les voyageurs s embarquèrent, à huit heures du soir, sur la Delaware, et ils arrivèrent à onze heures, à Chester ; on les accueillit dans la salle où La Fayette avait, en 1777, reçu les premiers soins après sa blessure au combat de Brandvwine. Le 6, ils dînèrent à Wilmington ; le 7, à Frenchtown, il revit Dubois-Martin, qui, en 1777, avait acquis pour lui le navire la Victoire, et qui portait gaillardement ses quatre-vingt-trois ans. Enfin, le même jour, il débarqua à Baltimore et fut reçu sous la tente de Washington, que Custis, petit-fils adoptif du président, avait eu l'heureuse idée de faire dresser. Les harangues, les banquets, les bals, remplirent les quatre jours consacrés à cette ville. C'est tous les jours, écrivait La Fayette, le 10 octobre, une nouvelle manière de prouver la plus tendre affection publique. Le 11, il fallut s'arracher à  ces ovations réitérées, et, le 12, on arriva à Washington. Au Capitole, le président Monroë, reçut solennellement La Fayette ; il l'embrassa et lui exprima la gratitude, le respect et l'affection de toute la nation. Le 13, il lui offrit un dîner. Après une visite à George-Town, on partit, le 16, pour aller coucher à Alexandrie. Le lendemain, 17 octobre, La Fayette s'arrêta à Mount-Vernon, où tant de doux souvenirs s'alliaient à d'éternels regrets. Il visita le tombeau où dormait le fondateur de la république des États-Unis ; sur le seuil, Custis lui présenta un anneau d'or renfermant des cheveux de Washington et lui dit :

Vous qui, de tous les généraux de l'armée de l'indépendance, restez seul survivant au milieu de nous, à ce moment solennel et touchant où vous venez vous courber avec respect devant les restes de Washington, un des enfants de Mount-Vernon vous offre l'anneau qui renferme les cheveux de celui que vous avez aimé. L'anneau a toujours été l'emblème de l'union des cœurs : que celui-ci unisse les affections de tous les Américains à votre postérité ! Dans la suite des temps, il rappellera à vos descendants les vertus de leur illustre ancêtre, qui le reçut non dans un palais, mais sur le tombeau de Washington.

La Fayette, trop ému pour faire un discours, remercia en quelques mots :

Les sentiments qui oppressent mon cœur m'ôtent la faculté de rien exprimer. Je ne puis, mon cher Custis, que vous remercier de votre précieux don et rendre un silencieux hommage au tombeau du plus grand et du meilleur des hommes.

 

Alors il descendit, seul, les marches du caveau et se prosterna. Il remonta. les yeux mouillés de larmes, et fit entrer dans le tombeau son fils et son secrétaire.

A cette émouvante visite succéda une cérémonie militaire des plus imposantes ; le 19 octobre, La Fayette assista, à York-Town, à la célébration de l'anniversaire de la prise de cette ville. En posant une couronne sur la tête du héros, le général Taylor lui dit :

En présence des citoyens, défenseurs de la Virginie, et sur cette redoute, théâtre de sa valeur, j'offre à La Fayette cette couronne tressée pour un double triomphe : dans les combats il fut un héros et, dans la vie civile, le bienfaiteur du monde.

Le 20 octobre, les voyageurs passèrent à Williamsburg, et le 22 à James-Town et à Norfolk. De cette dernière ville, ils allèrent, le 23, visiter Portsmouth, et rentrèrent à Norfolk, où on leur offrit une réception maçonnique et un bal. Le 24 octobre, ils arrivèrent à Richmond ; le 25, on acclama La Fayette au Capitole. Son séjour dans cette cité fut attristé par la nouvelle de la mort de sa vieille et fidèle amie la princesse d'Hénin. Le 30, à une grande fête maçonnique, après avoir entendu la Marseillaise, le général porta le toast suivant :

Liberté, égalité, philanthropie, véritables symboles maçonniques. Puisse la pratique de ces principes nous mériter toujours l'estime de nos amis et l'animadversion des ennemis du genre humain !

Le 31 octobre, La Fayette visita Petersburg : puis il revint à Richmond, d'où il partit, le 3 novembre, pour Monticello. Il fut reçu avec effusion par Thomas Jefferson, qui attendait, depuis longtemps, la venue de son ami[6]. L'illustre citoyen avait quatre-vingt et un ans, et vivait dans la retraite. Son âge et ses infirmités ne lui permettaient plus d'autre horizon que celui de son jardin. Ils prirent leur repas dans une salle à manger ornée des bustes de Washington, de Franklin, de La Fayette et de Paul Jones ; ils évoquèrent leurs souvenirs de jeunesse dans un salon magnifiquement décoré de tableaux du Poussin, de Raphaël, de Rubens et du Guide. La Fayette prit à Monticello un repos nécessaire. Toutefois, il visita l'Université de Charlotteville, que créait Jefferson, et il assista à un banquet, où celui-ci rappela en termes touchants les services rendus par son ami et prononça ces caractéristiques paroles : Nous tenions le clou, mais c'est lui qui l'enfonçait.

De Monticello, il se rendit, le 15 novembre, à Montpellier, demeure de l'ex-président James Madison, et il y passa quatre jours. Puis, il revint, le 21, à Washington, après avoir visité, la veille, Fredericksburg[7]. Le 22, il alla assister, à Baltimore, à la fête des fermiers du Maryland, rentra à Washington, où des chefs indiens lui apportèrent leurs compliments et leurs vœux, repartit passer à W00dlaw quatre jours chez Mme Lewis, nièce de Washington, et revint encore une fois à Washington, le 8 décembre 1824. Le Congrès avait ouvert la session, le 6, et dans son message, le président Monro6 avait rendu compte de la visite de La Fayette. Il disait :

Un sentiment unanime à son égard s'est manifesté sur tous les points de l'Amérique, et de tous les Etats il a reçu des invitations de vouloir bien les visiter. Partout où il s'est montré, la population des environs s'est réunie pour le recevoir et l'honorer. Partout il éveille le plus vif intérêt en appelant les regards sur les héros survivants de notre révolution, qui en ont partagé avec lui les travaux et les dangers, et que le temps a épargnés jusqu'à présent... D'après ces motifs, j'invite le Congrès à prendre en considération les services qu'il a rendus, les sacrifices qu'il a faits, les pertes qu'il a éprouvées, et à voter en sa faveur une dotation, qui réponde dignement au caractère et à la grandeur du peuple américain.

Le 9 décembre, la résolution suivante fut adoptée à l'unanimité par le Congrès :

Le général La Fayette sera publiquement félicité par la Chambre de ce qu'il a accédé aux désirs du Congrès qui l'appelait aux Etats-Unis. Assurance lui sera donnée de la gratitude et du profond respect que la Chambre conserve pour les éminents services qu'il a rendus pendant la Révolution et du plaisir qu'elle éprouve à le revoir, après une aussi longue absence, sur le théâtre de ses exploits. A cet effet, le général La Fayette sera invité par une commission à se rendre dans le sein de la Chambre, vendredi prochain, à une heure. Il sera introduit par la commission, reçu par les membres debout et découverts, et harangué par l'orateur.

En effet, le 10 décembre, La Fayette fut solennellement reçu au Capitole par le Congrès et harangué par Henry Clay. D'une voix sonore, le héros de la fête répondit, en anglais :

L'approbation du peuple américain et de ses représentants pour ma conduite dans les vicissitudes de la révolution européenne est la plus grande que je pusse recevoir. Certes, je puis me tenir ferme et la tête levée, lorsqu'en leur nom, et par vous, Monsieur le président, il est solennellement déclaré que, dans chaque occasion, je suis resté fidèle à ces principes américains de liberté, d'égalité et de véritable ordre social, auxquels je me suis dévoué dès ma jeunesse et qui, jusqu'à mon dernier moment, seront pour moi un devoir sacré.

 

Après cette brillante réception, La Fayette se rendit. le 16 décembre, sur l'invitation de la législature de l'Etat de Maryland, à Annapolis, et il ne rentra que le 21 à Washington, en passant par Frederikstown. C'est alors qu'on lui notifia la décision du Congrès qui lui faisait don de 200.000 dollars et d'un terrain de 24.000 acres. La Fayette, ému de tant de générosité, ne crut pas devoir refuser ce témoignage de la reconnaissance publique. Il passa dans la capitale la fin de 1824. Le Congrès commença la nouvelle année 1825, en offrant à La Fayette une fête et un banquet. Le président Monroë, qui ne paraissait jamais dans les cérémonies de ce genre, y assista. On y porta au général le toast suivant :

Au grand apôtre de la liberté, que n'abattirent point les persécutions de la tyrannie, que l'amour des richesses n'influença pas, que ne purent séduire les applaudissements populaires. Il fut toujours le même, dans les fers d'Olmütz, dans ses divers travaux, au faîte de la puissance et de la gloire.

La Fayette répondit par ces mots :

A l'union perpétuelle entre les Etats-Unis. Elle nous a déjà sauvés dans des temps d'orage ; un jour, elle sauvera le monde !

Le générai était encore à Washington quand eut lieu l'élection du président en remplacement de Monroë. Après un premier scrutin, où aucun des quatre candidats, John-Quincy Adams, Andrew Jackson, Crawford et Henry Clay, n'eut la majorité, la Chambre dut choisir elle-même entre les trois premiers. Le 19 février 1825. John-Quincy Adams réunit les suffrages, et La Fayette se réjouit de l'élévation de cet ami dévoué. Le 23 février. les voyageurs se mirent de nouveau en route pour gagner Boston, où ils avaient promis de se trouver le 17 juin, jour anniversaire de Bunker's-Hill. Georges La Fayette avait dressé, avec le général Bernard, l'itinéraire de ce voyage de douze cents lieues. Le 25 février, ils arrivèrent à Norfolk, le 26, à Halifax, le 28, à Raleigh, où ils admirèrent dans la salle du Capitole une statue en marbre de Washington par Canova. Le 4 mars, ils s'arrêtèrent à Fayetteville ; dans cette cité qui portait son nom, il fut reçu avec un enthousiasme que ne put calmer une pluie torrentielle ; on lui disait : Vous êtes ici dans votre ville, dans votre maison, au milieu de vos enfants. Disposez de tout : tout est à vous. Il fallut s'arracher à ces témoignages de tendresse, car le temps pressait. A Cambden, le 10 mars, il assista à la pose de la première pierre du monument de son compagnon d'armes de la première heure, le général baron de Kalb. Le 11, à Colombia, siège du gouvernement de la Caroline du Sud, il fut accueilli avec enthousiasme. Le 15, arrivé à Charlestown, il eut le plaisir de rencontrer Francis Huger, un des auteurs de sa tentative d'évasion et alors colonel de milices. Le 17, il s'embarqua sur un bateau à vapeur et, le 19, il s'arrêta à Savannah. Le 21 mars, il posa la première pierre du monument en l'honneur des généraux Greene et Pulawski, et il reçut la visite d'Achille Murat, accouru exprès de la Floride, et avec lequel il s'entretint de son infortuné père.

Le voyage se poursuivit par Augusta, le 25 mars, Milledgeville, le 28, Macon et Indian-Agency, le 29. On était dans la région des Indiens, et on eut des entrevues avec eux. Le 31 mars, la tribu du chef Mac-Kintosh lui donna une fête. Le 3 avril, La Fayette visita Montgomery, le 7, Mobile, et il arriva à la Nouvelle-Orléans, où des fêtes magnifiques, un diner maçonnique et l'empressement extraordinaire des dames de la ville, le retinrent jusqu'au 15 avril. Il continua ensuite sa navigation sur le Mississipi, et s'arrêta à Natchez, le 18 avril. De son bateau il écrivit, le 22 avril, à Dupont de l'Eure, et remercia Béranger de l'envoi de la chanson qu'il avait consacrée à son voyage, sous le titre de La Fayette en. Amérique. Le 29 avril, La Fayette parvint à Saint-Louis, où le vénérable fondateur de cette cité, Auguste Choteau, l'attendait. Le 4 mai, c'est le général Andrew Jackson qui le reçut à Nasville et lui offrit un dîner, le lendemain. On s'embarqua sur le vapeur l'Artesian, et on naviguait tranquillement sur l'Ohio quand, dans la nuit du S au 9 niai, le bateau coula. La Fayette, son fils et tous les passagers furent recueillis dans des chaloupes ; le général se montra, comme toujours, intrépide devant le danger. Un nouveau navire, le Patagon, recueillit les naufragés et les conduisit à Louisville, puis à Frankfort, Versailles et Lexington. Ils quittèrent cette dernière ville, le 18. et ils arrivèrent, le 19 mai, à Cincinnati. Là, le général Harrison prononça une éloquente harangue :

Heureux mortel ! l'influence de votre exemple s'étendra au delà de la tombe. Votre renommée, associée à celle de Washington, apprendra aux Césars futurs que le sentier du devoir est le seul chemin de la vraie gloire et que le caractère d'un guerrier ne peut être honorable s'il diffère du caractère de citoyen ! Gloire au compagnon de Washington ! à l'ami de Franklin ; d'Adams et de Jefferson ! au dévoué champion de la liberté ! Gloire à La Fayette !

 

Cette patriote cité fit à La Fayette un inoubliable accueil. Les francs-maçons célébrèrent les vertus de leur illustre frère ; les banquets, les bals, les feux d'artifice ne se terminèrent que le 22 mai, jour où les voyageurs montèrent à bord de l'Herald pour entrer en Pennsylvanie. Tour à tour ils visitèrent Washington, Brownsville, Uniontown. où Gallatin emmena le général dans sa résidence de New-Geneva, le 27 mai, Elisabethtown et Pittsburg, où il s'arrêta, le 29, et eut le plaisir de retrouver l'ancien soldat Wilson, qui, le premier, l'avait secouru après sa blessure à la bataille de Brandywine. Le 30 mai, ils partirent pour Erié, Buffalo, Manchester ; ils admirèrent les chutes du Niagara, visitèrent Syracuse et Utica, et entrèrent enfin le 12 juin dans Albany.

La Fayette touchait au terme de ce long voyage, qui durait depuis quatre mois. Le 15 juin, à midi, il arriva à Boston. On ne s'attendait pas à le voir tenir si scrupuleusement sa promesse, et on admirait ce vieillard, qui avait affronté tant de fatigues et parcouru plus de cinq cents milles. pour venir célébrer un glorieux anniversaire. La réception n'en fut que plus enthousiaste, le 16, au Capitole. Le lendemain 17, à sept heures du matin, la grande loge de Massachusetts et deux mille francs-maçons présentèrent leurs hommages à leur illustre hôte ; puis le cortège se forma et se mit en route : La Fayette était dans une superbe calèche traînée par six chevaux blancs. A midi et demi, on arriva à Bunker's-Hill, et La Fayette posa solennellement la première pierre du nouveau monument commémoratif de la bataille et de la mort de Warren. Daniel Webster justifia sa réputation d'orateur en évoquant les héros disparus de la grande lutte, et il mêla à l'éloge des morts celui du survivant. La Fayette. Il s'écria :

Heureux, heureux homme ! Quelles actions de 'grâces ne devez-vous pas 'a la Providence, qui vous a tracé le cercle d'une si belle vie ! Vous appartenez à deux hémisphères, à deux générations. Le ciel voulut que vous transmissiez de nouveau à l'ancien monde une étincelle électrique de liberté. et tous ceux que le devoir et le patriotisme appellent ici ont appris dès longtemps de leurs pères à chérir votre nom et vos vertus.

Heureux en effet, ce vieillard de soixante-sept ans, qui assistait à son apothéose ! Il se rappelait, devant cette foule vibrante d'émotion patriotique, le jour à jamais immortel où il avait prêté, au Champ de Mars, sur l'autel de la Patrie, le serment de vivre et de mourir pour la liberté. Un banquet de quatre mille convives termina cette admirable fête. La Fayette porta le toast suivant :

Bunker's-Hill et la sainte résistance à l'oppression, qui a déjà affranchi l'hémisphère américain. Le toast anniversaire au jubilé du prochain demi-siècle sera : à l'Europe affranchie ![8]

 

Il rentra à Boston, où les ovations continuèrent ; le 20 juin. il assista à un diner offert par la Société des artisans. Il alla rendre une dernière visite à son vénérable ami John Adams, et, le 22, quitta Boston de grand matin. A Concorde, capitale de l'état du New-Hampshire, il fut reçu au Capitole par le général Pierce, et il prit part à un banquet civique, où on but à la sainte alliance de La Fayette et de la liberté. Après s'être arrêté à Dover et à Hennebanck le général parvint, le 25 juin, à Portland : la loge maçonnique lui fit fête et le président de l'Académie lui conféra le titre de docteur en droit. Le 28, à Burlington, il s'embarqua sur le Phénix ; il visita Whitehall, le 30 juin, et fut de retour à New-York le 3 juillet.

Le 4 juillet 1825, La Fayette s'associa à la célébration de l'anniversaire de la déclaration d'indépendance des États-Unis. Il posa la première pierre d'une bibliothèque à Br00k-Line, puis, revenant dans la ville, il assista au service divin, au sermon. à la lecture de la déclaration et à un banquet. Il se reposa quelques jours, et se dirigea ensuite, le 14 juillet, vers la Pensylvanie. Il traversa le New-Jersey, revit Joseph Bonaparte et Achille Murat, et arriva à Philadelphie. Le 20 juillet, il visita le camp de Germantown ; le 21, il alla assister à une pêche dans le petit État de Schuylkill ; le 25, il partit de Philadelphie pour visiter le champ de bataille de Brandywine, témoin de ses premiers exploits ; le 27, il passa par Chester, puis par Lancaster, et arriva à Baltimore, le 30 juillet.

La Fayette partit, le 1er août, pour Washington-City, où il fut l'hôte du président John-Quincy Adams. Le 7, il rendit visite, avec celui-ci, à James Monroë, qui se trouvait à Oak-Hill, et il revint passer quelques jours à Washington. De là, il se rendit à Albemarle, et ensuite, avec Madison et Monroë, à Monticello, faire ses adieux à Jefferson. De retour à Washington, le président lui offrit, pour rentrer en France, une frégate nouvellement construite, la Brandywine, et à laquelle le gouvernement, disait La Fayette, a donné le nom d'un ruisseau au lieu d'une rivière, d'une défaite au lieu d'une victoire, uniquement pour rappeler ma première bataille et ma blessure[9]. Le général accepta et fit ses préparatifs de départ. Le lei septembre, il transmit, de la part de Custis, à Bolivar, un portrait de Washington et une médaille d'or décernée à ce grand homme. Le 6, jour anniversaire de sa naissance, il dîna chez le président. et John-Quincy Adams, dérogeant aux habitudes diplomatiques, porta un toast : Au 22 février et au 6 septembre, jours de naissance de Washington et de La Fayette !

Avec une émotion profonde, le héros répondit : Au 4 juillet, jour de naissance de la liberté des deux hémisphères !

Le 7 septembre 1823, La Fayette et son fils s'embarquèrent sur le Potomac, à bord du vapeur le Mount-Vernon. Une foule immense salua une dernière fois l'hôte de la nation, et le président John-Quincy Adams, digne interprète du sentiment public, adressa à l'illustre ami de Washington un éloquent et émouvant adieu :

Allez, ami que nous chérissons ; retournez vers cette terre du brillant génie, des sentiments généreux et de la valeur héroïque, vers cette belle France, où sont nés Louis XII et Henri IV, vers ce sol fécond. qui produisit Bayard et Coligny, Turenne et Catinat, Fénelon et d'Aguesseau ! Déjà, depuis plusieurs siècles, le nom de La Fayette était inscrit sur le catalogue de ces illustres noms que la France s'enorgueillit d'offrir à l'admiration des peuples. A l'avenir il brillera d'un éclat plus grand encore. Et si, dans la suite des temps, un Français est appelé à indiquer le caractère de sa nation par celui d'un individu de l'époque où nous vivons, le sang d'un noble patriotisme colorera ses joues, le feu d'une inébranlable vertu brillera dans ses veux, et il prononcera le nom de La Fayette !

Et nous aussi nous vous regarderons toujours comme nous appartenant pendant toute la durée de notre vie, comme appartenant à nos enfants après nous. Oui, vous nous appartenez par ce dévouement plus que patriotique avec lequel vous êtes accouru au secours de nos ancêtres pour les arracher au danger qui les menaçait ; vous nous appartenez par cette longue suite d'années, pendant lesquelles vous nous avez aimés pour nous-mêmes, par ce sentiment inaltérable de reconnaissance pour les services que vous nous avez rendus, qui est une des plus précieuses parties de notre héritage. Vous nous appartenez enfin par ces liens d'amitié, plus forts que la mort, qui ont uni à tout jamais votre nom à celui de Washington.

 

John-Quincy Adams parlait le langage de la postérité. L'homme qui, venu sur la terre d'Amérique pour la quatrième fois, allait la quitter pour toujours, était et devait rester, dans la suite des temps, l'enfant adoptif de la grande République.

La Fayette répondit à ce témoignage de gratitude et termina par ces mots :

Je me bornerai, comme je l'ai déjà fait devant vous, Monsieur, et devant cette respectable Assemblée, à confirmer hautement chacun des sentiments que j'ai eu tous les jours l'occasion d'exprimer en public, depuis le moment où votre vénérable prédécesseur, mon vieux frère d'armes et mon ami, m'a transmis l'honorable invitation du Congrès, jusqu'à ce moment où vous, dont les liaisons amicales avec moi datent de notre première jeunesse, vous allez me confier, pour traverser l'Atlantique, à la protection de l'héroïque pavillon national qui flotte sur ce vaisseau magnifique, dont le nom n'est pas une des moins flatteuses faveurs que j'ai reçues en si grand nombre dans ce pays.

Dieu répande ses bénédictions sur vous, Monsieur, et sur tous ceux qui nous entourent ! Qu'il les répande sur le peuple américain, sur chacun des Etats de l'Union et sur tout le gouvernement fédéral ! Recevez cet adieu patriotique d'un cœur plein de reconnaissance, qui sera tel jusqu'au moment où il cessera de battre.

 

Puis, le président et le général s'embrassèrent, les veux mouillés de larmes. Chacun sentait que c'était la séparation définitive, mais chacun aussi était convaincu que l'immortalité commençait pour le héros.

Le Mount-Vernon conduisit les voyageurs jusqu'à l'embouchure du Potomac, où était mouillée la frégate la Brandywine. Ils montèrent à bord, et, le 3 septembre, on leva l'ancre et on gagna la pleine mer. Les vents rendirent la navigation pénible, mais, grâce au commandant Charles Morris, la traversée ne dura que vingt-six jours : le 3 octobre 1825, on arriva en vue du Havre, et, le 4, on prit terre. Au moment du débarquement, les marins offrirent à La Fayette, en souvenir, le drapeau américain qui flottait à l'arrière du navire[10].

 

 

 



[1] Le voyage de La Fayette aux Etats-Unis a fait l'objet de la publication suivante : La Fayette en Amérique, en 1824 et 1825, ou Journal d'un voyage aux Etats-Unis, par A. Levasseur, secrétaire du général La Fayette pendant son voyage : Paris, Baudouin, 1829, 2 vol. in-8°. (Bibl. nat., Ln27 10923.) Cet ouvrage a fourni les principaux éléments de ce chapitre ; je ne le cite donc qu'une fois pour toutes. On a aussi utilisé la correspondance écrite d'Amérique et publiée dans les Mémoires. Les faits principaux ont seuls été consignés, et, pour plus amples détails, on ne peut que renvoyer à l'intéressant et copieux récit de Levasseur.

[2] Cf. Orations and Speeches on various Occasions by Edward Everett ; Boston, Little et Brown. 1850, 2 vol. in-8°. (Bibl. nat., z 48010.) Le discours sur The Circumstances favorable to the progress of litterature in America se trouve à la page 9 du tome Ier.

[3] Cf. Fenimore Cooper, Lettres sur les mœurs et les institutions des Etats-Unis, 1828, in-8°.

[4] Cf. lettre de La Fayette, en date de New-York, 13 septembre 1824.

[5] Lettre inédite communiquée par M. Noël Charavay.

[6] Dès le 3 septembre 1824. Jefferson avait convié La Fayette le venir voir dans sa retraite de Monticello.

[7] Le tome Ier de l'ouvrage de Levasseur s'arrête à cette date du 21 octobre 1824. C'est le tome II qui nous servira désormais pour la suite du récit.

[8] Le 17 juin 1825, La Fayette écrivait, de Boston, à l'occasion de cette fête : gRien ne peut rendre. l'effet de cette prière républicain : prononcée devant une immense multitude par un vieux chapelain qui combattait à Bunker's-Hill, des survivants de cette journée découvrant leurs cheveux blancs lorsque le président de l'association. l'orateur du jour, s'est adressé à eux. Et moi aussi je me suis levé à la tête de tous les autres soldats révolutionnaires, pour recevoir notre compliment ! Nous vous enverrons l'admirable discours de M. Webster ; nous nous sommes assis à une table de quatre mille couverts, où j'ai annoncé qu'après avoir célébré, à cette première cinquantaine, l'affranchissement de l'hémisphère américain, le toast de la cinquantaine prochaine serait : à l'Europe affranchie ! Tout s'est passé à merveille, et j'ai recueilli des témoignages d'affection populaire si touchants, de telles preuves du sentiment de mes vieux soldats et officiers, qu'il ne m'appartient pas de les dépeindre, mais seulement d'en jouir. (Cf. Mémoires de La Fayette.)

[9] Cf. dans les Mémoires la lettre de La Fayette, datée de New-York, 5 juillet 1825.

[10] Les officiers de la Brandywine offrirent plus tard à La Fayette un vase richement orné. (Cf. Jules Cloquet.)