LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

XXIV

 

Sollicitations des Américains. — Jefferson propose à La Fayette le gouvernement de la Louisiane (14 novembre 1803). — Intérêt porté au général Moreau, après la condamnation de celui-ci. — Voyage au Mont-Dore et à Chavaniac (août 1804). — Il décline l'invitation de se rendre aux États-Unis (8 octobre 1804). — Il refuse un rang élevé dans la Légion d'honneur. — Il assiste à un dîner pour l'anniversaire de la naissance de Kosciuszko (12 février 1806). — Georges La Fayette et Louis de Lasteyrie quittent l'armée et rentrent à La Grange (septembre 1807). — Mort de Mme de La Fayette (24 décembre 1807). — Douleur de La Fayette. — Lettre à La Tour-Maubourg (janvier 1808). — Napoléon essaie de le compromettre dans la première conspiration Malet (juillet 1808). — Lettres à Jefferson (1809 et 1810). — Mort de sa tante Mme de Chavaniac (6 mai 1811). — Napoléon le déclare incorrigible. — La Fayette déplore la mort de son ami le général Louis Romeuf et de son neveu Alfred de Noailles, et fait à Pougens un tableau de sa vie de gentilhomme campagnard (22 décembre 1812). — Sentiments d'admiration pour Talma. — Il vient à Paris (janvier 1814). — Lettre à Pougens (17 janvier). — Mort de sa tante, la comtesse de Tessé (1er février 1814). — La Fayette offre son concours pour repousser l'invasion, mais ses avis ne sont pas écoutés. — Le jour de l'entrée des alliés dans Paris, il se renferme chez lui et fond en larmes (31 mars 1814). — Lettre au comte d'Artois (15 avril). — Il est reçu avec politesse par Louis XVIII, et avec sympathie par le duc d'Orléans. — Eloge de ce prince, qui est le seul Bourbon compatible avec une Constitution libre. — Il remercie le roi de Prusse d'avoir mis en liberté son gendre Charles de La Tour-Maubourg. — Conversation avec l'empereur de Russie Alexandre Ier chez Mme de Staël. — La Fayette, désillusionné, rentre à La Grange. — Lettre à Jefferson (14 août 1814). — Visite à Mme de Staël (14 janvier 1815). — A la nouvelle du débarquement de Napoléon, il se rend à Paris (mars 1815). — Pamphlets royalistes publiés contre lui. — Sollicitations de Benjamin Constant, de Joseph Bonaparte et de Mathieu Dumas. — Il se rend à Paris le 20 avril et a une conférence, le 21, avec Joseph Bonaparte. Il refuse toute faveur. — Diner chez Joseph Bonaparte. — Il retourne La Grange et y apprend la convocation d'une Chambre (1er mai 1813). — Il est nommé président du collège électoral du département de Seine-et-Marne (8 mai) et député (10 mai). — Lettre à la princesse d'Hénin (15 mai). — Il obtient des voix pour la présidence de la Chambre (4 juin). — Il est élu vice-président (5 juin). — Il assiste à l'ouverture de l'Assemblée et a un colloque avec Napoléon (7 juin). — Récit de cette scène par La Fayette. — Protestation contre la formule de serment et mot de Napoléon. — Discussion des termes de l'adresse (10 juin). — La terme de héros est substitué à celui de grand homme. — Piquante observation de Lanjuinais. — Discours de La Fayette, à la nouvelle du désastre de Waterloo. — Projet d'arrêté et altercation avec Lucien Bonaparte (21 juin 1815). — Réunion aux Tuileries (21 juin). Il réclame l'abdication de Napoléon, mais n'est pas nommé membre du gouvernement provisoire (22 juin). — Il est envoyé comme commissaire au quartier général des alliés (23 juin). — Il part avec ses collègues le 25juin et arrive à Haguenau le 30. — Les souverains étrangers refusent de les recevoir. — Inutile démarche de La Fayette auprès de l'empereur Alexandre. — On nomme des plénipotentiaires pour conférer avec eux. — Les pourparlers n'aboutissent pas, la paix ne pouvant être discutée à Haguenau. — Lord Stewart exige la remise de Bonaparte entre les mains des alliés. — Verte réplique de La Fayette. Les commissaires rentrent à Paris le 3 juillet. — La Fayette rend compte de sa mission (6 juillet). — On lui refuse l'entrée du palais Bourbon. — Il réunit chez lui les députés exclus du lieu des séances 8 juillet. — Il écrit à la princesse d'Hénin, le 11 juillet 1815, et se retire à La Grange, sans abandonner ses espérances.

 

Les Américains sollicitaient la venue de La Fayette dans leur pays. Le 4 novembre 1803, le président Jefferson exprimait le regret de n'avoir pas pu, à cause de son absence, lui donner le gouvernement de cette Louisiane, que la France venait de céder aux États-Unis et que revendiquait l'Espagne. La Fayette répondit de La Grange à Jefferson, le 26 février 1804, pour le remercier de cette bonne pensée ; il témoignait son chagrin de voir le nom du général Moreau porté sur la liste des complices de Pichegru. Dans ces circonstances, La Fayette se montra reconnaissant de l'intérêt que Moreau lui avait marqué ; quand celui-ci eut été condamné à deux années de prison et ensuite exilé, il- lui donna des lettres de recommandation pour ses amis d'Amérique et il alla voir sa belle-mère et son enfant[1]. Or cette manifestation en faveur d'un condamné politique n'était pas sans péril pour son auteur.

Sa blessure n'étant pas encore guérie, La Fayette se rendit, avec sa femme, en août 1804, aux eaux du Mont-Dore et de là à Chavaniac[2]. On le portait sur un brancard dans les montagnes ; les paysans le saluaient avec respect et demandaient de ses nouvelles. Rentré à La Grange, il écrivit, le 8 octobre 1804, à Jefferson pour le remercier de ce que le Congrès avait décidé que les immenses terrains à lui concédés comme ancien major général, seraient placés en Louisiane. Il déclinait aussi l'invitation de se rendre aussitôt dans ce pays, malgré les sollicitations de Du Pont de Nemours[3]. Au même moment, son cousin Louis-Philippe de Ségur lui offrait, de la part de Joseph Bonaparte, un rang élevé dans la Légion d'honneur. La Fayette refusa, estimant que cette dignité, n'étant pas l'accompagnement d'un emploi, ne serait plus, disait-il, que la chevalerie d'un ordre de choses contraire à mes principes.

De sa retraite, La Fayette suivait, non sans anxiété. les opérations militaires de Napoléon, car son fils et son gendre Lasteyrie servaient dans la grande armée. Il assista, le 12 février i806, à un dîner donné par des Polonais à Kosciuszko pour célébrer l'anniversaire de naissance de ce grand patriote. Il s'occupait avec succès de ses exploitations agricoles. C'est ce qu'il annonça, le 6 novembre 1806, à Jefferson. La Fayette se félicitait, dans une autre lettre à Jefferson, du 20 février 1807, de n'avoir, au milieu de ces hécatombes, perdu ni un parent, ni un ami. Toutefois, Georges La Fayette subissait le contre-coup de la disgrâce de son père ; mal vu de l'empereur, il n'avait aucune chance d'avancement, quoiqu'à la sanglante bataille d'Eylau il eût sauvé la vie du général Grouchy. La Fayette constatait amèrement cette injustice. C'est pourquoi, écrivait-il à Jefferson, le 19 avril 1807, il est décidé à revenir près de nous aussitôt que les circonstances lui permettront de quitter la division à laquelle il est attaché. En effet, Georges La Fayette et Louis de Lasteyrie quittèrent l'armée et vinrent à La Grange au mois de septembre 1807[4]. Mme de La Fayette s'affaiblissait de jour en jour ; cette admirable femme, qui, selon l'expression de Charles Fox, était venue à Olmütz sur les ailes du devoir et de l'amour, s'en allait mourant victime de son dévouement pour son mari. On la transporta d'abord à Aulnay, chez Mme de Tessé, puis à Paris, dans l'appartement de celle-ci. C'est là que, le 24 décembre 1807, elle s'éteignit au milieu des siens, à l'âge de quarante-huit ans[5]. La Fayette ressentit de cette perte un violent chagrin, qu'il exprima en termes touchants dans une lettre écrite, en janvier 1808, à son ami César de La Tour-Maubourg :

Pendant les trente-quatre années d'une union où sa tendresse, sa bonté, l'élévation, la délicatesse, la générosité de son âme charmaient, embellissaient, honoraient ma vie, je me sentais si habitué à tout ce qu'elle était pour moi que je ne la distinguais pas de ma propre existence. Elle avait quatorze ans et moi seize, lorsque son cœur s'amalgama à tout ce qui pouvait m'intéresser. Je croyais bien l'aimer, avoir besoin d'elle, mais ce n'est qu'en la perdant que j'ai pu démêler ce qui reste de moi pour la suite d'une vie qui avait paru livrée à tant de distractions et pour laquelle néanmoins il n'y a plus ni bonheur, ni bien-être possible.

 

Dès lors, La Fayette se confina dans la retraite, se contentant d'observer les événements et d'en causer avec ses amis. Napoléon le tenait en suspicion ; il essaya de le compromettre, en juillet 1808, dans une des conspirations du général Malet, mais l'amitié de Jacquemont, père du célèbre voyageur, détourna le coup[6]. Le 18 novembre 1809, La Fayette écrivait à Jefferson :

Les routes sont couvertes de rois et de princes qui viennent faire leur cour et recevoir des ordres pour la Confédération du Rhin et les autres territoires dépendants du trône supérieur. J'aimerais mieux voir des députés populaires se rendant à une fédération générale de liberté et d'égalité, mais je ne puis m'empêcher de remarquer la prodigieuse influence du mouvement révolutionnaire égaré dans sa route, de l'enthousiasme et des talents dont une monarchie aristocratique aurait toujours empêché le déploiement.

 

Le 20 février 1810, il entretint Jefferson de la rupture avec le pape, du mariage de Bonaparte avec une archiduchesse d'Autriche, alliance qui plaît généralement aux gens de l'ancien régime et mécontente ceux qui ont pris part à la révolution[7]. L'année 1811 lui enleva sa vénérable tante Mme de Chavaniac, qui mourut, le 6 mai, à l'âge de quatre-vingt-douze ans[8].

Cependant, La Fayette gardait entière la foi politique de sa jeunesse ; il ne s'inclinait pas devant le despotisme triomphant. Napoléon disait de lui en 1812 :

Tout le monde est corrigé ; un seul ne l'est pas, c'est La Fayette ! Il n'a jamais reculé d'une ligne. Vous le voyez tranquille ; eh bien, je vous dis, moi, qu'il est tout prêt à recommencer.

Les événements allaient donner raison à cet amant incorrigible de la liberté. La campagne de Russie sonna le glas de l'Empire. Elle causa à La Fayette des chagrins personnels, car son fidèle compagnon d'armes le général Louis Romeuf et son neveu Alfred de Noailles y trouvèrent la mort. La lettre suivante, écrite à l'érudit Charles de Pougens, le 22 décembre 1812, exhale ses plaintes et ses regrets :

La campagne de Russie, dont vous avez vu, dans le dernier bulletin, les plus récents détails, m'a été particulièrement fatale. J'ai perdu à la bataille de la Moskowa le général Romeuf, mon intime ami, que vous avez connu mon aide de camp, et à qui j'étais attaché par les plus tendres liens de la reconnaissance et de l'affection. Le frère de ma belle-fille, Victor Tracy, jeune homme de talents supérieurs et plein des plus aimables qualités, a été fait prisonnier. Nous craignons encore qu'il ne soit blessé. Les communications sont presque impossibles et qui sait quand on peut espérer de le revoir ?

Enfin mon pauvre neveu Alfred Noailles, marié à une femme charmante, sa cousine, entouré de tout ce qui pouvait rendre sa vie heureuse, vient d'être tué au passage de la Bérézina, où il servait comme aide de camp du prince de Neuchâtel. Mon beau-père va recevoir à Genève, où il est en ce moment, la nouvelle de la mort de son malheureux petit-fils[9].

Dans cette même lettre, La Fayette nous apprend qu'il trouvait une consolation dans ses travaux champêtres et qu'il recevait du botaniste Thouin des arbres pour ses plantations :

Je ne m'élève pas au-dessus des occupations agricoles ; j'ai réuni, à force d'échanges, une exploitation de plus de cinq cents arpents qui, joints aux bois et plantations, me forme un arrondissement contigu de sept cents arpents. Je n'ai sous moi qu'un maître charretier et, sans m'élever à de grandes prétentions scientifiques, je puis dire qu'avec un peu de théorie et dix ans d'expérience sur le même terrain, je suis devenu pour notre canton un assez bon cultivateur. Cette occupation donne à l'esprit et au corps un peu d'exercice sans aucune fatigue, du moins pour un homme qui aurait la libre disposition de ses deux jambes et la faculté de monter à cheval, et moi-même, tout boiteux que je suis, étant logé au centre de mon arrondissement et ménageant bien mes promenades, je trouve moyen de faire et de voir l'essentiel.

 

La Fayette ne se désintéressait pas non plus des arts ; il aimait le théâtre et il écrivait, dans cette même année 1812, à Talma pour lui demander quel jour il pourrait l'admirer dans Sylla[10]. Il passa l'année 1813 dans sa propriété de La Grange, attentif aux graves événements qui s'accomplissaient en Allemagne. La victoire de Dresde, où fut frappé d'un boulet français son ancien ami, le général Moreau, le désastre de Leipzig et le retour éphémère de fortune à Lutzen, causèrent à son cœur de patriotiques émotions. La maladie de son oncle, le comte de Luzignem, le mauvais état de la santé de M. et de Mme de Tessé le forcèrent à venir s'installer à Paris au commencement de janvier 1814. Le 17 de mois, il racontait à Pougens ses tribulations :

Ma vie se partage depuis quelques jours entre les deux malades ; il me reste pourtant bien du temps pour déplorer notre situation militaire, politique et intérieure... Les ressources guerrières de la France sont encore bien plus grandes qu'on ne croit. Il y a une nombreuse population d'anciens soldats qui ne savent pas reculer. Si l'ancienne ardeur se ranimait, les étrangers n'avanceraient pas impunément[11].

 

Le comte de Luzignem et le comte de Tessé succombèrent. Sa tante, Madame de Tessé, cette maternelle amie de plus de quarante années, mourut le 1er février 1814[12]. Ce fut une grande douleur, dont les malheurs de la patrie diminuèrent l'intensité. L'ennemi envahissait la France et menaçait la capitale. La Fayette resta à Paris. Le vieux patriote sentit son sang bouillonner et il voulut reprendre son épée pour défendre la patrie envahie. Tandis que son fils et son gendre Lasteyrie entraient dans la garde nationale et que son autre gendre, Charles de La Tour-Maubourg, engagé dans la ligne, était blessé et pris, La Fayette offrait son concours à des chefs de la garde nationale et convenait avec Ternaux de marcher à la tête d'un bataillon. D'autre part, il proposait à un maréchal de se dévouer avec lui pour arracher l'abdication, qui alors eût été si salutaire.

Mais le maréchal se déroba poliment à ces dangereuses ouvertures. Partout, La Fayette l'a dit lui-même, on le trouva téméraire et on n'écouta pas ses conseils. L'ennemi parut devant Paris, les sénateurs, réunis le matin de l'attaque, se dispersèrent et, le 31 mars 1814, les étrangers entrèrent dans la capitale. La Fayette, consterné de tant d'impuissance, s'enferma chez lui et fondit en larmes.

La Fayette, après ce premier moment de patriotique douleur, écrivit au comte d'Artois, le 15 avril 1814, pour lui exprimer sa satisfaction de voir, dit-il, votre retour devenir un signal et un gage du bonheur et de la félicité publique. Puis après avoir essayé de conserver cette cocarde tricolore, dont il était le père, il se résigna à arborer la cocarde blanche et se présenta, en uniforme, à la première audience royale. Le roi et son frère le reçurent avec politesse. Il alla aussi rendre visite au duc d'Orléans, qui sut flatter si bien l'amour-propre de son interlocuteur que La Fayette nous a laissé de cette entrevue un récit enthousiaste :

Il parla de nos temps de proscription, de la communauté de nos opinions, de sa considération pour moi, pour mes principes, pour mon caractère, et ce fut en termes trop supérieurs aux préjugés de sa famille pour ne pas faire reconnaître en lui le seul Bourbon compatible avec une constitution libre.

 

La Fayette dut aussi remercier le roi de Prusse, qui avait fait mettre en liberté Charles de La Tour-Maubourg, gendre du général, et avait chargé Alexandre de Humboldt de l'en prévenir. Il rencontra chez Mme de Staël l'empereur de Russie Alexandre Ier et eut avec lui une conversation des plus curieuses. Le monarque se plaignant que les Bourbons n'eussent que des préjugés de l'ancien régime. La Fayette dit que le malheur devait les avoir en partie corrigés. Corrigés ! s'écria Alexandre. Ils sont incorrigés et incorrigibles. Il n'y en a qu'un, le duc d'Orléans, qui ait des idées libérales ; mais pour les autres, n'en espérez jamais rien. — Si c'est votre opinion, sire, pourquoi les avez-vous ramenés ?Ce n'est pas ma faute : on m'en a fait arriver de tous les côtés. Je voulais du moins les arrêter, pour que la nation eût le temps de leur imposer une Constitution ; ils ont gagné sur moi comme une inondation... Dans cette même soirée. Talleyrand se montra très caressant pour La Fayette. Celui-ci ne tarda pas à comprendre la justesse des paroles de l'empereur de Russie. La Charte lui parut, en raison de la forme d'octroi, le premier pas de la contre-révolution. Le retour des émigrés et des chouans, le licenciement de la vieille garde, les ordonnances royales, la loi contre la liberté de la presse, tout prouvait que les Bourbons n'avaient rien oublié, ni rien appris. La Fayette, désillusionné, rentra à La Grange et, le 14 août 1814, il écrivait à Jefferson :

Bonaparte ou les Bourbons : telle a été et telle est encore la seule alternative possible dans un pays où l'idée d'un pouvoir exécutif républicain est regardée comme le synonyme des excès commis sous ce nom. Pendant ce temps, le roi d'Espagne, vil idiot, rétablit l'inquisition après avoir chassé les Cortes ; le pape reprend tout l'ancien système ; le roi de Sardaigne détruit toutes les utiles innovations qui s'étaient faites en Piémont, et l'empereur d'Autriche soumet toutes ses anciennes possessions à la politique illibérale de son cabinet. Cependant, les avantages dus à une première impulsion philanthropique se sont, malgré tous les événements, considérablement étendus. Nos réformes ont jeté de profondes racines, que la puissante main de Bonaparte n'a pu arracher ; elles résisteront bien aux faibles et incertains efforts de leurs adversaires actuels.

 

C'est dans ces sentiments de foi robuste en l'avenir de la France que La Fayette assista, de sa retraite de La Grange, aux fautes incessantes du gouvernement de la Restauration. Toutefois il venait de temps à autre à Paris. Le 14 janvier 1815. il passa la soirée chez Mme de Staël, où il v avait nombreuse et brillante compagnie. Il s'y rencontra avec lord Wellington, le duc de Richelieu, le duc de Broglie, et on lui présenta un jeune Suisse, Simonde de Sismondi, qu'il accueillit avec sa bienveillance accoutumée[13]. La nouvelle du débarquement de Napoléon en Provence vint l'arracher au repos ; il comprit que par la force des choses l'empereur redevenait, pour le malheur de la France, l'homme de l'armée et même l'homme de la Révolution. Il se rendit à Paris et ne put s'empêcher d'admirer la belle attitude et les manières toutes républicaines de Bonaparte. Les royalistes l'avaient mis dans cet état d'esprit par les injures et les calomnies dont ils l'avaient abreuvé pendant le temps de leur pouvoir. Le valet de chambre Hue lui reprochait sa conduite dans les journées des 5 et 6 octobre 1789[14] ; un autre pamphlétaire le traitait de misérable. La Fayette avait préparé une verte réponse à ses ennemis, mais le retour de Bonaparte le vengeait suffisamment pour qu'il ne publiât pas son factum. Toutefois, il ne crut pas à la sincérité des promesses libérales de l'empereur et il retourna à La Grange. Benjamin Constant, rallié à Napoléon et conseiller d'Etat, tâcha de convertir La Fayette, mais celui-ci lui envoya, le 9 avril 1815, un exposé des motifs de son incrédulité. Joseph Bonaparte fit agir le général Mathieu Dumas. qui le supplia, de la part du prince, de venir à Paris. Le même jour, 19 avril, La Fayette répondit affirmativement. Il arriva dans la soirée du 20 et le lendemain-il fut reçu par Joseph. Après s'être embrassés, ils discoururent sur la situation, sur les dangers de la patrie, sur les principes de l'empereur, sur la nécessité de la convocation immédiate d'une Chambre des représentants. Le général refusa toute faveur et conclut en ces termes :

Quant à moi, il ne me convient pas de rentrer dans les affaires par la pairie, ni par aucune autre faveur de l'empereur. Je suis un homme populaire, c'est par le choix du peuple que je dois sortir de ma retraite. Si je suis élu, je m'unirai à vous, comme représentant de la nation, pour repousser l'invasion et l'influence étrangères, en conservant néanmoins toute mon indépendance.

 

La publication de l'acte additionnel aux constitutions de l'Empire souleva également les critiques de La Fayette. Le général assista, le 23 avril, à un dîner offert par la colonie américaine à M. Crawford, qui retournait aux États-Unis. Il conversa de nouveau avec Joseph Bonaparte, qui promit presque la convocation d'une Chambre. Il dîna chez le prince avec Benjamin Constant, Mathieu Dumas, Horace Sebastiani et le comte de Lavallette. Puis il retourna à La Grange, où, le 1er mai 1815, Benjamin Constant l'avertit que le décret de réunion des députés avait paru et l'engagea à poser sa candidature. Il donna, le 3 mai, son approbation à ce qui lui paraissait l'unique moyen de salut ; le 8, il fut élu président du collège électoral du département de Seine-et-Marne réuni à Melun, et, le 10, il fut élu député à la majorité de 56 voix sur 79 votants, en même temps que le général Le Brun, fils du duc de Plaisance. Le 15 mai, il écrivit à la princesse d'Hénin :

Napoléon, républicain en Provence, demi-républicain à Lyon, empereur absolu à Paris, a trouvé qu'il n'y avait de salut pour lui qu'à se faire constitutionnel. Son esprit et son caractère sont comme deux courants qui se combattent ; c'est un étrange mélange de mesures impériales, terroristes, libérales ; mais l'opinion publique est plus forte que lui, et, comme il a un talent prodigieux, il se soumet à tout ce qu'il ne peut pas dominer avec une habileté dont les autres étaient loin.

 

Le 4 juin 1815, la Chambre des députés procéda à l'élection de son président. Au deuxième tour de scrutin, sur 427 votants, La Fayette n'obtint que 73 suffrages contre 277 donnés à Lanjuinais[15]. Le 3, il fut nommé troisième vice-président par 247 voix. La majorité absolue était de 246, et encore La Fayette ne fut-il proclamé que parce qu'on lui compta tous les suffrages sans la désignation de général[16]. En somme ce n'était pas un succès éclatant. Le 7, Napoléon présida la séance d'ouverture et échangea quelques mots avec le général, qui raconta, le lendemain, les faits dans une lettre à sa belle-fille Émilie de Tracy[17] :

Pendant la grande séance j'étais resté à mon poste, à côté de Georges, oubliant que le bureau était de la députation, lorsqu'on est venu me chercher pour recevoir l'empereur. C'est dans le salon, où il s'arrête, que nous avons renouvelé connaissance. Il y a douze ans que je n'ai eu le plaisir de vous voir, a-t-il dit. J'ai répondu assez sèchement : Oui, sire, il y a ce temps-là. Nous sommes entrés dans la salle où l'ennuyeuse cérémonie du serment par appel nominal a eu lieu. Vous serez content de son discours ; je ne l'ai pas été de sa figure, qui m'a paru celle d'un vieux despote irrité du rôle que sa position le forçait à jouer.

 

La Fayette avait protesté, avec son fils Georges, député de la Haute-Loire, contre la formule du serment imposé aux députés, et Napoléon avait dit : Voilà donc La Fayette qui m'a déjà déclaré la guerre ! Ce fait explique le peu de cordialité de la première entrevue. La discussion de l'adresse à l'empereur, qui eut lieu le 10 juin, lui fournit une nouvelle occasion de manifester son opposition. Un certain nombre de députés réclamèrent que le projet fût lu et discuté en comité secret ; la formation de la Chambre en comité secret ne pouvant avoir lieu que sur la demande de vingt-cinq membres, le bureau s'inscrivit et son exemple fut suivi par le nombre réglementaire de représentants. Le procès-verbal ne relate pas les détails de la séance secrète, mais La Fayette a raconté son rôle personnel dans la discussion. Il déclara que l'Assemblée, au lieu d'être la représentation nationale, risquait de n'être plus que le club Napoléon. L'adresse contenait la phrase suivante :

Reprenant aujourd'hui l'exercice de tous ses droits, se ralliant autour du grand homme que sa confiance investit de nouveau du gouvernement de l'Etat, la France s'étonne et s'afflige de voir des souverains en armes lui demander raison d'un changement intérieur, qui est le résultat de la volonté nationale et qui ne porte atteinte ni aux relations existantes entre les autres gouvernements, ni à leur sécurité.

 

La Fayette réclama contre l'expression de grand homme appliquée à Bonaparte et proposa de la remplacer par celle de monarque ; mais Lanjuinais fit adopter le qualificatif de héros, en faisant malignement observer que l'expression de grand homme supposait des vertus morales dont celle de héros pouvait plus aisément se passer.

Cependant Napoléon partit pour l'armée le 12 juin. La nouvelle du désastre de Waterl00 et du retour de l'empereur se répandit à Paris le 21 juin. La Fayette apprenant par Fouché et par Regnaud de Saint-Jean d'Angély que Napoléon voulait se faire nommer dictateur, courut à la Chambre et y prononça un discours véhément ; il s'écria :

Voici le moment de nous rallier autour du vieil étendard tricolore, celui de 89, celui de la liberté, de l'égalité et de l'ordre public ; c'est celui-là seul que nous avons à défendre contre les prétentions étrangères et contre les tentatives intérieures[18].

 

Puis, comme mesure préalable, il proposa le projet d'arrêté suivant :

Art. I. La Chambre des représentants déclare que l'indépendance de la nation est menacée.

Art. II. La Chambre se déclare en permanence. Toute tentative pour la dissoudre est un crime de haute trahison ; quiconque se rendrait coupable de cette tentative sera traître à la patrie et sur-le-champ jugé comme tel.

Art. III. L'armée de ligne et les gardes nationales qui ont combattu et combattent encore pour défendre la liberté, l'indépendance et le territoire de la France, ont bien mérité de la patrie.

Art. IV. Le ministre de l'intérieur est invité à réunir l'état-major général, les commandants et majors de légion de la garde nationale parisienne, afin d'aviser aux moyens de lui donner des armes et de porter au plus grand complet cette garde citoyenne, dont le patriotisme et le zèle éprouvé depuis vingt-six ans offrent une sûre garantie à la liberté, aux propriétés, à la tranquillité de la capitale et à l'inviolabilité des représentants de la nation.

Art. V. Les ministres de la guerre, des relations extérieures, de la police et de l'intérieur sont invités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l'Assemblée.

 

La Chambre adopta tous ces articles, sauf le quatrième. Lucien Bonaparte vint déposer sur le bureau un message impérial ; l'Assemblée se forma aussitôt en comité secret. La Fayette nous apprend que, comme Lucien accusait la France d'ingratitude envers l'empereur, il l'apostropha en ces termes :

De quel droit le préopinant accuse-t-il la nation d'avoir été légère, d'avoir manqué de persévérance envers l'empereur Napoléon ? Elle l'a suivi dans les sables d'Égypte et dans les déserts de Russie, sur cinquante champs de bataille, dans ses revers comme dans ses succès, et c'est pour l'avoir suivi que nous avons à regretter le sang de trois millions de Français !

 

Le même jour il y eut séance publique à huit heures du soir. La Chambre arrêta de nommer une commission de cinq membres, chargée de se concerter avec une commission de la Chambre des pairs pour recueillir, sans délai, tous les renseignements nécessaires sur l'état de la France et proposer tous les moyens de salut public. Le président et les quatre vice-présidents furent désignés pour cette mission. Ils se rendirent aux Tuileries, où ils eurent, avec les ministres, sous la présidence de Cambacérès, une réunion qui dura jusqu'à trois heures du matin. La Fayette proposa de demander à l'empereur son abdication, mais, malgré l'appui de Lanjuinais et de Flaugergues, cette motion fut écartée. Le lendemain, 22 juin, ministres et députés pressèrent Napoléon d'abdiquer, mais celui-ci refusait. La Fayette lui fit dire par un ministre que si on n'avait pas l'abdication, il proposerait la déchéance. L'empereur céda enfin, et, à la séance de la Chambre, on apporta la lettre par laquelle Napoléon abdiquait la couronne en faveur de son fils. On proposa d'accepter l'abdication, de déclarer la Chambre Assemblée constituante, et de nommer le maréchal Macdonald généralissime des armées de terre et de mer, et le général La Fayette commandant en chef provisoire des gardes nationales de France, avec le maréchal Oudinot comme lieutenant. L'Assemblée accepta simplement l'abdication, au nom du peuple français, sans mentionner le fils de Napoléon ; puis, elle arrêta de nommer une commission de cinq membres, dont trois choisis dans la Chambre des représentants et deux dans celle des pairs, pour exercer provisoirement les fonctions du gouvernement. La Chambre des députés nomma Carnot et le duc d'Otrante. puis, au scrutin de ballotage, le général Grenier contre La Fayette[19]. La Chambre des pairs écarta aussi la candidature du général et désigna le duc de Vicence et Quinette.

Le gouvernement provisoire donna le commandement des gardes nationales au maréchal Masséna et nomma La Fayette, le 23 juin, un des six commissaires chargés de porter aux puissances alliées l'expression des intentions du peuple français[20]. La Fayette, tout mécontent qu'il fût, ne crut pas devoir refuser cette mission ; le 24 juin, lui, Laforest, Sebastiani et d'Argenson demandèrent l'agrément de la Chambre, qui leur accorda un congé. Le 25 juin, ils partirent et s'arrêtèrent à Laon. Puis, voyageant jour et nuit, les commissaires se dirigèrent sur Mannheim, arrivèrent à Kaiserslautern, au quartier général de Barclay de Tolly, qui les envoya à Wissembourg. En route, ils se décidèrent à gagner Haguenau, où se trouvaient les souverains alliés. Ils y arrivèrent le 30 juin, et leur venue causa de la surprise et de l'irritation. On refusa de les recevoir ; en vain La Fayette écrivit à l'empereur Alexandre et se présenta chez lui, en simple particulier ; il fut éconduit et le souverain lui fit dire par le comte Capo d'Istria que ses engagements avec ses alliés l'empêchaient de le voir à Haguenau, mais que ses sentiments étaient toujours les mêmes. Cependant on consentit à désigner quatre plénipotentiaires pour conférer avec eux : lord Stewart, pour l'Angleterre ; le général Walmoden, pour l'Autriche ; le comte Capo d'Istria, pour la Russie ; le général Kenesbeck, pour la Prusse. Les pourparlers n'aboutirent pas, les plénipotentiaires étrangers déclarant qu'on ne pouvait traiter de la paix à Haguenau. Au cours des discussions, lord Stewart, qui était le porte-parole de la coalition, dit à La Fayette : Je dois vous prévenir, Monsieur, qu'il n'y a pas de paix possible avec les puissances alliées, à moins que vous ne nous livriez Bonaparte. — Je suis bien étonné, répondit le général, que, pour proposer une telle lâcheté au peuple français, vous vous adressiez de préférence à un prisonnier d'Olmütz.

Les commissaires du gouvernement provisoire repartirent et furent accueillis, dans leur course à travers les départements de l'Est, par les cris de : Vive la nation ! vivent nos députés ! Ils rentrèrent à Paris le 5 juillet 1815, accompagnés de deux officiers étrangers, alors qu'on venait de signer la capitulation.

Le soir même, le gouvernement provisoire, les plénipotentiaires d'Haguenau, le général en chef et les ministres tinrent conseil aux Tuileries. La Fayette déclara qu'il pouvait être nécessaire, dans les circonstances où nous étions, de faire des transactions, mais qu'elles devaient être résolues en commun, n'avoir d'autre but que l'intérêt général, et être telles enfin, qu'on pût toujours en rendre compte à l'Assemblée et au peuple, toute transaction particulière étant une lâcheté et une infamie. Le 6 juillet, il se rendit à la séance de la Chambre. Il fut nommé, avec Dupont de l'Eure, La Rochefoucauld-Liancourt, le général Sorbier et Laffitte, pour aller porter aux puissances alliées la déclaration de l'Assemblée. Puis, il rendit compte de sa mission :

Vos collègues plénipotentiaires, au nom du peuple français, auprès des puissances alliées, ont rendu compte à la commission, exécutive des trois conférences qu'ils ont eues à Haguenau, et dans lesquelles on leur a renouvelé l'assurance que les cours étrangères n'avaient point la prétention de se mêler de la forme de notre gouvernement. Nous aimons à vous rendre compte, Messieurs, et les officiers étrangers, chargés de nous accompagner, ont pu remarquer eux-mêmes que l'esprit public des départements traversés par nous est conforme aux sentiments manifestés dans votre déclaration d'hier. Ceux de nous qui se trouvent à la séance d'aujourd'hui, regrettant que leur absence ne leur ait pas permis d'y participer, vous prient de recevoir leur adhésion à cette délibération.

 

Le 7 juillet, la commission exécutive donna sa démission, et Blücher entra dans Paris. Le préfet de police nommé par le gouvernement royal, Decazes, fit fermer les portes du Palais-Bourbon, et, quand, le 8, les députés s'y présentèrent, des sentinelles les empêchèrent d'entrer. La Fayette demanda, à travers les grilles, si c'était un ordre du prince régent d'Angleterre, et dit à haute voix qu'il rentrait chez lui, et qu'il recevrait avec plaisir ses collègues dans sa maison. Un grand nombre de représentants se rendirent rue d'Anjou-Saint-Honoré, et là, ils convinrent avec le général d'aller chez le président Lanjuinais signer une protestation. Le 11, enfermé volontairement chez lui, il exprimait à sa vieille amie la princesse d'Hénin ses sentiments sur la situation :

Nous avons, du moins, mes amis et moi, la consolation de penser que nous n'avons rien négligé pour éviter les malheurs qui fondent sur nous. Je dois ajouter que, si notre Chambre a eu quelques erreurs politiques, ses intentions ont toujours été irréprochables et sa conduite indépendante et noble. Vous pouvez être assurée que cette Assemblée, et la masse immense des populations réunies, après la chute de Napoléon, sous le vieux drapeau tricolore, sont le véritable parti national.

 

Fort de sa conscience, La Fayette alla attendre, dans sa retraite de La Grange, au milieu des siens, la venue de jours meilleurs et la réalisation d'espérances que les revers de la fortune ne pouvaient déraciner de son cœur.

 

 

 



[1] Cf. Mes rapports avec le premier Consul.

[2] Le 8 octobre 1804. La Fayette écrivait à Jefferson : J'ai été aux eaux du Mont-Dore, qui, probablement, compléteront ma guérison à un second voyage. J'ai été ensuite à Chavaniac chez ma vénérable tante, âgée de quatre-vingt-trois ans.

[3] Du Pont de Nemours écrivit, le 17 vendémiaire, an XIII (9 octobre 1804), à La Fayette, la lettre suivante :

Mon général, voici ce que Victor me marque le 9 août :

Dites à M. de La Fayette qu'il se garde bien de laisser les spéculateurs en terres mettre la main sur ce qui lui revient. Le président, sur la réponse que lui fera le ministre nouveau des intentions de M. de La Fayette, les choisira dans un lieu où elles vaudront deux millions tournois, ce qui est plus qu'il ne faut pour paver ses dettes en en vendant une petite portion, et pour rendre sa famille très riche en cardant le reste. Outre cela, il lui réserve une belle place avec des appointements suffisants pour vivre honorablement, et la bourse comme le cœur de ses amis lui seront ouverts. Mais il faut qu'il arrive, et, s'il craint les doubles voyages, directement à la Louisiane. Nous vous attendons avec lui, vos anciens plans se réaliseront avec facilité.

Je pense, tout compté, mon général, que cela vaut mieux que les billevesées dont nous pouvons nous occuper ici, et à votre place, je répondrais très affirmativement.

Salut et attachement bien tendre.

DU PONT (DE NEMOURS).

[4] Le 18 septembre 1807, La Fayette écrivit à Jefferson : Mon fils et mon gendre, le neveu du philosophe agriculteur, sont à présent avec nous.

[5] Cf. Mme de Lasteyrie, Vie de Mme de La Fayette, p. 413, et l'acte de décès aux Pièces justificatives, n° XXXI bis.

[6] C'est ce que raconte La Fayette dans ses Mémoires.

[7] Cf. Mémoires de La Fayette. — En juin 1810 le général Thibault rencontra à Paris chez un libraire La Fayette, lui demanda pourquoi il n'était pas au Sénat, et reçut cette réponse : J'ai refusé d'y être ; l'arbitraire du gouvernement ne nie permet d'y prendre aucune part. Thiébault, en rapportant cette anecdote (mémoires, t. IV, p. 395 et 396), traite assez mal La Fayette. La dignité de ce citoyen des deux mondes, dit-il, le calme de sa ligure. le ton de cc démagogue à talons rouges, ses airs et sa politesse de marquis, ses excès de courtoisie envers des gueux couverts de haillons et de boue, que chez lui, par exemple, il reconduisait jusque suite palier, tout ce contraste de ses allures aristocratiques avec sa conduite politique ne m'a jamais permis de voir en lui qu'un factieux, de même que ses sentiments à l'eau de rose, opposés à son rôle révolutionnaire, me l'ont toujours fait juger comme une dupe de lui-même et des autres.

[8] Cf. H. Mosnier, Le château de Chavaniac-Lafayette, p. 44.

[9] Je dois à M. Noël Charavay la communication de cette lettre inédite.

[10] Cf. catalogue d'une vente d'autographes dirigée par Jacques Charavay le 14 février 1861.

[11] Orig. aut., British Museum, ms. 24024, fol. 107.

[12] Cf. La marquise de Montagu, p. 249 et 430.

[13] Cf. Lettres inédites de Sismondi écrites à sa mère pendant les Cents jours, publiée : par MM. P. Villari et G. Monod : Paris. 1877, in-8°. — On lit dans la lettre du 15 janvier 1815 (p. 13) : J'allai à huit heures chez Mme de Staël, qui me présenta à lord Wellington, et ensuite à M. de La Fayette : l'un et l'autre furent extrêmement aimables pour moi... M. de La Fayette témoigne beaucoup de regrets de ne m'avoir pas vu à mon précédent séjour à Paris. Il me dit avoir compté me rencontrer chez Mme de Tessé, sa tante, qui est morte l'année passée ; mais, comme il vit toujours à la campagne, nous nous étions manqués.

[14] Cf. Hue. Dernières années du règne et de la vie de Louis XVI : Paris, impr. royale. 1814, in-8°.

[15] Au premier tour de scrutin, sur 474 votants Lanjuinais obtint 189 voix. Flaugergues, 74 ; La Fayette, 68 (dont 17 sans la désignation de général ; Merlin de Douai, 41 ; Dupont de l'Eure, 29 ; Bedoch, 24, etc. Au deuxième tour, les votants ne furent plus que 427, ce qui réduisit la majorité absolue à 214. Lanjuinais obtint 277 voix ; La Fayette, 75 ; Flaugergues, 59. (Cf. Procès-verbaux des séances de la Chambre des représentants du 3 juin au 8 juillet 1815 ; Paris, 1844, in-8°, p. 427.)

[16] Sur 490 votants, Flaugergues obtint 40 ; voix ; Dupont de l'Eure, 284 : La Fayette, 247, et Bedoch, 212. Flaugergues et Dupont de l'Eure furent seuls proclamés tout d'abord, parce que, parmi les suffrages de La Fayette, la plupart portaient général La Fayette et les autres La Fayette, ce qui créait une sorte de confusion entre le père et le fils. Quelques membres, dit le procès-verbal, font observer que les suffrages donnés sans désignation à M. La Fayette doivent être considérés comme positifs en faveur de M. le général La Fayette père. La Chambre consultée adhère à cette observation, et M. le général La Fayette est proclamé l'un des vice-présidents de la Chambre. Le lendemain 6 juin, le poste de quatrième vice-président échut au général Grenier.

[17] Il n'existe pas de procès-verbal de la séance impériale du 7 juin 1815.

[18] Cf. Mémoires de La Fayette. — On lit dans le Procès-verbal : Un membre, fixant l'attention de la Chambre sur les dangers de la patrie qu'elle seule peut sauver, rappelle les prodiges qui s'opérèrent sous l'étendard tricolore de 89 et fait sentir la nécessité de rallier les Français à ce signe sacré de la liberté, de l'égalité et de l'ordre.

[19] Au premier tour de scrutin, Carnot obtint 324 voix ; le duc d'Otrante, 293 ; le général Grenier, 204 ; La Fayette, 142 ; Flaugergues, 46 ; Lambrechts, 42. Au second, le général Grenier fut élu par 350 voix.

[20] Les six commissaires étaient les députés La Fayette, La Forest, Horace Sebastiani et d'Argenson, le pair de France Doulcet de Pontécoulant et le conseiller d'Etat Benjamin Constant. Ce dernier remplit les fonctions de secrétaire de la commission.