LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

IX

 

Résultats de l'assemblée des notables. — Edit créant les assemblées provinciales (22 juin 1787). — La Fayette se rend à celle d'Auvergne, qui s'ouvre à Clermont-Ferrand, le 14 août 1787, et se termine le 18. — Réception à Aurillac par les habitants de cette ville, et à Saint-Flour par la loge maçonnique (1er et 4 septembre). — Relations avec les patriotes hollandais, qui veulent le mettre à la tête de leurs troupes. — Il expose à Washington la situation de la France (9 octobre). — Il veut opérer les réformes sans grande convulsion. — Il assiste à la session d'affaires de l'assemblée provinciale d'Auvergne (8 novembre). — Il rédige la protestation contre l'augmentation de l'impôt des vingtièmes et s'attire les haines de la Cour et la faveur du peuple. — Il exprime sa joie de l'édit donnant un état civil aux protestants et enregistré le 20 janvier 1788. — Il demande et obtient le commandement d'une brigade dans la division du Languedoc et du Roussillon (1er avril 1788). — Il continue à s'occuper des affaires publiques et s'indigne de la conduite du gouvernement. — Il donne son adhésion aux protestations de la noblesse de Bretagne. — Le roi lui retire ses lettres de service de maréchal de camp, le 15 juillet 1788. — La Fayette reçoit de Franklin une adresse de la Société philanthropique de Philadelphie sur l'abolition de l'esclavage. — Il correspond avec la commission intermédiaire d'Auvergne. — Convocation des Etats généraux (23 septembre 1788). — Convocation de l'assemblée des notables (5 octobre 1788). — La Fayette, qui allait partir pour l'Auvergne, ajourne son voyage. — Ouverture de la seconde assemblée des notables, le 6 novembre 1788. — La Fayette soutient vainement le principe de la double représentation du tiers. — Clôture de l'assemblée le 12 décembre. — Il invite à diner Gouverneur Morris. — Il part pour l'Auvergne soutenir sa candidature aux Etats généraux (février 1789). — Intrigues dirigées contre lui. — Il refuse la candidature que lui offre le Tiers état. — Ouverture de l'assemblée des trois ordres à Riom, le 11 mars 1789. — Séances de la chambre de la Noblesse. — La Fayette est un des rédacteurs des cahiers. — Mandat impératif accepté par les candidats. — Il est élu 2e député, le 25 mars 1789. — Il rentre à Chavaniac. — Réflexions sur le mandat qui lui a été imposé. — Il soutient la candidature de César de la Tour-Maubourg. — Il visite Brioude, Clermont et Riom, et repart pour Paris, le 11 avril 1789.

 

La création générale d'assemblées provinciales, réclamée par l'assemblée des notables, fut ordonnée par l'édit du 22 juin 1787. La Fayette, désigné par le roi pour un des cinq membres de l'ordre de la Noblesse destinés à former l'assemblée provinciale d'Auvergne[1], se prépara à partir[2]. Le 3 août 1787, il écrivit à Washington :

L'esprit de liberté gagne beaucoup dans ce pays ; les idées libérales se propagent d'un bout du royaume à l'autre. Notre assemblée des notables était une belle chose, excepté pour Ceux qui l'avaient imaginée. Vous savez la querelle personnelle que je me suis faite à propos de quelques dons accordés aux favoris, aux dépens du public. Cela m'a attiré un grand nombre de puissants et invétérés ennemis, mais a été très bien reçu de la nation. J'ai depuis lors présenté quelques-unes de mes idées en termes fort clairs. Je ne puis dire que je sois en faveur à la Cour, si par elle vous entendez le roi, la reine et les frères du roi ; mais je suis amicalement avec l'administration actuelle... Cependant, le Parlement, animé par l'exemple des notables, oppose une grande résistance à l'établissement de nouveaux impôts. II sera forcé d'enregistrer les édits ; mais il est bon qu'il ait demandé une assemblée générale de la nation, et, quoique cela ne doive pas se réaliser tout de suite, je prévois l'événement, lorsque les assemblées, qui s'établissent à présent dans chaque province, auront acquis l'importance convenable et le sentiment de leur force.

 

La Fayette se rendit à Clermont-Ferrand. L'assemblée provinciale d'Auvergne s'ouvrit, le 14 août 1787, dans la grande salle du collège de cette ville. Dès la première séance, le marquis manifesta son esprit réformateur en faisant insérer dans le procès-verbal une revendication des anciens États provinciaux, qui encourut le blâme royal[3]. Le 18 août, il fut nommé, avec le comte d'Espinchal, pour représenter l'élection de Brioude dans les assemblées d'élection[4]. La septième et dernière séance eut lieu le 21 août.

La Fayette parcourut alors sa province et fut reçu avec les plus touchants témoignages d'affection et de confiance par toutes les classes d'habitants[5]. Le 1er septembre 1787, une députation des habitants d'Aurillac vint à sa rencontre jusqu'au château de Miramon. Le marquis entra dans la ville par la promenade du cours de Montyon et fut salué d'acclamations réitérées. Il fut conduit à l'hôtel de M. Crozet d'Hauterive, rue de la Bride, où les différents corps de la ville s'empressèrent à le féliciter. C'était, dit naïvement un chroniqueur, le premier héros que l'on voyait ; l'on ne pouvait se lasser de le regarder. Le soir, il parcourut, en compagnie de la marquise de Fontanges, les rues brillamment illuminées, et il assista à un grand bal donné en son honneur ; mais les dames furent mortifiées de le voir causer avec son ami le vicomte de Peyronnenc au lieu de danser. Le dimanche 2, il entendit la messe, assis dans un fauteuil que lui avait préparé le curé de la paroisse, et il soupa chez la marquise de Fontanges. Puis on le reconduisit triomphalement jusqu'à Vic[6].

Le 4 septembre 1787, La Fayette passa par Saint-Flour. Il y fut reçu solennellement par la loge maçonnique Sully, fondée en 1781 sous le vocable de l'illustre ministre de Henri IV, et qui comprenait un certain nombre de nobles, de magistrats et de chanoines. Le maire de la ville, Spy des Ternes, en était vénérable. Il présida une tenue extraordinaire, au cours de laquelle le marquis fut admis comme membre honoraire de l'atelier. Au banquet qui termina cette fête, on célébra par des couplets l'illustre La Fayette, qui par ses nobles exploits dans les deux hémisphères, a su se donner sans choix tous les humains pour frères[7].

La Fayette rentra à Paris, où l'appelaient les intérêts de l'Amérique et les affaires de Hollande. Il entretenait des relations avec les patriotes de ce pays, qui luttaient contre les prétentions du stathouder et souhaitaient de le mettre à la tête de leurs troupes. Mais les intrigues britanniques, la perfidie du cabinet de Berlin et surtout la faiblesse et la mauvaise foi du gouvernement français[8] firent échouer ces projets[9], et les Prussiens entrèrent, après un léger combat, dans Amsterdam, le 10 octobre. Ne pouvant pas combattre pour la cause batave, le marquis consacra son activité aux réformes réclamées par les Français. Le 9 octobre 1787, il fit à Washington ce curieux tableau de la situation de son pays[10] :

Le roi est tout-puissant en France ; il a tous les moyens de contraindre, de punir et de corrompre. Les ministres sont portés par inclination et se croient obligés par devoir à conserver le despotisme. La cour est remplie d'essaims de vils et efféminés courtisans ; les esprits sont énervés par l'influence des femmes et l'amour du plaisir ; les classes inférieures sont plongées dans l'ignorance. D'un autre côté, le génie français est vif, entreprenant et enclin à mépriser ceux qui gouvernent. Les esprits commencent à s'éclairer par les ouvrages des philosophes et l'exemple d'autres nations. Les Français sont aisément excités par un noble sentiment d'honneur et, s'ils sont esclaves, ils n'aiment pas à en convenir. Les habitants des provinces reculées sont dégoûtés par le despotisme et les dépenses de la cour, de sorte qu'il y a un étrange contraste entre le pouvoir oriental du roi, le soin des ministres pour le conserver intact, les intrigues et la servilité d'une race de courtisans, d'une part, et de l'autre, la liberté générale de penser, de parler, d'écrire, malgré les espions, la Bastille et les règlements sur la librairie. L'esprit d'opposition et de patriotisme, répandu dans la première classe de la nation, y compris les serviteurs personnels du roi, mêlé à la crainte de perdre leurs places et leurs pensions, l'insolence moqueuse de la populace des villes, toujours prête, il est vrai, à se disperser devant un détachement des gardes, et les mécontentements plus sérieux du peuple des campagnes ; tous ces ingrédients mêlés ensemble nous amèneront peu à peu, sans grande convulsion, à une représentation indépendante, et par conséquent à une diminution de l'autorité royale. Mais c'est une affaire de temps, et cela marchera d'autant plus lentement que les intérêts des hommes puissants mettront des bâtons dans les roues.

 

Opérer les réformes sans grande convulsion, tel est le but que se flattait d'atteindre La Fayette avec l'appui des nouveaux ministres. L'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, est un homme honnête et éclairé, auquel il croit un talent de premier ordre ; le nouveau ministre de la marine, le comte de La Luzerne, est bien disposé pour les intérêts américains ; son ami Malesherbes a été rappelé au conseil. En tout, dit-il, cette nouvelle administration est composée d'hommes honnêtes, et quelques-uns ont un mérite distingué[11].

La Fayette retourna en Auvergne pour la session d'affaires de l'assemblée provinciale, qui s'ouvrit le 8 novembre 1787. L'augmentation de l'impôt des vingtièmes, proposée par le gouvernement, donna lieu à des discussions ardentes. Le marquis fit partie de la commission nommée, le 22 novembre, pour examiner cette grave question. Il rédigea la délibération par laquelle l'assemblée protesta énergiquement, le 23, contre le projet ministériel. Les 3 et 6 décembre, le marquis fit deux rapports, au nom du bureau du bien public, pour appeler l'attention de l'assemblée sur les abus les plus criants dans les questions d'agriculture, d'industrie et de commerce[12]. Le 4, il fut adjoint la commission intermédiaire. Le roi avant manifesté sa désapprobation de la protestation de l'assemblée, La Fayette fit adopter, clans la séance de clôture, le 11 décembre 1787, une délibération portant que l'assemblée avait appris avec une profonde consternation les marques inattendues du mécontentement du roi et qu'il ne lui resterait, dans sa vive douleur, aucune consolation, si chacun de ses membres, en adoptant la délibération du 23 mai dernier, n'avait pas uniquement suivi la voix de sa conscience. En conséquence, elle renouvelait sa première proposition avec confiance au pied d'un roi chéri, c'est-à-dire qu'elle refusait toute augmentation d'impôt. Cette opposition fortifia les haines de la cour contre celui qui en avait été l'âme.

La Fayette revint à Paris. Le 1er janvier 1788, il adressa ses vœux de bonne année à Washington, exprima son admiration pour la nouvelle constitution des États-Unis et supplia le général, au nom de l'Amérique, du genre humain et de sa propre renommée, de ne pas refuser la charge de président. Vous seul, disait-il, pouvez faire marcher cette machine politique, et je prévois que cette époque fournira un admirable chapitre à votre histoire. Puis il expliquait son rôle personnel :

Je suis revenu de l'assemblée provinciale d'Auvergne, où j'ai eu le bonheur de plaire au peuple et le malheur de déplaire au gouvernement à un très haut point. Le ministre demandait une augmentation de revenus ; notre province est du petit nombre de celles qui n'ont rien donné... Le gouvernement voit décliner le pouvoir de la couronne et cherche à le recouvrer en l'exerçant avec une sévérité dangereuse... Pour moi, je souhaite avec ardeur obtenir un bill des droits et une constitution, et je Voudrais que la chose pût s'accomplir, autant que possible, d'une manière calme et satisfaisante pour tous.

Une grande joie le récompensa de son labeur. Le 20 janvier 1788, le Parlement enregistra l'édit donnant un état civil aux sujets non catholiques du roi. La cause des protestants, que La Fayette avait si généreusement embrassée et pour laquelle il avait ouvertement combattu, triomphait enfin. Le marquis l'annonça à Washington, le 4 février 1788 :

L'édit qui donne aux sujets non catholiques du roi un état civil a été enregistré. Vous vous rappelez, mon cher général, ce que je vous ai écrit, il y a trois mois. Vous jugerez aisément combien, dimanche dernier [3 février 1788], j'ai eu de plaisir à présenter à une table ministérielle le premier ecclésiastique protestant qui ait pu paraître à Versailles depuis la révocation de 1685.

La Fayette, voyant que les États généraux n'étaient convoqués que pour 1792, résolut, en attendant le moment d'entrer en scène, de reprendre un service actif dans l'armée. Le 18 mars 1788, il écrivit à Washington[13] :

Les troupes ont été divisées en armées et en grandes divisions. Les généraux seront des maréchaux de France. Les grandes divisions seront commandées par des lieutenants généraux. J'ai demandé à être employé dans les provinces méridionales sous mon beau-père, le duc d'Ayen. Je serai son plus ancien major général. Les divisions sont d'environ dix mille hommes. Les commandements des majors généraux s'appellent brigades. On joindra à mes régiments deux corps d'infanterie légère. Nous servirons pendant deux mois.

La demande fut exaucée. La Fayette obtint, le 1er avril 1788, le commandement d'une brigade d'infanterie dans la division du Languedoc et du Roussillon, sous les ordres de son beau-père[14]. Le ministère pensait se débarrasser d'un adversaire dangereux en détournant son activité sur les affaires militaires. Il n'en fut rien. Le maréchal de camp continua à s'occuper de politique ; il était à Paris le 25 mai et exposait ses plus intimes pensées dans une lettre à Washington[15] :

Le peuple, mon cher général, a été si engourdi que j'en ai été malade, et les médecins ont été obligés de me rafraîchir le sang. Ce qui a beaucoup augmenté ma colère, c'est un lit de justice[16] où le roi a créé une cour plénière, composée de juges, de pairs et de courtisans, sans un seul représentant réel du pays, et l'impudence des ministres, qui ont osé dire que tous les impôts et emprunts seraient enregistrés. Grâce à Dieu, nous l'avons emporté, et je commence à espérer une constitution... Au milieu de ces troubles et de cette anarchie, les amis de la liberté se fortifient journellement, ferment l'oreille à toute négociation et disent qu'il leur faut une assemblée générale ou rien. Telle est, mon cher général, l'amélioration de notre situation. Pour ma part, je suis satisfait de penser qu'avant peu je serai dans une assemblée de représentants de la nation française, ou à Mount Vernon.

 

La noblesse de Bretagne protesta contre les édits de Lamoignon et de Loménie de Brienne, notamment celui établissant une cour plénière. et elle transmit sa résolution, signée par trois cents gentilshommes, à La Fayette, qui y donna une adhésion complète. On s'émut à la cour de ce nouvel acte d'opposition. La reine fit témoigner au marquis son étonnement de ce que, sans être Breton, il avait pris part à cette résistance, et celui-ci répondit qu'il était Breton de la même manière que la reine appartenait à la maison d'Autriche[17]. Cette attitude lui valut une prompte disgrâce. Le roi lui retira, le 15 juillet 1788, ses lettres de service de maréchal de camp. La Fayette l'annonça à son ami le marquis César de la Tour-Maubourg : Vous apprendrez, dit-il, que le roi m'a redemandé mes lettres de service, en même temps qu'on a mis à la Bastille les députés de la noblesse de Bretagne[18]. Le 12 août, il écrivait au même correspondant : On me distingue plus que je ne mérite en me punissant pour n'avoir fait que mon devoir[19].

La Fayette se consola de cette disgrâce en se jetant encore plus ardemment dans la lutte politique. Franklin lui envoyait, au nom de la Société philanthropique de Philadelphie, une adresse sur l'abolition de l'esclavage, où on lui disait :

La réputation dont vous jouissez parmi vos compatriotes, l'intime conviction que nous avons de votre philanthropie nous engagent à vous faire part du but intéressant de notre institution[20].

La Fayette correspondait activement avec la commission intermédiaire d'Auvergne, dont il était membre honoraire, et qui administrait la province, depuis la clôture de l'assemblée provinciale[21]. Le 26 août 1788, il annonça à ses collègues le retour de Necker au ministère des finances, et, le 29, la commission le chargea de présenter ses félicitations au nouveau ministre[22]. Dans le courant du même mois, il perdit sa belle-sœur, Mme de Thézan et assista à ses derniers moments[23].

Le 23 septembre 1788, Louis XVI se décida à convoquer pour mai 1789 ces États généraux, si audacieusement réclamés par La Fayette deux ans auparavant. Le 5 octobre, sur les conseils de Necker, les notables furent convoqués pour le 3 novembre, à l'effet de régler les diverses questions de convocation et de mode d'élection de ces États. La Fayette, qui se préparait à partir pour assister à l'assemblée d'élection de la basse Auvergne, à Riom, s'excusa, le 10 octobre, auprès du président, son ami le marquis de Laqueuille[24].

La seconde assemblée des notables s'ouvrit à Versailles le jeudi 6 novembre 1788. La Fayette fit partie, comme en 1787, du second bureau présidé par le comte d'Artois. Ce bureau tint, du 7 novembre au 9 décembre, vingt-six séances[25]. Le 1er décembre, on examina la question suivante : Quel doit être le nombre respectif des députés de chaque ordre ? Sera-t-il égal pour chaque députation ? Le marquis réclama la double représentation du tiers, mais sa proposition n'obtint que huit voix contre seize, et le deuxième bureau décida que les lettres de convocation doivent être conçues dans les mêmes principes que celles des quatre dernières tenues d'États et dans les mêmes termes que celles de 1614[26]. Le vendredi 12 décembre, le roi clôtura l'assemblée[27].

La Fayette ne partit pas aussitôt pour l'Auvergne, comme il en avait manifesté l'intention[28]. Le 18 décembre 1788, il signa, avec cent huit autres personnages, parmi lesquels Bailly et Mirabeau, le Mémoire sur les moyens que doivent employer les habitants de Paris pour obtenir de nommer eux-mêmes leurs représentants aux prochains États généraux et n'en pas laisser la nomination aux officiers de l'Hôtel de Ville et à un petit nombre de notables, que les officiers de l'Hôtel de Ville sont dans l'usage de s'associer arbitrairement dans cette fonction[29]. Il était encore à Paris quand Gouverneur Morris, un de ses amis d'Amérique, arriva dans la capitale, le 3 février 1789[30], et lui apporta une lettre de Washington[31]. Le marquis le pria à dîner et eut la délicate attention de faire chanter à une de ses petites filles une chanson, qui était l'œuvre de son hôte[32]. Il quitta Paris dans la seconde quinzaine de février, et Gouverneur Morris écrivait, le 25 de ce mois, à William Carmichael :

La Fayette est absent de Paris. Il est allé en Auvergne pour se faire élire, soit par la Noblesse, soit par le Tiers état. J'espère qu'il aura choisi la première de ces candidatures ; autrement, il s'aliénerait terriblement, selon moi, toute sa caste. Comme il ne m'a pas fait part de son hésitation, je présume seulement qu'il a dû prendre le bon parti ; car, jusqu'au moment de son départ, il a eu de fréquents pourparlers avec des personnages importants[33].

 

La Fayette était, en effet, à son château de Chavaniac. Sa candidature aux États généraux était sourdement combattue par des agents de la Cour, et on le sollicitait d'accepter de représenter le Tiers état. Le 8 mars 1789, il écrivait de Chavaniac :

Déjà des nobles de mes amis m'ont signifié qu'avec certaines complaisances je serai élu unanimement. J'ai répondu que je voulais convaincre et non flatter. Le Tiers voulait aller loin ; c'était pour moi une chance de célébrité. J'ai prêché la modération, au risque de déplaire. Il serait possible qu'au lieu d'une nomination je n'emportasse que beaucoup de querelles et beaucoup d'estimes ; mais je ferai mon devoir et serai modéré, quoique, entre nous, leur oppression me révolte et leur personnalité m'indigne.

 

Malgré ces intrigues, il se rendit à Riom le mercredi mars[34]. Il descendit chez Guillaume-Michel de Chabrol[35] avec son beau-frère le marquis Joachim de Montagu de Beaune[36]. Le 14 mars 1789, à neuf heures du matin, les députés des trois ordres se réunirent dans la grande salle du Palais, après avoir entendu la messe du Saint-Esprit dans l'église de la Sainte-Chapelle, et prêtèrent, entre les mains du grand-sénéchal d'Auvergne, le comte Alyre-Joseph-Gilbert de Langhac, le serment de procéder en honneur et conscience à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés aux États généraux[37]. Puis, chaque ordre se retira dans une salle particulière ; l'ordre de la Noblesse occupa celle de l'auditoire des audiences et nomma pour président le comte de Langhac. Le lendemain, 15 mars, La Lavette fut désigné, avec MM. de Lormet, de Laqueuille et de Canillac, pour aller conférer avec le Tiers état, et il fut élu le second des trois commissaires chargés de la rédaction des cahiers[38]. A la séance du soir, on le nomma, avec MM. de Lastic, d'Ambrugeac et de Canillac, pour remercier le Tiers état des démarches affectueuses faites auprès de la chambre de la Noblesse. Du 17 au 22 mars, on rédigea les cahiers. Le 23, le comte de Langhac fut élu premier député aux États généraux par 382 voix sur 397. Le 24, on lut et on approuva les cahiers. Des instructions furent rédigées et acceptées par tous les membres de l'assemblée ; elles comprenaient trois articles. dont chacun était accompagné de commentaires explicites. Le vote par ordre y figurait expressément[39]. De plus, une sorte de formulaire, résumant le mandat donné par la noblesse de la sénéchaussée d'Auvergne à ses députés. avait été préparé pour les futurs élus. Il convient de reproduire ici ce curieux spécimen du mandat impératif :

MANDAT DE LA NOBLESSE DE LA SÉNÉCHAUSSÉE D'AUVERGNE À SES DÉPUTÉS

Vous êtes nommé par l'ordre de la Noblesse de la sénéchaussée d'Auvergne pour être un des représentants de la Nation dans les États généraux du royaume ; elle vous a fait connaitre ses principes ; c'est d'après eux que vous fixerez les bases sur lesquelles reposeront à jamais la vraie grandeur du monarque et le bonheur de tous les citoyens français. Agissez d'après votre conscience ; les instructions qui vous sont remises contiennent nos vœux et vos pouvoirs. Nous sommes certains que vous n'oublierez jamais que le caractère distinctif de la Noblesse française fut toujours le patriotisme et l'honneur.

La durée de vos pouvoirs est fixée à un an, à compter du jour de l'ouverture des États généraux.

Il vous est expressément recommandé de faire autoriser par les États généraux une assemblée de la Noblesse de cette sénéchaussée, par-devant laquelle vous rendrez compte de l'usage que vous aurez fait des pouvoirs qui vous sont confiés. Cette assemblée aura lieu deux mois après la clôture desdits États généraux.

Vous aurez soin de faire fixer par les États généraux la quotité des représentants que chaque ordre aura désormais dans les assemblées nationales, de manière que cette fixation devienne loi constitutionnelle.

Clos et arrêté le vingt-quatre mars mil sept cent quatre-vingt-neuf[40].

 

La Fayette avait longuement discuté sur cette rédaction et même offert sa démission de commissaire, à cause du vote par ordre. Il finit toutefois par signer les instructions et accepter le mandat. J'ai mieux aimé me sacrifier, écrivait-il, d'autant mieux que tout le monde sachant que le Tiers état m'offrait journellement la députation, je ne puis être soupçonné de complaisance intéressée[41].

Le 25 mars 1789, La Fayette fut élu second député, mais il n'obtint que 198 suffrages sur 393 votants. Cette différence avec la presque unanimité du premier scrutin montre combien le marquis rencontrait d'adversaires au sein même de son ordre.

L'assemblée tint encore six séances, du 26 au 28 mars, et elle nomma trois autres députés, le marquis de Laqueuille, le marquis de Larouzière et le comte de Mascon, ainsi que cinq suppléants[42]. Puis elle se sépara. La Fayette rentra à Chavaniac, élu, mais peu content, comme il le mandait, le 1er avril 1789, à son ami César de la Tour-Maubourg, en lui donnant des explications sur son attitude électorale.

Nous avons traité fort légèrement le Clergé, mais bien vécu avec le Tiers, sans cependant faire de cahier commun. L'envie de nous rapprocher du sien, déjà imprimé lorsque nous arrivâmes, a gâté le nôtre. C'est un salmigondis de grands principes et de petites minuties, d'idées populaires et d'idées féodales. Nous y disons que la nature a fait les hommes égaux, et nous interdisons le port d'armes aux roturiers ; nous voulons taxer l'industrie et nous demandons qu'on abolisse tout droit de fisc qui la gêne ; nous faisons des conditions impératives, et nous disons à nos députés d'agir selon leur conscience. Il y a deux cents ans d'un article à l'autre.

Quant à l'opinion par ordre, j'étais presque seul. Il a fallu choisir entre l'ordre de se retirer, de protester ou de demander acte du vœu de la Noblesse. J'ai cru que de trois maux il fallait choisir le moindre... Cependant cet article me paraît dur à digérer, surtout qu'au moment de signer on a fait ajouter le mot de la Noblesse. J'ai eu envie de profiter des offres journalières du Tiers état ; j'ai cédé à votre conseil, à celui de quelques autres amis, de préférer dans tous les cas l'élection de la Noblesse. La persécution infâme qui m'est arrivée de Paris et les cabales dont j'étais environné m'ont fait une espèce de devoir d'en triompher. D'ailleurs, le peuple aura assez d'amis dans sa propre Chambre[43].

 

La Fayette portait le plus vif intérêt à la candidature du marquis César de la Tour-Maubourg, colonel du régiment de Soissonnais, qui briguait les voix de la noblesse de la sénéchaussée du Puy-en-Velay. Il ne se contentait pas d'encourager son ami et de faire des vœux pour son triomphe : il avait chargé son ancien aide de camp le colonel de La Colombe de travailler à cette élection. Il l'autorisait même, si cela était nécessaire pour assurer le succès du candidat, à acheter un fief d'un des opposants, ce qui donnerait une voix de plus. Ce piquant détail de mœurs électorales nous est fourni par la lettre suivante, adressée à La Colombe le mercredi 1er avril 1789 :

Travaillez de tout votre pouvoir, mon cher chevalier, à l'élection de Maubourg ; il vous a donné la préférence sur le Vivarais, où je suis sûr qu'on le députerait. Il y a vraiment trop de lâcheté à lui préférer une famille comblée des grâces de la Cour et jouissant de tous les abus dont vous vous plaignez[44]. Si vous en êtes à compter les voix, je vous autorise à m'acheter un fief d'un des opposants, qui sera charmé d'y gagner quelque chose, et je vous enverrai nia procuration pour Maubourg, ou j'y viendrai moi-même, car je puis être au Puy de Riom en vingt-quatre heures, ou y passer en allant ou venant de Saint-Flour. En un mot, disposez de ce que je puis et de ce que je suis pour que Maubourg soit élu[45].

 

La Fayette avait hâte de rentrer à Paris. Il rendit visite à ses électeurs, à Brioude, le 4 avril, à Clermont, le 5, et à Riom, le 6, et il partit pour la capitale le samedi 11 avril[46].

 

 

 



[1] Cf. Procès-verbal des séances de l'assemblée provinciale d'Auvergne, tenue à Clermont-Ferrand dans le mois d'août 1787 ; Clermont, 1787, in-4° de 51 pages (Arch. nat., C 12), et F. Mège, L'assemblée provinciale [d'Auvergne], 1787-1789 ; Paris, 1867, in-8°, p. 20.

[2] A l'assemblée des notables, La Fayette avait exposé, la triste situation de ses compatriotes d'Auvergne, victimes de l'inégalité de l'impôt et de l'inattention du gouvernement et n'avant d'autre alternative que la mendicité ou l'émigration, et il avait déclaré qu'on ne pouvait augmenter leurs charges sans les réduire à toutes les extrémités de la misère et du désespoir. (Cf. Mémoires de La Fayette, t. II.)

[3] Un des membres de l'assemblée, le comte d'Espinchal, dit dans un journal inédit, cité par M. Francisque Mège : Dès la première réunion de notre assemblée provinciale, La Fayette manifesta des principes révolutionnaires. Il chercha à faire rappeler et revivre de prétendus Etats existant en Auvergne il y a quelques siècles. Sans cesse occupé à flatter le Tiers état, il tâchait d'aigrir les esprits contre le gouvernement, et il faut dire qu'il y avait dans toutes les têtes sans exception de grandes dispositions à cet égard. — L'économiste Léonce de Lavergne a, dans ses Assemblées provinciales sous Louis XVI, blâmé la revendication de La Fayette.

[4] Cf. Procès-verbal, p. 40.

[5] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date du 9 octobre 1787.

[6] Le récit de cette réception de La Fayette à Aurillac a été publié, d'après une chronique locale, par M. Aug. Garnier, dans son livre : Notice sur le général baron Delzons ; Paris, 1863, in-8°, p. 236 à 238.

[7] Cf. Archives du Grand-Orient de France, et Jean Delmas, Les loges maçonniques de Saint-Flour au XVIIIe siècle ; Clermont-Ferrand, 1897, in-8°, p. 10.

[8] Ce sont les termes employés par La Fayette dans ses Mémoires.

[9] La Fayette écrivit, à ce sujet, à Washington, le 9 octobre 1787 : Pendant ce temps on formait en Hollande un projet bien conforme à mes vœux, et qui a été déjoué par ceux-là mêmes qui devaient le soutenir. Depuis longtemps les Hollandais songeaient à me faire prendre part à leurs affaires, et dernièrement il fut agité parmi eux de ma mettre à la tête d'un corps de vingt mille volontaires, s'ils pouvaient les réunir, mesure que l'intérêt de la cause et l'opinion des hommes les plus éclairés parmi eux appuyaient fortement. Si les affaires étaient devenues sérieuses, j'aurais, sans aucun doute, été placé à la tête de toutes les forces militaires des provinces républicaines.

[10] La correspondance entre les deux amis se poursuivit : Washington écrivit à La Fayette, de Philadelphie, le 15 août et le 18 septembre 1787, et dans la première lettre il le félicitait des travaux de l'assemblée des notables. (Cf. Jared Sparks, t. IV, p. 262 et 265.)

[11] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date du 9 octobre 1787.

[12] Cf. Mémoires de La Fayette et F. Mège, L'assemblée provinciale d'Auvergne, p. 82 et suiv.

[13] Washington écrivit à La Fayette, de Mount Vernon, les 10 janvier et 7 février 1788. Dans la première lettre il l'entretint de la guerre entre les Russes et les Turcs et dans la seconde il exprima sa satisfaction de voir s'évanouir les bruits de guerre entre la France et l'Angleterre. (Cf. Jared Sparks, t. IX, p. 305 et 316.)

[14] Cf. Archives administratives du ministère de la guerre.

[15] Washington avait écrit à La Fayette, le 28 avril 1788, pour lui exprimer son désir que les affaires de France soient en meilleur état. Puissent de bons effets, et j'en ai confiance, s'ensuivre sans convulsion. (Cf. Jared Sparks, t. IX. p. 354.)

[16] Le 8 mai 1788.

[17] Cf. Mémoires, t. II. — La Fayette était d'origine bretonne par sa mère et il possédait, comme on l'a vu plus haut, de grandes propriétés dans cette province.

[18] Cf. Ch. Nauroy, le Curieux, t. I, n° du 1er janvier 1884, p. 91.

[19] Cf. le Curieux, p. 98.

[20] Cette adresse, en date du 26 mai 1788, a été publiée, en 1817, dans la traduction française de la Correspondance inédite et secrète de Benjamin Franklin ; Paris, 1817, 2 vol. in-8°. (Cf. Correspondance de Benjamin Franklin, éd. Laboulaye, t. II, p. 499.)

[21] Cf. F. Mège, Les premières années de la Révolution dans la Basse-Auvergne ; Clermont-Ferrand, 1897, in-8°, p. 73.

[22] Cf. F. Mège, L'assemblée provinciale d'Auvergne, p. 106 et 107.

[23] Cf. Madame de La Fayette, Vie de Madame la duchesse d'Ayen, p. 104.

[24] Cf. le texte de cette lettre inédite aux Pièces justificatives, n° XIII.

[25] Les procès-verbaux des séances du second bureau sont conservés aux Archives nationales, C 6.

[26] Cf. Archives nationales, C 6. — Seul, le premier bureau, présidé par Monsieur, se prononça pour la double représentation du Tiers, par 13 voix contre 12. La Fayette raconte que cette majorité vint de ce que le vieux comte de Montboissier, assoupi au moment du vote et réveillé en sursaut, demanda à son voisin le duc de La Rochefoucauld Qu'est-ce qu'on dit ? et que celui-ci répondit : On dit oui.

[27] Le 4 décembre 1788, Thomas Jefferson écrivait à Washington : Le marquis de La Fayette est en défaveur auprès de la Cour, mais augmente en crédit auprès de la nation. J'ai eu un moment quelque crainte pour sa liberté personnelle, mais j'espère qu'il est à présent sur un terrain sûr. (Cf. The writings of Thomas Jefferson.)

[28] Cf. la lettre de La Fayette au marquis de Laqueuille.

[29] Cf. Chassin, Les élections et les cahiers de Paris en 1789, t. Ier, p. 79 à 81.

[30] Gouverneur Morris avait quitté les Etats-Unis le 18 décembre 1788. (Cf. Mémorial de Gouverneur Morris, traduit de l'anglais de Jared Sparks par Augustin Gandais ; Paris, 1842, 2 vol. in-8°, t. Ier, p. 229.)

[31] Washington écrivit à La Fayette, le 29 janvier 1789, et lui manda qu'il lui avait envoyé une lettre par Gouverneur Morris. Il se félicitait des élections faites aux Etats-Unis et déclarait que le nouveau Congrès ne serait inférieur à aucune assemblée du monde. Il ajoutait : Il n'y a que la concorde, l'honnêteté, l'industrie et la frugalité qui soient nécessaires pour nous rendre un grand et heureux peuple. (Cf. Jared Sparks, t. IX, p. 462.)

[32] Cf. Mémorial de Gouverneur Morris, t. I, p. 230.

[33] Cf. Mémorial de Gouverneur Morris, t. II, p. 4.

[34] La Fayette l'annonça, le jour même, par deux lettres, l'une à César de la Tour-Maubourg (Cf. Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, t. Ier, p. 420), l'autre à son ancien aide de camp La Colombe (Orig., Arch. nat., C 358).

[35] Guillaume-Michel de Chabrol, avocat au présidial de Riom et conseiller d'Etat, né à Riom en 1714, mort en 1792, faisait partie de l'assemblée électorale avec deux de ses fils. Jacques-Joseph-Gaspard, lieutenant-colonel, et Gaspard-Claude-François, lieutenant criminel, futur député suppléant de la Noblesse aux Etats généraux. Il eut pour petit-fils Chabrol de Crouzol, ministre de la Restauration, et Chabrol de Volvic, préfet de la Seine.

[36] Cf. Tableau de Messieurs de l'ordre de la Noblesse de la sénéchaussée d'Auvergne, réunis à Riom pour députer aux Etats généraux ; Riom, M. Dégoutte, 1789, in-4° de 7 pages. (Bibl. nat., Le 23 21.). — La Fayette figure le cinquième sur la liste.

[37] Cf. Procès-verbal des séances de l'assemblée de l'ordre de la Noblesse de la sénéchaussée d'Auvergne, tenues à Riom dans le mois de mars 1789 ; Riom, M. Dégoutte, 1789, in-4° de 44 pages. (Bibl. nat., Le 22 24.)

[38] Les deux autres commissaires étaient le marquis de Laqueuille et le comte de Mascon.

[39] Cf. Instructions pour les députés de la Noblesse aux Etats généraux, arrêtées dans l'assemblée de la sénéchaussée d'Auvergne séante à Riom : Riom, M. Dégoutte, 1789, in-4° de 24 pages. (Bibl. nat., Le 21 16.) — Voir Pièces justificatives, n° XIV.

[40] Cf. Instructions, p. 20.

[41] Cf. lettre de La Fayette à César de la Tour-Maubourg, en date de Chavaniac, vendredi soir (3 avril 1789), dans Mortimer-Ternaux, t. Ier, p. 422. — Le comte Joseph-Thomas-Anne d'Espinchal, membre de l'assemblée et député suppléant de la Noblesse aux Etats généraux, donne le récit suivant de cette séance :

Lors de la convocation des assemblées de bailliages pour l'élection des députés aux Etats généraux. La Fayette se rendit au bailliage de Riom, où se trouvait réunie presque toute la noblesse d'Auvergne. Il y arriva muni d'un grand nombre de procurations qu'il avait quêtées et qu'il distribua à tous ceux qu'il savait lui être favorables. Il avait tellement peur de ne pas être député, qu'il fit des intrigues pour être élu au bailliage de Saint-Flour, dans la Haute-Auvergne. Il en fit également à Riom, auprès du Tiers état, pour être élu par cet ordre. Cependant, il s'était ménagé tant de partisans parmi les nobles, qu'il ne pouvait manquer la députation. Il fut élu à une grande majorité. Après son élection, quelques doutes s'étant élevés sur ses principes, d'après quelques avis que l'on reçut de ses manœuvres avec les démocrates du Dauphiné, La Fayette fit, au milieu de toute la noblesse d'Auvergne, la profession de foi la plus authentique et la plus conforme à ce qu'on avait droit d'attendre de lui. Il demanda hautement, qu'au bout de l'an le député fût tenu de venir rendre compte de sa conduite à ses commettants, offrant, lui, sa tête, s'il manquait à l'engagement qu'il prenait formellement d'être fidèle au cahier qui lui était remis. Cette scène s'est passée au milieu de trois cents gentilshommes qui peuvent l'attester. (Cf. Paul Cottin, Revue rétrospective, 1894, p. 295.)

[42] Ces cinq suppléants étaient Gaspard-Claude-François de Chabrol, Reynaud de Montlosier, le comte de Canillac, le comte d'Espinchal et le marquis de Saint-Poncy. (Cf. A. Brette, les Constituants, pp. 47 et 48.)

[43] Cf. Mortimer-Ternaux, t. Ier, p. 420 et 421.

[44] Il s'agit de la famille de Polignac. Dans une lettre du 8 mars 1789, La Fayette disait : On m'écrit du Puy qu'il y a un grand parti contre mon ami Maubourg. L'évêque et la maison de Polignac travaillent contre lui, mais nous l'emporterons.

[45] Orig., Archives nationales, C 358. — Marie-Charles-César de Fay, marquis de la Tour-Maubourg, fut élu le 3 avril 1789. Il était né à Grenoble le 11 février 1756 et il mourut à Paris le 28 mai 1811.

[46] Cf. dans Mortimer-Ternaux. t. Ier, p. 424, une lettre de La Fayette à César de la Tour-Maubourg, en date de Chavaniac, le vendredi soir (3 avril 1789), où il disait : Je reçois votre lettre fort tard, mon cher Maubourg, et serais parti pour le Puy si je n'étais attendu demain à Brioude par une grande partie de mes électeurs, qui spéculeraient sur mon changement de marche. J'ai aussi des rendez-vous à Clermont pour dimanche, et à Riom pour lundi, et je dois me trouver de bonne heure à Paris, pour servir ceux de nos amis que l'intrigue a fait échouer dans les provinces.