LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

V

 

La Fayette débarque à Lorient le 18 janvier 1782. — Il arrive à Paris et reçoit un accueil enthousiaste. — La reine prête un de ses carrosses à madame de La Fayette pour rejoindre son mari à l'hôtel de Noailles. — Scène touchante entre les deux époux. — Il est reçu avec faveur par Louis XVI. — Dîner chez le maréchal de Richelieu et toast à Washington. — Il est acclamé à l'Opéra. — Il conquiert le cœur de la comtesse de Simiane. — Il se fait peindre avec sa famille, sur le désir de Washington. — Il emploie toute son influence à obtenir de nouveaux subsides pour les États-Unis. — Correspondance avec Washington. — Entrevue avec Franklin. — La reine danse un quadrille avec La Fayette. — Il est reçu dans une loge écossaise. — Naissance de sa fille Virginie (17 septembre 1782). — Il accepte les fonctions de maréchal général des logis dans une armée commandée par l'amiral d'Estaing et destinée à opérer contre les Anglais. — Il obtient six millions de livres pour les Américains. — Il part pour Brest le 25 novembre 1782 et y arrive le 3 décembre. — Il conserve son uniforme américain. — Il rejoint l'amiral d'Estaing à Cadix à la fin de décembre. — Préliminaires de paix signés le 20 janvier 1783 entre la France et l'Angleterre. — Lettres de La Fayette au Congrès et à Washington. — Il rêve d'affranchir les nègres. — Il part pour Madrid et est reçu par le roi Charles III le 17 février. — Il revient à Paris par Bordeaux et reçoit, le 12 mers, le brevet de maréchal de camp. — Voyage à Chavaniac et réception enthousiaste à Riom (avril 1783). — Il est nommé chevalier de Saint-Louis, le 5 mai 1783. — Il quitte l'hôtel de Noailles et s'installe rue de Bourbon. — Négociations pour le commerce américain. — Second voyage à Chavaniac (juillet 1783). — L'ordre de Cincinnatus. — La Fayette procède à la réception des officiers américains et français dans cet ordre le 19 janvier 1784. — Il obtient quatre ports francs en France pour les Américains. — Il adhère à la doctrine de Mesmer. — Washington lui annonce sa retraite de la vie publique. — On donne son nom à un comté de Pennsylvanie. — La Fayette s'embarque sur le paquebot le Courrier de New-York le 1er juillet 1784 et arrive à New-York le 4 août.

 

L'Alliance, sur laquelle La Fayette ramenait avec lui plusieurs de ses compagnons d'armes, le vicomte de Noailles, le général Duportail, le colonel Gouvion, entra dans le port de Lorient, dans la nuit du 17 au 18 janvier 1782, après vingt-cinq jours de traversée. A peine débarqué, le marquis informa Washington de son heureux retour et l'assura que la chute de lord Cornwallis avait produit un glorieux effet dans toute l'Europe[1]. Puis il partit avec ses amis pour Versailles et pour Paris. Il arriva inopinément dans la capitale le lundi 21 janvier[2], pendant que sa femme assistait, à l'Hôtel de Ville, aux fêtes données en l'honneur de la reine à l'occasion de la naissance d'un dauphin. Le bruit de la présence du jeune héros se répandit aussitôt ; les poissardes coururent à l'hôtel de Noailles et lui offrirent deux branches de laurier[3]. La marquise de La Fayette, avertie, aurait eu quelque peine à rejoindre son époux, à cause du cortège et de la foule, si la reine ne l'avait fait monter dans un de ses carrosses et ne l'avait déposée à l'hôtel de Noailles[4]. Le marquis se précipita au-devant de sa femme, qui s'évanouit de joie ; il la reçut dans ses bras et la transporta dans ses appartements, aux applaudissements des spectateurs[5]. Le lendemain 22 janvier, il se rendit à Versailles et reçut du roi le meilleur accueil. Louis XVI fit l'éloge de Washington. A la Cour comme à la ville, chacun s'empressa autour du marquis et lui fit des protestations d'estime et d'amitié. Le vieux maréchal de Richelieu l'invita à dîner avec tous les maréchaux et porta la santé de Washington. La Fayette en informa son illustre ami dans une lettre écrite de Versailles le 30 janvier[6]. A l'Opéra, comme il assistait, le 10 février, à une représentation d'Iphigénie en Aulide, le public saisit le moment où le chœur chantait : Achille est couronné des mains de la victoire, pour l'applaudir, et l'actrice, mademoiselle Dorlay, s'avança près de sa loge et lui tendit la couronne de laurier qu'elle portait à la main[7]. Enfin l'amour ne lui fut pas moins propice, car La Fayette conquit la belle comtesse de Simiane, une des reines de la Cour par la grâce, par l'esprit et par le cœur[8].

La Fayette avait une importante mission à remplir : il fallait obtenir du gouvernement français de nouveaux subsides. C'était là chose difficile ; Franklin disait qu'il n'y avait rien à espérer[9], mais il fut si bien réconforté par le marquis qu'il écrivait, le 4 mars 1782, à Robert Livingston :

A son retour en France, le marquis de La Fayette a été reçu par tout le monde avec toute la distinction possible. Il gagne journellement dans l'estime et l'affection générale et promet d'être un grand homme en son pays. Il est chaudement attaché à notre cause ; nous sommes sur le pied le plus amical et le plus confidentiel, et il m'est vraiment utile dans mes demandes pour obtenir un surcroît d'assistance[10].

 

Ces graves préoccupations n'empêchèrent pas La Fayette de satisfaire le désir que lui avait manifesté Washington d'avoir les portraits de toute sa famille. et il se fit peindre avec sa femme et ses deux enfants[11]. Puis, le 20 mars 1782, il signala au comte de Vergennes les singuliers agissements de l'Espagne à l'égard des États-Unis. Je vois, monsieur le comte, disait-il, que les droits de la France à la gloire de cette révolution et à la reconnaissance des Américains ne pourront être justement partagés par aucune puissance de l'Europe. Le 30, il se trouvait à Antony, chez le marquis de Castries, alors ministre de la marine, qui se reposait pendant la semaine sainte des soucis de son administration. C'est de là qu'il écrivit à Washington :

Indépendamment de ma situation à la cour et dans la société, les marques d'affection que je reçois chaque jour du peuple en général me rendent aussi heureux que possible. Toute l'influence que je puis avoir me sera vraiment précieuse toutes les fois qu'elle sera employée au service de notre cause chérie. Je suis parfaitement satisfait des dispositions du gouvernement. Les deux nations seront pour toujours attachées l'une à l'autre, et l'envie et la perfidie britanniques, dont toutes deux sont l'objet, ne peuvent que cimenter entre elles une amitié et une alliance éternelles.

 

Le 12 avril 1782, La Fayette recommanda chaudement à Washington son intime ami, le comte de Ségur, un des hommes les plus aimables, les plus spirituels et les meilleurs que j'aie jamais vus, et qui abandonnait l'espoir d'un régiment pour aller servir en Amérique.

Cependant des négociations avaient été entamées entre l'Angleterre, d'une part, et la France et les États-Unis, de l'autre. L'envoyé britannique, Thomas Grenville, agissait avec lenteur. Le 2 juin 1782, La Fayette alla diner avec Franklin et tous deux se communiquèrent leurs inquiétudes à ce sujet. Le marquis attendait, pour se rendre en Amérique. de savoir s'il y aurait ou non un traité[12]. Son impatience devint telle qu'interpellé par Grenville sur son prochain départ, il lui répliqua vertement qu'il voyait bien que l'espérance de paix n'était qu'un jeu. Grenville protesta de la sincérité des intentions de l'Angleterre[13], et les pourparlers continuèrent avec le comte de Vergennes[14]. Franklin insistait pour obtenir de l'envoyé du roi Georges des déclarations précises sur les intentions de son gouvernement, mais, atteint de l'influenza. qui régnait alors en Europe, il dut charger La Fayette de le remplacer à Versailles. Le marquis vit le ministre, le 20 juin 1782, et rendit compte par écrit à Franklin de sa mission[15], puis il alla le visiter dans la soirée, sans pouvoir lui apprendre rien de nouveau[16]. Le 23 juin, de Saint-Germain, il rendit compte à Robert Livingston de ces négociations.

Pendant ce temps on donnait, le 8 juin 1782, à Versailles, une dernière fête en l'honneur du comte du Nord, le futur empereur de Russie Paul Ier, et de sa femme, qui visitaient alors la France. La reine, costumée en belle Gabrielle, ouvrit le bal avec le comte d'Artois et dansa un quadrille avec La Fayette[17], donnant ainsi une marque de faveur au jeune héros.

Le marquis appartenait, comme beaucoup de gentilshommes de son temps, à la franc-maçonnerie. Il fut comblé par ses frères de témoignages d'estime exceptionnels. Le 24 juin 1782, il alla visiter la loge de Saint-Jean d'Ecosse du Contrat social, loge mère du Rit écossais, et y fut reçu avec toutes les distinctions réservées pour les héros : par une faveur unique jusqu'alors, il fut nommé membre de l'atelier par acclamations unanimes, et non par la voie du scrutin[18].

Le 14 octobre 1782, La Fayette annonça à Washington la naissance d'une fille, à laquelle il avait donné le nom d'une des provinces américaines, Virginie[19]. Le 24, il l'informa qu'il avait accepté de servir sous les ordres du comte d'Estaing. En effet, celui-ci devait commander une expédition concertée entre la France et l'Espagne contre l'Angleterre, qui ne se décidait pas assez vite à conclure la paix, et La Fayette avait été désigné comme maréchal général des logis de l'armée. En attendant, le marquis réclamait des secours pour les Etats-Unis, avec d'autant plus d'insistance que l'armée de Rochambeau revenait en France. Je crois nécessaire, écrivait-il au comte de Vergennes le 22 novembre 1782, que pour le succès de la gloire et la cause commune un généreux et dernier effort soit fait en faveur des Américains. Il alla prendre congé du ministre à Versailles, le dimanche 24 novembre, et il obtint la promesse d'un secours de six millions de livres. Le lendemain 25, La Fayette partit pour Brest[20] ; il avait conservé son uniforme américain, pour bien marquer ses préférences et son espoir[21]. Il arriva à Brest le 3 décembre au matin, et dès le 14 il en informa Washington. Puis il rejoignit l'amiral d'Estaing à Cadix vers la fin de décembre[22].

Malgré ces préparatifs guerriers, les négociations avec l'Angleterre se poursuivaient[23]. Aboutiraient-elles ? La Fayette en doutait. Il paraît que la paix s'éloigne, écrivait-il de Cadix au comte de Vergennes, le 1er janvier 1783, et que nous aurons encore une campagne. Le même jour, il disait à Madame de Tessé :

Aurons-nous la paix, ma chère cousine, et faut-il encore se battre pour s'entendre ? Ma grande affaire à moi paraît être arrangée, car l'Amérique est sûre de son indépendance, l'humanité a gagné son procès, et la liberté ne sera jamais plus sans asile. Puissent à présent nos succès déterminer la paix générale, puisse la France reprendre son rang et ses avantages, et je serai parfaitement heureux, car je ne suis pas assez philosophe pour ne pas mettre un intérêt particulier aux affaires publiques.

 

On s'entendit sans se battre : les préliminaires de paix entre la France et l'Angleterre furent signés à Versailles le 20 janvier 1783. L'indépendance des Etats-Unis était désormais assurée. La Fayette, qui se trouvait toujours à Cadix, exprima, le 3 février, au président du Congrès, sa joie de cet heureux résultat. et il ajouta ces sages considérations :

Aujourd'hui que notre noble cause a prévalu, que notre indépendance est fermement établie et que la vertu républicaine a obtenu sa récompense, aucun effort, j'espère, ne sera négligé pour fortifier l'union fédérale. Puissent les États être toujours unis, de manière à défier les intrigues européennes ! Sur cette union reposeront leur importance et leur bonheur. C'est le premier vœu d'un cœur plus véritablement américain que des mots ne peuvent l'exprimer.

 

Le même jour, il s'entretenait avec Washington en des termes qu'il convient de citer :

Si vous n'étiez qu'un homme tel que César et le roi de Prusse, je serais presque affligé pour vous de voir se terminer la grande tragédie où vous jouez un si grand rôle. Mais je me félicite avec mon cher général de cette paix qui accomplit tous nos vœux... Quels sentiments d'orgueil et de bonheur j'éprouve en pensant aux circonstances qui ont déterminé mon engagement dans la cause américaine ! Quant à vous, mon cher général, qui pouvez dire véritablement que tout cela est votre ouvrage, quels doivent être les sentiments de votre bon et vertueux cœur en cet heureux moment qui affermit et qui couronne la révolution que vous avez faite ! Je sens qu'on enviera le bonheur de mes petits-enfants, lorsqu'ils célébreront et honoreront votre nom. Avoir eu un de leurs ancêtres parmi vos soldats, savoir qu'il eut la bonne fortune d'être l'ami de votre cœur sera l'éternel honneur dont ils se glorifieront.

 

La Fayette interprétait sainement les sentiments de Washington et il prévoyait que sa propre gloire serait défendue devant la postérité par sa participation à une œuvre juste et grande et par une si glorieuse amitié.

La paix, dont se félicitaient ainsi Washington et La Fayette, inspira à Franklin les nobles pensées que voici :

Maintenant pardonnons et oublions. Que chaque pays cherche son avantage dans le progrès des arts et de l'agriculture et non en retardant ou en empêchant la prospérité de l'autre. Avec la bénédiction de Dieu, l'Amérique deviendra un grand et heureux pays, et l'Angleterre, si elle a enfin trouvé la sagesse, aura gagné quelque chose de plus précieux, de plus essentiel à sa prospérité que tout ce qu'elle a perdu ; elle continuera d'être une grande et respectable nation[24].

 

La Fayette voulait retourner aux Etats-Unis et il fit à son illustre ami la philanthropique proposition que voici :

A présent, mon cher général, que vous allez goûter quelque repos, permettez-moi de vous proposer un plan qui pourrait devenir grandement utile à la portion noire du genre humain. Unissons-nous pour acheter une petite propriété, où nous puissions essayer d'affranchir les nègres et de les employer seulement comme des ouvriers de ferme. Un tel exemple, donné par vous, pourrait être généralement suivi, et si nous réussissions en Amérique, je consacrerais avec joie une partie de mon temps à mettre cette idée à la mode dans les Antilles. Si c'est un projet bizarre, j'aime mieux être fou de cette manière que d'être jugé sage pour une conduite opposée[25].

 

Après avoir arraché les Américains à l'oppression anglaise, La Fayette voulait affranchir les nègres. Cette idée généreuse, il la reprendra plus tard et il l'appliquera. En attendant, il quitta Cadix et se rendit à Madrid pour y traiter avec le comte de Florida-Blanca des relations à établir entre l'Espagne et les États-Unis. Il fut reçu avec distinction par le roi Charles III, le 17 février 1783, et il écrivit le même jour à sa tante madame de Tessé :

J'ai fait ce matin ma cour au roi, et, malgré mon titre et habit rebelles, j'ai vu des grands bien petits, surtout lorsqu'ils étaient à genoux, et il y a là de quoi faire éternuer un cerveau indépendant.

 

Le 19 février il résuma, dans une lettre au comte de Florida-Blanca, le résultat de ses conférences avec le ministre espagnol. L'envoyé des États-Unis, Carmichael, présenta ses lettres de créance et fut reçu officiellement à la Cour. Ce résultat avait été difficile à obtenir, car le roi craignait que l'exemple donné par les Américains ne devint contagieux pour les colonies espagnoles[26]. La Fayette, ayant accompli sa mission, quitta Madrid et arriva à Bordeaux le 2 mars, d'où il revint à Paris. Le 12 mars, il reçut le brevet de maréchal de camp et rentra ainsi dans l'armée française[27]. Le comte d'Estaing avait rendu témoignage des services rendus à Cadix par son lieutenant[28].

La Fayette partit pour son château de Chavaniac, près de Brioude, le 19 mars 1783[29]. Sa tante Marguerite-Madeleine venait de mourir, et il tenait à consoler Madame de Chavaniac, désormais isolée. D'autres soucis le préoccupaient. Les mauvaises récoltes ayant amené une disette dans la Basse-Auvergne, les habitants des domaines du marquis avaient demandé des secours à l'intendant de la province, M. de Chazerat, qui se trouvait alors à Versailles, disant qu'ils n'avaient évité les horreurs de la famine que par des secours extraordinaires que leur a procurés M. de La Fayette, leur seigneur[30]. Ils avaient chargé leur seigneur de présenter la pétition à l'intendant et la marquise de La Fayette l'avait recommandée à celui-ci, le 26 février 1783. A peine arrivé, le général avisa aux moyens de secourir ses vassaux. Comme le régisseur de ses domaines lui montrait ses greniers encombrés de blé et lui disait : Monsieur le marquis, voilà le moment de vendre votre grain, La Fayette répondit : Non, c'est le moment de le donner. Et il fit distribuer aux pauvres le blé de ses greniers[31].

Le marquis était donc justement populaire. Il se rendit à Riom le 5 avril 1783, et fut reçu par les habitants avec enthousiasme. C'était, au dire d'un témoin oculaire, une allégresse générale dans la ville ; on s'embrassait presque sans se connaître ; on ne cessait de crier : Vive La Fayette[32].

La Fayette ramena à Paris sa tante Madame de Chavaniac. Le 5 mai 1783, il reçut la croix de Saint-Louis, en considération de ses services distingués en Amérique. où il s'est trouvé, en qualité de major général, à toutes les affaires qui ont eu lieu entre les troupes du roi d'Angleterre et celles des États-Unis, et où il a été très utilement employé d'ailleurs pour des objets de négociation[33]. Il fut reçu dans l'ordre par son beau-père le duc d'Aven.

Dans le même mois de mai 1783, La Fayette réalisa le projet, dès longtemps caressé[34], de quitter l'hôtel de Noailles et de s'établir dans son hôtel de la rue de Bourbon[35], près du palais de ce nom[36]. Il eut le plaisir de recevoir la réponse de Washington à sa lettre du 5 février[37] et le regret d'apprendre la mort de deux de ses compagnons d'armes, lord Stirling et le colonel Barber.

La Fayette ne cessait de s'occuper des intérêts des États-Unis. Dès son retour d'Espagne il avait négocié avec les ministres la désignation des ports francs ouverts au commerce américain. A Bayonne et Dunkerque, primitivement choisis, il fit ajouter Lorient et Marseille. Il demanda au comte de Vergennes la définition du port libre et le ministre la lui donna, le 29 juin 1783[38]. Au mois de juillet, il ramena sa tante dans le château de Chavaniac, en compagnie de sa femme et de sa belle-sœur la comtesse de Roure[39]. Là il répondit, le 20 juillet, à une lettre du président du Congrès, en date du 12 avril 1783, par laquelle celui-ci le remerciait de ses bons offices et le chargeait d'une négociation relative au payement de la dette des États-Unis à l'égard de la Grande-Bretagne. La Fayette informait le Congrès de ses démarches et de son heureux succès dans l'affaire des ports francs. Le 22 juillet, il exprimait à Washington son admiration toujours croissante :

Jamais homme n'a eu dans l'opinion du monde une place aussi honorable, et votre nom grandira encore, s'il est possible, dans la postérité. Tout ce qui est grand, tout ce qui est bon ne s'était pas jusqu'à présent trouvé réuni dans le même individu. Jamais il n'avait existé d'homme que le soldat, l'homme d'État, le patriote et le philosophe pussent également admirer, et jamais révolution ne s'était accomplie, qui, dans ses motifs, sa conduite et ses conséquences, pût si bien immortaliser son glorieux chef. Je suis fier de vous, mon cher général ; votre gloire me fait éprouver ce que je sentirais pour la mienne, et, tandis que le monde vous contemple, je jouis de penser et de dire que les qualités de votre cœur sont encore préférables à tout ce que vous avez fait.

Le 4 août 1783, les habitants de Langeac, seigneurie voisine de Chavaniac, vinrent offrir au marquis le vin de la ville et lui exprimer le désir de passer sous sa domination[40].

La Fayette revint à Paris, où une affaire assez délicate réclamait ses soins. Le 13 mai 1783, une Society of the Cincinnati avait été fondée par les officiers de l'armée américaine, sous la présidence de Washington, et le général Knox en avait rédigé les statuts. L'ordre de Cincinnatus, créé en même temps, avait pour insignes un aigle et un ruban bleu ; le titre de membre de l'ordre devait être héréditaire de mâle en mâle[41]. La Fayette fut un des premiers membres de cette institution et on le chargea de déterminer à quels officiers français ayant combattu pour l'indépendance des Etats-Unis il convenait de conférer le nouvel ordre. Le marquis intervint, le 16 décembre 1783, auprès du comte de Vergennes, et le conseil du roi décida que le comte de Rochambeau, ses généraux et colonels et les amiraux seraient autorisés à porter la croix de l'ordre de Cincinnatus. La Fayette, d'accord avec le gouvernement américain, eut pour mission de remettre les insignes aux chevaliers français et américains, et à cet effet il fit confectionner des aigles par le major Lenfant[42]. Le 19 janvier 1784, il réunit dans son hôtel les quelques officiers américains membres de l'ordre présents à Paris, les revêtit lui-même de l'aigle et alla ensuite, à leur tête, complimenter les officiers généraux français, auxquels le major Lenfant présenta les insignes[43]. Cette cérémonie eut quelque retentissement ; elle fut l'occasion de nombreuses réclamations d'officiers qui avaient fait les campagnes d'Amérique et pensaient avoir droit à l'ordre de Cincinnatus. Les capitaines de vaisseau, tels que le chevalier de Suffren et la Pérouse, se sentaient très mortifiés d'avoir été oubliés dans la distribution des aigles. La Fayette écouta leurs justes doléances et se fit leur interprète auprès de Washington[44].

Le marquis présenta, vers la fin de 1783, au nouveau ministre Calonne un mémoire relatif au commerce de l'Amérique, et il eut avec lui des conférences sur ce sujet. Calonne répondit, le 9 janvier 1784, qu'il en avait référé au roi et que Sa Majesté accordait aux États-Unis quatre ports francs, Lorient, Bayonne, Dunkerque et Marseille. Il assura La Fayette qu'il accueillerait toujours avec attention ses observations et ses demandes, et les termes de sa lettre prouvent combien le gouvernement avait de considération pour le généreux avocat de la cause américaine[45]. Le 10, le marquis informa le président du Congrès de l'heureuse issue de ses négociations et lui envoya le texte de la lettre du ministre. En conséquence, le Congrès vota des félicitations à La Fayette, dans sa séance du 3 mai 1784, et décida qu'on lui écrirait pour lui témoigner la vive reconnaissance qu'inspirent au Congrès les services importants qu'il en a reçus relativement au commerce entre la France et les États-Unis, particulièrement l'entrée libre dans plusieurs ports de S. M. T. C.[46].

Toujours épris de la nouveauté, La Fayette devint le disciple de Mesmer et il adhéra à sa doctrine le 5 avril 1784[47]. Le 14 mai suivant, il écrivit à Washington sur ce sujet délicat :

Un docteur allemand, nommé Mesmer, ayant fait la plus grande découverte sur le magnétisme animal, a formé des élèves, parmi lesquels votre humble serviteur est appelé l'un des plus enthousiastes[48]... Avant de partir, j'obtiendrai la permission de vous confier le secret de Mesmer, qui, vous pouvez y croire, est une grande découverte philosophique.

 

Cependant Washington avait, par une lettre du 1er février 1784, informé La Fayette qu'il venait de se retirer à Mount Vernon. Il lui disait dans des termes d'une admirable simplicité :

Enfin, mon cher marquis, je suis à présent un simple citoyen sur les bords du Potomac ; et, à l'ombre de ma vigne et de mon figuier, libre du tumulte des camps et des agitations de la vie publique, je me plais en ces jouissances paisibles que le soldat toujours poursuivant la renommée, l'homme d'État consacrant ses jours et ses nuits aux plans qui feront la grandeur de sa nation ou la ruine des autres, comme si ce globe ne suffisait pas à tous, le courtisan toujours épiant le visage de son prince dans l'espoir d'un gracieux sourire, doivent bien peu comprendre.

Je ne suis pas seulement retiré de tous les emplois publics, je suis rendu à moi-même et je puis retrouver la solitude et reprendre les sentiers de la vie privée avec une satisfaction plus profonde. Ne portant envie à personne, je suis décidé à être content de tout, et dans cette disposition d'esprit, mon cher ami, je descendrai doucement le fleuve de la vie, jusqu'à ce que je repose auprès de mes pères[49].

Washington terminait cette lettre en invitant son ami à le venir voir dans ses foyers.

Je vous remercie très sincèrement de votre invitation de demeurer chez vous, si j'allais à Paris. Je vois à présent peu d'apparence que je puisse entreprendre un tel voyage. Le dérangement de mes affaires personnelles pendant ces dernières années non seulement m'oblige à suspendre, mais peut m'empêcher de jamais satisfaire à ce désir. Puisque ce motif n'existe pas pour vous, venez, avec Madame de La Fayette, me voir dans mes foyers. Je vous ai dit souvent, et je vous répète, que personne ne vous recevra avec plus d'amitié et d'affection que moi, à qui Madame Washington se joindrait de grand cœur[50].

La Fayette, qui n'attendait que la fin de ses négociations pour quitter la France, informa son cher général, le 14 mai 1784, que son départ était proche :

A ma grande satisfaction, mon départ est fixé au 10 du mois prochain, époque où j'ai l'intention de quitter Paris et de m'embarquer immédiatement pour l'Amérique. Je me rendrai directement au Potomac, et c'est avec émotion que mon cœur jouit déjà du plaisir de nous retrouver à Mount Vernon.

 

Les journaux annoncèrent que La Fayette allait former des établissements dans les terres qui lui avaient été concédées par le Congrès[51]. Au moment de partir, le marquis reçut une lettre du gouverneur de Pennsylvanie l'informant que, le 4 mars 1784, le corps législatif de cet État avait érigé en comté une partie des terres situées à l'ouest des montagnes d'Alleghany et avait donné à ce comté le nom de La Fayette[52]. Ce témoignage de gratitude dut lui être très sensible : c'était une consécration durable de sa gloire.

Le 18 juin 1784[53], La Fayette quitta Paris, mais il ne s'embarqua à Brest que le 1er juillet[54] sur le paquebot le Courrier de New-York[55], en compagnie du chevalier de Caraman.

 

 

 



[1] Cf. Dans les Mémoires la lettre de La Fayette à Washington, en date de Lorient, 18 janvier 1782.

[2] On lit à ce sujet dans la Vie de madame la duchesse d'Ayen par madame de La Fayette. p. 78 : Le retour de M. de La Fayette et de mon beau-frère, le 21 janvier, pendant que nous étions à la ville, en fut le complément.

[3] Cf. Correspondance secrète de Métra, à la date du 24 janvier 1782, t. XII, p. 273, et Lescure, Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, t. Ier, p. 458, à la date du 1er février 1782.

[4] On lit à ce sujet dans la Correspondance secrète de Métra, à la date du 24 janvier 1782, t. XII, p. 273 : J'ai pu négliger de vous mander, Monsieur, que le marquis de La Fayette, arrivé, comme on sait, au milieu des fêtes de Paris, fut accueilli par une nombreuse et joyeuse bande de poissardes qui, l'ayant attendu, on ignore sur quel avis, à la porte de l'hôtel de Noailles, lui offrirent des branches de laurier ; mais ce que je me reprocherais de manquer de consigner ici, ce sont les témoignages de satisfaction dont l'ont honoré Leurs Majestés et une circonstance qui peint bien l'âme sensible et délicate de notre reine. La marquise de La Fayette s'était rendue à la ville, sur l'invitation qui lui en avait été faite. Au retour sa voiture ne l'aurait ramenée à l'hôtel de Noailles qu'en lui faisant perdre plus de six ou sept heures pour laisser passer tout le cortège. La reine voulut que cette dame prit une place dans l'une des voitures de Sa Majesté et daigna même faire arrêter le cortège devant l'hôtel de Noailles, afin que la marquise pût descendre et se rendre auprès de lui.

[5] La Gazette d'Amsterdam publia, le 1er février 1782, sous la rubrique de Paris, 25 janvier, le récit suivant : Le marquis parut mardi à la Cour, où Sa Majesté lui témoigna combien elle était sensible à ses services. Tous les courtisans s'empressèrent à l'envi de lui marquer leur estime et leur amitié. Mais rien ne fut plus touchant que la première entrevue du marquis avec sa jeune épouse. Le jeune héros avait voulu la surprendre, mais les cris d'un peuple innombrable qui, au premier instant de son arrivée, faisait retentir son nom de tous les côtés, rendit toutes ces précautions vaines. On eut toutes les peines du monde à retenir la jeune épouse de se jeter dans la foule pour aller à sa rencontre. La reine, avertie de son embarras, envoya un de ses propres carrosses pour la prendre. La marquise arriva ainsi à l'hôtel de Noailles. Le jeune marquis, ayant entendu sa voix, s'élança des appartements, vola à la portière, reçut entre ses bras sa tendre épouse, à qui l'excès de la joie avait ôté la connaissance. Il la porta de la sorte entre ses bras, au milieu des applaudissements d'une multitude qui ne pouvait s'empêcher de faire éclater sa sensibilité sur cette scène touchante de la tendresse conjugale.

Une autre version se trouve dans le journal inédit du libraire Hardy, t. V. p. 97 ; on y dit que la reine adressa des compliments à La Fayette. — Cf. Pièces justificatives, n° XI.

[6] On y lit ce passage : J'ai été reçu par la nation en général, par le roi et par mes amis, d'une manière dont vous auriez joie et qui a surpassé toute mon ambition. Le roi m'a parlé de vous dans des termes d'une si haute confiance, m'a tellement exprimé la considération, l'admiration et l'affection qu'il a pour vous, que je ne puis me dispenser de vous le dire. J'ai été l'autre jour invité à diner chez le maréchal de Richelieu, avec tous les maréchaux de France. Votre santé y a été portée avec toute sorte de respect, et j'ai été chargé de vous présenter les hommages de ce corps. Tous les jeunes gens de la Cour sollicitent la permission d'aller en Amérique. — Cette considération pour Washington n'était pas nouvelle ; dès le 10 mars 1731 le comte de Vergennes écrivait à La Fayette : J'ai lieu de croire que M. Washington sera content des efforts que nous faisons pour le soutien de la cause américaine, et qu'il fera de son côté tout ce qui sera en son pouvoir pour qu'ils ne soient pas infructueux. Je vous prie d'assurer ce général que nous mettons la plus entière confiance dans son zèle, dans son patriotisme et dans ses talents, et que nous le verrons avec bien du plaisir acquérir enfin la gloire d'avoir délivré sa patrie et assuré sa liberté. (Arch. des Affaires étrangères, Etats-Unis, t. XV, n° 92.)

[7] On lit à ce sujet dans les Mémoires secrets de Bachaumont, à la date du 11 février 1782 : Hier, on jouait à l'Opéra Iphigénie en Aulide. M. le marquis y était en loge. Le public l'a découvert dans le fond, où sa modestie l'obligeait de se tapir, et a saisi le moment où le chœur chante : Achille est couronné des mains de la victoire, pour l'applaudir. Ce signal a encouragé l'actrice, qui, de son propre mouvement, a dirigé vers lui une couronne de laurier qu'elle tenait en main. Elle n'a pu en faire davantage, n'y étant point autorisée par ses supérieurs. Le parterre a admiré la présence d'esprit de Mademoiselle Torlay, qui avait si bien saisi son vœu, et a redoublé de battements de mains. Tous les talons rouges, présents au triomphe du jeune héros, n'ont pas approuvé l'action de Mademoiselle Torlay ; ils sont furieux que M. de La Fayette, à 24 ans, soit désigné maréchal de camp, sans avoir passé par le grade de brigadier ; ils disent qu'il n'a rien fait d'extraordinaire et qu'ils en auraient bien fait autant, s'ils avaient eu les mêmes occasions. (Cf. aussi la Correspondance secrète de Métra, à la date du 13 février 1782, t. XII, p. 307.) — Le même nouvelliste cite, à la date du 27 juin 1783, ces vers d'un vaudeville historique de circonstance, relatifs au voyage de La Fayette en Amérique :

Dans les champs de l'Amérique

Qu'un guerrier vole aux combats,

Qu'il se mêle des débats

De l'empire britannique ;

Eh ! qu'est qu'ça m'fait à moi ?

J'ai l'humeur très pacifique.

Eh ! qu'est qu'ça m'fait à moi.

Quand je chante et quand je bois.

[8] Cf. A. Bardoux, La Jeunesse de La Fayette, p. 147 : Etre aimé de Madame de Simiane, dit-il, passait aux yeux du vieux duc de Laval pour une conquête aussi difficile que celle des principes de 1789. La comtesse, qui était une Damas, resta la fidèle amie de La Fayette. Madame Vigée Le Brun fit son portrait, et elle reçut à cette occasion la visite du marquis. Sa figure, dit-elle, me parut agréable ; son ton, ses manières, avaient beaucoup de noblesse, et n'annonçaient pas le moins du monde des goûts révolutionnaires. (Mémoires, t. Ier, p. 254.)

[9] Dans sa lettre du 30 janvier 1782, La Fayette écrivait à Washington qu'il trouvait très difficile, presque impossible, d'avoir de l'argent. A mon arrivée, M. Franklin me dit qu'il n'y avait rien à espérer. Cependant, j'ai eu quelques conversations sur cet objet. J'espère, entre nous, que quelque chose pourra être obtenu ; je ne voudrais pas cependant que M. Morris y comptât beaucoup.

[10] Cf. Correspondance de Benjamin Franklin, t. II, p. 154.

[11] Le continuateur de Bachaumont publie l'information suivante, à la date du 16 mars 1782 : Le général Washington a prié M. de La Fayette, partant pour la France, de lui rapporter les portraits de toute sa famille. Ce seigneur a, en effet, fait composer un tableau historique qui remplit parfaitement cet objet. Mme de La Fayette y est représentée dans son appartement, entourée de ses trois enfants ; elle tient à sa main un uniforme américain. Le garçon, bouillant de marcher sur les traces de son illustre père. est représenté déjà un bras passé dans une manche, et s'efforçant de mettre l'autre, ce qui jette du mouvement dans la scène. Le marquis de La Fayette est présent, et l'on voit à son étonnement succéder la joie qui brille dans ses yeux. Cette composition, sage, ingénieuse et très convenable aux circonstances, fait beaucoup d'honneur au jeune artiste qui en est l'auteur, et dont c'est, en quelque sorte, le coup d'essai. — La Fayette annonça à Washington, par une lettre du 14 mai 1784, que ce tableau lui serait porté et remis par John Jay, qui retournait en Amérique ; toutefois, ledit tableau n'arriva à destination qu'en avril 1785. En effet, Washington écrivit à La Fayette le 23 juillet 1785 : J'ai eu, à la fin d'avril, le plaisir de recevoir en bon état, par un bâtiment venant de Londres, votre portrait, celui de Madame de La Fayette et de vos enfants. Ce présent est pour moi sans prix ; je vais lui donner la meilleure place dans ma maison.

[12] Franklin dit, dans son Journal des négociations de paix entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d'Amérique (Correspondance, t. II, p. 242) : Dimanche 2 juin. Le marquis de La Fayette est venu me voir et a dîné avec moi. Il est inquiet de ces retards ; il ne peut partir pour l'Amérique jusqu'à ce qu'il sache avec quelque certitude s'il y aura ou non un traité.

[13] On lit dans le Journal de Franklin (Correspondance, t. II, p. 257) : Lundi 10 juin. Le marquis de La Fayette ne vint chez moi qu'entre onze heures et midi. Il amena avec lui le major Ross. Après déjeuner, comme le major venait de passer dans une autre pièce, il me dit qu'il avait vu depuis peu M. Grenville, qui lui avait demandé quand il comptait partir pour l'Amérique, et qu'il avait répondu : Je suis resté ici plus longtemps que je ne l'aurais fait, afin de voir si nous aurions la paix ou la guerre ; mais comme je vois que cette espérance de paix n'est qu'un jeu et que vous ne faites que nous amuser, sans avoir aucune intention de traiter, je ne compte pas demeurer plus longtemps : je partirai sous peu de jours. Sur quoi M. Grenville lui avait répondu que ce n'était point un jeu ; qu'ils étaient sincères dans leur intention de traiter, et que le marquis en serait convaincu sous quatre ou cinq jours.

[14] Franklin, dans son Journal (Correspondance, t. II, p. 265), dit, à la date du 17 juin 1782 : Le soir, le marquis de La Fayette est venu chez moi il m'a dit qu'il avait vu le comte de Vergennes et que le ministre était content des pouvoirs de M. Grenville. Il me demanda ce que j'en pensais ; je lui répétai ce que j'avais dit à M. Grenville au sujet de leur imperfection à notre égard. Il fut de mon avis.

[15] Cf. Correspondance de Benjamin Franklin, t. II, p. 267.

[16] Franklin écrit à ce sujet dans son Journal : Dans la soirée le marquis vint chez moi et m'apprit que M. Grenville avait vu le comte de Vergennes, mais il ne put me dire ce qui s'était passé.

[17] Ces détails sont fournis par les Mémoires du duc de Croy (Cf. Revue rétrospective de Paul Cottin, 1896, t. V, p. 418). On y lit : La reine avait copié, pour son habillement, le tableau de la Belle Gabrielle. Elle dansa aussi un quadrille avec M. de La Fayette.

[18] Cette loge avait alors pour vénérable le marquis de Rouillé. Dans une adresse envoyée par elle à toutes les loges régulières. et dont un exemplaire est conservé dans la bibliothèque particulière du Grand Orient de France, on lit (p. 14) ce passage relatif au vénéralat dudit marquis de Rouillé :

Le commencement de son gouvernement a été marqué par un événement assez flatteur pour la R*** L*** pour qu'elle vous en fasse part. Le C*** F*** de La Fayette lui ayant fait la faveur de la visiter. y fut reçu avec toutes les distinctions réservées pour les héros : et ayant été ensuite proposé pour être affilié, il fut admis par acclamations unanimes, et non par la voix du scrutin, distinctions qui n'avaient point eu d'exemple jusqu'alors. Ce C*** F*** est devenu et a été proclamé membre de cette R*** L*** après en avoir prêté le serment le 24e jour du 4e mois de cette 1782.

Sur la liste des membres, La Fayette est inscrit sous cette rubrique : LA FAYETTE (marquis de), général-major en Amérique, Maitre.

[19] Antoinette-Marie-Virginie, née à Paris le 17 septembre 1782, mariée, en 1801, au comte Louis de Lasteyrie du Saillant. — La Fayette ayant annoncé la naissance de sa fille à Benjamin Franklin, celui-ci répondit plaisamment qu'il souhaitait qu'il eût assez d'enfants pour leur faire porter le nom de chaque province des Etats-Unis. (Cf. Mémoires secrets, à la date du 29 septembre 1782.)

[20] La Gazette d'Amsterdam publia, le 6 décembre 1782, cette information datée de Paris, 29 novembre : Le marquis de La Fayette a, dimanche passé, fait ses adieux et pris le lendemain la route de Brest pour s'embarquer sur la flotte destinée pour les Antilles. On prétend qu'il servira en qualité de quartier-maitre général des troupes qui doivent servir dans cette partie du monde ; on a cependant remarqué qu'il était parti sous l'uniforme américain, ce qui paraît indiquer qu'il né servira pas comme Français, mais comme officier général du Congrès.

[21] La Fayette avait écrit, le 24 octobre 1782, à Washington : Quoique je doive rentrer dans l'armée française comme maréchal de camp, à dater de la reddition de lord Cornwallis, je garderai mon uniforme américain et l'extérieur aussi bien que l'intérieur d'un soldat américain. Je traiterai les affaires et prendrai des ordres comme un officier emprunté aux Etats-Unis, et je guetterai l'heureux moment où je pourrai joindre nos chers drapeaux.

[22] Le 27 décembre 1782, le baron de Falckenhain écrivait de Cadix au marquis de Ségur qu'il était bien aise d'avoir fait la connaissance de La Fayette. (Orig., Arch. hist. de la guerre, vol. n° 1732.)

[23] Le 10 novembre 1782, les plénipotentiaires américains avaient signé, à l'insu du gouvernement français, un traité provisoire avec l'Angleterre. Le comte de Vergennes écrivit à Franklin, le 15 décembre, pour se plaindre de ce procédé incorrect, et Franklin s'excusa, le 17, et déclara que aucune paix ne se fera entre nous et l'Angleterre sans que la vôtre ne soit conclue. (Cf. Correspond de Benjamin Franklin, t. II, p. 299 à 301.)

[24] Cf. dans la Correspondance de Benjamin Franklin, t. II, p. 309, la lettre à Jonathan Shipley, en date du 17 mars 1783.

[25] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date duc février 1783.

[26] La Fayette rendit compte de ses négociations à Robert Livingston dans une lettre datée de Bordeaux, 2 mars 1783.

[27] Le ministre de la guerre fit présenter au roi la note suivante (Arch. adm. de la guerre) :

La paix étant faite, M. le marquis de la Fayette est dans le cas de jouir de la grâce que le roi a bien voulu lui accorder à l'occasion de la conduite distinguée qu'il a tenue depuis le commencement de la guerre.

Sa Majesté lui a accordé le grade de maréchal de camp à la fin de la guerre, lorsqu'il rentrerait au service de France. en quittant le régiment dont il était alors pourvu, et Sa Majesté a en même temps décidé que son brevet de maréchal de camp serait daté du 19 octobre 1781, jour de la prise d'York-Town.

On demande les intentions de Sa Majesté.

Louis XVI revêtit cette note de son approbation et le brevet fut expédié. La Fayette figura dès lors sur la liste des maréchaux de camp à la date du 19 octobre 1781.

[28] Le comte d'Estaing envoya au maréchal de Ségur l'attestation suivante (Arch. adm. de la guerre) :

M. le marquis de la Fayette. Son nom dit tout. Je ne me permets, comme général, que l'amour-propre de le mettre sous les yeux de Monsieur le maréchal de Ségur, qui n'ignore pas toute la persévérance avec laquelle j'ai sollicité d'avoir un pareil second. Je nie borne à répéter ce que le ministre du roi sait, c'est que M. le marquis de la Fayette a été à Cadix, comme en Amérique, toujours lui-même. Il n'a fait d'ailleurs que des dépenses nécessaires, mais elles étaient indispensables et elles ont été considérables.

ESTAING.

[29] La Fayette écrivait de Paris, le 19 mars 1783, au comte de Vergennes : Je pars pour l'Auvergne. Monsieur le comte, et, à moins que je ne reçoive vos ordres, je serai une vingtaine de jours dans ce voyage.

[30] Cf. H. Doniol, Une correspondance administrative sous Louis XVI, épisode de la jeunesse de La Fayette, dans les Séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, 1875, t. CIV, p. 49.

[31] A ce sujet Gueyffier, subdélégué de l'élection de Brioude, écrivit, le 27 mars 1783, à l'intendant d'Auvergne : M. le marquis de la Fayette est actuellement dans ses terres d'Auvergne. J'ai eu l'honneur de lui faire nia cour et il m'a demandé si vous ne m'aviez pas donné des ordres relativement aux secours en blés de mars qu'il a sollicités pour les paroisses d'Aurat, Jax, Vissac, Auteyrat, Seaugues, Saint-Julien et Saint-Geneix de Fix. Il m'a paru fortement touché de l'alarme généralement répandue sur le succès de la récolte prochaine... Il s'occupe de faire distribuer cent septiers de seigle qui seront donnés gratuitement aux pauvres, et il m'a dit que, s'il avait pu faire de plus amples charités, il n'aurait pas importuné l'administration. (Cf. H. Doniol, ut supra, p. 60.)

[32] On lit dans les Mémoires secrets de Bachaumont, t. XXII, p. 322 : 14 mai 1783. Extrait d'une lettre de Riom en Auvergne le 6 mai : Il y a un mois effectivement que nous avons eu le plaisir de posséder ici le marquis de la Fayette, c'est-à-dire qu'il y était le 5 avril. Il a été reçu avec tous les honneurs dont on vous a rendu compte et qu'il mérite bien. Le corps de ville, précédé d'instruments et des sergents de la milice bourgeoise, alla lui présenter le vin d'honneur ; trois députés du présidial, en robes rouges, le complimentèrent. Enfin, c'était une allégresse générale dans la ville ; on s'embrassait presque sans se connaître ; on ne cessait de crier : Vive La Fayette ! Chacun de ses concitoyens semblait participer à sa gloire, car il faut que vous sachiez que cette maison est de notre province. C'est mime ce qui nous a procuré l'avantage de posséder un instant ce jeune seigneur. Il venait d'y perdre une de ses tantes et s'empressait d'arracher une autre qui lui reste à sa douleur et de l'emmener avec lui. Cet acte de tendresse, vous prouve qu'il est susceptible de tous les sentiments. Il a reçu, avec la modestie qui le caractérise, tous les hommages qu'on lui a offerts.

[33] Cf. Archives administratives de la guerre. — On lit, à ce sujet, dans la Correspondance secrète de Métra, t. XIV, p. 341, à la date du 20 mai 1783 : M. le marquis de la Fayette vient d'être décoré de la croix de Saint-Louis. On remarque que le roi ne fait pas grâce de six mois au nouveau chevalier.

[34] Dès le 6 janvier 1778, La Fayette écrivait d'Amérique à sa femme : Ne pensez-vous pas qu'après mon retour, nous serions assez grands pour nous établir dans notre maison, y vivre heureux ensemble, y recevoir nos amis, y établir une douce liberté, et lire les gazettes des pays étrangers, sans avoir la curiosité d'aller voir nous-mêmes ce qui s'y passe ?

[35] L'hôtel de La Fayette était situé au n° 81 de la rue de Bourbon, actuellement rue de Lille. Il avait coûté 200.000 livres, plus 50.000 livres de réparations et 50.000 livres de mobilier. (Cf. Henry Mosnier, p. 57.)

[36] Madame de La Fayette raconte, dans la Vie de Madame la duchesse d'Ayen, p. 83, qu'elle quitta la maison paternelle et s'installa rue de Bourbon, après le mariage de sa sœur Anne-Paule-Dominique de Noailles avec le marquis Joachim de Montagu, qui avait eu lieu le 12 mai 1783.

[37] Cette lettre de Washington est datée du 5 avril 1783.

[38] Voici cette définition : Un port libre. Monsieur, est une place d'où l'on peut exporter et où l'on peut importer librement toutes sortes de marchandises étrangères et domestiques. Vous jugez, Monsieur, d'après cette définition, que toutes les marchandises du Nord, sans exception, peuvent être importées à Lorient, et être exportées par les Américains. (Cf. Courrier de l'Europe, n° 201, 28 septembre 1784, p. 205.)

[39] Cf. Madame de La Fayette, Vie de Madame la duchesse d'Ayen, p. 85, et Henry Mosnier, p. 19.

[40] Cf. Tablettes historiques du Velay, 1872, p. 314.

[41] Cette clause d'hérédité souleva des protestations violentes contre l'ordre de Cincinnatus. John Adams et Benjamin Franklin la combattirent comme dangereuse pour l'égalité démocratique. Ce dernier encouragea Mirabeau à écrire et à publier un travail sur la Noblesse héréditaire (Cf. Correspondance de B. Franklin, t. II, p. 360). Aussi Washington obtint-il, en mai 1784, le renoncement des officiers américains à ce privilège. — (Cf., sur la Société des Cincinnati, Jared Sparks, t. IX, p. 495 à 500.)

[42] Officier français au service des États-Unis, délégué par l'armée américaine.

[43] Cf. le continuateur de Bachaumont, à la date du 9 février 1784. On y lit : Les premiers [les officiers américains] s'étant rassemblés chez le marquis de la Fayette, ce général les revêtit des aigles, marque distinctive de l'association, et fut aussitôt après à leur tète complimenter les amiraux, chefs d'escadre et généraux des armées françaises, auxquels le major l'Enfant, député par l'armée américaine et portant des ordres de Cincinnati, présenta les aigles, portant sur leur poitrine les emblèmes relatifs au caractère de Cincinnatus, avec ces devises : Cincinnia relinqui ad servandam rempublicam of virtutis prœmium.

[44] Cf. Lettre de La Fayette à Washington, en date du 9 mars 1784.

[45] Voici des passages de cette lettre, qui a été publiée par le Courrier de l'Europe (n° 297, 28 septembre 1784, p. 205) : Je suis autorisé à vous annoncer que l'intention de Sa Majesté est d'accorder aux États-Unis les ports de Lorient et de Bayonne comme ports libres, ainsi que ceux de Dunkerque et de Marseille. Lorient sera absolument libre. Pour Bayonne, la liberté sera restreinte pour le tabac, qui y est sujet à un droit. Les Américains peuvent, dès ce moment, envoyer leurs vaisseaux dans ces quatre ports, où ils n'éprouveront aucune espèce de difficultés... Les plaintes qu'on pourra vous faire, ou que M. Franklin et les autres ministres américains, que je serais charmé de voir, pourront me transmettre contre leur conduite [celle des fermiers généraux], seront examinées avec une grande attention, et le gouvernement ne souffrirait point qu'ils exercent aucune vexation... Enfin, Monsieur, vous pouvez compter que je serai toujours disposé, ainsi que M. le maréchal de Castries, à recevoir et à écouter avec attention les demandes et représentations ultérieures que vous jugerez à propos de faire en faveur du commerce de l'Amérique.

[46] Cf. Courrier de l'Europe, n° 201, 28 septembre 1784, p. 205.

[47] L'engagement original de La Fayette fait partie de ma collection révolutionnaire et il est reproduit en fac-simile.

[48] Louis XVI n'approuvait pas cet engouement pour Mesmer et sa doctrine. Si on en croit Meister, il dit à La Fayette, au moment de son départ pour l'Amérique : Que pensera Washington quand il saura que vous êtes devenu le premier garçon apothicaire de Mesmer ? (Cf. note de Maurice Tourneux, dans le t. XIV de son édition de la Correspondance de Grimm, p. 25.)

[49] Voici le texte anglais de cette lettre, que Guizot appelait un monument :

At length, my dear Marquis, I am become a private citizen on the batiks of the Potomac ; and under the shadow of my own vine and my own fig-tree, free from the bustle of a camp, and the busy scenes of public life, I am solacing myself with those tranquil enjoyments, of which the soldier, who is ever in pursuit of fame, the statesman, whose watchful days and sleepless nights are spent in devising schemes to promote the welfare of bis own, perhaps the ruin of other countries, as if this globe was insufficient for us all, and the courtier, who is always watching the countenance of bis prince, in hopes of catching a gracious smile, can have very little conception. I have not only retired from all public employments, but I am retiring within myself, and shall be able to view the solitary walk, and tread the paths of private life, with a heartfelt satisfaction. Envious of none, I am determined to be pleased with all ; and this, my dear friend, being the order for my march, I will moue gently down the stream of life, until I sleep with my fathers. (Cf. Jared Sparks. t. IX, p. 17). — J'ai modifié, d'après ce texte, la traduction imprimée dans les Mémoires de La Fayette.

[50] Washington n'alla jamais en Europe et Mme de La Fayette n'accompagna pas son mari en Amérique.

[51] On lit, en effet, dans le Courrier de l'Europe, n° 43, 28 mai 1784, sous la rubrique des Nouvelles de France du 24 mai : M. le marquis de La Fayette doit aussi incessamment partir pour l'Amérique, pour former des établissements dans les concessions qui lui ont été faites par le Congrès.

[52] La lettre de John Dichkenson, gouverneur de l'Etat de Pennsylvanie, à La Fayette, est datée de Philadelphie, 6 mars 1784. On y lit : C'est à l'univers à juger le mérite de vos actions et la justice de notre reconnaissance. Vous avez défendu notre liberté ; l'Assemblée législative se félicite donc, en jouissant de cette liberté, de ce que votre nom sera dorénavant inscrit sur les différents actes de justice qui en seront les titres et les preuves. — La Fayette répondit à cette lettre dès qu'il fut arrivé en Amérique. — La région au delà des montagnes d'Alléghany était divisée en trois comtés, qui portaient les noms de Washington, La Fayette et Bedford. (Cf. Saint-John de Crèvecœur, Lettres d'un cultivateur américain, édition de 1787, t. III, p. 322 et 323.)

[53] C'est la date donnée par Saint-John de Crèvecœur, t. III, p. 377.

[54] Saint-John de Crèvecœur dit que La Fayette arriva à New-York le 4 août 1784, après une traversée de trente-quatre jours (t. III, p. 316). De là j'ai établi la date du 1er juillet pour le départ de Brest.

[55] La Fayette, dans ses Mémoires, appelle ce vaisseau le Courrier de l'Europe, mais Saint-John de. Crèvecœur, si bien informé de tout ce qui concerne le voyage de La Fayette. lui donne le nom de Courrier de New-York, qui m'a paru plus vraisemblable.