LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

IV

 

Arrivée de La Fayette devant Boston, le 27 avril 1780. — La population lui fait un accueil enthousiaste. — Entrevue avec Washington. — Manifestation du Congrès sur son retour. — Correspondance abondante. — Equipement des troupes. — Arrivée de Rochambeau, le 12 juillet 1720. — Correspondance de La Fayette avec lui. — Entrevue avec Rochambeau et le chevalier de Ternay. — Lettre intempestive à Rochambeau et réponse de celui-ci. — La Fayette fait des excuses. — Entrevue à Hartford, le 20 septembre 1720, entre Rochambeau, Washington et La Fayette. — Envoi du vicomte de Rochambeau à Versailles. — Découverte de la conspiration du général Arnold. — Tentatives contre les Anglais. — La Fayette prend ses quartiers d'hiver à Philadelphie. — Il fait des excursions avec le chevalier de Chastellux. — Il apaise la révolte des Pennsylvaniens en janvier 1781. — Envoi du lieutenant-colonel Laurens au gouvernement français. — Il part pour surprendre le traitre Arnold à Porstmouth. — L'expédition est manquée par suite d'un échec de la flotte française. — Il reçoit l'ordre de se rendre dans le Sud et se met en marche. — Il emprunte 2.000 livres sterling aux négociants de 13altimore, fait confectionner, par les dames de la ville, des chemises pour les soldats, et enraye la désertion de ses troupes. — Il arrive, par une marche forcée, à Richmond, le 21 avril 1781, avant le général anglais. —Correspondance avec le général Phillips. — Refus d'entrer en relations avec le traitre Arnold. — Campagne de Virginie. — Habile retraite, après la jonction de Cornwallis avec Arnold. — Mouvement rétrograde de Cornwallis. — La Fayette le suit pas à pas et attaque deux fois son arrière-garde. — Combat de Green-Spring, le 6 juillet 1781. — Washington lui annonce sa venue. — Opérations militaires pour cerner Cornwallis dans York. — Arrivée de la flotte du comte de Grasse et du corps du marquis de Saint-Simon. — Jonction de l'armée de Washington et de Rochambeau avec celle du La Fayette à Williamsburg, le 14 septembre 1781. — Diner qui réunit les généraux américains et français. — Négociations avec le comte de Grasse. — Départ de l'armée pour investir York le 28 septembre. — Prise des redoutes dans la nuit du 14 au 15 octobre. — Capitulation de Cornwallis le 18 octobre. — Lettres de La Fayette aux comtes de Maurepas et de Vergennes. — Entrevue du marquis avec Cornwallis. — Départ du duc de Lauzun et du comte Guillaume de Deux-Ponts pour porter à Versailles la capitulation de York-Town. — Félicitations du marquis de Ségur et de Louis XVI à Rochambeau. — Le marquis de Ségur annonce à La Fayette sa nomination au grade de maréchal de camp. — Le Congrès autorise La Fayette, le 23 novembre, à rentrer en France et le recommande à Louis XVI. — Départ pour Boston, où il s'embarque, le 23 décembre 1781, sur la frégate l'Alliance. — Lettre d'adieu à Washington.

 

Après une navigation de quarante-cinq jours[1], contrariée par les vents et par le calme, l'Hermione arriva devant le port de Boston le 27 avril 1780. Aussitôt La Fayette écrivit à Washington :

Je suis ici, mon cher général, et au milieu de la joie que j'éprouve à me retrouver un de vos fidèles soldats, je ne prends que le temps de vous dire que je suis venu de France à bord d'une frégate que le roi m'a donnée pour mon passage. J'ai des affaires de la dernière importance que je dois d'abord communiquer à vous seul. En cas que ma lettre vous trouve de ce côté-ci de Philadelphie, je vous supplie de m'attendre et vous assure qu'il en pourra résulter un avantage public. Demain, nous allons à la ville, et après-demain, je partirai à ma façon ordinaire pour joindre mon bien-aimé et révéré ami et général. Adieu. Vous reconnaîtrez aisément la main de votre jeune soldat. Mes compliments à l'état-major.

Le 28 avril, la frégate entra dans le port et La Fayette débarqua. Il reçut de la population de Boston un accueil enthousiaste et n'en partit pas moins de suite pour rejoindre Washington. En route, le 2 mai, il avertit le comte de Vergennes de son arrivée[2] ; il lui écrivit de nouveau, le 6, de Waterbury. Il ne dissimulait pas l'état précaire de l'armée américaine et mandait que le général Clinton assiégeait Charleston. On prétend ici, ajoutait-il, et tout le monde en paraît assuré, que quelques forces françaises arrivées dans ce moment seraient en état de porter de grands coups. Pendant que le marquis voyageait, Washington reçut la lettre du 27 avril et répondit, le 8 mai, de Morristown, à La Fayette que, ne sachant pas son itinéraire à travers l'état de New-York, il ne pouvait envoyer un piquet de cavalerie à sa rencontre, mais qu'à tout événement le major Gibbs irait au-devant de lui jusqu'à Pompton.

Je vous félicite bien sincèrement de votre heureuse arrivée en Amérique et je vous embrasserai avec toute la chaleur d'un ami dévoué, quand vous arriverez au quartier général, où un lit est préparé pour vous.

Le 10 mai 1780, La Fayette arriva à Morristown et fut accueilli par Washington avec joie et tendresse[3] ; il resta quatre jours auprès de lui et se rendit à Philadelphie, où il communiqua son instruction au chevalier de La Luzerne. Il était porteur d'une lettre de Washington, en date du 11 mai, dans laquelle celui-ci exprimait au Congrès le plaisir qu'il ressentait du retour de son lieutenant. Le 16 mai, le Congrès déclara qu'il regardait ce retour comme une nouvelle preuve du zèle désintéressé et du dévouement persévérant qui avaient justement recommandé La Fayette à la confiance et à l'estime publiques, et qu'il recevait avec satisfaction l'offre des nouveaux services d'un officier de tant de bravoure et de mérite. Le 20, il chargea le marquis de faire au commandant en chef de l'armée américaine les communications touchant les opérations militaires de la flotte et de l'armée de Sa Majesté très chrétienne[4]. Le 19, La Fayette écrivit de Philadelphie une très longue lettre à Rochambeau, et, le 20, il informa Vergennes de son entrevue avec Washington avec La Luzerne et des besoins de l'armée américaine[5].

La Fayette entretenait une volumineuse correspondance ; les hommes d'action aiment peu à écrire, mais le marquis faisait exception à la règle. Il se tenait en relations épistolaires avec Washington, le comte de Vergennes, sa femme, son beau-père, sans compter les nécessités du service. Le 16 mai, Washington lui manda de prier Rochambeau et le chevalier de Ternay, dès qu'ils paraitraient, de se porter sur New-York[6]. La nouvelle de l'arrivée de La Fayette fut connue, en France. non par sa lettre du 2 mai, qui avait été jetée à la mer, mais par la communication verbale d'un matelot du navire chargé du pli perdu[7]. Le comte de Vergennes avait, le 3 juin, écrit au marquis :

Nous attendons avec empressement des nouvelles de vos contrées ; tous les yeux sont fixés sur Charlestown et les sentiments très partagés ici comme en Angleterre. Les paris sont ouverts ; pour moi, je ne parie pas, mais j'espère[8].

Si on attendait avec anxiété à Versailles des nouvelles des Américains, on n'était pas moins impatient à Philadelphie de voir arriver les secours promis par le gouvernement français. La Fayette occupait ses loisirs forcés à essayer d'équiper plus convenablement ses troupes. Du camp de Preakness, il entretint, le 4 juillet 1780, Washington de cette question si urgente. Il proposa de distinguer les caporaux par une épaulette de laine et les sergents par deux.

Puisque les plumets sont devenus une manière de distinguer les grades, il faudrait que ceux qui ont été désignés pour un grade ne pussent être portés par les autres officiers. Quant à la division légère, je demanderai la permission de lui donner des plumets rouges et noirs que j'ai apportés dans cette intention.

Les dames de Philadelphie ayant ouvert une souscription pour venir en aide aux soldats, le marquis fit inscrire sa femme pour cent guinées[9].

Cependant une escadre de sept vaisseaux, commandée par le chevalier de Ternay, était enfin partie de Brest, dans la nuit du 1er au 2 mai 1780, emportant Rochambeau et son corps d'armée[10]. Elle parut devant Newport le 10 juillet, après soixante-neuf jours de navigation. Le 12, elle entra dans le port. A peine débarqué du vaisseau le Duc de Bourgogne, Rochambeau trouva trois lettres de La Fayette[11]. Fatigué d'une interminable traversée, préoccupé de sa tâche et de sa responsabilité, il déchiffra, non sans peine, ces nombreuses pages couvertes de l'écriture fine et pointue du marquis. Cette besogne accomplie, il s'empressa d'annoncer à Washington son arrivée et de le prévenir qu'il avait en main les trois lettres de La Fayette[12]. Puis de Rhode-Island, le 16 juillet, il accusa réception à ce dernier de ses épitres, et, le 17, écrivit mélancoliquement au comte de Vergennes :

J'ai reçu hier une lettre de La Fayette trop volumineuse pour titre copiée, mais remplie de propositions d'ardeur et décousues[13].

Entre temps, Washington avait chargé La Fayette de se rendre auprès des généraux français et lui avait donné ses instructions le 15 juillet 1780. Le lendemain 16, il écrivit à Rochambeau pour le féliciter de son heureuse arrivée et lui dit :

J'ai chargé le marquis de La Fayette de vous communiquer de temps en temps quelques intelligences et quelques propositions que les circonstances ont dictées. Je pense qu'il est si important de fixer immédiatement le plan de nos opérations, et aussi secrètement qu'il sera possible, que je l'ai prié d'aller lui-même à New-London et où il pourra vous rencontrer. J'ai la plus grande confiance en lui comme officier général et comme ami. Il connait toutes les circonstances de notre armée et de notre situation en général. Je vous prie de considérer toutes les informations qu'il vous fera comme venant de moi. Je vous prie d'établir tous les plans avec lui et je peux vous assurer que je me conformerai exactement aux intentions de S. M. T. C. qui m'ont été transmises par ses ordres et signées de ses ministres. Permettez-moi de me rapporter au marquis de La Fayette pour les particulières assurances de tout ce que je ressens en cette occasion, ce que je fais avec d'autant plus de confiance que je connais son attachement particulier et son respect pour vous[14].

La Fayette partit pour accomplir sa mission. Il avait encore écrit deux lettres à Rochambeau, les 9 et 15 juillet[15] ; pendant le voyage, il tranquillisa Vergennes en lui annonçant la prompte organisation de l'armée américaine[16]. Il arriva à Newport le 25 juillet[17] : et remit à Rochambeau les dépêches de Washington. Il exposa les idées du général en chef, qui désirait prendre l'offensive et assiéger New-York, ce qui était d'ailleurs conforme à l'instruction particulière remise par le ministère français à La Fayette, lors de son départ. Rochambeau, de son côté, avait ordre de faire du poste de Rhode-Island sa base d'opérations. Il était, de plus, sous le coup d'une attaque imminente du général Clinton, qui avait quitté New-York. Il se fortifia donc à Newport. et les Anglais renoncèrent à leur projet et se retirèrent. Le 31 juillet, La Fayette écrivait à Washington : Les troupes françaises détestent jusqu'à la pensée de rester à Newport et brûlent de vous joindre. Elles maudissent quiconque leur parle d'attendre la seconde division et enragent de rester bloquées ici. C'est sous cette impression qu'il rejoignit le camp près d'Obbsferry et prit, le 7 août 1780, le commandement d'une division légère comprenant 2.000 hommes choisis parmi les meilleurs tireurs et formant deux brigades, dont chacune était commandée par un général[18].

Le 9 août, La Fayette adressa à Rochambeau et au chevalier de Ternay une longue lettre, où, rappelant et résumant les conversations qu'il avait eues avec eux, il les priait, au nom de Washington, de venir tenter l'attaque de New-York. Rochambeau, vétéran de la guerre de Sept ans, nature calme et réfléchie, fut choqué de cette singulière mise en demeure ; il répondit à La Fayette, le 12 août, que sa situation à Rhode-Island n'était pas inutile aux Américains et lui paraissait propice pour attendre les secours promis par le roi. Il terminait par ces lignes :

Je crains ces Savannah et autres événements de cette espèce dont j'ai tant vu dans ma vie. Il est un principe en guerre comme en géométrie : vis unita fortior. Au surplus, j'attends les ordres de mon généralissime, et je le supplie de nous accorder, à l'amiral et à moi, une entrevue[19].

Le marquis comprit que le général ne voulait pas d'intermédiaire entre lui et Washington. Le 18 août, il s'excusa galamment de son excès de zèle auprès de Rochambeau et du chevalier de Ternay et leur donna les explications les plus loyales sur sa conduite. Dans une lettre particulière, il faisait appel à la vieille affection du général :

Si je vous ai offensé, je vous en demande pardon pour deux raisons : la première, que je vous aime, la seconde, que mon intention est de faire ici tout ce qui pourra vous plaire. Partout où je ne suis que particulier, vos ordres seront pour moi des lois et pour le dernier des Français qui sont ici. Je ferais tous les sacrifices plutôt que de ne pas contribuer à leur gloire, à leur agrément, à leur union avec les Américains[20].

Rochambeau, touché de ce langage, répliqua, le 27 août, d'un ton paternel : C'est toujours le vieux père Rochambeau qui parle à son cher fils La Fayette, qu'il aime, aimera et estimera jusqu'au dernier soupir[21]. Dès lors, il ne s'éleva plus de nuage entre le père et le fils. La Fayette continua à correspondre avec Rochambeau. Le 28 août, il lui annonça que l'armée s'était avancée jusqu'à Liberty, poste à peu près à la hauteur du fort Lee et par conséquent du fort Washington ; le 2 septembre, il l'avertit que les ennemis voulaient tourner Washington ; le 10, il lui envoya une lettre du chevalier de La Luzerne ; le 13, il lui manda que les troupes du général Clinton semblaient destinées à une diversion du côté de la Virginie[22]. L'entrevue réclamée par Rochambeau avait été enfin décidée. La Fayette devait y assister et s'en réjouissait[23]. Elle eut lieu, le 20 septembre 1780, à Hartford, dans le Connecticut, entre les généraux américains Washington, Knox et La Fayette et les généraux français Rochambeau. de Ternay et Chastellux. ce dernier chef d'état-major du corps expéditionnaire[24]. Les propositions des Français furent formulées le 22 septembre, et Washington y répondit paragraphe par paragraphe[25]. Il fut convenu qu'on solliciterait du gouvernement français des secours en hommes, en marine et en argent. et qu'on enverrait le fils de Rochambeau porter cette requête à Versailles.

Toujours à l'avant-garde, La Fayette essayait en vain de faire des tentatives contre l'ennemi[26]. La conférence de Hartford avait donné un aliment à son activité. Lorsqu'il revint avec le général Washington, celui-ci voulut lui montrer le poste important de West-Point, qu'il avait confié à un de ses plus habiles lieutenants, Benedict Arnold. Cette visite fit découvrir l'odieuse trahison de ce général, qui s'était engagé, par l'entremise du major André, à livrer West-Point aux Anglais. L'arrestation toute fortuite du major força Arnold à s'enfuir, le 25 septembre 1780, au moment où La Fayette venait à Robinson House lui demander à déjeuner. Le 26, le marquis écrivait à Rochambeau :

Nous sommes tous confondus de cette infâme conspiration et admirons la manière miraculeuse dont elle est parvenue à notre connaissance. C'est le premier exemple de trahison dans notre armée, chose extraordinaire dans une telle révolution ! Mais l'exemple nous afflige tout autant qu'il nous révolte[27].

Le 4 octobre, Rochambeau lui répondit :

La Providence est pour nous, mon cher marquis, et cette entrevue si intéressante, que j'ai tant désirée et qui m'a fait tant de plaisir, est couronnée par un coup du ciel. Le chevalier de La Luzerne n'est point encore arrivé. J'ai pris le parti de décacheter votre lettre pour lui, où je devais trouver tous les détails de cette horrible conspiration, et j'en suis pénétré de douleur et de plaisir de sa découverte[28].

Campé sur la rive droite de la rivière du Nord, près de l'île de New-York, La Fayette écrivit, le 4 octobre 1780, à sa tante, Mme de Tessé, pour lui annoncer le blocus de la flotte française et l'inaction où le manque de vaisseaux retenait l'armée américaine. Le 7, c'est du fort Lee, vis-à-vis le fort Washington, qu'il mit sa femme au courant de la situation. A cette époque, il tenta une expédition sur Staten-Island, mais échoua. Il ne fut pas découragé, et, le 30 octobre, il exposa à Washington son désir de finir la campagne par quelque coup brillant et ses vues à ce sujet. Son illustre ami calma cette ardeur intempestive. Deux jours auparavant, le 28, le vicomte de Rochambeau s'était embarqué pour la France sur la frégate l'Amazone, commandée par La Pérouse, et avait emporté, avec les dépêches du Congrès, une lettre de La Fayette à Vergennes, où il disait au ministre :

Je commande un camp volant, qui fait l'avant-garde de l'armée américaine et est composé de l'élite des troupes. Les bontés dont on me comble ici ne sont pas capables de me consoler de mon oisiveté[29].

Le marquis voulait tenter un coup de main nocturne contre le fort Washington, près de New-York. Le 13 novembre 1780, il écrivit à son général dans ce sens et lui manda qu'il attendait à son camp le marquis de Laval-Montmorency, le chevalier de Chastellux, son beau-frère le vicomte de Noailles, le comte de Charlus et le duc de Lauzun. Ces cinq officiers, disait-il, peuvent, par leur existence clans leur pays, être regardés comme les personnes les plus considérables de l'armée française.

Les cinq officiers arrivèrent en effet peu de jours après. Le chevalier de Chastellux se rendit directement au camp de La Fayette, le 23 novembre 1780 ; mais celui-ci était allé au-devant de lui. Le chevalier n'en visita pas moins le camp, puis il rejoignit le quartier général. En y pénétrant, il vit La Fayette causant avec un homme de cinq pieds neuf pouces, d'une figure noble et douce ; c'était Washington. Tous deux le reçurent à bras ouverts et le firent dîner[30]. Le lendemain, 24, malgré une pluie battante, Washington montra à Chastellux ses troupes, les passa en revue, puis l'emmena au camp de La Fayette. Le marquis avait rangé sa division d'infanterie légère en bataille sur une hauteur et se tenait à sa tête, exprimant, a dit le chevalier, par son maintien et sa physionomie, qu'il aimait mieux me recevoir là que dans ses terres d'Auvergne[31]. Puis ils revinrent dîner au quartier général ; le repas fut plantureux ; il se composait de huit ou dix plats de boucherie ou de volaille avec des légumes, et d'un amas de pâtisseries. On servit ensuite des pommes et des noix, dont Washington mangea pendant deux heures, tout en causant avec ses hôtes et en portant des toasts[32].

La Fayette se prodiguait pour rendre le séjour du quartier général agréable au chevalier de Chastellux et à ses compagnons. Le 26 novembre 1780, il présenta celui-ci aux officiers généraux américains[33]. Le 27, il alla, avec son beau-frère le vicomte de Noailles, à Paramus, reconnaître l'île de New-York, mais il la trouva trop bien gardée pour qu'on pût essayer contre elle un coup de main[34]. Aussi il considéra la campagne comme terminée et partit pour Philadelphie, avec le chevalier et les autres officiers. Ils arrivèrent dans cette ville le 30 novembre.

Le premier soin de La Fayette fut de se préoccuper du projet d'une expédition des Espagnols en Floride ; il imagina de la faire appuyer par le général Greene. Le 4 décembre 1780, il écrivit à Washington sur ce sujet ; le 5, il eut une conférence avec le chevalier de La Luzerne et en avertit le général[35] ; mais Washington calma cette ardeur et recommanda à son ami de n'employer son influence qu'à l'appui de quelque chose de formel et d'officiel[36].

Le 5 décembre 1780, La Fayette assista à l'assemblée des États de Pennsylvanie, dans l'hôtel de ville de Philadelphie, en compagnie du chevalier de Chastellux, du vicomte de Noailles et de ses aides de camp de Gimat et Nevil[37]. Le 6 décembre, il emmena ces quatre officiers visiter le champ de bataille de Brandywine, qu'il n'avait pas revu depuis le jour où il y avait fait ses premières armes et scellé de son sang son amitié pour les Américains. Ils n'arrivèrent que dans la soirée, et le marquis alla demander asile au même quaker Benjamin Ring, chez lequel il avait logé, trois ans auparavant, avec Washington, la veille de la bataille. Le lendemain 7, ils parcoururent ces lieux désormais historiques et échangèrent leurs impressions. Ils revinrent dîner à Chester ; en route. La Fayette, Chastellux et Noailles se trouvèrent séparés de leurs deux autres compagnons ; tout en chevauchant, ils causèrent de Paris, de la cour, de leurs familles, de leurs amis, car Chastellux avait déclaré que c'était assez que d'avoir parlé de guerre pendant trois heures[38]. Le 8 décembre, ils visitèrent les forts de Billing'sport et de Redbank et rentrèrent à Philadelphie.

La Fayette continua ces intéressantes excursions, d'autant plus agréables qu'il y guidait ses amis. Le 11 décembre, ils explorèrent Germantown et l'ancien camp de White-Marsh ; le 12, Barren-Hill, qui rappelait une glorieuse retraite. Revenu dans Philadelphie, il conduisit, le 4 décembre, le chevalier de Chastellux chez le célèbre philosophe Thomas Paine. Le 15, il fut élu membre de l'académie de Philadelphie, en compagnie du chevalier, et le soir il dîna avec tous les officiers français chez le chevalier de La Luzerne[39]. Le lendemain 16, il prit congé de Chastellux, qui se rendait auprès de Washington.

L'année 1781 débuta par une insurrection, qui éclata, le 2 janvier, parmi les troupes pennsylvaniennes, campées à Morristown, dans le Jersey. La Fayette fut envoyé pour l'apaiser ; le 12, il réussit à rétablir l'ordre. Il écouta avec pitié les justes doléances de ces soldats, privés de tout, sans vêtements, sans équipements, sans vivres et sans solde, exposés aux rigueurs de l'hiver[40]. Au commencement de février, le Congrès envoya à la cour de France le lieutenant-colonel Laurens, aide de camp de Washington, chargé d'exposer les besoins des Américains[41]. La Fayette, qui avait rejoint à New-Windsor le général en chef, annonça au comte de Vergennes, le 30 janvier 1781, le départ de Laurens et déclara qu'avec l'infériorité maritime, on ne saurait faire la guerre en Amérique.

C'est elle qui nous empêche d'attaquer tel point qu'on enlèverait avec 2.000 ou 3.000 hommes ; c'est elle qui nous réduit à une défensive dangereuse autant qu'humiliante. Les Anglais sentent cette vérité, et tous leurs mouvements prouvent combien ils désirent conserver l'empire de la mer.

Le 2 février, il recommanda chaudement à sa femme Laurens, porteur de sa lettre, et il ajoutait :

Je suis toujours comblé de bontés par les Américains, et il n'est pas de marques d'affection, de confiance, que je n'éprouve tous les jours, soit du peuple, soit de l'armée. Je sers ici le plus agréablement possible ; toutes les fois qu'on est en campagne, je commande un camp volant séparé, composé de l'élite des troupes ; je sens pour les officiers et soldats américains cette amitié que donne une longue suite de dangers, de souffrances, de bonne et de mauvaise fortune, que j'ai partagée avec eux. Nous avons commencé ensemble ; nos affaires ont souvent été au plus bas possible ; il m'est doux de couronner l'œuvre avec eux en donnant aux troupes européennes une bonne idée des soldats qui se sont formés avec nous. A tous ces motifs d'intérêt pour la cause et d'intérêt pour l'armée, se joignent les sentiments qui m'unissent au général Washington.

Le 20 février 1781, La Fayette reçut de Washington l'ordre de prendre le commandement d'un détachement réuni à Peekskill pour se rendre à Hampton, sur la baie de Chesapeake, et surprendre le général Arnold à Portsmouth. Il devait être soutenu par la flotte française, commandée par Destouches, qui avait remplacé le chevalier de Ternay, mort le 15 janvier[42]. Le marquis partit aussitôt et se trouva, le 23 février, à Pompton, le 2 mars à Philadelphie, et le 3, à Head-of-Elk. Le 9 mars, il écrivit à Washington qu'il était à l'embouchure de la rivière d'Elk sur le Dauphin, et que sa flottille allait continuer sa route vers Annapolis. Il la devança, monté sur une petite barque, et arriva bientôt dans cette ville, où il trouva le baron de Steuben. De là, il se rendit à Williamsburg, mais, à sa grande surprise, il n'y rencontra pas la flotte française à laquelle il devait se réunir[43]. Celle-ci avait eu, le 16 mars 1781, un engagement malheureux avec l'amiral anglais Arbuthnot et avait dû rentrer à Newport. Cet insuccès força La Fayette, qui déjà bloquait le traître Arnold dans Portsmouth, à battre en retraite, le 24 mars, et à revenir à Head-of-Elk. Il se détourna de sa route pour visiter à Fredericksburg la mère de Washington et voir Mount Vernon, demeure du général[44]. Le 5 avril, Washington exprima au marquis son regret du résultat infructueux de l'expédition. mais approuva la conduite du général. Le 6, il lui donna l'ordre de se remettre en marche pour rejoindre l'armée du sud et le général Greene. La Fayette se trouvait à Elk quand il reçut les instructions de Washington. Le 8 avril 1781, il écrivit à celui-ci qu'il allait faire tous les préparatifs pour marcher sur la Virginie. Sûrement, disait-il, j'aurais mieux aimé être en situation de participer à l'attaque de New-York, et je n'aimerais pas à vous voir dans cette opération privé de l'assistance de l'infanterie légère de la Nouvelle-Angleterre. Cette attaque de New-York était sa constante préoccupation, mais il fallait se résigner. Washington envoya, le 11 avril, au marquis, des instructions plus détaillées et le général Greene le pressa de marcher sur la capitale de la Virginie, Richmond. La Fayette se mit en route. A son arrivée à Baltimore, son détachement était dans le plus grand dénuement. La désertion sévissait parmi ses hommes qu'effrayait une campagne dans le Sud. Le marquis tint tète à ces graves difficultés. Il se fit prêter, par les négociants de cette ville, 2.000 livres sterling, qui lui servirent à acheter les vêtements indispensables ; il profita d'un bal, que les dames de la ville donnèrent en son honneur, pour obtenir qu'elles confectionneraient des chemises pour les soldats. Puis, faisant appel au dévouement et à l'honneur des troupes, il arrêta la désertion. Son effectif s'augmenta d'un escadron de dragons volontaires fourni par les jeunes gens de Baltimore. C'est ce qu'il annonça, le 18 avril, à Washington. Le lendemain 19, il continua sa marche, et, pour la rendre plus rapide, il laissa ses tentes et son artillerie sous bonne garde, avec ordre de suivre aussi vite que possible. Grâce à cette mesure[45], il atteignit Alexandria le 20, s'y reposa un jour, passa à Fredericksburg le 25 et put arriver à Richmond, le soir du 29 avril, avant le général anglais Phillips. Celui-ci, campé à Osborn's, prenait ses dispositions pour enlever cette ville, qu'il croyait surprendre, mais, le 30, apercevant les troupes de La Fayette, il rentra dans son cantonnement, non sans un accès de colère contre son diligent adversaire.

Ainsi s'ouvrait la campagne de Virginie, restée fameuse dans les annales de l'histoire militaire des Etats-Unis[46]. La Fayette, à peine arrivé à Richmond, y reçut des lettres[47], où le général Phillips réclamait d'un ton hautain contre de prétendus manquements des troupes américaines aux règles prescrites par l'humanité et les lois de la guerre. Il menaçait de représailles et exprimait l'espoir que La Fayette, dont il avait entendu citer les principes libéraux, ne laisserait pas se réaliser en actes : l'esprit de barbarie qui semble dominer dans les conseils du gouvernement civil de cette colonie. Le marquis répondit poliment, mais avec fermeté :

Le style de vos lettres, Monsieur, m'oblige de vous dire que si celles qui suivront manquaient à la considération due aux autorités civiles et militaires des États-Unis, ce qui ne pourrait être interprété que comme un manque de respect envers la nation américaine, je ne croirais pas convenable à la dignité d'un officier américain de continuer la correspondance.

Cependant, le général Phillips s'était replié sur Petersburg ; la maladie le saisit et il mourut le 13 mai. Coïncidence bizarre, c'était lui qui commandait à Minden la batterie dont un boulet avait tué le père du marquis. Le général Arnold lui succéda dans le commandement en chef de l'armée de Virginie. La Fayette, qui était alors au camp de Wilton, sur la rivière James-River, refusa d'entrer en communication avec le traître. Il en avertit Washington le 17 mai[48]. Le lendemain, il fit une reconnaissance sur Petersburg, et, le 20, il entra dans Richmond. A ce moment, l'arrivée inopinée du général anglais lord Cornwallis, accouru de la Caroline du Nord, et sa jonction avec Arnold changèrent la face des choses. La Fayette avait maintenant à lutter contre des forces supérieures et devait agir avec prudence pour ne pas perdre la partie. Il écrivit de Richmond à Washington le 24 mai :

Si je livre bataille, je serai mis en pièces, la milice sera dispersée, les armes perdues ; si je refuse le combat, le pays se croira abandonné. Je me décide donc à une guerre d'escarmouches, sans m'engager trop avant et, surtout, en me gardant de cette excellente et nombreuse cavalerie que les miliciens redoutent comme si c'étaient autant de bêtes sauvages.

La Fayette ajoutait : Je ne suis pas même assez fort pour me faire battre. Aussi abandonna-t-il à l'ennemi Richmond le 27 mai, passa, le 28, à Hanover County et arriva, le 2 juin, à Mattapony Church[49]. Cornwallis s'était flatté de venir à bout (le son faible adversaire et il écrivait, dans une lettre qui fut interceptée : The boy can not escape me — l'enfant ne peut m'échapper —. Non seulement l'enfant lui échappa, mais il sut, par ses habiles manœuvres, ajouter une belle page au livre d'or des retraites victorieuses. Le 10 juin, il fit sa jonction avec un détachement de Pennsylvaniens que lui amenait le général Wayne. Le 12, il campa à Boswell's Tavern, tandis que Cornwallis était à Elk-Island. Celui-ci porta son avant-garde à Bird's Creek pour tomber sur le flanc des Américains qui, dérobant leur marche, prirent position à Mechunek-Creek et couvrirent les grands magasins d'Albermale Court-House, que l'ennemi aurait voulu détruire. Cornwallis leva alors son camp d'Elk le 15 juin et retourna à Richmond[50], qu'il évacua le 21. Il se retirait sur Williamsburg, en vertu des ordres du général en chef Clinton, jaloux de son subordonné.

La Fayette profita de cette retraite inespérée[51] et il suivit pas à pas son adversaire avec la prudence d'un Fabius. Le 22 juin, il était à Process'House[52] et, le 25, à Beacon's Ordinary[53]. Le 28, il écrivit à Washington :

L'ennemi a été si obligeant qu'il s'est retiré devant nous ; je lui ai deux fois offert le combat, tout en ayant soin de ne pas m'engager plus que je ne voulais, mais il a continué son mouvement rétrograde. Sans doute, on aura exagéré nos forces, et notre air de hardiesse aura confirmé cette erreur[54].

Le 26, l'avant-garde américaine, commandée par le colonel Butler, avait eu un engagement heureux avec l'arrière-garde anglaise[55]. Le 4 juillet, Cornwallis évacua Williamsburg[56]. Le 6, le général Wayne attaqua imprudemment, en avant de Green-Spring, les ennemis et perdit deux pièces de canon[57]. Il fut dégagé par La Fayette, dont le cheval de main, qu'on conduisait à ses côtés, fut tué[58].

Les Anglais continuèrent leur retraite sur Portsmouth et les Américains occupèrent Williamsburg le 9 juillet[59]. Le 20, La Fayette était à Malvan-Hill, d'où il observa ses adversaires enfermés dans Portsmouth. De son camp il écrivit à Washington les 20, 26, 30 et 31 juillet. Il demandait à son ami de le rappeler à New-York, où il pensait que l'armée anglaise se rendrait. J'ai la maladie du pays, disait-il, et si je ne puis aller au quartier général, je voudrais au moins en entendre parler. De son côté Washington, qui était alors à Dobb's Ferry, félicita, le 13 juillet, La Fayette de ses succès et l'avertit de sa jonction avec Rochambeau. Le 15, il le prévint que la flotte du comte de Grasse avait dû quitter, le 3 juillet, Saint-Domingue, pour se rendre dans la Chesapeake, et lui prescrivit de fermer à Cornwallis toute retraite par la Caroline du Nord. Le 30, il lui confia qu'il allait marcher vers le sud.

La Fayette, ragaillardi par ces bonnes nouvelles et par la perspective de jouer un rôle actif, se rendit à Richmond le 3 août[60] et établit, le 6, son camp sur la rivière Pamunkey. Cornwallis était entré dans la rivière d'York et avait débarqué à York et à Gloucester. Le marquis l'annonça, le 6 août, à Washington et ajouta :

Nous agirons d'après les circonstances, mais en évitant de nous jeter dans un faux mouvement, qui donnerait à l'ennemi, à cause de sa cavalerie et de sa supériorité sur l'eau, l'avantage sur nous. Sa Seigneurie joue si bien qu'on ne peut de sa part espérer une faute pour en réparer une de la nôtre... Si une flotte nous arrivait dans ce moment, nos affaires prendraient une heureuse tournure.

La Fayette se trouvait, le 11 août, à New-Kent Mountain et, le 13, à Montock-Hill[61]. Puis il s'établit, le 16, sur les branches d'York-River, d'où il observait Cornwallis, qui se fortifiait dans York et dans Gloucester. De son camp il écrivit, le 21, à Washington, et, le 24, aux comtes de Vergennes et de Maurepas et à sa femme. Il disait à celle-ci : Cette campagne a pris partout une beaucoup meilleure tournure que nous ne devions espérer. Peut-être pourra-t-elle finir fort agréablement. Le marquis était en effet plein d'espérance : Washington lui avait mandé, le 21 août, que son armée était en marche ; le général anglais O'Hara évacuait Portsmouth et rejoignait Cornwallis à York. Tout se concentrait sur ce point, et La Fayette prenait en hâte ses dispositions pour couper la retraite à l'ennemi. Enfin, la flotte du comte de Grasse venait d'apparaître à l'entrée de la baie de Chesapeake. De Holt's Forge, La Fayette félicita, le 1er septembre, Washington de cet heureux événement et déclara que Cornwallis avait très peu de chances de s'échapper. Il se porta sur Williamsburg, où il fut rejoint, le 5, par le corps français du marquis de Saint-Simon[62]. Celui-ci et le comte de Grasse lui proposèrent d'enlever York par un coup de main. Quelque tentante que fût cette opération, La Fayette préféra attendre Washington et Rochambeau que risquer une attaque meurtrière et faire, pour une vaine gloire personnelle, verser beaucoup de sang[63]. Pendant ce temps le comte de Grasse avait, le 6 septembre, attaqué la flotte anglaise de l'amiral Hood et lui avait infligé une cruelle défaite, puis il était venu se réunir, le 13, dans la baie de Chesapeake, à l'escadre du comte de Barras, arrivée de Rhode-Island. Enfin, le 14 septembre 1781, l'armée de Washington et de Rochambeau opéra sa jonction avec celle de La Fayette. Le lendemain un dîner réunit les généraux et les principaux officiers américains et français[64].

La concentration des armées américaine et française allait permettre d'agir contre lord Cornwallis, désormais bloqué dans York. Le comte de Grasse pressait les opérations ; il avait hâte de retourner aux Antilles, menacées par l'ennemi, et il faisait mine de partir. Sa présence était trop nécessaire au succès final pour que les généraux n'intervinssent pas. Rochambeau dépêcha à l'amiral, le 25 septembre, La Fayette pour lui exposer la situation et s'entendre avec lui[65]. Le marquis remplit sa mission avec son bonheur habituel et le comte resta dans la baie.

Le 28 septembre 1781, les deux armées américaine et française quittèrent Williamsburg pour investir York. La Fayette formait la colonne droite avec les Américains. Le 30, l'ennemi évacua deux redoutes, qui furent aussitôt occupées par les Français. Dans la nuit du tee octobre, on commença les travaux. Le 6, on ouvrit la tranchée sous la protection des régiments de Bourbonnais et de Soissonnais, commandés par le baron de Vioménil, et de quinze cents Américains conduits par La Fayette. Le 9 et le 10 octobre, les batteries américaines et françaises bombardèrent la place, et, dans la nuit du 11, on ouvrit une seconde parallèle[66]. Enfin, le 14 octobre, Washington et Rochambeau donnèrent l'ordre d'attaquer les deux redoutes détachées de la gauche de l'ennemi. La Fayette fut chargé de celle de droite et le baron de Vioménil de celle de gauche. Dans la nuit du 14 au 15, les redoutes furent enlevées ; Américains et Français avaient rivalisé d'ardeur. Le 15, Rochambeau écrivait au comte de Grasse :

Le plus petit de ces ouvrages a été emporté par les Américains aux ordres de M. le marquis de La Fayette, et c'est la batterie qui était la plus menaçante sur la rivière d'York ; l'autre, grande redoute qui était beaucoup moins mûre, l'a été par les Français, et nous y avons perdu soixante hommes tués ou blessés[67].

Le feu des batteries continua le 16 et le 17, et Cornwallis envoya, le 17 octobre, à dix heures du matin, un parlementaire pour solliciter une suspension d'armes. Washington refusa. Le général anglais demanda à capituler. Le vicomte de Noailles[68] et le colonel américain Laurens négocièrent avec lui les conditions de la capitulation, qui fut signée le jeudi 18 octobre 1781, et en vertu de laquelle Cornwallis et son armée se rendirent prisonniers de guerre. Le 19, les vainqueurs virent défiler les Anglais et les Hessois, drapeaux ployés et tambours battants[69]. Le 20, La Fayette écrivit à Maurepas :

La pièce est jouée, Monsieur le comte, et le cinquième acte vient de finir ; j'ai été un peu à la gêne pendant les premiers, mon cœur a joui vivement du dernier, et je n'ai pas moins de plaisir à vous féliciter sur l'heureux succès de notre campagne.

C'était, en effet, non seulement la fin de la campagne, mais le triomphe de la cause américaine.

Le même jour le marquis mandait au comte de Vergennes :

Recevez mon compliment, Monsieur le comte, sur la bonne plume que l'on vient enfin de tailler à la politique. M. de Lauzun vous donnera tous les détails. Je suis heureux que notre campagne de Virginie finisse aussi bien, et mon respect pour les talents de lord Cornwallis me rend encore sa prise plus précieuse.

La Fayette rendait justice au général anglais. Il avait, comme Washington et Rochambeau, envoyé un de ses aides de camp, le jeune George Washington, complimenter le général Cornwallis, auquel on avait épargné l'humiliation de défiler avec ses troupes. Celui-ci avait retenu auprès de lui l'aide de camp et manifesté le désir de s'entretenir avec le marquis. La Fayette se rendit à cette invitation et écouta avec intérêt la justification que le général anglais lui présenta de sa conduite. Je connais, lui dit lord Cornwallis, votre humanité envers les prisonniers, je vous recommande ma pauvre armée. — Vous savez, milord, répartit son interlocuteur, que les Américains ont toujours été humains envers les armées prisonnières.

Rochambeau s'empressa de faire connaître à son gouvernement l'heureuse issue de la campagne. Il chargea le duc de Lauzun et le comte Guillaume de Deux-Ponts de porter à Versailles la capitulation de York-Town[70]. Pour plus de sûreté, les deux envoyés partirent, le 22 octobre, sur deux frégates différentes. La Fayette confia au duc de Lauzun une lettre pour sa femme[71]. La frégate qui l'emportait fit le trajet en dix-huit jours. Le 22 novembre 1781, le marquis de Ségur, ministre de la guerre, accusa réception à Rochambeau de sa dépêche[72] et, le 26, Louis XVI envoya au général une lettre de félicitations[73]. La Fayette ne fut pas oublié : le roi lui fit écrire par le marquis de Ségur, le 5 décembre 1781, que, voulant lui prouver sa satisfaction, il lui assurait le grade de maréchal de camp, pour prendre date du jour de la capitulation de Cornwallis, et qu'il disposait, en conséquence, de son régiment de dragons[74].

De son côté, le comte de Vergennes avait, le 1er décembre, félicité le marquis, auquel il annonçait en même temps la mort du vieux ministre Maurepas. Il lui disait :

M. de Maurepas vivait encore lorsque M. le duc de Lauzun est arrivé. Il a joui un moment de la satisfaction que nous ont causée les événements glorieux qu'il venait nous annoncer. La joie en est bien vive, ici et dans toute la nation, et vous pouvez être assuré que votre nom y est en vénération. On reconnaît avec plaisir que, quoique vous n'ayez pas eu la direction en chef de cette grande opération, votre conduite prudente et vos manœuvres préliminaires en avaient préparé le succès. Je vous ai suivi pas à pas, monsieur le marquis, dans toute votre campagne de Virginie ; j'aurais souvent tremblé pour vous, si je n'avais été rassuré par votre sagesse. Il faut bien de l'habileté pour s'être soutenu, comme vous l'avez fait si longtemps, devant le lord Cornwallis, dont on loue les talents pour la guerre, malgré l'extrême disproportion de vos forces. C'est vous qui l'avez conduit au terme fatal où, au lieu de vous faire prisonnier de guerre, comme il pouvait en avoir le projet, vous l'avez mis dans la nécessité de se rendre lui-même.

 

Le comte de Vergennes formulait ainsi sur le rôle de La Fayette un jugement que la postérité a ratifié.

La Fayette ne reçut pas les lettres du marquis de Ségur et du comte de Vergennes. Désireux de revoir au plus tôt sa patrie et sa famille, il avait été, le 23 novembre 1781, autorisé à rentrer dans son pays. Le président du Congrès écrivit, le 29, à Louis XVI, pour lui recommander, dans les termes les plus flatteurs, l'heureux vainqueur. Le marquis se rendit à Boston, où on le combla de prévenances.

Le 23 décembre 1781, La Fayette quitta Boston sur la même frégate l'Alliance, qui l'avait une première fois ramené en France, et, avant de lever l'ancre, il écrivit un dernier mot d'adieu à Washington :

Adieu donc, mon cher général ; je connais si bien votre cœur que je suis sûr qu'aucune distance ne peut altérer votre attachement pour moi ; avec la même sincérité, je vous assure que nia tendresse, mon respect, ma reconnaissance pour vous sont au-dessus de l'expression ; qu'au moment de vous quitter, je sens plus que jamais la force de ces liens d'amitié qui, pour toujours, me lient à vous, et que je songe d'avance au bonheur le plus souhaité, celui de me retrouver avec vous, et, par mon zèle et mes services, de satisfaire les sentiments de respect et d'affection de mon cœur.

 

 

 



[1] La Fayette dit, dans une lettre du 6 mai 1730, qu'il entra dans le port de Boston le 28 avril, après une traversée de trente-huit jours ; mais du 13 mars, jour où l'Hermione quitta le port de La Rochelle, jusqu'au 27 avril, où elle arriva à l'entrée du port de Boston, il s'écoula quarante-cinq jours.

[2] Arch. des Affaires étrangères. Etats-Unis, t. XII, n° 5. (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 351.)

[3] Washington écrivit, le 11 mai 1780, au chevalier de la Luzerne : Vous prendrez part à la joie que j'éprouve de l'arrivée du marquis de La Fayette. Rien ne pouvait me faire un plus grand plaisir que son concours personnel. et les motifs d'utilité publique conspirent à me le rendre agréable. (Cf. Jared Sparks, the Writings of George Washington, t. VII, p. 31.)

[4] Arch. des Affaires étrangères, Etats-Unis, t. XII, n° 37. (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 366.)

[5] Arch. des Affaires étrangères, Etats-Unis, t. XII, n° 34. (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 401.)

[6] Cf. H. Doniol, t. IV, p. 369.

[7] C'est ce que le comte de Vergennes manda à La Fayette dans sa lettre du 7 août 1780 (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 429) : C'est verbalement, par un matelot de l'équipage, que nous avons appris la sensation que vous avez faite. Elle sera toujours la même partout où l'on vous connaîtra.

[8] Arch. des Affaires étrangères, Etats-Unis, t. XII, n° 59. (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 350.)

[9] Le 7 octobre 1780, La Fayette écrivait à sa femme : Les dames firent et font encore des souscriptions pour donner quelques secours aux soldats ; dans le temps que cette idée fut proposée, je me fis votre ambassadeur auprès des dames de Philadelphie, et vous êtes pour cent guinées sur la liste.

[10] Cf. Mémoires de Rochambeau, t. I, p. 239 et suiv. — Parmi les officiers figuraient le baron de Vioménil, commandant en second de l'armée. et son frère (le futur maréchal), le vi comte de Noailles, le chevalier de Chastellux, le duc de Lauzun, le marquis de Saint-Simon, le marquis de Laval-Montmorency, le comte de Charlus, fils du maréchal de Castries, le comte de Damas, le comte de Custine, le vicomte de Rochambeau, etc.

[11] Ces lettres étaient datées de Philadelphie, 19 mai, de Morristown, 23 mai, et des hauteurs de Springfield, 20 juin. (Cf. Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. I, p. 79 à 86.)

[12] Cf. Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. I, p. 71.

[13] Archives historiques de la guerre. Correspondance du comte de Rochambeau, I. p. 68.

[14] Archives historiques de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, I, p. 96.

[15] Archives historiques de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, I, p. 87 et 95.

[16] Lettre du 23 juillet 1780, Archives des Affaires étrangères, Etats-Unis, t. XIII, n° 43. (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 371.)

[17] Le même jour, Rochambeau écrivait au prince de Montbarey : La Fayette arrive dans le moment et m'apporte des dépêches du général Washington. (Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, I, P. 69.)

[18] Cf. les Mémoires de La Fayette. — C'est pour cette division que le marquis avait apporté des épées, des plumets et des drapeaux.

[19] Voici comment cet épisode est raconté dans les Mémoires de Rochambeau, t. I, p. 246 :

A peine La Fayette fut-il de retour au quartier général de Washington qu'il m'écrivit la dépêche la plus pressante, dans laquelle, après avoir rappelé nos conversations, il concluait, au nom de ce général, par me proposer de venir le rejoindre sur-le-champ pour tenter l'attaque de l'île de New-York ; et sa lettre finissait par une espèce de sommation fondée sur la politique du pays, et que cette campagne était le dernier effort de son patriotisme. Nous fûmes d'autant plus mécontents de cette dépêche que, par le même courrier, le général Washington, dans sa lettre, ne me parlait pas du tout de ce projet ; mais il ne répondait pas à mes instances pour obtenir de lui une conférence, où dans une heure de conversation on conviendrait de plus de choses que dans des volumes d'écriture. J'en pris occasion d'écrire à La Fayette une lettre, dans laquelle, après lui avoir rappelé que, d'après ses propres renseignements, il était constant qu'il y avait quatorze mille hommes de troupes réglées dans les îles de New-York, indépendamment de toutes les milices du pays, que la marine française était bloquée dans Newport par une force maritime supérieure de plus de moitié, je lui prouvais que si j'abandonnais notre escadre dans ces circonstances, l'amiral anglais serait l'homme le plus pusillanime, s'il ne la brûlait pas tout d'abord après notre départ, et s'il ne venait pas nous attaquer dans nos communications, sur les bras de mer qui séparent le continent des îles de New-York et de Long-Island, en supposant que nous eussions pu y faire une descente.

J'écrivis en nième temps au général Washington, en anglais : je nie louais des lettres que j'avais reçues de lui et je le priais de permettre que la correspondance de toutes les affaires passât sans intermédiaire entre lui et moi ; je renouvelais mes instances pour la conférence.

Je dois cependant dire, pour la justification de La Fayette, qu'il rendait substantiellement les sentiments du général Washington, et que ce dernier se servait de sa jeunesse et de son ardeur pour les exprimer avec plus d'énergie.

[20] La Fayette écrivit à ce sujet à sa femme, le 7 octobre 1780 : M. de Rochambeau et M. de Ternay, ainsi que tous les officiers français, se conduisent fort bien ici. Un petit excès de franchise m'a occasionné un léger débat avec ces généraux. Comme j'ai vu que je ne persuadais pas, et qu'il est intéressant à la chose publique que nous soyons bons amis, j'ai dit à tort et à travers que je m'étais trompé, que j'avais commis une faute, et j'ai en propres termes demandé pardon, ce qui a eu un si merveilleux effet que nous sommes mieux que jamais à présent. — Il est piquant de rapprocher ce passage de celui des Mémoires de Rochambeau reproduit ci-dessus.

[21] Cf. Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. I.

[22] Arch. hist. de la guerre. Corr. du comte de Rochambeau, t. I, p. 130, 131, 140, 141.

[23] C'est ce que La Fayette exprima, le 8 septembre 1780, dans une lettre à Rochambeau. (Cf. Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. I, p. 138.)

[24] Cf. H. Doniol, t. IV, p. 181.

[25] Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. I, p. 144.

[26] Le 14 août 1780, La Fayette avait demandé à Washington l'autorisation d'essayer une entreprise nocturne contre deux camps de Hessois établis à York-Island. (Cf. dans les Mémoires la note de la lettre du 7 octobre 1780.)

[27] Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, I, p. 158.

[28] Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, I, p. 149.

[29] Cf. H. Doniol, t. IV, p. 532 à 534. — Le vicomte de Rochambeau arriva à Versailles le 26 novembre 1780, et ne revint en Amérique que le 8 mai 1781.

[30] Cf. Voyages de M. le marquis de Chastellux dans l'Amérique septentrionale, dans les années 1780, 1781 et 1782 ; Paris, 1786. 2 vol. in-8°, t. I, p. 89 à 91.

[31] Cf. Chastellux, t. I. p. 105. On y lit : Nous trouvâmes toutes ses troupes en bataille sur la hauteur de la gauche, et lui-même à leur tête, exprimant, par son maintien et sa physionomie, qu'il aimait mieux me recevoir là que dans ses terres d'Auvergne. La confiance et l'attachement des troupes sont pour lui des propriétés précieuses, des richesses bien acquises que personne ne peut lui enlever ; mais ce que je trouve de plus flatteur encore pour un jeune homme de son âge, c'est l'influence, la considération qu'il a acquises dans l'ordre politique comme dans l'ordre militaire. Je ne serai pas démenti lorsque je dirai que de simples lettres de lui ont eu souvent plus de pouvoir sur quelques Etats que les invitations les plus fortes de la part du Congrès.

[32] Cf. Chastellux, t. I, p. 108.

[33] Cf. Chastellux, t. I, p. 113.

[34] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date de Paramus, 28 novembre 1730.

[35] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date de Philadelphie, 5 novembre 1780.

[36] Cf. lettre de Washington à La Fayette, en date de New-Windsor, 14 décembre 1780.

[37] Cf. Chastellux, t. I, p. 186.

[38] Cf. Chastellux, t. I, p. 193 à 207.

[39] Cf. Chastellux, t. I, p. 241 à 265.

[40] Le 13 février 1781, Benjamin Franklin mandait de Passy à Vergennes : Le marquis de La Fayette m'écrit qu'il est impossible, quand on ne l'a pas vu, de concevoir ce que les soldats ont souffert, faute de vêtements. (Cf. Correspondance de Benjamin Franklin, édition Laboulaye, t. II, p. 115.)

[41] Benjamin Franklin écrivait, le 13 février 1781, à Vergennes : Si l'on permet aux Anglais de recouvrer ce pays. on ne retrouvera pas, dans le cours des siècles, pareille occasion d'effectuer cette séparation décisive ; la possession de ces vastes et fertiles régions, l'immense étendue des côtes maritimes, donnera aux Anglais une base si large pour leur grandeur future, elle augmentera tellement leur commerce, le nombre de leurs matelots et de leurs soldais, qu'ils deviendront la terreur de l'Europe et qu'ils exerceront avec impunité cette insolence qui est naturelle à leur nation et qui grandira énormément avec l'agrandissement de leur pouvoir.

[42] Cf., pour l'expédition dans la haie de Chesapeake, Tower, II, 244.

[43] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date de Williamsburg, 23 mars 1781.

[44] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date d'Elk, 3 avril 1781.

[45] Le 4 mai 1781, La Fayette écrivait : La ville était perdue si j'avais attendu mon artillerie, quoique l'idée de la laisser en arrière ait pu paraître un singulier caprice. Ce n'est pas sans peine que j'ai fait cette marche rapide. Le général Phillips a témoigné à un parlementaire combien elle l'avait étonné, et, le 30, lorsqu'au moment de donner le signal de l'attaque, il reconnut notre position, quelqu'un, qui était avec lui, dit qu'il eut un violent accès de colère et qu'il jura de se venger de moi et du corps que j'avais amené.

[46] Cf. B.-F. Stevens, Campaign of Virginia, 1781 ; London, 1885, in-8°.

[47] En date des 29 et 30 avril 1781.

[48] Le même jour La Fayette écrivit au baron de Steuben. (Cf. Tower, II, 112.) Le 31 mai 1781, Washington le félicita d'avoir refusé d'entrer en correspondance avec Arnold. (Cf. Jared Sparks, t. VIII, p. 60.)

[49] Cf. Tower, II, 320.

[50] La Fayette annonça le départ de Cornwallis au baron de Steuben par une lettre du 15 juin 1781. (Cf. Tower, II, 338.)

[51] A ce moment, on n'avait guère confiance dans le succès de la campagne. Rochambeau était des plus pessimistes, car il écrivait, le 16 juin1781, au marquis de Ségur : Le général Washington n'a qu'une poignée de monde qu'il pourra peut-être porter à sept ou huit mille hommes dans un mois ou deux, et j'en doute encore par sa dernière lettre. L'armée de Cornwallis est au milieu de la Virginie, entre Richmond et Fredericksburg, et sera incessamment sur le Potomac. Le pauvre marquis de La Fayette avec son détachement se retire au-devant d'un autre détachement de troupes de Pennsylvanie, que lui mène le général Wayne... Ces gens-ci sont à bout de voies et de moyens. (Arch. hist. de la guerre, Corr. du comte de Rochambeau, t. II, p. 43.)

[52] La Fayette écrivit de ce lieu, le 22 juin 1781, aux généraux Steuben et Wayne. (Cf. Tower, Il. 341.)

[53] La Fayette écrivit de ce lieu au général Wayne. (Cf. Tower, II, p. 346.)

[54] La Fayette ignorait la raison véritable de la retraite de Cornwallis, c'est-à-dire les ordres du général Clinton.

[55] Cf. Tower, II, 348.

[56] Cf. Tower, II, 359.

[57] Cf. Tower, II, 359. — La Fayette appelle ce combat l'affaire de Jamestown.

[58] Le 8 juillet 1781, Rochambeau mandait au marquis de Ségur (Arch. de la guerre, Corr. de Rochambeau, t. II, p. 63) : Depuis cette lettre écrite, nous avons nouvelle de M. de La Fayette que son avant-garde, commandée par le général Wayne, avait eu un choc assez vif avec l'arrière-garde de Cornwallis, qui a déjà marché cent milles en rétrogradant. Les Américains ont eu quelque perte d'hommes, mais celle des Anglais est plus considérable. M. de La Fayette s'est très bien conduit dans le début de cette campagne en Virginie en reculant sagement et à propos et avançant de même. — Le 26, il écrivait à Vergennes : M. de La Fayette a mordu deux fois l'arrière-garde de Cornwallis avec des succès balancés. Il s'est en tout parfaitement bien conduit dans toute sa campagne de Virginie. (Cf. H. Doniol, t. IV, p. 640.)

[59] Cf. Tower. II, 171. — La Fayette avait écrit à Washington de Ambler's Plantation, le 8 juillet 1781.

[60] Cf. Tower, II, 412. — On lit, au sujet de la campagne de Virginie, dans une lettre écrite le 4 août 1781 par l'abbé Robin, attaché, comme aumônier, au corps d'armée de Rochambeau, le passage suivant : Un guerrier, à la tête de douze ou quinze cents hommes, se soutient cependant en Virginie, sans que l'impétueux Arnold et l'actif Cornwallis aient osé rien entreprendre contre lui. Vous supposez sans doute qu'un tel guerrier est un de ces hommes qu'une longue expérience, que des succès éclatants et soutenus ont rendu depuis longtemps redoutable. Ce guerrier est un homme de vingt-quatre ans, qui s'est échappé des bras d'une épouse tendre et aimable, du séjour des plaisirs et de la grandeur, où son nom, une alliance illustre devaient sans peine lui frayer le chemin des dignités, pour venir, sous le Fabius de l'Amérique, défendre la liberté et apprendre à servir sa patrie ; et déjà le mot de marquis, qui tant de fois a servi chez nous à caractériser la légèreté et la frivolité, est devenu pour les Américains un signe chéri qui excite leur admiration et leur reconnaissance. (Cf. Nouveau voyage dans l'Amérique septentrionale en l'année 1781, et campagne de l'armée de M. le comte de Rochambeau par M. l'abbé Robin ; Paris, Moutard, 1783, in-8°, p. 73.) Cet abbé Robin avait été un des fondateurs de la loge les Neuf-Sœurs. (Cf. L. Amiable, La loge les Neuf-Sœurs, p. 23.)

[61] Cf. Tower, II, 416.

[62] La Fayette écrivit sur ce sujet à Washington, de Williamsburg, le 8 septembre 1781.

[63] C'est ce que La Fayette déclare dans ses Mémoires.

[64] Cf. Tower, II, 445.

[65] Cf. Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. II, p. 106, la lettre de Rochambeau au comte de Grasse, en date de Williamsburg, 25 septembre 1781 : Le marquis de La Fayette vous porte nos dépêches, mon cher amiral. Il vous expliquera verbalement tout ce qu'il est inutile de vous mettre par écrit.

[66] Cf. l'abbé Robin, p. 118 à 146.

[67] Arch. hist. de la guerre, Correspondance du comte de Rochambeau, t. II. — Le 16 octobre 1781, La Fayette écrivait à Washington pour lui signaler la belle conduite des colonels Gimat, Hamilton, Laurens et Barber.

[68] Le vicomte de Noailles avait bénéficié dans toute cette campagne de la popularité de La Fayette. L'abbé Robin, dans une lettre du 30 juillet 1781, dit à son sujet (p. 38) : Le titre de beau-frère du marquis a le plus excité leur curiosité et leur respect ; ç'a été pour les jeunes Américaines une distinction flatteuse d'avoir dansé avec lui.

[69] La campagne de York-Town a été racontée par M. Henry Johnston dans un volume publié à New-York en 1881 et intitulé : The Yorktown Campaign. — La correspondance entre Washington et Cornwallis et le texte de la capitulation, signée par Cornwallis et Thomas Symonds, d'une part, et Washington, Rochambeau et le comte de Barras, en son nom et en celui du comte de Grasse, d'autre part, se trouvent dans Jared Sparks, t. VIII, p. 530 à 536.

[70] Cf. Mémoires de Rochambeau, t. Ier, p. 296.

[71] Cette lettre, où La Fayette exprimait sa joie, est datée du vaisseau la Ville de Paris, dans la baie de Chesapeake, 22 octobre 1781.

[72] Arch. hist. de la guerre, Corr. du comte de Rochambeau, t. II, p. 218.

[73] Arch. hist. de la guerre, Corr. du comte de Rochambeau, t. II, p. 220.

[74] Le même jour, Louis XVI écrivait au bas d'une demande faite pour La Fayette : Bon pour le grade de maréchal de camp à la fin de la guerre, lorsqu'il rentrera au service de France, en quittant son régiment à présent, et pour lors datant son brevet de la prise d'York. (Cf. Archives administratives de la guerre.) — La Fayette céda, le 2 février 1782, à son beau-frère le vicomte de Noailles son régiment de dragons pour le prix de soixante mille livres.