ANNIBAL DANS LES ALPES

 

PAR CHARLES CHAPPUIS.

 

 

I

Après la prise de Sagonte, alors que Rome venait de déclarer la guerre, Annibal était à Carthagène, et, pendant ses quartiers d'hiver, se préparait à aller combattre les Romains en Italie.

Il était, dit Polybe[1], entré en relations avec les peuplades dont il aurait à traverser le territoire, avec les chefs qui commandaient dans la Gaule proprement dite et au milieu des Alpes, et, comprenant quelles difficultés l'attendaient et quels dangers, il n'était rien qu'il ne leur promit par ses envoyés. D'autre part, il avait fait explorer les pays même qu'arrose le Pô, pour connaître les dispositions des Gaulois qui y étaient établis, leur force militaire et leur ardeur guerrière, les ressources et la fertilité de leur territoire, pour savoir jusqu'à quel point il pouvait compter sur eux. Des envoyés venaient à Carthagène lui donner l'assurance qu'il était attendu en Italie et que les Gaulois étaient prêts a se joindre a lui ; ils ajoutaient que, si le passage des Alpes devait être, en raison de leur immense hauteur, rude et pénible, il n'était du moins pas impossible. Sur la foi des émissaires d'Annibal, les Boïens et les In sobres, récemment vaincus par les Romains, vont surprendre les colonies romaines, enferment un consulaire et deux préteurs dans Modène, se saisissent de leurs personnes et battent l'armée de Manlius[2].

L'armée d'Annibal se composait de troupes africaines et d'Espagnols qu'il avait envoyés dans leurs villes se préparer pendant l'hiver à de nouvelles fatigues[3].

Polybe qui a consulté la table d'airain de Lacinium, où Annibal avait fait graver l'énumération de ses troupes, donne, d'après cette table, le nombre des hommes envoyés par Annibal en Afrique ou laissés, par lui, sous le commandement d'Asdrubal en Espagne[4], et c'est d'après elle, sans doute, qu'il dit qu'Annibal partit de Carthagène avec 90.000 fantassins et 12.000 cavaliers[5].

Ainsi Annibal avait réuni, pour marcher vers l'Italie, 102.000 hommes ; mais comme cette armée s'affaiblit rapidement ! Entre l'Ebre et les Pyrénées, des combats nombreux et la prise de plusieurs villes causèrent de grandes pertes ; il fallut laisser à Hannon 10.000 fantassins et 1.000 cavaliers pour tenir en respect les Bargusiens qui auraient pu fermer la retraite à Annibal et mettre une barrière entre l'Espagne et lui ; il fallut renvoyer dans leurs foyers des mécontents sur la fidélité desquels on ne pouvait plus compter, 11.000 hommes d'après Polybe[6] ; 3.000 Carpétans et plus de 7.000 autres Espagnols, dit Tite–Live, confirmant et complétant ainsi le témoignage de l'historien grec[7].

Après avoir franchi les Pyrénées, l'armée ne comptait plus que 50.000 fantassins et 9.000 cavaliers ; elle était presque réduite à la moitié de ce qu'elle était à Carthagène ; mais, pour que rien ne retardât leur marche, ces 59.000 hommes avaient laissé leurs bagages sous la garde d' Hannon[8], et, si cette armée était peu nombreuse, elle était solide et aguerrie par des luttes continuelles en Espagne[9].

Annibal, après avoir parcouru rapidement, à partir d'Emporium, 1.600 stades, au milieu de populations qu'il sut gagner par des présents ou maintenir par la crainte, arriva aux bords du Rhône. Il franchit ce fleuve à quatre journées de la mer, au-dessus du point où il se sépare en deux branches[10]. Il fallut combattre les Volces qui avaient réuni leurs forces sur la rive gauche, et, après le passage du Rhône, l'armée était réduite à 38.000 fantassins et un peu plus de 8.000 cavaliers, a environ 46.000 hommes[11].

Annibal avait passé le Rhône, lorsque se présentèrent, venant des plaines du Pô, des envoyés des Boïens, le roi Magilus ou Magalus et les petits chefs qui l'accompagnaient[12].

Ce qui était bien propre, dit Polybe[13], à animer l'ardeur des soldats d'Annibal, c'était la présence d'hommes qui venaient, pour ainsi parler, chercher les Carthaginois et qui promettaient de s'associer à leur guerre contre Rome ; l'engagement que prenait Magilus, et qui ne pouvait être suspect, de les conduire par des chemins où ils ne manqueraient de rien et qui les mèneraient promptement et sans danger en Italie ; la fécondité, l'étendue du pays qui les attendait ; l'ardeur enfin de cette population guerrière avec qui ils devaient combattre les troupes romaines.

Polybe[14] insiste, critiquant vivement les légendes étranges relatives à la marche d'Annibal : Tantôt, dit-il, on suppose les pentes des Alpes si raides et si difficiles que, loin de pouvoir être franchies par une armée, par des chevaux et par des éléphants, elles seraient presque inaccessibles même à l'infanterie, tantôt on nous dépeint cette région des Alpes comme absolument déserte... Comment imaginer un général plus insensé, plus téméraire qu'Annibal, qui, à la tête de troupes considérables, sur lesquelles il fonde les plus belles espérances pour le succès de son entreprise, ne sait, s'il faut en croire nos historiens, ni les routes, ni les lieux qu'il doit traverser, ni où il va, ni chez quels peuples il les dirige, et court s'engager dans une entreprise absolument impossible ?... Ceux qui parlent ainsi des déserts, des précipices, des difficultés que présentent les Alpes, ne savaient donc pas que les Gaulois, habitants des rives du Rhône, mainte et mainte fois avant l'arrivée d'Annibal, avaient franchi les Alpes avec des forces immenses, afin de combattre les Romains et de secourir leurs compagnons dans les plaines du Pô... Ils ne savaient donc pas que de nombreuses peuplades habitent les Alpes[15]... En réalité, Annibal s'était soigneusement informé de la fertilité du pays où il devait aller, des sentiments de haine des populations à l'égard des Romains, et, dans les endroits difficiles, il prenait pour guides des gens du pays qui devaient partager sa fortune.

Et Polybe ajoute que, ces Alpes dont il parle ainsi, il les a lui-même parcourues.

En lisant cet important passage, il ne faut pas perdre de vue ce qui en est l'idée dominante : Polybe tient à protester contre ceux qui, voulant étonner le lecteur, ont à plaisir exagéré les difficultés et ont par là même rendu nécessaire une intervention surnaturelle : comme ils ne peuvent, dit-il, trouver un dénouement à leur récit, ils font intervenir et des dieux et des fils de dieux dans l'histoire qui, d'ordinaire, ne s'appuie que sur les faits... Ils s'imaginent de nous dire qu'un dieu, soudainement advenu, vint montrer la route aux Carthaginois[16]. Pour eux, même nécessité que pour les poètes dramatiques ; si, dans la plupart de nos pièces de théâtre, le dénouement a besoin de l'intervention de quelque dieu, c'est que les auteurs choisissent des fables en dehors du vrai et de la raison...

Polybe ne veut pas qu'on exagère les difficultés, qu'on les transforme en impossibilités ; mais il est loin de les méconnaître. Suivant lui, Annibal, alors qu'il est à Carthagène, sait déjà que le passage des Alpes sera rude et pénible, qu'il y trouvera des difficultés et des dangers, et son récit va signaler et les rochers escarpés et les précipices et les dangers sérieux que la difficulté des lieux fera courir à l'armée carthaginoise.

Il ne faut pas, vient de dire Polybe, s'imaginer qu'Annibal ne savait nullement quels lieux il devait traverser, quelles routes il devait suivre. Mais cette connaissance des lieux avait un caractère assez général ; Annibal sait quelle direction il suivra, quels seront les points les plus importants de sa marche, quels peuples il trouvera sur son chemin ; mais il faut bien admettre que, dans les détails, bien des choses lui échappent et qu'il y aura pour lui une assez large part d'imprévu.

Il aura des guides, il est vrai ; qui donc ? Pour les passages difficiles, des guides du pays ? Nous -verrons quelle confiance ils méritaient. Magilus et ceux qui l'entourent Mais il n'en sera plus question et il ne semble pas qu'ils aient été pour Annibal d'aucun secours. Nous verrons si Annibal, comme ils l'ont promis, traverse les Alpes sans manquer de rien et sans courir aucun danger.

Le lendemain du jour où les troupes d'Annibal étaient réunies sur la rive gauche du Rhône, alors qu'il n'avait plus à faire passer que les éléphants, apprenant qu'une flotte romaine était à l'embouchure du fleuve, il envoya 300 cavaliers Numides avec ordre d'examiner quelles étaient les forces de l'ennemi, quelles étaient ses positions, quels étaient ses projets, De son côté, Publius Scipion, à peine débarqué, avait envoyé 300 cavaliers d'élite, avec des Marseillais qui devaient leur servir de guides et des Gaulois auxiliaires, pour tout observer et pour reconnaître l'ennemi sans se hasarder. La rencontre fut très meurtrière, et les Romains, à qui l'avantage était resté, s'étaient avancés, pour tout examiner, jusqu'auprès du camp des Carthaginois[17].

Résolu à ne pas combattre les Romains en Gaule et à porter la guerre en Italie, Annibal, dès le lendemain de cette rencontre, fit avancer la cavalerie du côté de la mer pour se protéger, et ordonna à son infanterie de remonter rapidement le long du Rhône ; dès qu'il le put, il plaça ses éléphants à l'arrière-garde, auprès de la cavalerie[18].

Il y avait trois jours qu'il poursuivait sa marche dans la vallée du Rhône, lorsque Publias arriva avec son armée à l'endroit où les Carthaginois l'avaient passé. Il était convaincu qu'ils n'oseraient se diriger vers l'Italie par une route où ils devaient rencontrer des peuplades barbares nombreuses et perfides. Voyant qu'ils avaient pris l'avance et qu'ils lui échappaient, il se hâta de retourner vers sa flotte, espérant arriver à temps en Italie pour arrêter Annibal à la descente des Alpes[19].

Annibal avait-il eu l'intention d'aller directement vers les Alpes par la vallée de la Durance ou par celle de l'Aygues Ne s'est-il décidé à remonter le Rhône que pour se dérober à une attaque des Romains ? C'est ce qu'on ne saurait dire[20].

Par une marche continue de quatre journées[21], Annibal parcourut le long du Rhône 600 stades[22], ce qui donne à peu prés 28 kilomètres par jour.

Il arriva ainsi sur les bords de l'Isère[23], vers une contrée, très peuplée et très fertile, limitée par l'Isère, par le Rhône et par des montagnes presque impénétrables, qui ne sont autres que le massif de la Grande-Chartreuse. En raison de sa position, qui l'isole ainsi de toutes parts, Polybe et Tite-Live[24] l'appellent l'Île, et le premier la compare à un delta, parce qu'il ne tient pas compte de l'angle que le Rhône fait à Lyon et suppose que son cours est en ligne droite.

Dans cette contrée deux frères se disputaient le pouvoir ; Annibal appelé par l'aîné, le débarrassa de son rival, et obtint de lui de précieux secours, des armes, du blé et d'autres provisions, des vêtements, des chaussures. Ce chef fit plus, dit Polybe ; comme les Carthaginois n'étaient pas sans crainte, ayant à traverser le pays des Gaulois qu'on nomme Allobroges, il les escorta avec ses troupes et protégea leur marche jusqu'au moment où ils furent au pied des Alpes[25].

Suivant Tite-Live, ce peuple divisé par la querelle de deux frères, c'étaient les Allobroges, et les Allobroges n'habitaient pas dans l'île ; ils étaient auprès de l'île[26].

Polybe ne désigne les habitants de l'île que par le seul nom de barbares[27], et pour lui ce ne sont pas des Allobroges ; il y a une confédération Allobrogique qui s'étend sur un vaste territoire ; les habitants de l'île se joignent comme auxiliaires à Annibal pour qu'il puisse traverser sans crainte le pays qu'elle occupe ; les petits chefs des Allobroges n'osent l'attaquer tant qu'il est escorté par les barbares, ses alliés ; mais à son entrée dans les Alpes, il sera attaqué par les Allobroges[28].

Ainsi ce peuple, chez lequel intervint Annibal, habitait dans l'île, d'après Polybe, et n'était pas Allobroge ; il était Allobroge suivant Tite-Live et n'habitait pas dans l'île. Mais les deux historiens sont d'accord pour témoigner nettement que les Allobroges n'étaient pas où nous les voyons au temps de César[29].

Polybe et Tite-Live ne disent pas qu'Annibal ait pénétré dans l'île, et il est probable qu'il n'a pas traversé l'Isère[30].

Quelle direction suivit-il à partir de l'île ?

Polybe dit que du point où il passa le Rhône, en se dirigeant le long du fleuve, comme si l'on allait vers sa source, il y avait jusqu'à l'entrée des Alpes 1.400 stades[31] ; et de même qu'après avoir placé à l'arrière-garde la cavalerie et les éléphants, il s'avança le long du fleuve, se dirigeant de la mer vers l'Orient, c'est-à-dire vers l'intérieur de l'Europe[32] ; et enfin qu'après avoir en dix jours, à partir de l'île, c'est-à-dire du confluent de l'Isère et du Rhône, parcouru le long du fleuve, παρά τόν ποταμόν, 800 stades, il commença à monter vers les Alpes[33].

Que signifient ces expressions παρά τόν ποταμόν, παρ' αύτόν τόν ποταμόν ? Dès qu'il s'agit de la marche à partir de l'île, elles ne peuvent être prises dans leur sens littéral ; c'est ce que reconnaissent tous ceux qui se sont occupés de la question, et ceux-là mêmes qui, conduisant Annibal vers le Petit Saint-Bernard ou vers le Mont-Cenis, supposent qu'il a remonté le Rhône ou l'Isère. A partir du confluent, 800 stades mesurés le long du Rhône, conduisent vers les embouchures de l'Ain et de la Bourbre, mesurés le long de l'Isère, vers Montmélian ; mais, ni vers l'embouchure de l'Ain ni vers Montmélian, on n'est dans une région que l'on puisse considérer comme l'entrée des Alpes. Si l'on suppose qu'Annibal a quitté le Rhône, soit au confluent de l'Isère, soit à Vienne, pour aller directement à Aoste-Saint-Cenis, et de là, par la vallée du Rhône, au pied du Mont du Chat, on ne peut pas dire qu'il soit arrivé à l'entrée des Alpes, et dire qu'il a marché le long du Rhône serait très inexact, puisque la plus grande partie de sa marche se serait faite loin du fleuve. A-t-il quitté l'Isère pour remonter la vallée de la Gresse ou celle du Drac ou celle de la Romanche ? Il n'a pas marché le long d'une rivière, mais successivement le long de l'Isère et le long d'une autre rivière.

Quelque direction que l'on suive, quelque voie que l'on essaie, on est dans l'impossibilité de donner un sens littéral à cette expression παρά τόν ποταμόν, et on est obligé de reconnaître qu'il la faut interpréter. Mais on ne pourra s'arrêter à une interprétation arbitraire ; une interprétation ne sera bonne et acceptable qu'à la condition qu'elle soit autorisée, indiquée par Polybe lui-même.

Ces expressions n'indiquent, comme l'a montré M. Letronne[34], qu'une direction générale.

Polybe croit que les Alpes sont, non pas au nord et à l'ouest de la cisalpine, mais au nord, qu'elles s'étendent sur une ligne continue de l'ouest à l'est entre Marseille sur les bords de la mer de Sardaigne et le golfe Adriatique, que d'un côté coule le Pô, et, sur le versant nord de la chaîne, parallèlement au Pô, le Rhône, qui prend sa source vers le golfe Adriatique et coule vers le couchant d'hiver[35].

Il a eu soin de nous dire qu'il se bornerait à indiquer, au sujet des différents pays, une orientation générale, leur situation par rapport aux points cardinaux. Quand il dit à propos de la marche d'Annibal qu'elle se fait le long du fleuve, il entend par là qu'elle se fait dans la direction de l'est, et aussi ajoute-t-il ώς έπί τάς πηγάς, et s'il dit : en allant vers la source, c'est encore pour indiquer cette marche générale vers l'est.

C'est ainsi qu'à propos des populations qui occupèrent la vallée du Pô, il semble dire que les Lèves et les Lébèques s'établirent vers les sources du fleuve ; mais ils étaient, sur les bords du Tessin, entre les Taurini et les Salasses d'une part, les Insubres de l'autre ; les mots περί τάς άνατολάς τού Πάδου ne peuvent être pris dans leur sens littéral et n'indiquent qu'une direction générale, une orientation, une position à l'ouest des Insubres[36].

Polybe, qui nous a prévenus qu'il ne donnerait pas les noms des pays des fleuves et des villes, nous apprend seulement que la région parcourue par Annibal était occupée par des populations allobrogiques, qu'il craignait de s'y engager, que, tant qu'il fut dans la plaine, il ne fut pas attaqué par les petits chefs allobroges, parce qu'ils craignaient sa cavalerie et les barbares, qui l'accompagnaient[37]. Il ne dit pas quels étaient les noms de ces diverses peuplades, et s'il fournit quelque autre indication géographique, c'est celle des distances parcourues.

Nulle contradiction, du reste, entre l'historien grec et l'historien latin ; si l'un a laissé intentionnellement une lacune, l'autre, qui puise à plusieurs sources et que rien ne nous autorise à récuser, va nous permettre de la combler.

Les discussions des Allobroges apaisées, dit Tite-Live[38], Annibal, qui se dirigeait vers les Alpes, n'en prit, pas encore directement le chemin ; il se détourne sur la gauche vers le pays des Tricastins ; de là, par l'extrémité du pays des Voconces, il marcha vers le pays des Tricoriens, sans éprouver sur sa route aucun retard, jusqu'aux bords de la Durance.

Et ce témoignage de Tite-Live est confirmé par Ammien Marcellin qui dit qu'Annibal passa par le pays des Voconces et par celui des Tricorii[39], par Silius Italicus[40], qui parle de la facilité avec laquelle Annibal parcourut les territoires des Tricastins et des Voconces, par Silius Italicus[41] et par Ammien Marcellin[42], qui disent qu'il traversa la Durance.

Mais comment Annibal, après avoir remonté le Rhône jusqu'au confluent de l'Isère, l'aurait-il redescendu jusqu'au pays des Tricastins qui étaient au midi de la Drôme, sur les bords de l'Aygues ? Ce serait étendre bien loin les limites de la Confédération allobrogique, ce serait lui faire faire un détour bien long, et l'on ne comprendrait pas que nos historiens n'aient rien dit de cette nouvelle marche le long du fleuve.

Les mots sedatis certaminibus Allobrogum constituent une donnée inexacte. C'est, après avoir passé le Rhône, et non pas en quittant les bords de l'Isère, qu'Annibal, prenant sur sa gauche, a traversé le pays des Tricastins. Ces mots de Tite-Live : non recta regione iter instituit, ne se comprennent pas si l'on est sur l'Isère ; ils sont exacts, si l'on se reporte au point où Annibal a traversé le Rhône ; s'il a remonté le Rhône, a dit ailleurs Tite-Live lui-même, ce n'était pas que ce fût le chemin le plus court pour aller vers les Alpes, non quia rectior ad Alpes via esset[43] ; au lieu d'aller en ligne droite dans cette direction vers l'est qu'il a suivie depuis les Pyrénées, il prend sur sa gauche pour remonter le Rhône, par le pays des Tricastins.

L'intervention d'Annibal entre les deux frères qui, dans l'Île, se disputaient le pouvoir, les secours de toute nature qui lui furent donnés par l'un d'eux, le retinrent, certainement pendant plusieurs jours sur les bords de l'Isère, du moins à proximité de cette rivière.

Pour aller des points qu'il occupait sur les bords du Rhône au pays des Tricorii, c'est-à-dire vers le Trièves et le Champsaur, vers le pays de Gap, pour aller vers la Durance, Annibal a-t-il pris la vallée de l'Isère, a-t-il pris la vallée de la Drôme ? Tite-Live ne nous fournit pas à ce sujet une indication précise ; si Annibal a suivi la Drôme, il a traversé le pays des Voconces qui occupaient Aouste, Die, Luc-en-Diois, et c'est arrivé à l'extrémité de leur territoire, per extrernam oram,… qu'il a pénétré chez les Tricorii ; s'il a suivi l'Isère, il aurait longé leur territoire et on interpréterait en ce sens les mots per extremam oram.

Polybe, qui indique les distances parcourues, nous permet de sortir d'incertitude.

De l'endroit, dit-il, où l'on avait passé le Rhône, en se dirigeant le long du fleuve comme si l'on allait vers sa source, il y avait jusqu'à l'entrée des Alpes qui conduit vers l'Italie, 1.400 stades.

Ces 1.400 stades comprennent 600 stades parcourus le long du Rhône pour arriver jusqu'à l'Isère ; aussi Polybe, dit-il ailleurs, qu'après avoir quitté les bords de l'Isère, Annibal parcourut en dix jours 800 stades dans la direction de l'est (le long du fleuve) et qu'il arriva ainsi à l'entrée des Alpes[44].

Et à partir de ce point, l'entrée des Alpes, commencera un autre calcul des distances, celui des 1.200 stades parcourus pour arriver à la vallée du Pô[45].

Or, si Annibal a pris par la vallée de l'Isère, par la vallée du Drac et de la Gresse, pour arriver chez les Tricorii par le col de la Croix-Haute et redescendre vers la Durance, il a parcouru non pas 800 stades, c'est-à-dire 148 kilomètres environ, mais 228 kilomètres, et s'il a suivi la haute vallée du Drac pour passer quelque autre col et redescendre sur Gap ou sur Chorges, la distance sera à peu près la même. S'il avait passé par la vallée de l'Aygues, il aurait parcouru, du Rhône à la Durance, 178 kilomètres.

Si, au contraire, il a suivi la Drôme, il n'y a d'Allex, c'est-à-dire de l'entrée de la vallée, jusqu'à la Durance, que 152 kilomètres[46], et de Livron 57, c'est-à-dire une distance sensiblement égale aux 800 stades (148 kilomètres) de Polybe.

Ainsi Annibal qui, probablement, pendant qu'il était en rapport avec les habitants de l'Ile, avait ses troupes campées entre l'Isère et la Drôme, les réunit sur les bords de cette dernière rivière, vers Livron et Allex ; de là, il remonte la vallée de la Drôme, passe le col de Cabre, descend la vallée du Buech, et va par Gap et Chorges jus- qu'aux bords de la Durance[47].

Il fait cette marche en dix jours, comme le dit Polybe, c'est-à-dire à raison d'environ 15 kilomètres par jour. Pour Polybe, ce passage des chaînes subalpines n'est pas un pays de grande montagne ; c'est, relativement au passage des Alpes proprement dites, un pays de plaine[48].

De même, Tite-Live dit qu'Annibal gagne les Alpes au milieu de populations bienveillantes, par des pays qui étaient surtout des pays de plaine[49]. Il ne fait que traduire le texte de Polybe ; mais il le fait précéder des mots ab Druentia, qui n'ont aucun sens. Quand on est arrivé à la Durance, on est au pied des Alpes, et sur aucun point de la vallée on ne trouve une plaine entre la rivière et la montagne.

Tite-Live commet ici une erreur semblable à celle que nous avons déjà relevée ; l'obscurité des relations qu'il a sous les yeux, la difficulté de les concilier, l'impossibilité de les contrôler par l'étude des lieux ou du moins d'une carte, lui font transposer un détail et affirmer au sujet de la marche au-delà de la Durance, ce qui n'est vrai que de la marche entre le Rhône et cette rivière.

La description que Tite-Live nous a laissée de la Durance et des difficultés que présente le passage de cette rivière, est d'une vérité saisissante ; on a voulu y voir une vaine déclamation ; il faut y voir plutôt une preuve que Tite-Live était bien renseigné et une raison d'avoir confiance en lui.

Cette rivière, dit-il, qui vient des Alpes, est de toutes celles de la Gaule la plus difficile à passer. En effet, malgré la quantité de ses eaux, elle ne peut recevoir des barques, parce que son lit, qui ne connaît point de rives, forme vingt courants toujours changeants, et présente toujours des gués et de nouveaux tourbillons, qui rendent le passage incertain pour le piéton même, sans parler des roches et des graviers qu'elle charrie, et qui font perdre à chaque instant l'équilibre. Les pluies, qui l'avaient grossie, multipliaient alors les obstacles, et les soldats mêlaient au tumulte des flots des cris confus qui ajoutaient encore à leur trouble et à leur effroi[50].

Tel est bien l'aspect étrange, un peu effrayant, que présente la Durance, sur plus de huit kilomètres, dans la partie que commandent la Conche et Chanteloube sur la rive droite, Pontis, le Saulze et la Bréole sur la rive gauche ; son cours est des plus rapide[51] ; elle semble un immense torrent plutôt qu'une rivière ; ses eaux ne permettent jamais de sonder de l'oeil à quelque profondeur ; elles sont d'un gris sale et avec la teinte des eaux glaciaires ; plus souvent bourbeuses et de la couleur sombre que leur donnent les terrains schisteux ; puis grossies, elles entraînent, avec fracas, des sables, des graviers, des pierres, des rochers ; dans les inondations, elles deviennent tumultueuses, terribles ; elles forment des dépôts, des îles, et les détruisent sans cesse, n'ayant que des rives incertaines et des courants toujours changeants ; dans ce grand lit de pierrailles, qui a au minimum 250 mètres, le plus souvent 5oo mètres, 600 mares de largeur, trois, quatre, cinq lits, où les eaux se précipitent ; qui demain auront tout changé, creusé d'autres lits ; si les gens du pays traversent la rivière, c'est armés de longs bâtons, avec lesquels ils sondent devant eux, et ce n'est pas sans danger, car il y a tels fonds de sable où l'on serait englouti[52].

Annibal traversa la Durance ; c'est ce que disent Tite-Live et Ammien Marcellin[53].

Nous sommes arrivés à un point important dans la marche d'Annibal ; il vient de traverser les chaînes subalpines ; ses auxiliaires le quittent à l'entrée des Alpes, que Polybe nomme ναβολν τν λπεων, πρς τς λπεις ναβολς[54] ; et Polybe compte à partir de ce point les journées consacrées à franchir les Alpes[55] ; le reste de la route ce sont les λοιπα α τν λπεων περβολα[56].

Annibal est à l'entrée du grand passage des Alpes, au commencement de la marche par laquelle il va franchir la grande chaîne pour descendre ensuite en Italie.

A gauche, Annibal a la vallée de la Durance qui le conduirait directement au Mont-Genèvre, ou par un affluent, le Guil, aux cols du Queyras, notamment au col de la Croix. Mais il n'a pas remonté la Durance, il l'a seulement traversée.

A droite, les Alpes forment un massif presque infranchissable ; la chaîne principale va dans la direction du sud-est se relier aux Apennins, et il s'en détache à l'ouest des chaînons secondaires entre lesquels coulent des rivières profondément encaissées, qui vont à la Méditerranée, la Tinéa, le Var, ou bien qui se jettent dans la Durance, le Verdon, la Bléone. Pour franchir les Alpes par cette région tourmentée, il faudrait les franchir plusieurs fois.

Devant lui est la vallée de l'Ubaye, la vallée où est aujourd'hui Barcelonnette. Si du Rhône on remonte la Durance, c'est la première vallée qui permette de passer directement en Italie ; peut-être Annibal, lorsqu'il arriva sur les bords du Rhône, avait-il l'intention de suivre celte ligne de la Durance et de l'Ubaye, et n'y a-t-il renoncé qu'en raison de la présence de l'armée romaine débarquée à Marseille. Maintenant par la vallée de la Drôme, il revient à cette vallée de l'Ubaye, qui, dans sa partie inférieure au moins, a la même direction, la direction vers l'est.

La vallée semble fermée[57]. Le long de la Durance, qui est à la cote 680, s'étend un chaînon que la rivière a coupé par une entaille profonde, où il n'y avait aucun passage avant qu'en ces dernières années on y ouvrit une route ; au nord, ce chaînon est à 1.052 mètres et se relie à un point coté 1.746m et en arrière au Grand-Morgon, 2.326m ; au sud, il a 1.020 mètres et se relie à un point coté 1.596m et au-delà au Grand-Colbas, 2.510m.

L'armée monte par la partie du chaînon qui est au nord de l'Ubaye, par Pondis et le Sauze, peut-être aussi par la partie sud et la Bréole.

Les Carthaginois, dans la dernière partie de leur marche vers la Durance, voyaient devant eux, ils voient maintenant de plus près cet encadrement vraiment grandiose de l'entrée de la vallée, à leur gauche au-delà du Grand-Morgon des cimes qui ont de 2.500 à 3.000 mètres, à leur droite au-delà du Grand-Colbas, Siolane qui en a 2.900. La région des neiges éternelles apparaît à leurs yeux.

Alors, dit Tite-Live[58], quoique la renommée, qui ordinairement exagère les objets inconnus, eût d'avance prévenu les esprits, lorsque l'oeil put voir de près la hauteur des monts, les neiges qui semblaient se confondre avec les cieux, les huttes grossières établies sur les pointes des rochers, les chevaux, le bétail paralysés par le froid, les hommes sauvages et hideux, les êtres vivants et la nature inanimée presque entièrement engourdis par la glace, cette scène d'horreur, plus affreuse encore à contempler qu'à décrire, renouvela les terreurs de l'armée.

De ce chaînon qu'ils viennent de franchir, les soldats voient devant eux la rive droite de l'Ubaye dominée par les pentes abruptes des cimes de la Croix-d'Ubaye, 2,37orn et 2,381 ; sur la rive gauche, deux éperons du Grand-Colbas : l'un de 1,227 mètres, coupe la vallée comme une vaste muraille, et se termine sur la rivière par une pente escarpée, nommée le Pierras ; c'est celui qui porte aujourd'hui le fort Saint-Vincent, élevé de près de 500 mètres au-dessus de la rivière ; l'autre en arrière, de 1.514 mètres d'élévation, celui qui s'appelle le Chastelard. Entre le chaînon, qui est au bord de la Durance, et ce contrefort de Saint-Vincent, qui est à 7 kilomètres de l'embouchure de l'Ubaye, s'étend un bassin, où se trouve le village d'Ubaye (742m), bassin qui semble fermé. La rivière y arrive par un défilé très étroit, qui, commandé de toutes parts, parait infranchissable. Un chemin, le seul que l'on trouve marqué sur les cartes de Cassini et de Bacler d'Albe, passe par dessus la crête de Saint-Vincent et redescend de l'autre côté sur l'Ubaye, par les prairies du Prayet et du Clos du Dou ; au milieu des vastes éboulements du Pierras, on voit des vestiges d'anciens chemins[59].

Les Gaulois occupent les positions favorables, la position de Saint-Vincent, et probablement celle du Chastelard.

Annibal, dit Polybe[60], courut alors les plus grands dangers... Dès que les Gaulois qui l'avaient accompagné furent partis, et que ses troupes eurent commencé à s'engager dans les passages difficiles, les chefs des Allobroges, réunis en nombre suffisant, s'emparèrent des positions avantageuses, par lesquelles il fallait de toute nécessité que l'ennemi passât.

Et il ajoute : S'ils avaient caché leur manoeuvre, ils auraient détruit toute l'armée carthaginoise ; mais ils laissèrent voir leur dessein, et s'ils causèrent à Annibal de grandes pertes, les leurs ne furent pas moins sensibles.

Au moment, dit Tite-Live[61], où l'armée franchissait les premières éminences, apparurent les montagnards établis sur les positions qui dominaient le passage ; s'ils avaient occupé des vallons cachés aux regards, attaquant l'ennemi par surprise, ils lui auraient fait éprouver une déroute complète et une perte immense.

Au lieu d'occuper, en vue des Carthaginois, les positions dominantes, Saint-Vincent, le Chastelard, ils auraient pu se dissimuler derrière ces deux contreforts, et, par surprise, écraser l'armée.

Annibal arrête sa marche, fait l'aire une exploration par des Gaulois, reconnaît que l'ennemi a occupé les positions avantageuses, et qu'il n'est pas possible de passer.

Il fait camper ses troupes ; le camp est assis dans toute la partie de la vallée qu'il est possible d'occuper, sur un terrain très tourmenté et très raviné.

Tel est bien l'aspect du vallon où est le village d'Ubaye ; il suffit du reste, de jeter un coup d'oeil sur la carte d'état-major. L'armée est probablement restée sur la rive droite ; elle peut occuper un espace de 3 kilomètres environ, 1 kilomètre vers Ubaye avec 200 mètres de largeur, 2 kilomètres au Plan et au-delà sur une largeur moyenne de 300 mètres, ce qui donne environ 8o hectares, mais d'un terrain inégal, coupé par cinq torrents.

Annibal apprend par ses éclaireurs que chaque nuit les Gaulois se retirent dans une ville qui est voisine, πόλιν, castellum, ou dans leurs habitations isolées ; il fait en plein jour avancer ses troupes, se rapproche des positions qui lui ferment le passage et campe non loin des ennemis ; il se place sous les éminences qu'ils occupent, comme s'il était résolu à franchir les défilés en plein jour et de vive force. Toute la journée il cache, par des manoeuvres trompeuses, ses véritables projets, et il établit son camp à l'endroit où il s'était arrêté.

Il vient donc de passer l'Ubaye ; il, s'avance montant vers le sud entre le ravin qui descend du Lautaret et le ravin du Laus qui le protège du côté de Saint-Vincent ; son camp peut occuper une largeur d'un kilomètre à peu près sur environ un kilomètre et demi en montant jusque vers les terrasses du Lautaret, d'où les troupes pourront, par les terrasses de l'Auchette, s'élever aisément jusqu'à la crête de Saint-Vincent.

La nuit venue, il fait allumer les feux, mais, avec des hommes d'élite, armés à la légère, il s'engage dans les défilés et s'empare des hauteurs abandonnées par les Gaulois. Il ne pouvait attaquer de front la Position de Saint-Vincent, mais il l'aborde par les hauteurs de Lautaret et de l'Auchette, et de Saint-Vincent, par les prairies du Prayet et du Clot du Dou, va jusqu'au Chastelard qu'il occupe ; en même temps, par le Pierras, il s'avance sous ces deux positions.

Le défilé ne peut être franchi par la rive droite de l'Ubaye ; en face du Pierras, la Roche ; plus loin, Rocherousse, et, au-delà de Rocherousse, des escarpements ferment tout accès et sur trois kilomètres environ le passage est impraticable. Sur la rive gauche s'élèvent également des rochers abrupts et il faut passer à flanc de montagne, à une assez grande hauteur, à 100 ou 150 mètres au-dessus de l'Ubaye, dans les éboulements du Pierras.

Polybe décrit avec soin les obstacles et les dangers au milieu desquels se trouvent la cavalerie et les bêtes de somme, ce passage étroit et difficile que borde le précipice, et de même Tite-Live les escarpements et les précipices de ce défilé[62].

Les Gaulois, au matin, voyant les hauteurs occupées par une partie de l'armée carthaginoise, l'autre partie de l'armée déjà engagée dans les défilés, hésitent d'abord à attaquer ; mais, comprenant de quel avantage sont pour eux l'habitude et la connaissance des lieux, alors que l'armée carthaginoise est dans une position critique, ils prennent à mi-hauteur sur les flancs de la montagne, dans des pentes qui semblaient inaccessibles et au milieu de rochers bouleversés et brisés, perversis rupibus juxta invia ac devia adsueti decurrunt. Ces expressions et notamment les mots per versis rupibus sur lesquels on a beaucoup discuté, ne sont que la désignation exacte du vaste éboulement du Pierras.

La difficulté des lieux fait perdre plus de monde aux Carthaginois que l'attaque des Gaulois ; dans ce passage étroit la confusion augmente le danger, et blessés par l'ennemi ou se heurtant les uns les autres, des chevaux, des bêtes de somme avec leurs bagages, des hommes même avec leurs armes roulent dans le précipice.

A cette vue, Annibal qui occupe le point culminant, l'arx, comme dit Tite-Live, fond sur les Gaulois[63], met à mort, la plupart d'entre eux, les autres en fuite ; mais, disent nos historiens, ce ne fut pas sans nuire au gros de son armée que les Gaulois dominaient eux-mêmes.

Telle fut cette première attaque où l'armée d'Annibal aurait pu être anéantie, où elle courut les plus grands dangers et fit des pertes aussi considérables que celles de l'ennemi ; un moment elle l'ut coupée et faillit perdre ses bagages ; beaucoup d'hommes périrent, beaucoup de chevaux et de bêtes de somme, et les Gaulois firent des prisonniers.

Annibal, avec les hommes qu'il put réunir, se hâta de marcher vers la ville ou les Gaulois se retiraient pendant la nuit ; il s'en empara le jour même, y trouva des Carthaginois qu'on avait faits prisonniers, des bêtes de somme et des chevaux qu'on lui avait enlevés, des grains et du bétail de quoi nourrir son armée pendant deux ou trois jours, et il y resta un jour pour la reposer.

Après avoir passé sous le fort Saint-Vincent, la route s'engage sous les pentes du Chastelard, franchit le Pas-du-Tourniquet, et arrive au Lauzet (ville du Lac).

Le Castellum n'est sans doute autre chose que le lieu naturellement fortifié où Cassini place le Lauzet, et où s'étendait ce village avant d'être rasé et incendié en 1691. C'est un terrain d'un peu plus de trois hectares, élevé d'une cinquantaine de mètres au-dessus de l'Ubaye, vers laquelle il a accès par un cirque en pente douce. Il est protégé au nord par la rivière, dont l'autre rive présente à ceux qui remontent la vallée, des escarpements infranchissables ; à l'ouest, une pointe rocheuse ; à l'est, un massif de rochers, appelé le Château, s'élevant l'un et l'autre en abrupt sur l'Ubaye, sans laisser aucun passage ; enfin au sud, la colline de la Crousette qui s'étend parallèlement à la rivière, forment une enceinte aisée à défendre. Un plateau de deux hectares environ, où l'on trouve les restes d'une construction du moyen âge, couronne le massif de l'est et assure aux assiégés un dernier refuge. La Crousette présente une série d'excavations qui forment des abris naturels et près desquelles était l'ancien village, et de l'autre côté, une série de lignes de rochers échelonnées en gradins dont on pouvait successivement défendre l'accès. L'ancienne route pénétrait dans le Lauzet, traversait le Castellum ; la nouvelle passe entre la Crousette et la montagne.

Le Castellum, les terrains de Saint-Laurent qui s'étendent jusqu'au moulin et aux rochers du Tour, les terrains à l'est du Lauzet donnaient un campement d'environ 10 hectares, sans compter les gradins de la montagne qui domine le Lauzet.

Telle est cette position, l'un de ces lieux de refuge et de défense qu'occupaient les Gaulois. C'était la clef de la vallée ; de là on pouvait, en une heure, se porter à Saint-Vincent, soit en suivant la rivière, soit en prenant par la montagne et en tournant le Chastelard, par un chemin difficile, mais où l'on avait l'avantage de garder les hauteurs[64]

De la Durance au Lauzet, Polybe et Tite-Live nous ont servi de guides ; sur une étendue de treize kilomètres en ligne droite, nous les avons suivis, reconnaissant à chaque pas l'exactitude de leurs indications, de leurs descriptions ; nous n'avons eu à faire aucun effort pour les concilier ou pour les interpréter ; ils étaient d'accord sur tous les points, et nous avons pris leurs textes, leurs expressions dans leur sens naturel et littéral. Qu'on ne nous dise pas que l'on voit dans les Alpes ce qu'on veut voir ; il en est peut-être ainsi lorsqu'on n'étudie d'assez près ni les textes, ni les lieux. Quand on analyse les textes anciens dans le plus grand détail, en donnant à chaque terme son sens précis, il s'en dégage un vaste ensemble de conditions topographiques nettement déterminées et coordonnées entre elles.

Ce sont d'abord, à l'entrée des Alpes, ces premières hauteurs d'où l'armée carthaginoise a une vue d'ensemble de la vallée et aperçoit devant elle les positions occupées par les Gaulois ;

C'est ce vallon, ce bassin qui semble fermé, et où il est possible d'asseoir deux campements, au milieu de terrains ravinés, l'un très rapproché des positions gauloises ;

Ce sont ces positions qui commandent le passage, barrant la vallée, occupées par les Gaulois d'abord, par Annibal ensuite ; ce sont des pentes si rapides qu'on ne peut y perdre pied sans être entraîné ; ce sont ces vastes éboulements dans lesquels est engagé le gros de l'armée carthaginoise, dans lesquels les Gaulois viendront prendre position entre cette armée qu'ils dominent et, d'autre part, Annibal qui occupe les points culminants avec l'élite de ses troupes ;

Ce sont, au-dessous de la ligne suivie par le gros de l'armée, les précipices, les abîmes ;

C'est enfin, à une assez faible distance, ce castellum dont Annibal s'empara, près duquel il put rassembler et faire camper son armée.

Voilà ce qu'il faut trouver réuni, ce qu'il faut nous montrer dans les lieux où l'on place la première attaque des Gaulois. Que l'on parcoure les Alpes, les textes anciens à la main, on ne rencontrera qu'au fort Saint-Vincent le vaste théâtre de cette grande lutte, où trois corps de troupes étaient engagés et où l'armée carthaginoise, par suite de la difficulté des lieux, fit des pertes si considérables.

Nous savons par Polybe qu'Annibal, entre le Rhône et les Alpes avait traversé une contrée occupée par des Allobroges et que c'est par des Allobroges qu'il fut attaqué à son entrée dans les Alpes ; et les expressions que Polybe a employées : ο κατ μρος γεμνες, — συναθροισθντες ο γεμνες κανν τό πλθος, montrent que les différentes parties de leur territoire avaient leurs chefs particuliers, habitués à se concerter, à se réunir, à agir ensemble, formant ainsi une sorte de confédération[65].

Nous ne retrouverons plus dans le récit de Polybe le nom des Allobroges ; les Gaulois sur le territoire desquels Annibal va entrer, par lesquels il va être attaqué, Polybe les appelle simplement des barbares, ou ceux qui habitaient près du chemin suivi par Annibal.

On doit donc penser que la confédération allobrogique ne comprenait de la vallée de Barcelonnette que la partie inférieure, qu'elle ne s'étendait guère au-delà du Lauzet.

On conçoit qu'une confédération ne comprenne pas toujours les mêmes éléments ; tels en font partie à une époque qui, par mécontentement, par goût d'indépendance, viennent à s'en séparer ; d'autres en feront partie le jour où ils y trouveront leur intérêt. Ainsi entre l'époque d'Annibal et celle de César, la confédération allobrogique a pu perdre au sud-est comme elle gagnait à l'ouest, et peut-être certains peuples des Alpes s'en sont détachés au moment où venaient d'y entrer ceux qui habitaient entre le Rhône, l'Isère et le massif de la Grande-Chartreuse, au moment où les Allobroges, voisins du Rhône, se préparaient à la guerre, qui amena leur défaite et leur soumission aux Romains.

A ces changements tiennent les différences que nous avons eu à constater entre les récits de nos deux historiens. Tite-Live dit bien que les Allobroges habitaient en dehors de l'Île, mais il ne dit pas que les populations dont Annibal traversa le territoire entre le Rhône et la Durance, et les Gaulois qui l'attaquèrent à rentrée des Alpes, fussent des Allobroges ; il appelle simplement ces derniers les montagnards, montani.

Après avoir repoussé l'attaque de ces montani, après avoir pris leur ville, on arriva, dit Tite-Live, chez une nation assez nombreuse pour un peuple habitant les montagnes[66] ; on entrait probablement chez les Vesubiani ou Esubiani[67].

Non seulement cette population habite un pays de montagnes, mais au lieu d'occuper au fond des vallées les points où sont aujourd'hui nos villes et nos villages, elle choisit les lieux élevés pour y asseoir ses demeures. Dès l'abord, Tite-Live nous a parié d'habitations informes[68], placées sur des rochers, tecta informia imposita rupibus ; il désigne par le mot castella les points occupés par les Gaulois, les centres d'habitation : Jam montani signo dato ex castellis ad stationern solitam conveniebant, dit-il à propos de la première attaque[69] ; de même en parlant de leur ville : castellum inde quod capta ejus regionis erat viculosque circumjectos capit[70], et plus loin, quand il nous montrera les chefs se réunissant pour venir à la rencontre d'Annibal, il les appellera principes castellorum[71], expression analogue à celle par laquelle Polybe désigne les petits chefs des Allobroges.

Ces noms de châteaux, de castella, et leurs différents dérivés sont très généralement répandus et peuvent se rapporter, non pas à l'époque celtique, mais à l'époque romaine ou au moyen âge.

Mais quand Tite-Live appelle castella les points occupés à l'époque d'Annibal par les habitants de la vallée de l'Ubaye, comment n'être pas frappé du nombre considérable des localités de la vallée qui sont désignées par ce nom : le Château de la Bréolle ; le Chastelard en arrière de Saint-Vincent, occupé sans doute par les Gaulois, comme Saint-Vincent, lors de la première attaque ; le château de ce village du Lauzet que Tite-Live a désigné comme le castellum, chef-lieu de la contrée ; puis dans la partie plus large et plus habitée de la vallée, dans le bassin dont Barcelonnette occupe le centre, le château à Laverq, le chastelaret au-dessus d'Uvernet, le chastelaret au-dessus de Famou, le dernier chastel qui commande l'entrée des gorges au-dessus de Jausiers : dans le haut de la vallée de l'Ubaye, le châtelet de la Grande-Serenne, le point celtique le plus intéressant de toute la vallée ; le chastelet, en face de Maurin, à l'entrée de la vallée de la Marie et vers l'endroit où Annibal sera attaqué pour la deuxième fois ; enfin sur l'Ubayette, le chastelaret entre le Champ de Duran, Fouentette et les Gravettes, trois points où l'on trouve des objets celtiques ? Je ne note que les principaux, mais il faut ajouter que la géographie de Maltebrun[72] mentionne une ancienne division de la vallée en châteaux bas et châteaux hauts, en aval et en amont de Barcelonnette.

Je ne prétends pas dire qu'Annibal ayant, d'après Tite-Live, rencontré sur son chemin des castella, les castella de la vallée de Barcelonnette prouvent qu'il n'a pas passé ailleurs. Je marque seulement que l'on rencontre dans cette vallée tout ce qui est signalé par les historiens de la marche d'Annibal.

Et les antiquités de l'époque celtique se trouvent comme les castella sur des lieux élevés, tandis que les antiquités romaines sont près de la voie romaine dans le fond de la vallée.

Ces antiquités sont disséminées dans toutes les parties de la vallée, souvent près des châteaux, des castelets, des chastelarets : à Saint- Vincent ; entre Saint-Vincent et la Durance, à la Bréole d'un côté, de l'autre à Pontis, à Aigoires ; sur une douzaine de points dans la partie la plus large et plus habitée ; puis à Gleizolles, vers le confluent de l'Ubaye et de l'Ubayette ; sur la Haute-Ubaye jusqu'à Maurin, sur l'Ubayette jusqu'à Larche.

On trouve sous des tumulus, sous ces amas de pierres qu'on nomme clapiers, sous de simples pierres, quelquefois sans aucun signe indicateur, au milieu des champs, des objets qui, par leur matière, leur forme et leur travail, se rapportent à l'époque où l'emploi du fer était inconnu : ce sont des hachettes en silex, en pierre polie, ce sont de nombreux objets en bronze, tels que des épées, des boucliers, des ornements de bouclier ou de ceinturon, des fibules, des agrafes, de forts anneaux passés aux jambes, des anneaux aux bras quelquefois en assez grand nombre pour former une sorte de gaine où sont encore enfermés les os ; mais tous ces objets en bronze n'ont pour ornements que des stries rectilignes, formant parfois des triangles ; enfin on trouve des colliers d'ambre et de verroterie grossière, et des poteries formées d'argile et d'amiante[73].

Nos deux historiens l'ont dit : La partie des Alpes par où a passé Annibal était habitée, elle était cultivée.

Annibal campa un jour au Lauzet, occupant sans doute la plaine étroite qui s'étend du côté de Saint-Laurent et du côté du lac, puis il se remit en marche, sans être inquiété. La vallée resserrée encore jusqu'à Méolans, puis ouverte jusqu'à Jausiers, était, suivant la remarque des anciens, plus facile à parcourir et plus habitée[74]. Mais le quatrième jour, dit Polybe[75], il courut de nouveau de grands dangers. Par une ruse combinée en commun, ceux dont il traversait le territoire, se présentèrent à lui tenant des rameaux et des couronnes ; c'est, chez la plupart des barbares, le symbole de l'amitié, comme le caducée chez les Grecs. Annibal, qui se défiait quelque peu de ces démonstrations, mit tous ses soins à sonder leurs sentiments et à pénétrer leurs desseins. Ils connaissaient, disaient-ils, et la défaite de ceux qui avaient osé l'attaquer et la prise de leur ville ; ils répétaient que, s'ils venaient à lui, c'est qu'ils ne voulaient ni lui faire du mal, ni s'exposer à en souffrir, et ils promettaient de fournir des otages. Annibal hésita longtemps n'ayant en eux aucune confiance. Mais ensuite, calculant qu'accepter leurs offres, c'était les forcer peut-être à être plus circonspects et plus traitables, que les repousser c'était se faire de toutes ces peuplades des ennemis déclarés, il finit par accueillir leurs propositions et feignit d'entrer en amitié avec eux. Les barbares donnèrent des otages, fournirent du bétail en abondance, et enfin ils se livrèrent, pour ainsi dire, avec tant d'abandon qu'Annibal leur accorda peu à peu sa confiance et ne craignit pas de les prendre pour guides dans les défilés qui restaient à franchir. Pendant deux jours ils marchèrent à la tète de l'armée, et tout à coup les Gaulois, dont, nous avons déjà parlé, s'étant réunis et ayant suivi ses traces, l'attaquèrent... mais Annibal s'attendait à cette surprise, avait prévu cette attaque...

De même Tite-Live[76] nous dit que, si Annibal fut exposé de nouveau aux plus grands dangers, ce fut fraude et insidiis ; que les chefs, majores natu principes castellorum, vinrent à lui, demandant son amitié, amicitiam malle, promettant d'obéir à ses ordres, obedienter imperata facturos, lui donnant et des ôtages et des guides, itineris duces ; qu'Annibal, après avoir hésité, les suivit, duces eorum sequitur, mais inquiet et se tenant sur ses gardes. Et plus loin[77], il emploie les expressions : ex insidiis... ducentium fraus.

Ainsi une entente s'était établie entre les Gaulois, qui avaient attaqué Annibal à l'entrée des Alpes, et les barbares qui habitaient le haut de la vallée ; ceux au milieu desquels se trouvait Annibal, qui lui avaient demandé son amitié, qui lui avaient donné des otages, qui s'étaient engagés à le conduire, qu'il avait acceptés comme guides, le mènent vers les lieux où on a résolu de l'attaquer ; ils l'ont trompé, ils l'ont trahi.

Scipion avait pensé, dit Polybe[78], qu'Annibal n'oserait pas s'engager dans les vallées des Alpes, parce que ceux qui les habitaient étaient nombreux et perfides. Annibal éprouva, comme l'avait pressenti Scipion, la perfidie des Gaulois.

Ces habitants des Alpes, qui jamais n'avaient vu d'étrangers, crurent que les Carthaginois allaient tout détruire, allaient enlever les hommes et les troupeaux[79] ; de là cette lutte terrible, désespérée ; un échec ne les a pas découragés ; ils vont renouveler leur attaque, et, pour en assurer le succès, tous les moyens leur paraissent bons.

Après avoir passé le Chatelard, la Condamine et Tournous, Annibal a-t-il pris à droite pour remonter l'Ubayette, et redescendre en Italie par le col de Larche[80] et la vallée de la Sture. Non, ce n'est pas là le passage qu'ont décrit les anciens ; on n'y trouvera ni le point où les Gaulois attaquèrent pour la deuxième fois Annibal, ni ce rocher où il prit position pour se défendre ; enfin, si la descente sur la Sture est rapide, elle n'offre aucun danger, on n'y trouve aucun accident remarquable, ni ce défilé, ni ces neiges éternelles qui arrêtèrent Annibal. Ce passage de Larche, pris en lui-même, et indépendamment des obstacles que présente la vallée de Barcelonnette, est le plus facile de toute cette partie des Alpes ; celui du mont Genèvre seul est plus bas[81] ; mais ici les pentes sont moins rapides et la descente est moins difficile que celle de la Coche. Toutefois on n'en juge point ainsi lorsqu'on est vers Tournous, et pour remonter l'Ubayette, il faut s'engager d'abord dans une gorge étroite et désolée qui s'élève en pente roide jusque vers Meyronnes, dominée à gauche par d'immenses rochers, à droite par les bois de la Sylve. L'aspect des lieux et le manque de renseignements exacts détournèrent aisément Annibal du passage le plus facile, et il s'engagea dans la vallée supérieure de l'Ubaye.

A-t-il remonté l'Ubaye jusque vers ses sources pour descendre par le col de Longet sur la Vraïta de Chianale ? On ne trouve pas, sur le chemin du col de Longet, l'emplacement de la deuxième attaque ; on ne trouve, à la descente, ni obstacles, ni les neiges persistantes dont parlent les anciens.

Il n'a pas passé par ces cols vers lesquels il allait naturellement en remontant la pente des rivières, par ces cols qui sont du côté de France, d'un accès relativement facile, et dont la descente vers l'Italie ne présente pas de sérieuses difficultés. Vis-à-vis Maurin, il a quitté l'Ubaye pour s'engager dans le vallon de la Marie, où on va l'attaquer, et il n'en sortira que par des passages des plus difficiles, et si, contrairement à l'attente des Gaulois, il arrive en Italie, ce sera après avoir perdu, dans cette seconde attaque et au milieu des dangers de la descente, de 11 à 12.000 hommes. Il avait quelque peu raison, quand il se défiait de ses guides.

Tite-Live dit qu'Annibal, après avoir quitté le Lauzet, marcha pendant trois jours sans dire arrêté, ni par les obstacles naturels, ni par les ennemis ; Polybe que, le quatrième jour il fut exposé de nouveau aux plus grands dangers, que les Gaulois, après l'avoir accompagné et guidé pendant deux jours, l'amenèrent dans un passage où il allait être attaqué dans les conditions les plus défavorables pour lui[82]. Est-ce à dire que ces Gaulois ne se présentèrent que le quatrième jour et ne l'attaquèrent qu'au sixième ? Cette hypothèse ne permet pas d'expliquer les expressions de Polybe : les grands dangers dont il parle, ce n'est pas l'apparition de quelques Gaulois qui se préparent à tromper Annibal, c'est l'attaque même qui sera dirigée contre lui. D'autre part, le compte des neuf journées employées, d'après nos deux historiens[83], à monter vers les Alpes, suffirait pour prouver que cette attaque eut lieu le quatrième jour après le départ du Lauzet.

Nous avons vu qu'Annibal a, le premier jour, passé par le pas de Pontis, qu'il a trouvé devant lui les Gaulois maîtres des hauteurs, et s'est arrêté à Ubaye ; que, le deuxième jour, il a campé sous Saint-Vincent, et, la nuit venue, enlevé les hauteurs en même temps qu'il s'engageait dans le défilé ; que, le troisième jour, il a combattu les Gaulois et s'est emparé du Lauzet ; que, le quatrième jour, il y a séjourné pour reposer son armée.

Viennent ensuite quatre journées de marche dans la vallée jusqu'au point de la deuxième attaque. Annibal a pu aller, le premier jour, jusqu'auprès de Saint-Pons, à 17 kilomètres environ ; camper, le soir du deuxième, à 16 kilomètres de là, vers le Chatelard et la Condamine ; c'est pendant cette journée que, parcourant la partie la plus ouverte et la plus fertile de la vallée et avant d'arriver au confluent de l'Ubaye et de l'Ubayette, il a vu venir à lui les principes castellorum, les chefs de la partie centrale de la vallée et de ses deux branches supérieures, des châteaux hauts, comme on dit encore aujourd'hui. Le troisième jour, retardé par les difficultés du chemin, notamment à la Reissoles, il a pu camper au-dessus de la Condamine entre le châtelet de la Grande-Serène et les métairies de Péned'hier, c'est-à-dire à 13 kilomètres. Dans la première partie de la quatrième journée, il aurait franchi les 8 kilomètres qui le séparaient du point où il va être attaqué.

Ces quatre journées, c'est la cinquième, la sixième, la septième et la huitième de sa marche à partir de l'entrée des Alpes.

Nous allons voir que, le soir de cette huitième journée, il occupe une position sûre pour protéger le passage de ses troupes ; et que, le neuvième, il avait rallié son armée et franchissait le col d'où il allait descendre vers l'Italie.

Les Gaulois qui accompagnaient Annibal ont combiné leur action avec les Gaulois qui ont déjà combattu à Saint-Vincent[84] ; ceux-ci en viennent aux mains avec l'infanterie qui soutient à l'arrière ce choc redoutable, maxima vis a tergo. En même temps la tête de l'armée, où se trouvent les éléphants, les chevaux, les bêtes de somme, est attaquée au moment où elle vient de s'engager dans un passage étroit, dominé par une montagne du haut de laquelle les Gaulois font rouler des rochers, dans un ravin difficile, aux bords escarpés, dans un défilé creusé par les eaux. Les barbares, ajoute Polybe, ayant l'avantage des positions, s'avançaient à flanc de montagne, tantôt roulant des rochers, tantôt lançant des pierres à la main.

Placée dans des conditions où elle ne peut se défendre elle-même, coupée par des groupes de Gaulois qui fondent sur elle, obcursantes per obliqua, cette colonne fait en hommes, en chevaux, en bêtes de somme, des pertes considérables.

Annibal ne peut ni attaquer les Gaulois postés sur la montagne, ni s'engager dans le défilé où les siens courent le plus grand danger ; il s'établit de manière à leur porter secours et à repousser les Gaulois qui ont coupé sa colonne et l'ont séparé de ses chevaux et de ses bêtes de somme. Tandis que la moitié de son infanterie soutient à l'arrière le choc des ennemis, lui-même avec le reste, campé sur un rocher blanc qui offre une position περ τι λευκπετρον χυρν[85], donne la main à sa colonne engagée dans le défilé et protège son passage pendant la nuit.

Tel est le récit de nos deux historiens : on reconnaîtra en face de Maurin, à l'entrée de la gorge de la Marie, les lieux qu'ils ont décrits. Le chemin qui conduit au col de Maurin et au col de Roure passait, il y a quelques années encore, le long de la rivière, dans le ravin étroit et rapide, dominé à gauche par des mamelons formant des gradins assez escarpés, à droite par la montagne qui forme l'angle de la vallée de la Marie et de celle de l'Ubaye. Cette montagne est extrêmement élevée et couronnée de neiges[86] ; mais à une certaine hauteur se trouve une partie en pente douce et boisée où l'on a aisément accès du côté de l'Ubaye, et les Gaulois qui s'y établissent se trouvent ainsi reliés avec ceux qui combattent l'infanterie d'Annibal. De là ils dominent tellement le passage de la Marie qu'ils n'ont qu'à jeter des pierres ou à rouler des rochers pour écraser les Carthaginois qui y sont engagés ; et ils peuvent, en conservant le même avantage, suivre une sorte de cordon gazonné qui se prolonge en corniche au flanc de -la montagne, le long de la Marie.

Le terrain en pente mamelonnée, qui occupe tout l'espace entre cette rivière et la chaîne qui est à la gauche du passage[87], se termine sur l'Ubaye par des rochers abrupts, au milieu desquels on a récemment ouvert un chemin pour l'exploitation des carrières de marbre ; ces rochers présentaient un front inaccessible pour la cavalerie et les bêtes de somme obligées de s'engager dans le dangereux ravin de la Marie ; mais ils permettaient h Annibal de se porter au secours des siens, tout en restant relié avec la partie de son infanterie qui était aux prises avec les Gaulois sur les bords de l'Ubaye. Il occupe donc tout ce terrain qui lui permet de protéger la marche des siens, de descendre en un point quelconque du ravin de la Marie pour y combattre les Gaulois qui s'y sont jetés et ont coupé la colonne ; des rochers blancs de quartz talcifère occupent le centre de cette position, et vers la partie la plus élevée forment des monticules d'où il peut résister avec avantage aux Gaulois.

En montant, on franchit à la cote 2.165m un ruisseau qui va se jeter dans la Marie, et plus haut, vers la cote 2.320m, à 300m au-dessus de l'Ubaye, la pente est assez faible, il se trouve un petit plateau à peine incliné où l'on est à l'abri des attaques, parce qu'on est entre deux ravins et qu'on est protégé par la Marie d'une part, de l'autre par ce ruisseau ; c'est là qu'Annibal passa la nuit.

Il fallait, par l'ancien chemin, une heure environ pour remonter la gorge de la Marie ; on quittait alors la rivière, et des pentes sur la gauche donnaient accès sur ces plateaux qu'occupait Annibal. C'est là que le lendemain il réunit son armée et se met en marche pour atteindre les passages supérieurs.

Les Gaulois tentèrent alors des attaques partielles pour enlever du butin ; ils avaient l'avantage de bien connaître ces montagnes, tandis que souvent, dit Tite-Live, les Carthaginois s'égaraient en essayant de trouver des passages. Si nos deux historiens rendent compte de ces dernières tentatives des Gaulois, c'est en raison de la gravité qu'elles avaient pour une armée placée dans des conditions si difficiles, et non pas en raison de leur durée ; car Annibal atteignit dans cette même journée le sommet du col.

Je dois constater ici, comme je l'ai fait au sujet du récit de la première attaque, que, pour tout ce qui se rapporte à la deuxième et à la marche vers les points les plus élevés du passage des Alpes, les deux auteurs anciens sont absolument d'accord, et que nous n'avons jamais eu à interpréter leurs textes ; ils ne fournissaient pas un ensemble de données topographiques aussi considérables, parce que la deuxième attaque n'a pas eu la même importance et ne s'est pas développée sur une étendue aussi grande ; mais ils étaient suffisamment nets et précis, et leurs indications sont caractéristiques.

La longue colonne carthaginoise engagée dans un ravin profond, difficile ; une montagne qui le domine, aux flancs de laquelle sont les Gaulois, suivant de haut la marche -de leurs ennemis, faisant rouler sur eux les rochers, jetant sur eux les pierres, descendant pour couper l'armée, pour séparer Annibal de sa cavalerie et de ses bêtes de somme ; d'autre part, une position sûre où Annibal s'établit avec une partie des siens pour repousser les attaques des Gaulois et dégager son armée. Voilà ce que décrivent Polybe et Tite-Live ; voilà ce que présente la vallée de la Marie.

Les Carthaginois se trouvaient dans un vaste cirque à pentes très rapides, dominé par des cimes très élevées, où apparaissaient les neiges éternelles[88]. Dans le haut de ce vallon de la Marie, de nombreuses dépressions qui semblent être des passages et sont impraticables, mais deux cols, l'un celui de Mary[89] qui conduit dans la vallée de la Maïra, l'autre, celui de Roure[90], qui permet d'accéder à la vallée de la Vraïta de Bellino.

On parvint au sommet des Alpes, dit Tite-Live[91], à travers des passages non frayés, per invia pleraque et errores, où l'on s'égarait souvent, soit par la perfidie des guides, ducentium fraude, soit par les conjectures de la défiance même qui engageait au hasard les troupes dans des vallons sans issue, temere initæ valles.

Annibal n'a pas passé par le col de Maurin ; dans les pentes rapides et étroites qui mènent à la Ciapéra et à Acceglio, on ne trouve nulle part un point où il pût camper, on ne rencontre aucune difficulté semblable à celle que présenta la descente sur l'Italie. Au lieu de s'engager dans cette vallée sauvage et désolée de la Maïra, il prit plus au nord le chemin plus direct de la vallée de la Vraïta, l'une des plus fertiles du Piémont.

Du col de Roure (2.750m) on descend, soit dans la vallée de la Maïra, soit dans la vallée de la Vraïta ; les deux bassins sont séparés par une crête de peu de largeur et d'une certaine élévation. En suivant la pente des eaux, on irait vers la Maïra par les escarpements assez dangereux du vallon de Chabrière ; mais en prenant, à gauche, à la base du pic de Cialanciette, on s'engage sur la ligne de partage et par une pente régulière on arrive sur les Terres-Jaunes, d'où l'on descend rapidement sur les sources de la Vraïta et les pâturages de Lautaret.

Ce passage du col de Roure au vallon de Lautaret semblera un passage difficile et on hésitera tout d'abord à admettre que l'armée d'Annibal ait pu le franchir, si l'on n'a pas vécu quelque peu au milieu des montagnes et étudié les prodigieux changements que les habitants signalent de toutes parts.

Ici les éboulements de Cialaciette peuvent être récents ; les ravins qu'on a sur la droite, au pied de cette montagne, formés par les eaux au milieu de terrains peu consistants, s'accroissent d'année en année ; la même cause agissant sur les deux versants de la crête des Terres-Jaunes, a dû rendre cette crête plus étroite, le passage plus difficile, en augmentant la raideur de ses pentes.

La carte des États de Sardaigne, publiée par Bergonio, en 1683, indique ces chemins qui, du col de la Roua (col de Roure), conduisent, d'une part, à Anéglio sur la Maïra ; de l'autre, à Il Cesale (Chiazale), dans le val di Blino (de Bellino) ; Vélo, dans un ouvrage publié en 1804[92] et où il étudie les alpes au point de vue militaire, signale le passage de Roure comme conduisant de la vallée de l'Ubaye à celle de la Vraïta ; enfin, jusque vers 1850, la pente des Terres-Jaunes sur la Vraïta était en partie gazonnée et les bêtes de somme passaient aisément d'une vallée à l'autre par le col de Roure et les Terres-Jaunes.

Après avoir franchi les Alpes, Annibal se trouvait dans un vallon presque fermé, entouré, comme celui de la Marie, de hautes cimes aux neiges éternelles[93]. Ce bassin protégé est garni de pâturages. Les eaux, qui coulent de toutes parts, vont se réunir vers le nord-est, et se précipitent dans l'abîme d'un étroit passage, les Barricades.

C'est dans ce vallon de Lautaret qu'Annibal campa et s'arrêta deux jours pour reposer ses soldats ; des hommes, des chevaux, des bêtes de somme y rejoignirent l'armée[94].

Pour raffermir le courage de ses soldats, Annibal leur montrait l'Italie, les plaines du Pô et même, dit Polybe, le point qu'occupait Rome[95]. Ces dernières expressions, qui n'indiquent qu'une direction générale[96], autorisent à prendre dans un sens vague aussi ce qui est dit des plaines du Pô ; sans doute il ne s'agit pas du Pô lui-même et de ses rives, mais du bassin qui en est tributaire. Des pentes qui dominent les cols de Roure et de Lautaret, on voit en effet, à l'extrémité de la vallée de la Vraïta, les montagnes s'abaisser et la plaine apparaître à l'horizon ; et si l'on se place sur le penchant de Cialanciette, la vallée de la Maïra marquera la direction de Rome.

Lorsqu'après deux jours de campement Annibal se mit à descendre, la première neige venait de couvrir le sol[97] ; elle ajoutait aux difficultés et aux dangers de cette dernière partie de la marche, où les pertes d'Annibal allaient être presque aussi considérables que celles qu'il avait faites à la montée des Alpes.

Nos deux historiens nous apprennent qu'on approchait alors du coucher des Pléiades[98].

César, Varron, Columelle, fixent au 27 octobre le coucher des Pléiades, et les astronomes consultés, M. Maskelyne, M. Delaunay, au 26[99]. Mais Polybe et Tite-Live disent seulement que le coucher des Pléiades approchait, et peut-être les Carthaginois, dans ces vallées dominées par de hautes montagnes, se rendaient-ils assez mal compte du lever et du coucher des constellations.

Annibal était parti de Carthagène au commencement du printemps[100] et ne resta que cinq mois pour arriver en Italie[101] ; il passa le Rhône peu de jours après le commencement de l'été[102] ; on doit donc penser qu'il était au milieu des Alpes dans la première quinzaine d'octobre[103], et c'était, pour les franchir, une époque tardive. La neige tombe dans les cols de ces vallées de l'Ubaye et de la Vraïta et y tient en moyenne dès le 25 septembre, et les Piémontais, qui quittent leurs chalets le 28 septembre, y laissent presque toujours la neige.

Après avoir passé deux jours au pied du col par où il a franchi les Alpes, Annibal, dit Polybe[104], donne le signal du départ et commence à descendre. Il ne rencontra d'ennemis que quelques brigands isolés ; mais la difficulté des lieux et la neige lui firent perdre presque autant de monde durant la descente qu'il en avait perdu depuis qu'il était dans les Alpes. Comme le passage par où il fallait descendre était étroit et fortement incliné, et que la neige ne permettait pas de voir où le pied devait se poser, pour peu que l'on s'écartât ou que le pied vint à manquer, on roulait dans les précipices. Les soldats supportèrent cette épreuve en hommes familiarisés avec les périls ; mais ils se laissèrent aller de nouveau à la crainte et au désespoir, quand ils arrivèrent à un défilé qui était impraticable pour les éléphants et les bêtes de charge ; il y avait là auparavant un escarpement d'un stade et demi environ, et il avait été rendu plus abrupt par un récent éboulement.

L'armée se mit en marche, dit Tite-Live, l'ennemi n'essayant autre chose que de lui enlever quelques bagages. Mais la descente offrit bien plus d'obstacles que la montée, car en général la descente des Alpes sur l'Italie est plus courte, par là même en pente plus rapide. Presque tout le chemin était à pic, étroit et glissant, en sorte qu'on ne pouvait éviter de glisser, et, si le pied manquait, impossible de se retenir ; hommes et chevaux allaient rouler les uns sur les autres. On arriva ensuite à un défilé beaucoup plus étroit, et à des rochers si escarpés, que les soldats sans armes, sans bagages, sondant la route à chaque pas, se retenant avec les mains aux broussailles et aux souches qui croissaient aux alentours, avaient beaucoup de peine à descendre. L'endroit déjà fort raide auparavant, l'était devenu bien davantage par suite d'un éboulement récent. Les cavaliers s'étant arrêtés, comme si le chemin finissait, Annibal demande pourquoi la marche est entravée ; on lui répond qu'il y a un rocher qu'on ne peut franchir.

Tite-Live semble traduire Polybe, en ajoutant quelques détails qui se concilient avec le récit de l'auteur grec ; il se trompe quand il mesure les mille pas, non pas en longueur, mais en profondeur, et on ne peut admettre ce qu'il dit des souches et des broussailles.

Les deux récits sont parfaitement d'accord quant aux données topographiques, et ces données sont de trois ordres :

Il y a d'abord une pente fort raide et très dangereuse au pied de laquelle est un abîme ; par cette pente, on arrive à un escarpement d'un stade et demi environ, escarpement dont une partie est en roc ; enfin, une autre partie de l'escarpement étant d'un terrain moins résistant, un éboulement venait de se produire.

Voilà les données qu'il importe de ne pas perdre de vue. Dire qu'il y avait une pente assez raide, ou qu'il y avait un simple éboulement, c'est, de parti pris, ne pas lire les textes et rester dans le vague en méconnaissant les indications très précises qui y sont contenues.

Quand on descend du vallon de Lautaret, les eaux qui coulent de toutes parts en ruisseaux rapides, tumultueux, vont se réunir pour former la Vraïta de Bellino, et s'engagent dans un lit profondément creusé, bientôt dans un abîme. On ne peut suivre la rive gauche où se dressent à pic les rochers de Cornasque, contreforts de la Tête de Lautaret, 3.015m, et du Peivo di Ciabriera, 3.125m. Ces rochers s'élèvent presque verticalement à une grande hauteur ; alors que la neige venait de tomber, il eût été impossible de s'engager au milieu de ces pentes abruptes et surtout de redescendre du côté de Bellino par les assises de rochers qui dominent le plan de Ciajolo.

Sur la droite, après avoir longé la Vraïta de plus en plus encaissée, on rencontre le ravin d'un ruisseau très important, le ruisseau de Cougnissac qui descend des glaciers et reçoit chaque année les neiges de nombreuses avalanches. Le ravin est pris entre deux plateaux étroits, inclinés, deux crêtes allongées, assez élevées, formées de terrains peu consistants. Il se termine sur la Vraïta en un vaste entonnoir où se précipitent les eaux et les terrains d'éboulement. Ce passage où le sentier fait de nombreux lacets, où l'on ne s'avance qu'avec certaines précautions, présenterait de sérieuses difficultés s'il y avait de la neige.

Voilà la première partie de la descente, celle où la neige qui rend le terrain glissant et la marche incertaine, où la raideur des pentes et les précipices qu'il faut longer, créaient déjà pour les soldats d'Annibal d'assez réels dangers.

Voici maintenant les obstacles qui leur parurent infranchissables.

De la longue crête du mont Gabel (2.873m) se détache un contrefort, le rocher des Minières, qui forme une puissante arête d'environ 100 mètres d'épaisseur, à angle droit vis-à-vis les escarpements de la rive gauche ; la Vraïta s'est creusé, entre des parois verticales, un lit sinueux et profondément encaissé, où elle se précipite furieuse.

Entre l'arête qui forme la rive droite du ravin de Cougnissac et ce rocher des Minières, se trouve un second ravin, un nouvel entonnoir dont les pentes sont très rapides et dangereuses ; au fond, un ruisseau ; au-delà, au milieu des pentes, sur le bord de l'abîme, un rocher dans lequel est un passage de 6 mètres de largeur, de 30 mètres de longueur environ, qui semble avoir été ouvert de main d'homme, puis les grands rochers des Minières.

Ces rochers sont formés de bancs de schistes talqueux redressés à la verticale, alternant avec des bancs de terrain moins résistant. Le chemin à mulets que l'on entretient à ce passage, dit des Barricades, est ainsi, tantôt en corniche sur le rocher, tantôt soutenu par des murs dans les parties qui forment couloir ; et ces murs, on est fréquemment obligé de les réparer. Enfin, au-delà de ce passage en corniche qui domine l'abîme, le chemin débouche sur un mamelon d'où l'on descend vers le plan de Ciajolo et Bellino sans rencontrer de difficultés.

Mais supposez qu'un éboulement se soit produit dans le ravin, ou bien que le passage dans le premier rocher ne soit pas ouvert, ou bien que le sentier taillé dans le rocher des Minières n'existe pas, ou bien qu'il s'y soit produit un de ces éboulements qui y sont fréquents, il n'y a plus de passage ; s'engager dans ce ravin et dans ces rochers, surtout quand la neige les recouvre, serait d'une extrême témérité ; le Cirque supérieur de la Vraïta est comme une enceinte infranchissable, où les Carthaginois demeurent enfermés : stant clausi, suivant la belle expression de Silius Italicus[105].

Mesurez ce passage ; de l'arête qui domine le ravin jusque vers la fin du passage en corniche du côté de Bellino, vous compterez 270 mètres, si vous vous bornez à la partie vraiment dangereuse, et 297 mètres, si, de part et d'autre, vous avancez quelques pas de plus jusqu'à ce que vous soyez assez éloigné de la rivière pour n'avoir plus à craindre d'y être entraîné, même au temps où il y a de la neige. Cette mesure comprend entre ses termes extrêmes les mesures approximatives données par les anciens, 277 mètres et 296.

N'y a-t-il là qu'un rapport fortuit ? N'avons-nous pas rencontré tout ce qu'ont décrit les anciens : au-dessous du campement dans le bassin de Lautaret, les ravins de la Vraïta et de Cougnissac, un escarpement d'un stade et demi, les vastes couloirs d'éboulement, le précipice qu'il faut longer ?

S'il reste des doutes, la suite du récit des anciens va les dissiper.

Annibal, dit Polybe, songea d'abord à tourner cet endroit difficile ; mais la neige qui venait de tomber rendait le passage qu'il avait tenté impraticable, et il renonça à son projet. Ce qui arrivait était d'une nature toute particulière et extraordinaire. Sur la neige de l'hiver précédent, était étendue une couche de neige qui, molle, parce qu'elle était nouvelle et sans profondeur, cédait facilement sous le pied. Aussi, quand les soldats avaient foulé cette couche supérieure et qu'ils marchaient sur la couche inférieure formée de neige durcie, celle-ci ne pouvait être entamée ; ils étaient emportés, glissant des deux pieds, comme il arrive à ceux qui marchent sur des pentes boueuses. Les suites de ces chutes étaient plus tristes que la chute elle-même. Comme il leur était impossible d'assurer leurs pas sur la neige inférieure, voulaient-ils pour se relever, s'appuyer sur les mains ou les genoux, les pentes étant d'une rapidité extrême, ils étaient entraînés sans retrouver un appui résistant. Quant aux bêtes de somme, une fois tombées, elles rompaient, dans leurs efforts pour se redresser, la couche inférieure, et alors elles y demeuraient comme fichées avec leurs bagages, a cause de leur poids et à cause de la résistance qu'offrait la neige ancienne et durcie, Annibal dut donc renoncer à cette entreprise

Et de même Tite-Live : Annibal reconnut que le seul parti à prendre était de conduire son armée, par un long détour, à travers les pentes presque impraticables, inexplorées, qui l'entouraient. Cette tentative ne put réussir : en effet, comme il y avait sur de la neige ancienne qu'aucun pied n'avait foulée, une couche peu épaisse de neige nouvelle, les hommes marchaient d'un pas assuré dans cette neige molle et peu profonde ; mais lorsqu'elle eut disparu sous les pieds de tant d'hommes et de bêtes de somme, il fallait marcher sur la glace mise à nu, et dans la neige nouvelle qui fondait et s'écoulait. C'était une lutte affreuse, la glace très glissante, ne permettant pas d'assurer le pied et de se retenir sur ces pentes très raides, et si, cherchant à se relever à l'aide des mains ou des genoux, on venait à retomber au moment où cet appui faisait défaut, il n'y avait plus ni souches ni racines pour y appuyer le pied ou la main, il fallait rouler sur cette glace unie, et dans cette neige fondante. Quelquefois les bêtes de somme traversaient la couche inférieure de neige, et dans les mouvements et les efforts qu'elles faisaient, elles la brisaient de leurs sabots ; en sorte que la plupart, comme si elles étaient prises dans un piège, restaient engagées dans cette neige durcie et gelée à une grande profondeur. Enfin, après bien des fatigues inutiles, on campa...

Aux témoignages de Polybe et de Tite-Live se joint celui d'Appien : il y avait, dit-il, beaucoup de neige et de glace[106].

Ainsi Annibal, ne pouvant franchir l'obstacle qui était devant lui, a essayé de le tourner, mais il n'a pu y réussir, parce que sous la couche de neige nouvelle il y avait des neiges de l'hiver précédent, durcies, transformées en glace, et que, les pentes étant extrêmement raides, celui qui mettait le pied sur la neige ancienne, sans l'apercevoir, glissait, était entraîné.

J'ai pris soin de reproduire le texte même des passages, si nombreux et si précis, où Polybe et Tite-Live affirment que, dans sa tentative pour tourner l'obstacle qui barrait la vallée, l'armée fut arrêtée par les neiges persistantes et durcies de l'hiver précédent. Je les ai reproduits, parce que jamais, sur aucun point des Alpes, aucun critique n'a pu en donner une interprétation. Pour nous, nous n'aurons ni à altérer les textes, ni à en laisser de côté une partie, ni à en essayer des interprétations arbitraires ; ils ne sont que la description fidèle du pays où nous nous trouvons.

Annibal reviendra-t-il sur ses pas pour regagner la vallée de l'Ubaye par le col de Roure ou par le col de Lautaret ? Ce serait se mettre de nouveau en présence des Gaulois et courir les dangers d'une nouvelle attaque dans des conditions défavorables.

La tête de l'armée est arrêtée vers le vallon de Cougnissac ; en le remontant, Annibal aura devant lui, au sud-est, le mont Farant, 3.044m ; à droite, une cime de 2.915m, à gauche, la longue crête du mont Gabel, 2.873m. Il ne prend pas sur sa droite ou au fond du vallon les cols qui le conduiraient vers la vallée de la Maïra, où il n'a pas voulu descendre quand il était au col de Rouie ; il essaie, disent les historiens anciens, de tourner le défilé qui lui a paru impraticable ; il cherche donc un passage qui le ramène sur la Vraïta.

Un seul col lui permet de réaliser son projet, c'est le col de Gabel qui le ramènerait sur la Vraïta par le vallon de Traversagne. Du point même où West arrêté, on y monte par les pentes qui dominent à gauche le ravin de Cougnissac.

C'est, comme le dit Polybe, un passage aux pentes fort raides, et il est presque toujours garni de flaques de neiges persistantes. Il y en avait même pendant l'automne de 1859, alors que les chaleurs de cette année avaient été des chaleurs exceptionnelles, et comme j'interrogeais quelques habitants de Bellino : Pendant trois mois, me disaient-ils, on peut, avec quelques précautions, traverser sans danger le col de Gabel ; mais, dès que la première neige d'automne aura recouvert les neiges anciennes, malheur à qui essaierait de s'y engager ; ne pouvant plus éviter les neiges des hivers précédents, ni se retenir sur ces pentes rapides, il périrait infailliblement. Les expressions qu'ils employaient étaient celles de Polybe et de Tite-Live, et ils me recommandaient expressément d'éviter de mettre le pied sur les flaques de neige.

Il n'y avait plus de neige au col en 1861, mais on voyait à la Barricade, près de la rivière, les restes d'une forte avalanche, et de même en deux ou trois points du ravin de Cougnissac.

M. le Dr Ollivier[107], qui a passé ce col le 29 août 1868, accompagné d'un bon guide et armé de tous les engins nécessaires dans ces excursions, dit qu'il est très difficile à franchir, que les glaces en barrent le passage et que c'est à peine si l'on peut s'y risquer pendant les dernières chaleurs de l'été, alors que les neiges sont à leur plus basse période décroissante ; enfin, il parle des peines inouïes qu'il a eues et des dangers qu'il a courus.

Après cette tentative infructueuse, Annibal revient vers le défilé de la Barricade et se décide à s'y ouvrir une voie de main d'homme. D'après Polybe, il campe sur une espèce de crête ou d'arête, περ τν ῥάχιν[108], en faisant enlever la neige qui s'y trouvait. Cette expression ne peut évidemment désigner la crête des Alpes, ni même le sommet des cols, alors inaccessibles.

En redescendant des pentes de Gabel vers la Barricade, Annibal se trouve dans le ravin de Cougnissac ; il campe sur les arêtes qui le dominent, lui probablement sur l'arête la plus rapprochée des rochers des Minières ; c'est de là qu'il dirigera les travaux ; le reste de l'armée trouve au-dessus, au lieu dit le Piane, les espaces nécessaires pour un campement.

Il fallait, d'une part, sinon créer, élargir du moins un chemin taillé dans les rochers ; d'autre part, dans l'entonnoir qui les précède et dans un ou deux couloirs au milieu de la Barricade, établir des murs de soutènement.

C'est à ces deux ordres de travaux, peut-être plus particulièrement au second, que s'appliquent les expressions de Polybe, τν κρημνν ξκοδμει[109]. N'oublions pas qu'on était dans les schistes talqueux dont la plupart étaient aisés à attaquer ; et que, suivant Polybe, si ce travail présenta de grandes difficultés, on put cependant tracer en un jour un chemin suffisant pour les chevaux et les bêtes de somme.

Tite-Live parle de même des travaux faits au milieu de ce rocher qu'un seul chemin permettra de franchir, ad rupem muniendam per quam una via esse poterat[110] ; il emploie deux autres fois le mot rupes, il parle des saxa, du rocher qu'il faut attaquer, cœdendum saxum ; et il puise sans doute aux meilleures sources lorsqu'il dépeint ce sentier en pente sinueuse attaché aux flancs tourmentés et ravinés du rocher des Minières : molliuntque anfractibus modicis clivos.

Quant aux procédés employés par les Numides, nous trouvons chez lui, et de même chez Appien, des détails dont Polybe n'a pas parlé.

Ainsi pour attaquer, pour briser le rocher, on aurait allumé un grand feu ; mais où trouver dans un passage aussi étroit de la place pour ce vaste monceau de bois, struem ingentem lignorum faciunt ? Où trouver du bois dans ces régions élevées S'il faut en croire Tite-Live, on n'avait qu'à renverser les arbres immenses qui étaient aux alentours[111].

Le silence de Polybe ne suffirait pas pour nous faire rejeter ces détails, mais nous pouvons invoquer son témoignage formel ; en parlant des éléphants qui souffrirent de la faim pendant les trois journées employées à élargir le chemin, il fait remarquer qu'ils étaient dans la région où les Alpes sont dépourvues de bois et complètement nues, et qu'on ne trouva la végétation qu'au-dessous de notre défilé[112] : en effet, il n'y a pas un arbuste à la Barricade ; plus bas, au plan de Ciajolo, on trouve quelques arbustes rares et rabougris ; les premiers mélèzes isolés sont à l'endroit où le ruisseau de Traversagne se jette dans la Vraïta ; les premiers groupes de mélèzes à Mélézet.

Sans doute, les Carthaginois, après avoir ouvert un chemin le premier jour, ont pu aller chercher des bois vers Bellino, les monter à la Barricade et y allumer quelques feux, pour désagréger et fendre les roches, comme on le fait encore aujourd'hui dans les Alpes.

Tite-Live dit, en outre, qu'un acide, acetum, achevait ce qu'avait commencé le feu, et Appien, qu'on versait sur la cendre brûlante de l'eau et de l'acide ; c'est ainsi, suivant eux, qu'on rendait le rocher friable et qu'on le préparait à l'action du fer[113].

M. Hennebert a publié, dans son Histoire d'Annibal[114], une étude sur la nature de l'acelum ou όξος, étude très savante, à la vérité, mais dont il semble difficile d'accepter les conclusions ; tant que je ne verrai pas un témoignage très explicite de Polybe ou de quelqu'un de ses contemporains, bien renseigné, à même de se rendre compte, je n'admettrai pas volontiers que l'acetum ou όξος — était une substance fortement oxygénée, riche en ammoniaque, un chlorate ou un azotate de potasse, — un mordant énergique employé par les anciens aux cours de leurs opérations de démolition ou de pétardement, agissant à la façon des matières détonantes, poudres ou dynamites.

N'oublions pas qu'il s'agit de ce qu'Annibal a fait en l'an 218 av. J.-C., non de ce qui a pu être fait par d'autres dans les siècles suivants.

Si les Carthaginois avaient eu à leur disposition un pareil moyen d'action, comment n'en auraient-ils pas fait emploi plus d'une fois dans leurs guerres contre les Romains, et comment les auteurs anciens n'en auraient-ils pas parlé ? Si Annibal, pour vaincre les obstacles qu'il rencontrait à la descente des Alpes, a fait usage d'un procédé nouveau, d'une matière explosive, comment Polybe n'en a-t-il rien dit ?

Les auteurs qui disent qu'Annibal employa le feu et le fer sont restés dans le vrai[115] ; c'est ce que disent, du reste, Tite-Live et Appien ; mais ce qu'ils ajoutent au sujet de l'acetum, de l'όξος, demeure inexplicable et ne peut être qu'une confusion de mots.

Il est probable que les Carthaginois ont fait usage d'instruments en métal, de pics, pour briser le rocher à demi désagrégé par le feu[116]. Le terme technique, inconnu dans la langue ordinaire, était semblable à un terme connu avec lequel on l'a confondu, et, alors qu'il s'agissait d'un instrument aigu, on aura cru comprendre qu'on parlait d'un acide[117]. N'avons-nous pas des exemples de confusion de ce genre ? Lorsque les Grecs et les Romains ont entendu parler d'Alpes Pennines et d'Alpes Grées, n'ont-ils pas cru que ces Alpes étaient ainsi nommées parce qu'elles avaient été traversées par les Carthaginois, Pœni, ou par les Grecs, Graii ?

Annibal, après avoir en un jour ouvert un chemin suffisant pour les chevaux et les bêtes de somme, les fit aussitôt défiler, et dès qu'il fut établi dans un lieu où il n'y avait pas de neige, il les envoya au pâturage. Les Numides, en se relayant, continuèrent pendant trois jours le travail, et l'on put enfin dégager les éléphants, que la famine avait réduits au plus triste état.

Annibal s'était arrêté sans doute au plan de Ciajolo et ses troupes pouvaient occuper la vallée de la Vraïta jusqu'à Bellino.

Les Alpes étaient franchies, et ici se termine le calcul des quinze journées dont parlent nos historiens[118]. Arrivé au col le neuvième jour, Annibal campe le dixième et le onzième dans le bassin de Lautaret ; le douzième, il descend, tente le passage de la Barricade et du col de Gabel et campe à Cougnissac ; le treizième, le quatorzième et le quinzième, il fait passer, dés l'abord, son infanterie et sa cavalerie, élargit la voie pour les éléphants, les dégage et réunit son armée pour descendre la vallée de la Vraïta[119].

Mais Annibal s'est arrêté une journée sous Saint-Vincent, une journée au Lauzet, deux journées au Lautaret, et il a fallu deux journées pour rendre le passage de la Barricade praticable aux éléphants ; il n'y a pas eu Plus de neuf journées de marche effective, et la vitesse de marche aurait été, dans la traversée proprement dite des Alpes, seulement de 1 2 kilomètres par jour.

Trois jours après[120], entre Vergnolo et Castigliole, il débouchait dans les plaines, à cinquante kilomètres environ du plan de Ciajolo.

Lorsque, pour se dérober à l'armée romaine, il remontait la vallée du Rhône jusqu'à l'Isère, il faisait des marches forcées de près de 28 kilomètres ; entre le Rhône et la Durance, sa marche est de 15 kilomètres par jour ; elle est d'environ 16 kilomètres entre Bellino et l'endroit où la vallée de la Vraïta s'ouvre sur les plaines ; mais entre la Durance et Bellino, dans la traversée des Alpes, il faisait seulement 12 kilomètres par journée de marche effective.

La partie la plus caractéristique du récit de nos deux historiens est certainement celle qui se rapporte à la descente sur l'Italie. Les données topographiques, peu nombreuses pour la deuxième attaque, plus nombreuses pour la première, ont ici quelque chose de plus varié et de plus spécial. J'ai eu soin de les dégager successivement :

C'est d'abord, au pied du col que l'année vient de franchir, l'espace suffisant et convenable pour un campement ;

C'est ensuite un terrain fort en pente, en entonnoir, où, la neige venant de tomber, la marche présente des dangers sérieux ;

C'est un rocher donnant à pic sur un abîme et fermant la vallée, et est un éboulement récent qui ajoute aux difficultés du passage ;

C'est un col élevé par où Annibal essaie de tourner cette position ;

C'est sous la neige nouvelle, la neige des hivers précédents, la neige persistante, durcie et gelée, sur laquelle les hommes glissent et sont entraînés ;

Ce sont les pentes si raides qu'il n'est pas possible de se retenir et que celui qui a été entraîné est perdu ;

Ce sont enfin ces escarpements et ces rochers auprès desquels revient Annibal pour les attaquer de main d'homme, et y frayer un passage d'environ 270m ;

C'est, au pied, l'abîme ;

Et de l'autre côté de la rivière, des pentes abruptes, infranchissables.

Voilà ce qu'ont décrit Polybe et Tite-Live ; voilà ce que nous avons sous les yeux en descendant du haut vallon de Lautaret jusqu'au-delà des Barricades de Bellino ; voilà ce qu'on ne trouvera dans aucune autre partie des Alpes.

Polybe dit qu'après avoir franchi les Alpes, Annibal se dirigea vers les plaines du Pô et le pays des Insubres[121]. Est-ce à dire que des Alpes il descendit directement au pays des Insubres ? Il faudrait que, contre toute vraisemblance, il eût passé par le Saint-Gothard ou le Simplon ; s'il a passé par le Grand Saint-Bernard ou par le Petit Saint-Bernard, il a traversé d'abord le pays des Salasses ; s'il a passé par le mont Cenis, par le mont Genèvre ou par la vallée de Vraïta, il a traversé le pays des Taurini. Ne donnons pas à ce texte un sens qui le met en contradiction avec toutes les données historiques.

Polybe, lorsqu'il a décrit la Gaule Cisalpine[122], a indiqué la position occupée dans la vallée du Pô par les Insubres ; maintenant, suivant ses habitudes, il marque une orientation, une direction générale, par rapport à un terme connu et en nommant le premier peuple allié qu'Annibal rencontrera en Italie.

Quel pays, quelles peuplades traversera-t-il pour aller jusque chez les Insubres ? c'est ce qu'il n'indique pas en ce moment.

Un peu plus loin, après avoir dit qu'Annibal campa au pied des Alpes[123], pour reposer ses soldats, il ajoute, employant comme à dessein la même expression, qu'il chercha à s'attirer l'amitié des Taurini qui habitaient au pied des Alpes, qu'il assiégea et prit leur ville ; c'est de là qu'il le fait marcher vers le Tessin et le pays des Insubres. Ainsi, après s'être borné d'abord à une indication générale, il s'explique et rétablit les détails.

Enfin nous lisons dans Strabon[124] : Polybe ne désignait que quatre passages des Alpes, l'un par la Ligurie, le long de la mer Tyrrhénienne ; un autre par le pays des Taurini, c'est celui qu'Annibal a suivi ; un troisième par le pays des Salasses ; un quatrième par le pays des Rhètes. On a cru que l'indication générale relative à la marche d'Annibal jusqu'au pays des Insubres était en contradiction avec ce texte qui le fait déboucher sur le territoire des Taurini, et on a prétendu que les mots ήν Άννίβας διήλθεν avaient été ajoutés par Strabon. Dans ce cas même, ce témoignage, pour avoir moins d'autorité, ne serait pas à négliger ; mais quelle difficulté y a-t-il donc à concilier ces deux textes ? l'un n'est-il pas le complément et l'explication de l'autre, et comme nous venons de le dire, Annibal n'est-il pas descendu d'abord chez les Taurini pour se porter ensuite au pays des Insubres ?

C'est d'ailleurs ce que dit Tite-Live d'après Cincius Alimentus, c'est ce que disent Appien et Silius Italicus[125].

Polybe dit que la traversée des Alpes était d'environ 1.200 stades, et qu'après les avoir franchies, Annibal allait s'avancer vers les plaines de l'Italie où coule le Pô[126].

Or, de la Durance à Turin, par le col de Roure, il y a environ 212 kilomètres, ce qui correspond assez exactement à l'indication donnée par Polybe (222 kilomètres)[127].

Polybe emploie ailleurs[128] l'expression τήν τών Άλπεων ύτεβολήν pour désigner la marche de quinze journées pendant laquelle Annibal eut à combattre les Gaulois et à vaincre de nombreuses difficultés, et on s'est demandé si, pendant ces quinze journées, il n'avait pas parcouru 1.200 stades. Il n'en est rien : on n'est pas sorti des Alpes ; il faut encore trois journées pour qu'Annibal arrive aux plaines, ήψατο τών έπιπέδων[129]. Et ce n'est pas non plus à cette entrée dans les plaines que se termine le compte des 1.200 stades ; c'est au point où, vers Turin, Annibal se trouve sur les bords du Pô. Et aussi Appien dit-il qu'Annibal n'arriva sur les bords du Pô qu'après avoir pris la ville de Turin[130]. A partir de ce point, il va s'avancer dans les plaines, en suivant le cours du fleuve, jusqu'au moment où, en avant du Tessin, il rencontrera l'armée des Romains.

Le nombre total des stades parcourus depuis Carthagène s'élevait, d'après Polybe, à 9.000[131].

Mais les 2.600 stades de Carthagène à l'Ebre, les 600 stades de l'Ebre à Emporium, les 1.600 stades d'Emporium au Rhône, les 1.400 stades du passage du Rhône à l'entrée des Alpes, et les 1.200 stades de l'entrée des Alpes jusqu'aux plaines du Pô, donnent 8.400 stades, et tous les savants qui se sont occupés de la question se sont demandé d'où pouvait venir cette erreur de 600 stades[132].

M. Hennebert se contente de dire que l'historien consciencieux, envisageant la distance en bloc, a franchement arrondi le nombre qui doit exprimer le total des valeurs itinéraires[133].

Or, si Annibal a parcouru au-delà de Turin 600 stades (111 kilomètres), il est arrivé vers Lomello et Sannazaro, à 20 ou 25 kilomètres de Pavie, dans l'angle que forment le Pô et le Tessin, et non loin de l'endroit où va avoir lieu la bataille du Tessin[134]. Tite-Live dit que Cornélius Scipion, après avoir jeté un pont sur cette rivière, s'était avancé sur le territoire des Insubres, vers l'endroit où était campé Annibal[135].

Annibal avait en réalité parcouru 9.000 stades de Carthagène jusque chez les Insubres, jusqu'au milieu des populations qui l'ont appelé et qui attendent impatiemment sa venue[136], jusque chez ces Insubres qui avec les Boïens ont engagé la lutte contre les Romains ; sa marche ne se termine pas chez les Taurini, qui, précisément, étaient en guerre avec les Insubres[137], mais chez les Insubres eux-mêmes, sur les bords du Tessin, vers l'endroit ou il va en venir aux mains avec les Romains.

Polybe, lorsqu'il a parlé d'abord des 9.000 stades parcourus à partir de Carthagène, n'a pas indiqué d'une manière précise le terme de cette marche et, s'est contenté d'une expression vague : Annibal s'avança, dit-il, vers les plaines du Pô ; maintenant il complète, il précise : Annibal s'avança vers les plaines du Pô et le pays des Insubres.

Dans l'ensemble de la traversée des Alpes, dit Polybe[138], Annibal avait perdu sous les coups de l'ennemi, dans les eaux des fleuves, dans les passages difficiles et les précipices des Alpes, non seulement un grand nombre de soldats, mais plus encore de chevaux et de bêtes de somme.

Il avait 46.000 hommes après le passage du Rhône ; à son arrivée en Italie, il n'en avait plus que 26.000 : 6.000 cavaliers et 20.000 fantassins, dont 12.000 africains et 8.000 espagnols ; il avait perdu, dans cette partie si difficile de sa marche, 2.000 cavaliers et 8.000 fantassins[139].

La marche du Rhône à la Durance et le passage de cette rivière n'avaient pu se faire sans diminuer quelque peu l'armée ; nous avons vu que les deux attaques des Gaulois, dans des positions très désavantageuses pour Annibal, avaient occasionné des pertes considérables, et que les pertes, par suite des difficultés rencontrées à la descente, avaient été presque aussi grandes que celles qu'il avait subies aux deux attaques[140]. Il faut donc estimer que, s'il avait perdu 4.000 hommes entre le Rhône et la Durance, ses pertes aux deux attaques furent d'environ 9.000 hommes, et ses pertes à la descente sur l'Italie de 7.000 environ[141].

Les causes de tant de pertes, dit M. Hennebert[142], étaient essentiellement multiples. Cette énorme réduction des effectifs provenait, en effet, de la profondeur et de l'âpreté de la ligne d'opération, du nombre des passages de rivières effectués, de l'importance des combats livrés le long de la route, de l'obstacle matériel des Alpes, des glaces qui avaient rendu si dangereuse la descente, de la difficulté des transports au milieu des neiges, où s'étaient perdus tant de mulets de bât avec leurs chargements, des privations de toute espèce à la suite de ces accidents. Les troupes n'avaient pas souffert seulement du froid, mais encore de la faim.

Il y avait deux causes principales : l'hostilité des populations, les difficultés des lieux.

De Carthagène aux Pyrénées, Annibal eut à livrer plus d'un combat. Il était attendu par les Gaulois établis sur les bords du Pô, Insubres et Boïens, et il pouvait compter sur eux ; mais c'est en vain qu'il avait cherché à se rendre favorables ceux qui habitaient la Gaule proprement dite et la région des Alpes. Des Pyrénées jusqu'au Rhône il put les contenir ; mais ils cherchèrent à empêcher le passage du Rhône. Il redoutait les Allobroges qui étaient entre le Rhône et les Alpes, et s'il put traverser en sécurité leur pays, c'est que les habitants de l'Île, devenus ses alliés, marchaient avec lui. Mais, dès qu'il entre dans les Alpes, il est attaqué, et il est attaqué une seconde fois avant de les avoir franchies. II va descendre chez les Taurini ; ils sont en guerre avec les Insubres ; il est obligé de les combattre.

Les Gaulois qui habitent les vallées des Alpes ont pour eux, dans leur lutte contre l'armée carthaginoise, l'avantage de positions qui leur sont bien connues ; de plus, ils sont résolus à employer tous les moyens ; ils se présentent à Annibal avec des symboles de paix, lui demandant son amitié ; ils se font accepter comme guides, pour le tromper, pour le trahir ; fait considérable, omis par M. Hennebert dans son énumération.

M. Hennebert[143] dit, à propos du passage des Alpes, que les difficultés n'en étaient pas aussi considérables qu'on le suppose... et que les Romains en ont à tort exagéré l'importance.

Eh bien, laissons de côté Tite-Live et, avec lui, Appien[144] qui a vécu également à Rome. Faut-il donc rappeler ici tous ces témoignages si formels de Polybe, citer de nouveau tous ces textes si précis ?

N'a-t-il pas parlé sans cesse, à propos de la marche d'Annibal dans les Alpes, des difficultés qu'il rencontrait ? N'a-t-il pas décrit de la manière la plus saisissante les difficultés que présentaient les positions où il a été attaqué par les Gaulois ? N'a-t-il pas dit qu'à la descente, sans être attaqué, il avait, par suite de la seule difficulté des lieux, perdu presque autant d'hommes que dans les deux attaques ?

Ne serait-ce pas que M. Hennebert a conduit Annibal en Italie par quelque partie des Alpes qui est facile à traverser ? En ce cas, comment se mettra-t-il d'accord avec nos historiens, avec Polybe, puisqu'il récuse Tite-Live, qui, du reste, n'en a pas dit plus que Polybe ?

Pour moi, si l'on me disait que les lieux où je place les deux attaques présentent des difficultés considérables, les lieux par où je fais descendre l'armée carthaginoise des difficultés plus considérables encore, je répondrais que ce n'est pas moi qui l'ai dit, mais les anciens, que je les ai laissés parier, que je me suis borné à transcrire leurs témoignages, en citant tous leurs textes et prenant tous ces textes dans leur sens littéral.

Et, si l'on s'étonnait qu'Annibal n'ait, pas choisi un passage plus facile, qu'il n'ait pas évité et le défilé ou les Gaulois allaient avoir sur lui l'avantage des positions et les obstacles naturels qui devaient lui faire perdre une partie de son armée, je rappellerais la perfidie des Gaulois et je citerais de nouveau ces mots de nos deux historiens : δία τήν άθεσίαν τών βαρδάρων, έπί δόλω, fraude et insidiis, ducentium fraude.

A Carthagène, Annibal avait été quelque peu renseigné par les envoyés des Gaulois, mais avait-il pu pressentir ce que serait sa marche à travers la Gaule et à travers les Alpes ? Quant à Magilus et à ses compagnons, où étaient-ils Ils avaient promis de servir de guides, et il n'est plus question d'eux. Que penser de ces engagements qu'ils avaient pris engagements qui ne pouvaient être suspects ! Peut-on dire que l'armée carthaginoise, dans la traversée des Alpes, ne manque de rien ? Ce serait oublier ce que dit Polybe que, par suite de la difficulté des transports et de la perte d'un grand nombre de bêtes de somme, farinée avait beaucoup souffert de la faim[145] et que la famine avait mis les éléphants dans le plus triste état[146]. Peut-on dire qu'Annibal ne fut pas inquiété, ne courut aucun danger Certes, lorsqu'il venait de passer le Rhône et qu'il se rencontrait avec Magilus, il était loin de penser que, pour arriver aux plaines de l'Italie, il perdrait, par suite de la difficulté des lieux et de l'hostilité des Gaulois, cum hominibus locisque pugnando[147], 20.000 hommes, presque la moitié de son armée.

Je crois que nous avons concilié ces deux récits dont on a beaucoup dit que les données étaient inconciliables, celui de Polybe, celui de Tite-Live.

Dans le texte de Polybe, le passage où il est dit qu'Annibal, en s'éloignant du confluent du Rhône et de l'Isère, parcourut 800 stades le long du fleuve, appelait une interprétation ; pris littéralement, il ne se comprenait pas ; Polybe lui-même, en nous avertissant qu'il se bornerait à donner la direction générale, l'orientation, nous autorisait, nous invitait à l'interpréter, nous indiquait la seule interprétation possible.

De même, lorsqu'il dit qu'Annibal descendit au pays des Insubres, il donne encore une direction générale ; ailleurs, il précise et il complète cette indication trop sommaire, en disant qu'il traversa le pays des Taurini.

Enfin, dans le calcul des distances parcourues par l'armée carthaginoise, les 9.000 stades nous conduisent, non pas à l'entrée des plaines de l'Italie, non pas aux bords du Pô, mais non loin du Tessin, au pays des Insubres.

Voilà les trois seuls points du récit de Polybe qui demandent une explication.

Quant au récit de Tite-Live, il y a des réserves à faire.

Au lieu de se borner à transcrire, avec Polybe, la table de Lacinium, il nous dit qu'on n'était pas d'accord et qu'on évaluait différemment le nombre des hommes de l'armée d'Annibal ; pouvons-nous lui faire un reproche d'avoir consulté plusieurs historiens ?

Suivant lui, le peuple chez lequel intervient Annibal n'habitait pas l'Ile et il était Allobroge.

La mesure que donne Polybe du rocher des Barricades est pour Tite-Live la mesure de la profondeur de l'abîme.

Il donne au sujet de l'emploi de l'acetum une indication qui n'est pas dans Polybe, et qui est probablement erronée.

Il n'est pas très exact dans le calcul des dernières journées et a tort de dire que les bêtes de somme étaient restées, avec les éléphants, au-dessus du passage des Barricades.

Enfin, lorsqu'il dit que les hommes se retenaient aux souches et aux broussailles, lorsqu'il parle des arbres immenses qui étaient aux alentours, il a contre lui le témoignage formel de Polybe.

Mais quelle est la portée des réservés que nous avons à faire sur ces différents points Je vois là des inexactitudes qui peuvent être le fait de divers historiens qu'il avait consultés et dont il lui était difficile de contrôler les témoignages ; mais rien qui autorise à lui retirer tout crédit ; il ne s'agit, du reste, relativement à l'ensemble du récit, que de détails qui sont d'une importance secondaire.

Ce qui est plus grave, c'est ce qui se rapporte à la marche manie d'Annibal, à l'itinéraire qu'il a suivi.

Tite-Live se trompe lorsqu'il dit qu'après avoir apaisé les dissensions des Allobroges, Annibal prit sur sa gauche, par le pays des Tricastins ; il se trompe, lorsqu'il dit que de la Durance Annibal alla jusqu'aux Alpes par un pays de plaine. Ce qu'il dit ne sera exact qu'à la condition qu'on le rapporte à un point autre que celui qu'il indique. Et son erreur se comprend ayant à concilier, à fondre ensemble, les récits de plusieurs historiens, n'ayant pas parcouru les lieux dont il est question et n'ayant pas de cartes sous les yeux, il lui arrive d'assigner à une donnée géographique une place qui n'est pas sa vraie place. Voilà à quoi se réduisent les seules erreurs graves que présente le récit de Tite-Live.

Mais, en général, n'est-il pas d'accord avec Polybe, et notamment n'est-il pas absolument d'accord avec lui pour tout ce qui se rapporte au passage des Alpes proprement dit, aux données topographiques relatives aux deux attaques ou aux difficultés rencontrées à la descente ? Ne nous a-t-il pas conservé des détails qui se concilient parfaitement avec le récit de Polybe et qui ont le caractère de la vérité ? Faut-il rappeler la description du passage de la Durance et celle de l'entrée des Alpes, ou bien les soldats d'Annibal, dans la région supérieure, essayant un peu au hasard différents passages Ne nous a-t-il pas laissé des indications géographiques qui permettent de combler les lacunes du récit de Polybe, ces indications relatives au pays des Tricastins, aux pays des Voconces et des Tricorii, relatives à la Durance, sans lesquelles le problème du passage des Alpes par Annibal serait resté un problème indéterminé.

En somme, nous n'avons eu à interpréter qu'un très petit nombre de passages du récit de Polybe et du récit de Tite-Live. Et, si nous les avons interprétés, ce n'est pas pour les mettre d'accord avec telle idée préconçue, c'est que, pris dans le sens littéral, ils ne se pouvaient comprendre ; c'est, pour Polybe, que lui-même nous en fournissait l'interprétation ; c'est, pour Tite-Live, que, voyant d'où venait son erreur, nous dégagions aisément la vérité qu'elle avait voilée d'abord.

Et maintenant nous avons fait ce que nous nous étions proposé : ces deux grands récits qui se confirment et se complètent l'un l'autre, nous les avons lus avec attention, pesant toutes les expressions, conservant à chacune d'elles son sens littéral, ou ne les interprétant que lorsque l'interprétation était nécessaire et indiquée ; et, en les lisant, nous avons reconnu, sur une longue ligne de plus de cent kilomètres, la parfaite exactitude des données topographiques et des descriptions qu'ils renferment. Et nous avons le sentiment de n'avoir cédé ni à l'illusion qui ôte à la réalité son vrai caractère pour l'amener à répondre aux données d'un texte, ni à l'illusion qui consiste à altérer le sens d'un texte pour n'en retenir que ce qui répond à ce que nous avons sous les yeux. Sans parti pris, sans aucune idée préconçue, nous avons laissé Polybe et Tite-Live nous guider et nous avons simplement constaté, sur place, la vérité de leurs récits, l'exactitude de leurs descriptions.

 

 

 



[1] Polybe, III, 34, insiste sur les relations d'Annibal avec les Gaulois, faits importants que Tite-Live, XXI, 23, se borne à indiquer.

[2] Polybe, III, 40. — Tite-Live, XXI, 25.

[3] Polybe, III, 33. — Tite-Live, XXI, 23.

[4] III, 33.

[5] III, 35. — Tite-Live, XXI, 21, 22, 23, qui a sous les yeux, avec le texte de Polybe, celui d'autres auteurs, dit que l'on n'était pas d'accord, hésite à se prononcer ; suivant lui, Annibal aurait eu, après le passage de l'Ebre, le nombre d'hommes qu'il avait, d'après Polybe, à Carthagène. Tite-Live omet certains détails, mais il en donne que l'historien grec a négligés.

[6] III, 35.

[7] XXI, 23. De même c'est Tite-Live qui nous apprend que l'Ebre fut franchi sur trois points à la fois et que les Bargusiens étaient maîtres des passages des Pyrénées.

[8] Polybe, III, 35. — Tite-Live, XXI, 30.

[9] Polybe, III, 35.

[10] Polybe, III, 39, 41 et suiv. — Tite-Live, XXI, 24 et suiv.

[11] Polybe, III, 60.

[12] Polybe, III, 44. — Tite-Live, XXI, 29. — M. Hennebert, Histoire d'Annibal, Ier vol., p. 455 ; IIe vol., p. 95 et 267, entraîné par de vains rapprochements de noms, dit que Magilus était le chef de la vallée du Guil et avait sous sa dépendance les Magelli, qui auraient occupé le val de Pragelas.

[13] III, 44.

[14] III, 47, 48.

[15] Tite-Live XXI, 30.

[16] On trouve dans Tite-Live, XXI, 22, Sous la forme d'un songe qu'aurait eu Annibal alors qu'il était encore à Carthagène, une allusion à ces légendes : in quiete visum ab eu juvenem divina specie, qui se ab Jove diceret ducem in Italiam Hannibali missum ; proinde sequeretur, neque usquam a se dellecteret oculos...

[17] Polybe, III, 44, 45. — Tite-Live, XXI, 26, 29. L'historien latin dit qu'Annibal avait envoyé 500 cavaliers numides. Suivant lui les Romains auraient perdu environ 160 hommes, moitié romains, moitié gaulois, les Carthaginois plus de 200. Polybe dit 130 cavaliers romains ou gaulois, et 200 numides.

[18] Polybe, III, 45, 47. — Tite-Live, XXI, 29, 30, 31.

[19] Polybe, III, 49. — Tite-Live, XXI, 32.

[20] On lit dans Tite-Live, XXI, 31 : Mediterranea Galliæ petit, non quia rectior ad Alpes via esset, sed, quantum a mari recessisset, minus obvium fore Romanum credens, cum quo, priusquam in Italiam ventum foret, non erat in anima manus conserere. Polybe est muet à cet égard. — M. Hennebert, Histoire d'Annibal, Ier vol., p 455, et IIe vol., p. 77, affirme que l'itinéraire d'Annibal étant arrêté d'une manière invariable, la présence de Scipion aux Bouches du Rhône n'était pas un incident de nature à introduire une variante en son itinéraire !

[21] Polybe, III, 49. — Tite-Live, XXI, 31.

[22] Polybe dit que, du point où Annibal passa le Rhône à l'entrée des Alpes, il y avait 1.400 stades (III, 39), mais qu'il y en avait 800 de l'Isère aux Alpes (III, 50) ; il y en avait donc du passage du Rhône à l'Isère 600, ce qui donne 111 km. ; la distance de Pierrelatte à l'Isère est en effet de 113 kil.

[23] Polybe, III, 47, 49 ; Tite-Live, XXI, 31 et suiv. — Dans les éditions de Polybe, la leçon ό Ίσάρας n'est qu'une conjecture des éditeurs ; les manuscrits portent Σκάρας ou Σκώρας. Ce nom de Scoras on Scaras a donné lieu à beaucoup de conjectures, à beaucoup de discussions, et M. Hennebert, dans son Histoire d'Annibal, 2e vol., p. 84, dit encore que ce nom est inconnu, ne se rencontre nulle part chez les anciens géographes. Cependant M. Valkener (Géographie des Gaules, Ier vol., p. 133) avait fait remarquer que c'est ainsi que l'Isère se trouve nommée, à une légère altération près, Σίκαρος, dans la plupart des manuscrits de Ptolémée, et par conséquent dans la plupart des anciennes éditions de cet auteur, qui ont copié les manuscrits littéralement, éd. d'Ulm, 1482, de Strasbourg, 1513, 1520, 1522. — De même l'altération des mots ibi Isara (bisarar) dans quelques manuscrits de Tite-Live avait donné lieu à des conjectures ; on avait cru y trouver une désignation de la Saône, et l'on a, dans un grand nombre d'éditions, introduit le mot Arar, comme Casaubon dans le texte de Polybe Άράρος. Les savants, au lieu de reproduire le texte des meilleurs manuscrits, se plaisaient à le corriger, et faisaient passer leurs conjectures dans les éditions.

[24] Polybe, III, 49. — Tite-Live, XXI, 31.

[25] III, 49.

[26] XXI, 31.

[27] III, 50.

[28] III, 50, 51.

[29] M. Hennebert, Histoire d'Annibal, 2e vol., p. 109, 110, met les Allobroges dans l'Île et dit : l'Île des Allobroges. Il a contre lui les deux historiens anciens.

[30] M. Hennebert, Histoire d'Annibal, 2e vol., p. 109, 110 : Annibal pénétra dans Hile avec toutes les forces dont son allié fidèle était en droit d'attendre l'appui... les textes sont muets... nous pensons que l'année Carthaginoise est entrée tout entière dans l'île, affirmation que rien ne justifie.

[31] III, 39.

[32] III, 47.

[33] III, 50.

[34] Journal des Savants, 1819, p. 755.

[35] II, 14, 15 ; III, 47. Polybe était allé dans les Alpes pour suivre la marche d'Annibal ; la partie intéressante pour lui, c'était le passage des Alpes proprement dit : il a décrit avec soin les difficultés naturelles et les attaques des Gaulois qui firent courir à Annibal de grands dangers ; il a parlé avec moins de détails de la marche entre le Rhône et la Durance ; probablement il n'avait pas suivi, dans cette partie, la marche d'Annibal et, allant vers l'Espagne, il avait descendu la Durance ; aussi n'a-t-il pas une idée exacte de la direction que suit k Rhône. S'il avait rejoint le Rhône par la vallée de l'Isère ou par la vallée de la Drôme, il saurait que le Rhône, à partir de ce qu'il appelle Plie, se dirige vers le sud.

[36] II, 17.

[37] III, 49, 50.

[38] XXI, 31.

[39] XV, 10.

[40] III, v. 466, 467.

[41] III, v. 468.

[42] XV, 10.

[43] XXI, 31. Comme l'ont vu quelques critiques, il y a lieu à des transpositions : postero die, quum jam Alpes peteret, ad lævam in Tricastinos flexit et profectus adversa ripa Rhodani... Et plus loin, alors qu'il s'éloigne de l'île : Inde sedatis certaminibus Allobrogum, per extremam oram Vocontiorum agni tetendit in Tricorios.

[44] III, 50.

[45] III, 39.

[46] D'Allex à Die, 47 km. ; de Die à Aspres, 55 ; d'Aspres à Gap, 27 ; de Gap par Chorges, jusqu'aux bords de la Durance, 23 km. De Chorges l'armée serait descendue entre la Combe de la Marasse et le torrent des Mouillettes ; elle aurait atteint la Durance entre la Concile et Saint Michel au nord et Chanteloube au sud.

[47] M. Hennebert, Histoire d'Annibal, 2e vol., p. 275, dit qu'Annibal ne put passer par la vallée de l'Aygues, pays des Voconces (?), ni par la vallée de la Drôme, pays des Voconces et des Tricastins (?) qui occupaient un enclave (?) ; que les Voconces avaient refusé le passage aux agents d'Annibal, et il en donne comme preuve ces mots de Tite-Live : per extrernam oram Vorontiorum. Mais Tite-Live ne dit pas, comme le voudrait M. Hennebert, qu'Annibal n'a pu pénétrer sur le territoire des Voconces et fut forcé d'en contourner les limites.

[48] Tant qu'Annibal, dit-il, était dans les plaines, il ne fut pas attaqué par les petits chefs des Allobroges (III, 50).

[49] XXI, 30 : Annibal ab Druentia campestri maxime itinere ad Alpes cum bona pace incolentium ea loca Gallorum pervenit. Il faudrait ad Druentiam, ou bien a Rhodano. On lit dans Silius Italicus, III, v. 467 : Jam faciles campos, jam rura Vocontia carpit.

[50] XXI, 31. — Voir la description quelque peu emphatique donnée par Silius Italicus, III, v. 468 et suiv.

[51] Elle vient de descendre à partir de Briançon, sur 60 km. plus de 500 m. ; elle va descendre jusqu'au point où elle se jette dans le Rhône, sur 150 km., plus de 650 m. ; le Rhône, au-dessus de ce confluent, sur 15o !dl., ne descend pas plus de 120 m. ; la pente de la Durance est, de Briançon à Savines, dix fois plus rapide ; elle est encore de Savines à l'embouchure cinq ou six fois plus rapide.

[52] Les auteurs qui supposent qu'Annibal a passé la Durance vers Embrun, et à plus forte raison, ceux qui veulent qu'il ne l'ait passée qu'à Briançon, accusent Tite-Live d'inexactitude. Larauza, Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, p. 55 et 87, dit qu'il a vu la Durance avant et après Briançon, que des gens qui connaissaient bien le pays lui ont dit qu'à Embrun elle ne présentait pas les particularités que signale la description de Tite-Live, qu'à Embrun et au-delà elle est encaissée dans un lit régulier sans que son cours varie et offre les accidents signalés par l'historien latin, que ce n'est guère que vers Sisteron qu'elle commence à présenter les caractères que lui donne Tite-Live. Il invoque le témoignage du marquis de Saint-Simon (Histoire des Guerres des Alpes ou campagne de 1744), mais ne cite que le passage où il est dit que, ni à Briançon ni à Embrun, la Durance n'offre l'image que Tite-Live en a donnée — Le marquis de Saint-Simon dit, p. 27, 28 : la direction de la marche conduit à la Bréoulle ou fort près ; la Durance, ayant reçu l'Ubaye, offre en ce lieu le tableau que Tite Live en a fait. Les Alpes qui sont au- delà se présentent telles qu'Annibal les a vues.... La description que Tite-Live fait des lieux se trouve conforme dans la route où je continuerai de suivre Annibal d'après Tite-Live, sans ajouter ni supposition ni présomption même de ma part.

[53] XV, 10.

[54] III, 39, 50.

[55] III, 56.

[56] III, 39.

[57] Voir pour le passage de la Durance, l'entrée des Alpes, les positions successivement occupées par les Carthaginois, lors de la première attaque, celles des Gaulois et leur castellum du Lauzet, les cartes de l'État-Major au 80.000e Carte de la France, feuille 200, Gap (quarts S. O. et S. E.) et Carte de la frontière des Alpes en courbes de niveau, feuilles de Gap et de Barcelonnette ; Carte du Ministère de l'intérieur au 100.000e, feuilles de Tallard et de Barcelonnette.

[58] XXI, 32 ; voir Silius Italicus, III, v. 477 suiv.

[59] Le terrain est de schistes argilo-calcaires au milieu desquels les soldats d'Annibal pouvaient se frayer un chemin.

[60] Pour tout ce qui est relatif à la première attaque, voir III, 50 et 51.

[61] XXI, 32. Voir pour tout ce qui est relatif à la première attaque, les chapitres 32, 33.

[62] Le mot utrimque marque bien que la rivière était profondément encaissée, que des deux côtés également il y avait des escarpements ; mais si quelques soldats essayèrent de passer par la rive droite, arrivés à la Roche, ils durent y renoncer.

[63] Les pentes au N.-N.-E. du fort s'appellent Rochers de guerre, sans doute en souvenir de combats plus récents : il ne faut pas oublier que le fort Saint-Vincent était la limite de la France avant le traité d'Utrecht et que le Chastelard appartenait au Piémont.

[64] La différence d'altitude entre le Lauzet et Saint-Vincent est de 338 mètres ; entre te Lauzet et le Chastelard elle serait de 615 mètres. Le passage par les hauteurs, au sud du Chastelard, est à 470 mètres au-dessus du Lauzet. La distance, à vol d'oiseau, entre le Lauzet et Saint-Vincent est de 5 kilomètres.

[65] De même Tite-Live, XXI, 31, parle des principes des Allobroges et de leur Senatus.

[66] XXI, 34.

[67] Voir mon Étude sur la vallée de Barcelonnette à l'époque celtique, p. 84 et 89 : Vesubiani d'après l'inscription de la Turbie. Esubiani d'après l'inscription de l'arc de Suse.

[68] XXI, 32.

[69] XXI, 33.

[70] XXI, 33.

[71] XXI, 34.

[72] Géographie universelle, édition donnée par M. Lavallée, t. II, p. 96.

[73] Voir mon Étude archéologique et géographique sur la vallée de Barcelonnette à l'époque celtique, et l'ouvrage de M. le Dr Ollivier : Une voie Gallo-romaine dans la vallée de Barcelonnette et le passage d'Annibal dans les Alpes.

[74] Polybe, III, 52. — Tite-Live, XXI, 33, 34.

[75] III 52, 53.

[76] XXI, 34.

[77] XXI, 34, 35.

[78] III, 49.

[79] Tite-Live, XXVII, 39.

[80] Ce col s'appelle aussi col de l'Argentière, col de Lautaret, col de la Magdeleine.

[81] Je ne parle que des grands passages ; le col de l'Échelle (1.791 m), au nord de Briançon est le point le plus bas de toute la chaîne entre la France et l'Italie.

[82] Polybe, III, 52. — Tite Live, XXI, 33.

[83] Polybe, III, 53. — Tite-Live, XXI, 35.

[84] Voir pour la deuxième attaque Polybe, III, 52, 53, et Tite-Live, XXI, 34. — Voir les cartes de l'État-Major au 80.000e : carte de la France, feuille 201 Larche (quart N. O.) ; carte de la frontière des Alpes, feuille Mont Viso ; la carte du Ministère de l'Intérieur, au 100.000e, feuille Molines.

[85] V. Larauza, Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, p. 113, sur le sens de περ, et p. 108 sur les discussions relatives au sens du mot λευκπετρον.

[86] C'est la Tête de Miéjour, 2.689 m., avec deux cimes plus au sud, 2.859 m. et 2.858 m.

[87] L'Alpet, 2.864 m., et plus au sud, la pointe haute de Mary, 3.212 m.

[88] A l'Est, la Pointe haute de Mary, 3.212 m. ; les Dents de Maniglia, 3.167 m. ; la Pointe du fond de Roure, 3,162 m. ; au sud, la Tète de Roure de Ciabriéra, 2.972 m. ; la Tète de Cialancion, 3.006 m. ; à l'ouest, les Glaciers de Marinet dominés par l'Aiguille de Chambeyron, 3.400 m.

[89] Col de Mary, de Marie, de Maurin.

[90] Col de Roux, de Roure, de Raoure, della Rue, appelé en Piémont col de Ciabriera.

[91] XXI, 35.

[92] Dei passaggi Alpini, p. 154.

[93] Au nord, la Tête de Lautaret, 3.015 m. ; à l'ouest, les Dents de Maniglia, 3.167 m. ; la Pointe du Fond de Roure, 3.162 m. ; au sud, des cimes de 2.800 m., 2.900 m., et le Mont Farant, 3.044 m. ; à l'est, le Mont Gabel, 2.873 m. et le Mont Pence, 2.643 m.

[94] Polybe, III, 53. — Tite-Live, XXI, 35.

[95] Polybe, III, 54. — Tite-Live, XXI, 35.

[96] Voir les pages très intéressantes qu'a écrites à ce sujet M. Durier, dans l'Annuaire du Club Alpin, 1878, p. 519 suiv., et notamment ces lignes : un helléniste anglais a relevé dans Polybe tous les passages où il emploie le verbe que nous traduisons ici par désigner, montrer du doigt ; il a trouvé que, sauf un cas qui est douteux, le sens de la phrase ne suppose pas que l'objet soit réellement en vue.

[97] Polybe, III, 54. — Tite-Live, XXI, 35.

[98] Polybe, III, 54. — Tite-Live, XXI, 35.

[99] Voir l'Histoire d'Annibal de M. Hennebert, 2e vol., p. 305 suiv.

[100] Polybe, III, 34. — Tite-Live, XXI, 21, 22.

[101] Polybe, III, 56. — Tite-Live, XXI, 38 ; XXVII, 39.

[102] Polybe, III, 41.

[103] Je disais dans mon rapport sur le passage d'Annibal dans les Alpes, p. 25 : On ne peut admettre qu'Annibal fût dans les Alpes plus tard que les derniers jours de septembre. C'est par erreur que M. Hennebert, Histoire d'Annibal, 2e vol., p. 205, me fait dire qu'Annibal était au sommet des Alpes aux premiers jours de septembre.

[104] Voir au sujet des difficultés que présenta la descente et des dangers que courut l'armée d'Annibal, Polybe, III, 54, 55, 56, et Tite-Live, XXI, 35, 36, 37. — Voir la carte de la frontière des Alpes au 80.000e en courbes de niveau, feuille Mont Viso ; la carte du Ministère de l'intérieur au ioo.000e, feuille Molines ; la carta d'Italia au 50.000e, feuilles Monte-Chambeyron et Sampeyre.

[105] III, 634.

[106] De Bello Annib., c. 4.

[107] Passage d'Annibal dans les Alpes, p. 62.

[108] Littéralement sur une échine. — Tite-Live, XXI, 37, se contente d'une expression vague : castra in jugo posita.

[109] Il dit, III, 56 : π τν προειρημνων κρημνν, et III, 55 : πρς τν οκοδομαν.

[110] De même Cornélius Nepos, Vie d'Annibal, c. 3.

[111] De même Silius Italicus, III, v. 638 suiv.

[112] Polybe, III, 55. — Tite-Live, XXI, 37, reproduit cette remarque, mais d'une manière assez inexacte : nuda enim fere cacumina sunt...

[113] Tite-Live, XXI, 37. — Appien, de Bello Annib., c. 4.

[114] IIe vol., p. 253 suiv.

[115] Silius Italicus, III, 644. — Paul Orose, Hist., IV, 14.

[116] Peut-être aussi ont-ils employé ces coins de bois sec, qui, mouillés et gonflés par l'eau, font éclater le rocher. Polybe connaissait ce procédé, Fragm. gramm., 129, p. 66, éd Didot.

[117] On peut rapprocher όξος de όξύς et même d'un dérivé de όξύς, όξύα, l'épieu en bois de hêtre. On a déjà signalé le rapport d'acetum avec acatum, et, sans parler d'ascia, on trouve, dans la basse latinité, un grand nombre de termes de la même famille qui répondent à nos mots hache, hachette, et au mot italien accetta : acciatus, acieres, accieris, acha, achia, acicules, asciatus, asciola. — Un ingénieur français, M. Adrien Paillette (Mémoires de la Société Savoisienne, tome II ; voir la Revue des Sociétés savantes, tome IV, 1860, p. 556) a pensé que le mot acetum n'était autre qu'un mot qui se retrouve dans tous les patois d'Italie et désigne un instrument analogue à ce que nous appelons la hachette. De même M. l'abbé Ducis (Alpes Graies…, p. 14) : on convient aujourd'hui que l'acetum n'est autre chose qu'une espèce de pioche, acciatus ou accieta ( ?) selon Ducange. M. Maissiat (Annibal en Gaule, p. 251) on doit croire que le mot latin acetum (qui parait provenir avec beaucoup d'autres d'un radical commun, peut-être d'aces), outre son emploi général pour désigner du vinaigre, était encore usité... pour désigner quelque instrument de travail d'une forme aiguë, propre à pénétrer, à piocher dans un terrain très dur et très pierreux, comme notre pioche et notre pic. M. le Dr Ollivier (Passage d'Annibal dans les Alpes, p. 64) : Tite-Live n'aurait-il pas joué ici sur le mot acetum, en le confondant avec ascia, la hache gauloise, avec la hachette... et notre mot hache, hachette... ne nous rappelle-t-il pas l'acetum latin ?

[118] Polybe, III, 56. — Tite-Live, XXI, 38.

[119] Je reproduis le récit de Polybe. Tite-Live dit : Quatriduum circa rupem consumptum ; il comprend dans ce calcul le premier jour, celui où l'on tenta d'abord le passage par les Barricades, puis le passage par le col de Gabel. Il dit que les bêtes de somme étaient au-dessus du défilé avec les éléphants ; Polybe, qu'elles passèrent dès le premier jour avec la cavalerie. Plus loin en écrivant : juments in pabulum missa et quies muniendo fessis hominibus data, il semble compter de nouvelles journées pour ce repos, qui eut lieu, d'après Polybe pendant que les Numides faisaient le chemin.

[120] Polybe, III, 56 : τριταος π τν προειρημνων κρημνν διανσας ψατο τν πιπδων... ; son texte indique la correction de celui de Tite-Live, XXI, 37 : Triduo inde ad planum descensum, au lieu de : quies data triduo ; inde ad planum...

[121] III, 56.

[122] II, 17.

[123] III, 60.

[124] IV, c. 6, p. 208.

[125] Tite-Live, XXI, 38, 39. — Appien, de Bello Annib., c. 5. — Silius Italicus, III, v. 646.

[126] III, 39.

[127] Soit :

De la Durance à Ubaye, environ

7

kilomètres.

D'Ubaye à Maurin, d'après le Dr Ollivier

72

De Maurin à Castel-Delphino

30

De Castel-Delphino à Castigliole

41

De Castigliole à Turin

62

Total

212

kilomètres.

 

[128] III, 56.

[129] III, 56.

[130] De bello Annib., c. 5.

[131] III, 39. — Polybe, à la fin de ce chapitre, fait remarquer qu'Annibal arrivé aux Pyrénées, avait parcouru presque la moitié de la distance totale ; il avait en effet parcouru 4.200 stades sur 9.000.

[132] Voir notamment les notes de Schweishaüser dans son édition de Polybe. — Dans ce même chapitre 39, Polybe vient de dire que des colonnes d'Hercule aux Pyrénées, il y a 8.000 stades et cependant la somme des distances partielles indiquées par lui est seulement de 7.200 stades.

[133] Histoire d'Annibal, IIe vol., p. 301.

[134] Florus, II, 6, dit que la bataille eut lieu inter Padum et Ticinum.

[135] XXI, 45.

[136] Polybe, III, 40.

[137] Polybe, III, 60.

[138] III, 56.

[139] III, 56.

[140] Polybe, III, 54.

[141] Tels sont les chiffres donnés par Polybe, qui avait eu sous les yeux la table de Lacinium ; Tite-Live (XXI, 38) dit qu'on n'était pas d'accord ; n'était-ce pas que l'on confondait les évaluations relatives aux différents points de la marche d'Annibal ou bien que l'on comprenait dans sou armée les auxiliaires qui se joignirent à lui après son arrivée en Italie ? Tite-Live indique comme le chiffre le plus restreint celui de 26.000 hommes qui est précisément celui de Polybe, et ajoute que Cincius Alimentus avait entendu dire à Annibal que, du passage du Rhône à son arrivée en Italie, il avait perdu 36.000 hommes et un grand nombre de chevaux et de bêtes de somme, ce qui est à peu près le chiffre des pertes faites à partir des Pyrénées.

[142] Histoire d'Annibal, IIe vol., p. 313. — M. Hennebert cite Polybe, III, 54, 56, 60, 63, 64 ; et Tite-Live, XXI, 38, 40, XXVII, 44.

[143] Histoire d'Annibal, IIe vol., p. 270.

[144] De bello Annib., c. 4.

[145] III, 60.

[146] III, 55

[147] Tite-Live, XXVII, 39.