LA FRONTIÈRE DE L'EUPHRATE DE POMPÉE À LA CONQUÊTE ARABE

TROISIÈME PARTIE — L’OCCUPATION TERRITORIALE

 

CHAPITRE III — LES RIVES SYRIENNES DE L’EUPHRATE.

 

 

Négligeons pour l’instant les sources de ce fleuve à travers l’Arménie ; la frontière de Syrie, à la fin du Ier siècle de notre ère, commençait au nord à la Commagène, au pied de ce Nemroud-Dagh, où se dressent les grandioses monuments élevés aux anciens rois de la contrée[1]. Cependant ce petit pays formait comme un compartiment isolé, situé un peu au nord du grand passage de l’Orient vers l’Occident, et du champ de bataille naturel entre les Romains et les Parthes. Les Romains en avaient pourtant fortifié les approches ; la ville de Samosate était le siège de la légion XVI Flavia Firma, et la tête de ligne de plusieurs routes militaires.

Dans ce pays, écrivait le maréchal de Moltke[2], les anciennes fortifications consistaient en une montagne oblongue, élevée par la main de l’homme et sur laquelle on posait le castel. Il y a ici des centaines de ces montagnes, chaque village en est flanqué. Ces collines artificielles sont souvent d’un travail gigantesque ; celle de Samosate a 100 pieds de hauteur, 300 pas de longueur, 100 de largeur. Les pentes étaient pavées de pierres taillées ou revêtues d’un mur. L’acropole de Samosate[3] était vers le milieu du côté de la ville qui bordait le fleuve[4] ; un fossé l’isolait de cette dernière. De la cité il ne reste rien, que quelques pans de mur au midi et la marque très visible de l’ancienne enceinte[5] qui remonte à une époque assez haute (vers le Ier siècle).

Fig. 3. — Samosate.

Y eut-il à Samosate un pont permanent ? Impossible d’en décider. A 2 heures, puis à 2 heures ½ de Samosate à l’ouest, j’ai retrouvé quelques soubassements de constructions, ainsi désignés dans mon journal : On dirait deux tours carrées, très minuscules, de 2 mètres environ de côté. Au bout d’une lieue, au village de Hayas, j’ai dû quitter les bords du fleuve, devenus trop abrupts, et qui n’offraient aucune chaussée ; il faut en conclure sans doute que, dans l’antiquité, il n’en existait pas non plus et qu’on devait déjà, comme moi, s’enfoncer dans l’intérieur pour trouver un passage. Hayas est à 3 heures ½ de Trusch ; de là, on peut reprendre la direction O. S. O., et au bout d’1 heure ½ on distingue très bien un tronçon de voie antique, d’une largeur moyenne de 3 mètres, d’un seul niveau, avec deux rangées de pierres plus grosses en bordure de chaque côté. Il devient méconnaissable au bout de 20 minutes, puis la ligne des pierres, visiblement étalées de main d’homme, reparaît tout près de l’Euphrate, au delà du Gheuk-Sou, en face du village de Kilik. Plus loin, la route coupait dans l’intérieur, pour éviter de suivre inutilement un coude du fleuve ; un peu avant Zekteridj, misérable village, une grande citerne, à sec, pratiquée dans le sol, et en forme d’entonnoir renversé[6].

A 1 heure ¾ de Hink et 1 heure de Supertchuk, j’ai rencontré un pont ruiné, jeté sur l’Abach-Sou[7], orienté selon N.-O. — S.-E. La première arcade est rompue dans le haut, ainsi que les cinquième et suivantes ; la deuxième a un arc brisé très aigu, la troisième beaucoup moins, la quatrième en plein cintre ; cette dernière pourrait bien être seule d’époque romaine, les autres ayant été refaites par les Arabes[8].

Après le pont, à l’ouest, commence presque aussitôt une voie antique piquant droit vers le sud. Je trouve dans mon carnet : Au bout d’une demi-heure, un groupe de milliaires[9] ; il y en avait au moins deux, très grands, à base carrée, de 2 mètres 35 de long. Un mille plus loin, au moins cinq colonnes[10], de même type, et à côté je crois voir les substructions d’un petit édicule rond, de 2 mètres de diamètre environ ; puis nous perdons le mille suivant ; au quatrième, un grand nombre de bornes, cassées ; elles semblent placées à un croisement de routes. Les milliaires sont anépigraphes, ou bien les lettres sont devenues illisibles, par suite de la très mauvaise qualité delà pierre, creusée sur toute sa surface de trous où le doigt entier disparaît. Avec beaucoup de peine, j’ai pu faire retourner une de ces bornes ; j’ai cru déchiffrer simplement MP [= m(illia) p(assum) ou [I]mp(eratori) ?] Ce groupe est à 10 minutes du village d’Alif, où je remarque un nombre inouï de citernes et de bassins taillés dans le roc[11]. Ces divers tronçons de voie appartiennent sans doute à celle qui, d’après la Table de Peutinger, conduisait d’Antioche à Samosate par Doliche (près Aïntab).

La ligne des forteresses riveraines de l’Euphrate partait du coude qu’il forme, pour couler du nord au sud, dans les environs de Capersana, où l’on avait coutume de le traverser[12]. Ammien Marcellin signale un pont qui se trouvait là et qui fut détruit sous Constance et Julien[13] ; mais peut-être ne s’agit-il que d’un pont de bateau temporaire, comme celui que Constance II fit encore établir an même endroit, deux ans après, pour conduire ses troupes à Édesse[14]. Ptolémée énumère le long de l’Euphrate, en Syrie[15] ; Οΰριμα, Άρουδίς, Ζεΰγμα, Εύρωπός, Καικιλίς, Βηθαμμαρία ή Βηθαμανία, Γέρρη, Άριμάρα, Έραγίζα ; et en Mésopotamie[16], donc sur l’autre rive : Πορσίκα, Άνιάνα, Βαισάμψη, Σαρνοΰκα, Βερσίβα, Μαΰβαι, Νικηφόριον, Μαγοΰδα, Χαβώρα.

La première de ces villes est placée par l’Itinéraire d’Antonin[17] à 32 milles au nord de Zeugma[18] ; à 24 seulement serait la seconde, suivant la Table de Peutinger qui l’appelle Aroulis. L’une des deux peut parfaitement coïncider avec Roum-Kaleh, au confluent du Marsifan (sans doute le Marsyas de Pline). La position en est merveilleuse[19]. L’assiette de cette forteresse a été choisie sur un promontoire escarpé, dominant par trois de ses côtés la vallée du Marsifan et le cours de l’Euphrate. Une coupure de 30 mètres de profondeur, taillée dans le roc vif, la sépare du plateau auquel elle se rattache topographiquement[20].

Il serait naturel de placer là Aroudisou Vrima, plutôt la première d’après la distance[21] ; plutôt l’autre, si l’on se fonde sur l’onomastique — très douteuse, il est vrai, — sur ce qualificatif de giganti, qui semble adéquat à la situation, et sur le fait que cette ville fut jadis un évêché[22]. Du moins, si, dans l’état actuel, Roum-Kaleh offre l’aspect d’une forteresse médiévale[23], il n’est pas douteux que les fondements en sont plus anciens.

Avant d’y parvenir moi-même, venant du nord, de Samosate, j’avais remarqué, à 1 heure ½ en amont, an bord de fleuve, une inscription[24] selon laquelle deux vexillationes, dont l’une empruntée à la leg. III Gallica, avaient séjourné là, au moins sous Vespasien, et établi une cochlis pour puiser de l’eau. Au-dessus, les soubassements d’une construction carrée peu considérable, en gros blocs taillés : peut-être un réservoir, peut-être une tour de guet permettant de surveiller les abords du fleuve. La légion venait d’être renvoyée de Mésie en Syrie[25] ; il est possible qu’on en ait fixé là un détachement, mais aussi que par derrière il y eût quelque bourg. Aucun village aujourd’hui dans les environs immédiats ; pas de ruines ; mais le fait n’autorise aucune conclusion positive. De toutes façons l’établissement de la cochlis ne s’explique que par le voisinage d’une localité ou d’un poste militaire, sinon des deux à la fois.

Or la photographie que j’ai prise devant l’inscription[26] montre que l’une des rives forme un éperon qui s’avance dans le fleuve ; il s’agit de la rive est, celle des deux qui présente en cet endroit la courbe la plus prononcée, celle par suite que le courant devait affouiller avec le plus de force. Il n’est pourtant pas venu à bout de désagréger et d’entraîner ce promontoire ; les débris qui surmontent ce dernier sont peu reconnaissables ; rien n’interdit du moins de supposer qu’ils représentent les restes de la culée d’un pont antique ; ou bien ce cap pouvait être utilisé comme réduisant la largeur de la rivière, ce qui facilitait au moins l’établissement d’une chaîne de pontons. Il serait donc bien tentant de prononcer ici le nom de Capersana. Certes, trois siècles se sont écoulés de Vespasien à Julien ; mais il est permis de penser que ce passage était depuis longtemps connu, et considéré comme précieux au temps d’Ammien, puisque Constance s’empressa de le rétablir[27].

Néanmoins, Aroudis[28] et Vrima n’étant point sûrement identifiés, on peut songer à elles autant qu’à Capersana, mais il me paraît certain qu’une des trois se trouvait là. Capersana serait à écarter si, comme le veut Fischer, on devait la confondre avec le Πορσίκα (rive gauche) de Ptolémée[29].

Zeugma[30], un peu plus en aval, occupait aussi une position stratégique ; son nom même indique un lien, une jonction entre deux régions. Tacite atteste que c’est le point où le fleuve est le plus facile à traverser[31], sans expliquer davantage si le pont de Séleucos Nicator existait encore au Ier siècle. Aussi Cassius y vint camper, lors de sa campagne contre les Parthes, sous le règne de Claude. La même question se pose ici que pour Capersana : était-ce un pont de bateaux qu’Ammien et ses compagnons en fuite trouvèrent rompu à Zeugma ? On pourrait croire à un pont véritable et fixe ; les neiges avaient particulièrement enflé le courant qui aura pu emporter les piles[32].

Le problème est très obscur[33]. S’il est vrai qu’Alexandre le Grand fut le premier à établir un pont en cet endroit, il n’est pas douteux qu’il fit faire un pont de bateaux[34]. Précisément, à propos de Séleucos, Pline emploie les mêmes termes : ponte iunxerat[35], qui peuvent convenir encore pour un pont de bateaux. En ce qui concerne les siècles suivants, nous sommes dénués d’informations. Rien n’indique clairement où Crassus franchit l’Euphrate la première fois ; du moins il le fit sans difficulté[36]. Il en fut autrement l’année d’après[37] — cette fois c’était sûrement à Zeugma, — et avant le transfert complet de l’armée, un tourbillon enflammé mit en pièces une partie des radeaux (σχεδίας)[38]. Donc il n’y avait pas alors de pont maçonné ; mais peut-être les Romains accomplirent-ils ce travail lorsqu’ils eurent définitivement consolidé leur autorité en Osrhoène.

Fig. 4. — Vallée de l’Euphrate à Zeugma.

Où convient-il de placer la ville de Zeugma, sur la rive gauche ou la rive droite ? Les textes et la topographie semblent en désaccord. D’une part, Ptolémée la met en Syrie, et Strabon confirme le renseignement[39]. D’un autre côté, il est certain que cet important passage était devant le Biredjik actuel, qui est sur la rive gauche. Eu face, le plateau, en contre bas, n’est nullement favorable à l’établissement d’une place[40]. D’ailleurs, certaines monnaies de Zeugma, de l’époque des Antonins[41], présentent un type caractéristique (fig. 5) : un temple juché au sommet d’un cône ; les globules figurés sur ce cône représentent schématiquement un rocher, et les gradins sur le côté sont les chemins en escalier conduisant au sommet. Le temple suffisait à symboliser la ville, qui aurait été placée sur une hauteur.

A vrai dire, je pense que  le  territoire  urbain s’étendait sur les deux rives ; primitivement, il y avait deux villes distinctes : Apamée[42] et Séleucie[43]. On avait pris l’habitude de dire que toutes deux se trouvaient sur le passage (ζεΰγμα)[44]. Après le Ier siècle, ces deux villes disparaissent ; Pline ne mentionne ni l’une ni l’autre ; pas de monnaies à leurs noms ; le tout s’est fondu en un seul Zeugma[45], d’autant plus facilement que, depuis Pompée, elles se trouvaient en étroites relations.

Vu ce rôle primordial, on est un peu étonné du dire de Procope[46] : ses murs ne formaient qu’une vague clôture, avaient la fragilité d’une haie d’épines (αίμαστιάς τρόπον) ; l’accès en était comme libre et, trop à l’étroit, les défenseurs n’auraient su où se porter. Mais Justinien lui éleva de véritables murailles, ayant l’ampleur et l’élévation convenables, et le pourvut de tous les autres moyens de défense nécessaires[47]. Il faut supposer une de ces exagérations, si fréquentes dans le De aedificiis.

A 1 heure 30 minutes (au nord) de Bir-Edjik, dit le Guide d’Isambert (p. 750), Kalkis offre les ruines intéressantes d’une ville romaine, et un peu plus loin, au-delà du bac de Balkis, la route est taillée en corniche dans la falaise qui borde l’Euphrate. Elle débouche dans un vallon étroit, sur les flancs du quel se trouve une intéressante nécropole où se voient de curieux bas-reliefs. Sur un monticule dominant le fleuve s’élève (1 heure) le château très ruiné d’Oroum Kalessi, l’ancienne Vrima[48]. Il y a là, à mon avis, un certain nombre d’erreurs et de confusions. D’abord Vrima ne peut être que bien plus au nord, comme je l’ai fait voir. Je n’ai pas entendu prononcer le nom d’Oroum Kalessi, ni celui de Kalkis, mais je n’ai vu qu’un seul ensemble de ruines que les indigènes appelaient Balkis, et il est en effet à 2 heures ½ environ au nord de Biredjik. J’emprunte quelques   détails   seulement   à   mon carnet de voyage[49] :

Les ruines sont dispersées et couvrent une vaste étendue ; mais aucune enceinte n’est reconnaissable. Je ne retiens, parmi les vestiges secondaires, que ceux qui nous donnent des repères chronologiques.

Au flanc d’un coteau, une tête casquée colossale ; la pupille de l’œil étant indiquée, nous avons une date : IIe siècle... Plus loin, des grottes funéraires, présentant de nombreux arcosolia[50]... Dans un ravin, des restes de constructions, et au milieu des débris une sorte d’autel, formé d’un cippe polygonal[51], à base attique. Au-delà, une galerie très longue, dont je ne puis voir la fin, taillée dans le roc : travail très bien exécuté. Un homme de grande taille peut s’y tenir debout ; largeur : 85 à 90 centimètres. Conduite d’eau ? Peut-être plutôt un couloir secret, permettant à la forteresse d’avoir des relations avec l’extérieur, à l’insu d’un assiégeant. Un peu partout des débris de tessons et de mosaïques. Au bord du fleuve, pratiqué dans la berge qui dévale à pic, un couloir haut et large, continuation du chemin riverain ; plus loin, cette berge s’éloignant de la rive, je remarque les débris d’une construction énigmatique en blocage, qui baigne ses pieds dans l’eau.

Quelle était cette ville ? Puisqu’il faut éliminer Vrima, Arulis, Capersana[52], je ne vois qu’un rapprochement de possible : Procope énumère les villes sur les bords de l’Euphrate que Justinien restaura, et, immédiatement après Zeugma, il nomme Néocésarée dont il parle exactement dans les mêmes termes[53]. Que serait-ce sinon Balkis ?

A une demi-journée au sud, toujours sur la rive droite, le village de Djerabous (ou Djerabis) est reconnu comme occupant la place d’Europos[54] ; les fouilles d’Henderson en cet endroit n’ont apporté que peu de lumière : elles ont mis au jour des fragments hittites et les restes d’une ville byzantine. Ce fut une cité militaire[55], d’abord enclose de murs sous Anastase[56], que Justinien ne négligea pas[57] : il convenait de fortifier un point où le courant de l’Euphrate est divisé par deux grandes lies, qui devaient faciliter le passage du fleuve sur des pontons[58]. Europos est fort ruinée aujourd’hui ; au sujet de l’enceinte, Ritter[59] a résumé les données de Maundrell et de Pococke : le premier la décrit en demi-cercle, d’une longueur de 2.280 pas, avec une acropole au nord-est, et deux portes. Pococke attribue à la ville une forme rectangulaire, une longueur d’un demi-mille anglais et une largeur d’un quart de mille. Ayant retrouvé, moi aussi, les bases de nombreuses colonnes, de fort diamètre, et les restes de constructions qu’il signale — gros blocs de pierre carrés, de taille très régulière, je ne puis croire à une destruction plus complète dans l’intervalle ; or il m’est impossible d’adhérer à son plan, alors que mes observations concordent assez bien avec celles de Maundrell[60]. L’enceinte s’élève davantage au nord, où le monticule prend en outre plus de largeur ; c’est là que devait se profiler la citadelle. La ceinture de collines s’interrompt devant le fleuve et présente aussi des solutions de continuité, notamment au sud, où se voient les restes d’une porte.

Après l’embouchure du Sadjour et le village de Sérésat, on entre dans la région des quarante cavernes (Kyrk Ma-ghara) ; elles sont très nombreuses en effet ; les grottes ouvertes au flanc de la falaise ne sont pas toutes naturelles ; il est très possible que plus d’une ait été utilisée pour la défense, comme les grottes de Palestine[61].

La Table de Peutinger nous a transmis les noms de Caeciliana, Belhamaris, Serrhae. Je n’hésite pas plus que beaucoup de mes prédécesseurs[62] à reporter la première[63] au lieu dit Kalaat-el-Nedjim[64] : c’est aujourd’hui un château-fort arabe qui occupe l’importante plate-forme se dressant à pic sur la vallée ; il ne serait guère concevable qu’une forteresse naturelle aussi avantageuse n’eût pas été utilisée antérieurement[65], et les distances portées sur les anciens itinéraires confirment cette identification[66].

Bethamaris (Βηθαμμαρία) a été identifié par Chesney et Sachau avec Kara-Membidj ; je n’ai pas entendu sur place prononcer ce nom-là ; mais au même point, d’après les cartes, près du village de Hachlé, j’ai trouvé, moi aussi, un champ de ruines peu considérable ; les changements de noms, fréquents dans la contrée, permettent une assimilation sous réserves ; peut-être aussi Bethamaris se trouvait-elle à 1 heure ½ ou 2 heures plus au sud, où j’ai aperçu, près du bord du fleuve, quelques colonnes de petites dimensions. Il se peut enfin que ce dernier point se confonde plutôt avec Serrhae[67], que personne n’a pu identifier[68].

Les rives, dans toute cette région[69], sont plus abruptes que vers Biredjik[70]. Mais plus loin l’Euphrate s’élargit à nouveau, forme des îles et des méandres ; une dépression se creuse dans le sol, vers l’ouest, se terminant par le marais allongé d’Es-Sebakka, dans la direction de Berœa (Alep) ; et ses deux rebords forment chacun un plateau élevé. De part et d’autre on a retrouvé des ruines.

Au nord — c’est aujourd’hui Abou-Hanâya — gisent sur le sol des débris de grandes dimensions, de formidables tambours de colonnes rappelant celles de Baalbek. Ce sont, d’après les indications de distances de la Table de Peutinger, les dernières traces de la ville d’Eraziha[71] ; elles ne semblèrent pas, à Sachau, porter l’empreinte d’une destination militaire[72], et du reste la défense du passage était déjà assurée par le poste voisin de Barbalissos.

De celui-ci l’importance n’est point douteuse : c’est par le mot de φρούριον, castellum, que les auteurs[73] désignent cette ville le plus volontiers[74], et Procope mentionne, sans les détailler, les soins que Justinien donna à sa restauration[75]. L. Cabun, qui a visité Balis, en donne une description insuffisante[76]. De mon journal : A une assez grande distance du fleuve (dont le cours a dû se déplacer), une accumulation de décombres, briques, terre et graviers ; des colonnes de basalte, aux chapiteaux corinthiens, ont été transférées dans un petit cimetière arabe tout voisin, où elles servent de pierres tombales. L’enceinte n’est plus reconnaissable, excepté vers le sud ; de ce côté, en effet, le plateau est bordé d’un long fossé continu, que surplombent des restes de maçonnerie en blocage, et qui se termine à l’est au pied d’une construction carrée dont les soubassements demeurent visibles. A l’ouest, des lambeaux d’édifices énigmatiques, faits de briques disposées par assises horizontales, avec de hautes fenêtres ; quelques-unes ont été bouchées aux trois quarts, comme pour servir de meurtrières[77]. L’identification des lieux n’a, par malheur, pu être faite pour d’autres πολίσματα καί φρούρια έν έσχατιαΐς τών Εύφρατησίας όρίων, à propos desquels Procope loue pareillement l’infatigable activité du même empereur. Nous ignorons quels étaient les cinq bourgs dont la réunion forma la ville de Pentacomia ; du moins ils se pressaient sur les bords de l’Euphrate.

Un des problèmes les plus insolubles est celui de la position de Thapsaque, qui, à l’époque hellénistique, commandait un passage à gué[78]. Ritter a minutieusement étudié tous les textes qui se réfèrent au sujet et les opinions émises[79], et il conclut que Thapsaque doit être cherché dans la région de Sura, El-Hammam. Callinicum, etc. Je ne sais en vertu de quelle information Kiepert[80] l’a identifié avec un lieu dit El-Bordj, à quelque 25 kilomètres au sud-est de Meskéné, dont je n’ai nullement ouï parler sur place. Voici, quant à moi, ce que j’ai observé entre Meskéné et El-Hammam. A 3 heures ½ au-delà de Meskéné, dans la direction dont il s’agit, sur une hauteur, les ruines d’un castel, arabe sous sa forme dernière, et qu’avoisine un ziaret ou tombeau d’un saint musulman ; les murs sont faits partie en briques cuites alternant avec de la pierre[81], partie en briques crues ; on dirait de la boue. — A une heure de là, loin de la rive (½ heure), un champ de ruines auquel les indigènes donnent le même nom qu’à leur village, situé, lui, au bord du fleuve : Debsi. L’étendue en est peu considérable, pourtant il y avait bien là une ville antique ; le rebord du plateau, dont le niveau est fort inégal, était utilisé par l’enceinte, dont on voit encore, par places, des vestiges assez nets, en blocs de pierre régulièrement taillés. Du côté nord, une petite tour carrée, en briques, aux trois quarts démolie, semble avoir été ajoutée par les Arabes[82].

Même impossibilité de situer Hemerium[83] : ses murs avaient été négligemment construits et chancelaient ; une sorte d’argile boueuse en joignait mal les pierres. Justinien les rasa et en construisit de nouveaux en pierres très dures, qui avaient en largeur et en hauteur de plus respectables proportions. Il fit plus : Hemerium manquait d’eau ; tout autour des fortifications il disposa des réservoirs pour recueillir les pluies. Enfin il installa une garnison, qui semble avoir manqué jusque-là ; la Notifia dignitatum ne fait du moins aucune mention de la ville.

C’est probablement vers le même endroit de l’Euphrate, près de Barbalissos, que s’était trouvée Zenodotia (ou Zenodotium), fondée et habitée par des Grecs et des Macédoniens, qui seule, au temps de Crassus, résista aux Romains. Elle eut la perfidie d’en appeler quelques-uns dans ses murs, comme si elle eût voulu se soumettre, de les emprisonner aussitôt et de les massacrer. Elle fut pour ce motif complètement détruite[84], et il ne nous est pas parlé de sa réédification.

Ptolémée (V, 14, 19) porte ici : Άλαλις, Σοΰρα, Άλάμσθα. La position de la première et celle de la troisième sont inconnues[85]. Mais une autre cité heureusement située, c’était Sura, au croisement des routes venant de Palmyre, et de Berœa ou de Chalcis. Elle fut une place de guerre et, au commencement du Ve siècle, servit de résidence au préfet de la leg. XVI Flavia Firma[86]. Chosroes, dans sa deuxième campagne de Syrie, remonta l’Euphrate, plaça son camp devant Sura et tenta l’assaut de la ville. Le magister militum, l’Arménien Arsace, dirigeait la défense. Quand il eut succombé, les habitants intimidés déléguèrent leur évêque à Chosroes ; mais celui-ci, irrité de cette résistance, qui avait coûté la vie à tant de nobles perses, ordonna la destruction de Sura[87]. Elle n’avait pourtant pas tenu une demi-heure, les citoyens n’avaient aucune confiance dans ses faibles murs. Justinien, sans retard, lui construisit de solides remparts, avec un προτείχισμα, un de ces avant-murs qui se retrouvent dans beaucoup de forteresses byzantines, et derrière lesquels la population pacifique venait, avec ses troupeaux, se réfugier[88].

La situation de Sura ne fait pas doute : c’est assurément le champ de ruines que j’ai rencontré à trois quarts d’heure ou une heure environ du poste militaire actuel d’El-Hammam[89] ; de là je suis ensuite arrivé en quatre heures en face de Rakka — que nous verrons plus loin, — ce qui concorde en gros avec les indications de la table de Peutinger : Sura-Callinicum = 10 milles.

La ville a subi une complète dévastation : je n’ai retrouvé parmi les décombres, en fait de matériaux de prix, que quelques tronçons de colonnes en marbre blanc ; des débris de tessons, comme réduits en miettes, jonchent toute l’étendue. Sura était à peu de distance du fleuve, au point où, après avoir coulé vers l’est, il marque soudain un léger coude vers le nord ; elle se trouvait ainsi orientée, dans sa plus grande longueur, selon le nord-est-nord — sud-ouest-sud, et elle mesurait dans ce sens un mille romain environ. La forme en était à peu près rectangulaire ; pourtant, au sud, la largeur m’a paru plus grande qu’au nord et atteignant bien près d’un demi-mille : de ce côté aussi, le fossé extérieur (encore distinct ainsi qu’à l’est) dévie quelque peu et semble avoir abouti, en son extrémité, à un canal qui se reliait au fleuve. J’ai bien cru remarquer qu’un bras de l’Euphrate, aujourd’hui desséché, passait plus près de la forteresse ; il devait être possible d’en utiliser les eaux en cas de siège et d’inonder le fossé. Ce dernier, chose étrange, cesse brusquement vers le milieu du front nord. En l’état actuel, il mesure 7 à 8 mètres de profondeur, et l’avant-mur dont parle Procope est par endroit très visible. Le mur paraît avoir consisté, à une faible hauteur au-dessus du sol, en un couloir voûté, large de 5 à 6 mètres, dont les deux parois, interne et externe, étaient encore de ci de là nettement marquées et offraient une épaisseur d’un mètre. Tout le long des côtés est et nord, une série de tours rondes, d’une demi-douzaine de mètres de rayon, et s’espaçant de 50 en 50 pas (fig. 7).

Fig. 7. — Sura.

La citadelle, face à l’Euphrate, est un carré parfait de 145 mètres de côté, qui présente une tour ronde à chaque angle. Au milieu de chaque face, — excepté, m’a-t-il semblé, à l’ouest-— se dressait une tour rectangulaire, ayant in fronte 20 mètres et une dizaine au moins in agro. La moins démolie, au midi, m’a permis, je crois, de reconnaître la disposition des portes qui s’ouvraient de part et d’autre, forçant l’assaillant à changer trois fois de direction avant de pénétrer dans l’intérieur du réduit ; le passage était voûté. Aux murs, forts de 1m,80, nulle trace de parement en pierres de taille ; rien que du blocage, alternant avec des briques cuites, plates, posées dans un béton très résistant. La citadelle était elle-même entourée d’un fossé, dont j’évaluerais la profondeur à une douzaine de mètres ; il n’est plus visible du côté ouest, où du reste les débris de l’enceinte de toute la ville sont très indistincts. En revanche, on y remarque, tout près de l’angle nord-ouest, une petite tour avancée de 10 mètres de côté.

Aussi importante que Sura était Nicephorium Callinicum[90] ; la première marquait le point d’arrivée des voyageurs venant de Palmyre, à l’autre aboutissait la route d’Édesse, qui suit quelque temps un affluent de l’Euphrate, le Belich[91]. La question se pose d’abord de savoir si les deux noms que nous rapprochons désignent une seule et même ville : le fait est des plus probables, bien que contesté, et il s’agit seulement d’un changement de nom. Nicephorium, qu’on rencontre sur des monnaies jusqu’à l’époque de Gallien, est une appellation du Haut-Empire ; elle disparaît ensuite et il n’est plus question que de Callinicus ou Callinicum[92]. Cette ville aurait d’ailleurs souvent changé de nom si, au VIe siècle, elle reçut bien réellement celui de Constantina[93], et au Ve (en 465/6), ce qui paraît plus sérieux, celui de Léontopolis[94].

Callinicum est signalée sous Julien comme munimentum robustum et commercandi opimitate gratissimum[95]. L’aire delà place devait être assez considérable. L’empereur et sa puissante armée y stationnèrent sous la tente[96], et c’est là qu’arrivèrent les offres de renforts et les présents des princes arabes. Les bienfaits dont elle était redevable à Léon concernent peut-être autant sa défense que son embellissement. Mais plus tard elle fut négligée, et Chosroes, à la fin de la troisième guerre persique, s’empara de cette ville fort peuplée, mais insuffisamment protégée[97]. Avec beaucoup d’imprévoyance, les Romains, voyant ses murs ébranlés et ruinés, les avaient peu à peu démolis, utilisant la pierre au fur et à mesure des besoins, et comptant les rebâtir ensuite de fond en comble. Chosroes ne laissa que le temps aux plus riches habitants d’emporter leurs trésors[98]. Justinien comprit mieux les intérêts de l’empire : il restaura murs et avant-murs et les rendit, selon Procope, inexpugnables[99].

Fig. 8. — Nicephorium-Callinicum.

Ce n’est point l’impression que produisent les ruines, à Rakka. Elles couvrent une surface en demi-ellipse (fig. 8), orientée d’est en ouest. La position était très forte, dominant l’Euphrate[100] ; originairement entourés d’un fossé, très reconnaissable à l’est, ainsi que son remblai et l’avant-mur, les soubassements de l’enceinte sont presque partout conservés[101] ; ils révèlent un mode de construction économique, qu’on retrouve dans bien des champs de ruines de Mésopotamie et dont nous savons qu’il était en usage à l’époque byzantine : ce sont des lits d’argile crue, alternant avec des assises de briques ; le parement extérieur avait été également revêtu d’argile. Il est vrai que tout ceci pourrait à la rigueur provenir d’une restauration arabe, conformément à l’inscription qu’on y a trouvée et qui mentionne les travaux d’un Soliman. On comprendrait mieux alors comment, parmi les tours qui se remarquent en divers endroits du périmètre, tous les trente pas environ, on en voit une, de type différent, de forme ronde, dont la base est en gros blocs de marbre blanc, avec un escalier tournant, encombré de fragments de colonnes et de chapiteaux, et de débris divers d’époque gréco-romaine[102].

Tout auprès, à deux heures de distance à l’ouest, en un point aujourd’hui appelé Kalaat-Earagla, Sachau a relevé un champ de ruines de médiocre superficie, dessinant un quadrilatère, où il vit des murs fort élevés et solides, faits de gros blocs irréguliers de gypse blanc, maçonnés avec un mélange de terre et de gravier, ce béton qui était le mortier ordinaire des Byzantins. Les murs sont casemates sur toute la périphérie, et plusieurs des caveaux sont accessibles. Peut-être faut-il placer là cette localité de Μαΰβαι, que seul nous signale Ptolémée (V, 17, 5) à peu de distance de Nicephorium. Sachau y voit un castellum, destiné à couvrir le passage de l’Euphrate, facile à cet endroit[103]. C’était un supplément de protection pour Sura ou Nicephorium.

Du confluent du Belias à celui de l’Aborras, l’Euphrate décrit un arc de cercle, sur une longueur d’environ 180 kilomètres. C’est de part et d’autre le désert ; seuls les bords du fleuve peuvent donner passage à une armée. Il n’était donc pas indispensable de multiplier les castella en cette partie de son parcours, et il n’y a pas à s’étonner si l’on n’y a retrouvé que peu de ruines[104]. Il fallait seulement choisir les situations les meilleures, et l’embarras n’était pas grand : de Nicephorium à Circesium, les rives sont plates et basses ; le fleuve s’égare dans la plaine en une infinité de méandres ; en deux points seulement la vallée s’étrangle et la falaise surplombe le courant. À moins d’un grand détour dans les sables, l’envahisseur devait passer par là, et là même il convenait de lui opposer quelque résistance.

C’est suivant cette route, que Chosroes entreprit sa campagne de 531[105]. Le phylarque des Saracènes de son obédience, Ala-moundar, déclarait que les villes de Mésopotamie et d’Osrhoène louchant à la frontière étaient plus renforcées que jamais, alors que de l’autre côté de l’Euphrate, et en Syrie, il n’y avait ni lieux fortifiés, ni garnisons nombreuses, aucune invasion perse n’ayant encore choisi cet itinéraire. Chosroes se laissa persuader, s’avança le long du fleuve par Circesium et Callinicum, sans obstacle sérieux[106]. Il y eut pourtant des travaux de défense, mais le commentaire de Procope[107] ne permet pas de dire avec certitude s’ils furent accomplis avant la guerre, ou après ; ils semblent pourtant postérieurs.

La femme d’Odenath, prince de Palmyre, avait créé dans ces régions ingrates une petite ville à laquelle elle donna son nom, Zénobie. Par la longue négligence des Romains, les murs s’écroulèrent, la population se dispersa. Enfin Justinien reconstruisit Zénobie de fond en comble, y appela des colons, y mit un corps de troupes régulières. Des rochers élevés entourant la ville, l’ennemi eût pu lancer des flèches ou des pierres contre les défenseurs en contrebas. L’empereur, pour y parer, dans l’intervalle minimum entre les remparts et ces bastions extérieurs, éleva sur le sommet des murs un parapet — sans doute crénelé —, abritant ceux qui y étaient postés.

L’Euphrate coulait au pied du rempart de l’est, entre des berges étroites, abruptes, et aux grosses eaux il affouillait les murs, sapant les soubassements, éclaboussant jusqu’au faîte ; les murs désagrégés menaçaient ruine ; on construisit en fortes pierres meulières une formidable digue couvrant tout le front, et contre laquelle la vague restait inoffensive. La partie nord du grand mur, délabrée par les ans, fut démolie, ainsi que le petit avant-mur, et rebâtie d’autre sorte : on en reporta les fondations au-delà du fossé qui entourait l’enceinte. Une des collines dominantes, la plus voisine, à l’ouest, fut englobée, et sa crête surmontée d’une muraille. Bien au-delà seulement, le plateau se redresse à nouveau, face à l’Orient.

Fig. 9. — Zénobie.

Cette description précise fait reconnaître Zénobie dans le champ de ruines de Halebiyé, où les vestiges des murs et tours montrent une forteresse triangulaire ; le plus petit côté est parallèle au fleuve, la grande extension de la ville s’étant produite à l’ouest, vers la colline tardivement annexée ; le tout paraît avoir été bâti en gros blocs de gypse.

Auprès d’Halebiyé[108] le plateau d’el-Hilou s’avance en coin vers le fleuve ; sur la rive gauche, celui de Hamme élève une barrière plus longue, aboutissant aux deux extrémités à des débris antiques : c’est au nord Gabr’el-Abou Atic, où l’on retrouve les soubassements d’un grand nombre de maisons, partie en gypse et surtout en basalte. Au sud, moins étendues, les ruines de Zalebiyé[109], simple campement, croirait-on, avec ses murs encore visibles, au sommet d’un rocher à pic[110].

Fig. 10. — Vallée de l’Euphrate vers Zénobie.

Le deuxième rétrécissement[111] de la vallée est un peu plus en aval ; au sud, il est dominé par une falaise de 250 à 300 pieds de haut, forteresse naturelle qui fut utilisée : au lieu dit Tabous il y avait une enceinte massive, dont l’entrée ne dut être possible que par une porte au couchant, défendue par une tour puissante ; une autre tour, plus petite et maintenant ruinée, la précédait à quelque distance et servait de poste avancé. Les murs sont en gros blocs irréguliers, maçonnés avec cette terre glaise dont fut encore crépie la surface extérieure. L’abondance d’argile, à Tabous comme en d’autres parties des bassins du Tigre et de l’Euphrate, se reconnaît à l’amoncellement des tessons et fragments de briques. Le point culminant du plateau est à l’est, contre le fleuve, heureuse situation que commandait une petite acropole. Sachau, à qui nous devons ces renseignements[112], croit pouvoir, sans doute pour la ressemblance illusoire des noms, identifier ces ruines avec le Δαβαΰσα de Ptolémée[113] ; mais les indications de celui-ci mettraient plutôt Dabausa au cœur de la Mésopotamie[114].

Nous n’éprouvons plus tant d’embarras en présence des ruines considérables qui se pressent vers le confluent de l’Aborras et de l’Euphrate. Ici nous sommes guidés par divers auteurs ; nous arrivons à l’extrémité de l’empire, à l’important poste romain de Circesium[115]. Aujourd’hui encore l’Euphrate forme là une sorte de demi-cercle, et grâce au Khabour[116], qui en prolonge un des méandres, les eaux enserrent une presqu’île, rattachée par un isthme assez étroit au reste de la Mésopotamie.

Circesium appartint longtemps aux Perses qui l’avaient eux-mêmes fortifié[117]. Mais leur œuvre devait être complétée ; en ce sens convient-il d’interpréter Procope[118] : βασιλεύς δή αύτό Διοκητιανός έν τοΐς άνω χρόνοις έδείματο. Encore Dioclétien n’avait-il pas, suivant le même auteur, absolument enclos Circesium ; il avait élevé un mur aboutissant de part et d’autre à l’Euphrate, avec une tour à chaque extrémité ; mais du côté du fleuve lui-même il avait laissé la ville complètement ouverte, convaincu sans doute que le courant était une protection suffisante. Peu à peu l’une des tours, opposée au vent du midi, avait été rongée par le fleuve et elle menaçait de s’effondrer. L’ensemble même des remparts avait été entièrement négligé depuis Dioclétien ; jamais, nous le savons, les invasions ne s’étaient produites de ce côté, dans les derniers siècles dont Procope a pu connaître l’histoire. Justinien fit réparer la tour avec de massifs blocs de pierre et compléta l’enceinte en édifiant devant l’Euphrate le mur nécessaire ; enfin il ajouta un avant-mur et, pour adoucir les rigueurs d’un aussi triste séjour et du climat brûlant, il améliora en faveur de la garnison le service des bains publics. Il est difficile au reste de savoir quand eurent lieu ces travaux, s’ils précédèrent, ou suivirent — solution plus probable — le passage de Chosroes. Procope dit seulement que le roi n’osa tenter de prendre la ville ; il signale à cette occasion le grand mur de Dioclétien — qui donne à la presqu’île une forme à peu près triangulaire.

Sachau a visité les ruines (El-Bousera) ; la disposition des décombres lui donne à penser que le plan de la ville était oblong ; il faut quinze minutes pour en parcourir la plus grande longueur. Ce n’est plus guère qu’un amalgame de terres, de briques et de tessons ; à l’angle sud-ouest on pouvait voir pourtant une tour aux murs épais, ronde et creuse, sans doute celle que répara Justinien ; on devait atteindre le sommet par un escalier intérieur. — A peu de distance de  là, ce voyageur a noté, en face du mur qui défendait le front nord, un grand édifice rectangulaire, dont les murailles subsistent encore, assez élevées, sur leur pourtour presque entier ; l’épaisseur en était considérable, mais dans leur construction n’entraient que le mortier et de larges briques carrées. L’accumulation des débris avait fait des chambres intérieures des souterrains où l’un ne pénétrait plus qu’en rampant. Il y aurait vu là un castellum[119] ; on peut songer en effet à une caserne pour la garnison, qui atteignît fréquemment un chiffre élevé. Quand Julien, descendant l’Euphrate, passa à Circesium, il y trouva établis 6.000 soldats, et loin de laisser l’empire dégarni de troupes derrière lui, en ajouta 4.000, sous le commandement de deux exarques[120]. Au temps de la Notitia dignitatum, c’est à Circesium que résidait le préfet de la leg. IV Parthica[121] ; mais le système, alors en vigueur, de division à outrance des légions, ne laisse pas deviner l’effectif total. Il diminua beaucoup avec le temps, puisque, Justinien dut l’accroître et mettre à sa tête un chef important, un  dux.

Le rôle considérable dévolu a Circesium apparaît moins encore a la lecture des autours qu’à la visite des lieux. Cette ville, déjà étendue par elle-même, est en outre entourée de ruines et d’un certain nombre de vieilles tours de briques. Au sud-est, à Koubbet-el-Imân-Ali, un autre champ de décombres indique l’emplacement d’une vaste localité antique[122]. En face, de l’autre côté de l’Euphrate, à Rahaba, sur un rocher à pic, une forteresse, ou plutôt deux, circonscrites l’une à l’autre ; le mur extérieur est renforcé de tours quadrangulaires, et l’intérieur, voûté et casemate, partie en blocs irréguliers de gypse, partie en menues briques carrées dans un bain de mortier[123]. Enfin, en suivant l’Aborras sur quelques milles, on aperçoit encore quelques tells couverts de tessons. Il est curieux de songer que la plupart de ces restes, ayant été trouvés au sud et à l’est de Circesium, proviennent apparemment de fortifications perses — ou arabes —, bien que le mode de construction rappelle à s’y méprendre les travaux des Romains.

On souhaiterait un plan détaillé de tout cet ensemble ; Circesium marquait un point de bifurcation des routes commerciales : les caravanes venues de l’Inde, en suivant l’Euphrate, s’en détachaient parfois pour rejoindre directement Palmyre. Sur l’Aborras avait été jeté ce pont que Julien fit couper. Enfin Circesium était le dernier poste romain, φρούριον έσχατον.

 

 

 



[1] Cf. Humann et Puchstein, Reise in Kleinasien und Nordsyrien, Berlin, 1890.

[2] Lettres sur l’Orient, trad. de l’allem., Paris, 1872, p. 213.

[3] Humann et Puchstein, pl. LI, 1.

[4] L’Euphrate coule maintenant à quelque distance.

[5] Je donne ici (fig. 3) un plan d’après Humann,  ibid., p. 182, fig. 28.

[6] Extr. de mon carnet : On me dit que, sur les flancs du vallon creusé par le torrent qu’avoisine Zekteridj, il existe des ruines, mais réduites aujourd’hui à de simples pierres éparses. Les habitants du villages d’Hink [tout près de là] affirment que, de l’autre côté de l’Euphrate, à 1 kilomètre à l’est de Baser, subsistent des ruines importantes, notamment des églises. Impossible de traverser le fleuve, pour y aller voir.

[7] V. la photographie que j’en ai donnée dans le Tour du Monde, 1905, p. 160.

[8] En effet, si chacune d’elles a un parement en pierres de taille et un corps en blocage, pour toutes, excepté celle-ci, il a été fait usage d’un assez petit appareil. Elle seule présente une maçonnerie en béton, mêlé de petits cailloux ; ailleurs les pierres ne sont liées qu’avec de la terre crue. Dans le bas de la construction, quelques pierres à bossage. La culée sud-est était en blocs énormes, comme il ne s’en trouve que là. Les piles paraissent toutes égales, avec une largeur (a, b, etc.. du N.-O au S.-E.) de 4 mètres, au contraire, les dimensions des arcades diffèrent (A, B, etc. du N.-O au S.-E. encore) ; je n’ai pu mesurer l’ouverture que de l’une d’elles, A = 5m,50. Deux autres (D, et E détruite) étaient sans doute pareilles et dominaient le lit proprement dit du cours d’eau, j’entends la partie qui ne devait être que très rarement à sec. Entre elles deux, semble-t-il, le point culminant du pont. De A à E, la longueur mesurée atteint 39 mètres ; au N. O. ajoutons quelque 10 mètres ; vu la longueur apparente de la partie ruinée au sud-est, le pont devait avoir environ 85 mètres de long. Largeur : 5m,20. Il n’était pas rectiligne, mais entre B et C déviait vers l’est d’une vingtaine de degrés.

[9] Ce sont les seuls que j’ai rencontrés durant mon voyage de 1901 dans la Syrie du nord.

[10] L’on constate en Syrie, et particulièrement en Palestine, sur le tracé des anciennes routes, la présence de nombreuses bornes milliaires très souvent anépigraphes et portant seulement quelques signes d’interprétation douteuse. Tout de suite l’on est tenté d’en faire des milliaires romains ; c’est peut-être excessif. Beaucoup de milliaires doivent être byzantins, et même peuvent être arabes, Byzantins et Arabes n’ayant guère fait qu’entretenir, peut-être en les rectifiant quelquefois, les anciennes voies romaines (Clermont-Ganneau, Rec. d’arch. orient., I (1888), p. 206).

[11] Journal : On me dit dans ce village que le même Abach-Sou, tout près de l’Euphrate, est franchi par un autre pont antique, intact celui-là et sur lequel on passe encore aujourd’hui. Mais il n’y a pour y aller que des chemins affreux, et du reste le renseignement semble très suspect.

[12] Théodoret (Relig. hist., XIX, p. 1428, Migne) la traite de κώμη sur l’Euphrate, sans autre précision.

[13] XVIII, 8, 1 : Pontium apud Zeugma et Capersana juncluris abscisis. Le pluriel pontium ne permet guère de penser avec Streck (Caphrena, ap. Pauly-W.) que Caphrena (= Capersana) était un autre nom de l’ancienne Apamée (v. infra) et qu’Ammien aurait simplement indiqué les deux villes reliées par un même pont.

[14] Ammien Marcellin, XXI, 7, 7.

[15] Géogr., V, 14, 10.

[16] Géogr., V, 17, 5.

[17] 189, 7, sous le nom d’Urma giganti ; pour les formes diverses : Όΰριμα, Ώριμα, Vrama, Όριμα dans Georges de Chypre, cf. l’éd. Gelzer, p. 152.

[18] Socrate, H. ecclés., III, 25, parle d’un Abraham Vrimorum episcopus.

[19] Cf. Humann et Puchstein, pl. L, 1.

[20] C. Isambert, Itinér. de l’Orient, p. 750. Il compte, à 25 lignes d’intervalle : De Bir-Edjik à Roum-Kaleh : 10 h. 30 minutes ; plus loin : Roum-Kaleh (7 h. 45 minutes de Bir-Edjik). .Voilà deux indications difficiles à concilier. La première supposerait une cinquantaine de kilomètres, la deuxième environ 35. Le contexte donne à penser que c’est la première qui est erronée ; les itinéraires anciens indiqueraient respectivement 36 ou 45 kilomètres. N’ayant point accompli le trajet moi-même, je ne puis proposer aucun chiffre.

[21] Encore n’y a-t-il pas là un obstacle dirimant à choisir l’autre ; rien n’indique où passait la route ancienne, qui faisait peut-être quelque détour.

[22] Car il y a une église byzantine à Roum-Kaleh. Millier (ibid.) mettrait là le Catabana de l’Itin. d’Antonin (186, 3), inconnu par ailleurs.

[23] Cf. Humann et Puchstein, p. 175, la fig. 23 qui donne en plan Roum-Kaleh et ses abords.

[24] BGH, XXVI (1902), p. 205-7.

[25] Le transfert eut lieu en 70 (Tacite, Hist., IV, 39).

[26] Cf. Tour du Monde, 1905, p. 163.

[27] Streck, modifiant son opinion première, estime que Capersana doit être cherchée dans la région de Roum-Kaleh, mais il ne s’agit pas forcément de Roum-Kaleh lui-même. La vita Salamani Silentiarii (Acta SS., 23 janv., p. 103) mentionne un village du même nom ; et de plus Cephar (ou Caphra), en araméen, signifie village ; sans nul doute, il en existait un, moins important, qui a entièrement disparu.

[28] Je n’ai pas connaissance de l’Oroul, ancienne Arulis », que le guide d’Isambert (p. 749) met à une heure de Nexib (Nisib), sur la route d’Aïntab. Ce serait trop loin du fleuve, et point de ruines. — Je ne sais rien non plus du Salour ou Salir dont parle Müller (ad Ptolémée, p. 970).

[29] Et le localiser à Suburgut, point inconnu de moi, où un ancien voyageur aurait noté des restes de pont (Ritter, X, p. 987). Quant à Aniana, ce serait peut-être le Thillsamana de la Notitia (où était une cohors), à écrire Thillaniana, et à placer alors à Beddai ou Ghanama (Sachau, Reise, pp. 136, 159, 170). Rien de plus aventureux. J’aime mieux le rapprochement fait par Seeck (Notit., XXXV, 32) entre Thillaamana et Thillazamana, qui se trouve écrit deux fois ainsi (XXXV, 9 et 21). Il y a en Osrhoène, selon la Notitia, quatre localités dont le nom commence par Thilla ; cette forme correspond peut-être à tell. Les tells y étaient fort nombreux, comme l’a remarqué de Moltke (loc. cit.). Pour l’identification de Βαισάμψη, Σαρνοΰκα, Βερσίβα, Μαΰβαι, cf. Fischer (Ptolémée, p. 1003) ; aucun commentaire ne me vient à l’esprit pour tant d’hypothèses.

[30] Ζεΰγμα, parfois Ζεΰμα (Zeuma) ; cf. Gelzer, adn. ad Georg. Cypr., p. 149.

[31] Annales, XII, 12 ; cf. Philostrate, Vita Apoll., I, 20.

[32] Un bas-relief de l’arc de triomphe de Bénévent (Almerico Meomartini, I monumenti e le opere d’arte della città di Benevento, 1889-92, pl. XXVI) est relatif à la conquête de la Mésopotamie en 114. Entre deux cours d’eau, l’Euphrate et le Tigre, Trajan debout reçoit l’hommage de la province vaincue ; l’Euphrate, devenu Romain, porte le pont qui enchaîne la Mésopotamie à l’empire ; le pont est figuré par une espèce de charpente à poutres entrecroisées. Cette représentation n’a sans doute qu’une valeur symbolique.

[33] Cf. Ritter, X, p. 989 sq., où sont examinés les textes.

[34] Pline, H. N., XXXIV, 150 : Ferunt quidem et religione quadam id fieri et exstare ferream catenam apud Euphratem amnem in urbe quae Zeugma appellatur, qua Alexander magnus ibi iunxerit pontem, cuius anulos qui refecti sint robigine infestari carentibus ea prioribus.

[35] V, 86.

[36] Il dut jeter un pont, selon Plutarque, Crassus, 17 ; il n’y en avait donc pas. C’est dans le voisinage de Zenodotia (v. infra). D’autre part, il est dit, pour l’époque d’Antoine, que les Parthes avaient coutume de traverser le fleuve à Zeugma (Dion Cass., XLIX, 19).

[37] Dion Cass., XL, 18 ; add. Sénèque, nat. quaest., V, 18 : circa Euphratem prœsaga fulmina et deos resistentes.

[38] Plutarque, Crassus, 19.

[39] XVI, 2, 3, p. 749 G : Le Zeugma actuel de l’Euphrate se trouve en Commagène, et juste vis-à-vis est la forteresse de Séleucie, qui, bien que située en Mésopotamie, fut attribuée naguère par Pompée à la Commagène.

[40] Je reproduis (fig. 4) le graphique de Czernik (2e p., pl. II), qui montrerait cette opposition d’une façon encore bien plus manifeste, s’il était à moins petite échelle.

[41] Wroth, Greek coins of... Syria, pl. XVI, 11-13 ; p. LI et 124 sq. L’interprétation de Wroth est différente de la mienne, mais me paraît moins simple et moins naturelle. Il voit dans ce triangle la représentation conventionnelle du bois sacré attenant au temple, et ce que j’appelle les degrés d’accès, ce sérail la colonnade du péribole.

[42] Pline, H. N., V, 86.

[43] CIG, 2548 ; cf. Strabon, supra.

[44] Polybe, V, 43, 1 ; Pline, H. N., V, 119 : dicta est et in Zeugmate Apamea.

[45] Cette solution me paraît plus raisonnable que celle de Streck (Pauly-W., Suppl., loc. cit.) : Apamée et Séleucie ne seraient qu’une seule et même localité, devenue une simple forteresse. On ne peut guère, comme il le propose, la confondre avec la Caphrana de Pline, si celle-ci correspond à Capersana, comme on l’admet habituellement (cf. le Ptolémée de Müller, p. 968). Ammien, loc. cit. : Zeugma et Capersana. Des fouilles, pratiquées jadis par Henderson, consul d’Angleterre à Alep, n’ont mis au jour que des mosaïques (cf. Sachau, op. laud., p. 177-8).

[46] De aed., II, 9, p. 237.

[47] Dans l’état actuel, c’est un mélange de caractères franco-arabes.

[48] Müller (loc. cit.) y place Καταμάνα.

[49] Avant d’y parvenir Balkis, venant de Nisib], au bord d’une des nombreuses petites vallées qui découpent la colline et y dessinent comme une succession de dunes, je remarque un fragment de mosaïque et un sarcophage. Tout près de là, cinq minutes avant le village, quelques ruines, une sorte de tour carrée, dont le sommet est pavé en mosaïque, une construction en briques longues et plates, liées avec du mortier, peu considérable, mais dont le plan n’est plus visible. Ritter (X, p. 944) mentionne aussi Tel Balkis : ein Kreidefels, der sich zur Lage eines  römischen oder griechischen Tempels recht eignete, und vielleicht noch ein älteres Heiligthum des Bels war.

[50] Vers le temps où j’en copiais les sculptures et les inscriptions, l’abbé Chabot les publiait dans le Journ. asiatiq., 1900, II, p. 279 sq. La paléographie semble indiquer les IIIe-IVe siècles.

[51] A rapprocher de celui de Cyrrhus que j’ai mentionné dans le BCH, XXVI (1902), p. 187. Même date approximative.

[52] Il n’y a pas lieu de croire qu’on eût établi si près de Zeugma un deuxième passage également permanent.

[53] De aed., II, 9, p. 235. — Add. Théodoret, H. ecclés., I, 7 : Au concile de Nicée assistait Paul, évêque de Néocésarée, fort assis sur les bords de l’Euphrate. Garnison de cavaliers dans la Notitia (XXXIII, 26 ; cf. 4). Il y a encore un Ioannes... ep. Neocaesareae Euphratesiae en 553 (Mansi, Concil., IX, 393). La ville est devenue Καισάρεια dans Georges de Chypre (882) ; les textes réunis par Gelzer (op. cit., p. 151) ne fournissent aucun secours pour l’identification.

[54] Comme le dit avec raison Regling (p. 472), c’est la place forte dont la Table de Peutinger nous donne l’image, mais aucunement le nom. Cf. Pline, H. N., V, 87 ; Polybe, V, 48 ; Lucien, Quom hist. conscr., 20. 24. 28 ; Hierocl., 713, 11 ; Europa chez le Géogr. de Ravenne, 87, 11.

[55] Bélisaire y établit son camp et y réunit une armée, lors de la troisième guerre persique de Justinien (Procope, B. P., II, 20, 24-25. 21, 1).

[56] Josué le Stylite, Chroniq., 93.

[57] Procope, Aed., II, 9, p. 235.

[58] Sachau, op. cit., p. 169.

[59] Erdk., X, p. 1039.

[60] V. le plan sommaire donné par la fig. 6. — Esquisse fantaisiste du tell dans A. H. Sayce, The Archaeology of the cuneiform inscriptions, London, 1907, p. 40.

[61] Entre l’embouchure du Sadjour et Sérésat, au village de Hamarna, on me dit que sur le tell voisin, à droite, il y a des mosaïques sans inscriptions, naturellement recouvertes d’une épaisse couche de terre (Journal de route).

[62] Cf. Regling, p. 472.

[63] Καικιλία de Ptolémée ; Caeciliana d’après le Géogr. de Ravenne, II, 15. Non identifiée, dit Benzinger, s. u., Pauly-W. Müller la mettrait plus au nord, au confluent du Sadjour ; Ainsworth (Narrative, I, p. 224) encore au-delà, à Sérésat.

[64] Ainsworth (ibid., p. 229 sq.) place là le Thilaticomum des Itinéraires, sur la foi d’une étymologie qui me parait fantaisiste.

[65] Caeciliana est appelée castra dans la Table de Peutinger.

[66] Chesney (Survey of Euphrates and Tigris, London, 1850, carte II) signale près de là : ruins of a bridge and causeway. J’ai constaté en effet la présence de larges surfaces rocheuses, qui feraient croire à un dallage ; mais l’expérience m’a convaincu que souvent l’érosion suffisait à produire ces particularités trompeuses ; quant au pont, je n’en ai pas remarqué les traces, mais peut-être ont-elles été supprimées depuis les travaux de Chesney. Oppenheim (Zeitschr. f. Erdk., XXXVI, p. 80 sq. ; Byzant. Zeitschr., XIV, p. 7) prétend même avoir vu dans ces parages les vestiges de trois (!) ponts antiques, peu espacés.

[67] Γέρρη dans Ptolémée ; Πέρρη dans Hierocl., 713, 6.

[68] Hypothèses suspectes de Müller : Kalaat-el-Nedjim = Bethamaris (sic Benzinger, s. u., Pauly-W.) ; Gerre = Kara-Membidj.

[69] Nullement déserte dans l’antiquité. Carnet de voyage : Après Hachlé, pendant une bonne demi-heure, une série de grottes taillées, la plupart rectangulaires ; très peu présentent des formes courbes et arrondies. A deux ou trois d’entre elles conduisent des escaliers, également pratiqués dans le roc. Même, en un endroit, on reconnaît des soubassements de murailles.

[70] Néanmoins l’expression d’Ainsworth (Narrative, I, p. 248 sq.) : Les portes de fer de l’Euphrate, est passablement exagérée.

[71] Έραγίζα dans Ptolem., V, 14, 10.

[72] Fur ein römisches Kastell ist die Bauart zu gewaltig, zu prächtig und zu kostspielig (p. 135).

[73] Malalas seulement (p. 462 Bonn) écrit : Βαρβαλισσόν τήν πόλιν.

[74] Etienne de Byzance ; Procope, B. P., II, 12, 4. Aucun autre ne cite Obbanès, que Regling place à Balis, en amont de Meskéné ; je ne vois pas ce que cet autre Balis peut désigner. Quant à Meskéné, je ne doute pas qu’il ne faille le reconnaître dans l’ancienne Μασχάνη, nommée dans un fragment des Parthica d’Asinius Quadratus (FHG, III, p. 659 sq., fragm. 11 = Peter, Hist. Graec. reliq., Leipzig, II (1906), p. 144 sq., fragm. 21), auquel je ne vois pas qu’on ait songé, et relatif apparemment à la guerre de Sévère. Peut-être le passage était-il là ; la confusion avec Obbanès alors s’imposerait.

[75] De aedif., II, 9, p. 238. — La Notitia lui assigne une garnison de cavaliers (XXXIII, 25 ; cf. 3).

[76] Excursions, p. 160-161.

[77] V. la photographie que j’ai donnée dans le Tour du Monde, 1er avril 1905, p. 148.

[78] Ptolémée (V, 18 : Όάψακος) lui accorde une mention peu conciliable avec celle de Pline, auteur un peu plus ancien (V, 87 : Thapsacum quondam, nunc Amphipolis). Ptolémée ne connaissait donc que le nom hors d’usage ?

[79] Erdk., X, p. 959-984 : Die Lage der beiden Hauptübergänge, am Zeugma und bei Thapsacus.

[80] Dans sa carte annexée au travail cité de Regling.

[81] Et ceci ferait songer à une construction de la basse époque romaine.

[82] Moritz (op. cit., p. 31) fait le même rapprochement, mais appelle l’endroit Dibse, sans donner de détails à son sujet. Quant à Müller (p. 975), il assimile Dibsi à l’Άθις de Ptolémée (V, 14, 13 ; l’Atlas de Peutinger ; Ati et Anthis chez le Géogr. de Ravenne, 54, 6 ; 88, 14). Fischer (ibid., p. 1013) place Thapsaque à El-Hammam. Toute discussion me paraît superflue ; mais on pourrait arguer d’une certaine analogie entre les deux formes Thapsaque et Debsi. — Ainsworth (Narrative, I, p. 273 sq.) met Thapsaque à Souriyé. Je n’ai pas entendu prononcer ce nom ; nul doute qu’il désignait les ruines de Sura.

[83] Sur les formes diverses : Ήμέριος, Ίμερία, Emmarias, Ymeria, etc..., v. Gelzer, op. cit., p. 155. Sur quelle rive de l’Euphrate la localité était-elle placée ? Ce serait sur la rive droite, selon Procope qui en fait une ville d’Euphratésie ; parmi les sources ecclésiastiques, les unes la placent en Mésopotamie, ce qui est inexact au sens proprement administratif du mot, les autres en Osrhoène, par conséquent encore sur la rive gauche.

[84] Dion Cass., XL, 12 sq. ; Appien, Parth., 136 (Zenodotia) ; Plutarque, Crassus, 17. — Ritter (X, p. 1136) suppose que la ville était dans les environs de Nicephorium, où Crassus établit son camp (Florus, H. R., III, 11).

[85] Géogr. Rav., 54, 2 : Suretala (= Sure, Alala, dit Müller, p. 985). Or on a dans la Notitia, sous le duc de Syrie (Or., XXXIII, 32) : Cohors I Gothorum Helela (Alalius, Hardouin (Conc., I, p. 314) ; Alalorum, Le Quien, Or. chr., II. p. 848). Est-ce Alalis ? Plutôt, selon Müller, l’Έλέρα de Ptolémée (V, 14, 20), en Batanée. Je ne crois pas ; celle-ci devait dépendre du duc de Phénicie. — Pour Άλάμαθα, cf. peut-être la Notitia, XXXIII, 35 : Cohors I Victorum Ammatha. Ecrites en capitales grecques, les deux formes se confondent aisément.

[86] Not., Or., XXXIII, 6, 28 ; cf. Pline, H. N., V, 87 : Ita fertur usque (S)uram locum, in quo conuersus ad Orientem relinquit Syriae Palmirenas solitudines.

[87] Procope, B. P., II, 5, 26.

[88] Procope, Aed., II, 9, p. 234.

[89] Chesney l’a le premier noté, en négligeant l’examen détaillé ; cf. Ritter, X, p. 1080 sq. La description de Moritz (p. 29, note 4) me parait provenir d’une étude trop hâtive et dont je suis obligé, en plus d’un point, de contredire les résultats.

[90] Nicephorium dans Pline, H. N., V, 86 ; VI, 119 ; Νικηφόριον dans Strabon, XVI, 1, 23, p. 747 G. Serait-ce la même que Pline (V, 89) appelle Philiscum, de son nom macédonien ? (A Sura autem proxima est Philiscum, oppidum Parthorum ad Euphratem).

[91] Anciennement Belias ; Βίληχα dans Isidore de Charax ; Balissos dans Appien et Plutarque.

[92] Théodoret, Hist. relig., 26 ; Liban., Epist., 20.

[93] Selon Etienne de Byzance ; add. FHG, IV, p. 526, n° 28 (Vranii fragm.). Simples faveurs de Constantin ? Ou restauration ? On ne sait.

[94] Léon la rebâtit en effet : Chroniq. d’Édesse, in Hallier, op. cit., n° 70, p. 116 ; Assémani, Bibl. orient., I, p. 405. Un dux lui fut donné pour diriger la défense contre les Arabes (ibid., p. 276) ; Hierocl., Synecd., 715, 1 : Léontopolis, quae et Callinice.

[95] Ammien Marcellin, XXIII, 3, 7.

[96] Ammien Marcellin, XXIII, 3, 8 : in statione quadam sub pellibus mansit.

[97] Procope, Hist. arcan., 3, 31.

[98] Procope, B. P., II, 21, 31 ; Evagr., IV, 25.

[99] De aed., II, 7, p. 230. — Menacé par Hormisdas, l’empereur Maurice se réfugia plus tard à Callinicum (Theoph. Simoc., III, 17, 8 sq.). Garnison de cavaliers au Ve siècle (Notitia, XXXV, 16).

[100] Éloigné d’un mille aujourd’hui, il n’est pas visible de la citadelle ; les paysans du village m’ont dit qu’autrefois il coulait au pied de la ville (où l’on voit en effet un ancien lit desséché), et qu’en 1899 seulement, ce changement s’était accompli. Il l’était pourtant en 1883, au passage de Sachau. L’état de choses antique se serait-il rétabli, pour disparaître encore dans l’intervalle ? Je ne crois pas, car le lit est encaissé.

[101] Là où il s’élève encore à une certaine hauteur, j’ai cru voir, en arrière du mur, les traces d’une sorte de chemin de ronde ; par endroits aussi, on y remarque des trous circulaires, pratiqués à peu de distance les uns des autres, et où devaient s’emboîter des troncs d’arbres supportant quelque plancher. Il est fort probable qu’alors le bois n’était pas dans cette région aussi rare qu’aujourd’hui.

[102] Cf. Sachau, op. laud., p. 242.

[103] Op. laud., p. 245. Faudrait-il traduire Haragla par Heraclea ? Cf. Moritz, op. cit., p. 30.

[104] Les Romains semblent avoir négligé Galabatba, Chubana, Thillada, Mirrbada, Basilia, Semiramidis fossa, stations parthiques citées par Isidore de Charax. Je rapporterai cependant ici l’indication suivante de mon journal : Après 5 heures de marche au départ de Rakka, je suis arrivé au village de Fatsa (simple groupement de tentes). Exactement au sud, sur la rive opposée (la rive droite), j’aperçois des ruines peu étendues, délimitées par deux grandes tours, dominant l’Euphrate du haut de la falaise. Le tout, me dit-on, est en briques et en pierres. Vues à la lorgnette, ces ruines semblent antérieures à l’époque arabe.

[105] Procope, B. P., I, 17, 34 sq.

[106] Malalas, XVIII, p. 461 Bonn.

[107] De aed., II, 8, p. 234. Justinien y employa deux architectes alors en grand renom, Isidore de Milet et Jean de Byzance.

[108] J’emprunte à Sachau (p. 258) le plan de Zénobie et ses alentours (fig. 9).

[109] Streck (Pauly-W., Suppl., s. a. Annukas) propose d’identifier Zalebiyé avec Annoucas, dont Procope (Aed., II, 6, p. 227 ; dit seulement : Μετά δέ τόν Κιρκήσιον φρούριόν έστι παλαιόν, Άννουκας όνομα, ajoutant que Justinien restaura avec magnificence ses murs demi-ruinés. Le sens d’Annoucas en araméen (l’étrangleur) conviendrait à la situation de Zalebiyé.

[110] Sachau, p. 255-257.

[111] La figure du double étranglement (fig. 10) est encore prise de Sachau, ibid.

[112] Sachau, p. 267 sq.

[113] V, 17, 7. — Sic Streck, Pauly-W., Suppl., s. u.

[114] A la rigueur, j’aimerais mieux proposer Mambri, castel effondré que Justinien restaura ; en partant de là, on atteignait Zénobie au 5e mille, (Procope, Aed., II, 8, p. 232 sq.). La situation convient, à défaut de la distance. Un peu au-delà de Tabous se trouve le bourg très important de Deir. Fischer (p. 1014) pense qu’on pourrait l’identifier avec le Γάδειρθα de Ptolémée (V, 18), en raison de la position astronomique indiquée, et le Derta de la Table de Peutinger, à cause des chiffres de distances (et probablement aussi de l’onomastique).

[115] Munimentum tutissimum et fabre politum, cuius mœnia Abrva et Euphrates ambiunt flumina, uelut spatium insulare fingentes (Ammien Marcellin, XXIII, 5, 1). Aussi Ptolémée (V, 17, 5) l’appelle Χαβώρα (cf. Le Quien, Or. christ., II, 1487 sq.). Mais peut-être, suppose Fischer (p. 1003), Chabora était-il le quartier situé sur la rive gauche de l’affluent. Même description dans Zosime, III, 12, 3 (cf. III, 13, 1).

[116] C’est l’Araxes de Xénophon ; Άβούρας dans Isid. de Charax ; Άβόρρας dans Strabon, XVI, 1, 27, p. 747 C ; Άβόρράς dans Procope, B. P., II, 5, 2 ; Magnus de Carrhae et Malalas (v. infra). Ioh. Epiph. (F.H.G., IV, p. 275, fragm. 4) ; Χαβώρας chez Ptolémée, V, 17, 3 ; Βούρρας dans Élien (de nat. anim., XII, 30) ; Άββόρα pour Theoph. Simoc, III, 10, 25 ; Άβορος chez Et. de Byz. (s. u. ‘Ρέσινα) ; Pline, H. N., XXXI, 37, écrit Chabura. On lit Fons Scabore dans la Table de Peutinger qui paraît mentionner l’émissaire le plus occidental. Le Khabour est formé par la réunion de nombreux affluents, ayant déjà dans l’antiquité des noms qu’on a peine à identifier avec ceux d’aujourd’hui. Le bras principal passait à Resaina ; un autre venait de Dara (le Κόρδης de Procope, Aed., II, 2, p. 214), un quatrième de Nisibis (peut-être le Saocoras de Ptolémée (V, 17, 3), sans doute le Mygdonios des auteurs de basse époque, car Nisibis s’appela d’abord Antiochia Mygdonia ; cf. Julien, Or., III, 27 B, 62 B ; parmi les autres, mentionnons encore celui qui venait de la région de Singara. — Cf. Ritter, Erdk., XI, p. 253-265 ; Ainsworth, Narrative, I, p. 331-345 ; Streck, ap. Pauly-W., Suppl., I (1903), 5 et 280.

[117] Circeium (sic) castrum... in finibus Persidis (Capitolin, Gord. III, in fine).

[118] De aed., II, 6, p. 226 ; cf. B. P., II, 5, 2-3.

[119] Ich halte dies Gebäude, dessen Plan ich vor Schutthaufen nicht erkennen konnte, für ein innerhalb des Stadtgebietes gelegenes römisches Castell (op. laud., p. 286-8).

[120] Malalas, p. 328, 20 Bonn (d’après Magnus de Carrhae et Eutychianos de Cappadoce (F. H. G., IV, 4,5).

[121] Notitia, Or., XXXV, 24.

[122] Sachau, p. 286.

[123] Sachau, p. 279.