LA FRONTIÈRE DE L'EUPHRATE DE POMPÉE À LA CONQUÊTE ARABE

TROISIÈME PARTIE — L’OCCUPATION TERRITORIALE

 

Introduction.

 

 

La connaissance du régime militaire appliqué aux diverses provinces romaines a beaucoup progressé dans les dernières années, notamment pour les questions de frontières : celle de la Bretagne, le limes de Germanie, celui qui traversait l’Autriche et la Roumanie sont maintenant choses connues, entrées dans la phase scientifique des descriptions définitives. Les contrées d’Orient sont moins ouvertes à l’étranger et moins sûres ; on y a songé plus tardivement. En Europe centrale, la chute de l’empire a été assez soudaine, et aux Romains ont succédé des peuples si différents que leurs traces sur le sol ont un aspect tout autre. En Syrie, cette puissance a plus longtemps maintenu sa domination, mais, vers la fin, par intermittences : les Arabes se sont emparés du pays par morceaux, l’ont perdu, puis recouvré de même ; c’était alors un peuple qui comptait dans la civilisation générale et que l’islamisme avait rendu guerrier. Eux aussi ont élevé des forteresses ; leur architecture militaire et celle des Byzantins se sont fait des emprunts réciproques ; il est souvent aisé de les confondre, d’autant plus qu’aux confins désertiques, le caractère de la construction est particulièrement lié à la nature des matériaux. Pour tout autre limes, l’épigraphie est relativement riche et instructive ; l’étude de celui d’Orient en profile médiocrement. — Partout il a été beaucoup détruit, mais à l’autre extrémité et au centre de l’Europe l’état antérieur a eu des témoins autorisés ; vers l’Euphrate, l’Hermon et le Jourdain, les ruines se transforment étrangement : les Bédouins en font leurs demeures ou leurs parcs à moulons ; une tour de guet démolie devient tombeau d’un chef. Un document sur le passé disparaît chaque jour là-bas ; il est temps de copier ceux qui restent ; mais là aussi la tâche sera bientôt achevée.

Aussi bien est-ce une page considérable de l’histoire qu’il s’agit de mettre au jour : nulle autre province impériale n’eut pareille importance sur le continent asiatique ; c’était le grand entrepôt du commerce avec l’Inde et l’Extrême-Orient qui demandait protection ; les Saracènes nomades et pillards ont été durant sept siècles les voisins des Romains, plus continuellement dangereux que les barbares des bords du Rhin et du Danube. Enfin l’empire des Parthes, puis des Perses, était un vaste État, organisé à l’origine suivant un autre système politique et militaire que celui de Rome, mais qui exigea de ce dernier un grand effort, même pour la simple défensive. Les panégyristes des Césars ont loué surtout leurs victoires persiques[1] et Ammien Marcellin, en termes moins hyperboliques, montre clairement combien furent redoutables ces adversaires qu’il connaissait bien[2].

Les pays que menaçaient pareillement le danger arabe et le danger perse, je le rappelle, comprennent une large bande de terre qui fut, sous le Haut-Empire, divisée en plusieurs provinces : Cappadoce, Syrie, Judée et Arabie. J’ai expliqué, dans l’Introduction, pourquoi ces deux dernières seront éliminées[3] ; ce travail comprendra seulement, après l’examen général de la question du limes, la description  de la carte militaire de l’Arménie romaine — avec l’extrémité ouest de la Transcaucasie, — de la Cappadoce orientale, de la Mésopotamie, de l’Osrhoène et de la Syrie du nord jusque vers la latitude de Damas, de Baalbek et de Beyrouth ; c’est-à-dire de toutes les régions où l’invasion des Perses s’est produite — autrement qu’à titre exceptionnel comme à Jérusalem.

 

 

 



[1] V., par ex., Nazar., Paneyyr. Constantin. Aug., 38 : Persae ipsi, potens natio et post Romanam magnitudinem in terris secunda, amicitiam tuam... petiuerunt ; et le panégyrique anonyme du même Auguste, 13 : Persanim rex potentissimus, etc. ; cf. supra, première partie, chap. II.

[2] XXIII, 15, 9 : Nobiseum hae nationes subinde dimicarunt paribusque momentis interdum, aliquoliens superatae, nonnumquam abicre victrices ; et ibid., 83.

[3] Cf. Die Provincia Arabia auf Grund zweier in den Jahren 1897 und 1898 unternommenen Reisen und der Berichte fruherer Reisender, im Verein mit A. vun Domaszewsiki beschreib. von R. E. Brünnow. Il a été publié jusqu’ici : I Bd. : Die Römerstrasse von Madeba über Petra und Odruh bis El’Akaba, unter Mitwirkung von J. Euting, Strasbourg, 1904 ; cf. Clermont Ganneau (Journ. des sav., 1901, p. 6G8-684 ; et Rev. d’arch. or., VI (1906), § 38) ; II Bd. : Der äussere Limes und die Römerstrasse von El-Maan bis Bosra, 1903.