LA FRONTIÈRE DE L'EUPHRATE DE POMPÉE À LA CONQUÊTE ARABE

DEUXIÈME PARTIE — L’ARMÉE

 

CHAPITRE V    L’ARMÉE EN CAMPAGNE.

 

 

§ I. — Ordre de marche ou de bataille.

Nous arrivons à l’étude des opérations de guerre, je n’ai pas besoin de répéter dans quel esprit : je laisse de côté le récit des campagnes mêmes, qu’on trouve dans divers ouvrages, en particulier dans Schiller, dans Rawlinson et Bury[1], les pourparlers diplomatiques, le détail chronologique des engagements, les traités qui ont suivi[2]. Il s’agit d’extraire de cette masse de faits ce qui concerne la stratégie d’ensemble des armées d’Orient.

Sur l’ordre de marche des troupes syriennes allant au-devant de l’ennemi, nous n’avons pas de renseignements détaillés plus anciens que ceux de Josèphe[3] ; il donne cette agmen, comme les Romains l’appelaient, pour conforme au type courant :

En tête, les troupes auxiliaires[4], plus légèrement armées, sortes de vedettes très mobiles, chargées d’affronter les escarmouches, si possible, — quitte à se replier en cas de lutte inégale — et de reconnaître les bois et fourrés où des embuscades peuvent être dissimulées, les détours de chemins fertiles en surprises[5]. Ensuite deux groupes, parfois intervertis : les pionniers[6], pour aplanir les chemins, couper les arbres qui entraveraient les convois, chariots d’équipages ou machines d’artillerie ; et une partie de l’infanterie et delà cavalerie romaine, notamment dix hommes commandés de chaque compagnie : ceux-là ont mission de marquer l’emplacement du camp ; ils sont assurés, d’autre part, contre les guet-apens parles observations de l’avant-garde. Suivent les bagages des principaux officiers, entourés d’une escorte ; tout auprès, le général en chef, qui doit rester tout voisin de la tête, prêt à recueillir les premières nouvelles, ainsi que des ouvriers du campement, lequel s’établit sur son ordre. Il est protégé par des troupes choisies de gardes du corps, cavalerie et infanterie, généralement armées de la lance. Derrière lui viennent les machines d’attaque, au centre de l’armée à cause de leur masse embarrassante, qui oblige à les environner du maximum de protection ; d’autres soldats choisis y veillent particulièrement[7]. Les aigles et vexilla divers ont un emplacement analogue et sont précédés et suivis par clairons et trompettes.

Ensuite le corps principal de bataille, par rangées de six hommes ; des officiers sont postés en dehors des files et veillent au maintien de l’ordre et de la discipline. Chaque légion est accompagnée de ses valets, qui conduisent les chevaux, mulets et autres bêtes de charge ; il faut que, coupée accidentellement du reste de l’armée, elle ne se trouve pas au dépourvu, privée de vivres et de matériel, incapable de soutenir un effort de quelques jours. En queue, les vivandiers, artisans, la foule des mercantis, qui souvent suivent les armées, excepté peut-être dans les déserts avancés de l’intérieur, de leur propre mouvement et à leur compte. On leur donne néanmoins une escorte armée de cavaliers, fantassins, mercenaires divers, pour qu’ils n’augmentent pas éventuellement les ressources de l’ennemi, en tombant en son pouvoir. Cette troupe sert en même temps d’arrière-garde.

C’est là l’ordre de marche idéal, que suit une armée nombreuse, à pleins effectifs, dont les éléments sont bien proportionnés, qui ne s’attend pas encore à des attaques sérieuses en cours de route, qui ne trouve dans le chemin à parcourir aucune difficulté particulière à vaincre, et à laquelle les combinaisons de l’ennemi n’imposent aucune dislocation, aucune manœuvre urgente et soudaine. Mais ces conditions sont rarement réunies. Antoine, par exemple, dans sa hâte d’atteindre la ville où était rassemblée la famille des rois mèdes, considère comme un obstacle les 300 chariots portant ses batteries de siège et les laisse en arrière, à la garde d’un légat. Celui-ci est assailli par l’ennemi, sa troupe mise en pièces et le matériel capturé[8]. Cette imprudence compromit l’issue de toute la campagne. La marche de Vespasien et de Titus était facile à ordonner, car les Juifs ne s’attaquaient pas volontiers, privés de cavalerie, aux contingents formidables que les Césars amenaient[9], et préféraient s’enfermer dans les villes, tâchant de lasser, par leur résistance désespérée, la persévérance des Romains.

Il semble bien que les campagnes contre les Parthes aient d’ordinaire été conduites avec des forces moindres ; la chose est certaine pour les guerres persiques de la basse époque. Et les Parthes montraient plus d’audace à l’attaque ; il fallait plus minutieusement se prémunir ; l’ordre de marche prenait alors figure d’un ordre de bataille. La tactique familière à ce peuple consistait dans les essais d’enveloppement : une formation tout indiquée pour y répondre était l’agmen quadratum, tel que Lucullus l’adopta dès la première rencontre[10]. Souvent aussi les expéditions romaines choisirent pour direction l’Euphrate ou le Tigre : alors les bagages et l’artillerie, en partie ou en totalité, étaient confiés au courant sur une flottille. C’est ce que fit notamment Julien, qui convoya de la sorte ses approvisionnements en blé. L’armée pouvait donc, en avançant, s’appuyer d’un côté au fleuve, n’exposant que l’autre aux coups de l’adversaire. Mais le cours d’eau dessinait des méandres, que les embarcations devaient suivre, tandis que les troupes avaient le moyen de couper court à travers la plaine, et il importait de leur épargner des marches inutiles sous un climat brûlant. Les bateaux restant toujours en péril, ou d’une attaque par l’autre rive, ou d’un accident naturel[11], Julien ne leur confia qu’une réserve, gardant avec lui les bagages indispensables, qu’il enferma entre les deux flancs de son armée, avec les valets et tout ce qui était sans défense, pour les mettre à l’abri d’un coup de main. II devinait, pressentait autour de lui des embûches et multipliait les précautions, au fur et à mesure qu’on approchait de la Babylonie[12]. Et, en effet, pendant la laborieuse retraite de Jovien, la tactique fructueuse des Perses fut invariablement celle-ci : escarmouches sur les derrières ; quand les Romains s’arrêtent pour combattre, ralentir le pas, au besoin se dérober, et recommencer plus loin. La marche s’en trouvait infiniment ralentie ; un jour, l’armée de Jovien ne put effectuer qu’un parcours de 30 stades (six kilomètres !)[13]. La menace perpétuelle d’un mouvement tournant, d’une surprise soudaine, interdisait les vives allures dans toute invasion en Orient[14].

Pour les temps postérieurs, la question reste dans l’ombre : les campagnes, plus nombreuses et plus courtes, faites avec de moindres effectifs — aucun empereur romain n’y prenant part personnellement — n’ont pas autant intéressé les chronographes par leurs grandes lignes que par les menus détails.

 

§ II. — Tactique générale.

J’ai déjà remarqué celle que préconisaient les généraux romains contre les Parthes : le combat à courte distance[15]. Pour approcher de ceux-ci sans trop de dommages, on trouvait une précieuse ressource dans une manœuvre qui ne fut pas inventée dans les guerres d’Orient, mais qui était appelée à y jouer un grand rôle : l’attaque à la tortue. Les légionnaires d’Antoine se tournent vers l’ennemi, enserrant dans leurs rangs l’infanterie légère ; le premier rang mit un genou en terre et se couvrit de ses boucliers ; le second fit de même et éleva ses boucliers sur ceux du premier rang ; le troisième les imita. Cette suite de boucliers, rappelant le toit d’une maison, ou mieux encore les gradins d’un théâtre, fut une sûre défense contre les flèches, qui glissaient sans atteindre personne. Croyant à la lassitude des Romains, les Parthes voulurent charger avec leurs piques ; les autres se lèvent dans une clameur et les mettent en fuite. Celte lactique réussit plusieurs jours[16].

Contre les Juifs, qui comptaient aussi d’adroits archers, la tortue n’était pas moins indiquée ; les Romains s’en servaient pendant la sape[17]. Entrés à Gamala, Vespasien et quelques autres subissent soudain une pluie de grosses pierres et de traits, lancés du haut des maisons. Ils se serrent étroitement, se couvrent de leurs armes et peuvent ainsi se retirer[18]. Dans les siècles suivants, Aurélien forma en phalanges, protégées par leurs boucliers rapprochés, les fantassins qu’il lança à l’assaut de la colline de Daphné, défendue par les sagittaires palmyréniens[19], et Constance disposa aussi ses soldats en tortue pour l’attaque de Bezabde[20].

La force des Parthes consistait surtout dans la cavalerie ; pour s’en garer aux heures de repos le plus simple était de camper sur les hauteurs, comme Ventidius le fit très utilement plusieurs fois[21]. Pour le même motif, et parce qu’ils n’emportaient avec eux que très peu de provisions el de fourrages, il pouvait être, en cas de grande nécessité, de bonne tactique de ravager le pays. Corbulon en usa, complétant les dommages déjà causés par les sauterelles. Les nombreux escadrons des Sassanides ne souffrirent pas moins de la mesure ordonnée par Constance, qui fit mettre en sûreté les laboureurs et leurs troupeaux, et ensuite tout incendier, même les blés presque mûrs, en sorte que l’ennemi ne put trouver aucune végétation entre le Tigre et l’Euphrate[22]. Héraclios, lui aussi, dut se servir du procédé de la dévastation.

Heureusement, avec les Parthes, le lieu et le jour de l’attaque étaient inconnus, mais non la saison : il est souvent répété que dans les mois de froidure ils restaient chez eux. Dans une circonstance pourtant, quand Pacorus, après la capture de Labienus, voulut recommencer ses incursions en Syrie, il se trouva que les légions étaient dispersées dans leurs quartiers d’hiver, et c’est par son astuce seule que Ventidius se donna le temps de les rassembler[23].

On a souvent répété que les Romains avaient au plus haut degré l’art de s’approprier les moyens de défense les meilleurs à opposer à chaque ennemi nouveau auquel ils avaient affaire. En ce qui concerne leur politique orientale, ce sens de l’opportunité est manifeste. Si, à la fin de la République, où les événements se multiplient, se précipitent, les généraux se voient contraints de recourir aux contingents de cavalerie que des alliés offraient ou promettaient, Corbulon tâcha d’enrôler lui-même une cavalerie légère indigène. L’attestation la plus formelle de cette conduite se trouve dans cette phrase de Julien, à l’éloge de Constance : Tu crées une cavalerie semblable à celle de l’ennemi[24]. Il en faut rapprocher l’important passage du Strategicon de Maurice, intitulé sans détour : Πώς δεΐ άρμόζεσθαι Πέρσαις[25] ; et que nous avons analysé.

Nous avons noté l’origine des formations tripartites, vu recommander l’usage, en terrain plat, de solides phalanges de lanciers à pied. Les Byzantins, dans les combats de plaine, avaient pour méthode de percer de leurs lances plutôt les chevaux que les cavaliers, mieux protégés[26]. Ils avaient, remarquant que les Perses couvraient mal leurs ailes, institué des όπερκεράσται pour tourner les flancs de l’ennemi, et ils protégeaient eux-mêmes les côtés des bataillons de première ligne contre les mouvements enveloppants à l’aide de πλαγιοφύλακες[27] ; les uns et les autres étaient prélevés surtout sur les archers[28]. En outre, on couvrait le dos avec des νωτοφύλακες[29].

Maurice signale la confusion des tentes perses dans les campements nocturnes. Or, les Romains étaient habiles aux attaques de nuit ; ils en pratiquèrent plus d’une durant la guerre juive de Titus ; ils prirent ainsi Jotapat[30] et la forteresse Antonia de Jérusalem[31] ; une vingtaine de soldats et un trompette suffirent à effrayer les gardes endormis, qui crurent que toute l’armée ennemie les surprenait, et s’enfuirent. Pourtant cette lactique échoua contre les abords du temple[32]. Sous Constance, Ursicin, s’aidant de troupes légères, voulut assaillir de nuit, hors de leur camp, les Perses qui menaçaient Amida ; mais comme on ne voulait pas fournir à Ursicin, très jalousé, l’occasion d’acquérir quelque gloire, il se trouva paralysé[33]. Durant ce même siège, les Gaulois firent la sortie nocturne, très infructueuse, que l’on sait[34].

Les Perses, à ce point de vue encore, se firent les élèves, souvent heureux, de leurs adversaires : Amida fut prise grâce à l’attaque de nuit de 70 archers d’élite du bataillon royal, guidés par un transfuge[35].

Il faut, continue le Strategicon, choisir avant tout pour les combats des endroits découverts et plats, sans marais, fossés ou plantations pouvant mettre obstacle à la marche en bon ordre[36]. L’armée rangée en bataille, commencer l’engagement, si l’on voit que tout est prêt : les attaques doivent être, comme les coups de flèches, égales, fréquentes, rapides ; sans quoi, si l’ennemi était prompt à riposter, il atteindrait en plus grand nombre les guerriers et leurs montures. Ne peut-on éviter pour la rencontre un terrain peu approprié ? faire un usage très modéré de la cavalerie, et lancer l’infanterie. Si l’on voit que les troupes manquent d’entrain, alors pas de franche bataille, mais plutôt des escarmouches furtives, faites avec circonspection et, autant que possible, de manière que les soldats, tout comme l’ennemi, ignorent pourquoi la bataille a été ajournée.

On peut exécuter des mouvements tournants ou rétrogrades sur les flancs ou les derrières de l’ennemi. Toujours soucieux, en effet, de ne pas rompre leur ordre, les Perses présentent facilement le dos aux attaques de revers ; ceux qu’ils poursuivent ne doivent absolument pas se retourner pour faire face ; ce serait leur perte, car les Perses pourchassent les fuyards, non en désordre comme les Scythes, mais avec calme et méthodiquement. Donc toute manœuvre de conversion contre eux doit se produire, non sur le front, mais de côté, de façon à les prendre à revers.

Au chapitre suivant[37], l’auteur oppose les Scythes aux Perses et aux Romains à la fois : ils ne se retranchent pas derrière un fossé ; leur corps de bataille, au lieu de trois masses, n’en forme qu’une[38] ; la poursuite du vaincu est de leur part extrêmement opiniâtre ; elle vise à son désarmement complet.

Maurice se préoccupe aussi de la formation et de l’exercice des troupes légères[39], pour réaliser une de ses pensées favorites : l’économie des moyens[40]. Les rapides δροΰγγοι sont à choisir de préférence pour les embûches[41] ; les éclaireurs envoyés en reconnaissance seront utilement revêtus de manteaux, à manches très larges pour les cas de pluie, servant à dissimuler aux ennemis l’éclat des cuirasses[42].Le stratégiste a été très frappé des inconvénients qu’offre la présence de gens de guerre d’une même race chez les deux belligérants tout ensemble ; aussi les soldats qui ont des compatriotes du côté de l’ennemi doivent être prudemment écartés du combat[43]. Et comme ces armées bigarrées sont toujours un peu suspectes, au moment d’engager l’action, le général se conciliera les hommes[44].

Maurice nous apporte enfin une indication sur les moyens de transmission des ordres parmi des combattants parlant des idiomes très divers[45] : il expose ses idées sur un corps d’adjudants-majors (μανδάτωρες), qui doivent savoir le latin, le persan et, autant que possible, le grec[46]. Peut-être ainsi pourront-ils toujours être compris des hommes ; en tout cas ils seront plus utiles dans le rôle d’espions ou d’éclaireurs.

Adaptation ne se confond pas avec emprunt, et il est très naturel qu’une stratégie cherche à en contrecarrer une autre, sans s’approprier tous les moyens d’action de cette dernière. Les armées orientales, nous l’avons dit, conduisaient avec elles de nombreux éléphants, qui leur venaient des provinces limitrophes de l’Inde. J’ai signalé les moyens principaux dont usaient les Romains pour rendre inutiles ou même gênantes à l’ennemi ces énormes masses : on les frappait au ventre, on coupait les sangles retenant les tours que ces animaux charriaient sur le dos[47]. Un éléphant effarouché ou blessé à mort pouvait suffire, en renversant ceux qu’ils portaient et en s’affaissant, à rompre les rangs d’un corps d’armée[48]. Les Romains, ajoute naïvement Procope, savaient bien comment repousser ces animaux, et ils n’en profitèrent pas : quand Chosroes assiégea Édesse, il entraînait un effroyable éléphant[49], d’où partaient des nuées de traits ; les habitants attachèrent au haut d’une tour un porc, dont le cri, un peu plus perçant que de coutume, effaroucha la bête et la fit reculer.

Les Romains, malgré l’éloignement de l’Inde ou la difficulté de convoyer de tels animaux par la voie maritime, auraient pu en avoir dans leurs campagnes ; des vaincus et des auxiliaires leur en offrirent plus d’une fois en présent[50]. Quand la nouvelle parvint à Rome de la victoire persique de Gordien, le Sénat lui décerna un quadrige d’éléphants[51], et Galère reçut les mêmes honneurs, car un autre bas-relief de Salonique[52] le montre dans son carpentum de triomphe, traîné par quatre éléphants attelés deux à deux[53]. A la fin du VIe siècle, l’armée de Narsès, comme celle de Bahram, avait des éléphants[54] ; mais cela tient peut-être à ce que la première comptait quelques contingents fournis par Chosroes II, dont Byzance appuyait alors les prétentions contre Bahram, son compétiteur.

Des chameaux, constamment employés par les Arabes, leurs auxiliaires ou ennemis, les Romains ne firent pas non plus grand usage, hormis pour les convois[55]. Il y eut cependant des δρομεδάριοι nabatéens embrigadés en turmae régulières dans la province d’Arabie[56], et une ala dromedariorum[57], à la disposition du duc de Palestine, paraît dans la Notitia dignitatum. Végèce[58] dit que les chameaux ne sont pas très utiles à la guerre[59], et la plupart des cas que l’on peut néanmoins citer ne relèvent pas de mon sujet[60].

Des circonstances très diverses ont concouru à ce résultat que, dans toutes les guerres d’Orient, une partie surtout de la stratégie a passé au premier plan et s’est singulièrement développée : la poliorcétique ; avec elle, bien entendu, la défense des places et la fortification ; bref, ce que nous appellerions aujourd’hui le génie et l’artillerie.

 

§ III. — Pionniers et pontonniers.

Le génie comprenait le service des pionniers et l’établissement des camps et travaux de siège. Les pionniers avaient rude besogne dans les régions montagneuses de l’Arménie et au pied du Caucase. Tigrane en possédait une nombreuse bande sous ses ordres[61]. Il fallait ouvrir des chemins dans des contrées rarement parcourues, et n’offrant que d’étroits sentiers, des pistes intermittentes ; jeter des ponts, couper des bois, etc. A vrai dire, ces fonctions n’étaient pas toujours remplies par des spécialistes ; des pionniers sont mentionnés à part dans l’ordre de marche de Titus[62], mais les récits de la guerre juive nous font voir que bien souvent l’ensemble des légionnaires était affecté sans distinction aux travaux de cette nature. Les Perses n’y étaient pas moins rompus que les Romains[63] ; on sait l’admiration que professait Procope pour les hardis défricheurs des forêts d’Ibérie et de Colchide, faisant passer des éléphants et des convois où il n’y avait auparavant que forets et précipices[64].

Quelquefois, c’était la besogne inverse qui s’imposait : il y avait lieu d’obstruer un passage, en le barricadant de pierres et de chariots, en avant ou en arrière d’un large fossé[65] ; ou encore d’embarrasser le courant d’une rivière avec des bateaux et des pieux ou palissades[66].

Et surtout il fallait pourvoir à l’établissement des ponts de bateaux. Là également, pour l’habileté, Romains et Perses se faisaient concurrence. Des Parthes, comme pontonniers, nous ne savons rien ; mais Procope affirme que les Perses traversaient tous les fleuves sans nulle difficulté, ayant toujours avec eux les traverses nécessaires, auxquelles ils adaptaient des pièces de fer, crochues comme des hameçons[67]. A l’égard des Romains, les témoignages sont encore plus nombreux et plus précis[68] : constamment, nous dit-on, ils se livraient à cet exercice sur les bords de l’Ister, du Rhin et de l’Euphrate. Les bateaux destinés à la construction d’un pont sont larges ; on les range un peu en amont de l’endroit où il doit être jeté. A un signal donné, on lâche un premier bateau, qui est emporté à la dérive le long de la berge. Lorsqu’il est arrivé au point voulu, ceux qui le montent précipitent dans le courant une corbeille pleine de pierres, liée à un câble, et qui joue le rôle d’une ancre. On joint l’esquif au rivage à l’aide de planches, et on procède de même pour les bateaux suivants[69]. Des cordages joignaient peut-être les diverses embarcations ; on avait ainsi rattaché avec des câbles de jonc tressé les bateaux du ponton jeté sur l’Euphrate par Héraclios[70] et que les Perses parvinrent à couper avant qu’il eût pu remplir son office[71].

Pendant la retraite de Jovien, l’armée romaine passe le Tigre à l’aide de l’ascogefrus[72] ; on appelait ainsi (άσκός, γέρυρα) un pont hâtivement fait avec des outres de peaux gonflées, sur lesquelles portaient des planches[73]. Ce procédé ne permettait sans doute pas de transporter aussi vite que sur des pontons des fardeaux vraiment lourds ; mais il était praticable dans des contrées où le bois manquait, et il semble avoir été imaginé par les Arabes, obligés de se passer de semblables matériaux[74]. Le transport des bateaux, démontés ou non, sur des chariots[75], exigeait beaucoup de temps et de frais ; mais lorsqu’on avait le choix, les ponts de bateaux étaient toujours préférés[76]. Le passage achevé, on pouvait ou remettre les bateaux sur leurs véhicules, ou les abandonner à la dérive ; souvent même, sans hésiter, on les brûlait, afin de n’en pas laisser la disposition aux ennemis[77] ; on était donc amené, presque pour chaque expédition en Babylonie, à en fabriquer de nouveaux.

 

§ IV. — Les camps et retranchements.

La construction des camps, à ce point de vue, peut être rapprochée de celle des bateaux : eux aussi étaient improvisés ; tout le monde y mettait plus ou moins la main[78], et on les incendiait d’habitude en les quittant[79].

Des camps romains d’Orient, Josèphe donne une idée générale assez exacte : Les Romains se retranchent dans des camps de forme quadrangulaire, dont ils aplanissent le sol s’il est inégal ; ils sont accompagnés toujours de nombreux forgerons et autres artisans et de tout l’attirail de fortification. L’intérieur est divisé en quartiers par des rues ; du dehors, on dirait l’enceinte d’une ville, car ils y élèvent des tours équidistantes, où ils disposent leurs machines. Au milieu, les lentes des chefs, avec un prétoire en forme de petit temple, un marché, des boutiques, même un tribunal. Au besoin, on environne le tout d’un fossé de quatre coudées de large et de profondeur égale[80]...

Les spécimens conservés se ramènent en effet, avec des variantes dans le détail, à un type d’ensemble très caractéristique : une ligne de murs rectangulaire, parfois carrée, flanquée de tours saillantes, dont une à chaque angle, avec un chiffre de portes d’entrée qui diffère suivant les dimensions du tout. Souvent, surtout dans les petits exemplaires, une rangée de chambres s’adosse à la paroi intérieure, tout le long du périmètre. Je n’entre pas dans plus de précisions ; je serai amené à en fournir pour quelques-uns de ces castella, au cours de mon étude topographique[81]. En cas de guerre, on les entourait avantageusement de palissades et de pieux aigus[82].

Quant aux camps temporaires d’armée, on en modifiait la construction suivant les circonstances et le temps dont on disposait[83]. Une situation favorable était le sommet d’une hauteur ; on était mieux ainsi à l’abri d’une attaque de la cavalerie des Parthes. Ce choix réussit parfaitement à Ventidius[84]. Quelquefois on n’enfermait dans le camp que les légions et l’on envoyait les auxilia dans des postes secondaires établis tout alentour, comme le fit Corbulon. Le Strategicon de Maurice traite à peine des castella : il recommande d’y mettre en sûreté les bagages et les bêles de somme et de multiplier les veilles, surtout quand les alentours semblent tranquilles[85].

Les récits de campagnes ne laissent rien apercevoir de la distribution générale des troupes à l’intérieur d’un campement, et les traités de castramétation en dissertent à un point de vue tout théorique. On nous dit qu’Hygin, écrivant son livre De munitionibus castrorum[86], avait en vue une expédition en Orient, attendu qu’il réserve dans son camp une place pour les chameaux (§ 29, p. 16) ; mais la date assignée à cet écrit reste encore conjecturale[87], et ce détail, auquel on attache tant d’importance, est peu décisif : Hygin a pu prévoir l’emploi de chameaux de transport, sans craindre de glisser dans son opuscule des principes datant de plusieurs époques et concernant diverses parties de l’empire. Ce genre de compilation était parfaitement dans les usages de l’antiquité.

 

§ V. — Attaque et défense des places.

Les guerres d’Orient sont en majeure part des guerres de sièges. A ce titre encore, il est très légitime, è propos de la défense de l’Euphrate, de tenir le plus grand compte des opérations qu’amenèrent les deux révoltes juives[88], car les Romains y perfectionnèrent leur poliorcétique. Ce peuple israélite se soulevait dans des conditions toutes particulières : il s’était fort peu exercé au métier des armes ; à peine en avait-il ; la levée en masse lui avait donné une infanterie, mais pas de cavalerie ; les chefs aussi lui faisaient défaut[89]. Il fallait donc renoncer aux grandes batailles en rase campagne et se borner à défendre  les centres d’habitation ; c’est ce qu’ils firent avec une sauvage énergie. La médiocrité de l’armement était ainsi moins fâcheuse, la cavalerie devenait inutile, et quant au commandement, il demandait moins de science et d’expérience. Enfin les assiégés pourraient profiter à l’occasion des embarras que causerait aux Romains le manque de bois[90], pour la réparation et le renouvellement des machines endommagées ou incendiées, pour la construction des plates-formes. Les villes, en revanche, s’entouraient de formidables murailles, car on avait en abondance d’excellentes pierres de construction, et de plus la contrée fournissait bon nombre de positions escarpées et naturellement très fortes.

Les Juifs, à l’origine, n’avaient pas de machines[91] ; la malheureuse retraite de Cestius leur en livra[92], dont ils se servirent pour la défense de Jérusalem : d’abord, ils en tirèrent peu d’avantage, faute de pratique et n’en ayant appris le fonctionnement que par quelques transfuges qui en étaient mal instruits[93]. Peu à peu ils progressèrent, découvrirent des moyens ingénieux de porter les coups et de s’en garer. Cependant l’attaque faisait des progrès parallèles : on inventa de nouvelles batteries[94].

Au sujet des guerres parthiques, on s’étonnera moins encore des combats engagés autour des places. La lutte se concentre-t-elle en Arménie ? Aucune position n’est sûre, dans ce dédale de vallées, que derrière des remparts ; en outre, un simple castel bien situé peut interdire un important passage ; on ne tient ce réseau de couloirs que par les clefs qui les commandent. Dans les plaines de Mésopotamie et aux approches des fleuves, le problème se résout de façon analogue : ce ne sont pas là pays de peuplement ; une victoire retentissante n’en rendrait pas maître ; la population y est clairsemée, mais il y passe des routes, des pistes de caravanes, que surveillent des châteaux forts. Pour garder cette contrée, il faut avoir conquis et continuer d’occuper toutes ces positions isolées[95]. Les Parthes, dit-on, et les anciens déjà le répétaient, furent toujours inhabiles aux sièges. Le fait est indubitable, mais d’intérêt secondaire : ce n’est pas eux qui attaquaient ; à l’annonce d’une menace formelle, d’une attaque certaine et préparée, il leur arrivait de pousser une offensive, mais où l’on ne doit reconnaître que bien rarement une pensée de conquête ; il s’agissait d’user l’ennemi pour lui ôter l’envie de revenir. Les Sassanides succèdent à la famille d’Arsace ; eux sont agressifs : dès lors, forcément, ils s’exercent au siège des places. Ils disputent âprement la possession de Nisibis, mettent tout en œuvre pour empêcher que les Byzantins ne fortifient le poste limite de Dara. Cette question des castella de frontière domine longtemps les négociations de paix.

Les Arméniens ont devancé les Parthes dans l’intelligence des ressources qu’offrait l’artillerie. Serait-ce que chez eux les idées  helléniques avaient  mieux  réussi à s’infiltrer ? Nous voyons que Tigrane gardait auprès de lui Callimaque, un Grec évidemment, à qui son expérience militaire, son habileté pour l’invention des machines conféraient une réelle autorité[96]. Mais les Occidentaux n’avaient peut-être pas en ces matières un savoir exclusif, puisque le même Tigrane trouvait chez les gens de Gordyène des ingénieurs militaires émérites[97]. Quoi qu’il en soit, les Arsacides négligèrent de se pourvoir de machines de guerre ; ils dédaignèrent même d’utiliser celles que la fortune faisait tomber entre leurs mains, et de tenter l’apprentissage que les Juifs, bien plus tard, devaient entreprendre avec succès. Lorsque Antoine commit la faute d’isoler son matériel, les barbares se saisirent des batteries et les mirent en pièces[98], au lieu de se les approprier. Il y avait parmi elles un bélier de quatre-vingts pieds de long. Corbulon, dans sa campagne d’Arménie, possédait aussi nombre d’engins militaires ; il en est qu’il mit en action sur des bateaux ancrés au milieu du cours de l’Euphrate[99].

Les hasards de la guerre — ou de l’information — font qu’il ne nous est plus parlé de l’usage de machines dans les guerres parthiques avant celle de Septime Sévère ; Trajan d’ailleurs en avait sûrement braqué contre Hatra, mais sans succès. Sévère remit le siège devant cette ville ; par deux fois ses ouvrages furent brûlés, les habitants les ayant couverts d’un feu qu’on disait inextinguible[100], obtenu sans doute par le naphte[101]. Les indications touchant la poliorcétique deviennent infiniment plus, considérables avec Ammien Marcellin (XXIII, 4), qui consacre un long chapitre à décrire les machines charriées par Julien ; il est intéressant de le comparer avec Végèce[102], qui a utilisé sans méthode une grande variété de sources, et avec Procope qui apporte un commentaire analogue à propos de la guerre des Goths[103]. Vitigès disposait des mêmes engins de guerre ; les gens de sa race en avaient appris le maniement du jour où ils avaient commencé à peupler les armées romaines. Je ne songe pas à étudier ces textes en détail ; une telle analyse, avec essais de restitutions, a été faite depuis longtemps et bien des fois[104]. Je rappelle seulement en quelques mots les principaux types et leur emploi.

On pouvait se servir en rase campagne, ou, dans les sièges, à la fois pour l’attaque et la défense, de la baliste et de l’onagre (ou scorpion). Procope les caractérise mieux que personne : la première est comme un arc qui lance une flèche gigantesque, poussée par la détente avec une telle rapidité que, dit Ammien, il en sort parfois des étincelles ; l’onagre est «semblable à une fronde énorme, projetant, à ressort lâché, une masse de pierres qu’un homme ne pourrait agiter et ébranlant le sol sous la violence de la secousse[105]. Les scorpions de la Xe légion, au siège de Jérusalem, lançaient des pierres pesant au moins un talent, et dont la portée dépassait deux stades ; elles renversaient plusieurs rangs de soldats[106]. Devant Jotapat, Vespasien avait disposé cent soixante machines[107] : dans le nombre, il y avait aussi des béliers, longues poutres à têtes de fer, balancées sur des cordes de suspension et qu’on faisait porter, après le maximum de recul qui leur fournissait de l’élan, sur le mur à renverser[108]. A l’un d’eux, pour ses exploits, les Juifs avaient donné le surnom de Nicon (le vainqueur)[109].

Ammien déclare que de son temps le bélier était méprisé et remplacé par l’hélépole (ou hélopole), du reste très anciennement connue. La seule différence entre eux est que la poutre, au lieu d’être simplement suspendue à une sorte de gibet, exposé à la vue et aux coups, fonctionnait, dans l’hélépole, à l’abri sous une sorte de cabanon pourvu de roues et où les servants se plaçaient eux-mêmes à couvert. L’hélépole n’était ainsi qu’une combinaison du bélier et de la tortue, machine d’osier en forme de toit, close de tous côtés, et sous laquelle les assiégeants entreprenaient les travaux de sape ou de mine[110]. Ses roues la rendaient mobile ; aussi n’était-il point nécessaire de la démonter pour la transporter sur des chariots, et on évitait de la sorte un formidable embarras d’équipages ; enfin elle entrait plus vite en action et exposait beaucoup moins d’existences.

La plupart de ces engins représentaient un volume et un poids considérables ; des outils de moindre masse pouvaient suffire aux assiégés, dont l’affaire était de tuer plus que de démolir, ou qui ne visaient du moins que des constructions improvisées, moins stables que des maçonneries. Voilà comment les habitants d’Amida opposèrent aux travaux des Perses des balistae leviores[111] qui suffirent à faire avorter un assaut.

Déjà, sous Vespasien, les Juifs firent montre d’une grande ingéniosité pour neutraliser ou atténuer l’effet des batteries romaines. Josèphe s’attribue à lui-même[112] l’idée, qui fut appliquée, de planter devant les murs de grosses poutres, où l’on attachait des peaux de bœufs nouvellement tués, encore humides et molles, contre lesquelles s’abattaient sourdement les flèches et les blocs[113]. Une autre fois, il fil remplir de paille quantité de sacs qu’on descendait avec des cordes et qui s’interposaient juste à l’endroit où le bélier allait frapper[114]. Rivalisant d’adresse, les Romains coupaient les cordes avec des faux fixées à de longues perches[115]. Titus ayant remarqué que la blancheur des pierres de fronde dénonçait leur venue, et que les Juifs avaient le temps de s’avertir réciproquement et de se jeter à terre pour laisser les projectiles passer au-dessus d’eux, il essaya de faire noircir les pierres, et Josèphe assure que l’invention lui réussit[116].

Un des assiégés de Jotapat, en précipitant une lourde pierre sur la tête d’un des béliers, parvint à la rompre[117]. Artifice accessoire, dont on ne pouvait attendre que des succès partiels, insuffisants. La grande ressource était plutôt l’incendie, à l’aide du soufre, de la poix, du bitume et autres combustibles[118] ; mais, il fallait parfois pour y réussir, opérer une sortie audacieuse, comme les Juifs en essayèrent, se heurtant à la cavalerie et aux archers que Titus avait disposés tout autour des pièces, renversant même de la main les couvertures étendues sur elles[119]. Il est certain qu’au premier siècle on avait déjà imaginé ces malleoli ou phalaricae, décrits par Végèce et Ammien, sortes de dards enflammés, qu’on dirigeait sur les peaux enveloppant les tortues et les béliers, et que l’eau n’éteignait pas, mais seulement le sable et la poussière. Il ne semble pas cependant que les Juifs s’en soient servis. On peut croire du reste que l’effet n’en était pas très sûr, peut-être parce qu’il n’était pas aisé de leur donner la rapidité convenable : partant trop vite, ils ne restaient pas allumés. Du moins, au temps de Constance et de Julien, on continuait à user de revêtements en cuirs mouillés[120].

On ne voit pas nettement quand les Perses commencèrent à construire eux-mêmes des batteries de siège ; Ammien rapporte que contre Amida ils dressèrent quae direpta Singara posséderant[121] ; il y en eut de brûlées par les Romains, mais peut-être pas toutes, puisque plusieurs pièces demeurèrent en activité[122]. Lorsque Constance voulut reprendre Bezabde, il se servit d’un énorme bélier que les Perses autrefois avaient emmené d’Antioche et laissé à Carrhae[123] ; les assiégés se défendent avec des tuiles, des meules, des fragments de colonnes ; il n’y a qu’une allusion vague à des machines[124]. Au siège d’Amida, sous Anastase, l’artillerie persane est passée sous silence par les chroniqueurs ; au contraire, il nous est conté que les habitants construisirent une formidable fronde, que les Perses appelaient dans leur langue Toubaha, parce qu’elle leur interdisait tout travail d’approche et les décimait : elle projetait des pierres de plus de 300 livres, qui fracassaient les toitures des plutei et écrasaient les hommes postés au-dessous[125]. Devant Édesse, l’armée du roi Cavad subit les coups des machines que les habitants avaient dressées sur les remparts, protégés eux-mêmes par des lapis de crins[126].

Nos sources occidentales donnent peu d’éclaircissements sur l’emploi que les Perses ont pu faire des machines de guerre : c’est à coups de béliers dans une tour récemment construite et encore mal séchée qu’ils forcèrent l’entrée de Singara[127] ; Malalas dit aussi que, grâce à leurs engins, ils détruisirent, sous Justinien, les murs de Gabbula[128]. Il n’est pas douteux que ce matériel leur était aussi familier que tout autre dont nous aurons encore à traiter. Du reste, au cours des temps, ces procédés s’étaient vulgarisés, répandus chez les barbares autant que dans les deux grandes nations. Ce sont même des barbares qui réalisèrent le dernier progrès que nous puissions signaler dans la période qui nous intéresse : L’attirail militaire allait se compliquant, s’alourdissant ; les cuirasses des cataphractaires devenaient, dans les deux armées, plus épaisses et plus volumineuses ; les engins de trait et de percussion prenaient aussi plus de masse et de pesanteur. C’était un embarras pour les troupes, peu considérables en général, qui opéraient dans ces contrées. Une réaction se dessina en faveur d’une mobilité plus grande et d’une simplification des moyens ; elle se manifeste dans l’artillerie par l’invention du bélier des Huns.

Il était fait de perches, couvertes de peaux, remplaçant les anciennes solives qui soutenaient le toit ; on n’avait conservé de poutre que pour l’instrument de choc proprement dit ; l’ensemble en était fort allégé ; il n’y avait donc plus nécessité de le traîner, avec beaucoup de peine, dans les mauvais chemins. Une quarantaine d’hommes le soutenaient ; ils tenaient en main des pieux garnis de crocs de fer, avec lesquels ils abattaient les pierres des murs, déchaussées par l’effet du bélier. Les Huns construisirent un certain nombre de ces machines qui servirent aux Byzantins dans la guerre lazique[129] ; le général perse Mermeroes, les ayant entendu vanter, en fit faire lui-même par les Sabires de son armée[130].

Durant la République et au début du Haut-Empire, l’artillerie, nous l’avons vu, servait aussi bien dans les batailles ; mais je crois qu’à la longue elle n’eut plus guère son emploi, du moins en Orient, que dans les sièges ; nos sources conduisent à cette conclusion. Cela tient essentiellement au fait que j’ai déjà signalé : l’ambition chez tout général de se rendre maître des villes et forts qui encombraient sa route. A partir du VIe siècle surtout, en raison du système ordinaire de recrutement, les expéditions prennent bien souvent la forme d’entreprises de pillages ; on cherche à faire des prisonniers parmi les populations pacifiques, à leur extorquer une onéreuse capitulation, à se ravitailler à leurs dépens. Les troupes de surveillance, aux frontières, étaient peu nombreuses, faciles à dépister, et celles de réserve lentes à réunir ; la tactique des coups de main s’imposait donc.

Les hautes murailles dont s’entouraient les camps et villes ne pouvaient généralement être abattues, ou traversées d’une brèche, par le jeu des pièces simplement posées au niveau du sol. Le premier acte de toute entreprise sérieuse contre une importante forteresse était l’investissement ; et le blocus ne s’établissait d’une façon satisfaisante qu’au moyen des lignes de circonvallation, fossés et parapets, aménagés à une certaine distance de l’enceinte[131]. Par contre, pour permettre aux béliers l’approche des remparts, on comblait, au moins sur quelques points, les fossés de défense[132]. Ce travail, un des plus périlleux, à cause du voisinage de l’ennemi en surplomb, s’accomplissait sous la protection des mêmes clayonnages ou toitures de peaux, qui préservaient aussi les pièces et leurs servants.

Quant aux batteries, leur trajectoire restait d’une justesse très incertaine tant qu’on n’arrivait pas à jeter un coup d’œil sur l’intérieur de la ville ; l’agger répondait à celte nécessité : ce nom désignait tout monticule atteignant le niveau des murailles. On l’échafaudait à l’aide de matériaux divers : ainsi, pour la terrasse que Vespasien fit élever devant Jotapat, du côté le plus abordable[133], on tira quantités de bois et de pierres des montagnes voisines ; la terre, on la prenait aux lieux les plus proches, et on se la passait de main en main ; les bois formaient une sorte d’armature renforcée par un blocage[134]. Du sommet, on pouvait lancer un pont donnant accès à la crête des murs[135]. Si la terrasse ne suffisait pas, on lui juxtaposait — ou superposait— une tour, grand travail en charpente, menacé d’incendie comme les machines, et qu’on recouvrait donc de cuir, parfois même de plaques de fer[136].

C’était une rude et longue entreprise que la construction de ces tours, et il n’apparaît pas qu’elles aient rendu des services proportionnés. Les sièges dont nous avons des récits complets aboutissaient d’ordinaire, grâce à quelque autre tactique[137] ; et dans ces succès la mine avait souvent le premier rôle, ou bien la sape. Gamala fut prise très simplement : trois soldats de garde se glissèrent nuitamment jusqu’au pied de la plus haute tour de la cité ; ils arrachèrent des fondements cinq grosses pierres et se retirèrent ; la tour tomba, entraînant ceux qui y étaient postés[138]. Contre les ouvrages des assiégeants, aussi bien que contre les fortifications d’une ville, on pouvait employer — et on employa bien des fois — un procédé banal : ainsi Jean de Giscala fit miner une des terrasses des Romains et soutenir avec des pieux la terre au-dessus du sol ; puis on jeta dans la fosse du bois enduit de résine, de poix et de bitume, auquel on mit le feu ; les étais consumés, la terrasse s’effondra[139]. Quand les Romains voulurent reprendre Amida, sous Anastase, ils firent de même, mais le parement extérieur du mur tomba seul. On creusa davantage pour amener l’affaissement total : mis en éveil, les Perses bouchèrent le trou, et, au-dessus de la terre tassée, maintinrent un fossé qui longeait intérieurement l’enceinte ; ils y dirigèrent une source, afin d’être avertis par l’écoulement de l’eau, si les Romains poursuivaient leur tentative[140]. Une autre fois, dans une sortie, les assiégés de Bezabde, allant discrètement, courbés, glissent des brandons dans les jointures d’une terrasse, faite de branches d’arbres et de roseaux, qui ne fut pas longue à prendre feu[141]. L’escalade même, malgré ses risques évidents, fut, semble-t-il, encore plus profitable. C’était, ou la méthode du premier jour, dans la confiance du début, ou l’entreprise finale, dans l’exaspération d’une longue impuissance. Aux derniers moments du siège de Jérusalem, les Romains grimpent à l’assaut du temple, sur des échelles que les Juifs renversent toutes chargées d’hommes, avec opiniâtreté[142]. Au cours d’un siège eu Arménie, un soldat byzantin, s’étant muni de coins aigus, en enfonce un dans le joint de deux pierres d’assise, y pose un pied, insinue un autre coin plus haut, pour l’autre pied, et s’efforce de monter en se cramponnant aux pierres saillantes. Deux fois on le repoussa ; il réussit à la troisième, et d’autres l’imitèrent[143].

Perses et Romains rivalisaient d’ingéniosité : pendant l’un des nombreux sièges de Nisibis, le roi Sapor imagina d’intercepter très en amont le Mygdonios, dont le lit traversait la ville : il laissa les eaux s’accumuler contre les rives surélevées et soudain leur donna libre cours, les lançant comme un bélier contre le mur de la ville qu’elles culbutèrent. Il attendit jusqu’au lendemain, afin de trouver un passage à gué, quand la boue aurait séché, puis se précipita avec toutes ses troupes, mais s’aperçut que le double mur avait été entièrement relevé durant la nuit[144]. Les Byzantins s’emparèrent du fort de Tzacar en Colchide grâce à un soldat isaurien : ayant épié les gens qui venaient de nuit chercher de l’eau à une source, il observa discrètement la disposition des lieux, et une bande d’assiégeants réussit à pénétrer par cet endroit dans l’intérieur[145].

Les Sassanides furent toujours alarmés de la menace que constituait eu face d’eux la forte place de Dara et s’acharnèrent à la neutraliser ou à la prendre : Chosroes, un jour, y envoya un ambassadeur avec une nombreuse suite ; ces hommes devaient essayer de trouver logement dans différentes maisons et d’y allumer l’incendie, l’obscurité venue ; après quoi ils ouvriraient les portes à une armée que le gouverneur de Nisibis avait ordre de tenir prête aux alentours. Mais les habitants conçurent des soupçons contre cette députation trop brillante, refusèrent de l’introduire, et le coup avorta[146]. Un autre échoua, aussi indigne du succès[147] : Archéopolis, ayant beaucoup souffert du bélier des Huns, tenait cependant toujours ; un traître promit au général perse de livrer la ville, si on lui permettait seulement d’incendier les greniers, pensant que l’ardeur des habitants à éteindre la flamme diviserait leurs forces pendant l’assaut aussitôt donné. Mais il n’y eut qu’un petit nombre d’assiégés qui courut au feu ; les autres firent une sortie qui mit les Perses en pleine déroute[148]. C’est par ruse que celte nation s’empara de Martyropolis en Arménie : le chef Siltas y dépêcha 400 hommes qui feignirent de se rendre aux Romains ; la population les accueillit comme des transfuges : une fois dans la ville, ils s’en rendirent maîtres[149].

 

§ VI. — Transfuges et espions.

Il était naturel de croire à des transfuges : cette histoire où je glane des anecdotes est remplie de trahisons. Elles ne se manifestent pas seulement à l’occasion des sièges ; elles encombrent les annales militaires et diplomatiques. On sait de reste que les anciens ne professaient pas sur le patriotisme nos doctrines rigoureuses ; au surplus, la composition des armées, l’abus des mercenaires conduisaient fatalement à la destruction de tout scrupule national. A en croire certains auteurs cependant, les Perses, à cet égard, auraient été plus fermes[150]. Les faits, malgré tout, démentent celle exception. Ammien lui-même signale des tentatives de corruption, sur des satrapes au-delà du Tigre, par des députés chargés de présents[151]. Le peuple parthique, d’où sortit un si grand nombre d’émigrés, semble néanmoins avoir éprouvé une certaine répugnance à favoriser les trahisons chez l’ennemi[152] ; la stratégie officielle des Byzantins ne s’embarrassait pas de pareils scrupules[153]. Dans le traité de paix conclu entre Chosroes et Justinien, qui réglait notamment le sort de la Lazique, une disposition est prise à l’égard des transfuges. Article VI : Si quelques-uns de ceux qui, pendant la guerre, ont passé d’entre les Romains chez les Perses, ou réciproquement (ηύτομόλησαν), désirent s’en retourner dans leur pays, ils seront libres de le faire ; mais cette liberté cessera à partir de la paix, et alors, le cas échéant, il y aurait extradition[154].

La même inconstance se laisse remarquer chez les Juifs, malgré la rage désespérée avec laquelle la plupart combattirent ; quelques-uns, il est vrai, ne trahissaient qu’en apparence[155] ; mais d’autres livrèrent réellement Jotapat en conseillant à Vespasien de donner l’assaut le matin, quand tous les assiégés, accablés de fatigue, étaient encore endormis[156] ; ce qui fut fait. D’autre part, comme je l’ai rappelé, les Juifs eux-mêmes apprirent de transfuges romains les procédés de l’artillerie[157]. En somme, c’est bien du côté romain surtout que paraissent s’être multipliées les défections[158].

Elles avaient parfois des motifs bien futiles[159], mais généralement se fondaient sur l’intérêt ; un cas caractéristique est celui de cet Antonin dont Ammien[160] nous parle tout au long : Ancien marchand, attaché au bureau du duc de Mésopotamie et ruiné par des procès, il avait passé une de ses dettes au compte du fisc ; il commença dès lors à intriguer chez le voisin el à communiquer des secrets[161]. Il avait acheté un petit fonds dans la province perse la plus proche, au-delà du Tigre, afin de donner un prétexte à ses déplacements continuels. Au jour de l’échéance de sa dette, il franchit le fleuve définitivement, fut accablé d’honneurs et persuada le satrape Tamsapor d’entrer aussitôt en campagne. Un autre transfuge, Craugasius, gros bourgeois de Nisibis, tenait au roi un langage identique[162]. Ammien lui-même, échappant avec peine aux escadrons massés près de la frontière, rencontra vers Maiocarire un soldat parisien, que la crainte du châtiment, pour un crime par lui commis, avait poussé à servir d’espion aux ennemis[163].

Les mentions isolées de transfuges sont fréquentes[164] ; on les cite à côté des vedettes d’avant-garde, dont ils facilitaient la tâche[165], et il est probable que les espions officiels étaient pour une bonne part recrutés parmi eux. Il fallait pour cette profession certains talents polyglottes[166], difficiles à réunir. Rien de tel pourtant ne nous est dit par Procope, notre source unique sur ce sujet[167]. C’est une coutume établie[168] chez Romains et Perses d’entretenir aux frais de l’Etat des espions (κατάσκοποι), qui vont secrètement chez l’ennemi et rendent compte de ce qu’ils y ont vu. La plupart sont fidèles à leurs concitoyens ; mais d’autres les trahissent : tel fut le cas d’un espion des Perses qui vint annoncer à Justinien une attaque prochaine contre les Romains, avec l’assistance des Massagètes. L’Empereur le paya pour aller dire aux Perses, qui assiégeaient Martyropolis, que les Massagètes s’étaient laissés corrompre et changeaient de camp[169].

Un anonyme byzantin fait allusion, à propos des transfuges (αύτόμολοι), à une ruse des Perses qui, sous couleur de présents, dépêchèrent dans une ville ennemie un corps de troupes, lequel s’en empara[170] ? Le Strategicon de Maurice contient bon nombre d’avis sur la question : Certains chefs ont décidé d’envoyer à l’ennemi de soi-disant transfuges, pour lui faire croire que l’armée dont ils faisaient partie éprouve des inquiétudes[171]. — Il ne faut pas accorder immédiatement sa confiance à ceux qui font défection, car souvent leurs allégations sont mensongères, mais plutôt à ceux qui ont été capturés dans une escarmouche[172]. Quant à ces derniers, s’ils n’ont pu observer chez nous que le bon ordre, les renvoyer ; ils effraieront l’ennemi par leurs rapports ; s’ils nous ont surpris en fâcheuses dispositions, les mettre à mort ou en lieu sûr[173]. Du reste, la possibilité de trouver des gens qui inclinent à trahir paraît si grande qu’il faut envoyer des πρόδρομοι (exploratores, observateurs d’avant-garde), ne serait-ce que pour les recueillir[174].

Il est clair que de tout temps des services d’éclaireurs ont été organisés : Plutarque rappelle les σκοποί de Lucullus et les σκοΰλκοι de Crassus[175], dont les qualifications semblent répondre aux termes d’exploratores et de praecursores[176] ; toutes les armées en ont[177], mais le détail nous en échappe[178]. Le Strategicon de Maurice s’applique à préciser certains termes : à cette date, celui d’exploratores[179] serait le plus exact (en grec κατόκοποι[180]) ; on appellerait cursores ceux qui poursuivent les fuyards, appuyés par des defensores en cas de grave retour offensif. Mais la terminologie semble flottante, ou tout au moins les cadres[181].

Traîtres et déserteurs avaient un rôle de premier ordre dans des campagnes entreprises sur de vastes étendues, mal connues de l’envahisseur et aussi déconcertantes que l’était, par exemple, le plateau arménien ; il fallait des guides expérimentés[182]. Ce fut encore là l’origine de plus d’un guet-apens. Dans la guerre lazique, les Dolomites de Nacoragan voulaient surprendre dans leur sommeil les Sabires de l’armée byzantine ; en route, ils prirent pour guide un Colque, qui gagna de l’avance, s’échappa et courut avertir les dormeurs : à leur arrivée, les Dolomites furent massacrés[183]. Une autre fois, le chef des Byzantins envoie 50 hommes découvrir les intentions des ennemis ; ils rencontrent deux espions vêtus à la romaine et les gardent avec eux ; mais ceux-ci, pour sauver leur vie, se déclarent du parti qui les a surpris et proposent à ces éclaireurs de les conduire nuitamment, par un chemin détourné, à un endroit où ils pourront assaillir à l’improviste les Perses couchés sur l’herbe. Et, dans leur crédulité, les 50 se laissent entraîner dans une savante embuscade[184].

 

§ VII. — Stratagèmes divers.

Le droit parlementaire lui-même était peu respecté dans la pratique : avant d’attaquer Bezabde, Sapor délégua des caduceatores pour proposer la paix, qu’assurerait une reddition immédiate ; les habitants, dit Ammien[185], ne leur firent pas de mal, quoiqu’ils se fussent fort approchés des murs, parce que ces parlementaires avaient pris la précaution d’amener avec eux des prisonniers de Singara, que les Romains ne voulaient pas frapper par maladresse.

On ne saurait, à vrai dire, reprocher aux belligérants d’avoir profité des infériorités temporaires qu’infligeait à l’un d’eux telle observance religieuse : Pompée s’empara aisément de Jérusalem grâce au sabbat, durant lequel les Juifs restaient inactifs ; il eut ainsi toute liberté de combler le fossé et la vallée du secteur nord, d’y disposer ses tours et ses engins[186]. Pareillement, l’armée perse attaqua une fois ses adversaires chrétiens la veille de Pâques, eu égard au jeûne qui les avait affaiblis[187] ; dans une autre circonstance, elle choisit le dimanche, jour de prières, où l’on oubliait les batailles[188]. Quant aux Byzantins, ils tinrent souvent grand compte d’un fait tout à leur avantage : ils prenaient de la nourriture dès le matin, les Perses rien que le soir ; il convenait donc de provoquer ceux-ci dès la seconde moitié du jour, avant qu’un repas les eût réconfortés[189].

On pourrait citer encore bien d’autres traits de cette stratégie à côté : ainsi la feinte des Juifs de vouloir traiter de la paix[190] ou même se rendre[191], afin de reprendre haleine ou d’exposer à leurs coups une petite troupe isolée et confiante. A Jotapat, Josèphe se fait apporter de l’eau la nuit par un passage mal gardé, dans un ravin ; ses hommes s’y glissent à quatre pattes, couverts de peaux, afin de passer pour des animaux[192].

Pour approvisionner d’eau Pétra, en Lazique, Chosroes avait fait construire un aqueduc portant trois canalisations superposées ; les Romains s’y trompèrent, crurent que l’eau passait seulement à l’étage supérieur, qu’ils coupèrent ; ils furent ensuite informés de leur erreur et interceptèrent les deux autres conduites[193] ; mais dans l’intervalle la garnison n’avait pas souffert de la soif. Un amusant stratagème individuel est celui par lequel Ammien[194] et Ursicin, chargés de mission, passèrent indemnes à travers les lignes ennemies : ils se sauvèrent à droite et laissèrent aller librement vers la gauche un cheval portant une lanterne allumée, qui détourna d’eux l’attention.

La prédilection pour les feintes des armées byzantines était presque proverbiale ; les campagnes d’Héraclios ne sont guère qu’une succession de stratagèmes, de succès inégal[195]. Les Perses savaient bien que les Byzantins recouraient souvent à la retraite simulée pour recommencer l’assaut dans des conditions plus favorables[196] ; aussi Shahrbarâz ne voulait-il pas prendre au sérieux le recul des troupes d’Héraclios ; mais celui-ci s’affirmait au point de rendre indubitable une véritable défaite. Alors le général perse se décida à abandonner sa position fortifiée, dont le gros d’Héraclios, du même coup, s’empara par un mouvement tournant[197]. Quinze jours plus tard, une feinté  analogue amenait  l’écrasement  de  l’ennemi[198].

Ajoutons que les mêmes expédients servaient à tour de rôle entre deux adversaires, qui se faisaient des emprunts réciproques : Héraclios avait exercé ses troupes à pousser des cris et faire du vacarme dans le combat[199] ; peu après, les Arabes de Mançour, approchant du camp byzantin, se mettent à battre du tambour, sonner de la trompette, hurler de compagnie ; les Romains se croient attaqués par une foule innombrable et, de frayeur, se précipitent dans la rivière à laquelle leur camp était d’autre part adossé[200]. Lorsque le roi Péroze guerroyait contre celui des Ephthalites, ce dernier ordonna de creuser un fossé large et profond, qui n’était interrompu au milieu que par un passage suffisant pour dix cavaliers de front, et qu’on recouvrit de roseaux et de terre. Quelques-uns, de loin, attirèrent les Perses, qui coururent à toutes brides et se précipitèrent dans le fossé, où la plupart trouvèrent la mort[201]. Cette ruse des barbares eut dans tout l’Orient un retentissement considérable ; les Romains ne manquèrent pas de se l’approprier[202], et un siècle plus tard Maurice le recommandait chaudement dans son Strategicon[203].

Après de longs développements sur les sièges, je me suis encore attardé aux menus faits anecdotiques des guerres. En fallait-il faire abstraction et m’en tenir aux grandes lignes de l’organisation militaire, au détail topographique ? Je ne l’ai pas pensé ; nous n’aurions par cette méthode qu’une idée incomplète et fausse de la défense de l’Euphrate. Celle-ci n’a pas été assurée pendant plusieurs siècles — malgré de fréquentes alertes — par la seule prévoyance qui plaçait sur le limes des forteresses et des garnisons. Il ne s’agissait guère pour les Parthes — mieux encore, pour les Sassanides — et il ne suffisait pas, de forcer sur quelque point un cordon de défense théoriquement continu ; il y avait dans ces vastes contrées mitoyennes tant de centres d’achoppement, tant de pièges à loups, qu’aucun pas décisif n’était fait, même après de   nombreuses   rencontres. Cette force  très   réelle et imposante de l’armée perse s’usait en ces efforts multipliés, sans s’épuiser assurément, sans atteindre non plus dans sa vitalité le grand empire occidental, hormis des cas très rares et dont ce dernier parvint à se tirer. La protection de la frontière d’Orient se résume pour une bonne part dans cette série indéfinie d’escarmouches, de sièges — sans résultat ou réussissant trop tard, en fin de saison, — de pourparlers dilatoires, de perfidies[204], de grandes et petites habiletés[205]. Tout ce fatras, pittoresque en somme si l’on y fait un choix, ne pouvait être ôté de mon sujet sans en altérer en quelque mesure la véritable physionomie[206].

 

 

 



[1] The History of the Décline and Fall the of Roman Empire, by Edw. Gibbon, edited by J. B. Bury, London, t. I à V (1897-98).

[2] On trouvera l’analyse des négociations diplomatiques du VIe siècle, et le tableau général des guerres contre les Sassanides, dans l’opuscule de Karl Güterbock, Byzanz uni Persien in ihren diplomatisch-völkerrechtlichen Beziehungen im Zeilalter Justinians, ein Beitrag zur Geschichte des Völkerrechts, Berlin, 1906.

[3] Il expose l’ordre de marche de Vespasien (B. J., III, 115 sq.) et un peu plus loin (V, 47-49) celui de Titus, presque dans les mêmes termes, mais plus abrégés.

[4] Cf. Salluste, Histor. reliq., 74 (Maurenbrecher, I, p. 187) : Tum vero Bithynii propinquantes iam amnem Arsaniam (ce sont des auxilia, placés en avant, qui atteignent les premiers le fleuve).

[5] Ceci avait un intérêt bien faible dans les plaines mésopotamiennes, capital dans les vallées d’Arménie. Cette disposition fut sûrement observée par Lucullus, Pompée, Antoine, Corbulon, bien que nos sources n’en disent rien.

[6] V. infra, § III.

[7] On voit que dans l’agmen le système des détachements est général. Aucun corps ne forme une masse intacte ; beaucoup d’hommes en sont distraits pour services spéciaux.

[8] Plutarque, Antoine, 38.

[9] Ceux de Cestius étaient bien plus méprisables.

[10] Plutarque, Lucullus, 31 : douze cohortes en front de bataille, les autres par derrière, à la file ; l’ennemi en éprouva grand effroi. C’est à peu près la disposition adoptée par Crassus (Plutarque, Crassus, 23).

[11] La flotte de Septime Sévère fut jetée contre les berges et plusieurs bateaux de Julien engloutis par l’Euphrate, soudain enflé et sortant de son lit (Ammien Marcellin, XXIV, 1, 10).

[12] Ammien Marcellin, XXIV, 1, 4 ; 13 ; XXIV, 1, 2 : neper locorum insolentiam insidiis caperetur occultis, agminibus incedere quadratis exonus est (voilà bien la confusion de l’ordre de marche et de l’ordre de bataille) ; 1, 3 : Pour faire illusion sur la force de ses troupes, il espace les rangs, faisant occuper à son armée une longueur de dix milles (quinze kilomètres).

[13] Ammien Marcellin, XXV, 6, 9. — Nous sommes loin des chiffres de Végèce (I, 9) : 20 milles (près de 30 kilomètres) en cinq heures d’été, pour une troupe exercée, 24 dans les marches accélérées, sur une bonne chaussée et par petites divisions.

[14] Cf. Plutarque, Antoine, 45. — Un autre principe corrélatif, c’était de ne jamais faire de petits paquets, et d’avancer en masse solide (ibid., 42).

[15] Les Parthes préféraient l’éviter ; les plus vieux officiers de Pompée lui avaient recommandé de brusquer l’attaque ; les Romains avancèrent, ayant la lune à dos ; les ombres des corps, se prolongeant, trompaient les ennemis sur l’intervalle entre eux et les Romains : ils lançaient en vain leurs traits qui n’atteignaient personne. Les Romains se jettent à grands cris sur eux, qui n’osent plus attendre et se sauvent ; mais il en périt plus de 10.000 et leur camp fut pris (Plutarque, Pompée, 32).

[16] Plutarque, Antoine, 45 ; cf. 49. C’est également à propos de la guerre d’Antoine en Arménie que Dion Cassius décrit, plus longuement encore, le système de la tortue (XLIX, 30).

[17] Josèphe, B. J., II, 537 ; VI, 26.

[18] Josèphe, B. J., IV, 33-34.

[19] Zosime, I, 52, 1.

[20] Ammien Marcellin, XX, 11, 8.

[21] Dion Cass., XLVIII, 40 ; XLIX, 20.

[22] Ammien Marcellin, XVIII, 7, 3-4.

[23] Il avait pour familier un roitelet, qu’il savait néanmoins plutôt partisan des Arsanides. Il affecta la confiance envers lui, lui fît des confidences peu dangereuses, mais propres à laisser croire qu’il lui dévoilait des secrets ; puis il feignit de redouter qu’au lieu de passer par Zeugma, suivant leur ordinaire, les Parthes ne prissent un autre chemin, en aval. Il disait : la route de la plaine est propice aux ennemis, celle des collines convient aux Romains. Pacorus, abusé par cette communication, prit en effet le chemin de plaine, bien plus long, donnant à Ventidius le délai voulu pour se concentrer (Dion Cass., XLIX, 19).

[24] Or. I, 21 C.

[25] XI, 2, p. 254-60. Cf. ce passage (VIII, 2, p. 196) qui vise sûrement les campagnes d’Orient : Le chef doit avoir plus de cavaliers que de fantassins ; les uns sont pour la lutte de pied ferme, les autres pour charger et revenir, mais au besoin ils peuvent descendre de cheval et combattre à pied.

[26] Cf. Theoph. Simoc, II, 4, 7.

[27] Strateg., I, 3, p. 29.

[28] Strateg., II, 4, p. 54 sq. ; add. III, 14, p. 99 sq.

[29] Strateg., p. 58.

[30] Josèphe, B. J., III, 317 sq.

[31] Josèphe, B. J., VI, 68-80.

[32] Josèphe, B. J., VI, 131-136.

[33] Ammien Marcellin, XIX, 3, 1-2.

[34] Ammien Marcellin, XIX, 6, 7-11.

[35] Ammien Marcellin, XIX, 5, 5. Les instructions de Maurice, plus développées ailleurs (Strateg., IX, 2, p. 205-211), furent suivies à la lettre par Héraclios, aux environs de la ville actuelle de Van (Theophan., 311). C’est le seul exemple que j’aie retrouvé dans les auteurs. — Cf. encore Strateg., IX, I, p. 201 sq. Maurice déconseille seulement les marches de nuit en pays ennemi ; il faut une nécessité absolue, et alors le plus grand secret (IX, 3, p. 212).

[36] Cela dépend pourtant des races que l’on met en ligue : Parthes et Gaulois sont familiarisés avec les plaines ; aux Espagnols et Ligures conviennent les lieux accidentés, aux Bretons les forêts, aux Germains les plaines détrempées (VIII, 2, p. 196). Add. VII bis, 2, p. 150 : Éviter les montagnes quand on se bat contre des archers ; ils pourraient décocher leurs traits d’un niveau supérieur.

[37] XI, 3, p. 263-264.

[38] Aussi Arrien, Tactic., XI, 2 (Kœchly-Rüstow, II, 1, p. 304-6) recommande, pour les battre, la formation en έμβολον ou éperon de navire. Nous avons un exemple unique de la disposition des fantassins en coin aigu contre les Perses eux-mêmes (Procope, B. P., I, 18, 46).

[39] Strateg., XII, 8, 3, p. 304.

[40] Aussaresses, loc. cit., p. 26-27.

[41] IV, 5, p. 117 sq.

[42] Qu’on se rappelle à ce propos Suréna, à la bataille de Carrhae (53 av. J.-C.) : Il avait placé ses masses derrière la première ligne et voilé l’éclat de leurs armes en les faisant recouvrir d’étoffes et de peaux (Plutarque, Crassus, 23).

[43] VII, 16, p. 147 ; add. VII, 7, p. 141.

[44] VIII, 2, p. 190.

[45] C’est là une question très difficile : on a bien trouvé à Eaccaea l’épitaphe d’un έρμηνεύς έπιτρόπων, mais cela ne concerne que l’administration civile (Waddington, 2143). Théophylacte Simocalta (II, 10, 6) mentionne un έρμηνεύς... τοΰ Σαρακηνικοΰ φύλου, τοΰ έπικουροΰντος ‘Ρωμαίοις. L’interprète Paul, un Romain, (Procope, B. P., II, 6, 22) doit avoir été au service de la Perse.

[46] Strateg., XII, 8, 7, p. 306-7.

[47] Add. Veget, III, 24, qui préconise en outre les balistes, les chars portant des guerriers armés de longues sarisses, les vélites à pied couverts d’armures garnies de pointes de fer.

[48] Procope, B. G., IV, 14, 35 sq. ; cf. Agathias, III, 9, 8 : Un Romain plante sa lance dans le front d’un éléphant qui, exaspéré par sa blessure, s’agite avec rage et sème le désordre dans l’armée perse.

[49] Souvent le roi des rois monte lui-même un éléphant, au lieu d’un cheval, ainsi pour le passage d’un fleuve (Evagr., V, 14).

[50] Sur l’arc de triomphe de Salonique (Kinch, pl. V, p. 37) on voit les Perses, en cortège, venant offrir des cadeaux à Galère : éléphants, lions, tissus de pourpre et d’or.

[51] Vit. Gordian. III, 27.

[52] Kinch, pl. VII, p. 28-29. Il semble que, dans la guerre même, les Perses faisaient traîner des chars à ces animaux : cf. pl. VIII, p. 42.

[53] Héraclios rentra d’Orient à Constantinople sur un char tout pareil (Nicephor. Patr., p. 26 Migne).

[54] Theoph. Simoc, V, 10, 10.

[55] Tacite, Ann., XV, 12. Hygin appelle epibatae les dromedarii et les dit affectés au service des transports ; cf. la colonne de Théodose à Constantinople, qui en donne une représentation (Dictionnaire des antiquités, I, fig. 1050).

[56] Clermont-Ganneau, Rec. d’archéol. orient., II (1898), p. 127.

[57] Cf. Waddington, 1946 (= CIL, III, 93), Bostra : dromedarii ; 2267, Namara : δρομεδάρι(ο)ς ; add. 2425.

[58] Epitomé, III, 23.

[59] Add. Pline, H. N., VIII, 68 : velocitas utequo.

[60] Cf. Fiebiger, Dromedarii, Pauly-W.

[61] Plutarque, Lucullus, 26.

[62] Josèphe, B. J., V, 47.

[63] Cf., par ex., Agathias, III, 9, 3.

[64] B. G., IV, 13, 5.

[65] Procope, B. P., II, 25, 23 ; cf. Agathias, II, 9, 5.

[66] Agathias, III, 9, 2.

[67] B. P., II, 21, 22.

[68] Cf. Arrien, Anabas., V, 7, 3.

[69] Eunap., ap. Suidas, s. u. Ζεΰγμα.

[70] Theophan., Chron., 313.

[71] De même Babram traverse le Tigre sur un pont de bateaux ; pour qu’il ne serve pas à d’autres, on coupe, après l’avoir franchi, les cordages qui le retenaient (Macler, Sébéos, p. 14).

[72] Ammien Marcellin, XXV, 6, 15.

[73] Une autre fois, le manque de bateaux mettant obstacle à la traversée d’un fleuve, on plaça des lits, trouvés dans des maisons de campagne, sur des outres, faciles à se procurer dans la région qui était couverte de vignobles ; les principaux de la troupe s’étendirent chacun sur un de ces lits et, tirant leurs chevaux après eux, coupèrent obliquement le courant (Ammien Marcellin, XXX, 1,8-9).

[74] Solin., LVI, 8 : Arabes Ascitas ; cf. Pline, H. N., VI, 176.

[75] V. De la Berge, Essai sur le règne de Trajan, Paris, 1877, pp. 172 sq., 177, 179 note 1 ; les renseignements de Dion Cassius (LXVIII, 28) doivent être erronés, comme il le dit, et s’expliquer par une confusion.

[76] Cf. ce que dit Ammien (XXIII, 6, 21), de ceux de l’Adiabène.

[77] Ex., sous Julien (Ammien Marcellin, XXIV, 7, 4 ; Liban., Or. XVIII (Έπιτάω), 202-3 ; Fœrster, II, p. 350) ; sous Maurice (Theoph. Simoc, III, 17, 10).

[78] On en jugera d’après les objets qu’au dire de Josèphe les soldats romains portaient avec eux : scie, corbeille, pioche, hache, faux, etc. (B. J., III, 95).

[79] Josèphe, B. J., III, 90. Ceci ne peut naturellement s’entendre que des camps établis en territoire ennemi ou des camps volants près de la frontière.

[80] B. J., III, 76-90.

[81] Pour les autres, je renvoie purement et simplement à Brünnow-Domaszewski, Die Provincia Arabia (passim). Dussaud et Macler (Voyage archéologique au Safa, Paris, 1901, p. 26 sq.) décrivent ceux qu’ils ont relevés à la lisière du désert, entre Damas et le Haouran. V. aussi A. v. Domaszewski, Die Principia des rôm. Lagers (Neue Heidelberger Jahrbücher, IX (1900), p. 141 sq.), travail consacré essentiellement au camp de Flavius Silva, près de Massada sur la mer Morte, comparé avec ceux de Ledjoun et d’Odroun.

[82] Ammien Marcellin, XVIII, 7, 6.

[83] Vers Ctésiphon (Ammien Marcellin, XXIV, 5, 12), on éleva un solide rempart, on creusa des fossés profonds et les garnit de fortes palissades, pour se garantir des brusques attaques. Les soldats de Jovien, autour de leur camp (Id., XXV, 6, 5), plantent des pieux pointus comme des épées. — D’après un texte isolé de Ménandre, cité par Suidas (s. u. Άπετάφρευον ; cf. Müller, FHG, IV, p. 259, 8), les Romains avaient longtemps laissé en désuétude le soin de fortifier leurs camps avec des fossés ; c’est Maurice, d’abord général en Orient, plus tard empereur, qui revint à cette sage pratique. Voilà encore sans doute un de ces compliments de circonstance auxquels il ne faut pas attribuer le sens large qu’ils paraissent comporter. Cf. Socrate, H. ecclés., VII, 20, p. 780 Migne (a. 420).

[84] Dion Cass., XLIX, 20.

[85] V, 2, p. 122 ; X, 1, p. 237.

[86] Cf. l’édit. Domaszewski, avec trad. allemande, Leipzig, 1897 ; v. pl. I et II.

[87] IIIe siècle (?), Schanz, Röm. Litteraturgesch. 2, II, 2 (1901), p. 401-2 ; vers la fin, dit Schiller, Kriegsalterth. 2, 1903, p. 259.

[88] Cette histoire commence même pour nous au premier siège de Jérusalem, où Pompée disposait de machines qu’il avait fait venir de Tyr (Josèphe, B. J., I, 147).

[89] Ce sont les trois points que développe avec raison Titus, dans l’adlocutio que Josèphe lui prête devant Tarichée (B. J., III, 477).

[90] Lors du siège de Jérusalem, sous Titus, ils devaient en aller chercher jusqu’à 90 ou 100 stades de la ville (B. J., VI, 5-6 et 151) ; on ne trouvait aux alentours que des clôtures et des haies, ou de petit arbres fruitiers, que Titus lui-même décida d’abattre, parce qu’ils servaient à dissimuler les sorties des Juifs (V, 106-107, 264). Pour avoir des poutres de forte taille, destinées à soutenir le temple, le roi Agrippa en avait dû amener à grands frais du Liban ; Jean de Giscala les fit scier pour la charpente des tours de défense (V, 36-38). Il est parlé d’une forêt où s’étaient cachés 3000 Juifs, échappés de Machéronte ; Bassus commença de faire tailler les arbres pour obliger ces malheureux à en sortir (VII, 210 sq.) ; c’était déjà la fin de la guerre.

[91] B. J., II, 435.

[92] B. J., II, 553.

[93] B. J., V, 267-268.

[94] C’est ce qu’affirment Tacite (Hist., V, 13) pour le siège de Jérusalem et, pour celui de Massada, Josèphe, qui attribue l’invention à Vespasien et Titus eux-mêmes (B. J., VII, 308). Hadrien montra moins de fertilité d’esprit ; une lettre qu’il adressa à l’architecte Apollodore d’Athènes a été retrouvée dans l’introduction à la Poliorcétique de cet auteur (Plew, Quellenuntersuchungen zur Geschichte dei Kaisers Hadrian, Strasbourg, 1890, p. 92-96). L’empereur lui demande des conseils en toute hâte pour la construction de machines nouvelles ; il s’agit d’assiéger, non plus des villes, mais des masses populaires tapies dans des coins de montagnes et avantageusement retranchées. Apollodore envoya des dessins avec légendes, correspondant à toutes les conjonctures qu’il prévoyait, sans connaître le pays. Ces  précautions durent être prises en  vue de la guerre contre Barkokéba.

[95] C’est ce que Julien ne comprit pas : au fur et à mesure qu’il s’avançait vers le sud, il détruisait les camps perses et en exterminait les garnisons, à moins qu’elles n’eussent fait leur soumission ; mais celle-ci ne pouvait être qu’apparente ; ces hommes restaient neutres, tout simplement, en attendant la fin (Ammien Marcellin, XXIV, 2). Libanios seul a naïvement loué cette imprudente confiance (Or. XVIII, 219 ; II, p. 332 Fœrster). — Le transfuge Antonin avait vivement engagé Sapor à ne pas s’arrêter à des sièges de villes et a marcher droit sur l’Euphrate (Ammien Marcellin, XVIII, 6, 3) ; le désert qu’on fit devant le roi ne permit pas l’exécution de ce plan, et sa campagne de cette année s’acheva sur le très long siège d’Amida.

[96] Plutarque, Lucullus, 32.

[97] Strabon, XVI, 1, 24, p. 747 C.

[98] Plutarque, Antoine, 38.

[99] Tacite, Ann., XV, 9.

[100] Dion Cass., LXXV, 10-11.

[101] Zonar., XII, 10 ; II, p. 551 Bonn. — Les Arméniens s’en étaient également servis à Tigranocerte : Salluste, Hist. reliq., 61 (Maurenbrecher, I, p. 180).

[102] Epit., IV, 13 sq.

[103] B. G., I, 21, 3 sq. ; ses contemporains, Agathias, Simocatta, fournissent aussi quelques données.

[104] V. le résumé de ces travaux dans Marquardt, op. cit., p. 249 sq. — Désireux de ne pas déborder mon cadre géographique, je n’ai pas eu à tenir compte de l’article de Rudolf Schneider, Geschülze auf antiken Reliefs (Röm. Mitth., XX (1905), p. 166-184), consacré à un bas-relief de Pergame et à une stèle d’Italie du Ier siècle.

[105] Pendant le siège de Maiozamalcha, dit Ammien (XXIV, 4,28), un de nos ingénieurs qui se tenait derrière un scorpion perdit la vie, ayant été atteint à la poitrine par une pierre que le servant de la pièce n’avait pas bien placée dans la fronde ; ses membres furent déchiquetés au point qu’on ne pouvait plus le reconnaître. Au siège de Jotapat, s’il en faut croire Josèphe (B. J., III, 215-6), une des pierres lancées par les machines (romaines) emporta à trois stades la tête d’un assiégé ; une autre, ayant traversé le corps d’une femme, envoya à un demi-stade l’enfant dont elle était grosse.

[106] Josèphe, B. J., V, 270.

[107] Josèphe, B. J., III, 166.

[108] Josèphe, B. J., III, 213 sq.

[109] Josèphe, B. J., V, 299.

[110] Josèphe, B. J., II, 537 ; Agathias, III, 3, 4 ; la tortue, suivant sa forme, peut ainsi se confondre avec ce que Végèce appelle des vineae ou des plutei ; Ammien (XIX, 5, 1) parle aussi des plutea de branchages des Perses.

[111] Ammien Marcellin, XIX, 5, 6.

[112] B. J., III, 173.

[113] Au siège d’Édesse, des Huns se garantissent des traits en élevant des toitures en poils de bouc, cilices (Procope, B. P., II, 26, 29).

[114] B. J., III, 222 sq. Végèce (IV, 23) indique un procédé analogue, où les sacs de paille sont seulement remplacés par des matelas et couvertures de laine. Eu défendant un fort de Lazique, les Perses se protègent des coups derrière des toiles et voiles tendus (Agathias, III, 4, 2). Ailleurs, ils recourent eux aussi à la paille, dont ils remplissent de grands sacs, en fil et poils lissés (Theoph. Simoc, II, 18, 3), ou même appliquent simplement contre le mur des pièces de bois (Procope, B. P., I, 7, 12) ; cf. Dion Cass., LXVI, 4.

[115] Josèphe, B. J., III, 225.

[116] Josèphe, B. J., V, 271-3. — Il est difficile d’ailleurs de prendre au sérieux toutes les anecdotes de Josèphe, par exemple celle-ci : Quand les Romains eurent achevé leurs travaux (de siège, devant Jérusalem), ils jetèrent un plomb attaché à une corde pour mesurer l’espace entre leurs terrasses et le mur de la ville, car les traits des assiégés empêchaient d’approcher. On vit que les engins pouvaient porter jusque-là ; Titus les fit donc mettre en batterie (B. J., V, 275-7). Un essai véritable eût été aussi simple et plus probant.

[117] Josèphe, B. J., III, 230 ; Dion Cass., loc. cit. ; cf. Veget., eod. loc. : D’autres saisissent les béliers avec des nœuds coulants et les renversent. C’est exactement ce que tirent les assiégés perses de Bezabde (Ammien Marcellin, XX, 11, 15). Tous ces moyens de défense contre la machinerie de siège sont encore énumérés dans le Strategicon de Maurice (X, 3, p. 244), qui ne constate aucune invention nouvelle.

[118] Josèphe, B. J., III, 227.

[119] Josèphe, B. J., V, 279-281 ; cf. 473-477.

[120] Ammien Marcellin, XX, 7, 13 : Unus ariei residuis celsior umectis taurini$ opertut exuviis ; cf. encore XX, 11, 13.

[121] Ammien Marcellin, XIX, 2, 8.

[122] Ammien Marcellin, XIX, 7-8.

[123] Ammien Marcellin, XX, 11, 11 ; il avait fallu le démonter pour le transport.

[124] Ammien Marcellin, XX, 11, 12 : Tormenta nihilominus et lapidum crebritas atque fundarum ex utraque parte plurimos consumabant.

[125] Josué le Stylite, Chroniq., 54.

[126] Josué le Stylite, Chroniq., 60.

[127] Ammien Marcellin., XX, 6, 6-7.

[128] Malalas, XVIII, p. 461 Bonn.

[129] Procope, B. G., IV, 11, 29 sq.

[130] Procope, B. G., IV, 14, 4. — Il pouvait arriver que le grand effort de la bataille se portât sur un bastion resserré, où peu de défenseurs trouvaient la place de manœuvrer. Ainsi, à Antioche, des Romains, incommodés dans un lieu fort étroit, s’avisèrent d’attacher ensemble de grandes pièces de bois qu’ils suspendirent le long des courtines, pour y loger un plus grand nombre de combattants ; mais les cordes de soutien se rompirent et les soldats furent précipités dans le vide (Id., B. P., II, 8, 9sq.)

[131] Sur ce point, nous n’avons, pour les guerres d’Orient, aucune description comparable à ce que César nous rapporte du siège d’Alésia (Bell. Gall., VII, 69). Quelques attestations de ci de là : ainsi Titus fit, en trois jours, entourer Jérusalem d’un mur de 39 stades, avec 13 forts dont le tour était de 10 stades ; tous les soldats y travaillèrent (Josèphe, B. J., V, 499 sq.) ; Julien trace une double circonvallation autour de Maiozamalcha, en Babylonie (Ammien Marcellin, XXIV, 4, 10).

[132] Titus fit mieux encore : il nivela, sur une aire considérable, tout l’espace entourant les murs de Jérusalem (Josèphe, B. J., V, 106 sq.) ; la Xe légion reçut la même mission devant Gamala (Ibid., IV, 13). Comblement des fossés à Machéronte (VII, 190), à Massada (VII, 304).

[133] Josèphe, B. J., III, 162 sq.

[134] Cf. Josué le Stylite, Chroniq., 54 : Cavad, devant Amida, s’efforce de relever une plate-forme qui était tombée : il ordonna de l’emplir de pierres et de bois, d’apporter des tissus de poil et de lin, d’en faire des outres et des sacs, de les emplir de terre et de surélever ainsi la plate forme jusqu’à la hauteur des murs. — Terrasse des Perses devant Édesse : bois, terre et pierres (Procope, B. P., II, 26, 24).

[135] C’est ce que les Romains tentèrent à Jotapat ; les Juifs semèrent sur les ponts du sénevé cuit, ce qui les rendait glissants et infranchissables (Josèphe, B. J., III, 277.)

[136] Josèphe, B. J., V, 292, 297.

[137] Les inspirations du moment fournissaient toutes sortes d’artifices ; je ne puis indiquer chaque variété. Et de même pour la défense : les assiégés d’Hatra, par exemple, imaginent de jeter sur les assaillants des pots de terre remplis d’insectes venimeux, qui s’insinuent dans les yeux et au défaut de la cuirasse (Hérodien, III, 9, 5).

[138] Josèphe, B. J., IV, 63-C5. A Jérusalem, la sape réussit contre un des remparts (VI, 26-28), mais échoua contre les murs extérieurs du temple : les leviers s’y rompaient (VI, 222).

[139] Josèphe, B. J., V, 469-470. Autre tour minée secrètement par les assiégés : Procope, B. P., I, 7,14 ; Josué le Stylite, Chron., 51. C’est exactement de cette façon que les Perses s’emparèrent de Pétra, en Lazique (B. P., II, 17, 23 sq.). — A côté de l’attaque, mentionnons la défense par l’incendie : les Romains s’engagèrent inconsidérément dans l’assaut d’un des portiques du temple de Jérusalem, que les Juifs avaient rempli de bois, de soufre et de bitume : ceux-ci feignirent de s’enfuir à l’exception de quelques-uns, qui mirent le feu pendant que les Romains appliquaient des échelles ; les assaillants périrent dans cet embrasement (Josèphe, B. J., VI, 177-180).

[140] Josué, 72. — Plus tard, ce fut le tour des Romains d’imaginer un artifice nouveau pour assurer le succès de ce vieux stratagème si éventé : Les défenseurs d’Édesse creusaient une mine dans la direction d’une terrasse ennemie ; ils étaient à mi-chemin quand le bruit parvint aux oreilles des Perses, qui commencèrent à fouiller de leur côté, pour surprendre les travailleurs ténébreux. Mais leur manœuvre aussi est reconnue : les Romains abandonnent la partie et rebouchent leur cavité ; puis ils en pratiquent, avec plus de bonheur, une seconde aboutissant à l’autre extrémité de la terrasse, la remplissent de combustible et mettent le feu. Les Perses accourent ; pour les tromper sur l’origine de l’incendie, les habitants lancent des pots chargés de charbons incandescents, et des flèches enflammées ; pendant ce temps le feu souterrain continuait son œuvre, et quand Chosroes le remarqua, il était trop tard pour en arrêter les effets (Procope, B. P., II, 27, 1-17). — Attaquant Dara, Chosroes faisait creuser une mine sous les murs ; quelqu’un en avertit les Romains, qui postèrent un grand nombre de pionniers dans l’espace compris entre les deux murailles. Comme les Perses creusaient toujours en ligne droite, on fit un fossé de traverse, sur le conseil de l’ingénieur Théodore ; plusieurs y tombèrent et y périrent, les autres se sauvèrent ; et Chosroes renonça à son entreprise (Ibid., II, 13, 20 sq.)

[141] Ammien Marcellin, XX, 11,18.

[142] Josèphe, B. J., VI, 223.

[143] Theoph. Simoc, II, 18, 15 sq.

[144] Le récit le plus détaillé est dans Théodoret, H. ecclés., II, 26, p. 1076, Migne.

[145] Agathias, IV, 5, 3. — Cf. Ammien Marcellin, XIX, 5, 4-5 : Il y avait à Amida des souterrains conduisant par des degrés au Tigre, où on allait puiser de l’eau, et partant d’une tour située au midi. Au milieu delà nuit, guidés par un transfuge (un bourgeois de la ville), 70 sagittaires du bataillon royal perse, se glissèrent jusqu’à la troisième charpente de cette tour ; arrivés là, ils donnèrent le signal à leurs compatriotes pour une attaque combinée au dedans et au dehors.

[146] Procope, B. P., II, 28, 31 sq.

[147] Plus honorable était le stratagème romain pour la défense de Pétra : Chosroes en avait décidé la capture ; le gouverneur interdit à ses soldats de se montrer ; ils eurent ordre de se tenir sans bruit près des portes. Les Perses crurent la ville abandonnée et s’approchèrent sans précautions, sans garder les rangs. Brusquement les portes s’ouvrirent sous une furieuse sortie qui infligea à l’ennemi de lourdes pertes (Procope, B. G., II, 17, 5-10).

[148] Procope, B. G., IV, 14, 24-29.

[149] Theoph. Simoc., III, 5,13 sq.

[150] Ammien Marcellin, XXIII, 6, 81 : Les lois des Perses sont extrêmement sévères : les plus cruelles visent les ingrats et les déserteurs ; même, les fuyards et les lâches doivent être repoussés par leurs compatriotes (Theoph. Simoc., II, 5, 7). A Coché, Julien vit un grand nombre de corps attachés à des gibets : c’étaient les parents de celui qui avait livré Pirisabora (Ammien Marcellin, XXIV, 5, 3).

[151] XXI, 6, 7 ; add. XVIII, 6, 20 : Le satrape de Gordyène, Jovien, avait passé sa jeunesse dans les pays de domination romaine ; ayant été otage en Syrie, où il avait apprécié la douceur des lettres, il souhaitait de revenir au milieu de nous. Le chef perse Nohodarès se trouva immobilisé sur les bords de l’Aborras, suorum indicio proditus, qui admissi flagitii metu evagitati ad praesidia discevere Romana (XIV, 3, 4). — Deux des correspondants de Libanios, Sapor (Epist., 878) et Varanès (Epist., 1024), doivent avoir été des transfuges perses, comme Hormisdas, un des chefs de l’armée de Julien (Zosime, III, 11, 3). Le dernier général d’Héraclios contre les Arabes fut Baanès, un Persarménien réfugié auprès de lui (Theophan., 337, 3 ; Cedren., I, p. 745).

[152] Cf. Dion Cass., XLIX, 29 : (dans la guerre d’Antoine) il y eut des déserteurs romains, mais peu, car les barbares les perçaient de flèches sous les yeux des autres. Ils craignaient peut-être, dans leurs rangs, la contagion de l’exemple.

[153] D’après le Strategicon de Maurice, il faut tâcher de connaître exactement la situation de l’ennemi ; si son armée comprend diverses races, tâcher de les diviser ; si les chefs sont eu désaccord, tâcher d’en corrompre quelques-uns (VII, I, p. 136).

[154] Menand., Protect., Excerpt. de légat. Rom., Migne, P. G. L., 113, p. 866 — De Boor, p. 180, l. 30 sq.

[155] Dion Cass., LXVI, 5 : Prisonniers et transfuges gâtaient en cachette l’eau de boisson des Romains et égorgeaient les hommes qu’ils pouvaient surprendre isolés. Titus alors n’admit plus aucune reddition volontaire. Comme les Romains  étaient découragés par la longueur du siège, quelques-uns d’entre eux passèrent à l’ennemi ; celui-ci, bien que manquant de vivres, les accueillit, pour montrer que, lui aussi, il recevait des transfuges.

[156] Josèphe, B. J., III, 317 sq. Autres mentions de transfuges : ibid., III, 143 ; IV, 410. Des Juifs s’enfuirent de Jérusalem ayant avalé leur or ; les Romains leur ouvrirent le corps pour le trouver (V, 550 sq.) ; cette inhumanité détourna plus d’un de se rendre aux Romains (561).

[157] Josèphe, B. J., V, 268.

[158] Les troupes de Labienus, pour gagner celles de Saxa, lançaient, au moyen de flèches, des billets dans le camp adverse (Dion Cass., XLVIII, 25). — Deux inscriptions safaïtiques sont ainsi conçues (je copie la traduction anglaise d’Enno Litimann, Semitic Inscr., Part II of the Americ. Arch. Exped., p. 140, n° 31 = Dussaud et Macler, 219) : Théodore from the Roman country ; ce peut être, comme le dit Littmann, un déserteur qui se sera caché dans l’oasis de Rouhbeh ; mais l’hypothèse est moins aventureuse pour l’autre texte, p. 148, n° 59 (Dussaud-Macler, 251) : By Latham... and he fled from the country of the Romans ; and, o Allat, he was saved from the horssmen who pierce [with their lances (?)]

[159] Ammien Marcellin, XXV, 5, 8 : Un signifer s’était brouillé avec Jovien, alors simple particulier, pour avoir parlé inconsidérément du père de celui-ci ; craignant un ennemi qui venait d’être élevé au rang suprême, il prit le parti de s’enfuir chez les Perses.

[160] XVIII, 5, 1 sq.

[161] XVIII, 5, 1 : Qui uel quarum virium milites ubi agant uel procinctus tempore quo sint venturi describens, itidem armorum et commeatuum copiae aliaque usui bello futura an abunde suppetant, indefessa sciscitatione percontans...

[162] Ammien Marcellin, XX, 6, 1 ; cf. XIX, 9, 3.

[163] XVIII, 6, 16.

[164] Cf. dans Ammien seulement : XVIII, 10, 1 ; XXI, 13,3, XXV, 6,6. C’est un transfuge qui apprit aux Perses la mort de Julien (Liban., I (Βίος), 134 ; Fœrster, I, p. 147). — En sens inverse, les persécutions religieuses firent passer beaucoup de chrétiens de Perse en territoire romain, surtout sous Théodose (Socrat., H. ecclés., VII, 18, p. 773 sq. ; cf. Theophan., 85-86).

[165] Ammien Marcellin, XXV, 7,1 : exploratorum perfugarumque ; cf. XXI, 13,3.

[166] Ammien (XVIII, 5, 1) dit très bien d’Antonin : ulriusque linguae litteras sciens.

[167] Je ne sais quelle étourderie m’a fait imprimer autrefois (Mém. de la Soc. des antiq. de France, VIIe série, tome III (1904), p. 259) que les auteurs grecs ne nous apprenaient rien sur ce service.

[168] Déjà, sous Constance, des officiers romains d’Orient envoient en Perse des espions qui rapportent la nouvelle que Sapor est fort occupé contre divers envahisseurs (Ammien Marcellin, XVI, 9, 2-3).

[169] B. P., I, 21, 11-13. Le même Procope, devenu pamphlétaire dans l’Historia arcana, s’exprime ainsi (30, 12-14) : Autrefois l’Etat entretenait des espions qui, sous prétexte de négoce, allaient chez l’ennemi et jusqu’au fond de la Perse. La même coutume existait depuis longtemps chez les Perses. Chosroes a augmenté le salaire de ces agents, dont il a tiré grande utilité. Et nous, nous avons perdu la Lazique pour n’avoir pas su de quel côté le roi de Perse avait dessein de tourner les armes. Il n’est pas impossible qu’il y ait eu un certain relâchement de la part de Justinien, ni que Procope l’ait exagéré. Dans le Bell. Pers., les espions dont il est parlé semblent improvisés (I, 15, 4 : deux doryphores vont espionner le camp barbare ; II, 25, 10 et 15 : les Romains saisirent un espion perse et en envoyèrent des leurs). Sous Honorius et Théodose II, au commencement du Ve siècle, une constitution avait été rendue, après entente avec la Perse, qui désignait certains lieux spéciaux pour les échanges avec ce pays, ne alieni regni, quoi non convenit, scrutentur areana ; exception était faite seulement pour les négociants qui accompagnaient les ambassadeurs de leur nation (C. Just., IV, 63, 4, pr. et 1).

[170] Περί στατηγικής, XLI, 4 (Kœchly et Rüstow, II. 2, p. 188).

[171] IX, 2, p. 206.

[172] IX, 3, p. 213.

[173] VIII, 2, p. 186.

[174] VII (bis), 13, p. 163.

[175] Lucullus, 25 ; Crassus, 20. — Nous avons un chiffre pour la basse époque par Théophylacte Simocatta (III, 7, 5), qui signale un combat de 2.000 éclaireurs à l’avant-garde.

[176] Les speculatores revenus de Judée et de Syrie, qui annoncent à Vitellius que l’Orient l’a reconnu (Tacite, Hist., II, 73), paraissent plutôt des émissaires à son service personnel. Ammien rappelle des procursatores des Perses (XXIV, 1, 10) ; ailleurs il parle des speculatores (XVIII, 6, 8).

[177] De la première armée musulmane, qui envahit la Syrie, se détache une troupe d’éclaireurs de 15 hommes ; elle vient en contact avec un avant-poste ennemi fort de 50 (De Goeje, op. cit., p. 45).

[178] A l’époque d’Ammien (XXI, 7, 7), il semble que les exploratoires soient les éclaireurs expédiés à grandes distances (sic sous Justinien : Procope, B. P., II, 16, 3) ; quand l’ennemi est très rapproché, on dépêche même des officiers, comme Ammien (XVIII, 6, 21) lui-même, avec un centurion.

[179] I, 3, p. 28, 29.

[180] Et, plus récemment, σκουλκάτωρες.

[181] De même, le terme de praetentura dans Ammien (XXI, 13, 3 : praetenturis juncturos citeriores Tigridis ripas) a le sens manifeste de corps de garde avancé, vers le limes. En général, il signifie la section antérieure d’un camp (Hygin., 14).

[182] Un Marde rendait ce service a Antoine et lui tenait lieu de conseiller (Plutarque, Antoine, 46).

[183] Agathias, III, 8, 3.

[184] Theoph. Simoc, III, 7, 4-6.

[185] XX, 7, 3-4.

[186] Josèphe, A. J., XIV, 63 ; B. J., I, 145-147.

[187] Procope, B. P., I, 18, 15.

[188] Theoph. Simoc., II, 2, 7.

[189] Procope, B. P., I, 14, 34 ; II, 18, 17 (la bataille commence à midi).

[190] Josèphe, B. J., V, 317 sq.

[191] Josèphe, B. J., V, 109-119.

[192] Josèphe, B. J., III, 190-192.

[193] Procope, B. G., IV, 2, 21 sq.

[194] XVIII, 6, 14.

[195] Cf. Norman H. Baynes, The first campaign of Heraclius against Persia (English historical Review, XIX (1904), p. 694-701). Tactique générale : pour repousser les Perses d’Asie Mineure, il résout de ne pas engager la bataille avec eux, mais de passer sur leur flanc pour menacer leurs communications.

[196] Aurélien en avait usé ainsi sur les bords de l’Oronte : sa cavalerie légère (Dalmates et Maures) s’enfuit dès que se prononça l’offensive des lourds escadrons palmyréniens ; quand ceux-ci parurent épuisés par la chaleur et le poids de leurs armures, les Romains firent brusquement volte-face et repoussèrent en désordre la cavalerie ennemie (cf. Homo, L’Empereur Aurélien, p. 84 sq.)

[197] Je résume Pernice, op. laud., p. 117.

[198] Pernice, p. 119.

[199] Cedren., I, p. 719.

[200] Eutych., Annal., II, 273 sq.

[201] Procope, B. P., I, 4, 7 sq.

[202] Du moins je ne crois pas forcer par cette interprétation le passage de Procope (B. P., I, 13, 13) relatif au grand fossé que les Romains creusèrent à un jet de pierre de Dara et où ils laissèrent par intervalles des entrées et des sorties. Add. Zacharias Rhetor, IX, 2, p. 170.

[203] IV, 3, p. 107 sq.

[204] En voici une bien caractérisée : l’évêque de Sura représente à Chosroes que la ville n’avait servi de rien aux Romains et ne lui rendrait pas plus de services. Il offrit une somme considérable pour la racheter du pillage. Le roi dissimule, fait escorter l’évêque par des ambassadeurs, qui ont ordre de jeter dans l’embrasure de la porte, pour empêcher qu’on ne la referme, une grosse pierre ou une poutre. C’est par ce moyen que les Perses entrèrent dans la ville, qu’ils ruinèrent de fond en comble (Procope, B. P., II, 5, 13-26). Cf. Macler, Sébéos, p. 9 : (Golon Mirhan) vint en Arménie et s’empara d’Ankl au moyen d’un faux serment.

[205] Notons la formule très claire de Maurice (Strateg., VII, 1, p. 137) : Κυνηγίω έοικε τά τών πολεμίων.

[206] Il faut bien aussi, en revanche, indiquer en deux mots quelques faits qui soulignent les contrastes de cette histoire et y ajoutent un trait chevaleresque et héroïque. Les combats singuliers (provocutoria prœlia) n’y sont pas rares, au moins sous le Bas-Empire ; antérieurement, je ne connais que celui d’un Juif et d’un cavalier romain, qui succomba (Josèphe, B. J., VII, 169-176). Ces sortes de tournois se rencontrent fréquemment dans les annales primitives de la région caucasique, qui nous font connaître plusieurs engagements individuels entre Géorgiens et Arméniens (cf. Brosset, Hist. de la Géorgie, Saint-Pétersbourg, I (1849), pp. 52, 67, etc.). Il y en eut un au siège de Théodosiopolis, sous Théodose le Jeune, que Malalas nous a décrit (XIV, p. 364) ; Socrate y fait seulement allusion (VII, 18, in fine). Un autre est raconté par Procope (B. P., I, 13, 29 sq.) : il eut lieu entre un ancien maître des athlètes de Constantinople, garçon de bain de Cutzès, et deux Perses qui l’avaient tour à tour provoqué ; ils furent également vaincus. Héraclios le croisé entra en lutte personnelle avec un chef perse (Nicephor. Patr., VI, 1). — Une bataille en Albanie fut précédée de cérémonies courtoises bien curieuses : les deux adversaires se rencontrèrent, séparés seulement par l’Araxe ; chacun désirait en venir aux mains ; les Perses envoyèrent un héraut proposer le combat, demandant que les Romains voulussent bien à cet effet franchir le fleuve ou le leur laisser traverser. Le général consulta ses troupes, qui crièrent de laisser venir les Perses ; ceux-ci passèrent l’eau et furent battus (Theoph. Simoc, 111,7, 13 sq.).