LA FRONTIÈRE DE L'EUPHRATE DE POMPÉE À LA CONQUÊTE ARABE

DEUXIÈME PARTIE — L’ARMÉE

 

CHAPITRE III — LA DISCIPLINE DES TROUPES ET LEURS RAPPORTS AVEC LA POPULATION CIVILE.

 

 

Les garnisons syriennes étaient considérées comme offrant d’agréables résidences[1] : les habitudes de luxe instaurées par les Séleucides et conservées après eux, grâce à une grande prospérité économique, la douceur du climat, les ressources que trouvaient le plaisir et l’immoralité, la rareté des guerres pendant deux siècles et leur peu de durée en général, le caractère anodin des fonctions de police auxquelles l’armée était principalement appelée, les circonstances qui firent séjourner dans ce pays des chefs portés à l’ambition et naturellement enclins à rechercher la faveur des troupes[2], tout concourait à pervertir dans ce pays la discipline militaire. D’autres causes s’ajoutèrent à celles-là au cours des temps : l’esprit frondeur des populations, qui se communiquait aux soldats venus du dehors, mais se faisait encore bien plus sentir chez les hommes enrôlés en vertu du recrutement régional ; de plus, dès les dernières années du Haut-Empire, l’introduction des barbares à la solde des chefs, qui leur donnaient eux-mêmes l’exemple de l’inconstance et de la désertion ; enfin, les effets inévitables d’une mauvaise administration, qui privait les gens de guerre de leur rétribution légitime et promise et les obligeait à se dédommager de quelque manière.

Les annales du pays font ressortir de bonne heure des épisodes d’indiscipline[3] ; Antioche surtout, la grande corruptrice[4], a inspiré aux rhéteurs de copieux discours sur l’insubordination et le relâchement des troupes : la volupté des théâtres[5] y exerçait des ravages, comme l’intense vie nocturne de cette métropole et de Daphné, son faubourg mal famé. Les mêmes auteurs se sont fait les panégyristes sans frein de quelques chefs, gouverneurs ou princes, qui auraient voulu rétablir le bon ordre : Avidius Cassius fut peut-être du nombre[6] ; c’est beaucoup plus douteux pour L. Verus, malgré les éloges hyperboliques que Fronton lui adresse à ce titre[7] et auxquels ne s’associe nullement le biographe de Marc-Aurèle dans l’Histoire Auguste[8].

Il y a sûrement un peu de vérité dans la partie vitupérative de ces morceaux, en ce qui concerne la fréquentation des tavernes[9], l’habitude du jeu, sinon la recherche des moelleux coussins ; mais il semble que Verus ait contracté lui-même ces habitudes efféminées au lieu d’y mettre un terme. Les mêmes compliments ont été adressés à Alexandre Sévère pour la répression, vraie ou fausse, d’une révolte légionnaire à Antioche[10] ; c’est, au moins dans la forme, une invention ridicule à laquelle s’oppose l’affirmation, bien moins suspecte, du meurtre perpétré par des soldats de Mésopotamie sur leur chef Flavius Héracléon[11].

Dans ce IIIe siècle incohérent, où plus d’un Syrien arriva au pouvoir, aucun des Césars n’osa s’aliéner l’élément militaire. Macrin n’eût pas voulu étendre à de nouvelles recrues, mais n’osa pas retrancher aux vétérans les récompenses abusives et les immunités de service consenties par Caracalla[12]. Sous ce dernier, les soldats désertaient la caserne et passaient l’hiver chez l’habitant, dont ils mettaient la maison en coupe réglée[13]. Dans les guerres civiles, une armée victorieuse entre dans Antioche ; son chef a promis aux soldats qui l’entourent 500 drachmes, pour les empêcher de piller la ville[14], ce dont ils montrent grande envie[15]. Lorsque Julien faisait ses préparatifs de guerre dans cette capitale, les passants étaient obligés de charger sur leurs épaules et de porter au quartier ses soldats, qui s’étaient gorgés de viandes et de vins dans les temples, profitant des sacrifices propitiatoires[16]. Les Celtes se distinguèrent entre tous dans ce genre de prouesses ; mais peu après, les Syriens eux-mêmes se signalaient par de pires excès.

Libanios en a gémi à plusieurs reprises : A ceux qui le traitent de fâcheux, il objecte la cupidité des officiers, les débordements des soldats, fort absorbés par leur existence familiale, dont beaucoup sont d’anciens échappés des prétoires et qui, aux jours de combat, useraient moins de leurs bras que de leurs jambes. Il a connu d’autres mœurs militaires, dit-il[17]. Un peu plus tard — probablement en 391 ou 392 — il prononce son discours sur les patronages[18] : les soldats sont établis en plus ou moins grand nombre dans des bourg (κώμαι) ; ils s’y enivrent, s’y repaissent de viandes sans mesure ; qui est lésé ne peut se défendre : ce serait sa ruine de frapper un soldat ; il faut supporter toutes les suites de l’ivresse, les lois sont sans action. Aussi les paysans sont devenus des brigands : quand les décurions viennent doucement leur réclamer le tribut, on les insulte et ils remportent, non de l’argent, mais des blessures. Les paysans se sont placés, en effet, sous la protection de la soldatesque qui loge chez eux ; ce patronage permet de refuser l’impôt à l’État, les redevances aux propriétaires, et même de dévaster les champs qui ne sont pas protégés de la sorte ; les laboureurs désertent parfois leurs hameaux pour se retirer dans ceux que garantissent des patronages. Valens a pris des dispositions contre protecteurs et protégés ; Théodose doit les renouveler ; il ne réussit pas davantage[19]. Les militaires continuaient à être redoutés de toute la population civile et courtisés par les gens ambitieux[20]. J’ai rappelé ailleurs[21] l’épisode grotesque qui eut d’abord Séleucie pour théâtre : les soldats d’une cohorte occupée à l’approfondissement du port, se plaignant de surmenage, voulurent donner la pourpre à leur tribun, et, après force libations, se rendirent à Antioche où ils furent taillés en pièces[22].

Les empereurs de Byzance avaient à l’égard des troupes une conduite en partie double : ils toléraient les excès des milices palatines, et d’autre part laissaient tomber les soldats dans le dénuement. Justinien faisait percevoir sur les sujets de l’empire les deniers destinés au paiement des gens de guerre, par des logothètes auxquels le douzième de ces sommes était attribué ; mais ceux-ci se réservaient beaucoup plus. Les soldats étaient répartis en classes fondées sur l’ancienneté[23], les vétérans touchant la solde la plus élevée ; mais les logothètes négligeaient de renouveler les états et de promouvoir des conscrits d’autrefois, déjà vieillis au service. Pour les limitanei surtout la situation était lamentable ; les paysans se mettaient en retard de plusieurs années et les malheureux soldats dépendaient de la charité privée[24].

Vint ensuite Maurice qui, dans la déroute du trésor, ordonna la réduction d’un quart sur la solde ; elle devait être opérée par Priscos, nommé magister militum d’Orient (en 587). Celui-ci arrive à Antioche et ordonne le rassemblement des troupes à Monocartum de Mésopotamie. Suivant l’usage en pareil cas, l’armée va à sa rencontre, s’attendant à le voir descendre de cheval et circuler amicalement dans les rangs. Il s’en abstint : premier mécontentement, qui s’accrut quand on apprit la diminution de l’annone ; les hommes s’avancent vers la tente du chef, jetant des pierres ou brandissant leurs épées. Priscos, pour les apaiser, fait vainement promener dans le camp la statue du Christ, qu’on menace de lapider ; alors il s’enfuit, non sans peine, jusqu’à Constantia, d’où il écrit aux autorités de ne rien retrancher à ce qu’on donnait d’ordinaire aux soldats. Mais la sédition augmente : la tente du chef est réduite en miettes ; les officiers se dispersent ; les troupes se choisissent un général, qui doit accepter son titre sous peine de mort. Sur ces entrefaites arrive l’évêque de Constantia, dépêché par Priscos pour annoncer le retrait de la mesure, et dire que le prédécesseur du magister l’avait conseillée à Maurice, et non lui. L’évêque ne peut se faire entendre ; les hommes brisent la statue de l’empereur[25], les enseignes à son nom ; le supérieur des religieux d’Édesse échoue pareillement. Les soldats se livrent au brigandage dans toute la province, enlèvent les récoltes et les troupeaux ; puis ils envoient à Priscos 45 députés pour lui ordonner de sortir d’Édesse. Il réussit à les attirer à son parti et ils tâchent d’apaiser leurs compagnons qui, furieux, les dégradent et font marcher 5.000 hommes vers Édesse, contre Priscos. Celui-ci était reparti pour Constantinople ; on lui substituait à nouveau Philippique, que seul l’archevêque de Constantinople put réconcilier avec les troupes, même après que Maurice eut expédié le montant de leur solde ordinaire, pour leur être distribué[26].

Cet épisode est caractéristique du moral des troupes d’Orient en temps de paix. Les dispositions que nous avons remarquées à diverses époques feraient mal augurer de ce qu’il devenait en temps de guerre. Et justement le service en campagne, à la frontière persique, était rude, formait contraste absolu avec la vie de garnison, plus douce qu’ailleurs. On le vit bien dès le temps de Lucullus[27] : ses troupes se mutinèrent plus d’une fois, refusèrent de l’accompagner à Artaxata, à travers les neiges, et do poursuivre Tigrane en Arménie. Ce fut pire sous Antoine, dont les contingents, effrayés des pertes subies dès le début, plièrent bagage en nombre dans le voisinage de l’ennemi. Antoine, furieux, employa contre eux l’ancien châtiment de la déclination, et aux neuf dixièmes subsistant donna de l’orge au heu de froment. Un peu plus tard, pressés par la disette et le manque d’eau, les légionnaires, atteints de frénésie, se précipitent sur ceux qui avaient quelque argent en poche, pillent les bagages, même ceux du général qu’ils mettent à sac, après s’être partagé sa vaisselle. Revenus dans un pays fertile, ils burent et mangèrent au point de se donner des hydropisies et de violentes coliques[28].

Leurs chefs admettaient trop volontiers le droit de s’enrichir en expédition : c’est sur l’invite de Pompée que Tigrane le père promit de donner à chaque soldat une demi-mine d’argent, dix mines à chaque centurion, un talent à chaque tribun[29]. Alexandre Sévère, avant son départ pour la Perse, dut châtier quelques mutineries ; des soldats d’Egypte avaient déserté ; néanmoins, après qu’Artaxerxés eut causé grand dommage dans une des armées qui le combattaient, Alexandre fit des largesses aux soldats pour les consoler de la défaite[30]. J’ai dit ailleurs le peu de ressources que Corbulon trouva dans les légions syriennes ; les désertions s’y multipliaient : on y remédia par la sévérité, et ce ne fut pas comme dans les autres armées, où l’on excusait la première et la deuxième fautes ; ici, immédiatement, la mort. Il y eut moins de défections dans son camp que dans ceux où on pardonnait[31].

Du moins en Syrie comme en toutes contrées, l’empire du chef sur les combattants avait une importance primordiale ; on comprend ainsi l’opinion de Josèphe sur la discipline romaine[32], qu’il voulait au moins imposer à ses hommes, le véritable dithyrambe qu’il   entonne au sujet de ce grand nombre d’ennemis, paraissant ne former qu’un seul corps qui se meut en même temps[33]. Il savait par ouï-dire les succès qu’avait finalement obtenus Corbulon, et lui-même voyait à l’œuvre Vespasien et Titus. Confiant dans ceux qui le commandaient, le soldat romain se livrait même à ces actes d’impétuosité inconsidérée que Vespasien dut blâmer un jour[34] ; de même un centurion avait fait une sortie malheureuse, enfreignant la défense de Corbulon ; ce dernier lui donna, et à sa cohorte, l’ordre déshonorant de camper hors des lignes fortifiées[35]. L’énergie de Trajan   sut lui éviter de semblables difficultés ; au surplus, nous connaissons mal sa guerre parthique, mal aussi celle de Verus, plus mal encore celles du IIIe siècle, et convient-il de s’arrêter aux actes d’indiscipline, passé le temps des Antonins ?[36]

Au IVe siècle, Julien[37] lui-même parle d’une émeute de soldats syriens que son prédécesseur eut tôt fait de réprimer. Depuis cette époque, les guerres d’Orient se font plus fréquentes, et il faut davantage tout improviser, car maintenant les Perses attaquaient au lieu de se défendre. Tous les éléments sont réunis dans une même armée ; la provenance géographique ne peut servir de base à une distinction d’ordre moral bien sûre : deux de ces escadrons illyriens, si prisés autrefois, ayant été commis à la garde d’une tranchée près d’Amida, s’en éloignent de crainte des embûches nocturnes : et les Perses approchent pendant que ces hommes sont ivres et endormis[38]. Julien n’était pas sans méfiance à l’égard de ses troupes[39] : arrivé à la frontière, il fait rompre un pont derrière lui, pour ôter à quiconque la pensée d’une débandade et d’une retraite[40], puis il tient un discours pour interdire le pillage : Marchez toujours en ordre ; dans le combat, ne quittez jamais vos enseignes ; le premier qui s’en écartera, je l’abandonnerai, après lui avoir fait couper les jarrets[41].

Ammien rappelle un grand nombre de châtiments infligés dans cette campagne : le Suréna ayant surpris trois escadrons, enlevé un étendard et tué un tribun, les deux autres sont dégradés comme lâches, avec dix soldats qui avaient fui, et mis à mort[42]. Une autre fois, indigné contre les gens d’une cohorte qui avaient lâchement soutenu le premier effort de l’ennemi, l’empereur les transfère dans un autre corps moins honorifique et moins avantagé[43]. Des légions accusant un corps de cavalerie de s’être insensiblement retiré pendant l’attaque, au grand péril du reste de l’armée, il lui enlève ses étendards, brise ses lances, fait marcher ses pelotons avec le train et les prisonniers ; les officiers, plus vaillants, furent préposés à d’autres corps, dont les tribuns avaient également fui. Julien, dit Ammien[44], vu les difficultés qui l’attendaient, se contenta de ce léger châtiment.

Avec le temps les mauvaises habitudes ne font que se développer. Un contemporain d’Anastase nous en rapporte ce témoignage oculaire : après une bataille, les troupes byzantines se dispersent pour dépouiller les morts[45] ; à la tombée de la nuit, il faut que le commandant en chef fasse allumer du feu au sommet d’une colline et sonner des trompettes pour rassembler ses hommes[46]. Venus en libérateurs dans une cité, les soldats s’y font entretenir, logent même chez les prêtres et les diacres, malgré l’édit impérial qui l’interdisait[47].

S’étonnera-t-on des désertions d’alliés ou de fédérés ?

Les Romains connurent plus d’une fois cette disgrâce[48] et souvent aussi la révolte individuelle. A Dara un soldat, Jean, conspira avec quelques camarades et s’empara de la ville, se fortifia dans le palais ainsi que dans une citadelle et s’y défendit quatre jours ; au bout de cet effort il fut tué[49]. Dans les derniers temps, la victoire, du côté de Byzance, fut maintes fois compromise ou empêchée par la pleutrerie de certains chefs : Théodoric, qui commandait les Scythes, prend la fuite sans soutenir le premier choc des ennemis[50] ; la terreur panique du chef, dans une autre rencontre, causa la déroute de l’armée romaine[51].

Dans les armées perses, le général était très maître de ses hommes, elles secrets du commandement y demeuraient bien gardés[52]. Au contraire, chez les Byzantins sévissait un état-major tumultueux et discordant. Parti de Dara, Bélisaire s’arrêta à 41 stades de Nisibis ; plusieurs voulaient aller de l’avant ; il leur dit : Je ne pourrais faire connaître mes vues — ils le demandaient ! — une parole dite dans le camp ne demeure jamais  secrète ; elle court jusqu’aux   oreilles   des ennemis. Je vois que chacun de vous, oubliant son rang, entreprend de commander ici[53]. Il devait prendre l’avis des principaux chefs, sous peine de se voir désobéir[54]. Le système des condottieri conduisait à une hiérarchie mal fixée : vers la frontière d’Arménie, les troupes romaines subirent une grave déroule, parce qu’elles étaient conduites par une quinzaine de capitaines, presque de même rang, qui ne s’entendaient pas[55]. La discipline en devenait bien difficile à maintenir : au milieu d’un engagement, par exemple, on voyait un des corps, s’étant emparé du bagage de l’ennemi, en commencer le pillage, au lieu de tenir ferme devant les Perses[56]. Le butin restait partout et toujours la grande préoccupation[57].

Une nouveauté de cette basse époque est l’importance très grande que commencent à prendre les évêques même dans les opérations de guerre : ils accompagnaient les armées romaines pour attirer sur elles les bénédictions divines, et on désignait généralement quelque prélat de Mésopotamie[58] pour escorter les ambassadeurs auprès du roi des rois. Les poésies d’Ephrem[59] servaient à enflammer les cœurs des habitants de Nisibis, pendant que la ville était assiégée par les Perses. Eusèbe de Samosate avait adopté le costume militaire, hors le casque, remplacé par la tiare[60]. Conon, évêque d’Apamée sur l’Oronte, combattit vaillamment dans la troupe d’Isauriens qui soutint contre l’usurpateur Longin la cause d’Anastase[61]. Il y a bien des légendes sur ce sujet, notamment dans les récits de Théodore[62], mais le fait simple de cet ascendant épiscopal n’est pas douteux[63] : l’idée chrétienne fut dans bien des cas pour ces barbares un principe de ralliement et de discipline.

Héraclios en tira adroitement parti[64] : l’hiver venu, il ne voulait pas risquer ses troupes au-delà de Ganzaca ; elles demandaient à poursuivre ; il les rallia à sa décision, la plus raisonnable, en faisant ouvrir l’Évangile, un jour de jeûne, à un endroit qui semblait indiquer qu’il fallait aller hiverner en Albanie[65]. Grâce aux mêmes sentiments, celte histoire militaire s’achève à peu près sur une belle page : contre les musulmans fanatisés, les Byzantins et leurs partisans luttèrent avec plus de valeur que de chance : pour s’ôter toute latitude de fuir, les chrétiens s’étaient enchaînés les uns aux autres, à la journée du Yarmouk[66].

 

 

 



[1] Suétone, Vespasien, 6 ; Tacite, Hist., II, 80 : Mucien  enflamma les troupes contre Vitellius en leur disant que celui-ci voulait les faire passer des garnisons riches et tranquilles de la Syrie sous le climat rigoureux de la Germanie et son service pénible. — V. Sénèque, Dialog., III (de ira), 11, 4 : Syriae molles bello viri.

[2] Ai-je besoin de rappeler le cas de Pison : Largesses, condescendances, il emploie tout, caressant les moindres soldats, licenciant les vieux centurions, leur substituant ses créatures, favorisant la paresse dans les camps, la luxure dans les villes, les courses et le brigandage dans les campagnes, poussant la corruption si loin que la multitude ne le nommait plus que le père des légions (Tacite, Ann., XI, 55 ; cf. III, 12). Tacite nous cite cependant un légat de Syrie sous Claude, C. Cassius, qui voulut, même dans la paix, et comme si l’ennemi eût été menaçant, revocare priscum morem, exercitare legiones (ibid., XII, 12).

[3] Dans l’Idumée, sous le gouverneur Varus, 2000 vétérans, qui avaient fait avec succès la guerre contre les Arabes et qu’on avait congédiés, conspirèrent entre eux et s’unirent aux insurgés israélites (Jos., A. J., XVII, 270 ; B. J., II, 55).

[4] Cf. pour Verus : u. Ver., 4-6 ; pour Caracalla : Zonar., XII, 12.

[5] Zosime, II, 34, 2.

[6] Il ne faut pas se refuser absolument à l’admettre parce que Vulcatius Gallicanus a forgé à ce sujet une correspondance apocryphe entre Marc-Aurèle et ses préfets du prétoire. Tu as bien fait de mettre Cassius à la tête des légions de Syrie, fait-il dire à l’un deux ; à toute cette grecquaille (Graecanicis militibus) rien ne convient mieux qu’un chef sévère ; ces fleurs que les soldats portent au front, au cou et sur la poitrine, il les enlèvera (v. Cass., 5, 1-6). Le document est faux, mais paraît correspondre à une réalité ; cf. Lécrivain, Essai sur l’Histoire Auguste, p. 246.

[7] Epist. ad Ver., I, p. 183 sq. Mai ; Princip. histor., p. 316 sq. ibid.

[8] V. Marc, 8 ; cf. Capitolin., v. Ver., 4-6.

[9] Spartien, v. Pescenn. Nig., 7 :... tumultuantibus is, qui a Saracenis virti fuerant, et dicentibus : Vinum non accepimus, pugnare non possumus, Erubescete, inquit, illi qui vos vincunt, aquam bibunt. — Il faut reconnaître que les écrivains de l’Histoire Auguste ont puisé à des sources très hostiles aux Syriens ; l’auteur de la vie de Pertinax (3, 1) reproche, sans raison, à cet empereur son amour pour l’argent depuis son gouvernement de Syrie (Dion Cassius partageait cette prévention ; cf. LXXVII, 10) ; add. Vopiscus, v. Tac., 3 : leves mentes Syri.

[10] Lampride, v. Alex. Sev., 52, 3 ; 53-54, 1-7.

[11] Dion Cass., Epit., LXXX, 3 ; il était probablement préfet d’une légion parthique (Hirschfeld, Kaisert. Verwaltungsbeamte, 2. Aufl., p. 397).

[12] Xiphilin, ad Dion Cass., LXXVIII, 28. Et encore Macrin fut-il victime d’une conspiration de soldats gagnés à prix d’argent (Hérodien, V).

[13] L’affirmation de Dion Cass., LXXVIII, 3, est corroborée par l’inscription bien connue de Phaene (CIG, 4551 = Waddington, 2524 = Dittenberger, OrGiS, 609) : Jul. Saturninus aux gens de Phaene, μητροκωμία de Trachonite, salut. Si quelqu’un, soldat ou particulier, séjourne chez vous et se comporte avec violence, faites-le moi savoir et justice vous sera rendue. Ayant un ξενών (sorte de caserne de passage), vous ne pouvez être obligés de recevoir personne dans vos demeures privées. Exposez cette lettre bien en évidence, pour que nul ne prétende l’avoir ignorée.

[14] Je ne signale le fait que parce qu’il s’agit d’une guerre civile ; sans quoi il serait normal. Hérode avait pris Jérusalem avec l’assistance de Sosius ; il voulait empêcher qu’on ne la mit à sac. Sosius ayant répondu qu’on ne pouvait refuser aux soldats le pillage d’une place conquise, Hérode promit de les récompenser à ses frais (Jos., B. J., I, 356).

[15] Xiphilin, ad Dion Cass., LXXIX, 1. Vers le même temps, sous Élagabale, le chef de la légion III Gallica et un officier de la IV Scythica essayèrent de soulever ces deux corps à leur profit (Id., LXXIX, 7) ; il est probable que le second ne réussit pas, car le nom de la IVe légion n’a pas, comme celui de la IIIe, été martelé sur les monuments.

[16] Ammien Marcellin, XXII, 12, 6.

[17] Or. II (Πρός τούς βαρύς αύτόν καλέσαντας, prononcée en 381), 37-40, 45 ; Fœrster, I, p. 250-253 ; cf. 38.

[18] Or. XLVII (Περί τών προστασιών), 5-12 ; Fœrster, III, p. 406 sq.

[19] Constitution du 8 avril 392 (C. Theod., XII, 1, 128).

[20] Ammien Marcellin, XXV, 8, 18 : un officier fut précipité dans un puits desséché et accablé de pierres parce que, depuis la mort de Julien, il se montrait imprudent, murmurait de tout ce qui s’était passé, invitabatque ad convivia subinde militares.

[21] Dans mon mémoire sur Séleucie de Piérie, loc. cit.

[22] Liban., XI, 159, Fœrster, I, p. 489 ; XIX, 45, F., II, p. 405 ; XX, 18, F., II, p. 429.

[23] Il y avait souvent des passe-droits, dont les chefs se rendaient coupables ; un édit d’Anastase, dont on a que des fragments extrêmement mutilés (Waddington, 1906, Bostra ; 2033, Mothana), paraît se rapporter, dans son premier paragraphe, aux promotions arbitraires ; l’édit prescrit de s’en tenir, pour les changements de grades ; à l’ordre établi dans le registre matricule du corps.

[24] Les renseignements de Procope, bien que consignés dans l’Hist. arcan. (24, 1-6), méritent crédit, car ils reçoivent d’autre part des confirmations de détail. Exemple de charité privée : Grégoire, évêque d’Antioche, avait acquis grande autorité sur les gens de guerre par ses bienfaits. Il avait donné de l’argent aux uns, des habits et des vivres aux autres, lorsqu’ils avaient été enrôlés et avaient passé sur ses terres (Evagr., VI, 11).

[25] Ils le traitaient de brocanteur (παλιγκάπηλος).

[26] Theoph. Simoc, III, 1-5 ; même récit dans Evagr., VI, 4-7, mais moins clair, moins complet et encombré de rhétorique. — Rapprochons Procope, B. P., II, 7, 34 sq. : Fléchi par l’évêque, Chosroes laissa les habitante de Beroca se retirer de la ville ; il sortit aussi quelques soldats qui se plaignirent qu’on leur devait un arriéré de solde et entrèrent dans son armée ; ils le suivirent en Perse.

[27] Plutarque, Lucullus, 24, 32, 34,36. — Il manquait, il est vrai, d’ascendant personnel sur les hommes.

[28] Plutarque, Antoine, 39, 48, 49. — Les troupes romaines, on le voit, ne supportaient vaillamment ni les privations, ni les rigueurs climatériques ; mais cela n’interdit pas de croire qu’avant ces incidents les Parthes ont bien pu admirer la parfaite ordonnance de l’armée (ibid., 39).

[29] Plutarque, Pompée, 33.

[30] Hérodien, VI, 4, 7 ; 6, 4.

[31] Tacite, Ann., XIII, 35 ; cf. Dion Cass., LXII, 19. Jos., B. J., III, 103, pose en principe la peine capitale pour de telles fautes ; la législation militaire criminelle n’a guère changé en somme ; à la fin du VIe siècle, la voici encore : désertion d’un homme, la mort ; d’un corps, qu’il soit décimé (Maurice, Strateg., I, 8, p. 38).

[32] B. J., II, 577 ; add. 529.

[33] B. J., III, 70-103 ; v. surtout 74, 85 sq., 98 sq. Il était du reste, et pour cause, fortement φιλορωμαΐος, et daignait ne pas tirer de conséquences générales de certains exemples de panique (V, 76 sq., 87).

[34] B. J., IV, 44-45.

[35] Tacite, Ann., XIII, 36.

[36] Au siège d’Hatra, sous Septime Sévère, ce sont encore les Syriens qui se comportent le mieux ; les soldats d’Europe refusent de monter à l’assaut (Zonar., XII, 12 ; Dion Cass., LXXV, 12).

[37] Or. I, 18 D.

[38] Ammien Marcellin, XVIII, 8, 3.

[39] Il se trama sous son règne des conjurations militaires importantes, dues sans doute en grande partie à sa politique religieuse et à son ardeur à faire des prosélytes. Il put aussi y avoir des froissements entre les soldais de Constance, généralement chrétiens, et ceux que Julien avait amenés d’Europe, ceux-là païens convaincus. Les textes sont étudiés et cités par G. R. Sievers, Das Leben von Libanios, Berlin, 18C8, p. 97 et 108.

[40] Ammien Marcellin, XXIII, 5, 4 ; Théodoret, H. ecclés., III, 20, p. 1118, Migne. — Et il place au milieu, entre les deux lignes, des bataillons d’infanterie suspects, qui pourraient tourner le dos et donner le mauvais exemple (Ammien, XXIV, 6, 9).

[41] Ammien Marcellin, XXIII, 5, 21.

[42] Secutus veteres leges (XXIV, 3, 1-2). Après la prise de Pirisabora, Julien promet à chaque homme cent deniers d’argent ; ils murmuraient sur la modicité de la somme, mais ses vives remontrances les apaisèrent (ibid., 3, 3-7).

[43] XXIV, 5, 10.

[44] XXV, 1, 7-9.

[45] Il est bien curieux d’entendre ensuite le chef romain dire à ses hommes : L’infanterie perse n’est qu’un ramas de paysans bons tout au plus à remuer la terre et dépouiller les cadavres (Procope, B. P., I, 14, 25). Ne pas dépouiller les ennemis tant que dure la bataille, recommande sévèrement Maurice (Strateg., VII, 15, p. 146).

[46] Josué le Stylite, Chron., 52.

[47] Josué le Stylite, Chron., 87.

[48] Les Lazes firent difficulté de se joindre aux Romains, dont ils redoutaient la froideur, parce que ceux-ci ne luttaient pas comme eux pour leurs foyers (Procope, B. G., IV, 8, 3) ; au premier contact, la cavalerie laze prit la fuite (ibid., 18 sq. ; cf. Theophan., 309).

[49] B. P., I, 26, 5 sq.

[50] Evagr., V, 20 (sous Maurice).

[51] Theoph. Simoc, II, 9, 1 sq.

[52] Ammien Marcellin, XXI, 13, 4 : apud Persas nemo consiliorum est conscius praeter optimates taciturnos et fidos, apud quos silentii quoque colitur nomen.

[53] Procope, B. P., II, 18, 5-6.

[54] Procope, B. P., 19, 6 sq.

[55] Procope, B. P., 24-25.

[56] Theoph. Simoc., II, 4, 1.

[57] Craignant la couardise de ses hommes, le général Martin feint d’apprendre qu’une armée de secours lui arrive, espérant exciter leur dépit, car ils voulaient le butin pour eux seuls. En effet, l’ennemi ayant attaqué, ils firent une superbe défense (Agathias, III, 9, 4).

[58] Et il y avait échange de bons procédés entre les deux ordres, civil et religieux : la nonne Silvia (Éthéria ?) reçut des autorités une escorte militaire pour les trajets dangereux de sa peregrinatio (IX, 3, éd. Geyer, Corp. script, ecclés. lat., XXXIX (Vienne, 1898), p. 49).

[59] Cf. Carmina Nisibena Sancti Ephraemi Syri, éd. syriaque et trad. avec commentaires par Gustave Bickhell, Leipzig, 1866 ; C. Ferry, Saint Ephrem, poète, Paris, 1877.

[60] Théodoret, H. ecclés., IV, 13, p. 1149 Migne.

[61] Evagr., H. ecclés., III, 35.

[62] Histoire de l’évêque Jacques de Nisibis, invoquant la fils de Dieu, qui apparaît sur les murailles de la ville au grand effroi des ennemis (Relig. hist., p. 1118 = 1304 Migne), et obtenant du Seigneur qu’il envoie sur la multitude des Perses des vers et moustiques, qui remplissent les oreilles, les yeux et les narines des chevaux et des éléphants (H. ecclés., II, 26, p. 1076 sq.). — Au siège de Théodosiopolis, Eunome, l’évêque, démonta seul les machines du grand roi, et un prince perse ayant blasphémé, il en fit mettre une sur le mur, à laquelle on avait donné le nom de l’apôtre Thomas ; elle frappa le blasphémateur, dont elle jeta la cervelle à terre. Le roi de Perse, effrayé, fit la paix (H. ecclés., V, 36, p. 1269).

[63] Add. les évêques envoyés par les villes en parlementaires (Procope, B. P., II, 5, 3 ; 6, 4 ; 11, 4).

[64] Je donne pour ce qu’elle vaut l’antithèse établie par Georges Pisidès (Exp. Pers., II, 241 sq.) entre l’armée d’Héraclios et celle de Shabr-baraz, la veille d’une bataille : dans le camp perse, au son des cymbales, des femmes nues et provocantes dansaient autour du général ; des psaumes s’élevaient dans le camp chrétien.

[65] Theophan., 308.

[66] D’après Beladhori, l’historien arabe (de Goeje, op. laud., p. 117). II s’agit, bien entendu, des fantassins.