ROME ET LA JUDÉE

AU TEMPS DE LA CHUTE DE NÉRON (ANS 66-72 APRÈS JÉSUS-CHRIST)

CINQUIÈME PARTIE. — FIN DE LA GUERRE JUDAÏQUE

CHAPITRE XVI. — DERNIERS COMBATS (70-72).

 

 

Hâtons-nous d'achever l'histoire des malheurs d'Israël en ce siècle.

Le mouvement de pitié que les ruines de Jérusalem avaient inspiré à son vainqueur pouvait être le fait d'un Romain, d'un César, de Titus. Les païens de l'Occident pouvaient bien avoir quelque compassion pour des Juifs. Mais il n'en était pas de même de ces idolâtres arabes, syriens, phéniciens, voisins du peuple de Juda et ses ennemis depuis quinze siècles. Ceux-là répondirent par des acclamations de joie aux hurlements de douleur de Sion. Lorsque Titus apparut au milieu d'eux avec les trophées de sa victoire, des richesses et des captifs, chacune des étapes de son voyage fut un triomphe. Dans les deux Césarées, à Béryte, à Antioche, le peuple se précipita sur ses pas, les villes lui offrirent des couronnes ; des jeux, des spectacles et des supplices célébrèrent son passage. A Césarée, lieu où il célébra le jour natal de son frère (24 octobre), deux mille cinq cents Juifs furent ou brûlés, ou dévorés par les bêtes, ou contraints de s'égorger dans l'amphithéâtre. A Béryte, le jour de naissance de son père (17 novembre), il y eut aussi une grande tuerie à la santé de Vespasien : le clément Titus célébrait ainsi ses fêtes de famille. A Antioche, sénat et peuple vinrent au-devant de lui à trente stades de distance, lui demandant de nouvelles rigueurs envers les Juifs. A Zeugma, sur l'Euphrate, frontière extrême de l'empire, le roi parthe Vologèse envoya une couronne d'or au vainqueur de ces Juifs, ennemis communs de Rome et de Ctésiphon. Tout le paganisme oriental se réjouissait ainsi de la chute de Jérusalem. Les soldats syriens étaient fous d'orgueil et de joie : Reste avec nous, disaient-ils à Titus, ou emmène-nous tous avec toi. Il n'eût tenu qu'à lui de se séparer de son père et de fonder un empire d'Orient. Vespasien en eut la crainte, ne fut rassuré que lorsque Titus, débarqué à Pouzzoles et se hâtant de calmer les soupçons paternels, lui écrivit : Me voici mon père, me voici[1].

Titus César, prince de la jeunesse, imperator, consul, associé à l'empire de son père[2], arrivait ainsi en Italie, où un triomphe plus solennel l'attendait (printemps 71). Josèphe décrit, avec peu de fierté nationale, il faut en convenir, ce triomphe qui était le convoi funèbre de Jérusalem. Titus eut cette gloire particulière qu'un empereur vint au-devant de lui. Vespasien partit dès la veille pour rencontrer son fils, et, à l'aube du jour, tous deux rentrèrent solennellement dans Rome. Le cortège, selon l'expression emphatique de Josèphe, était comme un fleuve non interrompu[3] d'argent, d'ivoire, d'or, de riches étoffes ; de couronnes d'or garnies de pierres précieuses, de dieux portés sur les brancards sacrés, d'animaux de l'Orient avec leurs guides et leurs caparaçons habituels ; de curiosités, telles que l'arbre du baume, qui passait pour appartenir à la seule Judée, et que les Romains se vantaient d'avoir défendu contre les Juifs eux-mêmes[4]. Marchaient aussi, plus glorieux butin, des prisonniers, ou plutôt l'élite des prisonniers, couverts de vêtements magnifiques, comme pour dissimuler leur épuisement et leur douleur. Sur quelque cent mille captifs que la guerre avait donnés, on en avait trié sept cents, les plus beaux par la figure et par la taille, les plus beaux aussi par la renommée de leur courage ; et, à leur tête, Simon, fils de Gioras, portant au cou le lacet qui allait servir à l'étrangler, et qu'on menait en le flagellant comme on avait mené Vercingétorix devant le char de César. Suivaient les représentations des villes prises, hautes de trois ou quatre étages  ; des bas-reliefs incrustés d'argent et d'ivoire, figurant toutes les scènes, même les plus affreuses, de la guerre. On portait jusqu'à des vaisseaux. On portait enfin ces dépouilles du temple que j'ai tant de fois nommées, les candélabres, les coupes d'or, le voile du temple, la table des pains de proposition, le chandelier à sept branches, le livre de la loi. Et, à la suite de tous ces trophées, les deux princes venaient sur le char triomphal, sous les lauriers et sous la pourpre, Domitien à cheval auprès d'eux[5].

Il y eut un temps d'arrêt avant d'arriver au temple de Jupiter Capitolin. Jupiter ne permettait pas qu'on se présentât devant sa demeure sans avoir fait couler pour sa satisfaction quelques gouttes de sang. On s'arrêta donc sur le forum, devant la prison Mamertine, sanctifiée quatre ans auparavant par le séjour de saint Pierre et de saint Paul ; et l'on jeta Simon, fils de Gioras[6], dans le Tullianum, cachot où avaient péri avant lui Jugurtha, Lentulus, Céthégus, Vercingétorix. Un instant après, on vint dire aux Césars qu'il avait vécu et que le programme de la fête était rempli. Le peuple poussa un grand cri de joie ; les prières solennelles se firent ; les princes étaient maintenant dignes du dieu. La journée s'acheva dans les festins ; seul, le vieux Vespasien trouva la cérémonie un peu longue : Je suis bien puni, dit-il, de la sottise que j'ai eue, vieux et plébéien, d'ambitionner le triomphe[7].

Ces triomphes prouvent quelle était l'importance de la victoire. On avait eu beau mépriser ce petit peuple juif ; il n'en avait pas moins tenu la puissance romaine en échec pendant quatre ans. Le temple de Janus fut fermé. Titus et Vespasien prirent le titre d'imperatores. Le triomphe d'Auguste fut inscrit sur les monnaies. Treize ans après cette victoire, elle était rappelée par un monument demeuré un des types les plus purs de l'architecture impériale. L'arc de Titus, placé en face de l'amphithéâtre de Vespasien, retrace toutes les scènes du triomphe, les dépouilles sacrées, le Jourdain vaincu et Rome conduisant le triomphateur. Les Juifs de Rome se faisaient, dit-on, une loi de ne pas passer sous cet arc de triomphe, monument de leurs souffrances et de leur châtiment. C'est ainsi que la victoire de Titus était encore célébrée sous Domitien, meurtrier de Titus et ennemi de sa mémoire[8].

Au moment de ce triomphe, la guerre n'était pourtant pas complètement finie. Titus avait laissé derrière lui trois points encore occupés par l'insurrection : Hérodion, dans l'intérieur de la Judée ; Massada, sur la rive occidentale de la mer Morte ; Machéronte, sur l'autre rive : trois citadelles, palais et arsenaux, bâtis par le roi Hérode pour être les abris de son despotisme, et qui devenaient les derniers abris de la liberté.

Lucilius Bassus, chargé de gouverner la Palestine, soumit promptement Hérodion (71). Machéronte, quoique sa position fût très-forte, résista peu. Les insurgés qui l'occupaient étaient las de la guerre ; maîtres du château, ils rachetèrent leur vie en livrant la ville au pillage et les habitants au massacre[9].

Il n'en fut pas de même de Massada. L'était un rocher à pic de toutes parts, haut de douze cents pieds du côté de la mer Morte, de neuf cents environ du côté de la terre ; accessible seulement par des sentiers étroits, dangereux, escarpés, où il faut poser le pied juste où l'a posé celui qui vous précède, et où la tête tourne dès qu'on regarde au-dessous de soi. Sur le plateau qui couronne ce rocher et qui n'a pas moins de sept stades (quatorze cents mètres) de circuit, les rois Asmonéens avaient bâti une citadelle ; Hérode l'avait enceinte d'un mur, avec des tours de soixante coudées, et, comme à son ordinaire, y avait ajouté un palais, des thermes, des pavés de marbre et de mosaïque. Il y avait laissé, pour l'usage futur des révolutionnaires juifs, des armes pour dix mille hommes, une immense quantité d'eau dans les citernes, de vastes magasins où, au bout d'un siècle, le yin et le blé étaient intacts ; tout, jusqu'à des terres en culture[10].

Ce nid d'aigles, je l'ai dit, était occupé par les sicaires. Un descendant de Judas le Gaulonite, Éléazar, fils de Jaïr, avait établi là sa bande armée, rançonnant le pays d'alentour, indifférent aux luttes de Jérusalem et se tenant fière. ment debout après sa chute[11]. Il n'avait plus là qu'une poignée d'hommes ; mais leur courage et la puissance de leur situation les rendait redoutables, et ce ne fut que la seconde année après la victoire de Titus que Flavius Sylva, successeur de Bassus, vint attaquer Massada (72).

Le siège se lit dans toutes les règles. Établis sur le rocher de Leucé, qui servait comme de marchepied pour escalader Massada, les Romains comblèrent le ravin qui sépare ces deux hauteurs, au moyen d'un remblai de trois cents coudées ; ils élevèrent peu à peu ce remblai sur une largeur de cinquante coudées jusqu'à la hauteur des murailles ; ils y amenèrent l'hélépole et les béliers. En même temps, une circonvallation tracée dans la plaine enlevait aux assiégés toute espérance de fuite ; ils purent apprendre là que la pelle du soldat romain était aussi vaillante au moins que leur épée.

Aussi, quand le premier mur eut été renversé par le bélier ; quand une seconde muraille, élevée pendant le siège, eut été détruite par le feu ; quand les Romains, après une nuit d'attente, à l'aube du jour, s'approchèrent des murailles (15 xanth., 22 avril), ils ne virent personne. Ils franchirent la muraille : tout se taisait ; seulement le feu brûlait dans la citadelle. Ils jetèrent un cri comme celui dont ils accompagnaient les mouvements du bélier ; deux femmes seulement, sortant des couloirs souterrains où elles s'étaient cachées, vinrent à ce cri.

Elles racontèrent ce qui s'était passé pendant la nuit. Éléazar avait rejeté toute idée ou de fuite ou de résistance. Il avait rassemblé ses hommes, et leur avait proposé d'en finir par le suicide. On avait hésité ; on avait versé quelques larmes ; l'éloquence d'Éléazar l'avait emporté. Ses auditeurs rayaient interrompu ; saisis comme par une impulsion irrésistible et livrés à un démon[12], ils s'étaient hâtés à qui accomplirait le premier ce tragique dessein. Ils avaient embrassé leurs femmes, donné à leurs enfants un dernier baiser, et, tout en pleurant de désespoir, comme s'ils eussent obéi à une force étrangère, ils les avaient percés de coups. Pas un homme n'avait eu la pensée d'épargner ceux qu'il aimait. Ceux-là morts, ils avaient eu soif de les rejoindre. Ils avaient entassé toutes les richesses du palais pour les incendier, choisi au sort dix d'entre eux chargés d'égorger le reste, s'étaient étendus sur le sol à côté de leurs femmes encore palpitantes, avaient embrassé leurs cadavres et tendu la gorge à l'épée. Après avoir bravement tué tous leurs compagnons, les meurtriers avaient tiré au sort une seconde fois ; celui que le sort désigna avait tué les neuf autres ; et, sa tâche finie, après s'être assuré que personne ne restait vivant autour de lui, il avait mis le feu au palais, s'était percé de son épée et était tombé sur tous ces morts. Neuf cent soixante êtres humains avaient péri ainsi. Deux femmes qui, par bonheur pour elles, n'avaient là ni père ni mari, cinq enfants échappés à la sollicitude paternelle, s'étaient cachés dans les souterrains ; et ce fut par eux que les Romains connurent cette horrible tragédie.

L'insurrection judaïque se terminait ainsi par une scène digne de son courage, digne aussi de sa frénésie. Un descendant de Judas le Gaulonite fermait par sa mort la carrière de révolte et de meurtre que ses ancêtres avaient ouverte, quatre-vingts ans auparavant. Les Romains admirèrent ceux qui les avaient ainsi déçus, et Josèphe, ce déserteur de la cause judaïque, admire ceux qui étaient restés si désespérément fidèles à cette cause[13]. Oubliant tous ses raisonnements contre le suicide dans la caverne de Jotapata, il se prosterne devant le suicide des hommes qu'il déteste le plus. Tant à cette époque, tous, même les Israélites, étaient séduits par le funeste héroïsme des morts volontaires !.

M'est-il permis de m'arrêter ici pour remarquer combien l'histoire est parfois justifiée par la topographie ? Des voyageurs modernes, en petit nombre et tardivement, ont reconnu la plage dangereuse de la mer Morte, et visité le rocher qui avec son château a perdu son nom de Massada (forteresse), et s'appelle simplement Sebbeh. Ils ont gravi, non sans péril, quoique nul sicaire ne fût là-haut pour faire rouler des pierres sur eux, l'un de ces sentiers dont parle Josèphe, et l'ont trouvé au moins aussi difficile qu'il le dit[14]. Ils sont arrivés sur le premier plateau, auquel la pierre calcaire dont il est formé avait fait donner le nom de Leucé (blanc). De là, ils ont gravi le plateau de Massada, marchant sur la cime, bien amincie par les pluies et les éboulements, du remblai que les Romains élevèrent, il y a mille sept cent quatre-vingt-cinq ans. Arrivés sur la plate-forme hérodienne, ils ont reconnu une porte ogivale qui menait dans le palais, le palais même avec ses mosaïques, la citadelle asmonéenne de Jonathas, le mur d'enceinte, des citernes, des magasins creusés dans la partie verticale du rocher et accessibles seulement par des passages souterrains. Ils ont fait rouler de douze cents pieds de haut les pierres hérodiennes sur les sables de la mer Morte. Et, de cette hauteur, ils voyaient le mur de circonvallation de Sylva, en grande partie reconnaissable, construit en fragments rocailleux, garni de quatre redoutes, et qui s'ouvre pour saisir le rocher de Massada, comme entre les deux branches d'une tenaille. Les historiens antiques ont un renom d'inexactitude qui ne laisse pas que d'être parfois mérité ; mais parfois aussi la terre et la pierre fournissent à leur récit des pièces justificatives singulièrement authentiques.

J'ai hâte d'arriver au terme de tous ces meurtres et de toutes ces douleurs. Malheureusement, je n'ai parlé jusqu'ici que de la Palestine, et il y avait des Juifs par toute la terre. Ce qui arriva à ceux qui habitaient hors de l'empire romain, nous ne le savons pas ; mais il n'est pas probable que le Parthe Vologèse, qui envoyait une couronne à Titus, ait manqué l'occasion de maltraiter les Juifs opulents de ses États, qui avaient fourni des auxiliaires à la défense de Jérusalem. Quant aux Juifs de l'empire romain, ils étaient en général demeurés paisibles. Plus éloignés du centre religieux, plus refroidis par leur prospérité commerciale, plus en contact avec les païens, les prophéties ne les tenaient pas autant en éveil. Mais la chute de Jérusalem, qui aurait dû les épouvanter et les abattre, les excita et les souleva. La victoire de Titus jeta sur le monde une foule de fugitifs israélites. Tous les sicaires n'étaient pas à Massada ; et de ce parti, le plus ancien et le plus tenace des partis révolutionnaires juifs, bien des victimes, bien des missionnaires, bien des héros apparurent dans les synagogues. Leur doctrine, que Dieu est le seul Souverain, se propagea davantage au moment où la main du souverain terrestre pesait plus lourdement sur la Judée.

A Alexandrie, où les chefs de la synagogue, dans leur prudence, cherchèrent à l'étouffer, elle n'amena que des querelles entre Juifs, et une persécution des sicaires fugitifs livrés par la synagogue elle-même à la justice romaine. Mais à Cyrène, un tisserand nommé Jonathas persuada à la populace israélite de le suivre dans le désert, lui promettant, comme tant d'autres, des miracles et des apparitions[15]. Le préfet Catullus poursuivit et tailla en pièces ces malheureux ; mais, comme ce n'étaient point là des sévérités lucratives, il imagina de mettre en cause l'aristocratie judaïque, qui avait au contraire dénoncé les révoltés. Bon nombre de Juifs opulents périrent ; bon nombre de patrimoines furent confisqués. Vespasien cependant intervint et disgracia Catullus en même temps qu'il fit brûler Jonathas.

Ailleurs, d'autres causes amenèrent d'autres persécutions. Vespasien, qui connaissait les prophéties relatives au roi fils de David, fit rechercher les descendants de la famille royale Hébraïque, et en mit quelques-uns à mort, non sans laisser à ses successeurs Domitien et Trajan l'héritage de cette défiance et de ces rigueurs.

Là s'arrête, pour un temps du moins et sauf les lacunes de l'histoire, la série des calamités du peuple juif. Il est difficile de les résumer par des chiffres. Josèphe nous donne le nombre des morts de Jérusalem ; il ne donne pas celui des morts de toute la nation ; il dut être immense. Dans les guerres antiques, la mort contre la population virile, l'esclavage contre la population désarmée était de droit ; la servitude pour les premiers, la liberté pour les seconds était une grâce ; et les Romains, plus libéraux en ce genre que la plupart des peuples de l'antiquité, accordèrent souvent cette grâce à des vaincus rarement à des rebelles. En réunissant les chiffres partiels que donne Josèphe en différents endroits de son ouvrage[16], nous arrivons à un chiffre de un million trois cent mille hommes, qui serait encore bien au-dessous du total réel.

Par contre, Josèphe nous donne ici le nombre des prisonniers. Il l'estime à quatre-vingt-dix-sept mille pendant toute la guerre[17], et il ajoute que les marchés syriens furent encombrés de ces captifs. Trop nombreux pour être chers, trop indépendants pour faire de bons esclaves, les Juifs étaient une pauvre denrée ; et il y a assez de vraisemblance dans la tradition chrétienne qui raconte que ces Juifs, à qui le Seigneur avait été vendu pour trente deniers, étaient eux-mêmes vendus trente pour un denier. Somme toute, si l'on compte les prisonniers et les morts, il n'est pas improbable que sur trois millions d'habitants la Palestine en ait perdu deux millions. On peut donc dire avec Josèphe : Jamais peuple depuis le commencement du monde n'avait vu autant de crimes, jamais cité n'avait tant souffert[18], ce qui revient aux paroles de l'Évangile : Il n'y a pas eu de jours de tribulation pareils et jusqu'à la fin des jours il n'y en aura pas de semblables.

On s'étonnera peut-être que tant de massacres aient été accomplis sous le règne de Vespasien, l'un des plus modérés d'entre les Césars, et par l'ordre de Titus, qu'on appela depuis les délices du genre humain. Il est bien vrai que Titus, pendant ses deux ans et deux mois de règne, a su demeurer pur de toute cruauté, excepté celles de l'amphithéâtre, qui chez les Romains ne comptaient pas. Mais Titus, sous le règne de son père, ne se fit pas faute, comme dit Suétone, d'un peu de tyrannie et de violence ; il faisait demander par le peuple ou par les soldais la tête de ses ennemis. Instruit d'un complot formé par un consulaire, il invita le coupable à souper et le fit tuer en sortant de table. Je ne pense pourtant pas comme un spirituel érudit de nos jours que Titus, s'il eût vécu plus longtemps, eût été un Néron ; mais je crois qu'il n'eût jamais été un Marc-Aurèle.

Et surtout il faut dire que les cruautés de la guerre n'ôtaient rien à la réputation d'humanité de qui que ce fût. Josèphe, ce flatteur de Titus, raconte les exterminations de son peuple, sans songer ni à les accuser ni à les excuser. Titus n'en est pas moins à ses yeux le plus clément de tous les princes. Des ennemis, des rebelles, des barbares, des Juifs, étaient un gibier si légitimement acquis au bourreau, au feu et à l'amphithéâtre, qu'on pouvait en tuer onze cent mille sans cesser d'être le plus doux des hommes. On mettait sa démence ailleurs.

Du reste, même les légendes apocryphes des Juifs, si antihistoriques qu'elles soient, par leurs rancunes prouvent leurs souffrances. Tous les Juifs n'étaient pas comme Josèphe gagnés à leur vainqueur et les commensaux de sa cour. Pour beaucoup d'entre eux, Titus n'est pas le moins du monde les délices du genre humain. C'est le plus exécrable des réprouvés. Après avoir profané le sanctuaire et déchiré de son épée le voile du temple, il en voit sortir du sang et comprend qu'il a outragé la Divinité. Bourrelé de remords, il s'embarque pour l'Italie ; relais son navire est près de faire naufrage. Le Dieu de ces gens-là, dit-il, n'est puissant que sur les eaux. C'est sur tes eaux qu'il a fait périr Pharaon et Sisara (sic). Que ne pouvons-nous combattre sur terre contre lui ? Une voix lui répond : Scélérat, fils de scélérat, engeance d'Ésaü ! j'ai une petite créature qu'on appelle moucheron, va sur terre et combats contre elle. La tempête cesse, Titus débarque, un petit moucheron entre dans ses narines. Pendant sept ans, il bourdonne dans son cerveau, lui ôte le sommeil et la paix. Un jour, Titus entre par hasard dans une forge, et s'aperçoit que le bruit des marteaux fait faire silence au mouvement intérieur qui le dévore. Ce remède trouvé, il en use, et fait venir dans son palais un forgeron pour marteler sans cesse à ses côtés. biais, au bout de trente jours, l'insecte recommence à marteler de son côté, et la souffrance du prince devient abominable. Il meurt enfin ; le rabbin Pinha, fils d'Emba, assiste à l'ouverture de son corps. On trouva dans son crâne une hirondelle du poids de deux talents (environ cent livres), d'autres disent une colombe de deux livres qui avait un bec de cuivre et des griffes de fer. L'insecte en dévorant le cerveau de Titus, s'était grossi à ce point[19]. Puériles sottises qui témoignent bien de la pauvreté du génie rabbinique, mais qui témoignent aussi des ressentiments et des souffrances du peuple de Juda.

Ainsi, en bien peu d'années, la nation judaïque avait traversé des phases bien différentes. Nous l'avons vue d'abord au commencement du premier siècle de notre ère, portant le joug commun, mais jouissant de la liberté, de la sécurité, de la prospérité commune des nations de l'empire romain ; plus en progrès même que d'autres nations, quant au nombre, quant à la richesse, quant à l'importance ; attendant le Messie et l'attendant comme prochain, mais l'attendant en paix et avec confiance.

Est venu le crime du Calvaire. Pour ce crime, les diverses nuances du judaïsme se sont momentanément unies ; mais elles se sont unies pour ensuite se diviser de nouveau et se combattre avec plus de fureur. Pour ce crime, on a abusé du principe de la soumission envers Rome ; et ce qui en sort, c'est l'esprit de révolte contre Rome. Par ce crime, Israël a rejeté le Messie humble, pacifique, spirituel, céleste, qui lui était donné ; et il s'est livré d'autant plus à tous les faux Messies, ambitieux, guerroyants, charnels, terrestres, que le démon ou la folie pouvait susciter. Par ce crime enfin, Israël a prononcé l'anathème contre lui-même, et cet anathème déjà s'accomplit.

Sont venues ensuite, entre le crime de Golgotha et la guerre déclarée, trente-quatre années où Israël s'est enfoncé de plus en plus dans l'anathème, plus divisé, plus insoumis, plus livré aux imposteurs, persécuteur plus obstiné chaque jour du Christ et de son Église, plus oublieux des avertissements de sa propre loi. Israël, qui, par crainte des Césars et par amour, dit-il, pour Moise, a fait périr le Christ, attaque de plus en plus, par une triple révolte, César, Moïse et le Christ.

Mais enfin le dernier délai est expiré, et nous avons vu éclater la révolte. Les aristocrates, les gens sages, le grand nombre, selon Josèphe, aurait voulu l'éviter ; les démocrates, les insensés, le petit nombre, selon Josèphe, ont trouvé moyen d'y compromettre le grand nombre avec eux-mêmes. Patriotes qui poussent leur patrie à sa perte ; hommes religieux qui engagent leur religion dans une guerre fatale, contre un pouvoir respectueux après tout envers elle ; ou plutôt sectaires désespérés, satisfaisant malgré eux à l'anathème prononcé contre eux par eux-mêmes ou par leurs pères.

Cependant, après une campagne malheureuse, Dieu, dans sa miséricorde, a voulu, par les guerres civiles de Rome, accorder à Jérusalem un temps de répit. Dix-huit mois se sont passés pendant lesquels la révolte judaïque, toujours refoulée et circonscrite, n'a été cependant que faiblement attaquée. Eh bien, ce temps de grâce n'a été employé ni à ménager la paix ni à se fortifier pour la guerre. II a été employé à s'entr'égorger. Pleines d'énergie, mais aussi pleines de démence, les factions sont demeurées, toujours dominant dans Jérusalem, y opprimant toujours les amis de la paix, toujours rebelles contre Rome ; mais en même temps toujours armées contre elles-mêmes et se déchirant.

Et, lorsque Rome, libre enfin de ses querelles intérieures, a pu reprendre les hostilités contre Jérusalem, ces hommes, s'attachant de tout leur cœur à éliminer les chances de salut qui pouvaient rester pour leur ville et pour eux-mêmes, ont écrasé les soulèvements pacifiques du dedans, repoussé les exhortations pacifiques du dehors, proscrit tous les conciliateurs possibles, insulté Josèphe, irrité Titus. Ils ont si bien et si héroïquement fait ; ils ont eu tant d'atrocité et tant de courage ; ils ont tellement prolongé la lutte, qu'ils ont amené une catastrophe où tout a péri, la ville, le temple, le peuple et eux-mêmes. Ils semblent avoir tout combiné pour rendre le malheur aussi grand et aussi complet que possible.

Dans cette transformation si rapide, dans cette révolte si téméraire, dans ces discordes si insensées, dans cette obstination si aveugle, ne reconnait-on pas le doigt de Dieu poussant cette nation vers sa perte ? Ne peut-on pas dire ici, dans la compassion et dans la douleur, ce qu'on dit ailleurs dans l'admiration et la joie ? Ceci a été fait par le Seigneur, et c'est à nos yeux chose admirable[20].

Maintenant, comme nous l'avons fait jusqu'ici, rapprochons les malheurs du présent des avertissements du passé.

Le peuple de Juda était sous le coup d'un triple anathème dont il était ou le dépositaire, ou le témoin, ou l'auteur. Il était le dépositaire des prophéties de l'Ancien Testament, qui lui apprenaient à quelles conditions la vocation divine lui avait été conférée, et quelles peines suivraient l'infraction de cette loi. Il avait été le témoin des prédictions évangéliques, puisqu'à l'époque de la ruine un grand nombre de contemporains, et les pères ou les grands-pères de tout le reste, avaient pu entendre la parole du Sauveur. Enfin, il était l'auteur de ce terrible et solennel anathème prononcé aux pieds de l'arceau de Gabbatha : Prends-le et crucifie-le... Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !

Les prophéties évangéliques ont été citées assez au long. L'anathème juif est assez clair dans son terrible laconisme ; c'est le suicide d'un peuple voté quarante ans à l'avance. Mais il est bon de rappeler ici les prophéties de l'Ancien Testament.

J'ai déjà cité celle d'Isaïe et d'Osée sur le libelle de répudiation envoyé à l'épouse infidèle par son époux irrité ; celle d'Isaïe et de Jérémie, sur le vigneron divin enfin décidé à arracher la vigne stérile ; la verge de l'alliance brisée par Zacharie. Les Juifs pouvaient lire également dans d'autres prophètes du temps passé leur récente histoire ; leur demeure devenue déserte et leur tabernacle sans habitants ; leur dos courbé sous le joug pour de longs siècles ; la cessation de leurs joies, de leurs fêtes, de leurs néoménies, de leurs sabbats, et la terrible image de Dieu les comptant à la pointe du glaive et faisant périr son peuple dans le massacre[21].

Mais, de toutes les prophéties, nulle n'était frappante comme celle de Moise. On se rappelle ces bénédictions et ces malédictions solennelles qu'il prescrivit au peuple de prononcer, partagé en deux camps, l'un sur le mont Hébal pour maudire, l'autre sur le mont Garizim pour bénir : Si tu entends la voix du Seigneur ton Dieu, disait-il, le Seigneur te fera plus haut que toutes les nations....

Mais, si tu ne veux pas entendre la voix du Seigneur ton Dieu, ni garder et observer ses ordres et toutes ses cérémonies que je te prescris aujourd'hui, sur toi viendront et te saisiront toutes les malédictions que voici :

Maudit seras-tu dans la ville et maudit dans la campagne !

Maudit sera ton grenier, et tes restes maudits !

Maudit sera le fruit de tes entrailles et le fruit de ta terre !....

Le Seigneur t'enverra la faim et la disette, et la malédiction sur toutes les œuvres que tu feras, jusqu'à ce qu'il t'écrase et te perde sans délai...

Le Seigneur te livrera chancelant à tes ennemis ; tu marcheras contre eux par un chemin et tu t'enfuiras par sept chemins pour te disperser dans tous les royaumes de la terre.

Et ton cadavre sera la nourriture de tous les oiseaux du ciel et des bêtes de la terre, sans que personne les chasse....

Et en tout temps tu supporteras les vexations, et tu seras opprimé par la violence, et nul ne te délivrera...

Et tes fils et tes filles seront livrées à un autre peuple ; et pendant tout le jour ta vue défaillira à ce spectacle, et nulle force ne sera plus dans ta main....

L'étranger qui habite le même pays avec toi montera au-dessus de toi et sera ton supérieur ; tu descendras et tu lui seras inférieur....

Et il y aura sur toi des signes et des prodiges, et sur ta race à jamais.

Parce que tu n'auras pas servi le Seigneur ton Dieu au temps de ta joie et de l'allégresse de ton cœur et de l'abondance de toutes choses,

Tu serviras l'ennemi que t'enverra le Seigneur, dans la faim, la soif, la nudité et toute espèce de dénuement ; et il mettra un joug de fer sur ta nuque jusqu'à ce qu'il t'écrase.

Le Seigneur amènera sur toi une nation venue de loin et des extrémités de la terre, SEMBLABLE À UN AIGLE qui vole avec impétuosité ; une nation dont tu ne pourras comprendre la langue ; une nation pleine d'arrogance qui n'aura pas de respect pour le vieillard ni de pitié pour l'enfant.

Et elle dévorera les petits de tes troupeaux et les fruits de ta terre, jusqu'à ce que tu périsses ; elle ne te laissera ni blé, ni vin, ni huile, ni bœufs, ni brebis....

Et elle t'écrasera dans toutes tes villes ; et, dans tout ton pays, tes murs hauts et puissants en lesquels tu avais confiance seront détruits. Tu seras assiégé au dedans des portes de la cité.

Vient ici la prophétie déjà citée de la famine et de l'enfant mangé par sa mère.

Et vous resterez en petit nombre, vous qui auparavant étiez nombreux comme les astres du ciel....

Et de même que le Seigneur s'est réjoui sur vous en vous faisant du bien et en vous multipliant, de même il se réjouira en vous perdant et en vous exterminant, afin que vous disparaissiez de la terre dont vous aurez pris possession.

Le Seigneur te dispersera chez tous les peuples depuis le centre de la terre jusqu'à ses extrémités....

Chez ces peuples, tu ne t'arrêteras pas et il n'y aura pas de repos pour la plante de tes pieds.

Le Seigneur te ramènera sur des vaisseaux en Égypte, par le chemin qu'il t'avait annoncé que tu ne verrais plus. Là tu seras vendu par tes ennemis comme esclave et comme servante, et IL N'Y AURA PERSONNE POUR T'ACHETER[22].

J'aurais vraiment une bien faible idée de la mémoire du lecteur si je prenais la peine de rapprocher en détail cette prophétie de l'événement[23]. Mais il est bon de nous demander quel est le crime auquel Moise attache de si durs anathèmes ? Ce n'est pas ici, comme, en bien d'autres cas, l'idolâtrie seulement. C'est l'infidélité en général, le mépris des préceptes, l'inobservation des cérémonies ; c'est surtout la voix du Seigneur Dieu qui n'a pas été entendue. Ces cérémonies négligées, nous le savons, c'est l'ordre du sacerdoce oublié, le sacrifice des étrangers rejeté, le temple souillé de sang. Mais nous savons aussi quelle est cette voix du Seigneur qui n'a pas été entendue : c'est la voix de son Fils bien-aimé en qui il a mis sa complaisance, qu'il a ordonné d'entendre et qu'on n'a point écouté[24]

Cette identité entre les avertissements de la loi ancienne et ceux de la loi nouvelle avait bien été signalée aux Juifs par le Sauveur : Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuse devant mon Père. Celui qui vous accuse, c'est Moïse en qui vous espérez. Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez en moi, car c'est de moi qu'il a écrit. Mais, si vous ne croyez point à ses écritures, comment croirez-vous à mes paroles[25].

Les Juifs étaient donc aveugles envers l'ancienne loi comme envers la loi nouvelle, incrédules à Moïse comme à Jésus, condamnés par les prophéties de leur Synagogue comme par celles de l'Église, sujets au triple anathème du mont Hébal, du mont des Oliviers et de Gabbatha ; et, pour me servir de l'expression même de leurs rabbins dans le Talmud : Dieu pouvait se laver les mains de la destruction du sanctuaire.

 

 

 



[1] Suétone, in Tit., 5.

[2] Xiphilin, LXVI, 7. — Tacite, Hist., IV, 58. — L'association de Titus à l'empire est établie par les monnaies et les inscriptions, où, du vivant de son père, il est désigné par le mot Imperator, placé avant son nom. — Suétone (in Tit., 6), l'appelle participem atque etiam tutorem imperii. — Pline dit : Imperatores Cæsares Vespasiani. Hist. nat., III, 5 ; XII, 25. — Voyez aussi Pline le Jeune, Panegyr., 8. — Selon le peu croyable Philostrate, en arrivant à Rome, Titus aurait appris son élection à l'empire, V, 30.

[3] Josèphe, VII, 17 (5, 5).

[4] Pline, Hist. nat., XII, 25.

[5] Josèphe, VII, 16-19 (5, 4-7). — Suétone, in Vesp., 8 ; in Tit., 7.

[6] Josèphe, VII, 18 (5, 7), et Dion, apud Théodose, LXVI, 7. — Dion appelle Simon Barporès, ce qui peut vouloir dire adultère ou étranger.

[7] Voir Suétone, in Vesp., 8, 12 ; les monnaies TRIVMPH. AVG., avec le captif nu et garrotté, qui suit le quadrige triomphal ; et surtout l'arc de Titus.

[8] Inscription de Rome en l'honneur de Titus : SVBLATIS POP. ROM. HODTIBVS PERNICIOSISSIMIS. Gruter, 244. — De même à Interamme, ibid., 245. — Gruter rapporte une autre inscription où les Juifs sont nommés, et qui est beaucoup plus prolixe ; mais il ne dit pas où elle a été trouvée, et elle est à bon droit suspecte (V. p. 244 ; et Grævius, Thesaur. Antiq.), t. III, p. 111.

[9] Josèphe, VII, 25 (6, 4).

[10] Josèphe, VII, 31, 32 (8, 5, 4).

[11] Voir Josèphe, de B., II, 52 (17, 9) ; IV, 24 (7, 2).

[12] Josèphe, VII, 35 (9, 1).

[13] Josèphe, VII, 54, 35 (8, 9).

[14] M. de Saulcy, t. I, p. 200 et suiv. — J'ai cependant peine à croire que le sentier par lequel cet intrépide voyageur est monté sur le plateau de Sebbeh soit celui que Josèphe appelle la Couleuvre. Joseph désigne deux sentiers, l'un arrivant par l'occident et s'appuyant sur le rocher de Luire ; l'autre arrivant de l'orient, du côté de la mer Morte, et plus escarpé encore c'est celui-ci qu'il nomme la Couleuvre.

[15] Josèphe, VII, 38 (11, 1).

[16] Tués par Florus à Jérusalem, 11, 25 (14, 9) : 3600 ; Césarée : 10.000 ; Scythopolis : 13.000 ; Ascalon : 2.500; Ptolémaïs, II, 34 : 2.000 ; en Égypte, VII, 34 (8) : 60.000 ; à Damas, ibid. (Ailleurs Joseph dit 10.000) :  8.000 ; à Joppé : 8.400 ; sur une montagne : 2.000 ; dans un combat à Ascalon : 10.000 ; dans les embuscades : 8.000 ; à Japha : 15.000 ; sur le Garizim : 11.600 ; à Jotapata : 40.000 ; Joppé : 4.200 ; Tarichée : 6.500 ; prisonniers de Tarichée tués à Tibériade : 1.200 ; à Gamala : 5.000 ; Giscala, IV, 9 (2, 5) : 6.000 ; dans l'Idumée : 10.000 ; à Gerasa, IV, 28 (9, 1) : 1.000 ; Machéronte : 2.700 ; dans le bois de Jardès, VII, 26 (6, 5) : 5.000 ; à Massada (VII, 25, 6, 4) : 960 ; Cyrène : 3.000 ; Jérusalem : 1.100.000. Soit un total de 1.337.660.

[17] Καθ' όλοω πόλεμον, dit-il, tandis que les chiffres de morts qu'il donne dans le même passage s'appliquent seulement au siège de Jérusalem, κατα πάσαν τήν πολιορκίαν. On n'a pas toujours remarqué cette différence. VI, 45 (9, 3).

Voici en outre quelques chiffres partiels donnés par Josèphe :

A Japha  2.130 prisonniers.

A Jotapata : 1.200

A Tarichée : 36.400

A Giscala : 3.000

Dans l'Idumée : 1.000

[18] Josèphe, V, 26 (10, 5).

[19] Voir Jost.

[20] Jost, rationaliste, et disposé à ne voir en rien l'action de la Providence, laisse pourtant échapper cette phrase : Il est vrai que la chute d'aucun État ne présente des circonstances aussi singulières, tant d'événements imprévus, des révolutions si subites, et l'action aussi puissante de causes qui partout ailleurs n'auraient eu que des conséquences faibles, superficielles, faciles à combattre. Il est vrai qu'un enchaînement de prophéties, remontant à un millier d'années, faisait d'avance pressentir ces événements, et prévenait tellement l'œil de l'observateur, que, sans pénétrer plus avant dans les ressorts cachés des événements, l'esprit se persuadait immédiatement de cette pensée, qu'il y avait là une puissance supérieure agissant sans intermédiaire sur le monde, et que l'État qui s'écroulait ainsi avait, par le péché de ses habitants, mérité la colère du Père céleste. VII, 15.

[21] Voir sur tout ceci : Isaïe, I, 1-5. Osée, II, 12. — Isaïe, V, 1. Jérémie, II, 21. — Ps. LXVIII, 23-29. — Osée, II, 11, 12. Isaïe, LXV, 11.

[22] Deutéronome, XXVII et XXVIII. — Voir aussi les passages analogues dans le Lévitique, XXVI : J'enverrai contre vous mon glaive vengeur... J'enverrai la peste au milieu de vous... Je briserai le bâton de votre paix : dix femmes cuiront dans le même four... Vous mangerez la chair de vos fils et de vos filles. Je changerai vos villes en solitude, et je rendrai déserts vos sanctuaires, et je dévasterai votre terre, et vos ennemis seront dans la stupeur lorsqu'ils viendront pour l'habiter (la stupéfaction et la pitié de Titus). Je vous disperserai parmi les nations. Ceux d'entre vous qui resteront, je mettrai la peur dans leur cœur ; au pays de vos ennemis, le son d'une feuille qui vole les effrayera, et ils fuiront comme devant le glaive ; ils tomberont sans être attaqués... Vous périrez parmi les nations, et une terre ennemie vous dévorera... Ils se dessécheront dans leurs propres iniquités sur la terre de leurs ennemis à cause des péchés de leurs pères et des leurs. 25, 39.

[23] Voir du reste, dans Bossuet, Sermon sur la bonté de Dieu envers le pécheur. — Sermons, t. IV, p. 310 (édit. Versailles).

[24] Josèphe approchait de la vérité dans ce passage que citent comme lui appartenant Eusèbe (Hist., II, 23) et saint Jérôme (Catalog. scriptor.) : Tout ceci arriva aux Juifs à cause de Jacques le Juste, frère (cousin) de Jésus, qu'on appelle Christ, qui, bien que de l'avis de tous, il fût très-juste, avait été mis à mort par les Juifs. Ce passage ne se retrouve pas dans les textes actuels de Josèphe. Nous savons seulement qu'il blâme la mort de saint Jacques, et l'impute au Sadducéen Ananus. Antiq., XX, 8 (9, 1).

[25] Joanne, V, 46-47.