ROME ET LA JUDÉE

AU TEMPS DE LA CHUTE DE NÉRON (ANS 66-72 APRÈS JÉSUS-CHRIST)

DEUXIÈME PARTIE. — SOULÈVEMENT DES JUIFS

CHAPITRE IV. — ÉTAT DU PEUPLE JUIF AVANT LE RÈGNE DE NÉRON.

 

 

Dans un coin du monde, mais dans le coin du monde que le Sauveur avait désigné, la prophétie commençait à s'accomplir d'une manière plus particulière. L'attente était plus vive et l'orage plus imminent.

Pour faire connaître les Juifs de cette époque, il n'y a pas, ce me semble, de meilleur type que les Juifs d'aujourd'hui. Rien différents sans doute et par la croyance et par les mœurs, leur situation politique me parait singulièrement analogue.

Alors, comme aujourd'hui, en effet, et depuis près de trois siècles, la nation juive avait commencé d'être cet étrange peuple que nous connaissons, si cosmopolite et en même temps si distinct. Hors de l'empire romain, de nombreuses colonies israélites, transportées jadis par Nabuchodonosor, et qui s'étaient implantées dans la terre d'exil, remplissaient la Babylonie, la Médie, la Perse même ; d'autres avaient poussé jusqu'à la Chine : la première migration juive dans l'empire chinois est antérieure de trois siècles au moins au temps dont nous parlons Dans l'empire romain, les Juifs, que les Ptolémées avaient emmenés comme leurs prisonniers et dont ils avaient ensuite fait leurs soldats, nombreux à Alexandrie et dans toute l'Égypte, s'étaient répandus de là sur la côte africaine, dans la Cyrénaïque et la Libye. La commune domination des Séleucides, le goût du commerce, une activité intelligente et dévouée au service des vainqueurs, avaient ouvert aux Juifs de la Terre-Sainte le chemin de la Syrie et de l'Asie Mineure ; de là ils avaient gagné l'île de Chypre, la Grèce, la Crète, l'Italie ; la communauté juive de Rome devait sa première origine aux captifs ramenés par Pompée. Dans toute la partie orientale de l'Empire, la plupart des villes avaient leur quartier juif, et la synagogue se dressait à côté du temple païen[1].

Alors aussi, comme aujourd'hui, ce peuple, disséminé à de telles distances, n'avait plus le lien d'une langue commune. L'idiome, ce signe persistant des nationalités, s'est toujours aisément effacé pour la nationalité hébraïque : trafiquant et usurier, le juif parlera volontiers la langue du peuple avec lequel il traite et se dépouillera sans regret de la sienne. Au temps de Moïse, nous le voyons parler un idiome analogue à celui des Phéniciens. Au temps de la captivité de Babylone, cet idiome, l'hébreu proprement dit, devient une langue morte, et le chaldaïque, que les Juifs ont appris à Babylone, lui succède dans les écrits mêmes des prophètes ; lorsque, dans la synagogue, le rabbin lit le Pentateuque, il a près de lui un interprète qui le traduit en chaldaïque pour l'usage du peuple. Enfin, sous l'empire romain, le chaldaïque, toujours usité parmi les Juifs de la Terre-Sainte, devient à son tour une langue morte pour ceux qui sont dispersés au dehors. Alors, comme aujourd'hui, ils n'avaient d'idiome national qu'à titre d'idiome liturgique ou savant ; la langue qu'ils parlaient était la langue du pays qu'ils habitaient[2]. Neuf ou dix millions de Juifs qui existaient à cette époque pouvaient bien parler une cinquantaine de langues, de même que les quatre millions de Juifs qui existent aujourd'hui en parlent au moins une centaine.

Et, enfin, nous pouvons ajouter, quoique la situation religieuse fût bien différente, qu'en ce temps comme dans le nôtre ce peuple dispersé voyait s'affaiblir pour lui le lien même de la religion. Il s'en fallait de beaucoup que la race juive fût une, religieusement parlant. Tous sans doute vénéraient le nom et la loi de Moise, presque tous le sacerdoce et le temple de Jérusalem ; mais Moise, son temple, sa loi, son sacerdoce, ne faisaient plus qu'une portion dominante, sans doute, mais une portion de la religion judaïque. Depuis déjà cinq siècles, s'il faut le faire remonter jusqu'à Esdras, comme le prétendent les rabbins, l'enseignement rabbinique était venu suppléer, expliquer, parfois aussi compliquer et subtiliser la loi ; la synagogue s'était élevée au pied du sanctuaire, le rabbin avait pris place au-dessous du prêtre ; des rites secondaires, une religion domestique et, pour ainsi dire, municipale, avaient réuni les Juifs en dehors des rites solennels et légaux qui se célébraient dans la seule Jérusalem et dans le seul temple. Mais ce culte et cet enseignement des synagogues, moins légitime et moins défini, fondé sur l'autorité tout humaine de quelques docteurs, n'était ni partout le même, ni accepté également partout. L'hérésie samaritaine avait protesté, et, dressant sur la montagne de Garizim un temple qui fut depuis abattu par les Juifs, elle s'était séparée de Jérusalem et du sacerdoce, au point de s'approcher de l'idolâtrie : les Samaritains furent pour les Juifs d'éternels et d' irréconciliables ennemis, donnant et recevant l'anathème. Les Juifs d'Égypte, de leur côté, avaient dressé à Héliopolis un temple rival de celui de Jérusalem : c'est là qu'affluaient leurs offrandes au lieu d'aller, comme celles des autres Israélites, grossir le trésor de Sion[3] ; leurs docteurs, plus philosophes que rabbins, grecs par la langue et par l'esprit, platonisaient Moïse, et étaient pour le rabbinisme de la Judée des inconnus, des étrangers, sinon des schismatiques. Les Juifs d'au delà de l'Euphrate, ceux de la Perse, acceptaient-ils l'enseignement des rabbins de Jérusalem ? Nous ne le savons pas, et dans les synagogues chinoises aucune trace des traditions rabbiniques ne se retrouve.

Mais eux-mêmes, les rabbins de Jérusalem, anathématisant la montagne de Garizim, tenant pour schismatique le temple d'Héliopolis, n'étaient pas moins divisés les uns contre les autres. Le sadducéisme, sorte de protestantisme judaïque, rejetait toute tradition, ne voulait s'en tenir qu'au texte du Pentateuque, niait la doctrine de l'autre vie parce qu'il ne la trouvait pas assez formellement articulée dans Moïse ; ces fanatiques de la loi écrite penchaient cependant vers le paganisme, de même que les protestants, ces fanatiques de l'Écriture sainte, ont bien vite penché vers le déisme. Les doctrines secrètes de la kabbale, venues en droite ligne de Moïse selon les uns, du paganisme égyptien ou oriental selon les autres, tenaient par leurs fables mythologiques, par leurs récits d'anges ou de démons, par leur magie, par leurs prétendus prodiges, les âmes inquiètes et les imaginations en éveil. Le pharisaïsme enfin, la doctrine dominante dans le judaïsme, celle qui pouvait passer pour l'interprète orthodoxe et authentique de la loi, celle qui menait le peuple, celle qui gardait les abords du temple, celle qui prêchait dans la plupart des synagogues et qui enseignait dans la plupart des écoles ; celle-là, moins occupée de sa vérité que de sa grandeur, effaçait peu à peu le nom de Moïse pour celui de son rabbin Hillel, le temple pour l'école, le sacerdoce pour le doctorat, la Bible pour ses commentaires ; elle ne faussait peut-être point la loi ; mais elle se l'appropriait. Comme a dit le Sauveur : elle tenait la clef de la science, mais elle n'y entrait point et n'y laissait pas entrer[4].

Tous ces traits, du reste, loin d'être étrangers au judaïsme actuel, sont chez lui bien plus marqués. Car alors, du moins, il y avait dans la synagogue une autorité, une, puissante, vénérée, privilégiée de Dieu. Le Seigneur disait alors : Les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moise, écoutez-les, quelque peu digne d'estime que fût en elle-même la personne des Pharisiens. Aujourd'hui que cette autorité n'existe plus, que la chaire de Moïse est vide, qu'il y a des synagogues et non pas la synagogue ; aujourd'hui bien plus que jamais, toutes les diversités, toutes les erreurs, toutes les incrédulités, s'y logent à leur gré. Il y a aujourd'hui, au lieu de sadducéens, des Juifs caraïtes qui n'acceptent que la lettre pure du Pentateuque ; au lieu de pharisiens, des Juifs talmudistes qui vénèrent la Mischna et la Ghemare bien au-dessus de la Bible ; au lieu de Juifs philosophes ou platonisants, des Juifs rationalistes qui, faisant un cas égal du Pentateuque et du Talmud, croient peu en Dieu, pas du tout en Moïse, et sont Juifs en ce seul sens qu'ils ne sont pas Chrétiens[5]. Aujourd'hui, comme alors, les différences d'origine et de langue deviennent des dissentiments religieux ; dans la Hollande, ce paradis des Israélites, les noms de Juifs allemands et de Juifs portugais représentent des nations, des synagogues, des rites séparés. Il est naturel sans doute que, depuis dix-huit cents ans qu'il n'y a plus de temple ni de sacerdoce, on aille plus loin qu'on n'allait jadis, et que l'on se croie très-bon Juif en refusant toute foi à l'inspiration de Moise. Mais, même il y a dix-huit cents ans, bien que vénérant en commun le sacerdoce et le Temple, envoyant son or au sanctuaire, allant en pèlerinage pour la Pâque, on n'en était pas moins partagé par de profondes dissidences. Le judaïsme était divisé moins qu'aujourd'hui, mais comme aujourd'hui.

Et cependant, alors et même aujourd'hui, malgré toutes ces différences de contrée, d'idiome, de rite, de tradition, d'école, de doctrine ; malgré des dissentiments qui allaient parfois jusqu'à l'anathème ; ce peuple étrange demeurait complètement lui, communiquait plus qu'il ne s'accordait d'un bout du monde à l'autre ; mêlé partout aux infidèles, se distinguait d'eux partout, gardait son sang intact et ne s'alliait point avec eux. Il ne renonçait alors nulle part, comme il commence à y renoncer aujourd'hui, aux sabbats, à la circoncision, à l'abstinence des viandes, ces signes de nationalité autant que de croyance ; il n'abdiquait nulle part, comme il le fait en notre siècle, son nom méprisé de Juif : opiniâtrement fidèle, je ne dirai pas à sa religion, mais à sa race ; fidèle, malgré les idoles et aussi malgré l'Évangile, malgré les ténèbres et malgré la lumière, malgré les mépris et malgré les avertissements, malgré la persécution et malgré la tolérance ; Juif entêté, Juif ignorant, Juif insensé, Juif hétérodoxe, Juif philosophe, Juif incrédule, Juif athée, mais toujours Juif.

A toutes ces analogies entre les deux époques, s'en ajoute une autre. Alors, comme de notre temps, le peuple juif n'avait d'existence politique nulle part ; et néanmoins, alors, comme de notre temps, il ne laissait pas que d'être libre, riche et même puissant.

La nation juive, au commencement de l'empire romain, était sans doute, comme toutes les nations de l'empire, dépendante et soumise ; mais, dans les limites de cette dépendance, elle ne manquait ni d'importance ni de liberté. La soumission à Rome avait été acceptée par elle. A cette époque, les docteurs n'avaient pas encore découvert dans les Livres saints le secret de ce fanatisme politique qui, depuis, fit du joug étranger un sacrilège et de la soumission une impiété. Ils avaient trouvé, au contraire, dans l'exemple des prophètes, dans le langage et la vie de Jérémie[6], cette leçon, qu'il est des jours où l'orgueil national doit fléchir, bien qu'avec douleur, et adorer dans le sceptre du vainqueur la verge de Dieu. Israël avait plié sous l'épée de Nabuchodonosor, destructeur du temple ; à plus forte raison avait-il dû plier sous la main de Pompée qui laissa debout le Temple, et devant cette puissance romaine que Daniel avait prédite et qui devait amener les jours du Messie. Israël était moins un peuple politique qu'un peuple religieux ; il avait combattu contre Antiochus, parce qu'Antiochus menaçait sa foi ; mais il avait subi toute domination, chaldéenne, persique, grecque, égyptienne, romaine, quand elle respectait le sanctuaire ; pendant ses quinze siècles d'existence, on peut à peine compter quatre siècles consécutifs de complète liberté[7].

Rome s'était donc vue maîtresse ; elle avait pu donner un roi à la Judée et la gouverner par la main d'un des J'érodes ; elle avait pu également faire de la Judée une de ses provinces et y envoyer à titre de procurateur un affranchi de César. La Judée avait tout accepté. Il y a plus, et après la mort d'Hérode le Grand, ce que huit mille Juifs habitant Rome étaient venus demander solennellement à Auguste, c'est que cette royauté soi-disant judaïque des Hérodes eût un terme, et que la Judée redevint purement et simplement province romaine. Il y a plus encore, et dans les rares moments où la puissance romaine s'oublia jusqu'à s'attaquer à la religion judaïque, alors même elle ne rencontra qu'une résistance passive. Quand un Pilate voulut montrer dans Jérusalem les drapeaux idolâtriques des légions, lorsqu'un Caligula prétendit placer sa statue dans le sanctuaire, Juda ne prit pas les armes : il combattit non par la révolte, mais par la supplication et le deuil ; il vint se prosterner, couvert de cendres, se roulant sous les pas des soldats, jetant ses enfants sous les pieds des chevaux, tendant sa gorge à l'épée, mais ne se servant pas de l'épée. La puissance romaine recula par deux fois, non devant la révolte, mais devant cette soumission dans le désespoir.

Mais la patience juive fut rarement mise à de telles épreuves. En général, Rome rendait en tolérance ce qu'elle recevait en soumission, et le culte juif n'était pas moins libre alors qu'il ne l'est aujourd'hui. Les peuples de l'empire pouvaient haïr les Juifs, les poètes se railler de ces écorchés, comme ils les appelaient, les historiens défigurer par mille erreurs le récit de leur origine. Les capitaines, les hommes d'État, les savants même de Rome, prenaient au sérieux une doctrine et une race sui s'étendaient aux deux bouts du monde. Rome avait toutes les sagesses de la paix, comme toutes les hardiesses de la guerre. Elle n'avait point cet esprit follement unitaire d'un Antiochus, qui veut que tous les peuples de ses États n'en fassent plus qu'un et que chacun abandonne sa loi particulière[8]. Elle croyait faire un sage calcul en laissant aux peuples, de leur vie propre, tout ce qu'elle pouvait leur en laisser sans péril.

Elle avait donc consenti de bonne grâce à respecter le Temple, les sacrifices, la prêtrise judaïques ; elle n'avait pas mis un faux amour-propre à déployer sur la terre d'Israël les étendards de ses légions ; elle permettait qu'ils n'entrassent que voilés à Jérusalem pour que les yeux israélites ne fussent pas choqués par la vue des images idolâtriques des empereurs. Quand des païens plaçaient insidieusement l'image de César dans une synagogue juive, c'était le proconsul de César qui l'en faisait retirer. Rome se faisait contre les siens la gardienne du sanctuaire de Jérusalem, et des inscriptions grecques et latines, placées à l'entrée de la cour réservée aux Israélites, avertissaient les païens de ne pas franchir cette enceinte sous peine de mort[9]. Rome allait jusqu'à dispenser les Juifs du service militaire, pour qu'ils n'eussent pas le chagrin de suivre des enseignes idolâtriques[10]. Rome prenait sous sa protection les envois d'or que les Juifs faisaient de toutes parts au Temple, et, dès le temps de la république, c'avait été un chef d'accusation contre un magistrat romain en Asie d'en avoir empêché l'exportation[11]. La conscience juive, chatouilleuse et fière, se faisait respecter jusque dans ses scrupules. Quand Pilate ose attacher aux murailles d'un palais des boucliers d'or consacrés à Tibère et marqués seulement de son nom, les Juifs réclament devant l'empereur contre cette adulation envers l'empereur, et Pilate est réprimandé[12].

La tolérance allait même jusqu'à l'hommage. Pompée, dans l'emportement de sa victoire, avait pu forcer le sanctuaire ; mais il s'était arrêté plein d'étonnement et de respect à la vue de ce temple sans idoles. Il avait respecté le temple, la ville, le trésor, et il avait ordonné aux prêtres d'effacer dès le lendemain la profanation que lui-même avait imprimée au sanctuaire. Et remarquez que Cicéron, bien qu'il attaque les Juifs, parce qu'il est avocat et plaide la cause d'un de leurs ennemis, Cicéron loue cet acte de modération chez Pompée. Le même sentiment de vénération avait été éprouvé par d'autres. Les envoyés romains n'entraient guère dans l'enceinte du temple ouverte aux Gentils, sans y adorer le Dieu des Juifs[13]. Agrippa, le ministre d'Auguste, pendant son séjour à Jérusalem, ne passa pas un jour sans aller visiter le temple et lui offrit de riches présents. Livie, la femme d'Auguste, donna des coupes et des vases d'or. Auguste lui-même, quoiqu'il prescrivît à sa famille de s'abstenir d'hommages personnels, non-seulement fit de pareils dons, mais voulut qu'à ses frais et en son nom un taureau et deux agneaux fussent immolés chaque jour à ce Dieu inconnu de Jérusalem dont la grandeur l'avait frappé[14]. Ce sacrifice quotidien, continué par ses successeurs, célébré avec un zèle pieux par les Juifs, fut longtemps le gage de la tolérance romaine et de la soumission judaïque, le sceau de l'amitié entre Rome et Jérusalem[15].

Ce n'est pas assez. Alors, comme aujourd'hui, dans l'empire romain comme dans l'Europe moderne, les Juifs avaient obtenu, avec la tolérance pour leur culte, la liberté pour leurs personnes. Les révolutions du monde leur avaient été propices. Ces hommes qui ne se sentaient liés à la cité qu'ils habitaient par aucune tradition nationale, quand cette cité était vaincue ou envahie, saluaient sans regret le vainqueur et savaient se rendre nécessaires au nouveau venu. On les a vus à Alger être les premiers amis de notre victoire, nos premiers serviteurs, nos premiers interprètes, presque nos premiers guides, et, par suite, nos premiers protégés.

C'est ainsi que les Juifs d'Égypte avaient su se faire adopter par les rois Ptolémées comme les plus sûrs gardiens de leurs forteresses ; que les Juifs de Syrie et d'Ionie, trafiquants habiles, avaient rendu aux rois Séleucides d'utiles services et en avaient reçu une assistance utile. Ces princes, maîtres de l'Asie Mineure et de la Syrie, dans les nouvelles villes qu'ils fondèrent ou qu'ils prétendirent fonder, dans toutes leurs Antioches, leurs Séleucies, leurs Laodicées, n'oublièrent pas les Juifs, ces fidèles serviteurs de leur pouvoir ; ils les y implantèrent comme colons ; ils les y élevèrent au rang de citoyens. Les Lagides en Égypte ne pouvaient faire moins pour la milice judaïque qui servait sous leurs drapeaux ; ils en peuplèrent la Cyrénaïque et la Lybie conquises ; et les Grecs d'Alexandrie, à leur grand désespoir, furent obligés de compter les Juifs comme leurs concitoyens.

Et à son tour la conquête romaine n'effaroucha nulle part ces nichées d'oiseaux exotiques, accoutumés à se faire partout un domicile, nulle part une patrie. Rome, touchée de leur bonne volonté, ne leur fut pas moins favorable qu'Antioche ou Alexandrie. Horace et Cicéron pouvaient se moquer d'eux ; mais, en Orient, Pompée, César, Antoine, Auguste, Agrippa, reconnaissants de leur enthousiasme et de leurs services, maintenaient leur liberté, confirmaient leur exemption du service militaire, protégeaient leurs envois d'or au temple, et faisaient écrire sur le bronze leurs privilèges que les villes grecques étaient toujours tentées d'oublier[16]. Dans Rome même, les Juifs, amenés comme prisonniers ou comme esclaves, d'esclaves devenaient affranchis, et d'affranchis citoyens[17] ; comme tant d'autres, la servitude les faisait Romains. Ce peuple a la mémoire des bienfaits. comme celle des injures, et les lamentations bibliques des Juifs de Rome retentirent autour du bûcher de César. Et c'est ainsi que, sous l'égide des rois macédoniens d'abord, des consuls romains ensuite, grâce aux conquêtes d'un Alexandre et à celles d'un César, Israël avait gagné le droit de cité dans presque toutes les villes de l'Orient.

Cette liberté qui, au dix-neuvième siècle, fait le triomphe des Juifs, dès le premier siècle était donc leur apanage. Implantés partout, ils étaient citoyens partout ; partout ou presque partout isonomes, égaux en droit aux indigènes, prenant place dans leurs assemblées, votant avec eux, ayant leur part de ce gouvernement républicain qui était encore, sous les Césars, le gouvernement municipal des villes grecques. Dans toutes. les Mlles, la synagogue juive formait une communauté libre, ayant non-seulement sa liberté religieuse, mais sa liberté civile, possédant non-seulement ses oratoires et ses rabbins, mais ses tribunaux et son magistrat propre, son ethnarque. Elle vivait judaïquement, régie par la loi de Moïse, comme les Athéniens par la loi de Solon, les Égyptiens par la loi de leurs aïeux, les Romains par la loi de Rome. Quand des querelles (et les querelles étaient fréquentes) naissaient ou de l'insolence païenne ou de l'irascibilité judaïque ; quand les idolâtres envahissaient la synagogue ; quand la population indigène déniait à la population juive son droit de cité, Rome, excepté sous le règne du fou Caligula, Rome intervenait, sinon par amour pour les Juifs, du moins par amour pour la paix publique : elle leur maintenait leur droit de cité et leurs synagogues[18]. Le monde ancien n'avait donc pas usé envers Juda de moins de largesse que le monde moderne. Le Juif était Syrien à Antioche, Alexandrin dans le Bruchium, comme aujourd'hui il est Français à Paris et Anglais dans la cité de Londres, sans pour cela cesser d'être Juif.

Enfin, pour compléter la ressemblance entre l'Israël d'alors et l'Israël d'aujourd'hui, les Juifs n'étaient pas hommes à tirer moins parti de leur liberté au premier siècle qu'au dix-neuvième. Nous voyons aujourd'hui ce qu'est devenue cette race, à peine nationalisée depuis soixante ans au milieu des États chrétiens, et la position qu'elle s'est faite, non-seule. ment dans les finances, mais dans la politique, dans les sciences, dans les lettres. La race de Juda est certainement une de celles que Dieu a le plus douées ; car il lui a donné la patience avec la hardiesse, la ruse avec l'énergie, l'éloquence avec la finesse, le sentiment du beau avec la recherche du profitable. Elle était alors ce qu'elle est aujourd'hui, plus entière seulement et plus près des sources inspirées : elle savait, comme aujourd'hui, user de sa liberté de même qu'elle avait su l'obtenir.

Il s'en fallait donc de beaucoup que, sous les premiers Césars, elle fût en décadence. C'était comme aujourd'hui, et c'était depuis longtemps déjà, ce peuple banquier, dégoûté de la guerre, dégoûté même de l'agriculture dès qu'il n'avait plus le sol de Chanaan à cultiver, livré modérément à l'industrie, mais habile à tous les trafics, et surtout au trafic de l'argent. On sent combien ce commerce était favorisé par la vaste étendue de l'empire, par les communications plus rapides et plus fréquentes entre tous les pays que baigne la Méditerranée, par la situation particulière de la nation juive répandue partout et correspondant partout. Ses commerçants voyageaient jusque sur les bords du golfe Persique. La seule contribution de deux drachmes que chaque Juif payait annuellement pour le temple, et qui s'envoyait en lingots d'or, produisait des sommes immenses. Nous voyons dans Cicéron que, lorsque Flaccus, préteur en Asie, s'avisa de faire arrêter ces envois, il saisit à Apamée près de cent livres d'or, à Laodicée plus de vingt, quelques faibles sommes à Adramytte et à Pergame[19]. De Néerda et de Nisibe, devenues les places fortes du judaïsme en Babylonie, partaient tous les ans des caravanes de plusieurs milliers d'hommes, emportant l'or que les Juifs de ces contrées envoyaient au temple. Grâce à ces dons, grâce à plus de deux millions de fidèles gui arrivaient tous les ans à Jérusalem pour la Pâque, grâce aussi à la libéralité hérodienne, le temple, Jérusalem, Ra Judée, s'enrichissaient et s'embellissaient chaque jour. Hérode avait refait le temple avec une magnificence inouïe. Lui et ses descendants avaient rempli Jérusalem de somptueux édifices ; ils avaient semé dans toute la Palestine les traces d'une magnificence plus païenne que juive, des temples, des portiques, des statues, des théâtres, des villes nouvelles. Le dernier roi de Judée, Agrippa, à qui son royaume connait un revenu annuel de 12.000.000 de francs, avait agrandi et à peu près doublé l'enceinte de Jérusalem, devenue insuffisante pour elle. Il y avait ajouté une ville nouvelle (Cœnopolis, Bezetha) ; il avait voulu la fortifier et l'aurait rendue inexpugnable si la prudence romaine cette fois ne s'y fût opposée[20]. C'est au souvenir de cette magnificence que Pline, trente ans plus tard, oubliant que Jérusalem venait de périr, l'appelle la ville la plus glorieuse de tout l'Orient.

Et à l'accroissement de la richesse s'ajoutait l'accroissement de la population. Ces colonies juives, semées par le monde, étaient fécondes, fécondes par la chair, fécondes par l'esprit. Une vie plus pure, la polygamie tolérée par la loi, mais peu usitée dans les mœurs, le célibat inconnu, la paternité imposée comme un devoir et honorée comme un service, .multipliaient les enfants de Juda, autant que la dépravation des mœurs, le célibat de plus en plus dominant, le mépris égoïste de la paternité diminuaient les races idolâtres. Ces hommes là, dit Tacite[21], croient les âmes immortelles ; aussi se réjouissent-ils d'être pères, et ne se croient point permis d'ôter la vie à aucun des enfants qui leur sont donnés. La race judaïque allait croissant partout où elle était répandue. Au delà de l'Euphrate, selon Philon, les Juifs étaient dominants dans plusieurs satrapies. Quoique ceux de la Babylonie fussent les moins nombreux, lorsque les païens commencèrent à les persécuter, on en vil périr jusqu'à cinquante mille dans la ville de Séleucie qui leur avait servi de refuge[22]. Dans l'empire romain, la population judaïque n'était pas moindre. Joseph et Philon comptent en Égypte un million de Juifs, cinquante mille à Alexandrie, où, sur cinq quartiers de la ville, ils en occupaient deux. Le passage de Cicéron cité tout à l'heure peut faire admettre une population de soixante-quinze mille Juifs dans quatre villes seulement de l'Asie-Mineure. Un passage de Josèphe fait supposer une population de vingt ou trente mille Juifs dans la ville de Rome. Quant aux Juifs de Palestine, on peut, sans exagérer, estimer leur nombre à trois millions ; la Galilée, la province la plus riche, il est vrai, de la Terre sainte, contenait, selon Josèphe, plus de cent mille hommes en âge de porter les armes[23], ce qui suppose bien une population d'un million. Jérusalem, selon Hécatée, avait cent vingt mille habitants[24].

Quant au nombre total des Juifs, Josèphe donne un renseignement assez positif. Le proconsul de Syrie, Cestius Gallus, vint à Jérusalem au temps de Pâques (an 66) ; il voulut compter la multitude de Juifs qui y affluaient de toutes les parties du monde. Les prêtres, par son ordre, tinrent note du nombre des agneaux immolés, et dont chacun était mangé en commun par une réunion de dix personnes au moins, quelquefois de vingt. On trouva deux cent cinquante-six mille cinq cents victimes. Et comme à ceux qui participèrent à la Pâque, il faut ajouter ceux que la lèpre ou d'autres impuretés légales empêchaient d'y prendre part, on peut bien compter une population de deux millions sept cent mille âmes présentes à cette heure dans Jérusalem. Or le voyage de la Pâque n'était point obligatoire pour les femmes ; les hommes même, lorsqu'ils demeuraient loin de la Judée, ne pouvaient accomplir annuellement ce voyage. On peut donc facilement supposer dans l'empire romain une population juive triple du nombre des pèlerins, et la compter pour huit ou neuf millions[25].

Enfin les pertes même qui, plus tard, signalèrent la chute de la race juive attestent son importance. Parmi les Juifs de Palestine, Josèphe compte quatre-vingt dix-sept mille prisonniers faits en quatre ans de guerre par Vespasien et Titus ; dans la seule Jérusalem, où des milliers de fugitifs s'étaient retirés, plus d'un million d'êtres humains morts par le fer, la maladie ou la famine[26] ; dans différentes villes de Palestine et de Syrie, deux cent mille morts ; en Égypte, soixante mille. Lorsque quarante ans après, sous Trajan, les Juifs d'Égypte et de Cyrénaïque se révoltèrent, on parle de plus de cinq cent mille hommes massacrés par eux[27], et dont ils payèrent la mort par un nombre au moins égal de victimes. Ces chiffres, seraient-ils exagérés, auraient encore une importance relative ; ils attestent ce qu'était, au temps de sa prospérité, la puissance de la race judaïque.

Et Israël, qui se multipliait ainsi par la paternité visible, se multipliait aussi par la paternité spirituelle de la parole. En ce siècle, le besoin du vrai Dieu se faisait sentir aux âmes. Dans la loi juive, cette religion d'un seul peuple, l'œil du genre humain, devenu plus lucide, avait commencé à démêler une vérité universelle, patrimoine commun de toutes les nations.

Les Juifs, à leur tour, avaient commencé à sentir que la vérité ne leur avait pas été donnée pour eux seuls, et ils prêchaient leur foi aux étrangers. Les rois asmonéens, maîtres de l'Idumée et de la Galilée, avaient converti les peuples de ces contrées. Des pharisiens passaient les mers pour racheter les âmes de quelques gentils. Les commerçants israélites enseignaient jusque dans la Perse le nom de Jéhovah. Izate, roi de l'Adiabène, amené par un marchand juif à la loi de Moise, avait trouvé la même foi chez sa mère, l'avait donnée à sa famille et à beaucoup des grands de son royaume. Dans l'empire romain, chaque synagogue était le centre d'une propagande à laquelle quelque âme inquiète et touchée, quelque sainte femme de la gentilité, finissait toujours par se rattacher. A Damas, les femmes syriennes suivaient presque toutes la loi d'Israël. Rome elle-même éprouvait cette attraction vers le Dieu que Platon lui avait fait entrevoir et que Moise lui révélait. Beaucoup de Romains, beaucoup de Romaines surtout, convertis à des degrés divers, quelques-uns jusqu'à la circoncision, pratiquaient ou les jeûnes, ou l'abstinence des viandes, ou les sabbats. Horace, Sénèque, Perse, Tacite, Juvénal, nous montrent Rome pleine de ces prosélytes, les sabbats et les jeûnes publiquement célébrés, les fêtes juives connues de tout le monde, les lanternes allumées aux fenêtres au jour des cérémonies judaïques[28]. Plutarque témoigne également quelle était dans les villes grecques la notoriété des observances juives[29]. Josèphe nous montre dans toutes les villes grecques ou barbares l'usage de l'abstinence et des jeûnes devenu fréquent, l'usage du repos hebdomadaire devenu général. C'est à cette époque et sous cette influence que s'introduisit dans les habitudes grecques et surtout dans les habitudes romaines l'usage de la semaine inconnu jusque-là, et qui devint national chez tous ces peuples[30]. Or dans ces convertis ou demi-convertis, circoncis ou incirconcis, prosélytes de la justice ou prosélytes de la porte, pour parler le langage des rabbins[31], dans ces Grecs, ces Romains, ces matrones, ces sénateurs plus ou moins ralliés à leur croyance ou à leurs rites, et devenus leurs disciples, leurs imitateurs, leurs protecteurs, les Juifs trouvaient, sans aucun doute, un puissant appui. La synagogue se faisait un rempart de ces convertis et surtout de ces converties Grecques ou Romaines.

Aussi cette liberté, et, pour parler la langue de l'antiquité, cette isonomie dont les Juifs jouissaient presque partout, cet accroissement de richesse, cet accroissement de population, ces conquêtes du prosélytisme, donnaient-ils à la race juive une influence inférieure sans doute, mais comparable à celle que, depuis son émancipation, nous la voyons prendre dans l'Europe moderne. Ce n'est pas que le préjugé ne lui fût hostile aussi fortement qu'il peut l'être encore dans les pays européens les moins réconciliés avec elle ; mais il lui arrivait ce qui est arrivé à plus d'une race, et ce qui lui est arrivé plusieurs fois à elle-même : elle était à la fois détestée et influente. Comme les Juifs du moyen âge qu'on avait en horreur et dont on ne pouvait se passer ; comme les Juifs de Pologne sales et méprisés, mais que l'inertie commerciale de la nation rendait nécessaires : comme ceux d'Allemagne encore exclus de la vie sociale et qui ont exercé une notable influence sur la vie financière et la vie politique ; comme les Juifs plus ou moins convertis de l'Espagne au quinzième siècle qui envahissaient tout, même l'Église, et contre lesquels la haine publique inventa le terrible remède de l'inquisition : les Juifs du siècle dont nous parlons, tout en se faisant haïr, savaient et se faire craindre et même persuader. Dans l'empire parthique, ce sont deux frères israélites, Anilée et Asinée, deux apprentis tisserands, qui, châtiés par leur maitre, s'enfuient de l'atelier, se font brigands, rallient une foule d'aventuriers de leur nation ; quand les satrapes viennent les attaquer, ils leur tiennent tète ; le roi des Parthes, comme tous les rois féodaux, ennemi de ses grands vassaux, est enchanté de cette défaite et ravi d'opposer à l'outrecuidance de ses barons des routiers et des grandes compagnies de cette espèce ; il appelle les deux frères à sa cour, il les comble d'éloges et les maintient pendant quinze ans maîtres de la Mésopotamie[32]. Dans l'empire romain, mieux réglé que la monarchie féodale des Arsacides, les Juifs ne se font pourtant pas faute d'user de l'épée ; Josèphe, malgré les précautions qu'il prend pour les faire doux et modérés autant que possible, nous laisse assez deviner que, dans leurs querelles avec les gentils, ils n'étaient pas les derniers à s'enflammer.

Mais là ils exerçaient surtout une action d'un autre genre. Étrangers à l'agriculture, étrangers à la milice par scrupule religieux, tous commerçants et par suite concentrés dans les villes, habitants des quartiers à eux, se tenant là épaule contre épaule ; de plus, riches, habiles, intelligents, proportionnellement nombreux, ils pesaient pour beaucoup dans les affaires de la cité. Citoyens des villes grecques, parfois citoyens de Rome, quelquefois même chevaliers romains, ils jouaient leur rôle dans le gouvernement passablement libre et populaire des cités de l'empire ; ils s'agitaient dans ces assemblées, ils les troublaient au besoin ou les faisaient troubler par d'autres. On se rappelle les Juifs d'Allemagne en 1848 entrant dans la vie politique et devenant dans la presse d'énergiques et d'habiles agents de ce qu'on appelle le progrès. Le génie ardent de la nation juive était à sa place sur la vivante agora des cités antiques, comme il l'est dans la redoutable agora de la presse moderne, autrement implacable dans le mal et autrement stérile pour le bien.

A cet égard, les témoignages ne nous manquent pas. Josèphe d'abord nous peint la liberté des synagogues juives au sein des cités païennes et leur énergie à réclamer leurs droits. Cicéron a presque peur d'eux : plaidant une cause où des intérêts juifs sont en question, il se plaint que le tribunal siège non loin des degrés auréliens, encombrés de populace, et de populace juive ; il a peur de cet auditoire ; il parle à demi-voix, afin d'être entendu des juges seuls et non des assistants, et, ce qui est plus sérieux que cette crainte affectée : Vous connaissez les Juifs, dit-il, vous savez le tumulte qu'ils causent dans les assemblées des villes ; vous savez, à Rome même, leur nombre, leur accord, leur influence dans les assemblées[33]. Et, enfin, pour ajouter à cette double autorité païenne et juive une autorité chrétienne et inspirée, les Actes des apôtres nous peignent les Juifs, cette population à part dans les villes grecques, poursuivant saint Paul partout et sachant partout soulever contre lui des orages. Les païens eussent entendu l'Apôtre sans trop de colère ; leurs prêtres, leurs temples, leurs idoles, ne se fussent pas émus, sans les Juifs, qui, avec une subtilité singulière, trouvent moyen d'exciter contre saint Paul les prêtres qu'ils détestent autant que le fait saint Paul, et le peuple dont ils sont détestés plus que lui. On hait ces Juifs, on se raille d'eux, on les méprise, on les maltraite et on se laisse mener par eux. Le peuple est femme et donne souvent au monde de ces exemples.

Ne nous figurons donc pas la population juive de l'empire romain, avant le règne de Néron, comme une population obscure, pauvre, peu nombreuse, timide, végétant dans l'ombre. Elle était bien plutôt, malgré la haine et les railleries de quelques-uns, insolente et fière, en même temps que rusée. Ni le nombre, ni l'argent, ni l'accord, ni l'habileté, ni le verbe haut et la main prompte, ne lui faisaient défaut.

Une certaine dignité ne lui manquait même pas. Plusieurs écrivains païens de ce temps, frappés de la grandeur de ses destinées et surtout de la grandeur de ses dogmes, sont loin d'avoir les railleries et, les calomnies de l'âge suivant. Strabon et Trogne Pompée racontent tous deux l'origine du peuple israélite[34] avec mille erreurs ; mais celui-ci du moins sans injure, celui-là avec une certaine sympathie pour ce culte simple et digne, ennemi des idoles, adorateur de l'Être divin. Le savant Varron oppose aux turpitudes de l'idolâtrie la religion pure du peuple juif[35]. Sénèque, de son côté, tout en s'effrayant des progrès de la nation juive, reconnaît du moins qu'à la différence des païens leur piété est raisonnable et se rend compte des pratiques qu'elle observe[36].

Je n'ai donc pas eu tort d'assimiler la situation du peuple juif en ce siècle à ce qu'elle est dans le nôtre. Aujourd'hui, comme alors, sans avoir d'existence politique nulle part, sans un pouce de terre où il soit souverain, le peuple juif est partout, il a pris racine partout, il parle toutes les langues au détriment de sa langue, disons mieux, de ses langues héréditaires. Aujourd'hui, comme alors, presque partout il a acquis droit de cité ; la civilisation libérale du dix-neuvième siècle lui a généreusement ouvert la vie politique, et il s'y est jeté avec une entente et une ardeur très-efficaces pour son importance à lui, sinon pour le repos de la cité ; elle lui a ouvert même les honneurs nationaux, et, de même qu'il y avait alors des Juifs chevaliers romains, il y a aujourd'hui des Juifs barons en Allemagne et baronnets en Angleterre. Aujourd'hui, comme alors, tout en s'identifiant à la vie du peuple indigène, le peuple juif reste cependant partout lui-même ; il garde jalousement le lien qui unit sa race, il s'entend et correspond d'un bout du monde à l'autre, et, zélé sans doute pour sa nationalité locale, il ne l'est pas moins pour la nationalité cosmopolite d'Israël. Son caractère et sa vie à part lui demeurent donc, bien que ses droits soient les droits de tous. Il est banquier comme il l'était alors ; commerçant comme il l'était, bien que les siècles de proscription qui ont pesé sur lui aient rapetissé ses habitudes et le portent au brocantage plus qu'au trafic ; industriel, moins probablement qu'il ne l'était alors où chaque métier avait sa place marquée dans la synagogue et où l'influence talmudique n'avait pas encore renfermé le Juif dans des habitudes aussi étroites. Libre aujourd'hui, comme alors, de posséder la terre, comme alors, la propriété lui sourit peu : il aime mieux dans un coin d'une ville son ghetto obscur et infect, mais où il vit côte à côte avec ses frères, que la solitude, air pur, le grand jour, le labour, la liberté isolée de la campagne ; ni les ordonnances des princes qui, en certains lieux, ont voulu le contraindre à être laboureur, ni celles qui le lui ont récemment permis, ni les écrivains de sa nation qui le poussent à la charrue, n'ont encore fait de ce peuple citadin et marchand un peuple campagnard et agricole. Aujourd'hui, comme alors, et bien plus qu'alors, les sectes sont multipliées dans le judaïsme, les dissidences religieuses sont profondes : le centre intellectuel, la loi est noyée sous les commentaires ; le centre rituel, le temple, n'existe plus ; le centre hiérarchique, le pontificat, a disparu. L'unité subsiste pourtant, unité de race, mais non unité de foi, unité politique et non religieuse. Cohérente malgré sa dispersion, une malgré ses dissidences, puissante malgré sa dépendance, indestructible malgré son anéantissement politique, la nation juive du premier siècle n'était ni la moins riche, ni la moins libre, ni la moins influente de l'empire romain, de même qu'aujourd'hui elle n'est ni la moins riche, ni la moins puissante, ni la moins libre, au milieu des royaumes de la chrétienté.

Seulement la nation juive d'alors avait de plus que celle d'aujourd'hui le zèle religieux et l'ardeur du prosélytisme. C'est qu'elle avait encore l'espérance religieuse : elle croyait au rétablissement futur, prochain même, de sa vie politique qui était éteinte et surtout de sa vie religieuse, imparfaite et expectante jusque-là. Elle avait sa gloire dans le passé ; elle l'avait encore plus dans l'avenir, de quelque manière qu'elle entendit cet avenir. Et, dans le présent, elle avait du moins la plénitude de son culte, sa ville sainte, son temple, sa hiérarchie, sa loi. Elle n'était pas encore cette religion décapitée, qui a perdu non-seulement les espérances de l'avenir, mais même les institutions du passé, débris d'une loi qui elle-même attendait un complément. La religion du peuple juif était encore la religion de l'attente, non celle du désespoir et du deuil.

Ce que produisit cette attente quand elle commença à se voir déçue, nous le dirons bientôt. Un mot seulement sur les sources auxquelles nous allons emprunter notre récit.

Dans cette histoire, le' Juif Josèphe, fils de Matthias, prêtre et pharisien, sera, faute d'autres, notre principal et souvent notre seul guide. tes documents païens sur la guerre de Jérusalem ne sont venus à nous qu'en petit nombre. Nous ne connaissons de Dion Cassius que les extraits fort écourtés de Xiphilin et de Théodose. Suétone se borne à quelques circonstances qui confirment le récit de Josèphe. Tacite trace sommairement l'origine de la guerre, donne la description de Jérusalem et indique le début du siège ; mais le reste de son livre nous fait défaut.

Ces renseignements-là du moins sont historiques. Les Juifs modernes n'ont rien de pareil à nous apporter. C'est une chose étrange que ce peuple ait si mal gardé la mémoire de la grande catastrophe où son temple, sa religion et sa liberté ont péri. Le fouillis de son Talmud n'offre à cet égard que quatre ou cinq faits que l'on peut tenir pour historiques, joints à une vingtaine de fables, qui témoignent de l'imagination la plus puérile et de l'ignorance la plus grossière. Le livre longtemps populaire et même révéré parmi eux, qui passe sous le nom de Josippon ou de Joseph, fils de Gorion, n'est, dans sa partie admissible, qu'un extrait de Josèphe, fils de Matthias. Pour tout le reste, l'auteur, qui parait avoir été un juif breton ou manceau du dixième siècle, se livre tout à son aise aux caprices d'une imagination que ne gêne pas l'érudition même la plus vulgaire. Selon lui, Alexandre le Grand était un magicien, fils de magicien, qui causait en grec avec l'arbre du soleil et en hébreu avec l'arbre de la lune. Le césaréat, que les Grecs appellent impériosat, fut établi à Rome par Impériosus, fils de Ptolémée, et, quand, deux siècles après, Jules prétendit se faire César, ce hardi jeune homme (il n'avait alors que dix-neuf ans) n'en vint à bout qu'en massacrant tout le sénat. Néron périt frappé de la foudre ; Vespasien fit mourir le roi juif Agrippa et son fils Monobaze, parce qu'Agrippa avait combattu son élection à l'empire et l'avait même accusé de quelques grands crimes auprès du patron (du Pape). Vespasien fut couronné par le même patron, avec toute la pompe des empereurs germaniques, entre les princes électeurs du saint empire, au milieu du peuple qui répondait amen et des hérauts d'armes qui jetaient des florins d'or. Mais le plus merveilleux du livre, c'est l'auteur lui-même. Né cinquante ans avant Jules César, il prit part à la guerre de Jérusalem, ce qui lui donne cent quatre-vingt-six ans. Il avait cependant alors son père et sa mère, âgés l'un de cent trois ans et l'autre de quatre-vingt-cinq (de sorte que lui-même avait cent ans de plus que sa mère). Tel est cet historien dont les Juifs modernes, ses éditeurs, ont dit que toutes les paroles sont vérité et justice, que la main de l'Éternel a reposé sur lui pendant qu'il écrivait, qu'il approche des anciens prophètes et qu'il n'y a aucune fausseté dans ses écrits[37].

Quant aux écrivains chrétiens, ils n'ont fait que reproduire avec une entière confiance le récit de Josèphe, fils de Matthias. Au quatrième siècle, le savant Eusèbe, dans son histoire ecclésiastique, ne fait autre chose que l'extraire textuellement. Les cinq livres d'Hégésippe, chrétien du cinquième siècle, sur la chute de Jérusalem, ne sont également qu'un extrait de l'historien juif[38]. L'autorité de Josèphe se trouve donc confirmée par l'adhésion des chrétiens qui le copient, par l'autorité des païens qui, dans le peu qu'ils disent, sont en général d'accord avec lui, par le silence même des Juifs, on peut le dire (car des renseignements pareils à ceux de Josippon sont équivalents au silence). Son livre, écrit d'abord en hébreu pour les Juifs, traduit par lui-même en grec pour les païens et même pour bien des Juifs, est essentiellement le livre historique pour les révolutions de Jérusalem.

On l'a cependant diversement jugé. On a eu parfois envers lui une confiance excessive ; parfois on l'a décrié avec excès, et, après l'avoir ainsi décrié, on s'est cru en droit de le tenir pour irréfragable sur les points qui s'accordaient avec un parti pris à l'avance, pour suspect sur tous les autres. Nous n'avons pas de raison, il est vrai, pour supposer à Josèphe un parfait dégagement de tous préjugés et en faire un héros de véracité historique. Mais quelle a été sa position, par suite ses passions et ses préjugés par suite en quel sens a-t-il pu faiblir ? C'est ce qu'on a peu examiné et ce que cependant il est bien facile de dire.

Josèphe est Juif, pharisien et prêtre[39] ; il s'est laissé, de plus ou moins bon cœur, entraîner dans la révolte des Juifs ; fait prisonnier par les Romains, il a su gagner la faveur de leurs généraux, et, quand ces généraux sont devenus empereurs, il est demeuré leur courtisan et leur protégé. A la fois Juif et ami de Vespasien, compromis dans la révolte et protégé par le vainqueur, que doit-il faire ? Évidemment réconcilier la nation juive avec la dynastie vespasienne, la dynastie vespasienne avec le peuple juif, montrer à la famille impériale que la Judée n'a pas été si coupable, montrer aux Juifs que Vespasien n'a pas été si injuste.

H dira donc d'abord que le peuple juif a été longtemps le sujet fidèle des Romains ; que les empereurs, dont on aime à citer les noms, l'ont traité avec équité et une sorte de respect ; que, sous le seul Néron, ce prince détesté et détesté en particulier de la famille vespasienne, le pouvoir romain est devenu oppresseur ; que les Juifs l'ont supporté longtemps avec patience ; que même, poussé à bout par la dureté des délégués de Néron, le vrai peuple juif ne se fût pas révolté, mais qu'une bande de factieux a profité du désordre des choses et des esprits, s'est imposée à la multitude et l'a compromise malgré elle dans une guerre dont elle ne voulait pas ; que Vespasien, chargé d'étouffer cette révolte, a bien dû user de rigueur, mais que la responsabilité en retombe sur ceux qui par leur ambition ont entraîné Israël dans cette lutte, et l'y ont maintenu par leur entêtement fanatique, coupables contre Rome et contre Jérusalem, contre leur peuple et contre leur Dieu.

Voilà sur quels points Josèphe peut être un témoin reprochable. Mais encore dans quelle mesure ? A-t-il menti ou a-t-il seulement outré la vérité ? Ses assertions sont-elles fausses ou seulement exagérées ? En elles-mêmes, ses assertions sont certifiées par l'ensemble de l'histoire. La soumission des Juifs aux Romains est un fait qui s'accorde et avec antécédents du peuple juif, et avec le témoignage des historiens. Les égards et le respect des chefs romains envers Juda sont attestés également par plusieurs témoignages païens et s'accordent avec le bon sens de la nation romaine. Les actes arbitraires des procurateurs de Néron sont confirmés par Tacite, et très-croyables sous un prince rapace lui-même et qui n'était nullement administrateur. La domination tyrannique d'une minorité révolutionnaire sur la masse de la nation juive n'a pas besoin d'être démontrée pour nous ; nous savons que les révolutions ne se font pas autrement. Sans doute sur ces points divers Josèphe a pu excéder la vérité, et les documents nous manquent pour l'y ramener d'une manière tout à fait certaine. Il a pu exagérer la tolérance des Romains, la soumission du peuple juif, la dureté des procurateurs de Néron, la violence et le despotisme des factions révolutionnaires, la longanimité et la mansuétude de Vespasien et de Titus ; sur tous ces points il a pu exagérer l'histoire, et il est bon d'en être averti ; nous en savons assez pour dire qu'il ne l'a point faussée[40].

Du reste, là où il est impartial, il est incontestable qu'il a été à même de bien savoir. Dans toute l'antiquité où les mémoires proprement dits sont rares, nous n'avons guère d'historien mieux renseigné. Témoin oculaire, acteur d'une partie des événements, confident de Vespasien pendant le siège de Jérusalem, son parlementaire habituel auprès des Juifs, il a beaucoup vu et il a tenu note de tout. Les nombreux fugitifs qui passaient de la ville dans le camp romain lui ont raconté ce qui se faisait dans l'intérieur de la cité ; les généraux romains, après la guerre, lui en ont fait connaître le détail. Il a eu entre les mains des mémoires écrits par Vespasien lui-même. Vespasien et Titus ont lu et approuvé son histoire ; le dernier y a apposé son sceau. Le roi Agrippa, acteur important de cette histoire, lui a écrit soixante-deux lettres relatives à diverses parties de son récit ; il en cite deux qui contiennent une pleine approbation de l'ensemble[41]. Refaire après coup et à dix-huit cents ans de distance l'œuvre d'un homme aussi bien renseigné et que malheureusement aucun autre témoin ne contrôle, c'est un tour de force, d'érudition ou d'imagination, dont nous avons quelquefois vu le pareil, je l'avoue ; ce peut être un exercice d'esprit fort agréable, mais c'est, ce me semble, un travail historique très-peu sûr et très-peu méritoire. Hypothèses pour hypothèses, j'aimerai toujours mieux celles d'un contemporain. Tenons-nous en donc au récit de Joseph ; soyons seulement avertis de ses défauts et, s'il pèche, sachons en quel sens il peut pécher.

Rappelons-nous de plus que, s'il a des défauts, il n'a pas du moins celui d'être chrétien. Quoi que l'on puisse penser du passage célèbre où il parle de Jésus-Christ, en y ajoutant ceux où il blâme la mort de saint Jean-Baptiste et la mort de saint Jacques[42], ni ses flatteries sacrilèges envers Vespasien, ni son langage très-variable sur le suicide et sur l'autre vie, ni son silence sur les prophéties de l'Évangile, ne permettent de voir en lui un disciple des apôtres. Romain ou Juif, modéré ou exalté, Josèphe peut donc avoir tous les torts possibles ; il n'a pas celui d'avoir embrassé l'Évangile, et de chercher l'accomplissement des prophéties qui y sont contenues. Ce pharisien devait-il avoir à cœur de montrer réalisé au bout de quarante ans ce qu'avait prophétisé le supplicié du Calvaire ? Ce flatteur de Domitien avait-il en tète les affaires d'une Église qui souffrit sous Domitien ? Et si, malgré cela, sans le savoir et sans le vouloir, il vérifie ces prédictions ; si, témoin involontaire, il dépose de la véracité d'un prophète qu'il ne connaît pas ou qu'il n'aime pas, il me semble alors, et à cet égard, digne de toute notre croyance. Il peut avoir toutes les passions et tous les préjugés, il n'a pas le préjugé, chrétien.

 

 

 



[1] Act. Apost., II, 9, 10. Il n'y a pas sur toute la terre un peuple chez qui n'habitent quelques–uns des vôtres, dit Agrippa aux Juifs. Jos., de B., II, 28 (16, 4). — De même, VII, 8 (3, 3). Philon, De legatione, 16. — Tacite, Hist., V, 9 ; et en général, Jost, Histoire des Israélites depuis les Macchabées. — Selon Philon (De legat.), il y avait en Asie (dans l'Asie Mineure) presque autant de Juifs que d'indigènes.

[2] Act. apost., II, 6, 11.

[3] Sur ce temple, bâti par le grand prêtre Onias, voir la prophétie d'Isaïe, XIX, 18 et suivants ; Joseph., Ant., XII, 15 (9, 7). XIII, 6 (5, 1-3) ; de Bello, VII, 37 (10, 3, 4), et les rabbins.

[4] Luc, XI, 52.

[5] Dans une réunion d'Israélites notables, pour la réforme du culte du judaïsme... on discuta beaucoup... on fit valoir toute espèce de considérations ; on n'en oublia qu'une seule : la loi de Dieu... Je ne sache pas même que le nom de Dieu ait été prononcé une seule fois, pas plus que le nom de Moïse, ni le nom de la Bible. Conversion de M. Ratisbonne racontée par lui-même, Paris, 1812, p. 21.

[6] Jérémie, XXVII.

[7] Agrippa dit aux Juifs : Vous, chez qui la soumission est une tradition héréditaire : Οί τό μεν ύπακούειν έκ διαδοχής παρειληφότες. Jos., de Bello, II, 28 (11, 6).

[8] I Macchabées, II, 43.

[9] Jos., de Bello, VI, 10 (2, 4).

[10] C'est ce que fit Agrippa pour les Juifs d'Ionie. Jos., Antiq., XVI, 3 (2, 3). V. aussi XIV, 17 (10).

[11] Cicéron, in Flacco, 28. — Philo, de Leg., 16. —Jos., Antiq., XVI, 3 (2, 3). Le proconsul Vitellius consent à ce que ses étendards ne traversent pas la Judée. Lettre de Petronius aux habitants de Dora. Ant., XIX, 5, 6 (6, 5). — Cumanus fait exécuter un soldat coupable d'insulte envers la loi de Moïse. Ant., XX, 4 (5, 4) ; de Bello, II, 20 (12, 2).

[12] Voir sur tout cela Jos., Ant., XII, 3 (3, 2) ; XVI, 3 (2, 3) ; de Bello, II, 28 (16, 4) ; V, 25 (9, 4) ; VI, 34 (6. 2) (contenant les discours d'Agrippa, de Joseph et de Titus). Id. contre Apion, II, 6. La lettre d'Agrippa à Caius dans Philon, de Legat., 16.

[13] Jos., de Bello, II, 28 (16, 3). Hommages rendus par Sosius, général romain qui prit Jérusalem. Jos., Ant., XV, 27(16,4) ; par M. Agrippa, Ibid., XVI,  2. Les rois grecs avaient rendu de pareils hommages au temple. II Mach., III, 1, 3.

[14] Suet., in Aug., 93. — Jos., de Bello, V, 37 (13, 6). Le gouverneur romain Tibère Alexandre, juif d'origine, mais devenu païen, fit revêtir d'or et d'argent neuf des portes du temple. Jos., de B., V, 5 (3).

[15] Lettre d'Agrippa à Caïus dans Philon, de Legat., 16. — Jos., de Bello, II, 30, 31 (17, 2-4).

[16] Droit de cité des Juifs à Alexandrie. Philon, in Flaccum et de Legatione. Josèphe, Ant., XVII, 10 (8, 1) ; XIV, 17 (10) ; XIX, 4 (5, 2) ; de B., II, 19 (11, 15). — A Antioche, Ant., XII, 3 ; de Bello, VII, 9 (3, 3). Contra Apion, II, 4, 11. — A Césarée, Ant., XX, 6 (8, 7). De B., II, 2, 3 (13, 7).— A Dora, Ant., XIX, (5, 6). — Dans l'Ionie, Jos., Ant., XII, 3, etc. Voir les Actes des proconsuls romains dans Josèphe, Ant., XII, 3 ; XIV, 17 (10) ; XVI, 10 (6).

[17] Quatuor millia libertini generis, dit Tacite parlant de Juifs habitants de Rome. Annal, II, 85.

[18] Ainsi Claude, en 41, confirme le droit de cité des Juifs, à Alexandrie et ailleurs. Josèphe, Ant., XIX, 4 (6) ; Eusèbe, II, 17 ; Dion, LX. — Leur liberté à Antioche. Jos., de Bello, VII, 9 (3, 3) ; Contra Apion, II, 4, 11.— Il y a plus, et par un édit de Claude, en 42, adressé aux rois de l'empire et aux magistrats des villes, Claude aurait accordé aux Juifs, dans toutes les villes de l'empire, les droits dont ils jouissaient à Alexandrie. Ant., XIX, 4 (5, 3).

[19] Cicéron, in Flacco, 28. — Si l'on suppose en tout cent cinquante livres d'or, elles seront équivalentes à six mille aurei ou cent cinquante mille deniers romains (à cette époque 116.000 fr.) ; à deux deniers par tête (la drachme est d'ordinaire prise pour le denier romain) nous devrons admettre une population de soixante-quinze mille Juifs dans ces quatre villes. Sur ce tribut et la richesse qui en résultait pour Jérusalem, voir encore Titus, dans Josèphe, de Bello, VI, 54 (6, 2) ; Jos., de B., VII, 9 (2, 3), 15 (5, 20). Tacite, Hist., V, 5.

[20] Vers les années 41-44. Josèphe, Antiq., XIX, 7 (7, 2) ; de Bello, V, 13 (4, 2). Tacite, au contraire, accuse le gouvernement de Claude d'avoir, moyennant finance, toléré cette construction (Hist., V, 12). Il est clair, du reste, d'après le récit même de Josèphe, que le travail avait été poussé assez loin. Sur le revenu d'Agrippa, voy. Jos., Ant., XIX, 8 (8, 3).

[21] Augendæ tamen multitudini consulitur. Nam et necare quemquam ex agnatis, nefas ; animasque prælio sut suppliciis peremptorum, æternas putant. Hinc generandi amor... Tacite, Histoires, V, 5.

[22] Josèphe, Ant., XVIII, 12 (9, 9).

[23] Sur les Juifs de l'Asie transeuphratique, voir les passages cités plus haut, et pour leur histoire, Josèphe, Ant., XII. — Sur ceux d'Égypte, Philo, in Flacco, Josèphe, Ant., XII ; Cont. Apion, I. — Sur ceux d'Asie Mineure, voir ci-dessus, et Josèphe, Ant, XVI, 4 (2, 3) ; — de Rome, Ant., XVII, 12 (10) ; — de Syrie, de Bello, VII, 9 (5) et ailleurs ; — de Cyrène, Jos., Ant., XIV, 12 (7) (où il cite Strabon) ; XVI, 10 ; Actes, II, 10, VI, 9, 11. — La Palestine a environ trente-deux mille kilomètres carrés, ce qui, dans la proportion des pays les plus peuplés, comme la Belgique, donne trois millions huit cent mille habitants. — Sur la Galilée, Jos., de B., 42 (20, 6, 8). Elle possédait, dit Josèphe, un grand nombre (il dit ailleurs deux cent quatre) de villes ou bourgs, dont le moindre avait cinq mille habitants (!), de B., III, 4 (5, 2). — Richesse de la ville de Zabulon égale à celle de Sidon et de Tyr, II, 57.

[24] Jos., Contra Apion, I, 22, d'après Hécatée d'Abdère, qui vécut peu après Alexandre.

[25] Sur ce recensement, voyez Jos., de B., VI, 45 (9, 5) et II, 24 (14, 5). Les talmudistes confirment le fait de ce dénombrement qu'ils attribuent au roi Agrippa. Echa Rabbath, p. 62, 1. Le Targum, sur le livre de Samuel (II Reg., III, 12), parle de la computation des agneaux de la Pâque.

[26] De Bello, VII, 34 (8).

[27] Xiphilin ou Dion, LXVIII, 32.

[28] Du prosélytisme juif au temps de la captivité. Voy. I Esdras, VI, 21 ; VII, 25 ; II Esdr., X, 28. — Au temps des Macchabées et par la voie de la conquête, Jos., Ant., XIII, 8 (4) ; 17 (9), 18 (10). Cette propagation du Judaïsme avait été prophétisée (Zacharie, IX, 1, 2). — Sur le prosélytisme juif dans l'Adiabène et en Orient, Jos., Ant., XX, 2 (4, 1). Les Talmudistes parlent souvent de la reine Hélène et de son fils. V. aussi Pausanias, VII, 16. — Sur les femmes de Damas, Jos., de B., II, 41 (20, 2). — Prosélytisme juif chez les Grecs. Jos., de Bello, VII, 9 (3, 3) ; Contra Apion, II, 4, 5, 8, 9 ; Plutarque, de Superstition, p. 166 (éd. Xylander) et ailleurs. — A Rome surtout, beaucoup de convertis. Jos., de B., V, 35 (9, 4). — Dans les basses classes, Plutarque, in Cicerone. — Chez les nobles, Fulvie, Jos., Ant., XVIII, 4 (3, 5). Poppée, femme de Néron, était pieuse et favorable aux Juifs. Jos., Ant., XX, 7 (8, 11). — Les Actes des Apôtres font des allusions fréquentes à ces prosélytes (X, 2, 7 ; XIII, 16, 43 ; XVII, 4, 17 ; XVIII, 7) quand ils parlent d'étrangers pieux et craignant Dieu. Cette expression timentes Deum, même dans l'Ancien Testament, désigne les prosélytes, c'est-à-dire, en général, ceux qui, sans être Juifs de naissance, connaissent le vrai Dieu : Le Seigneur a béni la maison d'Israël ; il a béni la maison d'Aaron ; il a béni tous ceux qui craignent le Seigneur. (Ps. CXIII.) Cette triple division des croyants se retrouve dans beaucoup d'autres passages. Voyez enfin cet endroit de saint Matthieu : Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez la terre et la mer pour faire un prosélyte, et, quand il Test devenu, vous le rendez fils de la géhenne deux fois plus qu'il ne l'était ! XXIII, 15.

[29] Voyez la conversation d'Horace et de son ami Fuscus Aristius, qui a une confidence à lui faire, mais qui s'y refuse, sous prétexte que c'est un jour de sabbat solennel et qu'il manquerait à la loi des Juifs ? — Je n'ai, dit Horace, aucun scrupule pareil. — Quant à moi, répond Fuscus, je suis un peu plus faible, moi comme bien à autres ; pardonne-moi.

Hodie tricesima sabbata. Vin-tu

Curtis Judæis oppedere ?Nulla mihi unquam

Relligio est. — At mi : sum paulo infirmior, UNUS

MULTORUM...

(Sat. I, IX, in fine)

Et ailleurs (I Sat., IV, in fine) :

. . . . . . . . . . Ac veluti te

Judæi cogemus in hanc concedere turbam.

Deux passages de Sénèque sont cités dans les notes du passage suivant. Perse (v. 179 et suiv.) :

Herodis venere dies, unctaque fenestra

Dispositæ pinguem nebulam vomuere lucerno

Portantes violas, rubrumque amplexa catinum

Cauda nata thynni, lumet aura fideli vino ;

Labra moves tacitus, recutitaque sabbata palles.

Tacite : Pessimus quisque spretis religionibus patriis, tributa et stipes illuc (Jérusalem) gerebant... Transgressi in morem eumdem idem usurpant (i. e. se circumcidunt) nec quidquam prius imbuuntur quam contemnere deos, exuere patriam... Hist., V, 5.

Enfin Juvénal, quoiqu'il écrive après la chute de Jérusalem et au milieu de l'abaissement de la nation juive, témoigne, comme Perse, du prosélytisme juif parmi les Romains, et de l'existence de familles romaines d'origine, chez lesquelles la pratique du judaïsme était héréditaire (Sat., XIV, 96 et suiv.)

Voyez à la note suivante et au commencement du chapitre suivant deux passages de Dion Cassius.

[30] Josèphe, Contra Apion, II, 39. Dion, après avoir parlé du sabbat des Juifs, des noms des sept planètes attribués aux sept jours, ajoute : Les anciens Grecs, autant que je sache, ignoraient cet usage. Aujourd'hui il est familier à tous les hommes, et en particulier aux Romains, il est devenu pour eux comme un usage de leur patrie. (XXXVI, p. 37.) Seulement, à l'époque de la réaction qui eut lieu en Syrie contre les Juifs, au commencement de la révolte judaïque, l'usage du repos hebdomadaire, qui était devenu général dans toutes les villes de Syrie, cessa d'être suivi ostensiblement, même par les Juifs. Jos., de Bello, VII, 9 (3, 3). Voyez encore, sur l'usage de la semaine chez les païens : Suétone, in Tib., 32 ; Lucien, Pseudolog., p. 893, éd. Bourdelot ; Juvénal, etc.

[31] Les prosélytes de la porte étaient ceux qui n'avaient pas reçu la circoncision ; les prosélytes de la justice ceux qui l'avaient reçue. Les docteurs Juifs variaient sur la nécessité d'imposer la circoncision aux gentils. V. Jos., Ant., XX, 2 (4, 1). — Tacite, Hist., V, 5. — Josèphe, de Vita sua, 25, et plusieurs citations rabbiniques dans Buxtorf, de Synag. Judæor., ch. 3.

[32] Josèphe, Ant., XVIII, 12 (9, 1-4).

[33] Scis quanta sit manus, quanta concordia, quantum valeat in concionibus. Summissa voce agam, tantum ut judices audiant... Multitudinem Judæorum, flagrantem nonnunquam in concionibus, pro republica contemnere gravitatis summæ fuit. Pro Flacco, 28.

[34] Strabon, XVI. — Justin, XXXVI, 2.

[35] Cujus sententiæ testem inter cætera adhibet etiam gentem Judæam. August., de Civit. Dei, IV, 31.

[36] Apud Augustin, de Civ. Dei, VI, 11 : Illi tamen causas ritus sui noverent, et major pars populi facit quod cur facit ignorat.

[37] C'est ce que dit le R. Tham, qui publia l'ouvrage du faux Joseph à Constantinople, en 1540. Il avait déjà été publié en 1490. Munster en donna une version, mais abrégée et privée de ses fables les plus grossières. Une édition complète avec une version latine a été publiée par Jean Gagnier. Voyez Basnage, Histoire des Juifs, X, 7. — Jost., VI, note 33.

[38] Dans la Bibliothèque des Pères, de la Bigne, tome VII. Il ne faut pas confondre cet Hégésippe avec celui qui vécut au premier siècle de l'Église, et dont parlent Eusèbe et saint Jérôme.

[39] Josèphe, né en 37 ou 38 (de Vita sua, XI), écrivit son livre de la Guerre judaïque, d'abord en hébreu, puis en grec ; plus tard (93), son livre des Antiquités, Ant., XX, 9 (11, 1) ; et cap. ult. ; ensuite son livre Contre Apion (In Ap., I, 41), et sa Vie en réponse aux attaques de Juste de Tibériade. Son grec présente un grand nombre d'hébraïsmes, ce qui n'empêche pas que ses interprétations de l'hébreu ne soient quelquefois erronées. (Jost., VI, 17.) Sa langue maternelle, comme celle de tous les Juifs de Palestine, était le Syro-Chaldéen.

[40] Sa véracité, dit Jost, ne saurait être douteuse, sauf beaucoup d'exagérations en l'honneur des Juifs et au détriment des chefs de la sédition. Ces défauts même doivent être attribués, non à Josèphe, mais à la destination de son ouvrage. VIII, 17.

[41] Contra Apion, I, 9. — De Vita, 65.

[42] Voyez Ant., XVIII, 4 (3, 3), 7 (5, 2) ; XX, 8 (9, 1).