LES CÉSARS DU TROISIÈME SIÈCLE

TOME DEUXIÈME

LIVRE VI. — PERSÉCUTIONS ET DÉSASTRES DE L'EMPIRE - 249-260

CHAPITRE PREMIER. — DÈCE ET SA PERSÉCUTION - 249-251.

 

 

Nous entrons ici dans une ère nouvelle. L'Empire romain va se montrer plus ouvertement persécuteur qu'il ne le fut jamais, et il va être plus manifestement et plus sévèrement que jamais frappé par la main de Dieu.

Dèce, on peut le croire, devait au fanatisme païen son élévation[1]. Si les soldats l'avaient élu, si le peuple applaudissait à son triomphe, si le Sénat se hâtait de le proclamer c'était bien moins amour pour lui que haine du chrétien Philipe.

Aussi chrétiens et païens attendaient-ils de sa bouche l'ordre de persécution. Il ne tarda pas et il fut aussi complet que possible. L'édit de Dèce parut au plus tard dans les premiers jours de janvier, c'est-à-dire moins de trois mois après son avènement. Cet édit fut la déclaration de guerre la plus solennelle, la plus haineuse, la plus froidement systématique que le pouvoir romain eût encore portée contre le christianisme. Jusque-là la persécution avait été populaire plus que politique. Les païens fanatiques criaient, lapidaient dans les rues ; le gouverneur romain, plus ou moins ardemment, selon qu'il avait plus de passion ou plus de bon sens, servait la colère du peuple ; le pouvoir était traîné à la remorque par les tapageurs de la place publique. Mais, cette fois-ci, le pouvoir agissait de lui-même, spontanément, officiellement. L'ordre venait d'en haut, comme diraient les hommes d'aujourd'hui : il était envoyé partout ; et partout, proconsuls, procurateurs, juges, tribuns, centurions, durent s'empresser de quitter tout autre devoir pour veiller au salut de l'Empire en extirpant la race impie des chrétiens.

Le peuple, sans doute, dans quelques endroits comme à Alexandrie, avait témoigné de son fanatisme idolâtrique. Mais ailleurs il était indifférent. De longues années de paix avaient accoutumé à vivre avec les chrétiens comme avec des hommes ; il n'était plus question de ces calomnies monstrueuses qui avaient cours encore au temps de Tertullien. Non, l'initiative populaire ne fut ici pour rien ; ce fut une persécution tout administrative.

Ce fut par conséquent une persécution tout autrement réfléchie, calculée, graduée, qu'aucune des persécutions précédentes. Ce fut une œuvre de cabinet, prudemment et savamment méditée. Depuis longtemps les magistrats avaient compris qu'il valait bien mieux, au lieu de tuer des hommes, défaire des chrétiens ; amener autant que possible des apostasies, aussi peu que possible des martyres. Mais la passion populaire, très-redoutée par eux, ne les avait pas toujours laissés libres. Aujourd'hui, le magistrat suprême, du haut des inaccessibles grandeurs où il vivait, traçait à la persécution la marche qu'elle devait suivre et enseignait l'art de faire des apostats.

Dèce voulait qu'on tentât les faibles par la séduction et par la peur au lieu de punir (ou plutôt récompenser) les braves par la mort. Il appelait tous ceux qui passaient pour chrétiens à rendre un hommage public, mais momentané, aux dieux de l'Empire, à brûler quelques grains d'encens ou à participer à un sacrifice. En cas de refus, il ne les envoyait pas immédiatement au supplice ; t'eût été les trop bien traiter. Mais l'exil, l'emprisonnement prolongé, la faim, la soif, les tortures ménagées avec un art infini pour faire durer la souffrance et ne pas éteindre la vie, d'épouvantables épreuves pour la pudeur des femmes devaient épuiser leur patience. A la dernière extrémité seulement, après des jours et des mois de tortures, Dèce pour faire voir aux autres chrétiens qu'il savait tuer, permettait qu'on accordât la mort à ses victimes[2].

Aussi, au premier moment, le triomphe de la volonté impériale sembla-t-il complet. Ces chrétiens qui s'étaient endormis dans le repos ; pour qui la persécution suspendue depuis trente-huit ans n'était plus qu'un héroïque souvenir des anciens jours ; qui s'étaient habitués à une vie douce, molle, parfois à demi païenne ; quand l'édit de persécution retentit, se réveillèrent épouvantés. La foi qu'ils avaient reçue de leurs pères et qu'ils gardaient nonchalamment ne leur sembla pas un trésor aussi précieux que leurs biens ou leur vie. Ils arrivaient en foule devant le proconsul ; ceux qui avaient des charges publiques — car les chrétiens avaient commencé à entrer dans les charges publiques — parce que leur rang les mettait en évidence et les sommait, pour ainsi dire, de se prononcer ; ceux qui avaient des frères ou des parents païens parce que leurs parents les y poussaient ; d'autres parce qu'ils étaient cités à y venir ; d'autres enfin parce qu'ils avaient une honteuse hâte d'apostasier. On les menait aux idoles et ils sacrifiaient. Les uns étaient pâles, tremblants, déchirés par la double crainte des hommes et de Dieu ; le peuple païen se raillait de ces âmes peureuses qui n'avaient ni le courage du martyre ni celui de l'apostasie. D'autres, plus fermes en apparence, le front haut et d'une voix assurée, affirmaient impudemment qu'ils n'avaient jamais été chrétiens. Il disaient vrai : c'étaient ces hommes, ajoute saint Denys d'Alexandrie, dont le Seigneur a- prédit que le salut serait bien difficile. Quelques-uns allaient plus loin encore dans cette ardeur pour l'apostasie. Ils proclamaient qu'ils avaient sacrifié aux dieux et sacrifié librement ; ils se faisaient donner par le juge un témoignage écrit de leur lâcheté ; ils affectaient la joie en courant à la honte ; ils y entraînaient leurs proches ; ils y portaient leurs enfants et faisaient couler le vin des idoles sur ces lèvres innocentes ; quelquefois même, remis au lendemain par le magistrat trop occupé à recevoir tant d'apostasies, ils suppliaient, ils se désolaient[3]. Nous modernes, nous avons vu de ces hontes et nous en verrons peut-être encore ; taisons-nous !

Les plus fidèles, il faut dire aussi les plus pauvres, suivant le conseil de l'Évangile, fuyaient, cherchaient la montagne ou le désert. Mais, quand par hasard on venait à les ressaisir et qu'on les ramenait en prison, trop souvent quelques jours de prison venaient à bout de leur courage. Ceux qui résistaient à l'emprisonnement étaient mis à l'épreuve des tortures, et trop souvent aussi, après les premières tortures, ils succombaient.

Que restait-il donc de l'Église ? Des bannis, des fugitifs au fond des déserts, des captifs dans les prisons, quelques chrétiens inconnus auxquels le pouvoir ne pensait pas et qui se tapissaient en tremblant au fond de leurs demeures : tous avant peu de jours ne seraient-ils pas ou vaincus par la souffrance, ou détruits par la faim, ou, à titre de grâce, immolés par le bourreau[4] ? Jusqu'à des prêtres, jusqu'à des évêques avaient succombé, entraînant avec eux leurs malheureuses ouailles ; un évêque même, ajoute-t-on, se fit persécuteur. Certes, dans son palais de Rome, lorsqu'il reçut de tels messages de la Gaule, de l'Afrique, de l'Égypte, de l'Asie ; lorsque Rome même lui livra sa moisson d'apostats ; le César Trajan Dèce put triompher et se dire que Néron, Domitien, Septime Sévère n'avaient été auprès de lui que des enfants, puisqu'après des années de lutte, ils avaient échoué, et que lui, en quelques jours, avait anéanti presque tout entière la secte détestée des chrétiens.

Mais enfin, si faible que fût ce reste de chrétiens dans les prisons, dans l'exil et ailleurs, il fallait, pour couronner l'œuvre, en venir à bout. Peut-être était-on en droit de ne compter pour rien les bannis, de s'en remettre au dénuement et à la faim pour avoir raison des fugitifs ; vivants ou morts, on pouvait les réputer comme étant hors de l'Empire. Mais restaient les captifs, les obstinés, ceux qui n'avaient pas paru au pied du tribunal et à l'autel des dieux, le petit nombre, le très-petit nombre peut-être, mais il restait. Il fallait en avoir raison ou par la victoire ou par la mort ; et alors le monde romain, délivré du fléau qui depuis deux cents ans le conduisait à la ruine, n'aurait plus, sous la tutelle des dieux redevenus propices, qu'à reprendre le cours de ses glorieuses destinées, telles qu'elles se poursuivaient, avant l'introduction du christianisme, sous l'heureux règne de Tibérius Claudius César et de Caïus César Caligula.

On se mit donc à l'œuvre, et, là où les bourreaux parurent nécessaires au bien du service, on appela les bourreaux. On les appela pour torturer avant de les appeler pour tuer. On raffina sur les supplices, on jeta aux mouches frotté de miel l'homme dont avec un fer rouge on avait couvert le corps de plaies. On raffina même sur les séductions : qui ne sait l'histoire de ce jeune homme mené dans un jardin délicieux, attaché par les pieds et par les mains sur un lit moelleux et magnifique ? Une courtisane essaie de le séduire, et lui, ne sachant que faire pour la repousser, coupe sa langue avec ses dents et la crache au visage de cette misérable[5]. Tous les entêtements ne cédèrent donc pas encore, ni devant la séduction, ni devant la torture ; à ces captifs qui, dans l'excès de la souffrance, demandaient quelquefois la mort comme une grâce et se l'étalent vu longtemps refuser. il fallut enfin octroyer la mort. Il fallut, bon gré, mal gré, faire des victimes, en langue chrétienne des martyrs.

Jetons ici un regard sur les différentes provinces de l'Empire et sur le tribut qu'elles payaient à la persécution.

A Rome, le pontife suprême, le chef de la Chrétienté, Fabianus, fut frappé un des premiers[6]. L'Église romaine, l'Église universelle demeura veuve ; sous le feu de la persécution, une élection était impossible. Le clergé inférieur était lui-même décimé ; des prêtres, des diacres étaient dans les fers. Faut-il s'étonner si bien des chrétiens avaient faibli, ceux surtout qui tenaient au monde par les richesses, par le rang, par les dignités ? L'Église est immortelle, mais non invulnérable. Néanmoins le clergé de Rome resta debout ; il eut toujours de courageux soldats, désignés les uns pour secourir ceux qui étaient dans les fers, d'autres pour ensevelir ceux qui avaient été mis à mort, d'autres pour tendre la main à ceux qui étaient tombés et leur donner l'espérance en attendant qu'on pût leur accorder le pardon ; d'autres, comme en temps de paix, pour soulager la misère des pauvres, assister les veuves, soigner les malades. Ce n'était pas assez encore : pour que rien ne fût interrompu de la vie ordinaire de l'Église, les prêtres et les diacres de Rome, pendant qu'il n'y avait point d'évêque, remplaçaient l'évêque de Rome auprès des églises lointaines, leur envoyaient les exhortations, les encouragements, les reproches de l'Église souveraine. Bien des fois, nous le savons par la correspondance de saint Cyprien, diacres et sous-diacres passèrent de Rome à Carthage et de Carthage à Rome, apportant les lettres de l'Église mère à l'église sa fille, de l'Église veuve de son évêque martyr à l'église veuve de son évêque fugitif. Il y avait alors en chaque ville comme deux églises à la fois, l'église militante dans la cité et l'église souffrante dans la prison ; des prêtres qui veillaient sur le troupeau du Seigneur, et des confesseurs qui, dans les fers, en étaient le modèle, la consolation, la gloire.

Ainsi d'un côté, les prêtres et les diacres de Rome, libres encore, écrivent à Cyprien : Nous ne vous exhortons pas seulement, disent-ils en sa personne à toute l'église d'Afrique ; mais vous pouvez savoir par ceux d'entre nous qui viennent vers vous, qu'avec l'aide de Dieu nous faisons et avons fait tout ce que nous vous demandons de faire ;.... nous ne désertons pas l'assemblée de nos frères, nous les exhortons à se tenir fermes dans la foi et prêts à aller au Seigneur ; nous ramenons à l'Église ceux qui montaient déjà les degrés (du temple ou du tribunal, pour y sacrifier). Vous savez, frères, que vous devez agir ainsi. Fasse Dieu qui accorde tout à ceux qui espèrent en lui, que tous, il nous trouve ainsi occupés ! Vous qui avez le zèle de Dieu, transmettez une copie de ces lettres partout où vous le pourrez, par des messagers fidèles ; appropriez-vous-le ; faites dire à vos frères qu'ils soient fermes et immuables dans la foi[7].

Et d'un autre côté, Moyse et Maxime, prêtres, Rufin, Nicostrate et d'autres confesseurs, tous enfermés à Rome dans les prisons, écrivent, eux aussi, aux chrétiens d'Afrique, et ajoutent l'autorité du martyre aux avis et aux encouragements qui venaient de la chaire de saint Pierre. Enchaînés, souffrant la soif, la faim, l'infection des prisons, la torture des chevalets, ils s'écrient : Qu'est-ce que la grâce divine peut accorder à aucun homme de plus glorieux et de plus heureux que de confesser courageusement son Dieu devant les bourreaux, avec un corps déchiré, tordu, presque inanimé ; que de confesser le Christ, fils de Dieu, par le souffle d'une voix qui s'éteint, mais qui demeure toujours libre ;... de rompre les liens du siècle, pour se présenter libre devant Dieu et devenir, au nom du Christ, le collègue de la passion du Christ ?[8]

Le foyer se conservait donc. Rome gardait le feu de la foi et le communiquait au dehors. Il le fallait ; car les désastres étaient bien grands, et si, de ce centre où la chrétienté blessée était toujours debout, l'exemple et la leçon du martyre ne fussent venus aux chrétientés lointaines, elles eussent pu périr. Mais, grâce à Rome, la vie de la foi rentrait dans ces corps presque inanimés, et, là où le pouvoir croyait n'a voir qu'à enregistrer des apostats, il rencontrait tout à coup des martyrs.

Ainsi, hors de Rome et à ses portes, coulait le sang des chrétiens : deux frères, Pergentinus et Laurentinus, avaient souffert la prison, la faim, les verges en chantant, jusqu'au moment où enfin le juge, se frappant le front, s'écria : Malheur à moi, je suis vaincu ! et les couronna par la mort. — Fusca, jeune fille de quinze ans, avait été frappée de verges d'abord, puis du glaive ; et Matira, sa nourrice, se jetant en larmes sur le corps inanimé, avait demandé et obtenu qu'on ne la séparât pas de sa jeune maîtresse. — Le lecteur Venantius et le prêtre Porphyre avaient mené avec eux devant le juge toute une famille païenne qu'ils venaient de convertir. — A Foligno, un autre groupe de prosélytes avait entouré l'évêque Félicien : en lui rendant des soins dans la prison, la vierge Messaline, sanctifiant un nom impur, s'était fait distinguer par les bourreaux, et avait participé à son martyre. Trois soldats instruits par Félicien, chrétiens depuis longtemps et libres sous le règne de Philippe, avaient prétendu sous Dèce à la même liberté et l'avaient conquise par la mort. — Enfin, sans parler de bien d'autres, en Sicile, la vierge Agathe, belle et d'illustre naissance, livrée d'abord à une femme débauchée pour corrompre sa pureté, puis au bourreau pour dompter son courage, avait vaincu l'une et l'autre ; et lorsque le juge dans sa rage avait ordonné de lui couper les seins : Tu n'as pas honte, lui avait-elle dit, en te rappelant que tu as sucé le sein de ta mère. Mais le lendemain, on l'avait trouvée dans les fers, ses blessures parfaitement saines, parce que Dieu avait envoyé un de ses apôtres pour la guérir, et après de nouveaux supplices, ramenée encore en prison, elle avait demandé au Seigneur de recevoir son esprit et elle avait expiré[9].

Loin de Rome et de l'Italie, les choses se passaient de même.

Alexandrie, la seconde ville, on pourrait dire aussi la seconde église de l'Empire, à l'annonce de la persécution, ressentit les mêmes troubles, fut témoin des mêmes terreurs, eut le spectacle des mêmes apostasies. Là comme ailleurs, dit le saint évêque qui raconte les souffrances de son troupeau, la chrétienté se divisa en trois parts, les apostats, les bannis et les prisonniers. Mais là aussi le flot de l'apostasie rencontra un roc contre lequel il s'arrêta ; et comme Sodome, l'église d'Alexandrie n'eût-elle eu que dix martyrs pour tant de désertions, c'était assez pour la sauver. Cette portion résistante de l'Église, cette élite des forts, paya la dette du sang pour ceux qui étaient tombés comme pour ceux qui avaient fui. Ces martyrs nous sont nommés par leur évêque ; et pourquoi ne pas répéter les noms que nous révèle un si indubitable témoignage ?

Saint Denys, dans sa lettre à l'évêque d'Antioche, parle d'abord de la chute déplorable de bien des chrétiens. Mais, ajoute-t-il, il y eut aussi de ces bienheureux, colonnes inébranlables du temple du Seigneur, affermis par lui pour être les témoins de sa royauté. Entre autres Julien, âgé, goutteux, comparut avec les deux hommes qui le portaient. L'un d'eux faiblit ; l'autre, appelé Eunus, confessa le Christ ; lui et Julien placés sur un chameau, promenés ainsi dans toute la ville, flagellés pendant toute la marche, sont à la fin jetés au feu. Pendant que la foule s'attroupe autour d'eux et les injurie, un soldat qui les garde veut réprimer ces clameurs ; le peuple se récrie ; le soldat Besas est livré au juge par les perturbateurs, et, après avoir soutenu l'épreuve comme un vaillant soldat de Dieu, il est frappé de la hache. Un Libyen, appelé Macar (bienheureux) et digne de ce nom, sollicité de toute façon par le juge sans être ébranlé, est brûlé vif. Epimaque et Alexandre, après un long séjour dans les horreurs de la prison, supportent les ongles de fer, les fouets, mille autres tortures, et sont jetés dans la chaux vive.

On s'attaque même à des femmes : la très-pieuse vierge Ammonarion, sommée de blasphémer, annonce que, malgré toutes les tortures, elle ne le fera pas ; le préfet d'Égypte commence alors à avoir honte de torturer des femmes, et il fait grâce à celles qui restent c'est-à-dire les fait purement et simplement décapiter. Ainsi périt une autre Ammonarion ; Mercuria, femme âgée et vénérable entre toutes ; Dionysia, mère de plusieurs enfants, mais chez qui l'amour maternel cède à l'amour du Seigneur.

On s'attaque enfin aux enfants : avec trois Égyptiens, Héron, Aser et Isidore, paraît le jeune Dioscore âgé de quinze ans. Le juge s'adresse d'abord à lui, veut le fléchir et l'effrayer, veut ensuite le contraindre par les tourments ; il ne réussit pas. Il ordonne que les autres soient torturés à leur tour et brûlés sous les yeux de Dioscore ; l'héroïque enfant ne cède pas non plus. Le juge, devant la fermeté de son courage et la sagesse de ses réponses, est pris cette fois encore d'un mouvement de pudeur ; il le remet en liberté, comptant, dit-il, sur la maturité de l'âge pour lui donner du repentir. Heureuse impénitence ! Le divin Dioscore, nous dit son évêque, vit aujourd'hui au milieu de nous, il était réservé à un plus grand et plus long combat.

Le hasard fournissait encore d'autres victimes. Némésion est accusé devant un centurion comme ayant participé, disait-on, à des brigandages ; il se disculpe et son innocence est reconnue. Mais quelqu'un s'écrie qu'il est chrétien et il est mené devant le préfet. Être chrétien est un bien plus grand crime qu'être larron, il est flagellé deux fois plus cruellement que les bandits et brûlé avec eux. Et c'est ainsi que ce bienheureux eut l'honneur d'être traité comme le Christ. — Un vieillard appelé Théophile comparait, lui, comme chrétien et semble près de faillir. Un groupe de quatre soldats présents à son supplice frémissent, lui font des signes, lui tendent les mains, l'encouragent. Le peuple les regarde étonné et les soldats avertis par cette émotion du peuple, sans être saisis ni appelés, vont se placer sur le banc des accusés et se déclarent chrétiens. Il y eut un moment de terreur chez le préfet et ses assesseurs, quand ils virent surgir à la fois tant de chrétiens et de tels chrétiens. Mais il n'y eut chez les martyrs qu'un sentiment de joie, et ils sortirent glorieux et triomphants du prétoire pour aller à la mort.

Ceux qui étaient hors d'Alexandrie étaient-ils eux-mêmes en sûreté ? Ischyrion n'avait pas fui ; il était resté sur les terres du maître dont il gérait les biens. Ce fut son maître qui lui ordonna d'immoler aux idoles et le fit mourir.

Timothée n'avait pas fui non plus la ville de la Thébaïde qu'il habitait. Comme lecteur, il avait le dépôt des livres saints. On les lui demande. Mes livres sont mes enfants, dit-il, je ne les donnerai pas. On le torture, pendant qu'il souffre on appelle auprès de lui Maura sa femme, âgée de dix-sept ans, mariée depuis vingt jours seulement. Maura un instant cherche à le séduire, et c'est lui qui la convertit. Mais comme elle hésite et tremble encore : Déclare-toi chrétienne, lui dit Timothée ; tu verras que les tortures seront pour toi comme une huile bienfaisante. Tous deux, à la fin, crucifiés en face l'un de l'autre, s'encouragent et se racontent les célestes visions que Dieu leur envoie. Au bout de plusieurs jours, un ange les appelle à la paix du Seigneur. Maura fait aux frères un dernier adieu et tous deux expirent en même temps.

Pansophius, après avoir donné tous ses biens aux pauvres, habitait depuis longtemps le désert. On le ramena pour être supplicié à Alexandrie. D'autres, fuyant dans les solitudes, y trouvaient, au lieu des bourreaux, la faim, la soif, le froid, les maladies, les brigands, les bêtes féroces. Ceux qui survivent, dit saint Denys, sont témoins aujourd'hui du courage et de la victoire de leurs frères. Ainsi Chérémon, évêque de Nilopolis, déjà très-âgé, s'était retiré avec sa femme[10] dans la montagne arabique ; on ne les a plus revus ; les frères les ont recherchés avec le plus grand soin et n'ont pas même retrouvé leurs corps. D'autres, réfugiés dans les montagnes, ont été pris par les Sarrasins et réduits en esclavage ; parmi eux, quelques-uns ont été rachetés au poids de l'or, d'autres n'ont pas pu l'être encore. Je te dis tout cela non sans but, ajoute l'évêque d'Alexandrie, écrivant à l'évêque l'Antioche ; je veux que tu saches les maux que nous avons soufferts. Ils seront mieux compris de ceux qui en ont éprouvé de semblables[11].

Mais Denys lui-même, qui écrit ainsi, avait été de ces glorieux fugitifs. A Alexandrie, comme ailleurs, l'évêque s'était trouvé en butte aux premiers efforts de la persécution, et, en lui échappant, il avait pu espérer donner la paix à son troupeau. Je parle devant Dieu, dit-il, et il sait que je ne mens pas. Ce n'est pas de mon propre gré, mais par la volonté de Dieu, que j'ai pris la fuite. Avant même que l'édit de persécution eût été publié, Sabinus (le préfet d'Égypte) me fit chercher par un frumentaire (un espion). J'étais chez moi et j'y restai quatre jours attendant sa visite. Lui, persuadé que j'avais dû fuir, me chercha par les chemins, sur les rivières, dans les champs. Dieu cependant me fit connaître que je devais partir, et, contre toute attente, facilita mon départ. Avec un serviteur et un grand nombre de mes frères, je quittai Alexandrie. Cette fuite était une œuvre de la Providence, et la suite l'a bien montré en faisant voir à combien d'hommes elle a été utile... Cependant je fus arrêté vers le soir par les soldats et conduit à Taposiris. Timothée (son diacre ou son serviteur ?) n'était point à Alexandrie avec moi ; aussi ne fut-il point arrêté ; revenant à la ville, il trouva la maison vide et gardée par des soldats. Ne voyant ainsi personne, il s'éloigne, et dans son chemin rencontre un paysan qui, le voyant hors d'haleine, l'interroge ; Timothée lui dit ce qui s'était passé. Le paysan, allant à une noce, raconte le fait aux convives pendant un de ces repas qui se prolongent toute la nuit ; alors, par un mouvement soudain, tous se lèvent, courent à Taposiris, entourent nia prison en poussant des cris. Les soldats ont peur et prennent la fuite ; les paysans arrivent jusqu'à nous et nous trouvent couchés sur nos grabats. J'atteste Dieu que je les ai pris pour des voleurs, et que, me résignant à ne garder que la tunique de lin dont j'étais couvert, je leur ai tendu le reste de mes vêtements placés à côté de moi. Eux refusent, m'ordonnent de me lever et de partir en toute hâte. Je compris alors ce qu'ils étaient venus faire ; je criai, je les suppliai de me laisser là ; je les suppliai, s'ils voulaient me rendre service, de me couper la tête avant que les satellites ne vinssent me reprendre. Ils ne voulurent pas m'entendre, mais me forcèrent à sortir du lit. Je me jetai parterre ; mais eux, me prenant par les pieds et par les mains, me portèrent hors de la ville, me mirent sur un âne sans bât, et me conduisirent dans le désert. J'étais suivi de Caïus, de Faustus, de Pierre et de Paul, qui sont témoins de ces faits[12].

J'ai cité tout au long ce récit, parce que c'est si je ne me trompe, l'unique exemple de la résistance par la force à la persécution antichrétienne. Et encore, en quoi consiste cette résistance ? Quelques paysans (chrétiens ou non ? saint Denys n'en dit rien), sans armes, se rassemblent autour d'un évêque prisonnier, jettent des cris de douleur, font peur aux soldats sans le vouloir peut-être et délivrent malgré lui leur évêque pour aller le cacher dans le désert. En fait de révolte, il n'y en a guère eu de plus bénigne, et c'est pourtant la seule dans l'histoire de trois siècles de persécution !

Continuons notre rapide circuit autour du monde romain. De même qu'en Égypte saint Denys d'Alexandrie que nous avions connu évêque et docteur nous apparaît maintenant comme témoin de la persécution, de même ailleurs ceux que nous avons admirés comme les lumières de l'Église tranquille et libre reparaîtront à nos yeux comme les héros ou les gardiens de l'Église persécutée. A Jérusalem, saint Alexandre, ce vétéran du martyre qui déjà, sous Septime Sévère, avait confessé la foi dans les tourments, est saisi de nouveau après quarante ans, et expire dans la prison[13] ; à Césarée en Palestine nous rencontrons une fois de plus l'illustre Origène, qui, à l'âge de soixante-sept ans, est emprisonné, enchaîné au cou, mis dans des entraves qui sont à elles seules une torture, et tourmenté par d'autres moyens encore avec un art infini pour le faire souffrir sans le gratifier de la mort. Aussi pourra-t-il survivre, voir la paix renaître dans l'Église, et peu après, mourant sous le règne de Gallus, il laissera comme souvenir de son combat, des paroles et des écrits pleins de consolation pour ceux qui souffrent[14]. A Antioche nous retrouvons saint Babylas, qui termine sa glorieuse vie épiscopale par une confession glorieuse : jeté dans les fers avec trois enfants ses prosélytes, il y meurt et ses chaînes enterrées avec son corps deviendront comme ses reliques un objet de vénération[15]. Enfin dans le Pont, nous retrouvons saint Grégoire le Thaumaturge et saint Alexandre le Charbonnier ; le dernier est brûlé vivant. Grégoire, comme Denys d'Alexandrie, suit le conseil du Seigneur et se retire, avec ce prêtre des idoles qu'il avait fait diacre, sur une montagne solitaire. On l'y poursuit ; le pied de la montagne est occupé par des soldats, d'autres parcourent les hauteurs. Grégoire invite son diacre à prier avec lui en toute confiance. Pas un coin, pas une caverne n'échappe aux explorations, et les soldats redescendent disant qu'ils n'ont rien vu si ce n'est deux arbres croissant à côté l'un de l'autre. Le guide qui les aidait à explorer le pays, sur leur rapport, remonte seul à l'endroit indiqué, et trouve au lieu des deux arbres les deux chrétiens à genoux, immobiles, en prière. Il se jette aux pieds de l'évêque, devient chrétien et demeure avec lui. Du fond de sa retraite cependant, Grégoire priait pour ceux qui n'ont pas suivi son exemple, mais étaient restés dans la ville. Néocésarée et ses alentours étaient dévastés ; hommes, femmes, enfants étaient emprisonnés, mis dans les fers, torturés : mais le saint évêque retiré, comme Moïse, sur la montagne, élevait les mains vers le ciel, combattant par la prière avec plus de puissance encore que Josué ne combattait par l'épée.

Un jour, tandis qu'il priait avec quelques chrétiens, une violente angoisse le saisit. Il se bouche les oreilles comme un homme à qui arrive un bruit pénible à entendre. Il reste ainsi quelque temps immobile ; puis son immobilité se résout en un transport de joie et son silence en un hymne de louanges. On l'interroge : il raconte qu'il a vu un jeune homme luttant contre le démon et qu'à la fin le chrétien a terrassé son ennemi. On le presse encore : et il révèle que le jeune Troadius, conduit devant le magistrat et cruellement torturé, a enfin obtenu la couronne. Et, en effet, le même jour, à la même heure, Troadius était monté au ciel.

Nous n'avons pas épuisé, tant s'en faut, la liste des martyrs. L'Asie Mineure surtout en a donné au ciel une riche moisson ; cette contrée si anciennement chrétienne, évangélisée par les Apôtres eux-mêmes, couverte dès leur temps de nombreuses et florissantes églises auxquelles saint Jean avait communiqué le feu de sa charité, cette contrée devait opposer un plus ardent courage aux efforts des persécuteurs. Il est impossible de rapporter ici tous les noms que nous a transmis la tradition des églises asiatiques.

Dans une ville, un chrétien vient de lui-même s'offrir au proconsul : Comment t'appelles-tu ?Maxime. — Quelle est ta condition ?Je suis libre de naissance, mais esclave du Christ. — Ton métier ?Je suis homme du peuple, vivant de mon travail. — Tu es chrétien ?Je suis pécheur, mais pourtant chrétien. — Tu ne connais pas les décrets récemment arrivés des invincibles princes ?Lesquels ?Ils ordonnent que tout chrétien, quittant son inutile superstition, reconnaisse le vrai prince auquel tout est soumis et adore les mêmes dieux que lui. — Je connais l'injuste sentence du prince de ce siècle, et c'est pour cela que je me suis présenté. — Sacrifie donc aux dieux. — Je ne sacrifie qu'à Dieu seul auquel, dès mon jeune âge, je me félicite d'avoir sacrifié. — Sacrifie pour ton salut, ou je te fais mourir dans les tourments. — Je l'ai toujours souhaité. Aussi me suis-je présenté à toi, afin qu'en perdant cette misérable vie terrestre, je gagne la vie éternelle. Le proconsul le fait bâtonner : Sacrifie, lui dit-il, pour être délivré de ces tortures. — Ce que je souffre pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce ne sont pas des tortures, mais de douces onctions. Si je m'éloignais de Dieu et de l'Évangile, c'est alors que j'aurais à craindre de véritables tortures. On le met sur le chevalet : Reviens de ta folie, lui dit encore le proconsul, sacrifie pour sauver ta vie. — Je sauverai ma vie en ne sacrifiant pas ; si je sacrifie, je la perds. Le proconsul rend enfin sa sentence : Puisqu'il ne veut pas se soumettre aux lois et sacrifier à la grande Diane, qu'il soit lapidé. Ainsi le prescrit pour épouvanter les chrétiens la divine clémence de l'Empereur. Rendant grâce à Dieu, Maxime est emmené hors de la ville et lapidé[16].

Maxime s'était offert au proconsul, sans doute par une inspiration spéciale de Dieu ; car l'Église défendait en général de chercher le martyre. Pionius, prêtre de Smyrne, ne le chercha pas, mais l'attendit. Comme il se préparait à célébrer le glorieux anniversaire de saint Polycarpe, évêque de Smyrne et martyr, une vision l'avertit que le lendemain il serait pris. Le lendemain, en effet, après la prière solennelle et après qu'on eut goûté le Pain et l'Eau, les chercheurs de chrétiens surviennent et le somment d'obéir aux lois de l'Empereur. Je connais des lois, répond-il, celles qui m'ordonnent d'adorer Dieu. — Et nous aussi, nous obéissons à Dieu, s'écrient deux des chrétiens présents, Sabina et Asclépias. Déjà l'un et l'autre, avertis, comme Pionius, par une vision, portaient à leur cou une corde qui, la veille, s'y était miraculeusement nouée pour que, dit le narrateur, s'ils étaient conduits au forum et au temple, on vit bien qu'ils n'y allaient pas volontairement. Le peuple se pressait pour les voir, les Juifs et surtout les Juives ; car c'était un jour de sabbat. Cette foule, sans être chrétienne, n'était pas tout entière hostile. Elle vénérait la science et la vertu de Pionius ; les habitudes d'une longue tolérance l'avaient familiarisée avec les chrétiens. Et ce qui est remarquable dans toutes les circonstances de ce martyre, c'est d'un côté, ces marques de respect et de compassion du peuple païen, de l'autre, la hardiesse, le sang-froid, l'autorité avec laquelle parle le prêtre chrétien. Il harangue cette foule qui se presse autour de lui, il lui rappelle avec quelles méprisantes railleries elle accueille les chrétiens qui apostasient ; il la blâme de ces mépris : Homère, dit-il aux païens, Moïse, dit-il aux Juifs, vous défendent d'insulter ainsi même des vaincus et des coupables. Mais vous, païens, vous, n'avez-vous pas été plus coupables, sans y être contraints par personne ? Ce peuple l'écoute avec attention, l'entoure, veut lui persuader de vivre : Écoute-nous, il faut que tu vives ; tu le mérites par toutes tes vertus, par ta douceur : vivre est bon. — Oui, reprend le martyr, vivre est bon, mais vivre de la vie que nous, chrétiens, nous souhaitons. Je vous loue de votre amitié,... mais que je crains vos pièges !Pourquoi ces chaînes que vous portez ? demande-t-on au confesseur. — Afin que vous ne nous preniez pas pour des gens qui vont apostasier. Le peuple veut conduire Pionius au théâtre pour mieux l'entendre. L'officier public (neochorus, gardien du temple), Polémon, craint un soulèvement ; il veut tout de suite les mener au temple : Si vous nous menez à vos temples, dit Pionius, tant pis pour vos temples. En ce moment, Sabina, sa compagne de captivité, se prend à rire. Tu ris, lui disent les païens en la menaçant. — Oui, je ris, répond-elle, prête à tout ce que Dieu voudra, parce que nous sommes chrétiens. — Sais-tu ce que tu vas souffrir ? Celles qui ne sacrifient pas sont menées en des lieux infâmes grossir le nombre des femmes qui y habitent. Sabina répond sans crainte : Dieu saura y mettre ordre. Pionius coupe court à ces débats : Tu as charge, dit-il à Polémon, de me persuader ou de me punir. Tu ne réussis pas à me persuader, punis-moi.

On le mène en prison. La fermeté et l'autorité de sa parole est toujours la même. Tu cours donc à la mort, lui dit-on pendant le chemin, toi si savant et si aimé. — Si d'ici je dois aller à la mort, raison de plus. Des chrétiens qui ont pénétré jusqu'à lui offrent leur pieuse assistance : Non, dit-il, pauvre, je n'ai été à charge à personne, je ne veux pas l'être aujourd'hui. On enferme les martyrs dans un cachot ténébreux d'où un peu plus tard on leur propose de sortir. Ils refusent : Nous avons été si heureux, disent-ils, en chantant ici les louanges de Dieu[17]. Il y a là des païens venus pour entendre Pionius, l'admirer et tenter de fléchir son courage ; il y a là aussi de malheureux chrétiens apostats qui versent des larmes et se frappent la poitrine ; Pionius les console et raffermit leur foi.

L'heure vient enfin de mener les confesseurs au temple. Polémon leur annonce (et ce n'est que trop vrai) que leur évêque Eudémon, à sa honte et pour la désolation de son église, a sacrifié et les engage à faire comme lui. Pionius et ses compagnons refusent de sortir : Ceux qui sont détenus, dit-il, ne doivent sortir qu'après l'arrivée et sur l'ordre du proconsul. — Le proconsul nous donne l'ordre de t'amener à Éphèse. — Où est l'envoyé du proconsul ? Qu'il paraisse, et nous. sortons immédiatement. On les fait sortir de force. Sabina et les autres se jettent à terre pour montrer qu'ils ne cèdent qu'à la violence et qu'ils vont au temple malgré eux. Six hommes, en frappant Pionius des poings et des pieds, ne peuvent parvenir à ébranler son immobilité, ils appellent du renfort et emportent Pionius.

Près du temple, se trouvent des juges qui veulent recommencer les interrogatoires : À quoi bon ? dit Pionius, soyez justes, ou, si vous ne voulez pas l'être, obéissez tout de suite à vos lois. On l'interpelle encore : Fais construire le bûcher, dit-il, nous y marcherons de nous-mêmes. On veut lui poser sur la tête la couronne des sacrificateurs ; il la rejette et la brise. Un prêtre païen va pour lui présenter les entrailles des victimes, mais ensuite il hésite et n'ose plus. Nous sommes tous chrétiens, disent les martyrs. Ne sachant plus que faire, on les ramène en prison, maltraités, insultés, mais chantant un hymne d'actions de grâces.

Le jour arrive enfin où le proconsul, de retour à Smyrne, voit les chrétiens comparaître devant lui : Pionius est mis à la torture : Sacrifie aux dieux, lui dit le magistrat. — Non, jamais (minime). — Beaucoup d'autres ont sacrifié et ont sauvé leur vie : sacrifie. — Je ne sacrifie point. — Encore une fois sacrifie. — Non, jamais. — Comment ! pas du tout (non penitus) ?Non, jamais. — D'où vient cette exaltation, et qui te fait ainsi souhaiter la mort ? Fais donc ce qui t'est ordonné. — Je ne suis pas exalté, mais je crains le Dieu éternel. — Que dis-tu là ? Sacrifie. — N'as-tu pas entendu que je crains le Dieu vivant ?Sacrifie aux dieux. — Je ne puis. Le proconsul consulte ses assesseurs, et revenant à Pionius : Tu persistes donc dans ton refus ; tu ne te repens pas encore ?Nullement. Tu peux encore attendre et juger à loisir ce qu'il te convient de faire. — Nullement. — Puisque tu as hâte de mourir, tu vas être brûlé vif.

Le saint prêtre marcha au supplice sans hésiter et sans trembler, alerte, prompt, et comme guéri de ses blessures. Arrivé au stade, il se dépouilla de ses vêtements sans en attendre l'ordre. On le cloua à un poteau sur le bûcher et près de lui un prêtre marcionite appelé Métrodore. Le peuple eut encore un mouvement de compassion : Fais ce qui est ordonné, Pionius, s'écria-t-il, on retirera les clous. Si je meurs, répond-il, c'est pour que ce peuple apprenne qu'il y a une résurrection après la mort. Lorsque la flamme commença à pétiller autour de lui, il ferma les yeux et pria à voix basse pour obtenir le repos après la mort. Puis il rouvrit les yeux, regarda les flammes avec joie, dit amen, et rendit l'esprit comme avec un sanglot, en prononçant cette dernière parole : Seigneur, recevez mon âme. On retrouva au milieu des cendres son corps intact, beau, rajeuni, souriant, sujet de confiance pour les chrétiens, de terreur pour les gentils[18].

Mais nous n'en finirions pas si nous voulions tout raconter. Toutes les provinces pour ainsi dire de l'Asie Mineure, la Mysie, la Bithynie, la Syrie, la Pamphylie, la Galatie, la Cappadoce, l'Arménie, les fies de l'Archipel, Chios, la Crète, eurent des martyrs. Ces martyrs faisaient des prosélytes et rendaient ainsi à l'Église ce que l'apostasie lui avait fait perdre. Le foulon Ménignus se convertissait à la vue de quelques captifs chrétiens miraculeusement délivrés. La vierge Dionysia, livrée par le juge à deux jeunes libertins, voit venir un ange qui la protège contre eux, et ses deux persécuteurs tombent humblement à ses pieds. Christophe, si célèbre parmi les Latins, à qui deux jeunes filles sont envoyées pour le séduire, les convertit, et elles sont martyrisées avec lui. Lucien et Marcianus, païens et magiciens, se sont épris d'une vierge chrétienne, et par la magie ont prétendu vaincre sa vertu ; ils sont vaincus par elle, brûlent publiquement leurs livres de magie, deviennent chrétiens, apôtres, martyrs. Polyeucte, subitement converti, est martyr avant d'avoir été baptisé, malgré les larmes d'une épouse, les supplications d'un père, le spectacle déchirant d'un enfant[19]. Ce qui frappe encore chez ces confesseurs de la foi, c'est la certitude où ils sont que le peuple païen lui-même, intérieurement et involontairement, leur rend justice. Ils savent que ce peuple qui les a vus vivre longtemps à ses côtés, non-seulement les plaint et les aime, mais souvent les admire et les envie. Ils savent surtout que ces misérables proconsuls qui les sollicitent d'immoler à Jupiter et à Diane n'ont pas même foi à leur Diane et à leur Jupiter. Quand Pierre de Lampsaque, sous le fouet des bourreaux, reproche à son juge la turpitude de ses dieux et l'impudicité de sa Vénus, le juge ne sait plus que répondre et se contente de faire redoubler les tortures.

Plus remarquable encore est l'interrogatoire de l'évêque Achatius par le consulaire Martianus : Tu aimes l'Empereur, lui dit le proconsul ; pour que l'Empereur connaisse mieux ton dévouement, sacrifie à l'Empereur. — Je prie pour le salut du prince Dieu mon seigneur, le vrai, le seul grand Dieu. Mais l'Empereur ne peut demander un sacrifice et nous ne pouvons le lui rendre. Qui jamais sacrifie à un homme ?Quel Dieu pries-tu donc ? pour que nous puissions aussi lui offrir nos vœux. — Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob... — Une vaine philosophie te séduit. Ne t'inquiète pas du monde invisible. Adore les dieux que tu vois. — Quels dieux ?Apollon, notre sauveur, qui nous protège contre la famine et la peste, qui anime et gouverne le monde. — Quoi ! cet Apollon qui, selon vous, est mort, qui a couru dans son fol amour à la poursuite d'une jeune fille sans savoir qu'elle allait être changée en laurier,... qui a aimé honteusement Hyacinthe et l'a tué maladroitement !... Ou bien veux-tu que je sacrifie à cette Vénus adultère, à cet Esculape frappé de la foudre ? Si un homme aujourd'hui venait à se conduire comme un de vos dieux, la sévérité de vos lois l'atteindrait ; vous adorez chez les dieux ce que vous punissez chez les hommes...

Et puis la discussion se prolonge entre l'évêque et le consulaire, et celui-ci est tellement dompté par la force de la vérité qu'Achatius, auquel il demande les noms de ses chrétiens, ne craint pas de lui répondre : Tu me demandes beaucoup de noms ; crois-tu donc que tu vaincras plusieurs chrétiens lorsqu'un seul suffit pour te vaincre ? Le magistrat, en effet, est vaincu, et pour se tirer d'embarras, il s'en remet à l'Empereur et envoie à Dèce l'interrogatoire de l'évêque chrétien. Dèce, ajoute-t-on, sourit en le lisant de l'échec de son délégué, envoya Martianus dans une autre province, et rendit Achatius à la liberté : la vérité triompha cette fois sans effusion de sang[20].

J'ai laissé de côté, au milieu de tant d'églises souffrantes, l'église d'Afrique. Ici, moins de noms propres sont arrivés jusqu'à nous ; mais l'attitude générale d'une église chrétienne sous le feu de la persécution nous est révélée par un monument vraiment inappréciable. Nous avons la correspondance d'un évêque forcé de fuir, sa correspondance avec Rome dont il reçoit la lumière, avec son église qu'il gouverne de loin, avec ses frères prisonniers qui seront martyrs demain.

Thascius Cyprianus, sept ans environ avant le règne de Dèce, était un rhéteur païen de Carthage ou des environs de Carthage, riche, fils de sénateur, instruit et éloquent. Il vint à connaître le prêtre chrétien Cecilius qui avait été païen lui-même ; il s'attacha à lui et encore plus à la vérité que Cecilius lui enseigna. Il lutta cependant avant de se rendre, et une lettre écrite à son frère Donatus témoigne des angoisses de cette âme pressée, comme plus tard celle de saint Augustin, par l'esprit de Dieu. Il eut enfin le bonheur d'être vaincu, et dans sa reconnaissance il fit de son vainqueur son ami, son hôte, son père ; il ajouta désormais à son nom celui de Cecilius. Quand Cecilius mourut, il ne recommanda pas sa veuve et ses enfants à un autre qu'à son fils en Dieu, Cyprien.

Cependant la conquête que l'église de Carthage venait de faire était trop belle pour qu'elle n'eût point hâte de s'en faire honneur. Cyprien avait marché dès le jour de son baptême dans la voie de la perfection ; il avait renoncé à sa chaire do rhétorique, vendu ses biens au profit des pauvres, et embrassé avec un zèle ardent l'étude des saints Livres qui, pour cette âme nouvellement sortie des ténèbres du paganisme, avait tant de charme et de lumière. On ne fut donc pas surpris que, tout jeune encore dans la foi, il fût élevé à la prêtrise. On ne fut pas même surpris, lorsque, l'évêque Donatus étant mort, le nom de Cyprien fut prononcé comme celui du futur évêque. Or, Cyprien voulut échapper à cette sentence, se cacha chez lui, évita de paraître en public ; mais le peuple alla le chercher dans sa retraite, lui barra les chemins pour sortir de la ville, l'assiégea en un mot, et à la fin le vainquit. Cinq prêtres et un petit nombre de laïques furent seuls étrangers à ce sentiment populaire et devinrent pour Cyprien des adversaires acharnés dont, à force do bienfaits et de douceur, il chercha vainement à se faire des amis. Pour tout le reste du troupeau, ce fut un jour de joie que celui où saint Cyprien se résigna à l'épiscopat (218).

Mais bientôt la foudre de la persécution éclata sur Carthage. Les clameurs de la populace païenne retentirent dans le cirque et dans l'amphithéâtre. Les chrétiens furent consternés et la tribu toujours très-nombreuse des tièdes et des pusillanimes courut en foule aux autels pour apostasier.

Qu'allait faire Cyprien ? La persécution cherchait toujours à frapper la tête de l'évêque, persuadée que, le pasteur mort ou emprisonné, le troupeau se laisserait mener où l'on voudrait. Le peuple du théâtre, d'accord avec les vues du gouvernement, criait : Cyprien aux lions ! Cyprien était si connu que se cacher dans Carthage ne lui était guère possible ; se livrer au bourreau était téméraire et eût été funeste ; au contraire, le chef disparu, exilé, absent, le troupeau pouvait être oublié. En pareille circonstance, la présence d'un évêque pouvait parfois sauver son église, mais parfois aussi la perdre.

Les conseillers de l'évêque jugèrent sa présence périlleuse, je ne dis pas pour lui, mais pour les siens, et lui imposèrent la fuite[21]. Cyprien se retira, nous ne savons dans quel coin du désert ou dans quel village de la campagne, pendant que le proconsul prononçait contre lui une sentence de mort et la confiscation de ses biens qui depuis longtemps ne lui appartenaient plus. Mais, éloigné de fait, il restait de cœur au milieu de son troupeau. De courageux messagers, tous pris dans les rangs du clergé, allaient et venaient de Carthage au lieu de sa retraite, de l'église combattante à l'église exilée, comme d'autres, plus hardis encore, allaient de Rome à Carthage et à Cyprien, de l'Église mère à ses filles persécutées.

Il nous est resté une partie de ses lettres, et Cyprien est tellement présent par la pensée au milieu de son église que ces lettres sont la meilleure peinture d'une église persécutée. En effet, la vie ordinaire de l'Église ne s'est pas arrêtée ; avec les deniers que l'évêque a laissés ou avec d'autres qu'il envoie, les distributions habituelles se font aux pauvres, aux malades, aux orphelins, aux étrangers réfugiés dans Carthage qui, fermes dans la foi, invincibles à la pauvreté comme à la persécution, sont un exemple pour tous les pauvres[22]. Mais, de plus qu'à l'ordinaire, il y a à visiter, à encourager, à soulager les confesseurs dans les prisons. Cette visite dont les frères se disputent l'honneur, Cyprien recommande qu'elle se fasse avec prudence, qu'on n'y aille pas en trop grand nombre, que les prêtres qui vont y célébrer le saint sacrifice s'y rendent alternativement, un à un, avec un seul diacre, pour ne pas éveiller l'attention par des visites trop fréquentes[23].

Mais c'est avec les confesseurs eux-mêmes qu'il aime surtout à s'épancher. Que ne puis-je, leur écrit-il, aller baiser ces mains innocentes et pieuses qui ont rejeté les offrandes sacrilèges ! ces lèvres qui ont glorieusement confessé le Seigneur !... Bienheureuse prison qu'a illuminée votre présence ! Bienheureuse peine qui envoie au ciel les hommes de Dieu ! Ténèbres plus claires que le soleil !... Que nul de vous ne pense à la mort, mais à l'immortalité ! non à la peine temporelle, mais à la gloire éternelle ![24]

La foudre en effet était tombée sur l'église de Carthage. Le vieux prêtre Rogatianus avec son compagnon Félicissime avait reçu le premier choc de la fureur populaire ; il était allé le premier dans la prison, comme un maréchal-des-logis (metator), préparer l'hôtellerie qui devait recevoir tant de chrétiens. Puis était venu le prêtre Sergius, puis d'autres encore : Pour que rien ne manque à votre gloire, leur écrit Cyprien, pour que tout âge et tout sexe participe à l'honneur que vous recevez, il y a parmi vous des femmes, même des enfants. Cependant l'épreuve de la prison est bientôt jugée insuffisante : les tortures commencent. Le combat grandit, la gloire grandit aussi ; la vue des tourments, loin de vous faire reculer, leur dit le saint évêque, vous a animés pour le combat. Vous n'avez pas été vaincus par les supplices, vous avez vaincu les supplices.... Le peuple a vu avec admiration ce combat de Dieu,.... ces serviteurs de Dieu, désarmés des armes du siècle, armés des armes de la foi. Les torturés ont été plus forts que les tortureurs, le fer qui frappe et qui déchire a été vaincu par ces corps frappés et déchirés[25]...

Mais déjà pour quelques-uns l'épreuve s'est achevée ; l'arbre a donné son fruit, le combat a fini par la victoire : Tous, sans exception, ont lutté avec courage et avec gloire ; quelques-uns sont près d'être couronnés : quelques autres le sont déjà... Pour eux, les souffrances que la torture rendait incessantes ont été terminées par le triomphe. Dieu a permis que leur supplice fût plus cruel, non pour que la foi fût ébranlée, mais pour que ces hommes de Dieu allassent plus tôt vers Dieu[26]. Paul a succombé clans les tourments ou à la suite des tourments[27]. Mappalicus, dans une première journée de tortures, a dit au proconsul : Demain tu verras le combat ; et en effet, remplissant sa promesse, Mappalicus le lendemain a combattu et vaincu. Le sang ne manque plus à l'église d'Afrique ; les roses se sont mêlées à ses lis... Beau, glorieux, noble spectacle pour le Seigneur ![28]

Mais, tout en glorifiant les triomphateurs, Cyprien a besoin de consoler ceux qui attendent encore leur triomphe : Si, par la bonté de Dieu, la paix survient avant le jour de votre victoire, leur dit-il, gardez du moins, avec votre fidélité inébranlable, la conscience de votre gloire. Que nul de vous ne s'afflige comme s'il était moindre que ceux qui par les tourments sont venus à Dieu... Pour vous acquérir la couronne, il suffit du témoignage du Dieu qui nous jugera. L'un et l'autre sort est grand et glorieux ; la sécurité est plus complète pour qui remporte la dernière victoire et va droit au Seigneur ; la joie est plus grande pour qui reçoit son congé après la guerre et se retrouve béni dans les rangs de l'Église.... La paix aussi a ses récompenses. Soutenez tous les combats pour gagner ou la blanche couronne de vos œuvres ou la couronne empourprée du martyre ![29]

Ainsi parle-t-il aux confesseurs et aux captifs. Mais que dire à ceux qui sont encore libres ? Qu'ils prient, que leurs prières redoublent ; qu'ils jeûnent, qu'ils pleurent, et pour soutenir le courage de ceux qui souffrent et pour demander le retour de ceux qui ont failli... Il faut l'avouer, cette effroyable tempête qui a fait tomber dans l'abîme une si grande partie du troupeau était l'œuvre de nos péchés... Il faut donc prier sans cesse, reconnaître ses péchés, faire pénitence... Si Dieu nous voit humbles, paisibles, unis, en un mot corrigés par la tribulation présente, il nous donnera la paix. Le pardon vient après le châtiment. Prions comme nous inspirent de prier la douleur de ceux qui sont tombés, l'inquiétude pour ceux qui restent, le grand nombre de ceux qui languissent, le petit nombre de ceux qui sont debout. Prions que la paix soit prochaine, que nos périls cessent, que nos ténèbres s'éclaircissent, que le blasphème de la persécution soit réduit au silence, que les tombés fassent pénitence, que les persévérants soient à jamais et confirmés et glorifiés ![30]

Mais que le respect, la charité fraternelle, les soins, ne manquent pas à ceux qui souffrent : Que ne puis-je être là et remplir auprès d'eux le solennel ministère de la charité ! Remplacez-moi du moins. Les uns oui subi la torture : vénérez et soignez leurs plaies. D'autres ont subi le supplice de la faim ; ainsi un chrétien captif compte neuf hommes et quatre femmes[31], ses compagnons, morts faute d'aliments ; et il ajoute : Avant peu de jours vous nous compterez parmi ceux-là. D'autres, tels que Bassus et Fortunio[32], sans avoir subi ces tortures, sont morts dans la prison ; glorieuse mort qui vous impose le soin de recueillir et d'honorer leurs dépouilles. Leur vertu et leur gloire n'en est pas moindre et ils n'en sont pas moins dignes d'être comptés parmi les martyrs. Autant qu'il était en eux, ils ont souffert tout ce qu'ils étaient prêts et résolus à souffrir. Ils n'ont pas manqué à la torture, c'est la torture qui leur a manqué  Pour tous ces frères, ajoute saint Cyprien, notez exactement le jour où ils ont quitté cette vie, afin que nous puissions les commémorer parmi les martyrs. Je sais du reste que Tertullus, notre fils fidèle et dévoué, au milieu de toutes ses sollicitudes et de tous ses soins, s'occupe non-seulement de recueillir leurs corps, mais d'écrire et de me transmettre l'indication des jours où nos bienheureux frères sont passés de la prison à l'immortalité. Nous célébrerons ici des oblations et des sacrifices en souvenir d'eux, et bientôt je l'espère, par la protection de Dieu, nous les célébrerons avec vous[33].

Ainsi le lien n'était pas brisé entre la chrétienté de Carthage et son évêque fugitif. Du fond de sa retraite, l'évêque savait tout et veillait à tout. Ses lettres même étaient si nombreuses, les voyages si longs et si multipliés qu'il lui fallait ordonner de nouveaux clercs, ne fût-ce qu'à titre de messagers. — Ainsi il écrit qu'après un certain temps d'épreuves il a fait sous-diacres Satur et Optat, tous deux déjà approuvés par le clergé de Carthage[34]. — Une autre fois il annonce qu'Aurelius a été ordonné lecteur bien jeune d'années, mais avancé en foi et en vertu, deux fois mis à l'épreuve et deux fois vainqueur ; exilé ensuite, puis provoqué de nouveau par l'ennemi et vainqueur de nouveau... Qu'il lise donc les Livres saints de cette voix qui a eu l'honneur de confesser le Christ devant les bourreaux ; que, martyr, il prononce les paroles de l'Évangile qui font les martyrs, qu'il monte de l'échafaud à la chaire[35]. — Il confère le même honneur à Célérinus qui s'en jugeait indigne et le refusait, jusqu'à ce que Dieu dans une vision lui eût commandé d'accepter. Célérinus, à Rome, a été un des premiers confesseurs de la foi ; il a souffert des tortures prolongées ; mais, plus persévérant que ses bourreaux eux-mêmes, il a triomphé comme par miracle. Il a souffert pendant dix-neuf jours la prison, les chaînes et les coups ; mais son corps seul était enchaîné, son âme est demeurée libre. La faim et la soif ont anéanti sa chair ; mais Dieu a donné la nourriture spirituelle à son âme Les cicatrices de son corps, l'affaiblissement de ses membres sont les glorieux signes de sa victoire.... Si vous voulez douter, faites comme Thomas, touchez ses plaies.... Du reste, chez lui, cette gloire est héréditaire ; son aïeule Célérina a été, il y a longtemps (sous Septime Sévère ?), couronnée par le martyre ; ses deux oncles, Laurentinus et Ignatius, soldats dans la milice séculière, ont mérité la palme des soldats de Jésus-Christ et, vous le savez, nous offrons pour eux des sacrifices toutes les fois que nous célébrons les anniversaires des martyrs. Glorieuse noblesse, illustre patriciat de la foi ! Qui est le plus heureux, je ne saurais le dire, ou lui de cette origine si belle, ou ses ancêtres de cette postérité si glorieuse ? Aurelius et Célérinus semblent avoir été ravis à la mort par le Christ, et ressuscités pour ainsi dire, afin d'être ses témoins au milieu de notre Église[36]. — Et enfin le prêtre Numidicus tenu d'un pays étranger est appelé à illustrer, en s'associant à lui, le clergé de Carthage : Par ses exhortations, il a envoyé. devant lui un grand nombre de martyrs qui ont péri ou par les pierres ou par le feu. Lui-même a vu à côté de lui sa femme livrée aux flammes ; non, je devrais dire sauvée par les flammes. Et enfin, couvert de brûlures, accablé de pierres, laissé pour mort, lorsque Sa fille cherchait son cadavre, elle l'a trouvé vivant encore quoique inanimé. Elle l'a retiré du milieu de ses compagnons morts que lui-même avait envoyés devant lui ; il est resté au milieu de nous comme malgré lui ; mais il est resté pour rendre une richesse nouvelle à notre église désolée par la chute de quelques prêtres[37].

Je me laisse peut-être entraîner trop loin par ces citations ; mais ne sont-elles pas belles ces lettres qui nous montrent tout vivants encore les défenseurs de Jésus-Christ et qui nous font pour ainsi dire mettre le doigt dans leurs plaies ? L'évêque exilé n'oublie donc rien, et il peut se rendre ce témoignage : Absent de corps, je ne l'étais ni par mes pensées, ni par mes actes ; autant que ma faiblesse me le permettait, j'ai veillé au salut de mes frères.... Vous pouvez savoir ce que j'ai fait par treize lettres écrites à des temps divers et que je vous ai transmises. Là je n'ai oublié, ni les conseils au clergé, ni les exhortations aux confesseurs, ni, quand il l'a fallu, aux exilés les reproches, ni à la fraternité tout entière les avertissements pour qu'elle implorât la miséricorde ; rien, en un mot, de tout ce que, selon les préceptes de la foi, selon la crainte de Dieu, selon les suggestions du Seigneur, notre médiocrité a pu faire[38].

Du reste, le langage des dernières lettres que nous venons de citer indique que la persécution se ralentissait. Le règne de Dèce a été trop court pour qu'elle ait pu durer plus d'un an ou deux. Cette persécution, disait saint Cyprien, est une épreuve pour notre courage. Dieu a voulu en tout temps que les âmes des siens fussent secouées par les orages et que leurs forces fussent mises à l'essai ; mais, au milieu de ces épreuves, son secours ne manque jamais aux croyants. Et de plus, à moi, le dernier de ses serviteurs, à moi, coupable de tant de péchés, à moi, indigne de ses grâces, il a bien voulu dans sa bonté faire dire cette parole : Dis-lui qu'il se rassure ; la paix viendra : il faut encore attendre un peu de temps ; il y a quelques âmes encore à éprouver[39].

 

 

 



[1] C. Messius Quintus Trajanus Decius, né à Bubalie près de Sirmium en Pannonie, en l'an 191 ou 201. — Consul en..., 250 et 251. — Proclamé empereur en octobre 249. — Tué en novembre 251 (Orelli, 972, 991, 992. Henzen, 5227).

Sa femme : Herennia Cupressenia Etruscilla. (Orelli, 994. Henzen, 5221).

Ses fils : Q. Herennius Etruscus Messius Decius, prince de la jeunesse et César en 249, consul en 250 et 251. — Auguste en 251, — tué avec son père (Orelli, 992, 995, 996. Henzen, 5536, 5537, 5538).

— Et C. Valens Hostilianus Messius Quintus — César en 249, — fait Auguste avec Gallus en 251, — consul désigné, meurt en 252 (Orelli, 992. Henzen, 5539, 5540).

On attribue à Dèce une fille mariée après sa mort à Volusien fils de Gallus, mais cela parait douteux.

[2] S. Cyprien, Ép. 7 (36), 8 (3), 13 (11). Eusèbe, VI, 39-41. Je cite les lettres de saint Cyprien d'après l'édition d'Oxford, indiquant entre parenthèses les numéros de l'édition de Pamélius, en général pareils à ceux de l'édition de Baluze.

[3] Sur cette généralité des apostasies, voir la lettre du clergé de Rome à saint Cyprien, Ép. 30 (31) : Aspice totum orbem pœne vastatum, et ubique jacere dejectorum reliquias et ruinas.

[4] Inter plangentium ruinas et timentium reliquias, inter numerosam langnentium stragem et exiguam stantium firmitatem. Saint Cyprien à son clergé, Ép. 11 (8).

Multorum per totem pene orbem ruina, disent les confesseurs de Rome à saint Cyprien, 32 (26).

[5] Martyrs de la Thébaïde, au 28 juillet. (Saint Jérôme dans la vie de saint Paul, ermite.)

[6] Epist. Cypr. 3 (95), 9 (4), 30 (31). Hieronym., De Viri illust., 54. Eusèbe, H. E., VI, 32. Kalendar. Bucherii. Il fut enterré au cimetière de Calliste (Liber pontificalis, Beda, etc.), où on lit encore son épitaphe ΦΑΒΙΑΝΟΣΕΠΙ(σκοπος) Μ(άρτυ) Ρ.

[7] S. Cyprien, Ép. 8 (3). Voyez aussi toute sa correspondance avec le clergé de Rome, 20 (15), 30 (31), 35 (29), 39 (30).

[8] Moyses et alii ad Cyprianum Papam. Ép. 31 (26). Lettre d'envoi de saint Cyprien, 32 (32) et sa réponse, 37 (16). Voyez encore sur les mêmes martyrs, Ép. 27 (23), 28 (25).

[9] Martyrs d'Italie sous Dèce : A Rome, saint Fabien, pape (20 janvier). — Saints Aurélien et Maxime, son jeune enfant (22 mai ou 31 janvier). — Moïse et Maxime, prêtres (19 nov.). — Victoire et Anatolie, vierges (23 déc.). — Calorer et Parthénius (19 mai). — Abdon et Sennen, Persans (30 juillet).

A Arezzo : Saints Pergentinus, Laurentinus et 400 autres, martyrs (3 juin). — A Ravenne, Fusca et Maura (13 févr.). — A Formies (?), Albina, vierge (16 déc.). — A Fundi, Magnus, évêque, et Paternus (19 et 21 août). — A Camerinum dans l'Ombrie, Porphyre, prêtre (4 mai) ; Anastase, Théopista sa femme, leurs quatre fils et leurs deux filles (11 mai). — A Assise, Victoria évêque (13 juin). — A Foligno, Félicien, évêque, et Messaline, vierge (23 ou 24 janvier. Découverte du tombeau de celle-ci et de sa chevelure, à Foligno en 1599) ; Héraclius, Justus et Maurus, soldats (14 mai). — A Atinum, Carus, évêque (29 avril). — A Abia, dans les Abruzzes, Maxime, diacre (19 ou 20 octobre).

En Sicile : A Catane, sainte Agathe, vierge (5 février). — A Léontium, sainte Alphius, Philadelphus et Quirinus, frères (10 mai) ; plusieurs juifs (9 avril), sept enfants (26mars), et 20 soldats (10 décembre), convertis par eux.

On peut rapporter au temps de la persécution de Dèce à Rome, une peinture tout à fait unique en son genre qui a été découverte dans la crypte des saints Calocer et Parthénius (catacombe de Calliste). C'est la seule peinture contemporaine représentant un martyr. Un personnage couronné de lauriers (l'Empereur ?) vêtu de la tunique et du pallium est debout sur un tribunal ou suggestus comme celui des magistrats. Son geste est menaçant. Au pied du tribunal, un homme avec une tunique bordée de pourpre, avec une attitude et une physionomie sereine (le confesseur de la foi) ; à la droite de celui-ci une figure à moitié effacée ; à la gauche, un homme couronné (de lauriers ?) qui s'éloigne et parait mécontent (un prêtre des idoles qui a essayé en vain de faire apostasier le chrétien ?). La peinture est du style de la seconde moitié du troisième siècle, sans aucune trace du goût byzantin. Voy. M. de Rossi, Rome souterraine. — Le nom de ces martyrs est rappelé d'une manière touchante par une inscription tracée avec une pointe de fer sur l'enduit d'un des murs de la catacombe de Calliste :

TERTIO IDVS FEBRVA PARTENI MARTIRI CALOCERI MARTIRI

[10] On sait qu'en ce siècle les hommes mariés étaient admis à la prêtrise et même à l'épiscopat, mais à la condition de vivre dans la continence.

[11] Lettre de saint Denys d'Alexandrie dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 84 (41).

Martyrs en Égypte : A Alexandrie, saint Julien, Eunus dit Chronion, et le soldat Bésas, 17 février (Adon dit le 19, et un Ménologe le 30 octobre) ; Macar, 8 décembre ; les deux Ammonarion, Epimaque, Alexandre, Mercure et Dionysia, 12 décembre ; Héron, Ater (on Aster), Isidore, 14 décembre (V. aussi Usuard, Adon, Bède, Photius, 119) ; Némésius ou Némésion, 19 décembre ; Théophile, et les autres soldats Ammon, Zénon, Ptolémée et Ingennus (1er juin). A ces martyrs nommés par saint Denys, les Ménées et d'autres martyrologes grecs ou latins ajoutent : saints Pansophius, 15 janvier ; Fauste, prêtre, avec huit compagnons, plus trois femmes, 8 septembre ; Agathon qui semble être le même que le soldat Besas, 7 décembre.

Hors d'Alexandrie : Saints Timothée, lecteur, et sa femme Maure, dans la Thébaïde, 3 mai ; Chérémon, évêque, 22 décembre ; plusieurs martyrs dont le nom est resté inconnu, 21 juillet.

[12] Dionys. Ép. ad German. Apud Eusèbe, H. E., VI, 40.

[13] Sur le martyre de saint Alexandre (18 mars ; chez les Grecs, 23 mars et 12 décembre) voyez Eusèbe, VI, 39. — Saint Denys d'Alex. dans Eusèbe, VI, 46. — Saint Épiphane, de ponderibus et mensuris, 18. — Hieronym., in Catalogo. — Chronic. Alexandr. — Nicéphore Calliste, V. 27. — Ménées grecques. — Bède, Usuard, Adon, etc.

Les martyrologes, au 30 janvier, mentionnent un Alexandre martyr à Jérusalem. Mais ce serait un autre que l'évêque, — On cite encore en Palestine ou en Syrie : Saintes Meuris et Thée à Gaza (19 décembre) ; la dernière survécut aux tortures ; sainte Reparata, vierge à Césarée de Palestine, 8 octobre (sous Dèce ou Valérien ?) ; saint Galation et Epistema sa femme en Phénicie (5 nov.) ; 40 vierges martyres à Antioche (12 décembre).

[14] Ici se représente le récit d'une prétendue apostasie d'Origène que nous avons cité plus haut d'après saint Épiphane (Hœres., 64), parce qu'il serait plutôt applicable à une époque antérieure. On peut y ajouter l'écrit intitulé : Lamentations d'Origène, dans lequel on le fait parler et déplorer une chute où le démon l'aurait entraîné. Baronius examine ces deux témoignages et les rejette. Le dernier est empiétement apocryphe et condamné comme tel par le pape Gélase. Quant au passage cité plus haut de saint Épiphane, Baronius croit qu'il y a été ajouté après coup, d'autant qu'un autre passage du même écrivain le contredit. Du reste, l'apostasie d'Origène n'est mentionnée ni par aucun de ses critiques pour la lui reprocher, ni par aucun de ses apologistes pour l'en défendre.

[15] Saints Babylas, Urbain, Philidianus et Epolomus (24 janvier ; chez les Grecs, 4 septembre). Voyez le récit que fait saint Jean Chrysostome de la mort de saint Babylas (Adversus gentiles. In Juvent. et Maxim.). Il peut y avoir une certaine confusion entre ce que saint Jean Chrysostome raconte de saint Babylas et de Dèce, et ce qui a été rapporté plus haut de l'empereur Philippe. Les actes de saint Babylas avaient été écrits, mais par un évêque arien d'Antioche. Voyez les martyrologes ; Nicéphore, In chronol. ; saint Jérôme ; saint Épiphane, De ponderibus, 19. Quelques grecs le mettent sous Numérien ou sous Carus. Mais c'est inadmissible, puisque ses successeurs sur le siège d'Antioche sont nommés à des dates antérieures au temps de ces empereurs.

[16] Actes consulaires, apud Surium et alios (30 avril). Le nom de la ville d'Asie n'est pas indiqué. Les Grecs mettent sa fête au 7 ou au 14 mai.

[17] Ils ajoutent : Hoc quod accidit processit in melius. Acta S. Pionii, 11.

[18] Saint Pionius et ses compagnons, 1er février (11 mars selon les Ménées), Eusèbe, IV, 15. Eusèbe, sans le dire d'une manière positive, semble faire saint Pionius contemporain de saint Polycarpe ; mais les actes très-authentiques de saint Pionius, loués et cités par Eusèbe lui-même, disent expressément qu'il souffrit sous le consulat de Dèce et de Gratus (250) le 4 des ides de mars (11 mars) au sixième mois des Asiatiques, jour du Sabbat, à la 10e heure (ch. 23).

La chronique d'Alexandrie confirme cette assertion.

[19] SS. Polyeucte, Candidianus et Philocomus, 13 février (11 ou 16 janvier). Ils peuvent être, avec une égale probabilité, référés à l'époque de Dèce ou à la persécution postérieure de Valérien.

[20] Martyrs dans l'Asie Mineure : — Province d'Asie : à Éphèse, saints Maximien et ses compagnons, dits les sept dormants (27 juillet) ; à Smyrne, saint Pionius, évêque (v. ci-dessus). — Hellespont et Mysie : à Parium, saint Menignus le foulon (15 mars) ; à Cyzique, Myron, prêtre (17 août) à Pergame et à Thyatyre, Carpus, évêque, et ses 49. compagnons (19 ou 14 avril) (voy. Eusèbe, IV, 15) ; à Lampsaque, Pierre, André, Paul et la vierge Dionysia (15 mai ; selon quelques grecs, le 16 ou le 18). — Bithynie : Nicomédie, saints Lucien et Marcianus (28 octobre) ; à Nicée, Tryphon, Respire, Nymphe (10 novembre ou 1er février) ; dans une ville inconnue, Thyrse, Leucius, Callinique et 15 autres (28 janvier). — Lycie : saint Christophe (25 juillet) ; saintes Niceta et Aquilina converties par lui (24 juillet, 9 mai) ; Thémistocle, berger (21 décembre). — Galatie : Callinicus (ou Callinica) et Basilissa (22 mars, selon d'autres 21 ou 26). — Pamphylie : saint Conon, jardinier (5 ou 6 mars) ; à Perga, Nestor, évêque et ses trois compagnons (26 ou 27 février ; 2 mars). — Cappadoce : à Césarée, saints Mercure, soldat (25 novembre) ; Germain et ses compagnons (3 novembre). — Pont : à Néocésarée, saint Troadius (2 mars, 28 décembre. V. ci-dessus) ; à Comana, saint Alexandre, évêque (11 août. V. ci-dessus). — Arménie : saints Achatius, évêque de Mélitene, dit-on, confesseur et non Martyr (31 ou 29 mars) ; Polyeucte et ses deux compagnons (13 février ; il janvier) ; Néarque (22 avril). — Île de Chios : sainte Myrope (13 juillet) ; saint Isidore (15 mai). — Chypre : saint Conon (6 ou 5 mars).

Dans l'île de Crête : saint Théodule et dix autres (23 décembre).

[21] Épîtres 7 (36), 8 (3), Il (6), 20 (15). Dans cette dernière, il se justifie devant le clergé de Rome. — Approbation que lui donne celui-ci, Ép. 30 (31).

[22] Ép. 5 (5), 7 (36), 12 (27).

[23] Ép. 5 (5), 15 (11).

[24] Ép. 6 (81).

[25] Épître 10 (9).

[26] Épître 10 (9).

[27] Ép. Luciani : 22 (20).

[28] Ép. 10 (9). Sur Mappalicus. — V. encore 27 (23) et le calendrier de Carthage au 19 avril.

[29] Ép. 11 (8).

[30] Ép. 11 (8).

[31] Ce sont Fortuna, Victorinus, Victor, Herenus, Credula, Herena, Donatus, Firmus, Venustus, Fructus, Julia, Martialis, Aristo.

[32] La lettre de Lucien dit que Bassus est mort in petrario (dans les carrières ?).

[33] Saint Cyprien, Ép. 12 (et Lucien, loco citato sur Tertullus). Voyez 14 (6). Les martyrs d'Afrique auxquels des jours ont été assignés sont : saints Quinctus, Simplicius et leurs compagnons, 18 déc. — La femme et les compagnons du prêtre Numidicus (v. ci-dessus), 9 août. — Castus et Æmilius, 22 mai (v. saint Cyprien, De lapsis). — Mappalicus et 20 autres, 17 ou 19 avril.

[34] Ép. 29 (24).

[35] Ép. 37 (33).

[36] Ép. 30 (34). Sur Célérinus, voyez encore 21 (21), 22 (20) ; sur Aurelius, 27 (23).

[37] Ép. 40 (35).

[38] Ép. 15 (11).

[39] Ép. 11 (8).