LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

TABLEAU DU MONDE ROMAIN SOUS LES PREMIERS EMPEREURS

LIVRE TROISIÈME — DES MŒURS

CHAPITRE III. — DE LA VIE INTELLECTUELLE.

 

 

§ II. — DE L'ÉLOQUENCE, DE LA POÉSIE ET DES ARTS.

Arrivons maintenant à un sujet plus populaire, plus accessible à tous, et qui porte par conséquent l'empreinte plus évidente des sentiments et des pensées de tous les hommes.

L'histoire de l'éloquence se lie trop intimement à l'histoire de la nation, la question littéraire touche ici de trop près la question politique, pour que depuis longtemps je n'aie pas dû l'aborder. J'ai fait voir les causes du déclin de l'éloquence ; j'ai montré comment elle périssait par l'emphase sans but, par la déclamation à vide, par tous les défauts réunis de l'esclave, du rhéteur et du sophiste

Quant à la poésie, — Homère était resté Je père de la poésie universelle. Non-seulement il avait inspiré celle de la Grèce ; mais celle de Rome à son tour, quelle que pût être sa primitive origine, abandonnant ses traditions étrusques et son pesant vers saturnin, était venue s'inspirer aux sources helléniques. Mais en même temps que la tradition homérique se propageait comme tradition de poète, elle s'affaiblissait comme tradition religieuse. L'incrédulité, le panthéisme, l'orientalisme, lui faisaient la guerre. Elle restait, à défaut d'autre, le type convenu du merveilleux et de la religiosité poétique ; mais elle n'allait pas jusqu'aux âmes et ne réveillait pas d'échos intérieurs.

Virgile cependant, avec une intelligence fraîche et pure au milieu de la poudreuse vieillesse de son époque, Virgile, tout en gardant la foi homérique comme motif obligé de ses chants, sut y faire pénétrer des inspirations toutes nouvelles. Il fit passer dans la poésie un sentiment plus profond des beautés visibles du monde, et une sorte de sympathie avec elles, plus puissante par cela même qu'elle est plus concentrée. Il alla plus loin encore, il fit quelques pas dans ces régions mystérieuses de l'âme humaine, où l'antiquité n'avait pas pénétré ; il aborda ces sentiments plus intérieurs et plus retirés que la poésie grecque, trop extérieure, n'avait pas compris. Sa poésie devint en un mot l'amie plus intime, soit de l'homme, soit de la nature ; elle sut toucher des cordes dont à leur tour les siècles modernes ont abusé ; elle sut, là où nous nous épanchons à l'infini, et deviner et se faire sentir avec une sobriété admirable. Virgile demeura un génie bien au-dessus de son temps, imparfaitement compris de ses disciples et de ses imitateurs ; destiné à se trouver plus en accord avec la sensibilité humaine, à mesure que le christianisme la rendait plus profonde et plus exquise ; digne en un mot, non-seulement d'être expliqué dans les écoles par le rhéteur Quintilien, mais de faire soupirer, au milieu des luttes et des angoisses de son retour à Dieu, l'âme chrétienne d'un Augustin.

Mais Virgile avait donné à tout son siècle l'amour de la poésie. Avant lui c'était une fantaisie que d'être poète ; l'orateur ou l'homme d'État, dans ses heures de loisir, pouvait en se promenant dans son gymnase rêver quelques imitations pindariques. Mais, après lui et sous la royale protection d'Auguste[1], la poésie fut la vie, l'occupation, la profession d'une foule d'hommes. Les portes du palais furent couvertes de distiques dans lesquels luttaient à l'envi les poêles de la cour. Si Tibère, avare et sombre, suivit mal les exemples d'Auguste[2] ; si Caligula, envieux de toute gloire, eut peur du poète et le proscrivit comme le patricien ; si Claude, savant imbécile, ne sut rien faire que pour les joueurs de dés, les cuisiniers, les affranchis et les bouffons ; Néron, fidèle au moins par goût aux traditions politiques de son aïeul, Néron devait réveiller la poésie[3].

Sous Néron, en effet, les bains, les basiliques, les platanes de Fronton retentissent de la voix cadencée des écrivains, qui viennent, en robe de pourpre et les cheveux parfumés, lire leurs iliaques, leurs silves et leurs élégies. Il y a toute une vie académique, vie de banquettes, de compliments et de bravos ; on court haletant d'une récitation à une autre ; on serre à la hâte un poète dans ses bras pour aller crier au poêle son camarade : Pulchre, bene, recte ! La poésie triomphe, elle est bien vue à la cour ; elle est applaudie au théâtre ; elle est cultivée par les affranchis du palais ; elle trône dans les soirées de Néron, où l'on se rassemble pour faire en commun les vers de César. Le temps est passé où la poésie tremblante et pauvre, la poésie de Virgile cependant, née au bruit des armes, chassée par un centurion du champ paternel, était traquée par le tapage des guerres civiles, jusqu'au pied de la chaise curule d'Auguste. Sous la bénigne influence du soleil impérial, sous la pluie d'or et de lauriers qui descend du mont Palatin, s'élève une poésie doucement et tendrement allaitée, nourrie à la pâte et au miel, élevée dans la serre chaude des lectures de salon, à la douce odeur de l'ambre et du nard, à l'harmonie des cithares qui lui donnent le ton, au bruit plus enchanteur de sa propre voix et des applaudissements cadencés d'une amitié fidèle[4]

Mais aussi le temps de la poésie virgilienne est passé. Ce n'est pas qu'on n'adore Virgile, que l'on ne cite son nom, que l'Énéide ne soit expliquée dans les écoles, que dans les cercles poétiques, on ne copie le rythme, on n'imite la phrase, on ne contrefasse l'harmonie de Virgile ; mais son esprit a fui. Les poètes nouveaux n'ont pas souffert comme lui : mais aussi jamais ils n'ont su comme lui contempler, ni sentir ; jamais sous le feuillage du genévrier, au moment où les ombres grandissantes commencent à descendre des montagnes, ils n'ont causé avec le pécheur ou avec le pâtre ; ils n'ont jamais vu, simples bergers de la Cisalpine, leurs chèvres suspendues aux flancs d'un rocher buissonneux. Grâce aux dieux, ils ont en naissant respiré l'air de la grande ville ; Rome les a bercés au milieu des magnificences de l'amphithéâtre et du palais, ils ont grandi entre le grammairien et le rhéteur ; leur poésie, fille de l'école, ignore les beautés de la nature ; elle ne connaît de verdure que les gazons du Champ de Mars, et n'a entendu le bêlement des brebis qu'au moment où on les mène à la boucherie du Vélabre.

Encore moins leur poésie saura-t-elle pénétrer dans ces intimes replis de l'âme humaine, dans lesquels Virgile a fait entrer une douce lumière. A une époque où les hommes s'isolent par méfiance, où toutes les affections se dessèchent dans le cœur, où les joies deviennent forcément égoïstes, sous le joug rigide de Tibère, qui pourrait sonder cette partie du cœur où reposent les plus douces et les plus intimes affections ? Qui osera naïvement épancher son âme et dire en face d'un Séjan les mystérieuses fantaisies de sa pensée ? La pensée passe pour dangereuse et conspiratrice ; la même influence qui a corrompu l'éloquence corrompt aussi la poésie, l'influence de cette déclamation à vide et de ce pariage éternel qui évite de dire jamais rien.

Cette poésie, ainsi déchue de la hauteur et de la suavité virgilienne, gardera-t-elle le culte des dieux d'Homère ? lis demeurent, il est vrai, à titre de machine épique et de prétexte au merveilleux. Lucain, Stace, Silius Italicus, et je ne sais quels autres, les font toujours monter sur la scène, fantômes inanimés, figures jadis vivantes et dont la vie s'est retirée, machines de théâtre derrière lesquelles on voit les doigts du poète. On est las de cette poésie fastidieuse ; mais on ne trouve pas autre chose à inventer, et, la mode le veut, il faut faire des vers. Versifiez donc avec une imagination stérile et sur des traditions corrompues ! versifiez puisqu'il le faut, tantôt pour votre dieu Jupiter, auquel vous croyez un peu, mais que vous n'adorez presque pas, tantôt pour votre dieu Néron, auquel vous ne croyez point, mais que vous adorez beaucoup ! Faites sur les thèmes reçus depuis cinq cents ans des hexamètres et des hendécasyllabes ! Soyez, si vous le pouvez, corrects, élégants, spirituels même ; mais convenez de bon cœur que vous avez renoncé à la grâce virgilienne comme à l'inspiration homérique.

Lucain, le héros de cette école, son écrivain le plus original, a reçu plus que personne l'éducation des écoles. Petit-fils et neveu de rhéteurs, il appartient à la famille déclamatoire des Sénèques. Ces hardis Cordouans, au milieu de l'invasion générale des Espagnols et des Gaulois dans la littérature latine, ont élevé d'un ou deux tons le diapason de la déclamation universelle : famille étrangère, nouvelle, sans tradition du passé, sans foi nationale ou religieuse, qui manque de sérieux et ne semble venue que pour étonner Rome de ses tours de force.

Lucain cependant prétend sortir des routes battues. Un ordre de Néron a fermé pour lui les bureaux d'esprit et les récitations publiques. Sa poésie se cache dans son cabinet, elle ne pourra paraître au monde qu'après la mort du tyran. Lucain est libre d'innover et d'inventer ; il peut chercher un autre dieu que Jupiter ou César.

Ce dieu, il l'a déjà trouvé ; c'est la fatalité, le vrai dieu de son siècle. Nous avons montré comment il comprend, comment il définit, comment il adore ce dieu. En effet la poésie de Lucain est véritablement la poésie de son siècle. Elle le représente bien mieux que les Silves innocentes de Stace, que les mythologiques vieilleries de Valerius Flaccus, que les déclamations romaines d'un Silius Italicus. La poésie de Lucain, c'est la peur, le désespoir, le néant. Lucain a inventé cette poésie satanique que se sont flattés d'avoir découverte quelques ennuyés de nos jours. Lucain a inventé aussi, et par suite du même principe, ce culte exclusif de la phrase au détriment de la pensée, ce sacrifice perpétuel et commode (car il épargne la fatigue de réfléchir) de l'idée à l'image, de la chose au mot, de la raison à la cadence du vers. Ne cherchez pas en lui la douce lueur d'une imagination vraie ou d'une tendre et pure affection. Vous ne trouverez qu'une terreur désespérée, une recherche de tout ce qui épouvante et désole ; une philosophie qui croit à la vertu et qui l'admire, mais pour la voir toujours sans consolation et sans récompense ; enfin une peur constante de la mort, mal suprême auquel Lucain ne connaît ni compensation, ni remède. Ne lui demandez pas quelle est sa doctrine, ni quels sont ses dieux. Dais son désespoir de tous les dieux, il adore le seul néant. La nature matérielle lui plat t plus que la nature morale, et dans la nature matérielle ce qu'elle a de plus repoussant et de plus hideux. Sa poésie s'exerce sur le cadavre.  Il est là penché sur un mort, comptant les meurtrissures, mettant le doigt dans les plaies ; il ne poétise pas,. il dissèque ; il suit pas à pas la sorcière thessalienne qui dérobe un pendu à son gibet ; il la montre rompant avec les dents la corde nouée par le bourreau, déchirant les entrailles, recueillant le sang noir congelé dans les veines, et suspendue par les dents à un nerf qui ne veut pas se rompre[5]. Ces descriptions approfondies du mort et de l'horrible, faites avec amour, emboîtées dans un mètre riche, creux et sonore, remplissent Lucain. Oui, sans doute, il pouvait se vanter d'être bien au de la de la poésie de Virgile ; cette poésie moins primitive et d'une religion moins antique que celle d'Homère, mais intelligente, spiritualiste, je dirais volontiers chrétienne, poésie qui n'abuse de rien, glisse légèrement sur toutes choses en montrant qu'elles ont été vues et senties, et laisse toujours transparaître à travers la vie matérielle la lampe intérieure du sentiment et de la pensée.

Enfin, — pour jeter ici les yeux sur un art que l'antiquité ne séparait pas de la poésie, parce qu'elle le comprenait d'une manière plus intellectuelle que nous, —une poésie triviale et vulgaire, dit Plutarque, menait avec elle une musique efféminée et corrompue[6]. Cet art, traité si gravement par les anciens, qui lui reconnaissaient une intime alliance avec la religion, une singulière importance dans l'ordre politique, une influence réelle dans l'ordre moral, cet art n'était plus désormais qu'un divertissement frivole. Il perdait sa simplicité antique et sérieuse ; en devenant plus divers et plus orné, il s'énervait. La mélodie du temple, mâle et sévère, cédait la place aux symphonies du théâtre, lascives et efféminées[7] : la musique, cet art sacré, donné, disait-on, par les dieux, pour rétablir l'harmonie publique de la cité et l'harmonie intérieure de l'homme[8], servait de pur amusement à quelques désœuvrés qui se mettaient comme Néron une lame de plomb sur la poitrine pour mieux chanter[9], et passaient le temps des affaires sérieuses à compter des notes sur leurs doigts et à fredonner les airs du théâtre[10].

La révolution qui s'opérait dans la poésie s'opérait aussi dans les arts, mais plus lentement. Les arts avaient un type, non pas supérieur, mais plus défini. Il ne faut pas croire qu'une étude toute sensuelle de la beauté extérieure, sans poésie comme sans pensée, ait été le point de départ de l'art hellénique. Cette exaltation de la personnalité humaine qui constituait le paganisme de la Grèce, qui s'élevait à la croyance des âmes immortelles et à l'apothéose des hommes, divinisait l'intelligence en même temps qu'elle divinisait le visage et le corps de l'homme. Le culte de la pure matière, les adorations panthéistiques et avec elles la reproduction dans les arts de formes grossières et monstrueuses, appartient à l'Inde, à l'Égypte, à l'Orient. L'art grec était bien loin sans doute du spiritualisme chrétien dans sa divine pureté : mais c'était quelque chose d'intelligent et de supérieur que le front de ce Jupiter conçu par Homère et Phidias et dont la main tenait la chaîne d'or qui rattache la terre au ciel[11].

Or, ces traditions de l'art se conservaient avec une certaine fidélité. Les types mis au jour par Phidias et par Zeuxis[12] faisaient loi pour les artistes, et personne n'eut osé s'en écarter. La tradition artistique a quelque chose de palpable et de consacré que la tradition poétique ne saurait avoir[13]. Phidias n'avait pas à craindre, ainsi qu'Homère, l'injure des scoliastes et des rapsodes ; et son Jupiter Olympien qui par la  majesté de sa forme avait, disait-on, ajouté quelque chose à la religion des peuples restait comme l'éternel modèle de la puissance et de la grandeur.

Aussi, lorsque Rome, tardivement éprise des arts de la Grèce, commença à secouer le dédain qu'ils lui inspiraient, elle trouva la chaîne des traditions toujours subsistante, et, sans produire un style qui lui appartint en propre, elle put donner une grande époque aux beaux-arts[14]. La conquête romaine, dès le commencement du VIIe siècle, amena par centaines et les chefs-d'œuvre et les artistes grecs en Italie[15]. Rome se peupla de tableaux et de statues. Auguste en remplit le Forum, Agrippa le Panthéon[16]. Rome surtout eut son architecture, et cet art fut de tous, sans excepter la poésie, celui où elle demeura le plus originale. C'est un architecte romain qui avait été choisi par Antiochus pour achever le temple de Jupiter à Olympie. Sous Auguste, je ne dirai pas le luxe, ici convient un mot plus noble, mais la magnificence aristocratique imitait à Rome, et dans des proportions plus grandes, les plus beaux monuments de la Grèce.

A ce goût des arts ne manquait ni le désintéressement, ni la noblesse. Hortensius avait bâti un temple, seulement pour y placer le tableau des Argonautes de Cydias[17]. César avait payé à Timomaque de Byzance son Ajax et sa Médée 80 talents (536.000 fr.)[18]. Asinius Pollion livrait ses galeries au public[19]. Agrippa eût voulu que toutes lui fussent ouvertes, que nul chef-d'œuvre ne pût être caché à l'admiration du peuple par la jalousie de son possesseur. Auguste trouvait bon qu'un parent de Messala, un petit-fils de triomphateur et de consul, privé de la parole en naissant, fit voué à la culture des arts[20]. Et plus tard, on vit encore un chevalier romain, peignant des fresques au temps de Néron, qui ne montait pas sur son échafaud sans être revêtu de la toge et paré de l'angusticlave[21] : comme ce peintre du XVIe siècle, qui ne prenait pas sa palette, si ce n'est l'épée au côté et le manteau de velours sur les épaules, pour attester qu'il faisait œuvre de gentilhomme.

Mais déjà sous Auguste se montraient quelques signes de décadence. Si Agrippa, ce rude soldat, suspect, dit Pline, de rusticité plutôt que de recherche, trouvait dans un sens droit et dans un esprit élevé le sentiment de la dignité de l'art ; Mécène, au contraire, ce politique efféminé, cet homme aux cheveux parfumés et à la toge traînante, Mécène se faisait le protecteur du genre mignard et du style enjolivé[22]. Sous Tibère, prince avare, sombre, défiant, l'art devint suspect. Ce que Tacite appelle la magnificence publique, c'est-à-dire cette libéralité aristocratique qui ouvrait au peuple des galeries et lui bâtissait des édifices, devint dangereuse et disparut.

Sous Néron peintre et sculpteur, sous Néron qui avait des prétentions à tous les talents, l'art devait-il se relever ? — Non. Ce qu'il faut aux arts, pour les encourager et les soutenir, ce n'est pas une capricieuse manie d'imitation, c'est une certaine grandeur et une certaine dignité dans le pouvoir ; c'est une royauté comme celle de Louis XIV, pleine de sécurité et de noblesse ; c'est une aristocratie libérale et orgueilleuse comme celle de Rome républicaine-, c'est une démocratie comme celle d'Athènes, toute pénétrée du sentiment de sa gloire. Mais quand la grandeur, soit royale, soit républicaine, fait défaut ; quand l'aristocratie et le patriotisme sont également choses dangereuses en face d'un pouvoir qui fonde son droit seulement sur la force, l'esprit des citoyens se rétrécit, leur dignité s'amoindrit, leur gloire ou leur vertu se cache. L'art alors se rapetisse ; il n'est plus affaire de gloire nationale ou de dignité aristocratique : il n'est qu'affaire de jouissance personnelle, jouissance petite, égoïste, souvent cachée. Le souverain fait faire de l'art pour sa propre satisfaction, et son goût le plus souvent dépravé. L'homme riche fait faire de l'art pour son plaisir domestique, pour le confort et l'élégance de sa maison. L'art n'a plus pour juge une société, il a pour seul juge celui qui le paie.

Ajoutez que, si la tradition religieuse est corrompue, si elle ne rencontre plus de foi, si on l'altère par un impur mélange, l'art perd de ce côté-là encore ce qui pouvait le rattacher à d'autres pensées qu'à des pensées purement égoïstes, et devient plus que jamais affaire d'arrangement et de satisfaction privée. Ajoutez aussi que, lorsque les mœurs se dépravent, l'art s'amoindrit et se rapetisse par la liberté même qui lui est donnée ; sa tâche finit par être non plus de charmer, mais de corrompre, chose facile à la médiocrité comme au génie. L'art s'adresse alors moins que jamais au goût public ; plus que jamais il est asservi au goût individuel dont il flatte en secret les grossiers travers.

C'est ce qui arrivait à l'art antique sous les Césars. Déserté par la foi religieuse, souillé par l'impureté des mœurs, perdant sa double destination nationale et religieuse, ne pouvant plus répondre aux croyances et au goût d'un peuple, il répondait au goût et aux fantaisies d'un petit nombre d'hommes. Et ce petit nombre, ce n'étaient pas les intelligents : c'étaient les puissants et les riches ; c'était César, démesuré d'orgueil et d'ambition, mais sans dignité et sans intelligence ; c'était autour de lui cette cour d'affranchis, de mignons, de parvenus : aristocratie de valets, avec ses passions basses, son sens ignoble, ses mœurs honteuses.

L'art va donc osciller entre l'influence de César et celle de ses laquais. Tantôt le génie de Néron s'y révèle, petit au fond, avec des prétentions grandioses. En architecture et en sculpture, c'est le temps des colosses[23]. Les cirques et les théâtres sont immenses. La statue de Néron voit les Romains à cent vingt pieds au-dessous d'elle. Le Mercure de Zénodore s'élève plus haut que toutes les statues que le monde ait jamais vues. Ne jugez-vous pas que le Parthénon d'Athènes ou la Vénus de Praxitèle devaient paraître des œuvres bien mesquines à ceux qui, dans une seule statue, avaient fait entrer tant de métal, et pour un seul édifice remué tant de pierres ?

Tantôt l'art va descendre de ces grandeurs colossales aux plus ignobles petitesses. Lorsque les Mécènes ne sont plus que des riches, l'artiste n'est plus qu'un trafiquant. Quant l'art s'achète, il ne travaille que pour être payé, de même que ses protecteurs, en le payant, croient avoir tout fait.  Il se plie à toutes leurs façons, il s'adapte à tous leurs goûts, il consacre toutes leurs turpitudes ;'et, comme la beauté naturelle a depuis longtemps cessé de leur plaire, il enlaidira la nature et la fera grimacer. Lorsque ceux qui payaient étaient Lucullus, César, Agrippa, on faisait le Panthéon ; lorsque celui qui paie est un Pallas ou une Messaline, on fait les obscènes colifichets de Pompéi. Au lieu de la magnificence, le luxe est venu ; au lieu des grandeurs du temple, les coquetteries du boudoir.

L'artiste travaillait autrefois pour Jupiter ou pour le peuple ; il décorait le sanctuaire ou la curie. Aujourd'hui quelle est sa tâche la plus fructueuse et la plus ordinaire ? Orner pour Néron quelque sellaria infâme ! embellir les salles à manger du valet Narcisse ! dessiner des mosaïques pour le pavé sur lequel vomit Apicius ! donner au marbre les traits ignobles d'un Séjan, pour que le buste, adoré aujourd'hui, soit demain jeté à l'égout ! sculpter pour le Capitole l'effigie d'un grand homme, pour que bientôt Caligula, dans sa jalousie contre toutes les gloires, la fasse disparaître ! élever une statue à Caligula, pour qu'au bout de huit jours la tête soit remplacée par la tête imbécile de Claude ! On se vengeait à la fois et on s'immortalisait ainsi ; le marbre était rare et on l'épargnait : les frais de gloire que le vaincu avait faits tournaient au profit du vainqueur[24].

La peinture surtout, de tous les arts le plus populaire, se corrompait aussi le plus vite. Elle était à Rome un art national ; les Étrusques l'y avaient apportée longtemps avant que Rome fût en relation avec les Grecs. Des mains de chevaliers et de sénateurs n'avaient pas dédaigné de tenir le pinceau[25]. Grâce aux progrès du luxe, la peinture, cet art flexible et familier, était appelée à l'embellissement de toutes les demeures. Les murs, les voûtes, les portiques lui étaient livrés. Pompéi est sortie des cendres du Vésuve toute brillante encore des fresques qui ornaient parfois les plus étroites habitations. Mais là aussi la décadence se fait sentir. Une révolution s'y révèle, toute pareille à celle qui s'opéra dans notre école au XVIIIe siècle. On sent qu'au siècle d'Auguste, siècle de princes, a succédé le siècle de Néron, siècle d'affranchis ; comme chez nous, après le règne des hommes d'État sous Louis XIV, la peinture trahit le règne des hommes de cour sous Louis XV. Sous Néron, comme sous Louis XV, c'est cette agilité de pinceau qui, sans étude profonde, se joue assez heureusement arec la partie matérielle de l'art. C'est, cette couleur brillante, factice, convenue, qui fausse la nature, mais ne la fausse pas sans quelque agrément. Ge sont les mignardises et les caprices d'un art vieilli : figures informes jetées avec un certain bonheur sur des paysages indistincts[26] ; édifices fantastiques assez semblables e ceux des laques chinoises, légers arabesques, bizarres fantaisies ; des toits et des pavillons sont supportés par des candélabres, la tige d'une plante soutient un édifice, des roseaux servent de colonnes. Pline et Vitruve[27], qui peignent cette décadence de l'art, semblent avoir écrit d'après les fresques mêmes que nous voyons à Pompéi. C'est de plus ce que la Grèce, dans sa dignité d'artiste, appelait la peinture des choses viles, la caricature, la fantaisie, le grotesque, les personnages monstrueux[28]. C'est cette prodigalité de l'art, trop abondant et trop facile, qui couvre de ses œuvres les murs et les voûtes, et croit s'immortaliser avec des dessus de portes. C'est enfin la peinture obscène, nouvelle chez les Romains[29] : dernier trait qui complète tristement la ressemblance entre la peinture romaine sous Néron et la peinture française sous Louis XV ; n'était-il pas juste en effet que, pour le style comme pour la pensée, pour la forme comme pour le sujet, la peinture du Parc-aux-Cerfs retraçât exactement celle de Caprée, que les maltôtiers sous Louis XV se fissent servir par Boucher ou Watteau, comme se faisaient servir par leurs artistes grecs les affranchis de Néron, et qu'on travaillât pour madame de Pompadour dans le même goût que pour Messaline ou Poppée ?

Et cependant l'art avait beau s'abaisser pour descendre au niveau de tels Mécènes, il restait encore trop intelligent pour eux. La magnificence de l'enrichi romain, toute égoïste et toute sensuelle, se souciait moins d'un chef-d'œuvre qui immortalisât le génie de l'artiste, que d'un chef-d'œuvre qui immortaliserait le génie du maitre, c'est-à-dire ses millions. Plus on se dégoûte des formes de la nature, plus l'artiste qui, jusqu'à un certain point, est toujours forcé de la prendre pour point de départ, perd de faveur au profit de l'artisan qui ne pense pas à elle. L'industrie manuelle en se perfectionnant approche de l'art et finit par le tuer : la chimie fait oublier la peinture, l'entrepreneur fait mépriser l'artiste. Ce mur, où l'on aurait mis une toile de Polygnote, sera bien plus beau aux yeux du maitre s'il est couvert d'or, si vingt marbres différents s'y unissent en nuances précieuses, si on le revêt d'un stuc de mille couleurs[30]. Le marbre qui manque à la statuaire abonde sur les colonnes et dans les pavés. Les ouvriers ont manqué à Zénodore pour fondre habilement son colosse de Mercure[31] ; mais, pour tous ces petits secrets de la peinture industrielle qui servent à orner la chambre, le lit, le fauteuil du riche, pour les incrustations, les marqueteries, les mosaïques, la peinture sur marbre[32], les talents naissent de tout côté. On vient d'inventer la peinture sur lin : Néron, outre son colosse en bronze, a un colosse de 120 pieds peint sur cette étoffe ; et l'un de ses affranchis, donnant des jeux à Antium, a tapissé tous les portiques de toiles peintes avec les portraits de tous les gladiateurs[33].

Ainsi, pendant que l'art devenait un métier, le métier prétendait devenir un art et dégoûtait de l'art véritable. La peinture, des mains des chevaliers et des sénateurs, tombait aux mains serviles des affranchis[34]. Les chefs-d'œuvre antiques n'étaient pas même respectés. On laissait manger aux vers la Vénus Anadyomène d'Apelle, qu'Auguste avait achetée à la ville de Cos par une remise de cent talents (645.000 fr.) d'impôt, et qu'il avait placée dans le temple de César[35]. Néron, possesseur de l'Alexandre, chef-d'œuvre de Lysimaque, ne croyait pouvoir rien faire de mieux pour honorer œ chef-d'œuvre célèbre depuis des siècles, que de le faire dorer de la tête aux pieds[36]. Voilà comment un César comprenait l'art et savait l'aimer. Demeurons-en là, dit Pline, en voilà assez sur la gloire d'un art qui se meurt[37].

Ainsi l'art antique descendait-il du trône où la Grèce l'avait placé. Sa décadence, plus lente que celle de la poésie, ne devait pas être sans quelques retours et quelques moments de gloire. L'époque de Vespasien et celle des Antonins devaient retarder sa chute, et précéder le temps où le mauvais goût oriental corromprait entièrement la perfection hellénique. Exilé de la poésie, l'idéal de la mythologie grecque survécut longtemps dans les arts. L'antiquité ne connut pas, il faut le dire à notre honte, cette espèce de sensualisme universel qui, depuis la diminution de l'esprit chrétien, a dominé, même dans les sujets les plus graves, une grande partie des œuvres de l'art. L'art païen s'est perdu en faussant plutôt qu'en matérialisant ses formes ; il n'a pas pris plaisir à se rendre de gaîté de cœur plus terrestre et plus grossier qu'il n'était. Ses dieux sont restés des dieux, c'est-à-dire des hommes déifiés ; son Olympe est demeuré peuplé comme l'avaient peuplé Homère et Phidias, non pas d'anges, mais de héros : sa tradition serai-religieuse s'est conservée. Et, même en accomplissant la tâche honteuse de diviniser les Agrippine et les Julie, il a su jusqu'à un certain point les purifier et les ennoblir[38]. L'art chrétien, ou plutôt celui qui était né sous les inspirations du christianisme, serait-il destiné à se perdre en devenant par son propre effort, terrestre et sensuel ? Répudierait-il, comme trop élevée et trop noble pour lui, la tradition du plus sublime idéal qui soit ait monde ? Continuerait-il ti se corrompre dans le culte de la matière, au point de ne savoir plus, même quand il le veut, s'élever au-dessus d'elle ? Et tandis que l'art païen, de ce qu'Il y avait au monde de plus infâme savait faire une Junon ou une Pallas, quelque chose non pas de saint, mais d'héroïque ; l'art moderne se réduirait-il à faire de ce qu'il y a de plut saint et de plus sublime, quelque chose de terrestre et de païen comme les Pallas ou même les Julie ?

 

 

 



[1] Poètes sous Auguste : P. Virgilius Maro, né en 681 de R., à Andes, près de Mantoue, mort à Brindes en 735. — Q. Horatius Flaccus, né à Venouse en 689, mort en 746. (V. sa vie dans Suétone.) — Cornélius Gallus, de Fréjus, orateur et poète, préfet d'Égypte. (Ovide, IV Tristes, X, 53.) — Albius Tibullus (Id., 51). — S. Aurelius Propertius, succède à Tibulle, comme Gallus avait succédé à Horace (Ibid.). — P. Ovidius Naso, né à Sulmone en 711, mort à Tomes, sur le Pont-Euxin, en 771 (18 de J.-C.). (Sur sa vie, voyez IV Tristes, X, et, sur ses œuvres en général, Sénèque le père.) — Gratius, auteur d'un poème sur la chasse (Ovide, IV de Ponto, XVI, 34). — Sextilius Hena (V. Sénèque le père). — Æmilius Macer (Ovide, IV Tristes, X), de Vérone, auteur d'un poème sur les herbes, les reptiles et les oiseaux, mort en Asie (Eusèbe). — Ponticus, auteur d'un poème sur la guerre de Thèbes. (Ovide, ibid., et Properce.) — Bassus et Battus, auteurs d'Iambes (idem). — Le célèbre Germanicus, fils de Drusus et petit-neveu d'Auguste, fut aussi poète (Ovide, Fastes, I, 13 ; IV de Ponto, VIII, 67), bien qu'on conteste l'attribution qui lui est faite d'un poème sur l'astronomie, traduit du grec d'Aratus.

[2] Poètes sous Tibère : T. Phædrus, affranchi d'Auguste ou de Tibère, Thrace ou Macédonien, fit cinq livres de fables adressés à Eutychus, favori de Caligula. — Votienus, exilé (an 24). — Cornelius Severus, Espagnol ; Sénèque le père rapporte un fragment de lui. — Julius Montanus, ami de Tibère, puis brouillé avec lui (Senec., Ép., 122) ; il écrivit des poèmes héroïques et des élégies. (Tacite, Annal., XIII, 25. Senec., Controv., VII, 1. Ovide, IV de Ponto.) — L. Fénestella, poète et historien. (Pline, Hist. nat., XXXIII, 11.)

[3] Poètes sous Claude et sous Néron : Pomponius Secundus, consul eu 31, accusé sous Tibère, reçut les ornements du triomphe (an 50. Tacite, Annal., V, 8 ; VI, 18 ; XII, 27, 28) ; illustre poète tragique (Tacite, Annal., XI, 13. Quintilien, III, 5 ; VIII, 17. Pline, Ép. VIII, 3 ; X, 1) ; Pline l'Ancien (Hist. nat., XIV, 4 VIII, 19.) avait écrit sa vie. — Cæsius Bassus (Perse, Sat. IV. Quintilien, X, 1, etc.). — Marcus Annæus Lucanus, né à Cordoue en 32. V. sa vie attribuée à Suétone, le jugement de Quintilien sur ses œuvres (X, 1), sa mort (en 65) dans Tacite (XV, 56, 57, 70). — Aulus Persius Flaccus, chevalier romain, de Volterra, disciple de Cornutus, philosophe stoïque, laisse six satires, mort en 62 ou 64, à 28 ans (Quintilien, X, 1. Martial). —Caïus Silius Italicus, d'Italica ville des Peligni, consul en 67, meurt en Campanie, à 75 ans, dans les premières années de Trajan, laisse un poème sur la guerre punique. V. sur lui Pline, Ép. III, 7.— Andromaque, médecin et poète grec. V. Galien. — Néron lui-même. — Sénèque composa aussi beaucoup de poésies, parmi lesquelles on ne peut guère compter les tragédies qui sont sous son nom. — Je ne parle pas de Pétrone, que l'on reconnaît aujourd'hui comme distinct de Titus Petronius, qui mourut sous Néron. Les savants diffèrent beaucoup sur le siècle auquel il faut rapporter ses écrits, et l'on est disposé maintenant à les considérer comme postérieurs d'un siècle ou deux au temps de Néron.

[4] V., entre autres, Senec., Ép. 93. Un littérateur apporte un gros cahier d'histoire, plié avec soin, écrit en très-petits caractères. Quand il en a lu la bonne moitié : Je vais en rester là, si vous voulez, dit-il. Continue, continue, lui crient une foule de gens qui souhaiteraient de tout leur cœur le voir se taire.

[5] Voir en entier, si l'on veut, cette pitoyable et abominable description : Pharsale, VI, 541-549.

[6] Plutarque, Symp., IX.

[7] Plutarque, de Superstitione.

[8] V. Plutarque, de Auditu poetar. ; de Pythagora.

[9] Pline, Hist. nat., XIX, 6 ; XXXIV, 18.

[10] Senec., de Brevitate vitæ, 12.

[11] Sur cette tradition d'un idéal dans l'art grec, je suis heureux de m'être rencontré avec la belle introduction que, depuis, M. Rio a ajoutée à son Histoire de l'art chrétien.

[12] Zeuxis donna à ses héros des formes plus vigoureuses, croyant ajouter par là à leur grandeur, à leur majesté, et suivant, à ce qu'on pense, la tradition d'Homère, qui préfère, même chez les femmes, l'apparence la plus robuste. Il traça tellement les limites de l'art qu'on l'appelle le législateur, et qu'en effet les images des. dieux et des héros, telles qu'elles ont été tracées par lui, sont le type dont personne ne croit pouvoir s'éloigner... Phidias passe pour avoir peint les dieux mieux que les hommes... La beauté de son Jupiter Olympien semble avoir ajouté quelque chose à la puissance de la religion, tant la majesté de son œuvre semble s'être approchée du dieu ! Quintilien, XII, 10.

[13] Sur les œuvres les plus célèbres de l'antiquité grecque, V. Pline, Hist. nat., XXXIV, XXXV ; Cicéron, in Verr., de Signis, 60, où il énumère les chefs-d'œuvre dont chacune des villes grecques était plus fière.

[14] Au Capitole, Lucullus fit apporter d'Apollonie un Apollon haut de 30 coudées (14 mètres environ), qui avait coûté 151 talents (près de 700.000 fr.). — Le consul Lentulus y plaça deux bustes. — Il y avait aussi un chien léchant sa plaie, si parfait qu'on n'avait pas voulu l'évaluer en argent, et que les gardiens du temple en répondaient sur leur tête. Pline, XXXIV, 7.— Lucullus acheta deux talents (0,320 fr.) une copie de la bouquetière de Pausanias. Id., XXXV, 11. — Artistes grecs venus à Rome : Lala, vierge de Cyzique, peintre de portraits, vient à Naples, puis à Rome, au temps de la jeunesse de Varron (an de R. 600). — Aristobule, élève d'Olympias.

[15] Auguste mit dans le Forum deux tableaux, représentant la Guerre et le Triomphe ; — dans le temple de César, Castor et Pollux ; une Victoire (tous ces tableaux étaient d'Apelle) ; — dans sa Curie, deux fresques de Nicolas et de Philocharès. Pline, XXXV, 4, 10. Varron, Hortensius, Atticus, Cicéron eurent des collections de tableaux grecs. Muréna et Varron enlevèrent les fresques des temples. Pline, XXXV, 4, 12.Auguste mit dans le Forum deux tableaux, représentant la Guerre et le Triomphe ; — dans le temple de César, Castor et Pollux ; une Victoire (tous ces tableaux étaient d'Apelle) ; — dans sa Curie, deux fresques de Nicolas et de Philocharès. Pline, XXXV, 4, 10. Varron, Hortensius, Atticus, Cicéron eurent des collections de tableaux grecs. Muréna et Varron enlevèrent les fresques des temples. Pline, XXXV, 4, 12.

[16] Horace disait :

. . . . . . . . . . . . . . .Pingimus atque

Psallimus et luctamur Achivis doctius unctis.

(Horace, I, Ép. 4.)

[17] Il l'avait acheté 144.000 sesterces (27,960 fr.). Pline XXXV, 11. —Lucullus avait commandé à Arcésilas une statue de la Félicité pour 70.000 sesterces (13,580 fr.). Ibid., 12.

[18] Il les plaça devant le temple de Vénus Génitrix. Pline, XXXV, 4, 11. — J'ai dit ailleurs qu'Agrippa acheta 12 millions de sesterces (335.000 fr.) les deux tableaux d'Ajax et de Vénus qui étaient à Cyzique. Ibid., 4. — La Vénus Génitrix d'Arcésilas avait été faite pour le Forum de César. Pline, XXXV, 12.

[19] Pline, XXXVI, 5.

[20] Q. Pédius, petit-fils de Q. Pédius, consulaire et triomphateur, que César avait placé sur son testament comme cohéritier d'Auguste, était né muet, et Messala l'orateur, de la famille duquel était l'aïeule de l'enfant, fut d'avis qu'on lui enseignât la peinture. Auguste approuva cette pensée. Il mourut jeune, mais ayant déjà fait de grands progrès dans son art. Pline, XXXV, 4.

[21] Amulius. V. Pline, XXXV, 10. C'était un peintre grave et sévère, quoiqu'il sût en même temps, dans les sujets légers, se montrer facile et gracieux. Il peignait peu d'heures et toujours avec gravité.

[22] Suet., in Aug., 86.

[23] Dans la bibliothèque du temple d'Auguste, un Apollon en bronze de 50 pieds. — Au Champ de Mars, un Jupiter placé là par Claude César, de 40 coudées. — J'ai déjà parlé du Mercure de Zénodore, en Auvergne, fait en dix ans pour 400.000 sesterces (80.000 fr.), — du colosse de Néron, haut de 110 pied.. V. Pline, XXXIV, 7.

[24] Ainsi Claude mit dans un tableau la tête d'Auguste à la place de celle d'Alexandre. Pline, XXXV, 10. — Du colosse de Néron, on fit une statue du Soleil. Id., XXXIV, 7.

[25] Pline, XXXV, 4, 10, cite : — Fabius Pictor, en 401 (V. aussi Cicéron, Tuscul., I, 2.) ; — le poète Pacuvius, neveu d'Ennius, vers l'an 575 ; — Arellius, un peu avant Auguste ; — Q. Pédius (sourd-muet), sous Auguste ; — M. Ludius, vers le même temps, peintre de paysage ; — Turpilius, chevalier romain, sous Néron, né en Vénétie, peignit à Vérone de la main gauche ; — Atérius Labéo, préteur et proconsul de la Narbonnaise, vers le même temps ; — Amulius, dans le même temps, chevalier romain ; — Cornelius Pinus et Aetius Priscus, sous Vespasien.

[26] Ludius, sous Auguste, sut le premier orner les murs de peintures charmantes ; il y peignit, au gré de l'acheteur, des villæ, des portiques, des charmilles, des bois, des collines, des bassins, des canaux, des fleuves avec leurs rivages ; à travers ce paysage, il jetait des voyageurs ou des bateliers, des hommes traînés sur des voitures, portés par des ânes, des oiseleurs, des chasseurs, des pécheurs ou même des vignerons. Plusieurs de ces tableaux représentent des villæ somptueuses auxquelles on ne peut arriver que par des marais ; des femmes chargées de fardeaux chancellent et glissent en marchant ; il y a, en un mot, une foule de détails familiers et de scènes plaisantes. Dans les lieux découverts, il aimait à peindre des ports de mer, tableaux qu'il faisait à peu de frais et qui formaient un très-beau coup d'œil. (Pline, XXXV, 10). On voit dans les fresques de Pompéi beaucoup de traces de ce genre de peinture.

[27] Vitruve, qui vivait sous Auguste, fait l'histoire complète de cette sorte de peinture murale, si multipliée encore après lui : On s'est d'abord contenté, dit-il, d'imiter les veines et les variétés des marbres, puis les dispositions de pierres de couleurs différentes... Mais bientôt est arrivé à figurer des édifices, des colonnes, des toits en saillie ; dans les lieux ouverts et où les murs offraient plus d'étendue, des scènes de théâtre tragique, comique, satirique ; dans les galeries destinées à la promenade..., des ports, des promontoires, des fleuves (V. ci-dessus, Pline)... des troupeaux, des bergers ; quelquefois on peint dans des proportions colossales des dieu et des scènes mythologiques... Mais ces peintures n'étaient autrefois qu'une copie de la nature ; aujourd'hui la corruption du goût fait chercher autre chose. On aime mieux créer des monstres que de donner à des objets réels leur forme certaine et connue. Au lieu de colonnes, on met des roseaux, dont les feuilles recourbées et enroulées forment comme des cannelures et des chapiteaux. Des candélabres soutiennent des temples, et du toit de ces temples naissent des tiges légères qui portent des coupes ; de ces coupes à leur tour sortent des fleurs qui contiennent des demi-figures d'hommes ou d'animaux. Tout cela en dehors du possible et de la nature ; tout cela est né de l'altération de nos mœurs... Le but que les anciens prétendaient atteindre par la vérité du dessin et la conscience du travail, nous croyons l'obtenir par le seul éclat des couleurs. Vitruve, VII, 5.

[28] La gloire véritable de l'artiste est la peinture sur toile, c'est elle qui nous a conservé les chefs-d'œuvre de l'antiquité. On se gardait d'embellir les maisons pour la seule pie du maître ; on ne scellait pas pour jamais son œuvre dans une maison où l'incendie pouvait la détruire pour toujours. Protogène n'avait qu'une maisonnette dans son jardin ; Apelle n'avait pas de peinture sur les parois de sa maison. On ne savait encore ce que c'est que de peindre des murs entiers. Tout leur talent était consacré à des cités, non à des citoyens. Un peintre était le bien commun du monde entier. Pline, XXXV, 10.

[29] Arellius fut célèbre à Rome peu avant le temps d'Auguste ; mais il souilla son art par une coupable habitude ; toujours épris de quelque femme et donnant ses traits aux déesses qu'il prétendait peindre, on comptait par le nombre de ses tableaux les prostituées qu'il avait aimées. Pline, XXXV, 10. — Vasa adulteriis cœlata, dit ailleurs Pline, XIV, 22.

Quæ manus obscænas depinxit prima tabellus,

Et posuit casta turpia visa domo ?...

Non istis olim variabant tecta figuris

Tum paries nullo crimine notus erat.

(PROPERCE, II, 5.)

[30] Cet art autrefois glorieux, envié des rois et des peuples et qui assurait leur gloire..., est aujourd'hui chassé de nos demeures par le marbre ou même par l'or. Non-seulement on en couvre des murs entiers, mais on incruste dans le marbre lui-même d'autres marbres qui présentent des figures de plantes ou d'animaux. Pline, XXXV, 1. — Ce que le talent de l'artiste donnait d'éclat à son œuvre, on croit le remplacer par la dépense... Des murs entiers sont couverts de minium. On y joint la chrysocolle, la pourpre, l'outremer, et quoique ces couleurs ne soient pas artistement disposées, leur éclat seul suffit pour fixer les yeux... Vitruve, loc. cit.

[31] Pline, XXXV, 1.

[32] Sous Claude, on a commencé à peindre le marbre ; sous Néron, à varier les marbres unis par des veines factices. Ainsi le marbre numidique est apparu tacheté, le marbre synnadique a eu des veines de pourpre, selon la fantaisie des amateurs. Pline, XXXV, 1.

[33] Pline, XXXIV, 7.

[34] Pline, XXXIV, 4. On ne m'amènera pas, dit Sénèque, à compter parmi ceux qui exercent les arts libéraux, les peintres, pas plus que les statuaires et les marbriers, ou les autres ministres du luxe. Ép. 88.

[35] Pline, XXXV, 10. Strabon, XIV. Personne n'osait la retoucher ; Néron la remplaça par une Vénus d'un inconnu.

[36] Pline, XXXIV, 8 (19).

[37] Hactenus dictum sit de dignitate artis morientis ! (Pline, XXXV, 5.)

[38] V. ci-dessus, quel crime Pline reproche à Arellius.