LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

TABLEAU DU MONDE ROMAIN SOUS LES PREMIERS EMPEREURS

LIVRE TROISIÈME — DES MŒURS

CHAPITRE II. — LA FAMILLE.

 

 

§ II. — DÉCADENCE DU SYSTÈME ANTIQUE.

Mais ces traditions et ce droit de la famille, déjà affaiblis, pouvaient-ils durer longtemps sans recevoir de nouvelles atteintes ? Les âmes amollies pouvaient-elles supporter longtemps encore cette loi de fer des anciens hommes et des anciennes mœurs ? La politique dissociante d'un Tibère pouvait-elle ne pas arriver à diminuer le lien de la famille ? Le despotisme paternel pouvait-il subsister sous le despotisme impérial ? Non ; l'antique loi de famille était trop énergique pour Rome efféminée, trop nationale pour Rome envahie par les étrangers, trop patricienne pour Rome gouvernée par des affranchis ; ajoutons aussi, trop attaquable au point de vue de l'équité pour Rome disciple des philosophes.

Ici nous touchons à un point capital de la vie et des idées romaines, à un côté tout à fait caractéristique du génie de Rome, et qui ne s'est pas encore rencontré sur ma route. Je veux parler du droit et de l'introduction de la philosophie dans le droit.

La loi des Douze-Tables, ce code barbare tout empreint de la rudesse antique, était officiellement encore la règle fondamentale, l'unique droit civil de Rome civilisée. Nul législateur n'avait eu la hardiesse de toucher à ce monument des premiers âges ; nul article de ce code n'avait été effacé. Cicéron, dans son enthousiasme, mettait cette œuvre des décemvirs au-dessus de toute la philosophie grecque. Mais Cicéron savait parfaitement combien il restait peu en réalité de cette œuvre vénérée, écrite sur le bronze, gravée dans toutes les mémoires, citée sans cesse, mais de son temps bien rarement mise en pratique.

Un travail curieux s'était opéré. Rome n'avait pas tardé à s'apercevoir des iniquités de sa loi. La plebs n'avait pas fait invasion dans le droit civil du patriciat pour le conserver dans son intégrité ; les jurisconsultes plébéiens n'avaient pas surpris le secret des formules patriciennes pour en être les aveugles adorateurs. La lutte du génie plébéien contre la loi civile de l'aristocratie, de l'instinct contre la tradition, de la justice naturelle contre la politique, fut lente, déguisée, respectueuse ; mais elle fut réelle, progressive, efficace. Au dernier siècle de la république surtout, lorsque le monde s'ouvrit devant Rome, des idées nouvelles, des idées plus générales et plus grandes entrèrent dans son esprit. Par cela même qu'elle n'imposait point son droit civil aux nations vaincues, elle avait été obligée de connexe le leur. Il avait fallu que les proconsuls dans les provinces, à Rome le préteur des étrangers (prætor peregrinus), jugeassent les vaincus selon leurs coutumes ; qu'à Rome et dans les provinces, les procès entre Romains et étrangers fussent jugés selon la seule loi commune à tous, la loi naturelle. On voit dès lors combien, avec l'immensité de l'empire, de telles habitudes devaient élargir la sphère et agrandir les notions de la jurisprudence ; faire monter l'intelligence de cet ordre d'idées secondaire, local, arbitraire, relatif, que les Romains appelaient proprement droit civil et que nous appellerions droit national, à un ordre d'idées supérieur, général, absolu, que les Romains appelaient droit des nations, et que nous nommons droit naturel[1].

Mais le droit se distinguant ainsi de la loi positive, la question devenant générale au lieu d'être romaine, don nait naturellement passage à la philosophie dans la jurisprudence. Les idées générales étaient le domaine propre dés philosophes. La dialectique qui les met en œuvre était l'instrument dont ils avaient accoutumé de se servir. Les rapports journaliers avec la Grèce, la décadence des anciennes institutions, l'agrandissement de la sphère politique et de la sphère intellectuelle, tout favorisait cette tendance, et le stoïcisme, la plus pratique d'entre les écoles de la Grèce, fut comme la religion intellectuelle des jurisconsultes.

Cependant nul n'aurait osé abroger la loi des Douze-Tables. A Rome, ni le peuple ni le sénat ne se mêlaient de faire ou de défaire le droit civil. Le grand sens des Romains les avertissait que ce n'est pas au pouvoir politique qu'il faut demander de régler ces questions toujours si complexes de la propriété et de la famille. Ces lois que l'équité philosophique des derniers siècles taxait d'injustice, ils n'avaient pas voulu les briser. lis avaient compris qu'un pareil procédé est dangereux : peuple en toutes choses habile et patient, plutôt que prompt et impérieux, et qui aimait la subtilité plus que la violence.

D'autres moyens lui étaient donnés pour tourner la loi au lieu de la renverser, pour l'user au lieu de la rompre. Le préteur urbain, juge des procès civils, avant d'entrer en fonctions, publiait chaque année les règles qu'il comptait prendre comme bases de ses décisions. Une loi même (année 686)[2] rendit obligatoire pour lui l'observation de cet édit ; et, comme chaque préteur adoptait d'ordinaire l'édit que son prédécesseur avait publié, ces travaux accumulés formèrent peu à peu un droit secondaire qui rectifiait sans l'avouer le droit imparfait des Douze-Tables. Non-seulement le préteur, mais l'édile, mais le proconsul ou le propréteur dans sa province, rendait son édit annuel[3] ; et, de cet ensemble sur lequel influaient les coutumes et les traditions de mille peuples divers, sortait nécessairement une notion d'équité plus philosophique, un plus grand cosmopolitisme en fait de justice.

Enfin, de son côté, le jurisconsulte dans son cabinet, simple particulier qui donnait seulement des avis et ne décidait rien, pliait insensiblement et par une influence indirecte la loi à la justice. Ici encore rien ne se faisait avec violence ; l'honneur de la loi était ménagé. Mais on la faisait peu à peu disparaître sous les distinctions, les interprétations, les sophismes : sophistique après tout salutaire et bien entendue, et qui sauvait la société des étourderies législatives. De cette façon les lacunes de la loi commençaient à se remplir, les injustices étaient redressées. Des voies détournées s'ouvraient à ceux auxquels son silence fermait les voies directes[4]. La volonté du législateur officiel cédait devant l'action d'un plus grand législateur, le temps. L'iniquité de la coutume naturelle était ramenée à l'équité naturelle du bon sens humain. Le jurisconsulte effaçait le légiste. Le droit, l'équité absolue, reprenait son terrain que la loi avait envahi.

C'est alors que le droit commença à former une science[5]. Au milieu du VIIe siècle de Rome, Quintus Mucius Scævola[6] écrivait le premier traité sur l'ensemble de la jurisprudence. Les plus illustres jurisconsultes, Sulpitius[7], Tubéron[8], Trébatius[9], étaient élèves de la Grèce et des philosophes. Rutilius, et ce Crassus que l'on appelait le plus jurisconsulte des orateurs et le plus orateur des jurisconsultes, avaient tous les deux entendu à Athènes le stoïcien Panétius[10]. Ils avaient emprunté au stoïcisme sa morale sévère, sa dialectique pénétrante, son argumentation subtile, son langage précis.

Sous les empereurs, il en fut de même. L'école stoïque prit position dans la jurisprudence et forma une secte de jurisconsultes opposants, presque républicains[11], tout prêts à faire violence aux lois écrites pour les lois abstraites, aux textes pour le fond des choses. La loi d'Auguste qui voulait que nul ne répondit sur le droit s'il n'était autorisé par l'empereur[12], celle de Tibère qui ne permettait de répondre que par écrit et sous un sceau que le juge seul pouvait briser[13], donnaient à l'autorité du jurisconsulte quelque chose de plus formel et de plus grave. Le caractère philosophique de la science se développait. La science du droit se construisait, pour ainsi dire, en dehors des textes écrits, sauf ensuite à accommoder plus ou moins bien ses conséquences avec leurs décisions. Elle posait les trois principes supérieurs, principes, du reste, de pur bon sens et de simple honnêteté naturelle, tout à fait indépendants des volontés législatives — vivre honnêtement, ne nuire à personne, rendre à chacun ce qui lui est dû[14] —. Et elle en suivait les conséquences dans le détail infini des affaires humaines, avec une persévérance, une dialectique, une rigueur de déduction qui étaient rarement en défaut. On sent que, contre ce vaste entraînement de conséquences, les textes écrits ne pouvaient avoir que peu de force, et qu'un système aussi large et aussi serré ne pouvait se démentir à cause d'eux. Il y avait dans tout cela, et la dialectique stoïcienne, et le caractère systématique du génie romain, et souvent aussi la subtilité du génie grec. Un mot très-caractéristique exprimait cette satisfaction logique de l'esprit qui s'applaudit de l'unité rationnelle de son œuvre et de la beauté mathématique qu'il a su lui imprimer. On disait : l'élégance du droit : et quand, par suite des empiétements de la loi écrite, le droit manquait d'élégance, c'est-à-dire quand les conséquences étaient en désaccord avec les principes, les jurisconsultes réclamaient pour la logique auprès des Césars, et la gaucherie (inelegantia) introduite dans le droit était effacée[15].

Je me suis arrêté sur ce fait du développement et du caractère plus philosophique de la jurisprudence. Il ne laisse pas que d'avoir son intérêt ; il est un des grands résultats comme un des grands signes de l'unité romaine. Rome amenait tous les peuples civilisés à n'avoir et à ne reconnaître qu'une seule loi ; non que cette loi fût positive, écrite, dictée par le pouvoir propre à la nation victorieuse, mais au contraire, parce qu'elle n'était imposée par personne et n'était que le résultat du bon sens de tous. Par cette notion générale, ou si l'on veut cosmopolite, de l'équité, la vérité abstraite et supérieure s'insurgeait contre l'arbitraire humain. Justice au delà des Pyrénées, disait Pascal, iniquité en deçà. Les Romains n'en jugeaient pas ainsi, et il n'y avait pas un forum, depuis l'Océan jusqu'à l'Euphrate, où vingt fois par an des jugements ne fussent rendus en vertu du seul droit des nations. Et ce que nous appelons aujourd'hui le droit romain n'est guère qu'une grande révolte de l'équité universelle contre les institutions qui appartenaient en propre au peuple de Rome.

C'est dans le droit de famille surtout qu'une telle révolte, une telle protestation, était visible, et dut être plus prompte. N'y a-t-il pas, devait-on dire, d'autres rapports de l'homme à l'homme que ceux qui sont consacrés par les lois écrites ? La famille, la paternité, la parenté, le mariage, seraient-ils des institutions humaines, dont la loi, ce caprice humain, pourrait à son gré suspendre et abolir les effets ? La loi a-t-elle pu faire que la parenté maternelle fût sans valeur, que l'étranger père d'un Romain restât sans droit vis-à-vis de lui, que la mère ne fût même pas parente de son fils ? Quand la simulation d'une triple vente et le choc en signe de paiement d'une pièce de monnaie contre une balance de cuivre auront émancipé mon fils, cette comédie légale fait-elle qu'il ne soit plus mon fils, que tout soit rompu entre ses frères et lui ? Et, lorsqu'on voyait le préteur des étrangers, jugeant selon le droit des nations, admettre entre ceux qui n'étaient pas Romains, des mariages, des parentés, des titres héréditaires ; le préteur urbain, jugeant selon le droit civil, devait-il leur dénier éternellement tout mariage, tout lien de parenté, toute hérédité avec les Romains ? La politique seule devait-elle constituer le nœud et le gouvernement de la famille ?

 Il n'en pouvait être ainsi. Et cependant le combat fut long : il dura plus de quatre siècles, et ne finit que par l'intervention du christianisme. Cette étonnante force de durée des institutions romaines lutta contre l'influence d'une civilisation à la fois si développée et si corrompue. Les traces restèrent longtemps de ce droit des Douze-Tables, primitif et barbare, doublement attaquable aux yeux des siècles nouveaux, et par ce qu'il avait d'injuste et de dur, et par ce qu'il avait de moral et de salutaire.

 Il est bon de voir cependant quels coups lui étaient portés. Dès le temps de la république[16], le préteur, ce grand redresseur des iniquités légales[17], en donnant au lieu de l'hérédité la possession de biens[18] — simple différence de mots dont j'ai parlé ailleurs —, renouvelait tout le droit de succession et ébranlait tout le droit de famille. Il reconnaissait un ordre nouveau de parenté ; à côté de l'agnation, la parenté civile, il admettait la cognation, c'est-à-dire la parenté naturelle. Les héritiers que la loi tenait exclus, les parents maternels, la mère elle-même, le fils né d'une femme étrangère[19], arrivaient à un rang inférieur, il est vrai, mais arrivaient à l'héritage, sous la protection du préteur et sous le modeste voile de la possession de biens. On jugeait que l'adoption et l'émancipation, ces faits de la loi civile, rompaient bien la parenté légale, mais non pas le lien naturel de la cognation. Les actes du droit civil peuvent abolir les liens et les rapports civils, non pas les liens et les rapports naturels[20]. Dans ce seul mot était la négation de tout le droit antique.

Un peu plus tard, sous les premiers empereurs, le pouvoir absolu du testateur, ce pouvoir si solennel et si sacré, recevait une grave atteinte. Une loi formelle (lex Junia Velleia, an de Rome 761)[21] interdisait au testateur de passer son fils sous silence et de le dépouiller sans une exhérédation nominative, de laisser sa fille ou son petit-fils sans un legs quelconque[22]. Ce n'était pas encore assez : les jurisconsultes, par une noble fiction, se refusèrent à croire que le fils bien méritant mit être déshérité par un père sain d'esprit. Le juge, supposant dans l'âme paternelle la démence plutôt qu'une injuste haine, cassa le testament inique comme l'œuvre d'un insensé (querela inofficiosi)[23]. Ainsi la nature et l'équité reprenaient doublement leurs droits, contre la loi d'un côté, de l'autre contre la toute-puissance du testateur : ceux qui étaient hors la famille légale n'étaient plus incapables de succéder ; ceux qui faisaient partie de la famille légale avaient, sauf leurs torts personnels, un droit assuré[24] sur le patrimoine commun.

La puissance publique, nous l'avons dit, venait au secours même de l'esclave : pouvait-elle ne pas secourir la femme, l'étranger, le fils de famille ? — Quant à ce dernier, — le droit de châtiment paternel fut restreint[25]. Le fils vendu ne put devenir complètement esclave[26]. De plus, pour le fils comme pour l'esclave, l'usage avait depuis longtemps introduit un pécule, propriété du père de famille, mais dont il laissait l'administration à son fils[27].

En faveur de l'étranger et de l'affranchi, — le mariage avec un Romain était rendu plus facile. Auguste, qui combattait surtout le célibat et prétendait le laisser sans excuse, affaiblissait, tout en les renouvelant, les prohibitions des lois anciennes. Au seul sénateur ou fils de sénateur, il était interdit d'épouser une affranchie ; et le concubinat, cette union formée contre les prohibitions de la loi avec l'affranchie ou l'étrangère, moins solennelle et moins honorable que le mariage, était cependant déclarée licite[28]. Elle ne donnait pas aux enfants les mêmes droits, mais elle leur donnait un rang et des droits[29]. Elle était, autant que le mariage solennel, exclusive de toute autre union[30] ; comme lui, elle fut plus tard acceptée par l'Église ; c'était absolument ce que les cours modernes appellent une alliance de la main gauche.

Quant à la femme, — au milieu de cette révolution dans les lois et dans les mœurs, ni le pouvoir paternel ni le pouvoir marital ne pouvaient demeurer sur elle aussi absolus. A l'encontre de l'un et de l'autre, Auguste posait deux grands principes qui devaient être la base de la condition civile des femmes dans tout l'avenir : l'obligation pour le père de doter sa fille, le devoir pour le mari de conserver intact le fonds dotal qui devait après lui revenir à sa femme[31]. La femme, même quand elle était restée sous la puissance de son père, ne pouvait plus être séparée de son mari par la seule volonté paternelle. La femme qui était passée sous la puissance maritale pouvait, comme fille de son époux, stipuler un pécule dont la propriété lui demeurait[32]. La loi qui annulait les donations entre époux[33], celle qui interdisait aux femmes les successions testamentaires[34], celle surtout qui les condamnait à une tutelle de toute leur vie[35], étaient affaiblies ou annulées par des stipulations privées, par les interprétations des jurisconsultes, par le droit quelquefois, plus souvent par les mœurs. Claude, à titre de consolation, appelait la mère à la succession de ses enfants[36], dans la mesure où ses enfants eussent recueilli l'héritage de la mère. La femme, en un mot ; sortait de tutelle : plus libre et comme propriétaire, et comme héritière, et comme testatrice, elle arrivait, sa uf les conditions inhérentes à son sexe, à la plénitude du droit civil.

Mais cette émancipation civile de la femme, juste et légitime en elle-même, et que le christianisme a admise, ne brisait-elle pas toutes les traditions de l'antiquité ? Ne poussait-elle pas à une émancipation morale, contraire aux lois de la nature, dangereuse pour la société, funeste pour la femme ? La morale dans l'antiquité était le fait de la loi bien plus que de la religion. Le droit antique dans sa chute entrainait la morale antique avec lui, et la morale antique pouvait-elle être remplacée ? Le mariage, fondé sur la réciprocité des devoirs plutôt que sur la toute-puissance d'une seule volonté, pouvait-il rester, comme l'avaient voulu les ancêtres, le lien sérieux, solennel, fondamental, des sociétés ? Le nœud de la famille, moins étroitement serré, pouvait-il conserver autant de force ? La matrone plus libre pouvait-elle demeurer aussi pure, aussi digne, aussi respectée ? En un mot, sous la loi du paganisme, la morale domestique ne devait-elle pas perdre en puissance ce qu'elle gagnait en équité ?

Pour le monde païen, une justice aussi large était un bien lourd fardeau. Les générations antiques avaient supporté sans se plaindre l'austère droit de famille de la vieille Rome : le droit de famille de la Rome nouvelle, si adouci qu'il pût être, fut pour une génération corrompue un joug bien autrement insupportable. Ni le préteur, ni le jurisconsulte, ni César, ni l'influence inévitable des mœurs sur les lois, n'allégeaient assez, au gré de la corruption, le fardeau des devoirs domestiques. Les mœurs allèrent bien au delà du terme où s'arrêtaient les lois, et il est aisé de voir comment le lien de famille, adouci par la loi, fut encore éludé par le célibat, brisé par le divorce, corrompu par l'adultère, que dis-je ? dégradé par la prostitution.

J'ai assez parlé du célibat et des inutiles efforts que fit Auguste pour le restreindre.

Quant au divorce, — dans l'ancienne Rome où la loi le permettait parce qu'elle ne le prévoyait pas, où la pudeur publique était prête à le réprimer, où la note du censeur ne manquait pas de le flétrir, longtemps il avait été inconnu. Mais, à une époque où la censure était tombée en désuétude et la pudeur publique bien plus encore, il ne se trouva plus en face d'une effroyable licence qu'une loi désarmée par cela même qu'elle avait été faite en des temps plus purs. La liberté du divorce ou plutôt de la répudiation fut entière, sans restriction, sans condition, sans jugement[37]. Le mari faisait redemander à sa femme la clef de la maison[38] ; la femme signifiait à son mari l'acte de répudiation[39] (libellum repudii). La femme, mariée sous forme de vente (coemptio), se faisait racheter par un adjudicataire qui l'affranchissait ; par cette courte cérémonie, le mariage était rompu. Même quand une solennité religieuse (confurreatio) avait donné au mariage un caractère sacré qui le rendait légalement indissoluble, le mal n'était pas sans remède ; l'esprit inventif des jurisconsultes ou des pontifes avait su trouver une fiction pour affranchir les époux, et une autre cérémonie religieuse (diffarreatio), symbole, disait-on, de la mort, rompait le lien éternel[40].

Jugez de l'abus par l'exemple des hommes les plus graves : Hortensius va demander en mariage à Caton Porde sa fille, déjà mariée à Bibulus : Par là, dit-il, il s'alliera plus étroitement et à Caton et même à Bibulus ; il fera entrer dans sa famille quelque chose de la vertu de Caton. Caton croit devoir refuser ; Hortensius alors lui demande sa propre femme Marcia, et Caton la lui accorde, sauf la permission toutefois de Philippe, père de Marcia. Philippe, voyant que son gendre a consenti, ne fait pas de difficulté, et exige seulement que Caton signe le contrat de mariage. Mais ce n'est pas assez : Hortensius, au bout de quelques années, meurt et lègue à Marcia une belle fortune. Celle-ci alors vient retrouver Caton, son ancien époux, lui propose un nouveau mariage, et, comme disait César : le vertueux Caton, qui a cédé sa femme, lorsqu'elle était jeune, la reprend maintenant qu'elle est riche[41].

Ici comme ailleurs, Auguste voulut poser une barrière[42]. Mais ce fut en vain. Mécène, son ministre, répudia et réépousa vingt fois la même femme[43]. Et en face de ce pouvoir impérial tout-puissant et capricieux, qui donc pouvait prononcer le mot d'indissoluble ? La perpétuité en toute chose n'était-elle pas une chimère ? Si le peuple romain avait eu besoin qu'on lui apprit à se jouer du mariage, ses maîtres ne lui donnaient-ils pas à cet égard assez de leçons ? Auguste rompait non-seulement ses propres mariages, mais ceux de sa famille. Caligula contracta plusieurs alliances, mais on ne saurait dire ce qui fut le plus honteux, ou leur cause, ou le temps de leur durée, ou leur rupture[44]. Il fait venir du fond de la province une femme déjà mariée, ou bien il la voit à son repas de noces : elle lui plaît ; il se la fait fiancer par son mari ; il la déclare son épouse, et fait afficher qu'il s'est marié à l'exemple de Romulus et d'Auguste. Puis, au bout de peu de jours, il la répudie, tout en exigeant qu'elle lui reste fidèle ; au bout d'un an ou deux, toujours jaloux de cette femme qui n'est plus la sienne, il l'exile. Aussi, lorsque Claude devint mari d'Agrippine, ce fut un concert de louanges sur son ineffable bonté : Comment ! il ne prenait la femme de personne ! il voulait bien n'épouser qu'une veuve ! Comme le siècle était devenu vertueux ! Comme le prince était modéré, lui qui n'avait jamais épousé la femme d'autrui ![45] — Ne nous étonnons pas d'une telle audace chez le prince, d'une telle patience chez les sujets. Nos siècles modernes, quand ils se sont éloignés de la foi chrétienne, ont donné de semblables exemples : un prince moderne, le digne fondateur du protestantisme anglican, Henri VIII, élevé dans la foi et dans la morale chrétienne, doit nous faire comprendre Caligula né, élevé, nourri dans le complet effacement de tout devoir.

De tels exemples n'étaient-ils pas assez puissants sur les peuples ? Quand on voyait le prince, un beau matin, sans intérêt et sans passion personnelle, envoyer à la femme un acte de répudiation au nom de son mari absent et ignorant, et le lendemain publier le divorce dans la gazette, rompre un mariage pouvait-il être pour le plus humble citoyen une si grande affaire[46] ? Faut-il s'étonner si le journal de chaque jour enregistrait quelque séparation entre époux[47] ? si, grâce à la liberté qui permettait de se réunir sans plus de formalités qu'il n'en avait fallu pour se séparer, on en venait à se jouer de la rupture comme de l'alliance, à s'unir. pour se quitter, à se quitter pour se reprendre[48], tout cela souvent de bonne amitié (boni gratici), sans qu'il y eût ni honte, ni remords, ni haine, ni amour[49] ? si enfin cette liberté du divorce, la seule chère aux Romains esclaves, était sacrée à tel point qu'il n'était pas permis d'y renoncer, et que le jurisconsulte annulait, comme un aveugle caprice de l'amour, la clause par laquelle les époux se seraient interdit de se séparer[50] ?

Le mariage était-il donc ce que la jurisprudence le définit, l'union de l'homme et de la femme pour une vie commune et inséparable ?[51] Bien des fois, c'était tout simplement une affaire, une affaire souvent de médiocre importance, un marché temporaire[52] qu'on gardait quand il était bon[53], qu'on résiliait pour un meilleur[54]. Le divorce lui-même n'était qu'un arrangement d'une autre nature, médité et négocié au sein même du mariage[55] avec un futur époux qu'on se réservait[56], et auquel, une fois libre, on ne craignait pas toujours de manquer de parole[57].

Mais le mariage devenu si commode était-il plus envié ? — Pas le moins du monde : arrangement pour arrangement, on aimait bien mieux le célibat. Si tout devoir était un ennemi, pourquoi ne pas supprimer tout devoir ? — Le joug du mariage ainsi allégé était-il supporté avec plus de patience ? — Pas davantage. La loi qui attire l'homme, et que l'homme supporte, est l'union sérieuse, constante, indissoluble ; celle-là vaut la peine que pour elle on s'assouplisse : le divorce, qui a la prétention de remédier aux mauvais ménages, est l'institution qui en fait naître le plus.

Enfin le mariage, ce marché à temps, était-il au moins, pendant qu'il durait, plus fidèlement tenu ? — Pas même, car le mariage ainsi conspué touchait de trop près à l'adultère ; l'adultère, si réprouvé jusque-là, commençait à s'ennoblir de toute la dignité que perdait le mariage. Ces unions de quelques jours, répétées dix, quinze, vingt fois dans la vie[58] ; ces effroyables échanges par lesquels d'un jour à l'autre le mari pouvait devenir un amant, l'amant un mari[59] ; en un mot, cette horrible confusion des idées et des devoirs, dont malheureusement quelque trace se retrouve dans tous les pays qui, par le divorce, ont altéré la pureté du mariage chrétien[60] ; tout cela apprivoisait singulièrement les esprits à l'adultère. L'adultère préparait le divorce[61]. Se marier tant de fois, dit le poète, ce n'est plus se marier, c'est commettre l'adultère d'une façon légale[62].

Ainsi allait s'écroulant le dernier rempart de la vertu domestique des Romains : la dignité aristocratique de la matrone et le respect que le sentiment national inspirait pour la fidélité conjugale. L'égalité démocratique de la Rome nouvelle ne fait pas monter l'affranchie au rang de la matrone, mais elle fait descendre la matrone au niveau de l'affranchie : bientôt les classes libres ne considéreront plus la chasteté comme leur privilège, elles disputeront plutôt aux classes serviles le privilège de la débauche. La rigueur des lois, il est vrai, subsiste toujours contre l'adultère, les juges le flétrissent, la morale de l'État le réprouve. Mais la morale de la religion le met dans l'Olympe, la morale de César le place sur le trône, la morale du monde déjà l'accepte et l'encourage. Il devient l'entretien frivole des gynécées, la plaisanterie des matrones, la nouvelle qu'on se débite dans les loges de l'amphithéâtre[63] entre deux assauts de gladiateurs[64]. On laisse aux jurisconsultes et aux juges ces mots grossiers de stuprum et d'adultère ; on dit : galanterie et bonne fortune[65]. Le perfide langage des salons modernes, qui habille si décemment la corruption et met le bon ton du Côté du vice, commence dans les salons de Rome. On s'y moque de ces maris farouches et mal appris qui ne permettent pas à leurs femmes de se montrer en public telles qu'on n'eût pas dû les voir dans leurs maisons[66] ; de cette jeunesse de mauvais ton qui n'a d'intrigues qu'avec les femmes esclaves, et ne forme pas une liaison dans la bonne compagnie[67] ; de ces provinciales arriérées, qui ne savent pas, dit Sénèque, estimer le lien de l'adultère comme aussi saint que celui du mariage[68].

Rome, du reste, pouvait-elle demeurer pure, en face des exemples qui lui venaient du mont Palatin ? Nous retrouvons ici les Césars toujours puissants pour corrompre, et la désastreuse influence du despotisme sur les mœurs. Ces matrones que l'on amenait de force ou de gré chez Tibère ou même chez Auguste[69] ; — ces femmes de consulaires, qui, aux soupers de Caligula, passaient l'une après l'autre devant le prince, subissaient son examen, et si, par pudeur, elles baissaient la tête, étaient forcées de la relever ; — toute cette noblesse et cette société qui entendait César se vanter de ses désordres, en présence d'un mari témoin de sa propre honte[70], — ne nous étonnerions-nous pas s'il lui fût resté encore quelque vertu, quelque pudeur, quelque fierté ?

Le temps finissait donc où avait régné dans la famille l'antique matrone, la femme chaste et courageuse, la vraie mère de famille ; qui, amenée vierge dans la maison conjugale, ne devait en sortir que pour descendre au tombeau avec cette seule oraison funèbre : Elle est restée à la maison et elle a filé de la laine (domi mansit ; lanam fecit). Par le droit et bien plus encore par le fait, les liens de l'ancienne servitude féminine étaient brisés. La femme secouait non-seulement le despotisme des lois antiques, mais jusqu'à la puissance même la plus légitime et la plus modérée. Par la désuétude de la forme la plus solennelle du mariage (confarreatio), par une vigilance jalouse contre la prescription que son mari pouvait prétendre sur elle, la femme échappait le plus souvent à ce droit de propriété (manus) que la loi conférait au mari[71], et alors elle échappait presque à toute la puissance maritale. Grâce aux héritages qu'elle pouvait maintenant recueillir, et tout en laissant sa dot à son mari, elle pouvait avoir son patrimoine, sa maison, ses esclaves, ses affranchis, sa vie à part[72]. Au lieu de l'univira, c'était la femme aux nombreux époux (mulier multarum nuptiarum)[73] ; elle répudiait son mari, elle pouvait le reprendre. Souvent elle n'avait un mari que de nom ; afin de ne pas être légalement réputée célibataire, et par suite privée de quelque héritage ou de quelque legs, elle s'était donné, elle riche, un mari pauvre, à la condition que celui-ci n'aurait aucun droit, ni sur sa fortune, ni sur sa liberté[74]. En un mot, elle avait conquis, par le droit civil la liberté dans l'usage de sa fortune, par le divorce la liberté dans le mariage ; elle était en voie de conquérir, par la corruption des mœurs, la liberté dans le désordre.

Mais il faut ajouter aussi que la matrone, lorsqu'elle marchait ainsi à la tête de son siècle, libre comme l'affranchie, était méprisée comme elle. En s'émancipant, elle abdiquait ; elle renonçait à sa légitime influence d'épouse et de mère ; elle rejetait la vertu et la puissance qui est propre à son sexe ; elle aspirait aux passions et à la puissance du nôtre. Au mépris de l'anathème que la tradition antique, avertie par de fréquents malheurs, avait jeté sur l'ambition féminine, elle devenait ambitieuse. Elle luttait contre les hommes et comme les hommes, par la fortune, par le crédit, par le désordre, par le crime. Plancine, l'épée au côté, passe en revue les légions de son mari ; Césonie, le casque en tête, parcourt le front des prétoriens[75] ; Agrippine s'assoit sur le trône de Claude et donne audience à des ambassadeurs. Nommerai-je encore Lollia, Messaline, Poppée ? Toutes ces femmes se mêlent aux sanglantes affaires de l'État, font bouillonner, parmi toutes les passions du palais, le venin de leurs jalousies et de leurs haines, tuent, se font tuer comme les hommes.

Dans la vie privée, il en est à peu près de même. La femme à la mode de la Rome impériale, c'est l'héroïne de certains romans de notre siècle, hardie, aventureuse, robuste, aspirant à la vie virile, perdant tout le charme et toute la puissance féminine. Ne soyez pas si glorieux, débauchés de Rome ! la femme n'a rien à vous envier. Elle, qui aux temps antiques ne paraissait pas au festin, veillera pour l'orgie comme vous, s'enivrera comme vous, provoquera comme vous cet ignoble vomissement que vous a enseigné l'intempérance[76] ; comme vous, déchirant à coups de fouet le corps de ses malheureuses esclaves, au milieu des soins de sa toilette, elle appellera le bourreau pour les châtier. Elle prend de vous jusqu'à vos misères : Hippocrate se trompait lorsqu'il attribuait des châtiments privilégiés à l'intempérance des hommes ; la femme n'échappe pas plus que vous à la calvitie ni à la goutte[77]. Des faiblesses de son sexe, en est-il une qu'elle n'ait secouée ? Honteuse de sa fécondité, elle cachera sous les plis de sa robe le vulgaire fardeau de son sein ; ce n'est pas assez, elle lui donnera la mort. La voulez-vous au théâtre ? elle y monte ; dans l'arène ? l'y voici. C'est là le comble de la vaillance romaine et de l'impudeur féminine : debout, en tunique, l'épieu appuyé contre la poitrine, elle attend le sanglier ; demain elle combattra comme gladiateur[78].

Voilà à quelle gloire, à quel renom aspire la femme qui a abandonné les anciennes vertus. Et cependant la gloire lui manque. En vain fait-elle bruit de ses désordres, en vain Rome sait-elle tout entière chez quel amant son char l'a conduite aujourd'hui, avec quel autre elle est montée sur un navire et a fui loin de l'Italie[79] ; en vain dans les lieux publics, l'indécence de son vêtement implore-t-elle les regards ; l'homme passe auprès d'elle sans la regarder, il préfère la courtisane. Alors ces femmes qui n'ont plus de refuge dans la paisible dignité du toit domestique, voyant qu'on leur préfère les courtisanes, se font courtisanes. Ceci n'a rien de nouveau. Nous avons vu Tibère obligé de réprimer ces désordres parmi des femmes de grandes familles. Caligula et Messaline ont conduit aux lieux de débauche les plus nobles d'entre les matrones romaines. Enfin la cour de Néron, avec ses fêtes et ses orgies, est au sein de Rome comme un immense théâtre, où les filles et les femmes des consulaires sont coudoyées par les prostituées ; où, pour la plus grande joie de César, se dégrade et se perd tout ce que l'ancienne Rome avait de plus sacré, sa noblesse, sa vertu, ses traditions, l'orgueil des familles, la dignité des vierges, la majesté des matrones[80].

Ainsi triomphaient contre la femme le divorce, l'adultère, la prostitution. Ainsi, le monde et l'opinion par la destruction des antiques barrières, les Césars par leur exemple, leur commandement et leur menace,, auraient bientôt achevé la ruine de la femme romaine si la chute de Néron n'eût amené une réaction contraire dans les mœurs publiques. Quand l'homme se corrompt, l'État chancelle ; quand la femme se dégrade, c'est bien pis ; la famille est prête à périr. La mère de famille était le véritable dieu pénale, la gardienne du foyer domestique ; dans la mère, la famille se fait une ; les idées, les préceptes, les vertus, les habitudes, tout ce que Rome appelait la discipline, tout cela arrive par la mère aux générations naissantes. L'éducation romaine surtout, cet agent si efficace de la grandeur publique, reposait tout entière sur la mère de famille. La femme se corrompant, l'éducation se corrompait. Autrefois, dit Tacite, ce n'était pas dans la cellule d'une nourrice achetée, c'était sous les yeux d'une chaste mère que chaque homme faisait élever son propre fils, et la première gloire d'une matrone était de garder la maison et de veiller sur ses enfants. On choisissait aussi une parente d'un âge avancé, d'une vie irréprochable et d'une réputation toujours pure, qui surveillait la génération naissante, et dont la seule présence interdisait toute parole honteuse, toute action indécente. Ce n'était pas seulement l'étude et les moments sérieux, c'étaient même les amusements et les jeux dont elle tempérait la folie par sa vertu et sa gravité. C'est ainsi que l'éducation des Gracques fut dirigée par Cornélie, celle d'Auguste par Atia, et que ces femmes firent de leurs enfants des hommes supérieurs... Mais aujourd'hui l'enfant est remis à une servante grecque, à laquelle on adjoint tin ou deux esclaves, souvent pris au dernier rang et incapables de tout devoir sérieux[81]. Les contes et les sottises de tels précepteurs sont le premier lait que sucent ces jeunes intelligences, et nul dans la maison ne s'inquiète de ce qu'il va faire ou dire devant son jeune maitre ; les parents eux-mêmes, au lieu d'enseigner aux enfants l'honnêteté et la réserve, ne les accoutument-ils pas à la raillerie et à l'impertinence ? De là vient l'effronterie jointe au mépris des autres et de soi-même. Il y a plus, les vices propres à notre cité semblent croître avec l'enfant, je dirais presque dans le sein de sa mère : la passion pour les histrions, le goût des gladiateurs et des chevaux. L'âme assiégée de ces fadaises garde-t-elle quelque place pour les occupations utiles ? Y a-t-il un homme qui dans sa famille parle d'autre chose ? Y a-t-il une autre conversation entre les jeunes gens si, par hasard, nous venons les écouter dans les écoles ? Et les maîtres eux-mêmes ne recherchent-ils pas avec leurs disciples ce sujet d'entretien ?[82]...

Ailleurs, je lis encore la même chose : Cette molle éducation que nous appelons éducation indulgente énerve les ressorts du corps et de l'âme. Que ne voudra-t-il pas, quand il sera arrivé à la jeunesse, l'enfant qui a rampé sur la pourpre ?... Nous formons son palais avant sa langue ; il grandit en litière ; il ne touche la terre que soutenu à droite et à gauche par nos mains. Nous aimons à trouver sur sa bouche des paroles impertinentes ; nous rions et nous l'embrassons pour des mots que l'on ne devrait point passer à des bouffons alexandrins... C'est de nous qu'il les entend. Nos repas ne résonnent que de chansons obscènes ; la bouche n'ose dire ce que les yeux y contemplent. Tout cela devient habitude, devient nature, et le malheureux enfant s'imbibe de nos vices avant de savoir même que ce sont des vices[83].

Il n'y a pas ici d'exagération de rhéteur. Qui ne sait ce qu'étaient certaines maisons romaines, et dans quel bourbier l'enfance s'élevait ? Ce monde d'esclaves tout occupé à satisfaire des caprices et à subir des infamies, quelle atmosphère formait-il autour d'une jeune âme ? Pouvait-elle être séparée de cet air impur au point de ne le respirer pas ? Et ainsi l'éducation domestique, qui avait fait la grandeur et la pureté de l'ancienne Rome, aidait à la dégénération de la Rome nouvelle.

L'école publique était-elle meilleure ? Nous voyons par Quintilien que le père n'y envoie son fils qu'en tremblant, accompagné de gardiens, conduit par un précepteur, surveillé par un ami, escorté par un affranchi. Tous les pères, il est vrai, n'étaient pas aussi timorés, et Rhemnius Palémon, homme de mœurs infâmes, que Tibère et Claude déclaraient le plus indigne de tous les précepteurs, ne s'en faisait pas moins avec son école un revenu de 400.000 sesterces[84]. Ces maîtres qui luttaient entre eux de vogue et de succès, qui, pour avoir plus de disciples autour de leur chaire et plus de visiteurs à leur porte, ne demandaient pas mieux que de flatter les goûts et d'entretenir les vices de leurs élèves, n'étaient pas de bien sévères précepteurs[85]. A l'école du grammairien, point d'étude, de science, de travail. A l'école du rhéteur qui vient ensuite, point de vérité, point de sérieux. Tacite condamne l'école[86] comme Quintilien condamne la famille, et Tacite est juge plus sûr encore que Quintilien. Où donc l'éducation pourra-t-elle se faire ?

Rapprochons enfin ces révolutions dans l'ordre moral des révolutions dans l'ordre politique. Tibère, pour fonder son pouvoir, avait cherché à propager l'égoïsme par la peur. Il avait isolé les hommes ; il avait brisé autant qu'il était en lui les relations naturelles et la puissance de la famille. La corruption morale des temps qui le suivirent aidait encore à cette politique ; le lien de la famille se rompait de plus en plus. La pensée de l'héritage attendu empoisonnait plus que jamais la vie de famille, étouffait plus que jamais les affections domestiques, multipliait plus que jamais les soupçons, les défiances, les crimes[87]. L'homme devenait plus que jamais égoïste. Sénèque nous fait voir de ce vice un des plus déplorables symptômes : l'abandon des mourants et des morts. Quels sont ceux, dit-il, qui viennent s'asseoir auprès d'un ami mourant, qui ont le courage de voir le trépas de leur père, quoique souvent ils l'aient désiré ? Bien peu d'hommes sont présents à la dernière heure d'un père ou d'un parent, bien peu suivent jusqu'au bûcher les funérailles domestiques[88].

Telles sont les plaintes de la sagesse païenne. Nous aussi, chrétiens du XIXe siècle, nous avons vu quelque chose de pareil : l'affaiblissement par les idées et aussi par les lois du lien de famille ; le divorce implanté dans nos mœurs qui n'en voulaient pas ; le mariage attaqué ; l'adultère mis en honneur ; une émancipation brutale, rêvée, essayée même, je ne dis pas pour la femme, mais contre elle ; la femme s'abaissant par suite dans la proportion où elle prétendait s'affranchir, et mendiant, comme elle le pouvait, d'humiliants succès et une illégitime influence, parce qu'elle avait abdiqué, avec la sévérité de la vie chrétienne, la légitime influence de la vertu chrétienne ; la femme se faisant libre, se faisant homme, et d'autant plus méprisée des hommes ; en même temps l'éducation énervée, contradictoire, hésitante : nous avons vu tout cela, et à beaucoup d'égards nous le voyons encore. Mais, grâce à Dieu, la puissance de l'esprit de famille dans les mœurs chrétiennes, et nous pouvons dire dans les mœurs françaises, lutte encore chez nous contre ces chimères. Le divorce, en vain imposé, en vain prêché, en vain enseigné, a été, quoi que pussent faire les philosophes et les législateurs, obstinément rejeté par l'opinion ; et cette vieille loi du mariage indissoluble, que nous gardons fermement à travers les aberrations de l'Europe protestante, demeure la base de notre état social ; avec elle, le foyer domestique peut aujourd'hui garder sa puissance, la famille son sérieux, la femme sa dignité ; la mère de famille peut rester ou redevenir ce qu'elle doit être, le grand et le sérieux instituteur. Ce que nous sommes, nous le sommes par nos mères ; nous sommes chrétiens par elles ; nous sommes, la plupart du temps, honnêtes gens par elles ; nous sommes même, quand nous le sommes, dévoués, patients généreux par elles. Ce qui nous vient d'ailleurs est bien peu de chose. Il en est à cet égard chez nous comme chez les Romains ; ce sont les femmes qui font les hommes ; il n'y a eu de grands hommes, il n'y a même eu en général d'hommes énergiques et dévoués que par leurs mères ; et, par un contraste singulier, mais explicable, les qualités vigoureuses sont justement celles que l'éducation maternelle donne le plus. Ce sont les femmes qui ont fait les Scipions à Rome et les saint Louis au moyen âge ; et, s'il y a un vice dans l'éducation de ces derniers siècles, une cause principale de l'universelle hésitation des esprits, de la trop commune faiblesse des caractères, c'est qu'on a, depuis deux cents ans, trop été à la famille et à la mère, trop donné 'au maitre et à l'État.

Il nous reste un autre domaine à parcourir, celui de la vie intellectuelle ; nous retrouverons là les deux plaies que nous avons signalées, l'inhumanité qui envenimait les rapports sociaux, l'impureté qui corrompait les liens de la famille. C'est ici un coin de la vie humaine qu'il ne faut jamais manquer de visiter, car l'homme se révèle mieux que partout ailleurs dans les travaux et dans les plaisirs de son intelligence.

 

 

 



[1] C'est une grande sottise de tenir pour juste tout ce qui est écrit dans les lois et les institutions des peuples.... Car il y a un droit unique qui lie toute société humaine et qui est fixé par une seule loi.... Celui qui ignore cette loi, celui-là est injuste ; que cette loi soit écrite ou qu'elle ne le soit pas. Cicéron, De Legibus, I, 15.

[2] Dion, XXXVI. Asconius, pro Cornelio.

[3] Edictum prætorium, — ædilitium, — peculiare, — urbanum, — provinciale. L'ensemble du droit qui résultait de ces divers édits s'appelait Jus honorarium. — La grande influence de la législation prétorienne parait dater seulement des derniers temps de la république. Nous voyons dans Cicéron (de Offic., III, 12) que les formules de dolo malo, nécessaires pour avoir justice d'un grand nombre de fraudes, ne furent introduites que de son temps par le préteur Aquilins (V. aussi Cicéron, de Nat. deor., III, 30). — V. sur l'édit et les formules du préteur, Cicéron, de Finib., II, 22 ; in Verr., I, 41. 48 ; pro Rosc., 8 ; Gaius, IV, 46, 47. etc. — L'édit s'appela encore ex annua. Cicéron, in Verr., ibid. — Sur l'édit du préteur étranger, V. Gaius, I, 6. — Sur celui des édiles curules, Gaius, ibid. Cicéron, de Offic., III, 17. Aulu-Gelle, IV, 2. — Sur l'édit provincial, Gaius, ibid. Cicéron, Fam., III, 8 ; ad Attic., V, 21 ; in Verr., I, 46 ; III, 65. — Dès le temps de Cicéron on cessait d'étudier les Douze-Tables, et on s'en tenait à l'édit du préteur. De Legibus, 1, 5. V. aussi lois 7 et 8. Digeste, de Justitia, (I, 1).

[4] Ainsi Cicéron, de Offic., I, 10 ; III, 4 ; de Nat. deor., III, 30.

[5] Déjà, au commencement du VIIe siècle, Marcus Caton avait écrit ses commentaires sur le droit civil. Festus, v° Mundus, Digeste, loi 2, § 58, de Origine juris. (1, 2) ; — autres jurisconsultes du même temps : Caton, son fils. Aulu-Gelle, X III, 19. — C. Livius Drusus. Val.-Max., VIII, 7, § 4. — Manilius et Brutus. Cicéron, de Orat., II, 55 ; pro Cluent., 51. — Publius Mucius Scævola. Cicéron, de Orat., I, 56. Topi, 4, 8. Digeste, ibid., § 39.

[6] Digeste, ibid., § 41. Aulu-Gelle, VII, 15.

[7] Servius Sulpitius, contemporain de Cicéron. Cicéron, Phil., IX, 5 ; in Bruto, 41 ; Digeste, ibid., § 42, 43. — Il avait fait des commentaires sur l'édit du préteur. Digeste, ibid., § 14. — Un de ses élèves, Alfènus Varus, avait écrit un Digeste en 24 livres. Digeste, ibid., §44. Aulu-Gelle, VI, 5. — Un autre, Aulus Ofilius, écrivit sur l'édit du préteur. Digeste, § 44.

[8] Juris publici et privati doctissimus. (Digeste, § 46. Cicéron, in Brut., 31.)

[9] V. sur lui, Cicéron, Fam., VII, 5, 6-22 ; Horace, liv. II, Sat. I.

[10] V. Cicéron, in Brut., 26, 30, 31, 39, 40 ; de Orat., 1, 3,  11 ; de Offic., III, 2.

[11] Sous Auguste : Antistius Labéon, élève de Trébatius, préteur en 733 ; consul en 748 ; malgré ses sentiments républicains, estimé d'Auguste. V. Dion, LIV, 15 ; Suet., in Aug., 54 ; Aulu-Gelle, XIII, 10, 12 ; Tacite, Annal., III, 75 ; Horace, liv. I, Sat. 3, 107 ; Digeste, loc. cit., 47.

Chef de la secte opposée : Atéius Capiton, consul en l'an 758. Sa lâcheté et ses adulations sous Tibère. Digeste, ibid., § 47. Tacite, Annal., III, 70, 75. Suet., de Gram., 22. Aulu-Gelle, Macrobe, Festus, inscriptions, etc.

Successeurs de Capiton : Massurius Sabinius, dont cette école prit le nom. Il écrivit trois livres sur le droit civil. — Sous Néron. C. Cassius Longinus, Tacite, Annal., XII, 11, 12 ; XIV, 43 ; XV, 52 ; XVI, 7, 9 ; Suet., in Ner. ; Digeste, ibid.

Successeur de Labéon, Coccéius Nervis, ami de Tibère, consul en 775. Tacite, Annal., VI, 26.

Autres jurisconsultes : sous Auguste, Ælius Gallus, troisième préfet d'Égypte (Servius, in Georg.). Alfenus Varus Aulus Ofilius. — Sous Néron, C. Aminius Rebius. Tacite, Annal., XIII, 30.

[12] V. loi 2 § 47 ; Digeste, de Origine juris ; Senec., Ép. 91.

[13] Digeste, ibid. — Caligula et Claude s'efforcèrent d'affaiblir l'autorité des jurisconsultes Le premier déclarait que personne ne se mêlerait de répondre sur le droit, si ce n'est lui même. Suet., in Calig., 34. — Claude jugeait en équité et sans tenir compte des règles du droit. Suet., in Claud., 14. Senec., in Ludo.

[14] Honeste vivere, alterum non lædere, suum cuique tribuere. (Just., Inst., liv. I, tit. 1, 3. Ulpien, Digeste, loi 10, § 1 ; de Justit. et jure [I, 1]).

[15] Inelegantia juris. (Gaius, I, 84, 85,)

[16] V. Cicéron, pro Cluent., 60.

[17] Quos prætor vocat ad hæreditatem hæredes jure non flunt. Nam prætor hæredes facere non potest. (Gaius, III, 32.)

[18] Sed hæ juris iniquitates edicto prætoris emendatæ sunt. (Gaius, III, 25.)

[19] V. Gaius, II, 136, 137. Ce système est certainement antérieur à l'édit de Claude qui améliora la condition de la mère.

[20] Cognationis jus capitis deminutione non commutatur. Civilia enim jura civilis ratio corrumpere potest, naturalia non potest. (Gaius, I, 158.)

[21] Dès avant cette loi la naissance d'un posthume non mentionné par le testateur annulait le testament. Cicéron, de Orat., I, 57 ; pro Cæcina, 5. — V. Gaius, II, 130, 101 ; Ulpien, XXII, 18.

[22] Gaius, 134.

[23] Cette jurisprudence date au plus tard du temps des premiers empereurs. V. Quintilien, V, 2 ; VII, 4 ; Pline le Jeune, Ép. V, 1 ; VI, 33. V. plusieurs exemples de l'application de cette loi. Valère Max., VII, 7, 8.

[24] . C'était un quart net des biens. Paul, IV, 5, § 6.

[25] Il le fut surtout pendant le siècle qui suivit. V. ci-dessus, ch. IV, à la note.

[26] Gaius, I, 141 ; II, 90. V. plus bas, ch. IV, à la note. La cession à titre de mancipium était en général de courte durée. Gaius, I, 141.

[27] V. Plaute, Mercator, I, 1, v. 95 ; Suet., in Tiber., 15 ; Instit. Just., pro quibus non permittitur. Digeste, 46, 48, de Peculiis (XV, 1) ; 31, de Novat. (XLVI, 2) — Sous Auguste ou Trajan, l'enfant eut l'entière propriété et la libre disposition de ce qu'il avait acquis au service militaire (neculium castrense). Instit., ibid. Ulpien, XX,10.

[28] Licita consuetudo. Cod. Justin., ad S.-C. Orphit. (VI, 56). Ulpien, 3, § 1. Digeste, 3, de Concubinis (XX, 7) ; et Cod. hoc tit. Paul., Sent., XX, etc.

[29] La femme n'avait pas le titre d'uxor. Il n'y avait pas de puissance paternelle. Les enfants suivaient la condition de leur mère. — Non affectione maritati. Inst., 2, de Hæreditate quæ ab intestato. Voyez aussi Digeste, 4, de Concub. (XXV, 7), et Paul., loco cit.

Le concubinat et le mariage ne se distinguaient par aucune formalité préalable. On jugeait, d'après la conduite et la condition des époux, s'ils avaient été conjuges ou concubini. Digeste, 31, de Donat., 3 (XXXIX, 5) ; 3, de Concub., 24 (XXV, 7) ; de Ritu nuptiar. (XXIII, 2) ; Cod., 2, de Nuptiis (V, 4). V. aussi Capitolin, in Anton. ; Suet., in Vespas., 3. V. Ælius Verus, apud Spartian., 5. Hérodien. sur le règne de Commode. — Concubina ab uxore solo dilectu separatur, dit Paul. Aucune formalité n'étant prescrite pour le mariage, on pouvait se marier même de loin et par écrit. Digeste, 5, de Ritu nupt. (XXIII, 2).  Il en fut ainsi jusqu'au temps de Justinien.

[30] Paul., II, Sent., 20. — Le concubinat parait avoir existé surtout entre patron et affranchie. Hors de là il était peu honoré, et la femme perdait le titre de matrona. Digeste, 16, § 1, de His quæ ut inasgnis (XXXIV, 9) ; 13, ad. Leg. Jul. de Adult. (XLVIII, 5). — La concubine infidèle pouvait être passible des peines de l'adultère. ibid. et Cod., 7, eod. tit. — Plusieurs inscriptions funéraires portent le titre de concubine. Orelli, 2673, 4093, 4480. Herzen, 6193 et suiv. Gruter, 631, 640. Maffei, Inscr. variæ, p. 377. — La concubina était, aux yeux de l'Église, uxor minus solemniter nupta. (Augustin, de Bono conjug.) V. aussi Concil. Tolet., I, cap. 17 (an 400) ; Leonis papæ I Respons. ad Rustic. (452).

[31] Gaius, II, 62, 63. Loi Julia.

[32] Dès le temps de Cicéron. Pro Flacco, 35. V. aussi Gellius XVII, 6.

[33] V. Ulpien, VII, 1 ; Paul, II, 23.

[34] La loi Voconia fut éludée ou tomba en désuétude. Cicéron, de Finib., II, 7. Gellius, XXI.

[35] Les femmes étaient exemptées de la tutelle par le jus liberorum. Gaius, II, 145, 194, 111, 44 ; — par le testament du mari qui leur donnait le choix du tuteur. Ibid., 152. —Pour tester, l'édit prétorien les dispensait de l'assistance d'un tuteur. Id., II, 119, 122. — Une loi de Claude supprima le droit de tutelle des agnats sur les femmes. Gaius, I, 157, 171, 190. Ulpien, XI, 8, 27.

[36] Inst., 3, tit. III, § 1. Cependant Gaius (III, 25) ne parle pas de cet acte de Claude. Dans tous les cas, ce changement aurait été opéré ou complété par le sénatus-consulte Tertullianum sous Hadrien. V. Inst., ibid. ; Ulpien, XXXVI, 8 ; Paul, IV, 9 ; Digeste, I, 11, ad S.-C. Tertull. (XXXVIII, 6).

[37] Cicéron, de Orat., I, 40, 56. Sur les causes ordinaires du divorce, V,. — quant au mari, Plutarque, in Paul. Æmil., 5 ; in Cic., 41 ; Val.-Max., VI, 3, 10, 11, 12, — quant à la femme, Plaute, Amphi., III, 2 ; V, 47. Cicéron, Fam., VIII, 7 ; pro Cluent., 5. Senec., de Benef., III, 10.

[38] Cicéron, Phil., II, 28. Martial, X, 41. Digeste.

[39] Cicécon, Fam., VII, 7.

[40] Sur la diffarreatio, V. Plutarque, Quæst. rom., 50. Festus, hoc verbo. Une inscription parle d'un personnage, sacerdos confarreationum et diffarreationum. Orelli 26i8.

[41] Plutarque, in Cat. Utic., 36, 68. Strabon, XI. Quintilien, Inst., X, 5. Appien, II. Lucain, II, v. 328. Admirez surtout les belles phrases que Lucain met dans la bouche de Marcia (II, v. 330-342).

[42] V. sur ces restrictions au divorce, ou plutôt sur la peine des fautes qui avaient amené le divorce, Cicéron, Topic., 4 ; Ulpien, Reg., VI, 10,  Il ; Valère Max., VIII. 2. 3 ; Pline, Hist. nat., XIV, 14. — C'est ce qu'on appelait le jugement de moribus.

[43] V. Horace, II, Ode 12 ; Senec., de Provid., 3 ; Ép. 114.

[44] Suet., in Calig., 34.

[45] Le mot de Tacite est bien plus caractéristique : Sua tantum matrimonia experto. (Annal., XII, 16.)

[46] Suet., in Calig., 36.

[47] Senec., de Benef., III, 16.

[48] Senec., de Benef., III, 16. Tertullien, Apologétique, 6.

[49] Senec., de Benef., III, 9. — Dolabella, gendre répudié de Cicéron, lui écrit fort amicalement à la mort de sa fille. Cicéron, Fam., IX, 11. V aussi VI, 11. — Et Cicéron, à son tour, fait gloire à sa fille des maris de qualité qu'elle a successivement épousés et quittés.

Les inscriptions fournissent plus d'une trace de ces divorces, faits de bon accord, sine dissidio. Ainsi — le tombeau d'un enfant érigé en même temps par son père, par sa mère divorcée et par le second mari de sa mère, s'intitulant tous trois : parentes filio dulcissimo fecerunt, Orelli 2657. — Tombeaux érigés à la même femme par deux maris. 2658, 215. — Locus sepulluræ C. Dimitte i Valentis et uxoribus concobinisque (Henzen 6193). — Tombeau élevé par Veccus, pour lui, ses trois femmes et ses trois fils (Ibid. 6195). Une longue inscription, par malheur très-mutilée, contient l'oraison funèbre faite par un mari de sa femme divorcée. Il raconte, avec une reconnaissance profonde, les services qu'elle lui a rendus pendant les proscriptions des triumvirs, le dévouement qu'elle a montré, les rebuts et même les mauvais traitements qu'elle a affrontés pour parvenir à le faire rayer de la liste des proscrits. Puis, la poix leur étant rendue, sa femme a gémi de le voir sans enfants, et, désespérant de lui en donner, l'a engagé à la répudier, lui a cherché une autre femme, n'en a pas moins laissé son patrimoine confondu avec celui de son mari, et est restée prête à lui rendre tous les services que pouvait lui rendre une sœur. — Cette inscription a été publiée pour la première fois par Fabretti. Orelli 4819.

[50] Cod., 2, de Inutil. stipulat. (VIII, 39) ; 134, Dig., de Verbor. oblig. (XLV, 1).

[51] Modestin., 1, Digeste, de Ritu nupt. (XXIII, 2) ; Instit., 1, de Patr. potestate.

[52] Tacite, Annal., XIII, 46.

[53] Tacite, Annal., XIII, 46.

[54] Tacite, Annal., XIII, 44.

[55] Tacite, Annal., XIII, 44.

[56] Tacite, Annal., XIII, 19.

[57] Tacite, Annal., XIII, 19.

[58] Selon Sénèque, des femmes de haut rang comptaient les années par les noms de leurs maris, au lieu de les compter par les noms des consuls. De Benef., III, 16. — Juvénal et Martial vont plus loin encore, et nous feraient croire à des unions rompues et renouvelées en quelques jours seulement.  Il peut y avoir de l'exagération dans leur satire ; car on sait que la loi défendait le nouveau mariage avant un an (Plutarque, in Numa, 12. Senec., ad Helviam, 16 ; Fragm. Vatic., § 321 ; C., 1, 2, de Secund. nunt.). — Cette loi, il est vrai, n'entraînait pas d'autre peine que l'infamie (I, 9, 10, 11, § 1, Digeste, de His qui not. (III, 2) ; Fragm. Vat., 320 ; Paul, Sent., I, 21, § 13 ; 15, C., Ex quib. caus. inf. (II, 12). Elle fut souvent violée. Suétone (in Cæs., 43). Cicéron (pro Cluent., 12), saint Jérôme (contra Jovin., I), citent des exemples de mariage contractés cinq mois et même deux jours après le divorce. Nous avons cité le mariage d'Octavie, celui d'Auguste avec Livie, ceux de Caligula, de Mécène, etc., dans lesquels il est certain que le délai légal ne fut pas observé.

Voici les passages des deux poètes :

Sic crescit numerus, sic fiunt octo mariti,

Qninque per autumnos. . . . . . . . . . .

(JUVÉNAL.)

Aut minus aut certe via jam tricesima lux est,

Et nubi decimo jam Telesina vire.

(MARTIAL.)

[59] Mœchus es Aufidiæ qui vir, Cervine, fuisti. (MARTIAL.) V. aussi Suet., in Calig., 36, et l'épigramme rapportée par Suétone au sujet d'Othon : Uxoris mœchus cœperat esse suæ.

[60] En Allemagne, il n'y a guère dans le mariage d'inégalité entre les deux sexes ; mais c'est parce que les femmes brisent aussi souvent que les hommes les nœuds les plus saints. La facilité du divorce introduit dans les rapports de famille une sorte d'anarchie qui ne laisse rien subsister dans sa vérité ni dans sa force. — Madame de Staël, de l'Allemagne, III, 19. (Remarquez ces paroles chez un écrivain si épris de l'Allemagne, et qui, dans un ouvrage précédent, avait longuement développé tous les lieux communs en faveur du divorce.)

[61] Tacite, Annal., XIII, 44 ; 45. Senec., de Benef., I, 9.

[62] Quæ toties nubit, non nubit, adultera lege est. (MARTIAL.) Et M. de Bonald, agrandissant cette pensée, probablement sans la connaître, appelle le divorce le sacrement de l'adultère.

[63] Famam... cujus apud molles levis est jactura cathedras. (JUVÉNAL.)

[64] Culpa inter viros feminasque vulgata. (Tacite, Annal., III, 24.) — Et ailleurs : Vix præsenti custodia illæsa manere conjugia. (III, 31.)

[65] Tacite, Germanie.

[66] Senec., de Benef., I, 9.

[67] Senec., de Benef., I, 9.

[68] Senec., de Benef., III, 16.

[69] V. sous Auguste le trait hardi du philosophe Athénodore. Dion. — Tibère, dit Suétone, solitus matronarum capitibus illudere. (In Tiber., 45.) Et Sénèque craint de Néron au commencement de son règne : Ne in feminarum illustrium stupra prorumperet. (Tacite, XIII.) V. aussi XIV, 15.

[70] Suet., in Aug., 59 ; in Calig., 36. Senec., de Const. sapient., 18.

[71] Le droit de manus s'acquérait par prescription, lorsqu'on avait vécu un an sous le même toit sans une interruption de trois nuits (trinoclium usurpatio). La femme qui voulait rester libre veillait à ce que cette interruption eût toujours lieu.

[72] V. Tacite, Annal., IV, 16, et l'excellent mémoire de M. Troplong : De l'influence du christianisme sur le droit civil, Paris, 1843, ch. X, p. 316 et s.

[73] Cicéron, ad Attic., XIII, 17.

[74] Bien des pauvres se louent à titre de mari pour éluder les lois contre le célibat. Comment peut-il gouverner sa femme celui qui joue ainsi le rôle de femme ! In mariti nomen conducitur... potest... mariti auctoritatem tueri, QUI NUPSIT ? (Senec., apud Hieronym., adv. Joviniam, I.)

[75] Tacite, Annal., IV, 55.

[76] Senec., Ép. 95. Non minus pervigilant, non minus potant, et oleo et mero viros provocant : æque invitis ingesta visceribus per os reddunt, et vinum omne vomitu remetiuntur : æque nivem rodunt, solatium stomachi æstuantis. — Et l'horrible description que fait Juvénal :

....Tandem illa venit rubicundula, totum

Ænophorum sitiens....

....Tanquam alta in dolia longus

Deciderit serpens bibit et vomit.

[77] Senec., ibid. Galien confirme cette assertion : Olim id ita fuisse Hippocratis ævo, cum moderate victitarent, nunc fallere ob vitam victumque diversa.

[78] Tacite, Annal., XV, 32. Juvénal, VI. Suet., in Domitiano., Statius, Silves. Martial, 1.

[79] Senec., Horace.

[80] Suet., in Tiber., 35. Tacite, Annal., II, 85 ; XIV, 16 ; XV, 37. Suet., in Ner.

[81] La plupart des hommes tombent dans une aberration risible. Quand ils ont un esclave honnête, ils en font un laboureur, un pilote, un intendant, un commis de marchandises ou de banque. Mais s'ils en ont un, ivrogne, gourmand, inutile à tout, c'est à celui-là qu'ils confient leurs enfants. Plutarque, de Liberis educ.

[82] Tacite, de Orat., 28, 29. Cicéron se plaint déjà de la décadence de l'éducation. Orat., III, 2.

[83] Quintilien, I, 2.

[84] Suet., de Illustribus gramm., 23.

[85] Colligunt enim discipulos non severitate disciplinæ, nec ingenii experimento, sed ambitione salutantium et illecebris adulationis. (Tacite, de Orat., 28, 29) V. aussi les inquiétudes de Pline pour les enfants que l'on envoyait de Côme faire leurs études à Milan. Ép. I, 18.

[86] Tacite, de Orat., 28, 30, 35.

[87] Voyez un fragment de l'édit du préteur, ordonnant les précautions à prendre lorsqu'une femme, après la mort de son mari, se déclare grosse, pour éviter toute suppression ou supposition de part : La femme doit, deux fois par mois, invoquer une visite médicale, qui sera faite par cinq femmes de condition libre, désignées à cet effet ;en outre faire désigner par le préteur une femme de très-bonne renommée chez laquelle elle devra faire ses couches ;trente jours avant ses couches, demander que des gardiens lui soient envoyés par les intéressés ;dans la chambre qu'elle habite, il ne doit y avoir qu'une entrée, toutes les autres doivent être bouchées ;devant la porte, trois gardiens et trois gardiennes, de condition libre, plus deux esclaves ;toutes les lois qu'elle va d'une pièce dans une autre ou qu'elle va au bain, les gardiens la précèdent, explorent la pièce et fouillent tous ceux qui veulent l'aborder ;quand elle commence à souffrir, elle doit avertir les intéressés ;elle doit accoucher en présence des personnes désignées, qui ne pourront être cependant plus de dix personnes libres, six esclaves et deux sages-femmes ; toutes doivent être fouillées en entrant, pour qu'on s'assure que nulle d'entre elles n'est enceinte ;il doit y avoir au moins trois lumières, etc. — Digeste, I, 10, de inspiciendo ventre (XXV, 4).

[88] Quæst. nat., III, 18.