LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

TABLEAU DU MONDE ROMAIN SOUS LES PREMIERS EMPEREURS

LIVRE PREMIER. — DE L'EMPIRE

CHAPITRE PREMIER. — PAIX ROMAINE.

 

 

§ IV. — DE L'ORGANISATION DES PROVINCES PAR AUGUSTE.

Il me reste peu de chose à dire. J'ai recherché les titres, j'ai montré les caractères principaux de la domination que Rome exerçait sur le monde, — par sa force militaire comme protectrice armée, — par le droit public comme suzeraine et comme arbitre, — par ses colonies comme civilisatrice, — par sa hiérarchie comme centre de tous les droits et de toutes les récompenses.

Cette politique, chacun le comprend, ne fut ni conçue, ni décrétée, ni pratiquée en un seul temps. Rechercher dans l'histoire le jour de sa naissance, ou l'époque de son parfait développement, serait une folle tentative. Elle est de tous les siècles et de tous les jours ; elle est sans cesse au fond de la pensée romaine ; elle est dans tous ses actes durables, réfléchis, intelligents, elle n'est pas dans ces mille erreurs partielles que les rois, les sénats, les nations peuvent réparer quelquefois, rarement prévenir.

Vers la fin de la république surtout, au milieu des guerres civiles, cette politique semble disparaître. Le sénat, qui en est le gardien, est sans crédit et sans force. Rome conquiert toujours, mais le temps lui manque pour s'assimiler ses conquêtes ; l'Asie se soulève sous Mithridate, l'Espagne sous Sertorius ; les Verrès et les Pison font détester le nom romain dans les provinces. A la mort de César, Antoine brise et bouleverse tout, vend et prodigue les privilèges de l'empire, et rompt en faveur des vaincus cet équilibre de la politique romaine, que l'oligarchie du sénat tendait à rompre en sens contraire[1].

Octave, ce patient fondateur, venait après Antoine pour tout rétablir. Octave avait, lui, la juste mesure des choses, il n'était point de ceux qui ne connaissent pas leur Siècle, point de ceux aussi qui le connaissent trop. L'empire comparût donc autour de cette chaise curule qu'on n'osait appeler un trône ; l'empire fut comme passé au crible par Auguste. Les concessions imprudentes furent annulées ; les droits violés furent rétablis, les services récompensés, les fautes punies, les droits de liberté, de latinité, d'immunité, de cité romaine, donnés ou retirés selon que la politique l'exigeait, les libertés municipales, le plus souvent maintenues ou rétablies[2]. Quelques rois parmi les vassaux de Rome furent privés de leurs diadèmes ; d'autres et en plus grand nombre furent rétablis sur leurs trônes[3].

Mais surtout l'union plus intime des rois aux destinées communes de l'empire fut une des pensées qui préoccupèrent Auguste. Les rois furent véritablement de grands feudataires, réunis, protégés, gouvernés par un, même suzerain. Le suzerain des villes libres. était le peuple romain ; elles étaient placées sous la pacifique juridiction du sénat. Mais le suzerain des rois fut César, tuteur plus vigilant, plus rigide, moins désarmé. Je t'ai traité en ami, écrivait-il à Hérode, prends garde que je ne te traite en sujet[4]. César, du reste, remplissait les devoirs comme il exerçait les droits du suzerain. Il veillait à l'union des rois avec l'empire dont il les déclarait portion intégrante, à leur union mutuelle qu'il aimait à fortifier par des alliances. Il faisait élever leurs enfants avec les siens ; il donnait un tuteur aux princes trop jeunes ou trop faibles d'esprit pour régner. L'héritier ne montait pas sur le trône sans demander à César l'investiture de son fief ; le testament du vassal ne s'exécutait pas, s'il n'avait été approuvé par le suzerain. Et quand César passait dans la province, les rois ses feudataires accouraient sur son chemin, sans pourpre, sans diadème, en toge comme de simples clients romains, faisant un long trajet pour le joindre et cheminant à pied auprès de son cheval ou de sa litière[5].

En même temps, Auguste relevait la dignité de citoyen romain. Le droit de cité n'était plus jeté à des provinces entières. Le donner aux peuples moins qu'aux villes, aux villes moins qu'aux hommes ; y appeler, en les constituant en municipes ou en les renouvelant par des colonies, les villes fortes, puissantes, fidèles, déjà presque romaines[6] ; y appeler encore plus les hommes connus, riches, considérés, de toutes les portions de l'empire[7] ; être avare de ce privilège, afin de ne le donner qu'aux plus dignes[8] : telle était sa politique. Et c'est ainsi que, sans prodiguer au hasard le titre de citoyen, il laissa pourtant quatre millions cent trente-sept mille citoyens dans l'empire au lieu de quatre cent cinquante mille qu'on avait comptés avant César.

Après avoir réglé les droits, il réglait aussi l'administration de l'empire. Il partageait les provinces entre le sénat et lui[9], substituait une forme d'administration nouvelle à l'administration républicaine, un système plus sûr, plus serré, plus régulier, à ce système aristocratique, ennemi de l'unité, et que l'oligarchie des proconsuls romains avait poussé au dernier excès. Il fondait ainsi le droit public des provinces en même temps que celui de Rome. Rome et les provinces vécurent trois siècles sur les lois et les traditions d'Auguste, et ce fut plus tard que l'empire dégradé accepta comme un hochet de vieillard l'administration orientale, fastueuse, puérile, funeste, que lui imposa Dioclétien.

Des moyens d'un ordre secondaire resserraient encore l'unité romaine. Le système des routes, à peine ébauché sous la république, fut presque tout entier l'œuvre d'Agrippa et d'Auguste. Les routes à réparer ou à construire furent partagées entre les généraux. Agrippa eut à lui seul toutes celles de la Gaule. Des relais de poste servirent à porter, avec une vitesse décuple de la vitesse ordinaire, les ordres, les envoyés, les revenus de César[10].

En même temps, le cens romain, cette statistique merveilleuse, la délimitation romaine, ce cadastre si complet, longtemps enfermés dans le territoire de Rome, puis appliqués aux villes de l'Italie, étaient étendus à toutes les provinces par l'infatigable sollicitude des gens de finance[11]. Tous les cinq ans, le père de famille devait, sous des peines rigoureuses, faire inscrire sa femme, ses enfants, ses esclaves, l'âge et le métier de chacun d'eux, son patrimoine, son revenu, jusqu'à ses meubles et ses joyaux. Tous les cinq ans ou à peu près, chaque terre était cadastrée, ses limites établies, sa valeur estimée ; on comptait jusqu'aux arbres[12]. Ainsi, ressources agricoles, industrielles, militaires de l'empire, tout était revu et enregistré au profit du fisc ; par ce travail, rectifié à des époques fixes, la classification de la propriété subsista jusque dans les siècles les plus tardifs, et aujourd'hui même encore, dans l'Italie et dans le midi de la France, des héritages gardent le nom que leur donna il y a près de deux mille ans l'agrimensor romain[13]. Ainsi l'empire avait-il au point de vue officiel la plus parfaite conscience de ses forces ; et dans les siècles postérieurs, ce pouvoir prêt à crouler connaissait aussi bien ses ressources que peut le faire aucune nation moderne.

Or, ce fut sous Auguste que l'ingénieur Balbus, par un labeur que seules pouvaient rendre possible les traditions de plusieurs siècles et l'autorité du nom romain, parcourut l'empire, délimita le territoire de toutes les cités, arpenta les héritages, donna à la propriété provinciale, vague, diverse, illimitée, le caractère exact et invariable de la propriété romaine, et laissa fidèlement conservée dans les archives du prince la loi agraire du monde, le cadastre de tout l'empire[14]. Ce fut alors aussi que des dénombrements eurent lieu à plusieurs reprises jusque sur le territoire des peuples libres et des rois alliés[15]. C'est ainsi que Quirinus, préfet de Syrie, vint avec quelques hommes[16] faire le recensement aux lieux où régnait Hérode. Le scribe et l'agrimensor s'établirent à Bethléem, recevant les déclarations que chacun était obligé de venir faire dans sa propre cité[17] : et le premier navire qui partait pour l'Italie emporta les tables du cens, sur lesquelles, deux cents ans plus tard, Tertullien faisait lire aux Marcionites l'acte de naissance du Fils de Dieu[18].

A cette époque solennelle dans l'histoire du monde, l'empire de Rome était complet, le temple de Janus fermé, les institutions impériales étaient toutes debout. La puissance d'Auguste était parvenue à son apogée. Lui-même, que la guerre civile avait déjà mené dans l'Orient, la guerre des Cantabres en Espagne et dans les Gaules, achevait de parcourir le monde ; deux provinces seulement, la Sardaigne et l'Afrique, échappèrent à l'œil du maître[19]. Sous un portique bâti tout exprès dans Rome, on voyait une carte du monde romain, œuvre merveilleuse pour l'antiquité, commencée deux siècles auparavant et enfin achevée par Agrippa[20]. Et plus tard, Auguste, qu'on appelait le père de famille de tout l'empire[21], laissait, comme l'inventaire de sa maison, une statistique où étaient indiqués les provinces, les rois, les villes libres, le chiffre des impôts, la valeur des revenus, le nombre des soldats, des troupes auxiliaires et des vaisseaux[22].

Ce monde ainsi organisé, revu et dénombré par Auguste, marcha ensuite comme de lui-même. La politique défiante et retirée de Tibère, qui n'accorda pas un bienfait et ne chercha pas une conquête ; la démence de Caligula, qui jetait le droit de cité à des villes entières, parce qu'elles avaient eu l'honneur de donner naissance à l'un de ses favoris ; l'imbécile assujettissement de Claude, qui laissait vendre à l'encan tous les privilèges de l'empire : tout cela, sans doute, portait coup aux traditions d'Auguste, mais ne les brisait pas ; tout cela préparait au point de vue politique une décadence déjà visible, mais peu avancée encore. César gouvernait le monde plus aisément qu'il n'eût gouverné un seul peuple. Ici les paroles du rhéteur n'ont rien d'exagéré : Il semble que, comme un seul pays ou une seule nation, le monde entier obéisse en silence, aussi docile que sous le doigt de l'artiste peuvent l'être les cordes de la lyre... Cette puissance de l'empereur qui gouverne toute chose inspire à tous une telle crainte, qu'il semble connaître nos actions mieux que nous ne les connaissons nous-mêmes. On le redoute et on le révère comme un maitre présent et ordonnant à l'heure même... Une simple lettre gouverne le monde[23].

Et cependant les traditions politiques d'Auguste commencèrent bientôt à s'affaiblir. Bientôt, ce ne fut plus cette sagesse de l'antique Rome et sa modération dans la conquête : celle de la Bretagne fut sans motif et sans mesure, pleine d'outrages et de violence. Ce ne fut plus cette même prudence dans la fondation des colonies : Claude en établit quelques-unes[24] ; mais les colons dégénérés étaient plus pressés de bâtir des théâtres que des remparts, et choisissaient les plus beaux sites plutôt que les lieux les plus sûrs[25]. La colonie n'était plus cette solennelle installation de la légion romaine avec ses étendards, ses chefs, ses cohortes : c'était une cohue, dit Tacite, plutôt qu'une colonie (numerus mugis quam colonia)[26] ; des soldats pris de côté et d'autre, sans unité et sans lien ; plus tard même des affranchis du palais venaient s'établir dans une ville que souvent l'ennui leur faisait quitter : et ce nom glorieux de colonie romaine ne fut bientôt qu'un vain titre donné ou retiré par le caprice des Césars.

Les rois, à leur tour, ne furent plus des feudataires, gouvernés, mais protégés par une puissance suprême ; ce ne furent plus, comme sous Auguste, des membres d'une même famille, liés étroitement par une autorité presque paternelle ; ce furent des esclaves[27], parfois puissants ou riches, par là suspects, et bons à être dépouillés. Cinq rois étaient réunis à Tibériade, auprès du roi des Juifs Agrippa, quand le préfet de Syrie, Marsus, vint l'y voir. Agrippa alla à sept stades au-devant de lui, dans un même chariot avec ces cinq rois. Mais Marsus considéra comme dangereuse pour l'empire cette rare union entre des princes, et leur signifia de retourner chacun dans son royaume[28]. César donnait et reprenait les couronnes, augmentait ou diminuait les royaumes[29], citait un roi devant lui, le retenait éternellement à Rome, et faisait dire au préteur voisin de gouverner ses États[30]. César faisait accuser les princes par les délateurs, les faisait juger par le sénat, charger de chaînes, exiler, mettre à mort.

Elle-même, l'indépendance des villes libres et des municipes, était atteinte. L'arbitraire des gouverneurs, les empiétements de l'administration impériale, la toute-puissance de César, qui se proclamait duumvir d'un municipe et envoyait un préfet le gouverner à sa place, faisait redescendre la ville libre au rang de ville sujette, la ville romaine au niveau de la ville étrangère. La législation propre à chaque cité[31] s'effaçait peu à peu, et ces mots municipe, colonie, devenaient des termes vagues dont on se servait sans en avoir le sens distinct[32].

Enfin, les institutions militaires commençaient à dégénérer. L'affaiblissement physique et moral[33] de la population italique obligeait de recruter les légions d'abord parmi les Romains des provinces, ensuite parmi ceux qui n'étaient pas Romains, quelquefois même parmi les affranchis et les esclaves[34]. La politique défiante des empereurs, redoutant leurs soldats, ne demandait pas mieux que d'en affaiblir et le nombre et la discipline.

Ainsi tout déclinait, mais déclinait lentement, parce que la tradition antique était puissante, parce que la grandeur du nom romain ne pouvait s'effacer en un jour. Tout déclinait, sans que l'empire souffrit d'une manière trop évidente ; c'était un édifice qui reste longtemps debout par sa masse, après que ses fondements sont minés.

Une grande crise l'attendait pourtant. La mort de Néron et les troubles qui la suivirent furent un signal de révolte, auquel répondit tout ce qui restait encore de souvenirs nationaux vivants dans le monde romain. Sur les deux rives du Rhin surtout, entre Gaulois fatigués de la servitude et Germains menacés dans leur indépendance, il y eut une ligue devant laquelle on vit au premier moment fléchir la puissance des aigles. Rome, épuisée par ses propres discordes, dégottée d'elle-même par cinquante ans de tyrannie, Rome devait néanmoins résister ; et cette insurrection rhénane, cette ligue gallo-germaine tomba devant quelques légions, qui ne savaient pas au juste pour quel empereur elles combattaient.

Le récit de cette révolte et de cette crise n'appartient pas à mon sujet. Mais une chose est à remarquer : ce qui sauva Rome, ce fut sans aucun doute la sympathie des peuples devenus Romains, opposée à la haine de quelques peuples chez qui le sang barbare bouillonnait encore. Ce qui sauva Rome, c'est cet ensemble de faits sur lequel nous l'avons montrée édifiant son pouvoir. Lisez dans Tacite, au moment où des peuples gaulois sont prêts à se révolter (an 70), comment leur parle un chef romain pour les retenir dans l'obéissance :

Ce n'est pas l'ambition, dit-il aux Gaulois, qui amena les Romains sur votre territoire. Ils y ont été appelés par vos ancêtres eux-mêmes, las de leurs discordes, opprimés par les Germains qu'ils avaient fait venir comme alliés  C'est alors que nous nous sommes établis sur le Rhin, non pour défendre l'Italie , mais pour empêcher un nouvel Arioviste de devenir tyran des Gaules... Aujourd'hui rien n'est changé : les Germains brûlent toujours des mêmes désirs ; la sensualité , l'amour du gain , la passion du changement, les poussent toujours à quitter leurs marais et leurs bois pour envahir vos riches domaines  Rappelez-vous que la guerre et la tyrannie ont affligé la Gaule jusqu'au moment où vous vous êtes placés sous notre tutelle ; et nous, au contraire, attaqués tant de fois, nous ne vous avons demandé, en vertu des droits de la victoire, que ce qui était nécessaire pour le maintien de la paix. Car, sans soldats, point de sécurité pour les peuples ; sans paye, point de soldats ; sans impôts, point de paye. Tout, au reste, demeure commun entre vous et nous ; vous-mêmes êtes souvent les chefs de nos légions, vous-mêmes êtes appelés au gouvernement de cette contrée ou d'autres provinces. Quand les princes sont modérés, leur modération vous profite comme à l'Italie ; quand ils sont cruels, plus éloignés, vous avez moins à souffrir. Le faste d'un gouverneur , l'avidité d'un proconsul , sont des maux inévitables qu'il faut supporter, comme on supporte une inondation ou un orage  Au moins y a-t-il quelques intervalles de bien. Mais, sous le règne d'un Tutor ou d'un Classicus, vous attendez-vous à une domination plus modérée ? Vous faudra-t-il de moindres tributs pour lever des troupes contre les invasions des Bretons ou des Germains ? Et les Romains une fois expulsés puissent les dieux nous garder de ce malheur ! , que devons-nous attendre, si ce n'est une guerre universelle ? Huit cents ans de sagesse et de bonheur ont formé cet édifice de l'empire romain ; il ne peut être détruit sans écraser ceux qui le détruiront. Et le danger sera plus grand pour vous qui possédez les biens et l'or, cette grande cause de guerre. Aimez donc et soutenez la paix du monde, aimez cette ville qui accorde des droits égaux aux vainqueurs et aux vaincus[35].

Tout est là : dans cette harangue prêtée par Tacite à un soldat illettré, qui n'a jamais su, dit-il, qu'affirmer par ses armes la puissance romaine, vous touchez du doigt ce que j'ai laborieusement développé. Cette intervention de la force romaine , toujours sous le prétexte de la défense et par amour pour la liberté des peuples ; — cette domination tout amicale, qui n'a des armes que pour votre sûreté et ne réclame des tributs que pour vous protéger ; — cette paix universelle , à l'ombre de laquelle les peuples se civilisent, s'enrichissent et se reposent ; — ces concessions de privilèges, égaux parfois aux siens, par lesquelles Rome attire les peuples dans son sein : — hors de la domination romaine, au contraire, la barbarie, la guerre, le pillage et l'impuissance à se défendre ; — et enfin la masse colossale de cet empire , œuvre du temps, de la vertu et des dieux, que les forces humaines peuvent ébranler , peut-être même abattre , mais qui retombera, comme le temple de Gaza, sur le téméraire qui voudrait en renverser les colonnes : voilà les arguments que Rome proposait au monde, et que le monde acceptait.

En effet, Rome avait fondé une si vaste unité, que l'idée de sa ruine épouvantait comme l'idée d'un incalculable désastre. Les peuples, même quand ils se révoltaient contre les princes, ne se révoltaient pas contre Rome. Hors d'elle, il était difficile de concevoir paix, liberté, bien-être, et le retour à leur indépendance primitive n'eût été que le retour à la barbarie[36]. En un mot, la domination romaine pouvait être acceptée comme seule protectrice et seule possible[37].

C'était, certes, une grande œuvre de la Providence que cet empire préparé depuis des siècles par tant de courage, de force, de patience ; qui se trouvait l'héritier de tous les grands empires de Sésostris, de Cyrus, d'Alexandre ; qui réunissait sous une même loi, et la Bretagne sauvage encore, et la Gaule à peine sortie de la barbarie, et la Grèce mère de toute civilisation, et l'Égypte qui avait instruit la Grèce, et l'Asie occidentale, point de départ des races humaines. Les trois grands rameaux de la famille terrestre, celui de Sem, celui de Cham et celui de Japhet ; les idiomes de chacun d'eux multipliés en mille branches diverses ; les grandes civilisations et les grands cultes de l'Égypte, de la Gaule, de la Grèce, de la Judée ; la beauté d'Éphèse, la richesse d'Alexandrie, la gloire de Sparte, la science d'Athènes, la sainteté de Jérusalem, la fortune naissante de Londres et de Lutèce, tout cela profitait à la grandeur et à la gloire de Rome. Le monde avait-il jamais vu rien de pareil ? Rome ne semblait-elle pas appelée à refaire ce que Babylone avait défait, et à renouveler l'unité du genre humain par l'unité de son pouvoir, l'unité des langues humaines par l'unité de sa langue, l'unité des religions par la révélation de cette grande vérité dont les sages pressentaient l'approche ?

Rome est dans l'histoire le symbole de l'unité comme son nom est le signe, les uns disent de la maternité[38], les autres de la force et du courage[39]. C'est elle, en effet, dont la force devait unir le monde, dont la puissante mamelle devait l'allaiter. L'unité matérielle et la force politique résidèrent cinq cents ans dans Rome païenne ; dans Rome chrétienne résident depuis dix-huit siècles la force spirituelle et l'unité intelligente.

Oui, s'il y a dans l'histoire un dessein marqué de la Providence, c'est celui qui devait faire de Rome la souveraine du monde , sa souveraine temporelle pendant quatre siècles, sa souveraine religieuse et morale pendant dix-neuf siècles et au delà. Cette petite tribu, formée d'aventuriers de races diverses, réunie comme par hasard entre 1'Aventin et le Quirinal ; se trouvant douée du plus grand esprit national qui fût au monde ; patriotique, austère, religieuse plus que nul peuple païen ne le fût ; ayant, par Numa et par Pythagore ou par toute autre voie, une lueur de science divine qui ne se trouve point ailleurs, sachant se préserver pendant des siècles du culte impur des idoles ; pourquoi était-elle donc faite, si ce n'est pour être dans l'ordre temporel le pionnier et le préparateur du christianisme , comme Israël, dans un ordre plus élevé, en fut le précurseur et le prophète ? Rome a été marquée au front pour être, non pas tant par la force que par la pensée, la capitale, je ne dirai pas d'une république ou d'un empire, mais du monde[40].

Du reste, cet empire romain, œuvre visible de la main de Dieu, pouvons-nous le mieux connaître que par les paroles mêmes que Dieu a inspirées ?

Alors vint un des sept anges... il me parla et me dit : de te montrerai la condamnation de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux[41].

Et l'ange me transporta en esprit dans le désert : et je vis une femme assise sur une bête couleur d'écarlate, pleine de noms de blasphèmes[42], ayant sept têtes et dix cornes...

La femme était vêtue de pourpre et d'écarlate[43], parée d'or, de pierres précieuses et de perles, et tenait en sa main un vase d'or.

Et ce nom était écrit sur son front : Mystère[44]...

L'ange me dit alors : Quel est le sujet de ta surprise ? de vais te dire le mystère de la femme et de la bête qui la porte et qui a sept têtes et dix cornes...

Les sept têtes sont sept montagnes sur lesquelles la femme est assise[45]...

Et il me dit : Les eaux que tu as vues, où la prostituée est assise, ce sont les peuples, les nations et les langues.

Et la femme que tu as vue est la grande ville qui règne sur les rois de la terre...

Toutes les nations ont été séduites par ses enchantements...

Les marchands de la terre se sont enrichis par l'excès de son luxe.

Elle s'est élevée dans son orgueil et elle s'est plongée dans les délices : car elle a dit en son cœur : Je suis reine[46], je ne suis point veuve et je ne serai point dans le deuil[47].

Et ils se sont écriés :... Quelle ville a jamais égalé cette grande ville ![48]

Mais ce n'est pas assez d'avoir peint la grandeur de Rome. Le prophète nous montre encore cette prostituée assise sur les grandes eaux..., cette grande Babylone, la mère des fornications et de toutes les abominations... qui tient en sa main un vase d'or plein d'abominations et d'impureté... avec laquelle se sont corrompus tous les rois de la terre et enivrés du vin de sa prostitution, qui a fait boire toutes les nations à la même coupe[49], qui a trafiqué avec elles en leur achetant la pourpre, la soie, les pierreries, les bois embaumés, la cinnamone, et jusqu'aux esclaves et aux âmes d'hommes[50].

La richesse, le faste, les voluptés, la corruption de Rome, voilà ce qui nous reste à connaître.

 

 

 



[1] Ans 707-709. Concessions d'Antoine ; droit de cité donné à la Sicile (Cicéron, ad Attic., 12), à des provinces entières (Dion, XLIV. Cicéron, Philipp., II, 36). Liberté et immunité à Tarse et à Laodicée (Appien, de Bell. civ., V. Pline). V., sur tout ceci, Spanheim, Orbis Rom., I, 14.

[2] Suet., in Aug., 47. Dion, LIV, 6, 7, 25. Villes et peuples rendus libres ou confirmés dans leur liberté sous Auguste : les villes de Pamphylie (Dion, LIV), de Lycie (Strabon, XIV) ; quelques villes de Sardaigne (Diodore Sic.), de Crète (Dion, XXXVIII), beaucoup de villes de Gaule et d'Espagne (Dion, LIV), Patras (Pausanias, VII), Cyzique, Rhodes, Aphrodise, Tarse, Samos (V. Eusèbe), Marseille et Nîmes (Strabon), Amisus dans le Pont (Pline), Apollonie d'Épire où Auguste reçut la nouvelle de la mort de César (Nic. Damase., Fr. 101), Leptis minor en Afrique (Pline), Hippone, Thessalonique (V. les médailles), Lampée en Crète (Dion, LXI) ; les Ligures Comati, etc.

[3] Un Alexandre, roi des Arabes (Dion, LI) ; un Antiochus de Commagène (Id., LIV) ; un roi de Cilicie ; un Lycomède, roi d'une partie du Pont ; un Zénodore, tyran de Panias, furent mis à mort ou détrônés après la bataille d'Actium, et Auguste donna leurs États à d'autres. Autres souverains vassaux d'Auguste : — Hérode, en Judée (Josèphe, Ant., XVI, 15) ; son royaume supprimé peu après sa mort. — Obodes, roi des Arabes Nabathéens (régnait jusqu'à Damas. Dion, LI). —Jamblique, roi des Arabes ; — Mède, de la petite Arménie ; — Amyntas, de la Galatie (réuni en 728) ; — Polémon, du Pont et plus tard du Bosphore, mort en 751 ; — Artabaze, d'Arménie (Dion, LIV) ; — Juba, de Numidie et Mauritanie, nommé par Auguste en 723, meurt en 772 (Pline, Hist. nat., V, 1) ; — Cotys et Rhæmétalce, en Thrace (Tacite, Annal., II, 64. Dion, LIV) ; — Archélaüs, roi de Cappadoce ; — un autre Archélaüs, roi de Cilicie ; — Asandre (721-748), puis Sauromate, du Bosphore ; — Antiochus, de Commagène (tous sujets de Rome, ύπήκοοι, dit Strabon, VI) ; — rois d'Ibérie et d'Albanie (Tacite, Annal., IV, 5t ; — ethnarques, tétrarques, dynastes, en Judée, Cilicie et ailleurs (V. Josèphe, Strabon) ; — Cottius, prince des Alpes. (Dion, LX. Pline, ibid., III, 20. Inscr. de l'an 745 ou 746, énonçant les cités qui lui sont soumises. Orelli 626.) — Les peuples de la Colchide, ceux des côtes de l'Euxin, et les peuples au delà du Danube étaient presque à moitié soumis. Strabon, VII. — Les princes d'Édesse (nommés Abgare) et de Palmyre, vassaux plutôt des Parthes que des Romains. Mais les Parthes eux-mêmes reconnurent parfois la suprématie de Rome.

[4] Josèphe, Ant., XVI, 15.

[5] Suet., in Aug., 16, 48, 60. Dion. Eutrope, VII, 10. Tacite les appelle Reges inservientes. (Hist., II, 81.) C'est la vieille coutume du peuple romain, dit-il, d'avoir les rois eux-mêmes pour instruments de servitude. (Agric., 14.)

[6] Suet., 47. Dion, LIV, 25. Spanheim (loc. cit.) dresse la liste des municipes romains existant sous Auguste. Il en compte trente en Espagne, parmi lesquels Ilerda, Italica, Emporiæ (Pline, Hist. nat., III, 3. Tite-Live, XXXIV, 9, et les médailles) ; en Afrique, Utique ; puis d'autres en Gaule, Sicile (ainsi Syracuse. V. Dion), Sardaigne, Illyrie, Istrie. V. Pline.

[7] Additis provinciarum validissimis. (Tacite, Annal., XI, 24.)

[8] Suet., in Aug., 40.

[9] Voir cette division, dans Strabon, XVII. Dion, LII, 20, 23 ; LIII, 12, 14 ; LIV. (An 727). Quelques changements partiels eurent lieu plus tard. J'aurai occasion de les indiquer. V. Suet., in Aug., 47 ; in Claud., 25. Dion, LX.

[10] Suet., in Aug., 49.

[11] Sur le cens dans les provinces, V. Tite-Live, XXIX, 37 ; Suet., in Calig., 8. — En Cilicie, Tacite, Annal., VI, 41. — En Gaule, Claudii oratio, apud Grut. Tacite, Annal., I, 31 ; II, 6 ; XIV, 46. Tite-Live, Ep. 134. Dion, LIII, 23.

[12] V., sur le cens et le cadastre, M. de La Malle, Économie politique des Romains, liv. I, ch. XVI, XVII, XIX.

[13] Ainsi fonds Cornelian, fonds Salvian et beaucoup d'autres : les fundi Roianus et Ceponianus cités dans les inscriptions s'appellent aujourd'hui la Roana et la Cepollora. (M. de La Malle, ibid.)

[14] Omnium civitatum formas et mensuras in commentarios condidit, et legem agrariam per universitatem provinciarum distinxit et declaravit. (Frontinus, de Coloniis.) V. aussi Siculus Flaccus, de Conditione agror., p. 16.

[15] Dans les années 725 et 726 (Dion, LIII. Lapis Ancyr.), 746 (Lapis Ancyr.), 760 (selon Josèphe, Ant., XVII, 15 ; XVIII, 1), 766 (Suet., in Aug., 10. Lapis Ancyr.). Ajoutez le recensement qui eut lieu l'année de la naissance de J.-C., quelques années avant l'ère vulgaire qui répond à l'an de Rome 753. (Luc, II, 1.)

[16] Josèphe, XVII, 24.

[17] Luc, II, 3.

[18] Ex censibus sub Augusto actis genus Christi inquirere potestis... (Tertullien, Adv. Marcion., IV, 19. Eusèbe, Hist. ecclés., I, 5. Saint Justin, Apol., I, 56.)

[19] Suet., in Aug., 47. Dion, LIV, 67.

[20] Pline, Hist. nat., III, 2, 3.

[21] Paterfamilias totius imperii.

[22] Suet., in Aug., cap. ult. Tacite, Annal., I, 11.

[23] Aristides rhetor, de Urbe Roma.

[24] Camulodunum (Colchester) en Bretagne. Tacite, Annal., XII, 32 ; XIV, 31. — Cologne (Colonia Agrippina), an 51. Tacite, Annal., XII, 27. Pline, Hist. nat., I, 57 ; IV, 20, 55, 69. — La ville des Juhons vers l'an 49, prés de Cologne. Tacite, Annal., XIII, 57. — Ptolémaïs (Acé) en Syrie. Pline, Hist. nat., V, 19.— Archélaïs en Cappadoce. Id., VI, 3. — Traducta Julia (Tingi, aujourd'hui Tanger) et Lyxos en Afrique. Id., V, 1. — Sicum en Dalmatie. Id., III, 22.

[25] Ainsi pour Camulodunum. Tacite, loc. cit.

[26] Annal. XIV, 27.

[27] Reges inservientes, dit Tacite, Hist., II, 81.

[28] Josèphe, Antiq., XIX, 7. Il dit encore : Agrippa s'occupa de relever Jérusalem, et il l'aurait rendue si forte que personne n'eût pu la prendre. Mais Marsus en ayant donné avis à l'empereur, celui-ci lui manda de ne pas continuer.

[29] Ainsi Tibère ôte la couronne aux rois de Cappadoce, d'Arménie, de Commagène, etc. (Tacite, Annal., II, 40, 42, 56. Dion, LVII. Josèphe, Ant., X VIII, 5. Strabon, XVI.) — Caligula rétablit les rois destitués par Tibère : Sohème en Arabie, Cotys dans la petite Arménie, Rhæmétalce en Thrace, Polémon dans le Pont, Agrippa en Judée (Josèphe, Ant., XVIII, 8, 9. Dion, LX) ; puis les détrône pour la plupart. — Claude les rétablit une seconde fois, puis ôte le Bosphore à Polémon pour le donner à Mithridate, puis le donne à Cotys, fait roi Cotius, etc. — Néron supprime les royaumes de Polémon et de Cotius. (Dion, LX.) — Rome, dit saint Jean, έχουσα βασιλείαν έπί τών βασιλέων τής γής. (Apoc., XVII, 18.)

[30] Suet., in Tiber., 37. Tacite, Ann., II, 42.

[31] Ainsi la loi du cens (Tabul. Heracl., pars. alt., lin. 64-68), la loi des élections (Id., secund. pars. Cicéron, Fam., VI, 18) devenaient les mêmes pour tous les municipes d'Italie. Les villes perdaient le droit de battre monnaie (V. Eckhel, des monnaies), que quelques-unes avaient encore sous Auguste. Strabon, IV.

[32] Aulu-Gelle, XVI, 13 : Municipes et municipia verba sunt dictu facilia et usu obvia.... Sed profecto aliud est, aliud dicitur : quotus enim fere nostrum est qui, cum ex colonia sit, non se municipem... esse dicat ? etc.

[33] Tibère fut chargé, sous le règne d'Auguste, de visiter les ergastules de l'Italie dans lesquels on renfermait, disait-on, non-seulement des voyageurs arrêtés sur les routes, mais même des hommes à qui ce lieu servait de refuge pour échapper au service militaire. Suet., in Tiber., 8. Un grand nombre d'hommes se coupaient le pouce pour se rendre incapables de servir. (Suet., in Aug.) De là notre mot poltron (pollice trunco).

[34] Sur les affranchis et les esclaves, V. t. I. Sur les provinciaux et les non-Romains, V. Tacite : Inops Italia, imbellis urbana plebes, nihil in legionibus validum nisi quod externum. (Annal., III, 40.) Tibère parle de faire un voyage dans les provinces pour veiller au recrutement de l'armée. (IV, 4.) Levées dans les provinces. (Hist., IV, 14 ; Agricola, 31 ; Annal., XVI, 13.) V. aussi Hist., III, 47, 50. Les soldats légionnaires appelés, par opposition aux prétoriens, miles peregrinus, provincialis, externus. (Hist., II, 21.) Si la Gaule secoue le joug, quelle force demeurera à l'Italie ? N'est-ce pas avec le sang des provinces que Rome a subjugué les provinces ? (Hist., IV, 17.) Enfin, les inscriptions du temps de Vespasien et de Domitien établissent que, dans les guerres civiles qui suivirent la mort de Néron et qui avaient créé tant de soldats, beaucoup d'étrangers avaient été reçus même dans ces cohortes que l'on appelait spécialement cohortes romaines. Gruter, Thesaurus, 571, 573, 574. Herzen, 5430.

[35] Discours de Cerialis aux Trévira et aux Lingons. Tacite, Hist. IV, 74.

[36] Ils ne voudraient pas plus se passer de l'empire, dit le rhéteur Aristide, que ceux qui naviguent ne voudraient se passer de pilote. De Urbe Roma. Voyez, sur cette sympathie et cette reconnaissance envers Rome, les écrivains grecs : On consulte l'oracle sur de moindres affaires, et je l'aime mieux, car il y a une grande paix.... il n'y a plus de guerres civiles ni de séditions, ni usurpations par des tyrans. Plutarque, de Oracul. defectu, 26. Toute guerre a cessé ; les peuples n'ont plus besoin de sages politiques pour conduire leurs cités.... et quant à la liberté, ils en ont autant qu'il plait aux princes qui les gouvernent. Et le plus, à l'aventure, ne serait peut-être pas le meilleur. Id., p. 28. César nous donne une grande paix ; il n'y a plus ni guerres, ni brigandages. En tout temps, à toute heure, on peut aller et venir, voyager, naviguer au couchant et à l'aurore. Épictète, in Arrian., III, 13.

[37] Quelle terre a échappé aux Romains, si ce n'est celle que l'excès de la chaleur ou la rigueur du froid rend inutile au monde ?... Dieu, portant l'empire de nation en nation, est maintenant en Italie, dit Josèphe aux Juifs. De Bello, V, 26 (9, 3).

[38] Ruma, mamelle.

[39] Ρώμη. Ville puissante, ville souveraine, ville louée par la voix de l'Apôtre, donne-nous le sens de ton nom ! Rome est le nom de la force chez les Grecs, de la hauteur chez les Hébreux, dit saint Jérôme, Advers. Jovin., II. Juste-Lipse rappelle à ce propos le mot allemand Ruhm, gloire, et le nom de Rumes donné par les Indiens aux guerriers courageux. De Magn. Imp. Rom., I, 2.

V. aussi l'ode de la poétesse grecque Erinna :

Salut ! ô Rome ! fille de Mars, reine belliqueuse, reine au diadème d'or, toi qui habites sur la terre un magnifique, un indescriptible Olympe !

A toi seule la Parque antique a donné la gloire d'une éternelle puissance, à toi seule le commandement et la royauté suprême.

Sous le frein de tes puissantes rênes s'abaissent et la terre et la mer écumante. Tu es l'inébranlable souveraine des peuples et des cités.

Le temps, ce destructeur de toutes choses, le temps, qui se plan à transformer la vie humaine, de toi seule n'écartera jamais le souffle créateur qui donne le pouvoir.

Car, seule parmi toutes les cités, tu ne cesses d'enfanter une nombreuse race de guerriers puissants, et comme la terre donne ses fruits chaque année, tu donnes chaque année une nouvelle moisson de héros.

[40] Cicéron, d'après Caton l'Ancien, fait encore remarquer que Rome n'a pus été seulement l'œuvre d'un grand homme, mais de plusieurs hommes, non pas seulement d'une époque, mais de plusieurs siècles : Notre patrie, dit-il, a été constituée, non par le génie d'un homme (comme Athènes par Solon et Sparte par Lycurgue), mais de plusieurs, non par le travail d'une seule vie, mais par celui de plusieurs siècles. Nul génie n'eût été assez puissant pour que rien ne se dérobât à sa prévoyance, et même à tous les génies réunis en un seul temps manquerait encore l'expérience et la durée. Scipion, de Republica, II, 1.

V., du reste, sur cette mission providentielle du peuple romain, les Cinq Conférences sur l'ancienne Rome, considérée comme le pionnier de l'Église catholique, par le R. H. Formby. Londres. Burns et Oates, 1875.

[41] Apocalypse, XVII, 1. La Méditerranée. V. tout ce qui suit dans l'Apocalypse, XVII, XVIII.

[42] Divinité des Césars et de Rome. Culte des dieux païens, idolâtrie.

Terrarum Dea gentiumque Roma

Cui par est nihil et nihil secundum.

(MARTIAL, XII, 8.)

Sur les hommages religieux rendus à la divinité de Rome, à la sainteté du sénat, au génie du peuple romain, V. les médailles portant Déesse Rome, — Saint Sénat — Dieu sénat (Θεόν σύγαλητον). — Temple de Rome élevé à Smyrne en 559. Tacite, Annal., IV, 56. — Temples d'Auguste et de Rome à Éphèse, Nicée, Pergame, etc. — Temple du génie de Rome sur le Forum. Dion, XLVII, L, 8, et les itinéraires. Inscriptions : Romæ æternæ, Genio pop. rom., Romæ et Augusto. Orelli 2, 1683, 1684, 1799, 1600, 4018.

[43] Pourpre des consuls et des empereurs.

[44] Les lois mystérieuses de la religion nous interdisent, dit Pline, de révéler le second nom de Rome, et Valerius Soranus, pour avoir prononcé ce nom qu'un salutaire et religieux silence avait fait tomber dans l'oubli, n'a pas tardé à être puni de sa faute. Hist. nat., III, 5. Les Romains n'ont pas voulu laisser divulguer le nom du dieu sous la protection duquel leur ville est placée, ni même le nom latin de leur ville... Le nom de la ville est ignoré même des plus doctes. Macrobe, III, 9. — On prétend néanmoins savoir que le nom mystérieux de Rome était Έρος ou Άντερος, son nom sacerdotal Flora, son nom sabin Quirium. Munter, de Occulto urbis R. nomine.

[45] Septemque una sibi muro circumdedit arces. (VIRGILE.)

[46] Et populum late regem.... (VIRGILE.)

[47] Imperium sine fine dedi....

(VIRGILE.)

Non res Romanæ perituraque regna....

(ID.)

V. ci-dessus l'ode d'Erinna.

[48] Alme sol, posais nihil urbe Roma

Visere majus.

(HORACE.)

Romanos rerum dominos... Roma mundi caput... mundi compendium... lumen gentium. Rome, mère de toutes les villes, demeure des princes. (Denys le Périégète.) Rome métropole, victorieuse. (Monnaies, dans Eckhel, t. IV, p. 271.)

[49] Fornication et abomination, comme on sait, désignent l'idolâtrie, Roma... quæ omnia pudenda confluant celebranturque. Tacite, Annal., XV, 49.

On l'appelle encore l'abrégé de toute superstition. Έπιτομή πάσης δεισελαιμόνιας. Théodoret. — Numinum cunctorum cultrix. Arnobe, VI. (V. plus bas, liv. II, 2.)

[50] V. Tacite, Annal., XVIII, 3, 12, 13. A Délos, grand entrepôt entre l'Europe et l'Asie, on transbordait à une certaine époque plusieurs milliers d'esclaves chaque jour. Strabon. — Par les âmes humaines, on entend les hommes libres réduits en esclavage. V. Grotius et Bossuet sur l'Apocalypse. Ce qui arriva souvent. Cicéron, in Pisone..., in Verr... Strabon, ibid.