LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

 

NÉRON.

 

 

§ IV. — LES PROSCRIPTIONS. - TRIOMPHES DE NÉRON.

Il s'agit maintenant de parcourir aussi vite que possible le reste de la carrière de proscriptions de Néron. Il avait devant lui comme une double cité, une Rome philosophique, antique et sévère, une Rome impériale, voluptueuse et débauchée, toutes deux qu'on pouvait soupçonner de conspirer, l'une par vertu et par ambition, l'autre par peur, par ennui et par débauche. L'une, peut-être, eût voulu relever quelque chose des souvenirs aristocratiques et républicains ; l'autre, séparée de Néron par la diversité des goûts dans le plaisir ou par la seule rivalité du plaisir, n'eût renversé Néron que pour le bonheur d'être Néron. Pour bien connaître ces deux espèces d'hommes, lisez dans Tacite, d'un côté la mort de Pétrone, de l'autre celle d'Antistius et de Pollutia, sa fille. Ici un libertin, un fanfaron de vices, compagnon et délicat arbitre des plaisirs de Néron, meurt en riant, joue avec la mort, fait rouvrir et refermer ses plaies, couler et arrêter son sang, cause avec ses amis, se fait réciter des couplets, donne à ses esclaves de l'argent et des coups, puis s'endort, puis change de lieu pour donner à sa mort, contrainte comme elle l'est, l'apparence d'une mort volontaire, fait briser un vase précieux pour que Néron ne le possède pas, et laisse pour testament l'infâme récit des débauches impériales[1]. Là, au contraire, la veuve de Plautus, qui a vu son mari égorgé sous ses yeux et garde encore la robe tachée de son sang, qui a vécu dans un deuil perpétuel et dans un jeûne presque absolu, tente un effort pour son père accusé ; puis, lorsqu'il n'y a plus d'espérance, elle, son père et la mère de celui-ci, ordonnent aux esclaves de prendre chacun ce qu'il peut emporter et de leur préparer trois lits ; puis ils s'ouvrent les veines avec le même fer, et, s'enveloppant à la hâte de leurs vêtements par respect pour la pudeur, ils se font porter dans le bain : le père et l'aïeule tenant les yeux sur leur fille, elle, les regardant tous deux ; chacun demandant aux dieux un rapide passage pour son âme, afin de laisser vivants encore, quoique prêts à mourir, les êtres qu'il aimait[2].

Mais chez les uns comme chez les autres, en face d'un pouvoir aussi monstrueux, comment n'y aurait-il pas eu des pensées de révolte ? Lisez ce qu'écrivait, dans le secret de sa retraite, le poète Lucain, pauvre échantillon, du reste, de la vertu philosophique ; et voyez quelles idées agitaient bien des âmes romaines : Les derniers d'entre les peuples qui portent le joug, nous avons, nous, le souvenir de la liberté et toute la honte de notre servitude[3]... Les guerres civiles nous ont donné de nouveaux dieux ; elles ont remis la foudre à des mains mortelles, couronné d'étoiles et de rayons les têtes humaines. — Nous voyons encore dans les médailles les têtes des empereurs déifiés, entourées de rayons et d'étoiles. — Rome dans ses temples jure par de vaines ombres[4]... Les peuples ne savent donc pas combien c'est un facile courage d'échapper par la mort à la servitude. L'épée sert aux tyrans pour se faire craindre, et la liberté, opprimée par les armes, ne sait pas que l'épée nous fut donnée afin qu'il n'y ait pas d'esclaves[5].

Le complot de Pison (an 65) mit d'abord en avant la Rome impériale : complot mi-parti de caserne et de palais, où figuraient d'abord des centurions mécontents de Néron, empereur peu guerrier ; puis aussi des hommes de l'espèce de Néron, mais qui seulement heurtaient leurs vices aux siens et se moquaient de son mauvais goût, gens trop délicats en fait de volupté pour la prendre selon le goût d'autrui et la recevoir sous peine de mort : — un Scévinus, qui se vengeait d'une satire de Néron ; — un Sénécion, encore son ami intime et le compagnon de ses folies ; — Lucain, à cause de ses vers, que Néron, par jalousie d'auteur, ne lui permettait plus de lire ; — un complice de la mort d'Agrippine, qui ne se trouvait pas assez récompensé ; — enfin la courtisane Épicharis, qui se montra plus courageuse que tous ces hommes. — Mais ce qui faisait dominer le côté frivole et libertin du complot, c'était le choix pour l'empire de Calpurnius Piso, homme de grande famille, de mœurs indulgentes, et qui dans sa maison de Baies donnait l'hospitalité aux ébattements impériaux, mais que de sourdes dénonciations poussaient à la crainte, et que la crainte poussait à risquer tout.

Il y eut un moment étrange. Figurez-vous la conspiration découverte et non saisie, ici captive et torturée, là encore vivante ; ce corps tronqué se remuant toujours, malgré le pied de Néron qui l'écrase ; le palais gardé, les rues investies, la campagne battue par des éclaireurs, Rome sillonnée de patrouilles ; Pison libre encore, Pison que l'on presse d'aller au camp et d'appeler à lui les soldats, d'aller à la tribune et d'appeler le peuple ; Néron plein d'épouvante, renfermé dans la villa de Servilius, forteresse pour lui, prison et lieu de torture pour les accusés. Les passions égoïstes qui s'étaient réunies dans ce complot ont crié : Sauve qui peut ! Une partie de la conjuration est prisonnière et enchaînée aux pieds de César ; l'autre est libre et en armes auprès de lui ; elle fait la loyale, la fière, la rigoureuse ; elle interroge, accuse, menace, conduit au supplice, et néanmoins conspire toujours. Les complices encore inconnus deviennent des bourreaux ; les complices arrêtés, des dénonciateurs. Natalis dénonce Sénèque, innocent peut-être ; Scévinus dénonce Lucain ; Quinctianus, Sénécion ; Sénécion et Quinctianus, leurs meilleurs amis ; Lucain, sa mère. Un centurion conjuré mène au supplice Plautius Lateranus, qui, seul généreux, ne le trahit pas ; un autre conjuré, chargé par Néron d'aller tuer Sénèque, consulte Fénius Rufus, conjuré lui-même, qui lui dit d'obéir. Enfin, Néron, interrogeant les coupables, est, sans le savoir, entre deux conjurés : Flavius, centurion, et Fénius Rufus, préfet du prétoire. Flavius a déjà la main sur la garde de son épée pour tuer César ; le timide Fénius l'arrête : l'empire du monde tint à cela.

Ces conjurés eurent diverses façons de mourir : Pison mourut en flattant César dans son testament, pour conserver son bien à une femme qu'il aimait ; Lucain en récitant et corrigeant ses vers ; Sénèque avec une fermeté un peu théâtrale ; les centurions avec courage. L'un d'eux, à qui Néron demande pourquoi il a conspiré : Après toutes tes infamies, dit-il, c'était le meilleur service à te rendre. D'autres, absous par Néron, se tuèrent.

La vengeance dépassa bientôt le cercle de la conspiration. Néron siégeait en conseil entre Tigellin et Poppée, condamnant comme juge quand il y avait un accusateur, donnant ses ordres comme empereur quand il n'y en avait pas[6]. Quelques-uns furent condamnés à l'exil, qui ne savaient même pas être accusés[7]. Le consul Vestinus est ami personnel de Néron ; il n'a aucun lien avec les conjurés et rien ne semble devoir appeler l'orage sur sa tète. Il a rempli les devoirs ordinaires de sa charge, il soupe avec ses amis, quand tout à coup on vient lui dire qu'un tribun l'appelle. Il passe dans la salle voisine, et là on l'engage de la part de l'empereur à se faire ouvrir les veines et à se faire mettre dans un bain, ce qu'il exécute sans mot dire. Aussi pourquoi a-t-il épousé une Statilia Messalina, qui fut pendant quelque temps la maîtresse et qui sera la femme de Néron[8] ? Être parent d'un proscrit, l'avoir salué, l'avoir rencontré, était un crime ; les enfants des proscrits étaient chassés de Rome, empoisonnés, tués par la faim, égorgés avec leurs précepteurs et leurs esclaves. Rome était encombrée de funérailles, le Capitole de victimes immolées aux dieux. Ceux à qui on avait tué un père, un frère, un ami, mettaient des lauriers sur leurs portes, étaient aux genoux de Néron, baisaient sa main clémente. En cette occasion le sénat le fit dieu.

Ce devait être le tour de la philosophie. Quoique elle se fût tenue à l'écart dans le complot, quoique Lateranus, noble jeune homme, l'eût seul représentée[9] ; si en arrière qu'elle fût, elle n'était pas hors de l'atteinte de Néron. Sénèque avait péri ; le manteau du stoïcien fut proscrit, la philosophie partit en masse pour l'exil (an 66)[10] : ainsi fut banni Cornutus, le maitre de Perse ; ainsi le semi-fabuleux Apollonius ; ainsi Musonius Rufus, un des héros du stoïcisme, presque déifié dans le siècle suivant, et qu'un Père de l'Église compte parmi les hommes que Satan a persécutés, quoique païens, par haine de leur vertu[11]. Comme on avait accusé les chrétiens de sortilèges, on accusait les philosophes de magie. Une lutte commençait entre le stoïcisme et les Césars, qui devint le fait dominant de la génération suivante, jusqu'à ce que le stoïcisme, plusieurs fois exilé, revint définitivement au pied de la chaise curule impériale, et finit par y monter.

L'orage alla bientôt gronder sur d'autres têtes. Ce vieux Romain Cassius, dont j'ai déjà parlé, un jeune Silanus, son élève, furent menacés à leur tour. Cassius avait une grande et antique fortune ; Silanus était noble et parent des Césars ; c'étaient deux soutiens du parti stoïcien. On avait déjà pensé à Silanus pour l'empire ; avec Rubellius Plautus, Pison et Sénèque, c'était le quatrième prétendant, volontaire ou involontaire, que l'inquiète et impuissante faveur des Romains avait désigné aux vengeances de Néron[12]. Néron donna le mot d'ordre aux délateurs en interdisant à Cassius d'assister aux funérailles de Poppée. Cassius, aveugle et vieux, fut exilé[13]. Silanus ne fut lui-même condamné qu'à l'exil ; mais, comme il était parent des Césars, Néron pouvait disposer de lui ; on l'enferma dans une ville d'Italie où un centurion vint le tuer[14].

La philosophie pourtant n'était pas encore vaincue. Thraséa restait debout : Thraséa, ne paraissant plus au sénat, ne venant plus prêter serment à l'empereur, quittant la curie lorsqu'il, s'agissait de déifier Poppée que Néron venait de tuer d'un coup de pied[15] (65) ; n'ayant jamais fait de sacrifice pour la voix divine de César ; contempteur de toute religion puisqu'il n'adorait pas Néron ; Thraséa, admirateur et panégyriste de Caton, était en perpétuelle protestation contre le pouvoir. Des sectateurs, des satellites, disait-on, imitaient sa démarche grave, son visage sévère, la hauteur de ses paroles ; la vertu était décidément en révolte. Enfin, disait-on à Néron, c'était un parti, une faction, c'allait être une guerre.

Néron même ne se décida qu'avec crainte à faire accuser Thraséa (an 67). Ce jour-là, l'élite des délateurs, à qui l'espérance d'une belle proie faisait braver le danger, s'était donné rendez-vous. Le sénat était entouré d'hommes armés ; des soldats en toge, mais qui ne cachaient pas leurs armes, menaçaient les sénateurs sur le Forum. Néron n'osa pas venir et fit lire une harangue en son nom. Le langage des accusateurs fut menaçant même pour les juges ; en un mot, ce ne fut pas cette tristesse, facile à reconnaître, que la fréquence de pareilles luttes avait rendue habituelle : ce fut, dans cette assemblée, une terreur nouvelle et plus profonde.

Laissez-moi, pour me reposer sur quelque chose d'humain, quoique lugubre encore, rappeler ce que nous avons tous lu dans Tacite, le seul épisode de ce procès que je veuille citer :

Servilie, fille de Soranus qu'on accusait avec Thraséa, à la vue du danger de son père, s'était adressée aux devins, ressource fréquente de la superstition publique. On fit de cette démarche un crime à Soranus ; pourtant ce qu'elle avait demandé aux devins, c'était uniquement si son père vivrait, si Néron s'adoucirait, si la sentence du sénat pourrait être favorable. On l'appelle, et, devant le tribunal des consuls, parurent d'un côté ce père avancé en âge, de l'autre cette fille qui n'avait pas vingt ans, dont le mari venait d'être exilé, réduite à la solitude et au veuvage, n'osant même lever les yeux sur son père, dont elle se reprochait d'avoir accru les dangers. Quand l'accusateur lui demanda si elle n'avait pas vendu ses parures de mariage et le collier même qu'elle portait, pour employer l'argent à des cérémonies mystérieuses, elle, d'abord prosternée à terre, resta longtemps dans le silence et dans les pleurs ; puis, embrassant les autels : Je n'ai invoqué, dit-elle, aucun des dieux de l'enfer[16] ; je n'ai fait aucune imprécation ; tout ce que j'ai demandé, dans mes tristes prières, c'est que ta volonté, ô César, et votre sentence, pères conscrits, me conservât un père bien-aimé. J'ai donné pour cela mes parures, mes plus riches étoffes, tous les ornements de mon ancienne fortune, de même que, si on me l'eut demandé, j'eusse a donné mon sang et ma vie. Qu'ils vous expliquent ce qu'ils sont et quel est leur métier, ces hommes que je a n'avais jamais vus auparavant. Pour moi, je n'ai nommé le prince que parmi les dieux ; et même mon malheureux père ne l'a point su ; si c'est un crime, je suis seule coupable. Soranus l'arrête comme elle parlait encore, s'écrie qu'étrangère aux reproches qu'on fait à son père, et aux accusations qui ont fait condamner son mari, elle n'est coupable que de trop de tendresse et de filiale piété. Quel que doive être son propre sort, il demande que sa cause et celle de sa fille ne soient pas confondues. Il courut alors dans les bras de sa fille qui s'avançait vers lui, quand les licteurs se mirent entre deux et les séparèrent.

Avec Thraséa fut condamnée l'élite de son parti : à la mort, la malheureuse Servilie et Soranus, ami de Thraséa, qu'un délateur avait particulièrement réclamé comme son accusé ; à l'exil, Helvidius, gendre de Thraséa, et Paconius. Ce dernier attendait en paix sa sentence : — On te juge au sénat, lui dit-on. — Bonne chance, répondit-il ; mais voici la cinquième heure, allons aux exercices. L'exercice fini, on lui annonce qu'il est condamné : — A l'exil ou à la mort ?A l'exil. — Et mes biens ?On te les laisse. — Allons dîner à Aricie[17]. — La journée des délateurs fut belle : deux d'entre eux eurent 5 millions de sesterces (1.270.000 francs) de récompense, l'autre 1.200.000 et des honneurs[18].

Le stoïcisme avait ses traîtres : Soranus fut condamné sur la déposition d'un Égnatius, stoïcien hypocrite acheté par Néron. Il avait ses amis ardents : un témoin parla si fortement en faveur des accusés qu'il fut puni par la confiscation et par l'exil ; le jeune Rusticus, qui fut plus tard martyr de sa croyance, fut à peine détourné par Thraséa d'user en sa faveur des prérogatives oubliées du tribunat. Ni ce courage, ni cet esprit d'association ne s'étaient vus sous Tibère. Cependant Thraséa, prêt à mourir, désespérant de l'avenir de sa cause, dit à Rusticus : Ma vie est finie, je n'abandonnerai pas la ligne que j'ai toujours suivie ; toi, tu commences ta carrière, ton avenir n'est pas engagé ; réfléchis bien avant de décider, en un temps comme celui-ci, quelle route tu suivras.

Ainsi, la famille impériale avait été noyée dans le sang, le christianisme était oublié dans les Catacombes, la Rome nouvelle avait été vaincue avec Pison, la Rome stoïcienne avec Thraséa ; et, depuis que Néron avait retrouvé sous ses pieds le fond solide de la Rome impériale, le sol foulé par Tibère et Caïus, toute son intimité le poussait sans fatigue et sans relâche dans cette voie roulante de la proscription.

C'est ici peut-être l'occasion de nous arrêter un moment, et de considérer ce qu'était devenue cette politique impériale dont j'ai fait voir les fondements jetés par Tibère. Depuis cette époque, le monde avait marché. Avec la même soif d'argent et de vengeance, il y avait plus de passions à assouvir, plus de rancunes et de prétentions subalternes que Tibère aurait dominées et qui dominaient son successeur. Un Tigellin et une Poppée exerçaient chacun pour son compte ce droit de mort, que Séjan avait payé si cher.

Répéterai-je d'ailleurs ce que j'ai déjà dit de la folie des dépenses impériales et de la pauvreté du trésor quand les délations ne le remplissaient pas ? Tibère, ce vieil avare, aurait bien pu, lui, se passer des délateurs ; le magnifique Néron, qu'aurait-il pu faire sans eux ? Tibère, sombre, défiant et jaloux, se souciait assez peu de plaire au peuple de Rome ; Néron, fantasque, prodigue, voluptueux, avait le caprice de bien traiter son peuple et lui faisait la cour. Il fallait bien que, de part ou d'autre, des sources nouvelles vinssent enfler le modeste budget de l'empire ou le budget du prince — car, distincts par la loi, le budget de l'État (ærarium) et la liste civile (fiscus) se confondaient par le fait[19] —. Il fallait bien que les ressorts de la tyrannie fussent autrement tendus que sous Tibère ; qu'on allât plus droit au fait ; que, plus pressé d'en finir, on supprimât ces longs emprisonnements que Tibère aimait, et ces solennelles assises du sénat par lesquelles il faisait passer ses victimes.

Mais ce n'était pas non plus l'aveugle tyrannie de Caïus : celle de Néron, plus intelligente, savait choisir. Il fallait un titre pour être distingué par elle : un nom illustre, une grande fortune, un peu de gloire militaire surtout et quelque popularité auprès des soldats — Néron ne craignait rien autant que son armée[20] — ; quelques restes d'habitudes romaines ; quelques velléités de stoïcisme. Un Sylla pauvre était accusé et proscrit ; un affranchi opulent était empoisonné. Pallas mourait parce qu'il était trop riche et vivait trop vieux[21] ; Torquatus, petit-fils d'Auguste, parce qu'il se ruinait et que, pour sortir d'affaire, il devait nécessairement conspirer[22]. Un Crassus, riche et noble, avait un double droit à l'attention des délateurs[23]. De tels hommes étaient gens à distinguer.

Avait-on approché la personne de César ? tenait-on par quelque lien à sa famille ou à son palais ? Alors le danger était grand. Il n'est pas un lien de parenté, dit Suétone, que Néron n'ait violé par quelque crime[24]. Son père et son frère adoptifs, sa mère et ses deux femmes, Antonia sa parente et sa sœur d'adoption, Sénèque et Burrhus ses deux précepteurs : voilà des victimes que j'ai déjà nommées. Un Aulus Plautius, parent des Césars, et que Néron soupçonnait d'être l'amant et le complice d'Agrippine, périt avec des circonstances qui font horreur[25]. Un fils du premier mariage de Poppée, par conséquent beau-fils de Néron, Rufius Crispinus, jeune enfant qui, dans ses jeux, disait-on, faisait le général et le monarque, éveilla les inquiétudes de son beau-père, et Néron ordonna à ses esclaves de le pousser à la mer, pendant qu'il s'amusait à pêcher. Le frère de lait de Néron, Cécina Tuscus, l'inquiéta aussi, par l'audace qu'il avait eue de se baigner dans des bains destinés au seul César ; mais il en fut quitte pour l'exil.

Étiez-vous même affranchi de César ? Le poste était glissant : vous étiez un trop digne et trop important personnage. Le crédit et la fortune étaient descendus d'un degré ; les simples esclaves avaient l'oreille de l'empereur, et les affranchis périssaient.

Mais n'était-on ni affranchi, ni patricien, ni trop riche, ni trop illustre, ni trop actif et trop important, ni trop proche et trop redouté de César ? On avait des chances pour échapper[26]. Il y eut même un consulaire illustre, qui, à force de s'effacer, parvint à vivre[27]. Néron ne faisait rien d'absolument inutile, il ne proscrivait pas sans quelque suspicion ; il y eut des proscrits de médiocre importance qu'il se contenta d'exiler. Sa tyrannie était plus raisonnée que celle de Caïus.

Elle était aussi plus large et moins minutieusement légale que celle de Tibère. J'ai déjà montré que tout le despotisme des empereurs reposait sur des traditions républicaines. Il n'était pas une des libertés de l'ancienne Rome dont Tibère n'eût fait un instrument de servitude. Ainsi, l'accusation populaire, le point d'honneur, et, comme dit Tacite, la gloire des inimitiés ; ainsi, les honneurs rendus à l'accusation, les récompenses qu'on lui décernait, toutes ces habitudes républicaines, maniées habilement et transformées par Tibère en habitudes monarchiques, avaient enfanté les délateurs, l'espionnage universel, l'accusation sournoise et cachée, souillée en secret par le prince, soutenue en public par le délateur, payée par la loi, en un mot, cette rage d'accuser qui épuisa Rome bien plus qu'une guerre civile[28]. Tant les institutions humaines sont par elles-mêmes peu de chose ; tant elles font peu ce qu'elles veulent faire ; tant il est vrai que la loi peut s'assouplir et se prêter à tout quand la conscience ne la force pas à se roidir !

Seulement Néron interprétait le droit républicain plus libéralement que son grand-oncle ; il avait de plus habiles procureurs. Il savait franchir certaines rubriques de palais (comme disait en son temps Robespierre), certaines vétilles légales qui eussent arrêté Tibère. Toute parole, tout fait dénoncé constituait un crime de lèse-majesté[29].

La victime était-elle considérable ? craignait-on un peu de sympathie pour elle ? On avait la délation et le sénat, toutes les formes solennelles de la procédure. Le sénat, d'après les institutions républicaines traduites en monarchie par Auguste, tenait lieu du peuple et jugeait les crimes politiques. César se cachait dans l'ombre, se taisait, ne venait pas même à la séance, couvert par les délateurs et par la loi.

La victime, au contraire, était-elle moins à redouter ? l'urgence était-elle plus grande ? Il n'était pas besoin de délateur, ou bien le délateur allait directement à César et César usait de son droit. César, à titre d'imperator, chef suprême de l'armée, avait puissance de vie et de mort sur tous les citoyens comme soldats ; sur tous les étrangers (hostes) comme ennemis ; sur les chevaliers, qui n'étaient, en principe, que la cavalerie romaine ; sur ses affranchis, qui n'étaient que ses serviteurs et les commensaux de sa tente. Quant à la famille impériale, l'empereur était père de famille ; il pouvait, selon les Douze-Tables, juger et condamner ; Caligula, à l'époque où se fondait cette jurisprudence. adopta le jeune Tibère[30] uniquement pour être en droit de le faire mourir. Quant aux sénateurs, ils devaient tant à César ! ils pouvaient bien souffrir une légère extension de sa puissance. Ces prérogatives de la justice personnelle du prince avaient été établies par Auguste ; Tibère les avait exercées dans ses assises de Caprée ; un mot de Caïus donnait la mort ; Claude, qui, dans sa fureur de juger, attirait tout à lui, se faisait le seul magistrat, et faisait sa volonté la seule loi du monde[31], Claude, qui jugeait et condamnait jusque dans sa chambre à coucher, avait rendu irréfragable cette règle de la justice domestique de César. L'empereur pouvait donc au besoin se cacher ou se faire voir, ne se fier qu'à lui-même ou prendre le sénat comme instrument, le délateur comme bouclier.

Ce métier de bouclier de César était, du reste, un chanceux métier. Selon la loi républicaine, nul n'avait charge d'accuser, tous en avaient le droit ; et pour que les crimes ne restassent pas trop souvent impunis, il avait fallu intéresser l'accusation. La loi adoptait donc l'accusateur ; elle le choisissait même par la voix du juge, lorsque plusieurs se présentaient à la fois[32] ; elle promettait des récompenses à son dévouement[33] : mais aussi elle l'en rendait responsable jusqu'au bout. Elle le tenait pour bon citoyen ; mais elle le tenait aussi pour son ministre, obligé d'accomplir sa tâche et de poursuivre son accusé jusqu'à la sentence. Dès que l'accusateur avait souscrit la demande (subscriptio) par laquelle il déférait au juge le nom de l'acmé (nomen deferre)[34], la loi veillait sur lui et le tenait sous sa main ; elle lui faisait jurer la vérité de son accusation ; elle exigeait qu'il donnât caution de sa persévérance. S'attendrir, avoir pitié, pardonner, ne pas mener à fin sa colère, c'étaient des faiblesses qui n'étaient pas souffertes[35]. N'avons-nous pas vu Tibère faire ramener de Ravenne un accusateur qui désertait sa cause ? out au plus, en certains cas, du consentement de l'accusé, l'accusateur pouvait-il obtenir du juge la radiation des poursuites[36]. Ce n'est pas assez, la loi épiait ses démarches ; elle soupçonnait une trahison occulte, elle craignait une prévarication[37] (c'était le mot de la langue légale), un secret abandon de la cause qu'il soutenait en public : ni tout haut ni tout bas, il ne pouvait se repentir. Il fallait que la sentence intervint ; que le juge prononçât, qu'il y eût un coupable ou un calomniateur ; car la calomnie, à son tour, était punie comme la prévarication. Tel était le droit de la république, revu et fortifié par les Césars[38].

Comprenez dès lors que la situation du délateur était glissante. Aussi n'était-ce pas toujours par un libre choix qu'on devenait délateur ; c'était une charge qu'imposait César, et l'on accusait souvent pour sauver sa tête[39] Souvent aussi les accusations étaient réciproques ; on accusait pour se défendre, et le plus puissant des deux avait raison du plus faible[40]. — Comprenez que la fortune du délateur, comme toute fortune du reste, était sans cesse en péril. Presque toujours obscur et pauvre à son début[41], souvent une première fois condamné et avec peine rentré en grâce, il grandit d'autant plus vite, qu'en fait d'honneur il n'a rien à perdre ; il compte ses victoires, il fait trophée de tel sénateur réduit au suicide, de telle fille des Césars dont il a fait verser le sang, de tel consulaire poussé à la guerre civile. Il parle au sénat, et le sénat le redoute[42] ; le sénat en lui livrant sa victime le récompense de l'avoir demandée ; une éclatante accusation lui vaut 1.000.000 ou 1.500.000 sesterces[43]. Si la victime était belle, la confiscation opulente, l'accusation dangereuse, il comptera par cinq ou six millions[44]. J'ai cité deux fortunes de délateurs qui s'élevèrent jusqu'à 300 millions de sesterces[45]. La fortune ne lui suffit pas : prétures, sacerdoces, places d'honneur au théâtre, quelle récompense le sénat peut-il refuser, tremblant encore devant la sentence qu'il vient de rendre, et devant l'accusateur qu'il couronne[46] ? Les clients encombrent sa porte ; ses esclaves, arrogants et durs, repoussent durement la foule[47] ; les rois et les villes lui demandent son amitié ; un cortège de courtisans effrayés le suit partout ; le monde entier répète son nom[48].

Mais parfois le vent change, le sénat s'enhardit. Ce perpétuel accusateur est accusé à son tour : les vengeances se réunissent, l'es amers souvenirs pleuvent sur lui. Avec cette atroce éloquence dont il a donné des leçons, on lui jette à la face le nom de ses victimes ; toutes les familles qu'il a décimées se lèvent et lui redemandent les tètes sanglantes de leurs parents. Rappelez-vous ces énergiques et sanguinaires invectives qui, après le 9 thermidor, tombaient sur les terroristes : vous retrouvez dans Tacite le même style et le même langage ; c'était sans cesse et tout à la fois un 31 mai et un 9 thermidor. César qui poussa le délateur, César dont l'humeur est inégale, l'oublie ou l'abandonne ; ou bien encore, César est mort, et son successeur s'inquiète peu de soutenir l'homme qui a servi d'instrument à son père. — Mais Claude m'a contraint, crie ce malheureux ; je n'ai fait qu'obéir à mon prince. — J'ai lu, dit froidement Néron, j'ai lu dans les mémoires de Claude mon père, que jamais il n'a forcé personne à devenir accusateur. — Messaline l'a voulu, s'écrie alors l'accusé, qui n'ose démentir ni le César vivant, ni le César mort. — Messaline ! lui dit-on, oses-tu donc t'avouer l'instrument des vengeances de cette prostituée ? Complice du crime, tu en goûtes les fruits, et tu veux en rejeter la honte sur une autre. Le sénat prononce le bannissement, la confiscation, sinon la mort ; et ces grandes existences se sont presque toutes achevées dans l'exil[49].

Et quelques années plus tard, sous le règne d'un prince modéré, sous Vespasien, Tacite nous montre un poète comparant sa vie modeste et paisible à la vie agitée des orateurs : Tu me nommes, dit-il à son interlocuteur, Crispus et Marcellus : qu'y a-t-il donc de si désirable dans leur fortune ? Est-ce la crainte qu'ils inspirent ou celle qu'ils ressentent ? Faut-il les envier, parce que, sollicités chaque jour, ils offensent ceux mêmes dont ils servent les désirs ? parce que, engagés dans les nœuds d'une vie de courtisan, jamais le prince ne les trouve assez serviles, le peuple jamais assez indépendants ? Leur grande puissance, qu'est-ce donc ? Le crédit d'un affranchi vaut le leur. Quant à moi, puissent les douces Muses, comme dit Virgile, me conduire dans leur sanctuaire et à leurs sacrées fontaines, loin de ces inquiétudes, de ces soucis, de cette nécessité de faire chaque jour quelque chose contre ma conscience ! Que le Forum désormais, avec sa folie et ses périls, que cette renommée, toujours pâle d'épouvante, ne me fasse plus éprouver ses angoisses ! Que jamais, ni le bruit des solliciteurs à ma porte, ni les paroles d'un affranchi haletant, ne hâtent mon réveil ! Que je n'aie jamais besoin, pour veiller aux chances de l'avenir, de faire de mon testament un gage de sûreté pour ma tête ! Que jamais je n'aie trop de fortune pour pouvoir la laisser à qui je voudrai, lorsque viendra le jour que les dieux ont fixé pour moi ! Que je descende au tombeau, non pas hideux et flétri, mais souriant et couronné de fleurs, sans qu'il soit besoin pour les derniers devoirs à me rendre, ou de consulter le sénat, ou d'implorer la pitié du prince ![50]

Voilà pour les délateurs et la justice solennelle. Quant à la justice domestique, sa marche était simple. Caligula cause avec Canius, disciple des philosophes qui ose ne pas être de son avis. A la fin de l'entretien : Pour que tu ne te fasses pas illusion, lui dit-il, j'ai donné ordre qu'on te menât au supplice (duci te jussi). — Grâces te soient rendues, excellent prince ! — Et le philosophe rentre chez lui, reste libre et tranquille une dizaine de jours ; puis, comme il faisait une partie d'échecs, un centurion, menant après lui une bande de condamnés, s'arrête devant sa porte et l'appelle. Canins se lève, prend le centurion à témoin qu'il a gagné la partie, se joint au funèbre cortège, et va, suivi de ses amis, causant avec eux, jusqu'au lieu où s'exécutent les arrêts de la justice de César[51].

Sous Néron plus promptement encore, l'épée ou le poison alla droit au but. Un avertissement donné par le tribun, une heure de répit et le choix de la mort, étaient les formalités ordinaires. Rome et César s'accordaient pour aimer cette liberté du suicide ; c'était une politesse de l'empereur pour le condamné, une façon d'être particulièrement miséricordieux. C'était surtout un privilège de la famille impériale : lorsque Caligula fit mourir son cousin le jeune Tibère, il défendit qu'on touchât à cette personne sacrée ; il fallut que le centurion, à qui ce jeune homme tendait la tête, l'aidât à placer la pointe de l'épée sur sa poitrine, et lui enseignât comment on devait s'y prendre pour bien se tuer[52].

Si le condamné était paresseux à mourir, Néron envoyait ses chirurgiens traiter le malade[53]. Mais, au reste, César en général était ponctuellement obéi, et l'on se gardait bien de vivre quand il vous ordonnait de mourir. Souvent même on l'entendait à demi-mot ; une disgrâce était comprise comme un ordre de mort, et l'ordre s'exécutait[54]. On avait renoncé au suicide par la faim, qui servait à gagner du temps et laissait des chances ; c'était bon quand on espérait quelque chose du lendemain : mais la justice de Néron ne se fût pas accommodée de cette lenteur. On adopta comme la mort la plus douce le bain chaud et le coup de lancette dans les veines ; ce fut le suicide à la mode.

Je me sers du terme de mode en un si horrible sujet et ce n'est pas sans un motif. Il est vrai, pour quelques disciples des philosophes, pour ceux qui croyaient à l'avenir de leur cause, la mort pouvait être un sacrifice destiné à fructifier au profit de la génération suivante. Le parti qui avait eu son chef en Rubellius Plautus, son représentant au palais en la personne de Sénèque, son modèle en Thraséa, en eux tous, ses martyrs ; ce parti, qui devait lutter trente ans encore contre l'esprit impérial, pouvait avoir quelque prétention à ne pas mourir inutilement. Aussi, quand la sentence était prononcée, quand il ne s'agissait plus que de prévenir l'épée du centurion par une mort qu'on croyait plus libre, la fin de ces hommes était austère et solennelle. Ils mouraient en causant avec le philosophe Démétrius de la nature immortelle des âmes, et de l'opinion des sages sur la séparation entre le corps et l'intelligence[55]. Sénèque et Thraséa faisaient une libation de leur sang à Jupiter libérateur[56]. Canius Julius allait au supplice, son philosophe à ses côtés : Vous me demandez, disait-il à ses amis, si l'âme est immortelle. Je vais le savoir, et, si je le puis, je reviendrai vous le dire[57].

Mais pour tous les autres, qu'était-ce que le suicide ? Bien que Néron le conseillât par clémence et qu'on le pratiquât par habitude, il n'était même plus utile. Les jurisconsultes de la couronne avaient trouvé un remède légal à cette facilité ancienne d'assurer, par une mort volontaire, son héritage à ses enfants : le proscrit qui se tuait était évidemment ingrat envers Néron, et l'ingratitude envers le prince était un infaillible moyen de nullité contre le testament[58]. Le suicide était donc seulement affaire de bienséance et de point d'honneur : on tenait à périr de sa main plutôt que de celle d'autrui. Silanus, allié de la famille impériale, se débat sous le glaive du centurion, lutte seul et nu contre les soldats armés, pour ne pas renoncer à son privilège et ne pas laisser à un meurtrier vulgaire la gloire de lui donner la mort[59]. Lucain, que je citais tout à l'heure, et que l'on peut appeler le poète du suicide, après avoir déploré que ces grands exemples de mort volontaire n'aient pas instruit la lâcheté des nations, arrive ensuite, en homme qui ne sait ce qu'il veut, à souhaiter que la mort soit refusée aux lâches et que le suicide soit un privilège du courage[60]. Ce déclamateur républicain n'a autre chose au cœur que cette vanité triste et impie qui s'attachait à la mort volontaire.

Il ne faut pas se faire illusion sur le prétendu courage des suicides romains. Ces hommes si jaloux des droits du bourreau, si empressés de mettre à profit la clémence impériale qui leur permettait le choix de la mort, ces hommes presque toujours n'avaient cessé de trembler durant leur vie ; ils avaient, comme je ne sais quel consul, baisé les pieds de César ; ils avaient, comme un Vitellius, sol licité l'insigne honneur d'ôter les pantoufles de Messaline ; ils avaient caressé les affranchis ; ils avaient été les courtisans et les infâmes courtisans d'un délateur ; ils avaient dénoncé leurs complices, ou, comme Lucain, accusé leur mère ; ils n'avaient reculé devant aucune bassesse ni aucune turpitude, tant qu'ils avaient eu l'espérance de vivre. Mais le moment fatal une fois arrivé, la mort une fois inévitable, ils prenaient leur parti de la mort, ils préféraient un coup de canif dans l'artère à un coup d'épée sur la nuque : voilà tout. Leur courage était de suivre la mode.

Il y a plus : cet effort de courage ne dépouillait pas même leurs derniers moments de toute servitude. Si le proscrit laissait après lui un enfant qu'il aimait, s'il voulait qu'une faible part de son bien restât dans sa famille, il fallait en faire une large à Néron et à Tigellin[61] ; c'est ce qu'on appelait pourvoir à l'avenir de ses enfants[62]. Les legs ne suffisaient pas, il fallait la flatterie ! Les testaments de proscrits étaient remplis de misérables éloges de leurs bourreaux, et à l'heure même de la mort, les malheureux n'échappaient pas à la servilité universelle !

Il fallait la flatterie : il fallait encore la délation ; il fallait que des dénonciations posthumes allassent marquer une nouvelle proie à la colère toujours renaissante de Néron[63]. N'y en eût-il pas eu, Tigellin, armé du cachet des victimes et maitre de leurs papiers, aurait bien su en trouver. Ainsi les morts tremblaient, priaient, flattaient, dénonçaient, comme avaient fait les vivants. Regardez cela, et comprenez quels beaux résultats produisait pour la liberté et la dignité du genre humain cette accoutumance du suicide ; comprenez aussi ce que c'est que l'habileté de la civilisation combinée avec toute la férocité de l'état barbare, et où nous en serions, si un certain événement fortuit n'est dérangé la marche naturelle et progressive du monde dans cette voie de lumières sans vertu !

Ainsi allait le monde sous le clément empire de Néron. Depuis le jour où le stoïcisme, cet opposant unique, ce seul parti constitué dans l'empire, cette seule exception à l'esprit de dissociation introduit par Tibère, avait succombé dans la personne de Thraséa (an 66) ; depuis que, silencieux et exilé, il semblait perdu pour jamais, il ne devait plus y avoir que triomphes pour Néron. Thraséa n'était pas mort, que, des portes du sénat où elle avait attendu la sentence, la foule courait aux portes de la ville pour y recevoir le roi d'Arménie, venant rendre hommage à l'universelle suzeraineté de César. Le frère du roi des Parthes, Tiridate, à la honte des armées romaines, avait chassé d'Arménie le prince vassal de Néron, et Néron laissait Tiridate en paix, dans l'espérance d'une belle fête. En effet, à force de négociations et de prières, grâce aussi à la crainte qu'inspirait Corbulon, général des armées romaines, Tiridate se décida à reconnaître la suzeraineté de Rome, à déposer son diadème au pied de la statue de Néron, en s'obligeant à venir le reprendre de ses mains. Il arrive donc par serre — la religion des mages lui défendait de souiller même d'un crachat les eaux sacrées de la mer[64] —. Il arrive après un voyage de neuf mois ; il traverse toute l'Italie à cheval, entouré de ses enfants, des princes parthes ses neveux, et de trois cents cavaliers ; sa femme est à cheval auprès de lui, le visage caché par un casque d'or. Toutes les villes le reçoivent en triomphe aux frais de Néron, et surtout à leur détriment. Chaque jour de son voyage coûte 800.000 sesterces (203.000 francs), s'il faut en croire Suétone, qui lui-même semble à peine le croire[65].

Néron, qui est venu au-devant de lui à Naples, le conduit à Rome. Rome, couverte de trophées, illuminée, ornée de guirlandes, conspire tout entière pour la fête qui se prépare. Au milieu du Forum est rangé par tribus le peuple, portion du spectacle, en toges blanches, couronné de lauriers ; sur les degrés des temples, les prétoriens avec leurs arides étincelantes. Le toit des maisons est couvert de spectateurs. Le théâtre de Pompée est doré tout entier ; un velarium de pourpre, semé d'étoiles d'or, au milieu duquel est l'image de Néron conduisant un char, en écarte les ardeurs du soleil ; aussi ce jour fut-il appelé la journée d'or. Dès le matin, Néron, en habit de triomphe, vient s'asseoir sur sa chaise curule. Tiridate s'agenouille devant lui, et le peuple, façonné aux acclamations solennelles, le salue d'une clameur si grande, que le Barbare en est épouvanté. Seigneur, dit ce roi d'Orient au citoyen de Rome Ænobarbus, le descendant d'Arsace, le frère des rois parthes vient se reconnaître ton esclave ; tu es mon dieu, et je suis venu. t'adorer comme j'adore Mithra (le soleil). J'aurai le sort que tu voudras bien filer pour moi (à la façon des Parques) ; car tu es mon destin et ma fortune. Néron reprit : Tu as eu raison de venir me demander la couronne ; ce que n'ont pu tes frères ni ton père, je te fais roi, afin que l'univers sache que j'ôte et donne les royaumes. Tiridate alors monte près du trône, baise les genoux de Néron, qui lui ôte sa tiare et lui met le diadème[66].

Tiridate repartit avec 100 millions de sesterces (25.400.000 f.) donnés par Néron — ce rusé Barbare avait su se faire payer son hommage —, n'en méprisant pas moins le prince qu'il avait vu jouer sur le théâtre et parcourir l'arène avec l'habit vert et le bonnet des cochers. Ce qui nous étonne aujourd'hui l'étonnait lui-même ; il ne comprenait pas que l'âpre soldat, le vieux Romain, Corbulon, restât l'humble sujet de ce comédien ; la royauté despotique de l'Orient elle-même ne lui avait pas révélé le secret de l'incompréhensible asservissement des Romains. Tu as, dit-il à César, un bon serviteur dans Corbulon, mot dont Néron ne comprit pas l'ironie.

Mais Rome a vu assez de fois les triomphes de Néron. La Grèce, patrie des arts, a besoin de lui comme lui d'elle. Chaque jour des députés des villes grecques viennent lui apporter des couronnes pour des combats où il n'a pas combattu ; il les admet à sa table ; il chante devant eux : ingénieux et servile, l'esprit grec sait trouver encore des formes d'adulation nouvelles quand Rome croit les avoir toutes épuisées, et Néron, enchanté, s'écrie : Seuls les Grecs savent entendre, seuls ils sont dignes de mes talents et de moi ! — Une fois déjà, il a été sur le point de partir pour la Grèce : il parcourait les temples, faisant ses adieux à ses parents les immortels, lorsqu'il s'assit, et saisi d'une faiblesse subite, ne put se lever qu'avec peine. Effrayé de ce présage, il déclara qu'il lui en coûtait trop de s'arracher à l'amour de son peuple. — Mais aujourd'hui quel présage troublerait sa félicité ? Son affranchi Hélius sera assez bon pour gouverner Rome, et suivre tranquillement la voie toute tracée des proscriptions. Hélius a tous les pouvoirs de Néron, il versera le sang ; Polyclète s'emparera des biens : Rome peut se consoler de l'absence de César.

Que la Grèce donc se réjouisse, son prince lui arrive ! Ce n'est pas seulement son cortège habituel de mille voitures, ces mules ferrées (ou plutôt chaussées) d'argent, ces muletiers revêtus de magnifiques étoffes, ces coureurs, ces cavaliers africains avec leurs riches bracelets et leurs chevaux caparaçonnés[67]. C'est de plus une armée entière, assez nombreuse pour vaincre tout l'Orient si elle était composée d'hommes ; soldats dignes de leur général, qui ont pour arme la lyre du musicien, le masque du comédien, les échasses du saltimbanque. Que la Grèce se réjouisse ! Un hymne chanté par Néron a salué son rivage ; le maitre du monde lui donne toute une année de joies et d'incessantes fêtes ; les jeux d'Olympie, les jeux Isthmiques, tous ceux qui se célèbrent à de longs intervalles, seront réunis dans ces douze mois. Néron peut bien changer l'ordre établi par Thésée et par Hercule[68].

Ainsi il parcourt (an 67) toutes ces villes homériques, servilement abaissées aujourd'hui sous la royauté d'un Osque ou d'un Sabin. li s'élance dans toutes les lices, prend part à tous les combats ; toujours vainqueur, même à Olympie, où, sur un char trahie par dix chevaux, le maitre du inonde s'est d'abord laissé tomber dans la poussière, puis s'est trouvé trop ému de sa chute pour continuer la lutte. Il n'en a pas moins, à la fin de la course, proclamé, comme d'ordinaire (car il est lui-même son héraut) : Néron César, vainqueur en ce combat, donne sa couronne au peuple romain et au monde qui est à lui ! Ni aujourd'hui, ni dans le passé, Néron ne doit avoir de rival : les statues des vainqueurs d'autrefois sont renversées, traînées dans la boue, jetées aux latrines. L'athlète Pammenès, après de nombreuses victoires, vit retiré, vieux, affaibli ; que Pammenès reparaisse dans la lice : Néron prétend lui disputer ses couronnes ; après l'avoir vaincu, il aura le droit de briser les statues de Pammenès. Malheur à qui est condamné à être son adversaire ! Vaincu d'avance, il n'en est pas moins exposé à toutes les manœuvres d'un inquiet rival ; Néron l'observe, cherche à le gagner, le calomnie en secret, l'injurie en public, lui jette des regards où la menace n'est que trop éloquente. Un jour (faut-il en croire Lucien ?), certain chanteur, trop plein de sa gloire, s'oublie jusqu'à chanter mieux que Néron ; le peuple lui-même — comme autrefois à Rome, au milieu d'une lecture de Lucain, malgré la présence et la jalousie de Néron, des applaudissements s'élevèrent et perdirent le poète —, le peuple artiste de la Grèce écoute ravi ; quand tout à coup, par ordre du prince, les acteurs qui jouaient avec ce malheureux le saisissent, l'adossent à une colonne, et lui percent la gorge avec leurs stylets.

A Corinthe, César, qui ambitionne toutes les gloires, se rappelle le projet plusieurs fois essaye de la coupure de l'isthme[69] ; entreprise gigantesque dont la nature a, pendant des siècles, refusé le succès à l'industrie humaine, et que semblait interdire une superstitieuse terreur. Devant les prétoriens rangés en bataille, Néron sort d'une tente dressée sur le rivage, harangue ses soldats, chante un hymne à Amphitrite et à Neptune, reçoit en dansant, des mains du proconsul, un pic d'or, en frappe trois fois le sol, et recueille quelques grains de poussière qu'il emporte dans une hotte, aux acclamations de tout le peuple. Des milliers d'hommes travaillèrent après lui, soldats, esclaves, condamnés, six mille prisonniers juifs envoyés par Vespasien, bannis ramenés du lieu de leur exil (et parmi eux le philosophe Musonius), criminels sauvés de la mort pour venir concourir à la grande œuvre de l'empereur. En soixante-quinze jours, on avait ouvert un canal de quatre stades, la dixième partie du travail, lorsque tout à coup vint l'ordre de s'arrêter[70]. Hélius rappelait à Rome son souverain ; une conjuration s'y tramait, disait-il. — Tu devrais plutôt souhaiter, lui répondait Néron, non que je revienne promptement, mais que je revienne digne de Néron. Il fallut qu'Hélius vint lui-même en sept jours pour l'arracher à ses triomphes[71].

Néron fait donc ses adieux à la Grèce ; il la proclame libre, exempte d'impôts ; il enrichit les juges qui l'ont couronné[72]. La reconnaissance ou l'adulation multiplie autour de lui ces hommages emphatiques et impies dont la Grèce dégénérée avait le secret mieux que personne. Elle le nomme Apollon, Hercule, sauveur du monde, génie protecteur de la terre. Il est vrai qu'il l'a ruinée par son passage, qu'il a pillé ses temples, qu'il lui enlève cinq cents de ses dieux[73] ; qu'il a dépouillé les riches, trop heureux lorsqu'il ne les a pas fait mourir ; que l'absence du spectacle, la paresse à applaudir, le défaut de dilettantisme, ont été des crimes capitaux. — Mais Rome, sa patrie, est-elle mieux traitée ? Chaque courrier d'Hélius apporte la nouvelle d'une exécution. Néron, de son côté, fait de temps en temps mourir quelqu'un des bannis qu'il rencontre ou des suspects qu'il a emmenés avec lui. Deux frères meurent, dont l'union fraternelle parut au meurtrier de Britannicus une conspiration flagrante.

Dans ce redoublement de cruauté, comment les chrétiens eussent-ils été oubliés ? Pierre qui avait porté dans Rome la parole du Christ, Paul qui l'avait portée à son tour jusque dans les cachots, au prétoire et devant le tribunal de Néron, avaient tous les deux échappé, celui-ci sans doute par son absence, l'autre par la garde vigilante de ses frères, au massacre qui avait suivi l'incendie de Rome. Aujourd'hui, ils se trouvaient encore tous deux à Rome, tous deux ayant repris, malgré la persécution, leur œuvre de prosélytisme et voyant s'accroître le nombre des fidèles. C'en était trop ; Néron avait laissé derrière lui un Néron pire que lui-même dans la personne d'Hélius, son vice-empereur, ou dans celle de Tigellin, son préfet du prétoire. Paul, l'année précédente, comparaissant une seconde fois devant Néron, avait pu échapper à la gueule du lion[74] ; il ne put échapper celte fois à la griffe du léopard, régnant en l'absence du lion. Les deux apôtres périrent le même jour ; séparés, comme on le sait, ils furent conduits hors de la cité, l'un au midi, l'autre vers le nord, comme pour en sanctifier toutes les parties ; l'un décapité sur la route d'Ostie, par respect pour sa dignité de citoyen romain, l'autre crucifié dans le cirque du Vatican, la tête en bas, selon la demande que son humilité lui inspira de faire, comme pour abaisser son martyre devant le martyre de son Maitre. Néron allait donc retrouver sa cité de Rome tout autrement sanctifiée et immortalisée qu'il ne pouvait le croire par ces deux tombeaux, plus glorieux que tous ses arcs de triomphe[75].

En effet, Néron ne tarda pas à revenir. En chemin, il manqua périr dans une tempête. Un instant, en Italie, on crut à son naufrage, et on s'en réjouit ; joie dont il sut bien se venger[76]. Cependant, le sénat, bien que tremblant de le voir revenir, le rappelait avec toute l'effusion de son dévouement, et ordonnait pour lui plus de fêtes qu'il n'y a de jours dans l'année. Naples l'oisive, comme l'appelle Horace, Naples la ville de ses débuts, le reçoit la première. A Rome, après un étalage de dix-huit cents couronnes qu'il a rapportées de Grège, on voit venir, sur le, char triomphal d'Auguste et à côté du musicien Diodore, Néron, en chlamyde semée d'étoiles d'or, l'olivier olympique sur la tête et, dans sa main droite, le laurier des jeux Pythiens : après lui, sa claque théâtrale, ses Augustani, au nombre de cinq mille, à la brillante parure et aux cheveux parfumés, qui se proclament les soldats de son triomphe. Une arcade du grand cirque est abattue pour son passage ; à droite et à gauche des victimes sont immolées à sa divinité ; la terre est semée de safran ; on jette sur sa route des oiseaux, des fleurs, des rubans de pourpre, des dragées ; le sénat, les chevaliers, le peuple, lui acclament en mesure : Vive le vainqueur d'Olympie ! le vainqueur des jeux Pythiens ! César Néron, nouvel Hercule ! César Néron, nouvel Apollon ! seul, dans tous les siècles, il a vaincu dans tous les jeux ![77]

C'était bien un triomphe ! Une dernière conspiration avait été découverte et punie ; le temple de Janus était fermé[78] ; Corbulon, qui avait vaincu l'Orient, appelé en Grèce par de flatteuses paroles, avait reçu l'ordre de se donner la mort, et s'était tué, regrettant sa fidélité trop confiante, et disant : Je l'ai mérité[79]. Que pouvait encore redouter Néron ? Quel autre César avait eu Rome aussi bas sous ses pieds ? Qu'était le triste et vieux Tibère, homme étranger à toutes les joies du pouvoir ? Qu'était le grossier Caligula, qui, après avoir, pendant trois ans au plus, joué quelques farces royales et guerrières, s'était laissé misérablement égorger dans une salle de bain ? Qu'était l'imbécile Claude, machine à diplômes et à jugements, auprès du virtuose, de l'orateur, du poète, du lutteur, de l'universel Néron, depuis douze ans maitre du monde ? Si quelques âmes à part protestaient, par un courage inutile, en faveur de la dignité humaine, jamais le grand nombre n'avait mis le front aussi bas dans la poussière que devant l'élève de ces deux femmes perdues, Lepida et Agrippine, devant ce cerveau mal organisé qui n'eut le sens vrai d'aucune chose, ce gamin déifié, Néron.

Serait-ce l'or qui pourrait lui manquer ? Si le trésor s'épuise, si les chicanes fiscales, suprême expédient des empereurs besogneux, si l'héritage confisqué des testateurs ingrats envers César, si de nouveaux impôts sur les successions des affranchis[80], si toutes ces ressources sont insuffisantes, les dieux lui viendront en aide. Un Africain a rêvé que, sous son champ, il voyait d'immenses cavernes pleines de lingots d'or, trésors de la reine Didon que la Providence gardait pour César. Une flotte entière est partie pour recueillir ces richesses ; tout un peuple de soldats et d'ouvriers tourne et retourne le champ de l'Africain. D'avance les poètes chantent la gloire de Néron, pour qui les dieux font naître, dans le sein de la terre, l'or tout purifié ; et Néron, dans sa foi au songe, jette avec plus de profusion que jamais les minces trésors que ce trésor colossal va remplacer. — Quand, après bien des recherches, l'or ne se trouva pas, le songeur n'eut d'autre ressource que de se donner la mort[81].

Si les dieux manquent de parole, les délateurs nous consoleront de la désobligeance des dieux. La concentration que, dans les derniers temps de la république, a reçue la propriété territoriale, est merveilleusement favorable au genre de perception qu'exercent les délateurs. Les vastes domaines ont perdu l'Italie, dit Pline, ils perdent maintenant les provinces, et le supplice de six grands propriétaires a rendu Néron possesseur de la moitié de la province d'Afrique[82]. Il a payé 7 millions de sesterces le délateur qui a fait condamner un Crassus ; quelles richesses ne lui a donc pas rapportées la condamnation de ce Crassus !

Aussi Néron crie-t-il largesse ! Néron est de tous les empereurs le plus magnifique. Largesse au peuple ! Néron n'oublie pas son peuple qui l'applaudit de si bon cœur au théâtre ! Largesse surtout aux amis de César ! A toi, gladiateur, la maison de ce consul ! A toi, joueur de flûte, le patrimoine de ce triomphateur[83] ! Accourez favoris, courtisans, pantomimes, conviés au banquet de la confiscation ! Tenir des comptes, c'est une économie sordide 1 Jeter l'or sous ses pas, c'est de la grandeur[84] ! Les esclaves même de César ont des vergers, des piscines ; un d'eux, qui a été intendant d'armée, s'est racheté au prix de 13 millions de sesterces (3.302.000 fr.)[85]. Durant son règne, Néron aura distribué à ses amis 560 millions de fr., et ses amis, ses fidèles imitateurs, en auront, au moment de sa mort, dissipé les neuf dixièmes[86].

Et quelque chose pourtant manque à Néron. Cette passion de l'impossible, dont j'ai tant parlé, n'est pas seulement une passion des Césars ; c'est une passion des Romains ; chacun dans sa sphère subit ce fatal instinct. Tout le labeur d'une civilisation de cinq ou six siècles, en Grèce, en Italie, en Orient, n'a abouti qu'à faire rêver de plus chimériques rêves à quelques centaines d'oisifs romains, à leur inventer des infamies nouvelles, à nourrir d'aliments nouveaux une curiosité insatiable, un égoïsme surhumain, un matérialisme transcendantal ! Cette passion de l'impossible sera surtout celle de Néron : rien ne le touche comme grand et beau, niais comme inouï, et, dans le sens latin du mot, comme monstrueux. C'es t une persuasion et une plénitude de sa toute-puissance qui essaie pourtant si, à quelque combat, elle peut être vaincue : organisation après tout misérable et puérile, à qui il fallait un tel pouvoir pour s'élever même dans le mal ; nature cruelle, faute de pouvoir être forte ; gigantesque, faute de savoir être grande !

Qu'est-ce pour lui que la profusion et le luxe ? Ne mettre jamais deux fois le même habit, pécher avec des filets dorés et des cordons de pourpre, jouer 400 sesterces sur chaque point de ses dés[87], avoir pour ses histrions des masques, des sceptres de théâtre tout couverts de perles : c'est être riche ; et voilà tout. Ses amis, par son ordre, ne lui donnent-ils pas des festins où l'un a dépensé pour 4 millions de sesterces en couronnes de soie parfumées[88] ? Poppée n'avait-elle pas des mules ferrées d'or, et 500 ânesses ne la suivaient-elles point partout pour remplir de leur lait la baignoire où son teint venait chercher la fraîcheur[89] ? N'est-ce pas Othon qui lui enseigna, à lui César, à parfumer la plante de ses pieds ? Et, lorsque la veille, Othon, soupant chez César, a eu la tête aspergée de parfums précieux, le lendemain, César soupant chez Othon, ne voit-il pas de tous côtés des tuyaux d'ivoire et d'or verser sur lui une vaporeuse et odorante rosée[90] ? Le faste et la grandeur courent les rues de Rome.

Que même Néron soit le premier artiste de son siècle ; que des autels fument partout en l'honneur de sa belle voix, qui, malgré tant de soins et d'études, malgré un esclave sans cesse debout auprès de lui pour l'avertir de ménager ce don précieux, est fausse, sourde et fêlée ; que Néron joue tous les rôles, de héros ou de dieu, d'homme ou de femme, même de femme grosse ou en mal d'enfant, si bien qu'on demande : Que fait l'empereur ?L'empereur accouche. Que même, faute d'autre, il rencontre parfois une ambition plus digne : qu'il envoie à la recherche des sources du Nil[91] ; qu'il médite une expédition contre l'Éthiopie ; qu'une armée se prépare à aller aux portes Caspiennes soumettre les peuples inconnus du Caucase ; que déjà, sous le nom de phalange d'Alexandre, une légion d'hommes de six pieds[92] soit enrôlée : tout cela, c'est talent, c'est pouvoir, c'est chose qui appartient à l'homme.

Mais lui, il est dieu ! Le sénat lui décerne des autels comme s'étant élevé au-dessus de toute grandeur humaine[93]. Le sénat à qui la divinité coûte peu l'a bien décernée à Poppée, que Néron tua d'un coup de pied, et à cette enfant au maillot, fille de Poppée[94]. Néron est dieu, le peuple tue des victimes sur son passage[95] ; il est dieu, les poètes le lui redisent avec cet excès de déclamation et d'hyperbole dont peut être capable une âme servile et une poésie dégradée : Lorsque, ta carrière achevée en ce monde, tu remonteras tardif vers la voûte céleste,... soit que tu veuilles tenir le sceptre des cieux, soit que, nouveau Phébus, tu veuilles donner la lumière à ce monde que n'affligera pas la perte de son soleil, il n'est pas de divinité qui ne te cède sa place, et la nature te laissera prononcer quel dieu tu veux être, où tu veux mettre la royauté du monde... Ne te place pas à une extrémité de l'univers : l'axe du monde perdrait son équilibre et serait entraîné par ton poids ; choisis le milieu de l'éther, et que là le ciel pur et serein n'offusque d'aucun nuage la clarté de César !...

Ainsi parlait Lucain, le philosophe, l'admirateur de Pompée et de Caton, au temps où Néron lui laissait lire ses poèmes en public. Plus tard, il est vrai, lorsque sa poésie fut confinée dans le silence du cabinet, il déclama contre la divinité des tyrans, blâma la lâcheté des peuples qui leur obéissent, et conspira avec Pison pour le renvoi de son dieu à l'Olympe. Au moins la flatterie délicate d'Horace voilait-elle, sous un nuage de poésie mythologique, ce qu'avait de révoltant la divinité de son Auguste ; mais quelle turpitude que cette adulation des basses époques de l'empire, sans mesure et sans pudeur, d'autant plus qu'elle est sans talent et sans foi, outrant tout parce qu'elle ne croit à rien, et mettant d'autant plus volontiers l'homme à la place de la divinité qu'elle ne vénère pas la divinité !

Aussi Néron croit-il à sa divinité. Un naufrage lui enlève des objets précieux : Les poissons, dit-il, me les rapporteront. Le monde plie si profondément sous ses lois ! Les princes ses prédécesseurs n'ont jamais connu tout ce qui leur était permis de faire[96]. L'art a su le servir d'une façon si miraculeuse ! Ce qu'il a ordonné ne peut être impossible[97] ; et un Grec, homme d'esprit, qui a promis à Néron de s'élever sur des ailes, se fait nourrir dans le palais en attendant qu'il devienne oiseau[98].

Les merveilles de la Maison-d'Or ne suffisent plus à Néron ; il faut maintenant que Rome s'étende jusqu'à l'embouchure du Tibre, et qu'un vaste canal mène les flots de la mer battre les vieilles murailles de Servius Tullius ; il faut qu'une piscine immense, couverte d'une voûte et bordée de portiques, s'étende de Misène au lac Averne, et serve de réservoir aux eaux chaudes de Baia ; il faut que de là un canal de 150 milles (53 lieues), assez large pour le passage de deux grands navires, aille, à travers des terres arides, de hautes montagnes et le sol détrempé des marais Pontins, joindre le port d'Ostie : entreprise ruineuse dont la postérité reconnaîtra à peine les vestiges[99]. — Néron, dit Suétone, a une passion, mais une passion étourdie de gloire et d'immortalité[100]. Il a égalé Apollon par son chant, le Soleil par son talent a conduire un char ; il veut être Hercule, et un lion est préparé (bien préparé sans doute), qu'aux premiers jeux de l'arène il doit, seul et sans armes, assommer de sa massue ou étouffer dans ses bras[101].

L'humanité lui pèse, l'ordre naturel le fatigue ; le désir de l'impossible croit chez lui avec la satiété[102] ; cet amateur de l'incroyable[103] ne trouve rien d'assez monstrueux pour lui. La Gaule lui a fourni, à ce qu'il prétend, des cavales d'une conformation étrange pour atteler à son char, et c'est un bizarre spectacle, dit Pline, que le maitre de la terre, monstre lui-même, traîné par des monstres[104]. Un saltimbanque se montre à lui, qui fait métier comme les bateleurs de nos foires de manger de la chair crue et de dévorer tout ce qu'on lui présente : c'est de la chair humaine, ce sont des hommes vivants que Néron veut lui donner à déchirer[105]. D'autres promettent à Néron qu'ils feront d'un homme une femme, d'une femme un homme, et Néron les croit, Néron leur propose une récompense[106].

Quant aux dieux ses frères, il n'est pas de jour où son orgueil ne les insulte, où sa faiblesse ne tremble devant eux. Au scandale de Rome et au risque de la fièvre, il se baigne dans l'eau sacrée de la fontaine Marcia ; mais il redoute les songes, les présages le rendent pâle. Il a longtemps adoré la déesse syrienne : mais elle tombe en sa disgrâce, il la souille de son urine. Il profane l'oracle de Delphes, il viole une vestale ; mais une petite statue de jeune fille, talisman donné par un homme du peuple, a remplacé Astarté disgraciée ; et, comme peu après une conspiration s'est découverte, Néron fait d'elle le plus grand de ses dieux, lui sacrifie trois fois par jour, lui demande la science de l'avenir[107].

Mais ce que l'impiété ne lui fera point braver, ce que la superstition ne pourra écarter de lui, c'est l'ombre d'Agrippine qui le poursuit avec les fouets et les torches des Furies. Aux portes d'Athènes, le souvenir du parricide Oreste et des Euménides vengeresses de son crime ; aux portes de Lacédémone, le nom de l'austère Lycurgue l'a arrêté : il n'a osé entrer dans aucune de ces deux villes. A Delphes, l'oracle l'a comparé aux Alcméon et aux Oreste, meurtriers de leur mère ; et, dans sa colère, Néron a confisqué les terres du dieu, fermé l'ouverture souterraine par où la prêtresse recevait l'inspiration : bizarre mélange d'audace et de crainte ! Le sénat le félicite et le monde l'adore ; mais, lorsqu'il est venu à Éleusis et qu'il a entendu le héraut écarter de ces mystères, révérés encore, les impies et les scélérats, le matricide s'est humblement retiré sans oser demander l'initiation.

Il tourne les yeux vers l'Orient, dont les sciences occultes sont pour ce siècle un objet de craintive curiosité. Tiridate lui a amené des magiciens ; la divination par l'air, par le feu, par les étoiles, par les haches, par les lanternes, l'évocation des morts, le colloque avec les enfers, il veut tout apprendre d'eux. Avec eux, il conjure l'ombre d'Agrippine, lui offre des sacrifices, immole des hommes à leurs expériences, curieux et ardent à cette étude, autant même qu'il le fut à celle du chant[108], tant il voudrait faire violence à la nature et s'élever au-dessus des lois de l'humanité ! Mais toute cette magie n'est qu'une chimère ; le crime de Néron est de ceux que l'antiquité déclare inexpiables et pour lesquels, en effet, elle ne sait pas d'expiation.

Pour en finir, voilà ce qui gouverne le monde, voilà le couronnement suprême de cette société : — une perpétuelle orgie, monstrueuse et pourtant vulgaire ; — un Sénécion, compagnon des ignobles farces du pont Milvius ; l'histrion Pâris, la courtisane patricienne Poppée, le cordonnier Félicion ; puis le. Triboulet de cette cour, le fou bossu Vatinius ; Othon le futur empereur, souvent fouetté par son père, présenté à Néron par une vieille affranchie du palais qu'il a fait semblant d'aimer parce qu'elle était en crédit[109] ; puis les Sporus, les Pythagoras, les Doryphore, hommes que notre langue ne sait pas nommer ; — mais surtout, l'ordonnateur de toutes les fêtes et de tous les supplices, l'homme d'esprit de cette cour, le conseiller suprême de Néron, le chef de ses délateurs, l'intime compagnon de ses débauches[110], Tigellin, préfet du prétoire, dont la statue est au Forum en habit triomphal pour avoir vaincu le complot de Pison. — Voilà toute cette fastueuse valetaille du palais qui court la nuit, brisant les boutiques et insultant les femmes ; qui, assise sur des vaisseaux garnis d'or et d'ivoire, descend le fleuve en face d'un rivage semé de retraites infâmes et au milieu des appels de la débauche ; qui, à la fin d'un souper de douze heures, se jette de main en main la hache sanglante qui gouverne le monde : — et au milieu d'elle, mais non au-dessus, un personnage flasque et mal proportionné, au cou épais, à la peau tachetée, au ventre proéminent, aux yeux vert de mer, louches, clignotants et hagards, ayant, quoique jeune, des rides et un embonpoint de vieillard, avec une coiffure étagée et relevée en chignon derrière la tête, des pantoufles aux pieds, une étoffe épaisse autour du cou, une longue robe de festin, lâche et toute parsemée de fleurs, une femme en un mot : non, une prostituée ; cette prostituée est Néron.

Au milieu de ces joies et de ces grandeurs, pourquoi Néron respecterait-il encore cette fiction de l'ordre républicain, devant laquelle il s'abaissait humblement au début de son règne ? Pourquoi, lui crie toute cette cour, y a-t-il encore un sénat ? Pourquoi cette vaine pompe de faisceaux et de laticlaves qui ont la prétention de ne pas relever de César ? Pourquoi tant de ménagements et tant de faiblesse ? dit à Néron le jeune délateur Regulus, qui, triomphant dès son début de l'illustre famille des Crassus, semble devoir éclipser tous ses prédécesseurs. Pourquoi fatiguer ses délateurs et lui-même à combattre homme par homme cette aristocratie que d'un mot il peut détruire tout entière[111] ? En un jour, ces derniers restes du gouvernement républicain peuvent disparaître, en un jour le sénat peut être effacé : les affranchis de César et les chevaliers romains gouverneront seuls l'empire sous la protection de son divin regard[112]. Tel avait été aussi le projet de Caligula[113], et Néron trahit souvent la pensée de cette révolution sanglante ; à son arrivée, à son départ, il ne donne plus le baiser aux sénateurs ; il ne regarde même pas leur salut, et dans les prières publiques, il n'invoque plus les dieux que pour lui-même et pour le peuple[114].

Mais cette pensée ne va pas encore s'accomplir. A travers les nuages de sa divinité, Néron ne laisse pas que de sentir la faiblesse profonde de son pouvoir ; il se doute qu'il est appuyé sur des étais chancelants ; il sent trembler sous lui le faite d'où il voit le monde à ses pieds ![115] Le moment approche où ses prétoriens vont lui apprendre que l'épée une fois tirée, appartient au soldat et non au chef[116]. Le monde le soutenait tout en le subissant ; pour que Néron tombât, le monde n'avait qu'à se retirer. Remarquez l'expression de Suétone et d'autres historiens : Après l'avoir souffert près de quatorze ans, le monde le quitta[117] ; mot qui, vous allez le voir, raconte à lui seul la chute de Néron.

 

 

 



[1] Tacite, Annal., XVI, 20. Pline, Hist. nat., XXXVIII, 2.

[2] Tacite, Annal., XVI, 10, 11.

[3] Pharsale, VII.

[4] Pharsale, VIII.

[5] Pharsale, IV.

[6] Non crimine, non accusatore existente, quia speciem judicis induere non poterat, ad vim dominationis conversus (Tacite, Annal., XV, 69. Suet., 36. Sur Lucain, Martial, I, 9.)

[7] Ainsi, la femme de Scévinus et Cœsonius Maximus, reos fuisse se tantunt ex pœna experti. Tacite, XV, 72. Ce Cœsonius avait pour ami le sculpteur Ovide, qui l'accompagna dans son exil. Martial loue ce dévouement : Néron a condamné Cœsonius ; mais toi tu as condamné Néron, dit-il à Ovide. VII, 43, 41.

[8] Tacite, XV, 68.

[9] Sur Lateranus dont le nom subsiste encore dans celui de l'église de Saint-Jean de Latran bâtie sur l'emplacement de sa demeure, V. Tacite, ibid., 49, 60 ; Épictète, in Arriano, I, I.

[10] Velut in agmen et numerum. (Tacite, ibid., 71.)

[11] S. Justin, Apologie, I.

[12] Tacite, Annal., XV, 52.

[13] Tacite, ibid., XVI, 8. Suet., 37.

[14] Tacite, ibid.

[15] Inscription DIVAE POPPEAE AVGVSTAE IMP. NERONIS CAESARIS AVGVSTI, Orelli, 731. La déification de Poppée encore mentionnée au temps de Commode. Marini, Atti dei fr. Arval., 32.

[16] Nullos impios deos.

[17] Épictète, in Arrian., I, 2.

[18] Tacite, Annal., XVI, 24, 35.

[19] Le sénat ordonna.... que les biens de Séjan, distraits du trésor, appartinssent au fisc, comme si cette distinction avait quelque importance (tanquam referret). Tacite, Annal., VI, 2.

[20] V. Tacite, Annal., XIV, 57, 60, et ailleurs.

[21] Quia immensam pecuniam diuturna senecta detineret. (Tacite, Annal., XIV, 65.) Accusation d'inceste. (Id., ibid., XII, 4, 8 ; XVI, 8.)

[22] Tacite, Annal., XV, 35.

[23] Tacite, Hist., I, 48.

[24] Suet., in Ner., 35.

[25] Suet., in Ner., 35.

[26] Ex mediocritate fortunæ pauciora pericula. (Tacite, Annal., XIV, 60.)

[27] Memnius Regulus vécut protégé par son repos, parce que la gloire de sa race était nouvelle et que sa fortune n'attirait pas l'envie. Tacite, XIV, 17. Et ailleurs, en accusant le délateur Regulus, on lui dit : L'exil de ton père, le partage de tes biens entre tes créanciers, ta jeunesse qui t'éloignait encore des honneurs, tout cela te mettait en sûreté. Néron n'avait rien à craindre, n'attendait, rien de toi. Tacite, Hist., IV, 41.

[28] Seneq., de Benef., III, 26.

[29] Instituit ut lege majestatis tenerentur facta dictaque omnia quibus modo delator nou deesset (Suet., in Ner., 32.)

[30] Philon, de Legat. Suet., in Calig., 23. Dion, LIX.

[31] Cuncta legum et magistratuum munia in se trahens princeps, materiam prædandi patefecerat. (Tacite, Annal., XI, 5.)

[32] C'est cette sorte de jugement préliminaire qu'on appelait, sous la république, divinatio. V. le discours prononcé en pareille occasion par Cicéron, afin d'être admis comme accusateur de Verrès. Divinatio in Verrem, 20, et ibi Ascon. Gellius, II, 4.

[33] Cicéron, de Invent., II, 37. Dion, LVIII, 14 ; XL, 52. Tacite, Annal., XX, 30. Loi 5, Cod. ad Legem Juliam majestatis. Loi 2, C., de Falsa moneta.

[34] Fragmentum lex. Serviliæ, VIII. Cicéron, ad Fam., VIII, 8, § 3. Asconius, in Corn.

[35] Loi 15, D., ad S.-C. Turpilianum. Loi 2 et 4, C., de Calumnid.

[36] Abolitio. V. Paul, Sent., V, 17. Lois 1, 10, 18, D., ad S.-C. Turpilianum. V. aussi les deux codes, de Abolit.

[37] Prævaricari, avoir des varices aux jambes, marcher de travers, jouer un double jeu. V. des exemples de ces trahisons Tacite, Annal., XIV, 41.

[38] Sénatus-consulte Turpilianum (an 59), assimile la prévarication à la calomnie Tacite, Annal., XIV, 41. V. Digeste, ad S.-C. Turpilianum (XLVIII, 16) ; Cod., hoc titul. (IX, 45) ; Digeste, de Prævaricatoribus (XLVII, 15) ; Code, 3, de His qui accus. (IX, 1) ; Paul, Sent., V, 17.

[39] V. les reproches que, sous le règne de Vespasien, on adresse à Regulus : Pardonnons à ceux qui ont accusé les autres pour ne pas être eux-mêmes accusés. Mais toi, Néron ne t'a pas contraint ; ta cruauté n'a pas été la rançon de tes dignités ou de ta vie. Tacite, Hist., IV, 42. Et un peu plus loin, on loue Rufus qui, riche et célèbre par son éloquence, n'avait jamais, sous le règne de Néron, accusé personne. V., ibid., 43.

[40] Romanus avait secrètement accusé Sénèque comme complice de Pison, mais Sénèque, plus puissant que lui, lui renvoya la même accusation, et Romanus fut vaincu. Tacite, Annal., XIV, 65.

[41] De Provinciis consul., 8. Ailleurs : Domitius Afer accusa Quintilius dont il avait déjà fait condamner la mère. Longtemps pauvre, il avait bientôt dissipé les fruits de son triomphe et se préparait à de nouveaux crimes. Tacite, Annal., IV, 66.

[42] Tacite, Annal., XIII, 42.

[43] Crispinus eut 1.500.000 sesterces (295.000 fr.) et les insignes de la préture. Vitellius fit voter encore 1 million de sesterces (263.000 fr.) pour Sosibius, comme précepteur de Britannicus et conseiller de Claude. Tacite, Annal., XI, 1. Ils avaient dénoncé deux chevaliers coupables d'avoir eu des rêves de mauvais augure pour l'empereur. La récompense légale des délateurs était du quart ou du huitième des biens confisqués. Suet., in Ner., 10. Josèphe, Ant., XIX, 1.

[44] V. ci-dessus les récompenses accordées aux accusateurs de Thraséa. Regulus, pour avoir accusé Crassus, eut 7 millions de sesterces (1.780.000 fr.) et un sacerdoce. Tacite, Hist., IV, 42.

[45] Tacite, de Orat., 8.

[46] Un affranchi qui avait accusé son maître eut pour sa récompense une place au théâtre. Tacite, Annal., XVI.

[47] Senec., de Ira, III, 17.

[48] Tacite, de Orat., 8.

[49] Extraire de Tacite la biographie des principaux délateurs :

Sous Auguste et Tibère : Cassius Severus, exilé une première fois en Crète, s'y fait détester par son éloquence hargneuse et accusatrice ; relégué sur le rocher de Sériphe, il y meurt dans la misère (Tacite, Annal., I, 71 ; IV, 21, 59. Suet., in Aug., 56 ; in Calig., 16 ; de Rhetoribus. Hieronymus, in anno, 32. Senec., Controv., III, Præf., Tertullien, in Apolog.) ; orateur habile, fondateur de la nouvelle école (Tacite, de Orat., 19, 26), mais malveillant et avide d'inimitiés.

Sous Tibère : Romanus Hispo. (Tacite, Annal., I, 74. Senec., Controv., V, 344 — Q. Hatérius (senex fœdissimæ adulationis), orateur célèbre. (Tacite, Annal., I, 13 ; II, 33 ; III, 57 ; IV, 61 ; VI, 4. Senec., Controv., IV, Præf. : Epist., 40. Suet., in Tiber., 29.) — Cotta Messalinus, accusateur d'Agrippine, veuve de Germanicus ; accusé à son tour. (Tacite, Annal., II, 32 ; IV, 20 ; V, 3 ; VI, 5.) — Brutidius Niger et Junius Otho. (Id., ibid., III, 66.) — Fulcinius Trio, facilis capessendis inimicitiis. (Tacite, Annal., V, 11 ; II, 28 ; III, 16, 19.) Il est contraint de se tuer. (Id., ibid., VI, 4 ; IV, 38.)

Sous Tibère, Caligula et Claude : Domitius Afer (Id., ibid., IV, 52, 66 ; XIV, 19). Consul en l'an 39. Sa lutte oratoire contre Caligula. (Suet., in Calig., 26. Dion, LIX.)

Sous Claude : Suilius, d'abord exilé, accusateur de Valerius Asiaticus, ses fraudes et sa perfidie, meurt en exil. (Tacite, Annal., IV, 31 ; XI, 1, 5, 6 ; XIII, 42, 43.) J'emprunte plus haut quelques traits au récit de son procès.

Sous Néron : Cossutianus Capitus, condamné d'abord pour péculat, rentre au sénat ; gendre de Tigellin et accusateur de Thraséa. (Id., XI, 6 ; XIII, 33 ; XIV, 46, 48 ; XVI, 17, 28, 33 ; Hist., IV, 44.)

Sous Néron et les princes suivants : Aquilins Regulus, accusateur des Crassus, accusé sous Vespasien. (Tacite, Hist., IV, 42 et suiv.) — Éprius Marcellus, l'un des accusateurs deus le procès de Thraséa, commence lui-même par être accusé de péculat ; vivement attaqué sous Vespasien. (Tacite, Annal., XII, 4 ; XIII, 33 ; XVI, 22, 28, 33 ; Hist., IV, 6, 10, 43 ; de Orat., 5, 8.) — Vibius Crispus. (Id., Annal., XIV, 28 ; Hist., II, 10 ; IV, 41, 43 ; de Orat., 8. Suet., in Domit., 3.) — Exemples de châtiments infligés aux délateurs. (Tacite, Annal., IV, 36, 11 ; VI, 4, 10 ; XII, 42 ; XIII, 33, 42 ; Hist., IV, 44.)

[50] Tacite, de Orat., 13.

[51] Senec., de Tranquillitate animi, 14.

[52] Philon, de Legat. Suet., in Calig., 28. Dion, LIX.

[53] Suet., in Ner., 37.

[54] Tibère avait remis à un autre temps les charges sacerdotales destinées aux deux Blæsus. Puis il les considéra comme vacantes, et les donna à d'autres. Les deux disgraciés comprirent que c'était là un ordre de mort, et ils obéirent. Tacite, Annal., VI, 40.

[55] Ainsi, Thraséa à ses derniers moments. Tacite, Annal., XVI, 34. Et Pétrone, au contraire, comme Tacite le remarque : non de immortalitate animi et sapientum placitis. (XVI, 19.)

[56] Tacite, Annal., XV, 64 ; XVI, 34.

[57] Senec., de Tranquillitate animi, 14.

[58] Suet., in Ner., 32.

[59] Tacite, Annal., XVI, 9.

[60] Pharsale, IV.

[61] Ainsi Pison. Tacite, Annal., XV, 59. Mais Pétrone : ne codicillis quidem, quod plerique pereuntium, Neronem aut Tigellinum, aut quem alium potentium adulatus est. (XVI, 19.) Mella, au contraire, lègue une forte somme à Tigellin et à Cossutianus, gendre de Tigellin, afin de sauver le reste (quo cætera manerent). Tacite, Annal., XVI, 17.

[62] Liberis consulere. V. Annal., XVI, 11. C'est à ces craintes que Tacite fait allusion dans le passage cité plus haut, nec incertus futuri testamentum pro pignore scribam, — et ce qui suit. — De Orat., 13.

[63] Ainsi Mella. Tacite, Annal., XVI, 17.

[64] Pline, Hist. nat., XXX, 2.

[65] Suet., 30. Il est cependant confirmé par Dion, qui dit vingt myriades (de drachmes ou deniers romains). LXIII, 1.

[66] V. Xiphilin ex Dion, LXIII ; Suet., in Ner., 13, 30 ; Pline, Hist. nat., XXX, 2 ; XXXIII, 3 ; Tacite, XV, 17, 18.

[67] Suet., in Ner., 30.

[68] V. sur le voyage de Néron en Grèce, Suet., ibid., 22, 24 ; Xiphilin, LXIII ; Philostrate, V, 2, 3 ; Lucien, in Nerone.

[69] Voyez la tentative de coupure d'un isthme à Cnide, arrêtée par un oracle de Jupiter. (Hérodote, I, 174.)

Une tentative pareille de Xerxès au mont Athos. (Id., VII, 22-24.) Sur une autre d'Alexandre au mont Minias ; sur celles des Cnidiens ; et enfin celles de Démétrius, de Jules César et de Néron sur l'isthme de Corinthe, voyez Pausanias. Tant, dit-il, il est impossible aux hommes de réussir à quoi que ce soit contre la volonté des dieux. (II, 1.)

Cependant Leucade, qui, aujourd'hui et depuis des siècles, est une île, avait été jadis séparée du continent par une opération pareille. (V. Homère.)

[70] V. Xiphilin, ibid. ; Suet., in Ner., 19 ; Pline, Hist. nat., IV, 4 ; Lucien, in Ner. ; Josèphe, de Bello, III, 36 ; Philostrate, in Apoll., 8.

[71] Philostrate, ibid. Xiphilin, ibid. Suet., in Ner., 25.

[72] Pausanias parle de deux couronnes (d'or) données par Néron au temple de Jupiter à Olympie. (V, 12.)

[73] Cinq cents, à Delphes seulement. Pausanias, X, 7. D'autres ailleurs. Id., V, 26.

[74] II Tim., IV.

[75] V. Eusèbe, Hist. ecclés., II, 25 ; III, 1. Clem. Alexandrie, Stromates, VII. Prudence, Hymne XII. Chrysostome, Homil. in XII Apost. Clément Rom., Act. Cor., Ép. I, 5.

[76] Suet., ibid., 23.

[77] Suet., in Ner., 25. Xiphilin, ibid.

[78] Pace p. r. terra mari que parla Janum clausit. Un temple fermé. (Monnaies.)

[79] Άξίος. Xiphilin, ibid.

[80] Suet., in Ner., 32.

[81] Suet., in Ner., 30.

[82] Pline, Hist. nat., XVIII, 6.

[83] Suet., in Ner., 30.

[84] Suet., in Ner., 30.

[85] Pline, Hist. nat., VII, 39.

[86] Tacite, Hist., I, 20 (2.200.000.000 de sesterces).

[87] Suet., in Ner., 30.

[88] Suet., in Ner., 27.

[89] Pline, Hist. nat., XXXIII, 11.

[90] Plutarque, in Galba.

[91] Senec., Quæst. nat., VI, 8. Sondage du marais d'Alcyone. Pausanias, II, 37.

[92] Pline, Hist. nat., V, 13. Suet., in Ner., 19.

[93] Tacite, Annal., XV, cap. ult.

[94] Tacite, XV, 28.

[95] V. Tacite, Annal., XV, 23 ; XVI, 6.

[96] Suet., in Ner., 37.

[97] Caligula également ne souhaitait rien tant que ce qu'on lui disait impossible. Suet., in Cal., 38.

[98] Dion Chrysost., Orat., 21. Dans ses jeux, un homme qui voulut imiter Icare succomba au premier effort, tomba auprès de Néron et le souilla de son sang. Suet., in Ner., 12. Comparez aussi avec ces faits les traditions sur Simon le magicien, sa comparution devant Néron en présence des apôtres, sa prétention à s'élever dans les airs par une puissance surnaturelle, sa chute, d'après les saints Pères et les récits analogues chez les Rabbins.

[99] Tacite, XV, 42, 43. Suétone, 16. Pline, Hist. nat., XIV, 6.

[100] Suet., in Ner., 55.

[101] Suet., in Ner., 53.

[102] Beulé, Le sang de Germanicus, ch. II et ce qui suit.

[103] Ut erat incredibilium cupitor. (Tacite, Annal., XV, 42.)

[104] Hermaphrodites equas... seu plane visenda res esset, principem terrarum insidere portentes. Pline, Hist. nat., XI, 109 (49).

[105] Suet., in Ner., 37.

[106] Dion Chrysost., Orat., 21.

[107] Suet., in Ner., 56. Tacite, Annal., XIV, 22.

[108] Pline, Hist. nat., XXX, 2. Suet., in Ner., 34.

[109] Suet., in Othone, 2.

[110] Ex intimis libidinibus adsumptus. Tacite, Annal., XVI, 51.

[111] Tacite, Hist., IV, 42.

[112] Suet., in Ner., 37.

[113] Suet., in Calig., 49.

[114] Suet., in Ner., 17.

[115] Lucain, qui veut ici parler de Jules César, peint admirablement la position des empereurs.

. . . . . . . . . .Tremulo quam culmine cuncta

Despiceret, staretque super titubantia fultus.

[116] Scit non esse ducis, strictos, sed minus. enses. (Lucain, Pharsale, V.)

[117] Suet., in Ner., 40. Tacite, Hist., I, 4. Eutrope, VII.