LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

 

JULES CÉSAR.

 

 

§ III. — LA GUERRE CIVILE ET LA DOMINATION DE CÉSAR.

Après vous avoir traînés si longtemps sur ces misères d'un empire qui tombe, j'ai par compensation à vous proposer un spectacle plus digne, celui du génie de César dans son parfait développement. La guerre civile est l'époque de sa maturité et de sa grandeur. César a un grand crime à se faire pardonner, car le patriotisme n'est pas tombé si bas que même César ait pu passer le Rubicon sans remords. Il se fera pardonner son crime à force de clémence et de génie.

L'idée d'une guerre civile tenait l'Italie dans l'épouvante. La guerre civile, telle qu'on la connaissait depuis Sylla, c'était le pillage, les proscriptions, la confiscation des biens, l'abolition des dettes, le retour des exilés — ce dernier symptôme apparut toujours à l'antiquité comme quelque chose de sinistre — ; et, quand l'Italie pensait que le parti de César était le parti des aventuriers, des gueux et des débiteurs, sa terreur était encore plus grande[1].

Aussi, à la nouvelle du passage du Rubicon, tout le monde fut consterné. Le sénat cria : Sauve qui peut ! et déclara traître quiconque ne fuirait pas avec lui. Pompée n'avait rien fait ; il avait promis dix légions, à peine en avait-il deux. Il lui suffisait, avait-il dit, de frapper du pied la terre pour en faire sortir des légions : Frappe donc la terre, lui dit-on maintenant. Rien n'égale son trouble et sa faiblesse : Il n'est pas homme politique, je le savais ; il n'est pas soldat, je le sais maintenant ; c'est ce que disait de lui Cicéron peu auparavant[2]. Au milieu du désarroi général, Caton seul prit une grande résolution ; il jura de ne plus couper sa barbe ni ses cheveux : mais il partit, et avec lui un long cortège de magistrats et de consulaires couvrit les routes et se rencontra avec les populations italiennes en chemin pour se réfugier dans Rome.

Mais il ne convenait pas à César d'effrayer les honnêtes gens. Les airs de bandit ne lui allaient plus. Il ne voulait pas vaincre en malhonnête homme, quoiqu'il eût souvent lutté en malhonnête homme. Pour faire que toute vertu et tout honneur ne fussent pas du côté des vaincus, César prétendit être dans celte guerre le plus humain et le plus généreux. L'aristocratie avait pour elle la morale des lois et de l'antiquité ; César eut pour lui une morale nouvelle, ou plutôt une morale qui n'appartient qu'à lui dans les temps antiques, celle de l'humanité et de la clémence. Il se refit honnête homme, lui et son parti. Suivit-il un instinct de cette âme pour qui la vengeance, ce plaisir des dieux, était un mets insipide ? Ou comprit-il combien, après les épouvantables tueries de Sylla, une victoire toute compatissante étonnerait les peuples et les gagnerait ? Y eut-il vertu ou calcul ? L'un et l'autre, sans doute ; mais qu'importe ? Il faut en certains cas de la vertu pour suivre ses, intérêts, et il y a tel calcul que ne fera jamais un méchant homme.

Au premier moment, César marche plus au milieu de l'étonnement que de l'amour ; c'est, comme aux Cent-Jours, une marche rapide et triomphante ; les troupes du sénat sont de vieilles troupes de César. Les garnisons passent à l'ennemi, chassent ou livrent leurs chefs ; les villes ouvrent leurs portes ; les peuples sont stupéfaits, silencieux. Mais dès qu'on voit ce neveu de Marius marcher en avant sans désordre, sans pillage ; contenir ses troupes de la même voix qui les appela souvent à la licence ; quand un chef pompéien tombe entre ses mains, lui donner la vie, lui donner la liberté et la liberté de rejoindre Pompée, lui rendre même le trésor de Pompée[3], faire de lui un messager de paix ; renouveler des offres sans cesse rejetées avec entêtement[4] ; déclarer qu'il estime son ami quiconque ne lui fait pas la guerre, tandis que Pompée déclare son ennemi quiconque ne le suit pas[5] alors, toute l'Italie vient au-devant de lui, paysans et citadins, tout ce peuple, en un mot, qui faisait, il n'y a pas un an, fumer l'encens pour la convalescence de Pompée, et transformait le voyage de Pompée en triomphe. Les gens à argent se réconcilient avec ce général des prolétaires qui leur laisse leurs belles petites villas et leurs chers petits écus[6] ; César enlève l'Italie sans coup férir, et, au bout d'un ou deux mois, il tient Pompée enfermé dans Brindes, barre presque entièrement le port, si bien que le grand Pompée eut à peine une passe étroite pour abandonner à jamais l'Italie.

Et ces Pompéiens qui n'osent mener leurs troupes contre César, parce que ces troupes reviendraient à leur ancien général ; ces Pompéiens, dans leur fuite à travers l'Apennin, ont toujours leurs beaux esclaves et leur vaisselle d'or ; ils ont des festins magnifiques où ils se partagent les dépouilles de l'Italie : L'Orient leur appartient ; là est la force de leur parti ; ils tiendront la mer, ils occuperont l'Égypte et l'Afrique, affameront l'Italie et Rome, jetteront sur elles leurs alliés barbares de l'Orient, ravageront les campagnes, brûleront les villes, proscriront les riches, gorgeront d'or leurs soldats, livreront la péninsule aux esclaves. Il y a là des débiteurs comme il y en a au camp de César ; mais ceux-ci confient leur fortune à leur général, ceux-là, trop grands seigneurs pour ne pas faire eux-mêmes leur part, stipulent chacun pour soi : Vive Sylla ! Pompée est élève de Sylla ! Pompée ne rêve que Sylla et proscription[7].

Et, au contraire, le vainqueur César ne parle que paix et conciliation ; tout ce qu'il demande, va-t-il jusqu'à dire, c'est de vivre en sûreté sous la domination de Pompée[8]. César écrit à Cicéron ces belles paroles, hypocrites si l'on veut ; mais puisse-t-il, dans les révolutions à venir, y avoir beaucoup de tels hypocrites !

Tu me connais bien et tu as raison de dire que rien n'est plus loin de moi que la cruauté... Je me réjouis de te voir approuver ma modération ; et peu m'importe si ceux que j'ai rendus libres pensent, comme on le dit, à rentrer en hostilité avec moi ; je ne désire rien tant que de les voir rester ce qu'ils sont et moi demeurer ce que je suis[9].

Et à ses propres amis, Oppius et Balbus :

J'ai résolu de montrer la plus grande douceur et de tout faire pour me réconcilier avec Pompée. Essayons si, en conciliant toutes les volontés, nous ne pourrons pas nous assurer une victoire durable ; car la cruauté n'a servi qu'à attirer la haine et n'a garanti personne contre les revers : j'excepte le seul Sylla que je ne veux pas imiter. e veux m'imposer cette loi nouvelle dans la victoire : de ne me fortifier que par la miséricorde et la clémence. Quant aux moyens, plusieurs pensées me sont venues, d'autres me viendront peut-être : vous-mêmes pensez-y[10].

On ne pouvait croire à tant de clémence. Quand César vint dans Rome déjà tranquille et où les honnêtes gens, dit Cicéron, se remettaient à faire l'usure ; lorsqu'après avoir, tant bien que mal, légalisé son pouvoir à titre de consulat et de dictature[11], il voulut avoir de l'argent et enfonça les portes du temple de Saturne : un mot un peu dur à un tribun qui lui résistait, quelques coups de sifflet que ce mot lui valut au théâtre, suffirent pour que l'on supposât sa clémence à bout. La contrainte avait été assez longue, disait-on ; César ne rêvait plus que violence ; la tyrannie et les proscriptions, le cours naturel des choses allait venir[12]. — Mais quoi ! César était loin ; il ne proscrivait pas en Italie, il allait combattre en Espagne.

lei commence une série de guerres prodigieuses par leur rapidité, leurs hasards inouïs, la singulière fortune de César. César savait que le parti pompéien n'était pas vaincu, car il tenait les provinces et la mer. Le sénat, pas toujours maître en Italie où il avait affaire aux caprices du peuple, était tout-puissant dans les provinces : il avait eu le temps de donner des proconsulats aux amis de Pompée, et un proconsul disposait de toutes les forces d'une contrée, rois, cités, peuples y compris. L'Espagne surtout, théâtre des premières victoires de Pompée, pleine de ses clients et de ses obligés, l'Espagne était depuis cinq ans sa province, c'est-à-dire sa réserve et son château fort. Pendant que Pompée passait en Grèce, César, habitué à frapper au cœur, allait l'attaquer en Espagne : Allons, disait-il, combattre une armée sans général pour revenir combattre un général sans armée.

Cette campagne de la péninsule passe pour la plus belle de César. Il y tira un merveilleux parti de ses vaincus de la Gaule, de sa cavalerie gauloise, de l'infanterie légère des Germains. Et quant aux légions, il se les attacha par un singulier moyen ; il emprunta aux officiers pour prêter aux soldats, et ainsi les lia tous à sa fortune.

Parmi les campagnes de César, il n'en est pas une où, comme de gaieté de cœur, il ne se soit jeté au moins une fois dans quelque incroyable danger d'où sa fortune, plus encore que son génie, devait le faire sortir. En Espagne, pris entre deux rivières dont les eaux débordent, les ponts emportés, il n'a que dix lieues de terrain pour faire vivre ses troupes ; les agiles Espagnols passent à la nage sur des outres et viennent harceler son camp. Le blé s'y vend 50 deniers (39 fr.) le boisseau (8 litres 67). La nouvelle de ce danger arrive en Italie ; on croit César perdu ; bien des sénateurs, incertains jusque-là, vont rejoindre Pompée.

Mais César échappe à ce péril, et l'ennemi bat en retraite. César, pour lui couper le passage, fait un détour, traverse la Sègre ayant de l'eau jusqu'au cou, franchit des roches escarpées, où les soldate passent un à un, posant leurs armes et se les remettant de main en main ; César gagne de vitesse, et se poste sur la hauteur en face de l'ennemi.

Celui-ci vaincu, restait dans le midi de l'Espagne une seconde armée pompéienne. Mais César, qui avait gagné la première autant qu'il l'avait combattue, voit bientôt venir à lui citoyens et soldats, Romains, et Espagnols ; il pardonne aux chefs, laisse aux soldats la liberté ou de s'incorporer dans ses troupes, ou de rester en Espagne, ou de revenir en Italie ; n'inflige que des amendes à ses plus grands ennemis, et avant son départ donne audience à tout le midi de l'Espagne dans Cordoue, à tout le nord dans Tarragone. La péninsule avait été soumise en quarante jours ; César, qui avait laissé ses lieutenants au siège de Marseille, les y retrouva en revenant de la péninsule, et reçut la soumission de la cité phocéenne que, par respect pour son antiquité et ses lumières, il avait défendu de prendre d'assaut.

Il était temps qu'il revint. Partout où il n'était pas, sa cause succombait. Ses lieutenants venaient d'être défaits en Illyrie et en Afrique. Pompée avait eu toute l'année pour se fortifier dans la Grèce : au nom du sénat, les trésors des publicains, les greniers de Thessalie et d'Égypte lui étaient ouverts ; l'Orient, qu'il avait vaincu dans la guerre de Mithridate, était comme son fief ; rois et peuples étaient ses clients. L'Orient civilisé redoutait ce César que suivaient les barbares de Germanie et de Gaule ; les cités de la Grèce firent, en soutenant Pompée, leur dernier effort pour leur liberté.

Pompée avait neuf légions formées de ces vétérans qui, dispersés par la victoire, avaient pris domicile dans toutes les parties du monde ; les auxiliaires de Crète, de Lacédémone, de toute la Grèce ; 7.000 hommes de cavalerie étrangère, une cavalerie romaine composée de toute la jeune noblesse, plusieurs rois, 200 sénateurs, 500 vaisseaux sur l'Adriatique. Pompée croyait la victoire assurée à qui tenait la mer, et comptait, comme Thémistocle, sur des murailles de bois pour son triomphe[13].

En face de cette puissance, César passe l'Adriatique avec 20.000 hommes seulement (an 706), laissant le reste, faute de vaisseaux. A peine est-il passé, l'Adriatique se ferme derrière lui ; Bibulus, l'amiral de Pompée, tient la mer. César, avec si peu de monde, hésite à attaquer : ses soldats s'impatientent : César peut bien compter sur eux, disent-ils, et les mener seuls à l'ennemi. De l'autre côté de l'Adriatique, ses légions montent sur les falaises pour voir revenir la flotte qui les portera. César, qui croit être mal obéi par ses lieutenants, se déguise en esclave, monte sur une barque, traverse de nuit toute la flotte pompéienne. — C'est alors qu'il aurait dit ce mot, douteux comme la plupart des mots célèbres : Tu portes César et sa fortune.

Ses légions lui arrivent enfin, presque en dépit de leurs chefs. César, avec onze légions, mais onze légions mutilées (40.000 hommes seulement), assiège Dyrrhachium, le quartier général de son ennemi. Pompée l'y suit. César, avec des forces inférieures, essaie d'investir Pompée dans une de ces terribles circonvallations qu'il pratiquait pendant la guerre des Gaules. Les deux armées souffrent de la faim. Les soldats de César n'ont pour faire du pain qu'une racine insipide qu'ils mêlent avec du lait ; mais ils jurent de rester là tant que la terre produira de cette racine. Ils jettent de ce pain dans le camp de Pompée, qui s'empresse de le faire cacher, pour que ses soldats ne voient pas à quelles bêtes féroces ils ont affaire.

Mais une attaque subite trouve le courage des Césariens au dépourvu. César prend par le bras les fuyards qui se dégagent et lui échappent ; les aigles qu'il saisit lui restent dans les mains ; un porte-drapeau qu'il veut retenir lui met l'épée sur la poitrine. Ces dangers extrêmes sont communs dans la vie de César. Ce jour-là, si Pompée eut osé attaquer son camp, il était perdu ; il en convenait.

Mais le lendemain, ses soldats, revenus à eux, ne demandent qu'à être châtiés. César les console ; mais il faut songer à la retraite, et, à travers des gorges inaccessibles et des fleuves profonds, il gagne la Thessalie sans perdre un seul homme, ayant sur Pompée un jour d'avance.

Les Pompéiens le suivaient en triomphe ; ce parti aurait eu bien garde de disputer à César les avantages que lui donnaient sa modération et sa clémence. Des députés que César envoyait chaque jour avec des propositions de paix n'étaient pas entendus. En vain Caton, doué d'une âme tendre, malgré une philosophie inflexible, philanthrope plus désintéressé que ne l'était César, avait-il fait décider que nul prisonnier romain ne serait mis à mort, que nulle ville alliée ne serait pillée ; on ne tenait aucun compte de cette résolution à la fois humaine et politique. Bibulus, qui n'avait pas su empêcher le débarquement de César, arrêtait au retour les matelots qui avaient conduit César et les égorgeait. On tuait les prisonniers de sang-froid : Labienus, déserteur du camp de César, disait à ses anciens camarades, dans une entrevue : Nous ferons la paix quand vous nous apporterez la tête de César. Et, au combat de Dyrrhachium, il s'était raillé des prisonniers césariens : Sont-ce donc mes vieux camarades qui fuient ainsi ? et les avait fait massacrer.

L'homme de sens et l'homme de cœur, Cicéron et Caton, étaient restés à Dyrrhachium. Caton avait l'âme trop douce pour la guerre civile : au combat de Dyrrhachium, en voyant égorger tant de citoyens, il n'avait pu retenir ses larmes ; il s'était voilé et était resté dans sa tente. Cicéron, qui voyait plus clair encore dans les misères de son parti, était triste, amer, ironique, et Pompée souhaitait tout haut que ce railleur passât au camp de César.

Les Pompéiens se faisaient déjà le partage des dépouillés : celui-ci aurait le grand pontificat que la mort de César allait laisser vacant ; celui-là les villas et les jardins de César. D'autres faisaient louer des maisons sur le Forum, afin d'être à portée de solliciter les suffrages aux prochains comices ; d'autres, intriguaient dans le camp pour avoir des voix. Le butin devait être magnifique. Fortune des ennemis, des neutres, des indifférents, on se partageait tout, jusqu'aux biens du prudent Atticus. Quiconque était resté en Italie n'était qu'un traître ; Cicéron lui-même, pour être venu un peu tard, s'était compromis avec ces ultra. Les partis qui reposent sur un principe et défendent une légitimité, quoique plus moraux, sont parfois plus sujets à ces violences ; il leur est moins permis d'absoudre la neutralité ; ils se croient forcés de dire ce que Dieu seul peut dire avec justice : Qui n'est pas avec moi est contre moi[14]. Mais il n'y a, du reste, pas de comparaison entre Coblentz et Pharsale ; l'émigration pompéienne était non-seulement violente, mais sanguinaire : Sylla, disait-elle, n'était qu'un enfant quand il s'amusait à dresser des tables de proscription. On proscrira, non par têtes, mais par masses. Domitius, sauvé pourtant par César, avait en poche une loi des suspects et un code de procédure pour le tribunal révolutionnaire[15].

Comme il arrive souvent, ce parti détestait son chef. Quand, au milieu des cris de vengeance, Pompée veut temporiser, attendre que la faim lui fasse raison de César, ne pas commettre ses conscrits contre les vétérans césariens ; Pompée est un autocrate Il aime à prolonger les jouissances de sa dictature ; il aime à voir une cour de sénateurs auprès de lui, des rois à son lever ! C'est un roi des rois, un Agamemnon ! Favorinus, mauvais philosophe, lui dit : Je ne mangerai donc pas cette année des figues de Tusculum ! Et cette jeune noblesse qui forme sa cavalerie va plus loin encore : Vaincre César ; César vaincu, supplanter Pompée, rétablir l'aristocratie pure et le système de Sylla, c'est l'affaire d'un coup de main dans les plaines de Pharsale. Aussi, lorsque, dans ces plaines, César, déjà en mouvement pour se retirer devant Pompée, le voit descendre des hauteurs et comprend qu'il a cédé aux clameurs de son armée, il se juge sauvé : Halte-là, dit-il, il ne s'agit plus de retraite ; nous avons désiré le combat : en voici l'occasion qui peut-être ne se retrouvera pas. Il donne pour mot d'ordre Vénus victorieuse, et le petit-fils de Vénus revient contre son ennemi.

Dans cette lutte, où quatre cent mille hommes combattirent, la cause de Pompée fut perdue en quelques heures. Ses élégants cavaliers, attaqués par deux cohortes auxquelles César criait : « Frappez au visage, » ne voulant pas être défigurés, tournèrent bride, se cachant le visage dans leurs mains. Les Thraces et d'autres barbares se défendirent seuls avec courage. Pompée jeta ses insignes, monta à cheval, gagna les hauteurs, laissa son armée détruite, son camp forcé. Au milieu des champs jonchés de cadavres : Ils l'ont voulu, dit César ; si je n'eusse demandé secours à mon armée, moi, César, après tant de victoires, ils me condamnaient.

Le premier cri du vainqueur fut : Épargnez les citoyens ! Il brûla les lettres de Pompée de peur d'y trouver des motifs de vengeance[16], accueillit les prisonniers avec douceur, n'imposa aux villes que des taxes pécuniaires ; et quand, plus tard, les Athéniens vinrent lui demander grâce : Combien de fois encore, leur dit-il, la gloire de vos ancêtres servira-t-elle d'excuse à vos fautes ?

Les vaisseaux lui manquaient, et il avait hâte de poursuivre Pompée. Avec sa cavalerie et une légion, il remonte par la Macédoine, passe le Bosphore seul dans une barque, rencontre une flotte pompéienne, lui ordonne de se rendre, et elle se rend. Il embarque quelques soldats sur ces vaisseaux, arrive, avec 3.000 hommes seulement, devant Alexandrie, qu'un fils de Pompée était venu soulever contre lui. Le bruit de sa victoire lui servait d'escorte, et il n'y avait pas de contrée où il ne se crût en sûreté[17].

Pompée était allé en vain demander secours à toutes les villes ; elles lui restaient fermées. Rois et peuples désespéraient de sa cause ; les cités grecques seules résistèrent un peu. Il espéra quelque sûreté en Égypte, il avait été le tuteur et le bienfaiteur du roi Ptolémée. Mais ce petit prince, tenant conseil entre un eunuque et un rhéteur grec, sur une belle amplification de celui-ci, terminée par ce proverbe sot et cruel, renouvelé de nos jouis : Les morts ne mordent pas, avait décidé qu'un guet-apens serait dressé à Pompée. La fin de ce Romain le relève et l'ennoblit : c'est au milieu des corruptions du paganisme décrépit une touchante tragédie antique. Les dernières et tristes paroles de Pompée furent deux vers de Sophocle, et, comme César après lui, aux premiers coups il se voila de sa toge et mourut sans un soupir. Lisez dans Plutarque cette triste scène dont Corneille lui-même n'a pas su garder toute la pureté.

César pleura quand on lui apporta la tête de son ennemi : bien des Romains souriaient à de tels cadeaux ; il s'indigna de cette mort, fit honorer les restes de Pompée. Je crois à la sincérité de ces larmes ; César n'était pas doué de haine, et Pompée vivant eût complété sa victoire.

César s'amusait avec le danger. Les vents étésiens qui le retinrent ; 40 millions de sesterces qu'il demanda à l'Égypte ; le caprice de se faire, au milieu de tant de soucis, arbitre des querelles de palais d'Alexandrie ; l'adresse de Cléopâtre qui, maîtresse d'une armée, la congédie, vient seule à Alexandrie dans une barque, et sur les épaules d'un de ses amis se fait apporter au palais dans un paquet de hardes (tour de grisette qui enchanta César) : tout cela le jeta dans une des plus étranges crises de sa fortune. Pour les beaux yeux de Cléopâtre, avec 3.000 hommes et 500 chevaux, il soutint le siège dans le palais contre toute l'Égypte, entre Cléopâtre, peu sincère amie, naguère éprise de Sextus Pompée jusqu'à ce que Sextus Pompée la chassât du trône, et le roi Ptolémée, mari et frère de Cléopâtre, perfide enfant qui, en quittant César, lui jurait amitié et, encore baigné de larmes, allait animer son peuple contre César : tout cela au milieu d'embûches et de craintes d'assassinat que César n'évitait qu'en passant les nuits en festins ; tout cela contre une armée de 20.000 hommes, presque tous réfugiés et vétérans romains ; contre la folle et perfide Alexandrie, pleine de la légèreté grecque et de la superstition égyptienne, qui assiège César, l'oblige à briller ses vaisseaux, un jour même ne lui laisse de ressource que de faire deux cents pas à la nage, tramant aux dents son manteau consulaire, et de sa main gauche tenant ses papiers au-dessus des flots (707). Des secours enfin lui arrivèrent ; il put combattre en rase campagne. Une bataille où des milliers d'Égyptiens périrent ; le pardon pour Alexandrie ; un voyage sur le Nil avec Cléopâtre, au milieu de 400 barques, dans les délices et les festins, aux applaudissements de l'Égypte et aux murmures de son armée, terminèrent cette campagne romanesque, où un palais lui servit de place d'armes et un théâtre[18] de citadelle ; guerre entreprise à la façon des capitaines de la Fronde pour mériter le cœur d'une belle et plaire à ses beaux yeux.

Mais, pendant ces neuf mois passés en Égypte, Rome se remplissait de factions ; un fils de Mithridate se remuait dans l'Asie Mineure ; les Pompéiens se ralliaient en Afrique ; l'avarice d'un lieutenant de César soulevait l'Es pagne. César courut dans le Pont contre Pharnace, le fils parricide de Mithridate ; il ne le laissa pas escarmoucher longtemps ; une bataille mit Pharnace en déroute, ouvrit à César les trésors et les temples de l'Asie, lui valut des couronnes d'or de toutes les villes : Heureux Pompée, dit-il en repartant, voilà les ennemis dont la défaite t'a valu le nom de grand ! Aussitôt il retourne à Rome, y remet l'ordre en quelques mois et court en Afrique.

Cette province avait toujours tenu pour Pompée ; le roi Juba y avait défait Curion ; tous les chefs pompéiens, Metellus, Scipion, Afranius, Pétréius, Labienus, étaient là ; Caton avec son courage de fer y amenait une armée par des déserts effroyables. Ils y avaient rassemblé quatorze légions, une cavalerie nombreuse, une flotte, du blé en abondance ; ils avaient détruit le reste des récoltes, enfermé les habitants dans quelques villes, brillé les autres cités ; il semble que César ne fût pas fâché de laisser à ses ennemis le temps de se rallier, afin de les écraser d'un seul coup.

Mais, une fois en chemin, ce qu'il lui faut, c'est arriver au plus tôt, dût-il arriver seul. En parlant de Sicile, il ordonne à ses vaisseaux d'aborder, chacun où il pourra ; il débarque avec 3.000 hommes et 150 chevaux, n'ayant pas de vivres, nourrissant ses chevaux d'algues marines ; en attendant ses renforts, il enseigne à ses soldats la guerre africaine, montre à ses cavaliers à fuir et à se rallier comme les Numides, fait venir d'Italie les éléphants des jeux pour accoutumer ses hommes et ses chevaux à rencontrer en bataille de tels adversaires, et, pendant ce temps, il se maintient dans un espace de six milles contre l'immense armée pompéienne (708).

Passons vite sur cette guerre qui fut atroce et sans honneur. Le parti pompéien n'espère que dans le roi barbare Juba ; Juba règne parmi ces Romains et fait quitter la pourpre à leur commandant Metellus : ce ne sont qu'intrigues, querelles pour le commandement, rêves de la proscription, massacres de prisonniers. Ces légions de laboureurs africains, levées à la hâte et marchant à contrecœur, se laissent vaincre avec une facilité incroyable ; 30 cavaliers gaulois mettent en fuite 2.000 Numides. A Thapse, au jour de la bataille décisive, César est attaqué d'épilepsie, donne pour mot d'ordre félicité, et se retire dans sa tente ; ses troupes se battent malgré lui, et sont victorieuses sans lui. Les vétérans de Pompée résistent seuls ; vaincus, ils se retranchent deux fois ; abandonnés de leurs chefs, ils demandent grâce et sont impitoyablement massacrés.

César lui-même semble avoir oublié sa clémence ; il tue ou laisse tuer les chefs auxquels il a déjà pardonné ; il fait périr un L. César, son parent, coupable d'avoir maltraité ses esclaves et surtout d'avoir tué ses lions ; il en exile d'autres, mais en accordant à chacun de ses amis la grâce d'un exilé. Les Pompéiens qui n'ont pas su combattre savent se tuer : des Césariens abordent le vaisseau où fuyait Metellus : Où est le général ? demandent-ils. — Le général est en sûreté, répond Metellus, qui se perce de son épée. L'Africain Juba avait son bûcher tout prêt dans Zama sa capitale ; il devait égorger là tous les habitants, y jeter ses femmes, ses enfants et ses trésors, s'y brûler avec eux. Mais Zama lui ferma ses portes et le priva du suicide qu'il rêvait : lui et le Romain Pétréius se battirent pour recevoir la mort l'un de l'autre ; Juba tua Pétréius et se fit tuer par son esclave. Il y a dans ces morts quelque chose, et de la barbarie africaine, et de cette rage impie de suicide qui appartient à la corruption de l'empire.

Caton avait depuis longtemps la douleur d'être inutile ; sa vertu ne remédiait en rien à l'immoralité de son parti, ni la douceur de son âme à l'atrocité de la lutte. Dès le commencement de la guerre, il avait résolu de se tuer si César était vainqueur, de s'exiler si les Pompéiens triomphaient. On l'avait laissé à Utique ; ce héros de la république mourante ne faisait plus guère que garder les bagages. Dans cette ville, les indigènes étaient pour César ; les Romains, gens de finance, étaient bien pour la république, mais non jusqu'à affranchir et armer leurs esclaves, comme l'aurait voulu Caton. Alors, ne s'occupant plus que de ses amis, il procura des vaisseaux à ceux d'entre eux qui voulurent passer en Espagne ; pour ceux qui restaient, il composa un discours destiné à fléchir César ; puis soupa, lut le Phédon, et le lendemain matin, comme on peut le voir avec détail dans Plutarque, il se tua : tant il craignait le pardon de César ! Ce suicide, tant loué des anciens et qui a séduit quelques modernes, n'est pas même logique ; Caton ne pensait pas que, par ce dernier acte d'orgueil, il s'humiliait devant César, et confessait que celui qu'il n'avait pu vaincre par les armes pouvait l'écraser par son pardon. Caton se tuait par dépit ; car sa cause n'était pas vaincue : Sextus, fils du grand Pompée, la maintenait en Espagne et retarda de quinze ans l'entier établissement de la monarchie. Il y eut donc dégoût plutôt que désespoir de sa cause, et son suicide fut ce que le suicide est toujours : un moyen soi-disant honorable de se soustraire à un devoir. La foi chrétienne a rendu un grand service au genre humain en le dispensant d'admirer de telles actions.

Je viens de le dire, l'Espagne, cliente de Pompée, belliqueuse, peuplée de vétérans, accueillait les fils de Pompée comme autrefois elle avait accueilli le fugitif Sertorius et l'avait défendu contre Pompée lui-même. Les fuyards de Thapse eurent pour eux la péninsule presque entière, et, pendant que César menait à Rome un quadruple triomphe, treize légions gravaient sur leurs boucliers le nom de Pompée.

Terminons tout de suite ce long récit de guerres. César, appelé à grands cris par ses lieutenants, vient par terre en 27 jours de Rome à Cordoue. Arriver à la hâte, laisser les trois quarts de ses forces derrière lui, avec une poignée d'hommes surprendre l'ennemi, livrer bataille : — sa tactique était toujours la même. Le jeune Pompée évita longtemps le combat : César l'atteignit près de Munda (709).

César, attristé par une récente attaque de son mal, dégoûté d'une guerre atroce où l'on ne faisait plus de quartier, où l'ennemi assiégé égorgeait les bouches inutiles, prétendit en finir ce jour-là. Mais jamais sa fortune ne fut aussi chancelante que dans cette bataille, la dernière qu'il livra. L'ennemi, attaqué sur les hauteurs, avait treize légions contre huit. Les Césariens fléchirent. César, après avoir saisi un bouclier de fantassin, marcha seul presque à dix pas de l'ennemi ; il pensa même à se donner la mort. Les débris de. sa dixième légion le sauvèrent, soldats disgraciés qui, depuis qu'ils s'étaient révoltés en Italie, le suivaient par grâce et sans ordre. Il convenait qu'ailleurs il avait combattu pour la victoire, à Munda pour sa vie.

3.000 chevaliers et 30.000 soldats furent tués : on fit autour de Munda assiégée une circonvallation de cadavres, les tètes tournées vers la ville, les corps liés ensemble par des javelots. Le siège dura encore un mois ; presque tous les assiégés périrent ; Cnéius Pompée fut tué dans une caverne ; son frère Sextus s'échappa dans les montagnes des Celtibères, et reparut depuis, hardi corsaire, sur la Méditerranée.

Tout en soutenant cette guerre, César s'était amusé à une guerre de plume contre Cicéron, et avait répondu par une satire à son éloge de Caton, pamphlet républicain. Dans sa marche rapide de Rome à Cordoue, il avait aussi fait un poème intitulé le Voyage. César était homme de goût, bel esprit, lecteur assidu des poètes ; il recueillait les bons mots[19], en disait beaucoup. Je ne parle pas de ses mémoires, où il est soldat[20], ni de ses harangues qui appartiennent à sa vie sérieuse[21]. Mais César était puriste, et les grammairiens le citent comme autorité. Dans un de ses fréquents voyages à travers les Alpes, cet homme de plaisir et cet homme de guerre dédiait à Cicéron deux livres sur la grammaire et l'orthographe latine[22]. Vous figurez-vous Napoléon en chemin pour Austerlitz, et s'amusant à corriger Restaut ?

La bataille de Munda s'était donnée le troisième anniversaire du jour où Pompée avait quitté l'Italie. Pendant ces trois ans, la guerre civile avait voyagé d'Italie et d'Espagne en Grèce ; et de là, par l'Égypte, la Syrie, le Pont, l'Afrique et l'Espagne une seconde fois, elle avait achevé le tour de la Méditerranée et du monde romain : le monde était parcouru, la guerre civile finie.

Et, pendant cette guerre, César en. soutenait une autre moins brillante, aussi digne de remarque : il bataillait contre son propre parti. Il n'y a pas de pouvoir qui n'ait ses ultra ; Robespierre même eut les siens, qui le taxaient de contre-révolution et de modérantisme : à plus forte raison, César eut-il aussi ses ultra. Croyez-vous que tous les roués de son camp adoptassent pieusement son système de modération et de clémence ? qu'ils ne réclamassent pas, ce qui était le droit après la guerre civile[23], les proscriptions, le pillage, les confiscations, les vengeances, la banqueroute ? Croyez-vous que cette armée, qui, sur un geste mal interprété de César, avait prétendu comprendre qu'il promettait à chaque soldat l'anneau et le cens de chevalier, se contentât de 2.000 sesterces (390 fr.) par tête, le seul cadeau qu'elle eût encore reçu[24] ?

Salluste, qui lui-même n'avait pas été l'homme le plus honorable du parti césarien, dit sans façon à César : Des hommes souillés de dissolution et d'opprobres, qui te croyaient prêt à leur livrer la république, sont venus en foule dans ton camp, menaçant les citoyens paisibles de brigandage, de meurtre, de tout ce qu'on peut attendre d'une âme dépravée. Mais quand ils ont vu que tu ne les dispensais pas de payer leurs dettes, que tu ne leur livrais pas les citoyens comme des ennemis, ils t'ont quitté. Un petit nombre seulement se sont crus plus en sûreté dans ton camp que dans Rome, tant ils avaient peur de leurs créanciers ! Mais il est incroyable combien d'hommes et quelles gens ont déserté ta cause pour celle de Pompée, et choisi son camp comme un inviolable asile pour les débiteurs ![25]

C'est Célius surtout dont Salluste veut parler. — En passant à Rome, entre sa campagne d'Espagne et celle de Pharsale (705), César avait trouvé la cité reine se débat tant contre tous ceux qui voulaient exploiter la chute de Pompée, contre les débiteurs surtout, qui demandaient les terribles tabulæ novæ (abolition des dettes) : aussi n'y avait-il ni argent ni crédit sur la place. César, en courant (il ne passa que onze jours à Rome), fit, comme nous le disons, une cote mal taillée, et crut sauver le principe du crédit en permettant une banqueroute de 25 pour 100[26].

Or, Célius, alors préteur, était personnellement très-intéressé dans la question des tabulæ novæ. C'était un Césarien déjà mécontent, de la modération de César, et tout prêt à se faire Pompéien de colère de voir les Pompéiens trop bien traités : homme d'esprit, du reste, mais disputeur acharné, qui soupant avec un de ses clients obséquieux et toujours de son avis lui disait en colère : Au moins, dis une fois non, pour que nous soyons deux ! César une fois embarqué pour la Grèce (706), Célius découvre que le parti de son chef n'est que le parti des usuriers[27], l'abandonne tout à fait, propose aux comices la dispense de payer les dettes ; — c'était trop peu — la dispense de payer les loyers : le crédit en était là ! Bataille là-dessus ; le consul brise la chaise curule de Célius ; Célius s'en fait une en lanières de cuir, pour rappeler au consul qu'il fut fouetté dans sa jeunesse. Chassé de Rome, il court l'Italie pour ameuter les débiteurs. Le vieil aristocrate Milon la parcourait aussi avec ses anciens amis les gladiateurs, délivrant les esclaves, soulevant les pâtres, ralliant tous les marrons de la civilisation romaine. Célius se joint à lui. La chose pouvait devenir grave ; mais Célius et Milon se firent bientôt tuer[28].

Après Célius, vint un autre ami de César. Pendant les guerres de Pharsale et d'Égypte (707), Antoine, maitre de la cavalerie, fut seul magistrat romain en Italie. Antoine put faire pressentir ce que serait la folle tyrannie des Césars, une fois ce pouvoir monstrueux tombé en des mains vulgaires. Dans un char traîné par des lions, suivi d'une litière qui porte sa femme, la veuve de Clodius, l'ardente et sanguinaire Fulvie ; d'une autre litière où la comédienne Cythéris, sous le nom patricien de Volumnia, reçoit les hommages des villes italiques ; puis, d'une voiture où il a placé avec sa mère les compagnons de ses débauches ; Antoine, entouré de bateleurs et de comédiens, toujours l'épée au côté et escorté de soldats, parcourt l'Italie, fait faire antichambre aux sénateurs jusqu'à ce qu'il lui plaise de terminer ses interminables repas, et, après une nuit d'orgie, vomit en plein Forum[29]. C'est, du reste, un des originaux les plus curieux de l'histoire ancienne : un soir, par exemple, il revient à la hâte de Narbonne, se cache dans un cabaret aux portes de Rome, y entre de nuit, seul, en guêtres et en casaque gauloise, dans une petite voiture, va chez lui : Qui frappe ?Courrier d'Antoine. On le mène à Fulvie, toujours déguisé ; il lui remet une lettre, une lettre de lui-même, tout amoureuse, où il lui proteste qu'il a cessé d'aimer Cythéris. Fulvie pleure en la lisant ; le messager ému n'y tient pas, se jette au cou de Fulvie. Cela ne sent-il pas son xvii0 siècle, les rubans et les grands canons, Brutus galant et Caton dameret ? Seulement, Comme c'était pendant la seconde guerre de César en Espagne, Rome, à l'annonce de cette arrivée subite, crut à quelque grand désastre. On appela Antoine à la tribune pour faire part au peuple des graves nouvelles qui avaient motivé son retour ; il.ne sut trop que dire, et l'Italie en demeura tout effrayée pendant huit jours.

Sous la vice-royauté d'Antoine, Dolabella était tribun. Antoine, ruiné par les dés, vendait la justice, mettait la main sur les successions, prenait et donnait les patrimoines. Dolabella, joyeux compagnon comme lui, patricien ruiné, devenu plébéien et démagogue, remettait en honneur l'abolition des dettes et des loyers. Ce projet devait être du goût d'Antoine ; mais une intrigue de femme brouilla ces deux hommes si bien faits pour se comprendre.

Ce fut alors sous le tyran César comme aux beaux jours de la liberté. Il y eut deux camps, celui des créanciers et celui des débiteurs ; batailles quotidiennes et meurtrières ; tours de bois élevées sur le Forum par Dolabella, renversées par Antoine, comme on eût fait en rase campagne ; épuisement du trésor, révolte des légions qui se trouvaient mal payées, anarchie effroyable, dégoût de César, retour vers le parti de Pompée[30]. C'était le moment où César était enfermé à Alexandrie, où les Pompéiens, maîtres de l'Afrique, menaçaient l'Italie[31] (707).

César, délivré, vint mettre le holà ; tout en pardonnant aux deux tapageurs, Antoine et Dolabella, en accordant quelques nouvelles concessions aux débiteurs, une remise de terme aux locataires[32], il tint bon contre les tabulæ novæ, protesta qu'obéré lui-même, il ne se libérerait pas de cette façon. En effet, se libérer par des cadeaux et des prêts forcés, vendre les biens des Pompéiens morts, vendre même les biens d'Antoine qui, adjudicataire de ceux de Pompée, trouvait fort mauvais que César en exigeât le paiement[33] ; et puis se mettre en route à la hâte, ce fut l'affaire de dix mois environ.

Mais ail moment de partir, ses vétérans protestent qu'ils ne marcheront pas ; une promesse de mille deniers (780 fr.) par tête leur semble misérable. Ils s'avancent vers Rome, pillant et tuant. César, malgré les prières de ses amis, vient les attendre à son tribunal en plein Champ de Mars : Que voulez-vous ?Notre congé. — Vous l'avez ; et quand j'aurai vaincu avec d'autres soldats, tout ce qui vous a été promis vous sera payé. Et sans un mot de plus, il se retirait. On le supplie d'ajouter quelques paroles ; il s'y prête à grand'peine et les apostrophe : Quirites (citoyens)... Nous sommes soldats, lui répondent-ils, mène-nous en Afrique ; nous vaincrons à nous seuls ; décime-nous si tu le veux. Il fallut le prier longtemps pour qu'il leur accordât la grâce de se faire tuer pour lui par les cavaliers numides et les éléphants de Juba (708).

Voilà quelle double lutte soutenait César : d'un côté contre l'esprit de la république mourante, de l'autre contre l'esprit de l'empire qui approchait. Ce double fait va nous apparaître encore dans le récit de son gouvernement après la victoire.

César est revenu d'Afrique vainqueur de Juba et de Caton (709). Il y a quarante jours de fête, quatre jours de triomphe ; César triomphe des Gaules, puis du Pont et de Pharnace, puis d'Alexandrie, puis de l'Afrique et de Juba — il ne veut pas qu'il soit question de Pompée ni des Romains —. César acquitte en une fois toutes les fêtes qu'il devait au peuple : inauguration de son nouveau Forum ; obsèques de sa fille ; dédicace d'un temple à Vénus, mère des Césars. Le monde lui a fourni pour les payer 65.000 talents (296 millions environ[34]), plus 2.822 couronnes d'or, du poids de 2.414 livres romaines[35]. Rome est pleine d'étrangers qui passent les nuits sur les places dans l'attente d'une si belle fête, et plus d'un spectateur a été étouffé dans la foule.

César parait, précédé par soixante-douze licteurs, traîné sur le char triomphal par quatre chevaux blancs que le sénat lui a votés comme pour l'égaler à Jupiter. Le Forum tout entier, la voie Sacrée, depuis sa maison jusqu'aux degrés du Capitole, sont recouverts d'un voile de soie[36]. Ses prisonniers le suivent : c'est aujourd'hui le Gaulois Vercingétorix, gardé neuf ans pour ce triomphe et pour son supplice ; demain ce sera l'Égyptienne Arsinoé, sœur de Cléopâtre ; après-demain le jeune fils du roi Juba. Les villes qu'il a prises, cinquante batailles qu'il a gagnées, sont représentées en bois précieux, en écaille, en ivoire. La défaite de Pharnace est rappelée par ce mot fameux : Veni, vidi, vici. Le Rhin, le Rhône, l'Océan captif, sont représentés par des statues d'or.

La révolution est donc accomplie. César a proclamé son souverain pouvoir ; mais il sera plus modéré d'autant qu'il est plus puissant. Dictateur et consul quand il s'agira de faire du bien ; s'il s'agit de faire du mal, il ne sera rien[37]. Le sénat lui a décrété la dictature pour dix ans, une statue sur un char en face de Jupiter et consacrée à César, demi-dieu. C'est toute la majesté divine, toute l'autorité humaine de la république, qui sont réunies en sa personne.

Mais voyez-vous, derrière son char, les deux puissances qu'il est forcé de reconnaître, le peuple et l'armée ? A chaque citoyen pauvre, César a donné dix boisseaux de blé, dix livres d'huile, 300 sesterces (174 fr. 78[38]) promis autrefois. 100 sesterces d'intérêt pour le retard. A chaque légionnaire, des terres, une augmentation de solde[39] et 2.000 sesterces ; à chaque centurion et à chaque cavalier, deux fois autant[40]. Comptez avec Suétone 320.000 citoyens pauvres, avec Juste-Lipse, 30.000 soldats et 1.500 cavaliers, présents à Rome ; et vous verrez que ce cadeau pouvait monter à 155 millions de francs.

Les soldats trouvent pourtant que c'est peu, et ce cadeau ne les empêche pas, comme d'ordinaire, de chansonner leur général. Ils vont chantant :

Gens de la ville, gardez vos femmes ; nous vous amenons le galant chauve ;

ou bien ils raillent César sur l'infamie de ses mœurs et l'amitié suspecte de Nicomède — seule accusation qui fâchât César, et dont il voulut se disculper par un serment — ; ou ils lui reprochent le pain d'herbe qu'il leur fit manger à Dyrrhachium ; ou même ils prennent contre lui le parti de Pompée et de la république :

Fais bien, tu seras battu ; fais mal, tu seras roi.

Puis, après le peuple et l'armée, vient toute une Rome nouvelle, étrangère ou proscrite, qui monte au Capitole derrière César ; tous les disgraciés de l'ancienne république : condamnés qui reprennent leurs biens, fils de proscrits à qui les honneurs sont ouverts, gens déclarés infâmes qui relèvent la tête, sénateurs notés qui reprennent place au sénat. Viennent les provinces ; la Gaule transpadane admise tout entière au droit de cité ; l'Espagnol Balbus devenu une sorte de premier ministre. Les Gaulois jadis vaincus par César, ces légers fantassins qui, sous le signe de l'alouette, ont suivi César à Lérida, à Alexandrie, à Pharsale, entourent les premiers son char de triomphe : toute cette légion a reçu en masse le droit de citoyen ; ses centurions demi-barbares vont s'asseoir au sénat. Et, comme chante le peuple :

César mène les Gaulois captifs derrière son triomphe ; il mène à la curie les Gaulois sénateurs ;

Ils ont quitté leurs brayes celtiques et endossé le laticlave.

La vieille Rome est livrée à ces profanes ; la belle latinité se perd ; le bon goût romain ne se trouve plus nulle part[41], — si ce n'est dans cet avis, inscrit aux pieds des Pasquin ou des Marforio de l'ancienne Rome : Avis au public : On est prié de ne pas dire aux nouveaux sénateurs le chemin du sénat[42].

Ô Romains ! nous avons perdu la liberté !

Paroles que le peuple applaudit au théâtre, en tournant les yeux vers César, mais que le peuple sans trop de souci laisse se vérifier chaque jour ! César est tout : dictateur, peuple et dieu. Tout se fait par lui, tout se demande à lui, si toutefois on est assez heureux pour l'approcher[43]. On publie encore des sénatus-consultes, mais ces décrets à u sénat, nul sénateur ne les connaît ; Cicéron apprend, par les actions de grâces qu'on lui rend, qu'il a fait décerner la royauté à un prince dont il ne savait pas même le nom[44]. Le peuple s'assemble encore aux comices ; mais César lui écrit : César, dictateur, à telle tribu : Je vous recommande un tel pour qu'il obtienne, par vos suffrages, la dignité qu'il sollicite.

Il ne faut pas s'y tromper, ni appliquer mal à propos nos habitudes modernes. Le cosmopolitisme, et ce qu'on pourrait appeler l'anti-romanisme de César n'est qu'un système. César, le fils de Vénus, est aristocrate ; César, le vainqueur des Gaules, est Romain autant que personne. César ne prostitue pas Rome sa mère ; c'est bien plutôt Rome qui se prostitue. C'est un ancien sénateur qui descend dans l'arène, un autre qui veut y descendre, et à qui César l'interdit[45]. C'est Labérius, chevalier romain, que César appelle à jouer sur le théâtre, qui n'ose s'y refuser, joue en déplorant tout haut son abaissement, reçoit 500.000 sesterces pour sa peine, et, de la scène, regagne tout droit le banc honorifique où siègent les chevaliers. Et de plus, César a eu le monde pour auxiliaire, il faut qu'il s'acquitte envers le monde ; qu'il lui fasse un sénat de 900 membres au lieu de 600, un sénat peuplé de soldats, de devins, de fils d'affranchis, de gens dégradés[46]. César a de nombreux amis à récompenser pour lesquels il multiplie les charges et les sacerdoces, double le nombre des préteurs et des édiles, fait des consuls pour quelques mois, quelques jours, quelques heures même ; donne les ornements consulaires, quand il ne donne pas 'le consulat ; prodigue tout, dégrade tout. César a sa victoire à payer, et cette dette est lourde, même pour lui[47].

Qu'importe ! le jour de son triomphe est un grand jour ! Pendant que César, à la lueur de quarante lustres portés par des éléphants, monte à genoux les degrés du Capitole, les jeux commencent par toute la ville. Dans tous les quartiers, des bouffons débitent leurs lazzis dans toutes les langues à cette multitude cosmopolite. Au Cirque agrandi par César[48], la jeune noblesse conduit des chars et des chevaux ; au Champ de Mars, il y a des-luttes d'athlètes pendant trois jours ; au delà du Tibre, dans un lac creusé de main d'homme, un combat naval entre la flotte d'Égypte et celle de Tyr ; à l'amphithéâtre, combats de bêtes pendant cinq jours ; et à la fin, pour mettre le comble à la joie du peuple, une bataille sérieuse entre 1.000 fantassins, 500 cavaliers, 4 éléphants : le sang coule, les hommes périssent : César est un bon maure ; il a voulu indemniser son peuple qui n'a pas vu les massacres de Thapsus et de Pharsale. — Et, dans tous les quartiers de Rome, 22.000 tables se dressent, chacune de trois lits ; le peuple et l'armée, 198.000 convives y prennent place ; le falerne s'y distribue par amphores, le vin de Chio par tonneaux[49]. César fête magnifiquement ces deux puissances, le peuple et l'armée, les seules debout avec la sienne, et qui seront les menaçants et infidèles soutiens de ses successeurs.

En d'et, c'est bien l'empire qui commence. Ce temple de Vénus mère, dominant le Forum de César comme le temple de Jupiter dominait l'ancien Forum, et dans lequel le maitre a placé, à côté de la déesse son aïeule, Cléopâtre sa maîtresse[50] ; ces magnificences, mêlées de sang, même sous le dominateur, le plus doux ; cet avilissement de la vieille Rome, cette prostitution de sa noblesse, cet abaissement de ses dignités ; ces caresses, déjà un peu craintives, pour le peuple et pour l'armée ; cette accumulation de flatteries sur un seul homme, cette déification du souverain ; cette importance des familiers du palais, même sous un maitre comme César : voilà bien tous les symptômes de l'époque impériale. Il en manque un seul, les proscriptions politiques : exception glorieuse, mais qui ne pourra pas être éternelle.

Et encore, en faisant sa loi de majesté, comme on l'appelait — nous dirions, nous, sa loi contre les crimes politiques —, César donnait à ses successeurs une arme, qu'ils auraient sans doute forgée au besoin pour leur usage, mais qui, marquée de son nom, levait encore mieux leurs scrupules et dont ils firent pendant des siècles un terrible usage[51]

Il faut ici caractériser cette révolution. Le monde romain avait besoin, cela était clair, sinon de la royauté, au moins du pouvoir d'un seul, de la monarchie. Mais quelle pouvait être la loi, la condition, la force morale de cette monarchie ? Elle ne pouvait rien emprunter aux royautés de l'Orient, tyranniques, barbares, dégradantes et dégradées, méprisées de tout ce qui était Grec, odieuses à tout ce qui était Romain. Encore moins eût-elle emprunté quelque chose aux monarchies récemment détruites des successeurs d'Alexandre ; copies bâtardes, mauvaises contrefaçons grecques des royautés de l'Orient, et qui n'avaient pu vivre trois siècles. Mais, d'un autre côté, pouvait-elle demander à la république son principe de moralité et de vie ? Était-il donné à personne de convertir subitement la religion du patriotisme (si toutefois elle était debout) en celle de la royauté, l'adoration de la chose publique en celle du prince ? Ce changement put se faire, mais pour la forme, sans sérieux et sans foi. Le pouvoir se trouvait donc être la force et rien de plus : inévitable conséquence, surtout dans une monarchie universelle, où tout sentiment national était brisé, tout patriotisme détruit, les dieux confondus, les religions mêlées, les croyances et les vertus dépouillées de ce caractère national qui dans l'antiquité faisait toute leur force.

La question entre la république et la monarchie était tout autre alors qu'elle ne l'a été chez les peuples modernes. Ni une certaine morale publique, qui s'impose même au pouvoir ; ni la puissance du privilège, qui le force à des ménagements envers les grands ; ni certains pouvoirs héréditaires égaux d'origine au pouvoir royal ; ni des assemblées régulières qui parfois l'appuient tout en le contenant : rien de tout cela n'était connu, ni possible, dans l'antiquité. Tout ce qui chez nous honore le service, et met entre l'obéissance et l'esclavage une distance presque égale à celle qui sépare l'esclavage de la liberté : honneur chevaleresque, indépendance féodale, liberté bourgeoise, franchise militaire, dévouement monarchique, vertu chrétienne, rien de tout cela n'avait d'analogue dans le monde païen. La valeur de l'homme, même le plus élevé, était inférieure à ce que le christianisme est venu la faire.

Le chrétien est chrétien avant tout. Le titre de citoyen, si honorable qu'il soit, n'est pour lui que secondaire ; la politique n'est qu'un accessoire de sa vie ; la vie intérieure, la vie domestique elle-même, tient chez lui bien plus de place que la vie publique ; et par suite, quelque humble condition que la politique lui fasse, la dignité de son être, la liberté de sa conscience, l'intégrité de sa foi lui demeure et le console. Le païen, au contraire, pour qui la vie intérieure était nulle, la vie domestique peu attachante, vivait surtout par la vie publique ; sa grande valeur était comme citoyen : s'il venait à être abaissé comme citoyen, si la vie publique lui faisait défaut, son abaissement était sans limite, sans remède, sans consolation.

Or c'était un tel abaissement que la monarchie venait lui infliger ; elle n'apportait à l'antiquité décrépite aucune loi morale, aucune grandeur, aucune sainteté, aucune vertu, aucune gloire. Ce n'était point de la religion : c'était de la force, de la force toute nue, donnée par un hasard et retirée par un autre. De droit électif ou héréditaire, il ne pouvait en exister : on ne crée pas les lois, on les trouve. Rome, dépouillée de sa loi antique, n'était pas maîtresse de s'en faire une autre. Derrière le souverain, cette triste divinité qu'on adorait humblement, sans pouvoir l'aimer ni la respecter au fond de son cœur, allait venir son cortège de bas courtisans ; non gentilshommes, mais valets ; non les pairs du roi, mais ses esclaves ; pas même favoris, mais mignons. Le temps allait venir, non plus de l'autorité (dignitas), mais de la faveur (gratta) ; le temps où il faudrait faire son chemin, être bien en cour (gratiosus esse), au lieu de s'élever hautement et franchement dans la voie des honneurs — dignitatem augere, etc. ; la langue même de l'empire n'est plus celle de la république —. Une époque allait venir, d'écrasement pour toute valeur personnelle, d'humiliation pour toute intelligence, toute conscience, toute foi, aussi bien que pour toute gloire, toute ambition, toute noblesse.

Voilà ce qu'envisageaient ceux qui résistaient en désespoir de cause à une nécessité qu'il leur était impossible de ne pas voir, et que la génération précédente avait en tendu prédire par l'orateur Antonius. On peut pardonner à ces hommes qui n'avaient d'autres espérances que celles de ce monde, et qui ne vivaient que de leur vie de citoyen, de n'avoir pas su se résigner à une dégradation si complète de leur dignité de citoyen. On peut pardonner à ces nobles Romains de n'avoir pas su comprendre ni accepter l'anéantissement de cette liberté trois fois séculaire qui avait fait la grandeur de Rome et de leurs familles. Parmi ces hommes étaient presque tous ceux qui gardaient quelque valeur morale ; parmi eux, quelques hommes désintéressés, soutenus par le stoïcisme, et qui en combattant pour leur dignité propre, combattaient aussi pour celle de l'homme. Ceux-là se faisaient peu d'illusion ; les dernières paroles de Brutus en sont la preuve ; et Caton, qui, tout en poursuivant la liberté, l'appelle une vaine ombre[52], finit par se donner la mort avant même que sa cause ne soit vaincue, et ne suit pas sa ligne droite jusqu'à la fin.

Cicéron surtout mérite d'être bien compris. C'est probablement l'intelligence la plus lucide de son temps, et c'est un des hommes les plus honnêtes et une des âmes les plus religieuses de l'antiquité. Cicéron, sauf son ambition de gloire personnelle, mais de gloire légitime, est un des politiques les plus désintéressés de son siècle et de bien d'autres ; dégagé, je ne dis pas des amitiés dont les hommes d'État se défont assez facilement, mais des antipathies et des rancunes, presque toujours si dominantes chez eux. C'est un Romain, et son patriotisme est aussi vrai que celui de Caton. C'est un Italien, compatriote de Marius, et qui lui-même a plaidé. la cause de l'Italie. Et de plus, c'est un humain, une âme qui a, comme bien peu dans les siècles antiques, le sens de l'humanité et le respect de son semblable ; le cosmopolitisme philosophique de Cicéron est autrement désintéressé que le cosmopolitisme politique de César. Il se trouve ainsi placé entre Rome, qu'il ne se consolera pas de voir dégradée, l'Italie dont l'abaissement serait pour lui une humiliation, le monde qu'il ne voudrait pas condamner à une éternelle servitude. Il est entre la république qu'il ne se résigne pas à voir mourir, et la monarchie qu'il voit inévitable. Il a tout prévu depuis quatorze ans ; il se vante, et il en a le droit, de cette divination qui l'a toujours éclairé sur les maux à venir, et lui a inspiré des avertissements rarement écoutés. C'est un malheur en certains temps qu'un sens trop droit : Caton ferme les yeux, suit sa route jusqu'à l'écueil où il se brise lui et son vaisseau ; Cicéron aperçoit l'écueil et louvoie pour l'éviter. Son hésitation n'a pas d'autre cause ; il est, comme le dit très-bien Crevier, irrésolu par trop de lumières. Son âme ne manqua de force ni en face de Catilina ni en face d'Antoine. Mais cette seconde vue, qui lui révèle des maux contre lesquels tous ses avertissements ne prémuniront personne, lui ôte à la fois l'illusion, la décision et l'espérance.

Se soumettra-t-il donc au mal qu'il prévoit ? Marcus Tullius courra-t-il au camp de César ? baisera-t-il la main d'Antoine ? sous un Tibère — et remarquez que ce qu'on devait prévoir c'était une domination comme celle de Tibère —, deviendra-t-il un affidé de la cour, un panégyriste à gages, un prêtre du dieu régnant ? Ne sera-t-il qu'un éloquent délateur, à qui le stylet de Lepidus marquera ses victimes, comme sous les Césars un Hatérius ou un Domitius Afer ? ou tout au plus sera-t-il, comme Sénèque, un rhéteur et un philosophe du palais ? Pardonnons à l'orgueil païen, si c'est là de l'orgueil, de se révolter contre une telle nécessité, et de croire, malgré tout, à la possibilité d'un meilleur avenir.

Ce n'est pourtant pas que César ne traite Cicéron en ami, qu'il ne s'indigne quand il voit Cicéron faire antichambre à sa porte. Ce n'est pas en général César qui abaisse ou dégrade personne ; c'est une cause plus durable que lui. C'est son pouvoir et la révolution qui l'a fait. Aussi, quoique Cicéron cherche parfois à égayer sa servitude[53], qu'il donne des leçons de rhétorique à ses amis de cour, Hirtius et Dolabella, et reçoive d'eux des leçons de gastronomie, quoiqu'il soupe chez eux avec Cythéris, la tristesse demeure au fond. Il ne sait se résigner ni au silence du Forum ni à la nullité du sénat ; il ne s'habitue pas à n'être le défenseur, le conseiller, le patron de personne. A la douleur que lui cause la mort de sa fille, il mêle le deuil de la république : quand il revenait triste de ce Forum vide et de ce sénat muet, Tullie était sa consolation ; et, si la république eût duré, la république et ses devoirs l'eussent distrait et soulagé après la mort de Tullie[54] ; maintenant que tous deux lui manquent, il pleure à la fois ces deux morts ; il élève un temple à Tullie, et il fait, dans le panégyrique de Caton, l'oraison funèbre de la république.

de m'arrête peut-être trop sur un seul homme ; mais Cicéron nous fait comprendre les sentiments de tous les hommes supérieurs de cette époque, qui voyaient leur échapper tout ce qu'ils avaient appelé honneur, dignité personnelle (honestas), élévation politique (dignitas) ; tout ce qui soutenait et embellissait leur vie (ornamenta et solatia)[55]. Chose remarquable ! Pompée, homme médiocre, irrésolu, ami infidèle, a des amis dans sa ruine ; tout ce qui s'élève un peu, les Caton, les Brutus, sont avec lui ; Cicéron a pour lui une passion aveugle, persistante comme de l'amour, passion malheureuse, il en convient[56] : tandis que César, tout grand et tout aimable qu'il est, n'est entouré que de créatures ; il a des âmes damnées, non de dévoués amis ; le banqueroutier Curion, l'étourdi Célius qui va se révolter contre lui, le fou Antoine qui complota sa mort[57], l'aventurier Dolabella, devant la villa duquel il ne passe plus sans escorte[58]. Et Cicéron lui-même, qui aima César et que César traite si honorablement, ne peut s'empêcher de souhaiter sa mort : J'aime mieux, dit-il à l'occasion d'une de ses statues, j'aime mieux César auprès de Romulus qu'auprès de la déesse du Salut[59].

Et cependant la domination de César est plus douce, plus noble, plus conservatrice que personne ne pouvait s'y attendre. Certes, ni Pompée, ni surtout le parti de Pompée n'auraient eu cette clémence[60]. Lisez les lettres de Cicéron au commencement de la guerre civile, et voyez de quels maux il croyait la patrie menacée, parce qu'en effet il ne lui était pas donné de deviner une façon de vaincre aussi inusitée que celle de César. Le temps de César est une époque de suspension ; le tyran tempère la. tyrannie. Pour le bien comprendre, attendez seulement l'heure du triomphe de son serviteur Antoine.

César sait que dans son parti il n'y a de bon que lui-même[61]. Il est loin d'avoir persuadé à tous les siens que la guerre civile ne devait aboutir qu'à un état régulier, à un gouvernement honorable : les dénonciateurs affluent autour de lui[62] ; il ne manque pas dans son conseil de profonds politiques qui désapprouvent la clémence, et trouvent qu'un peu de sang versé ne ferait pas de mal. Malgré César, ils parlent d'envahir les biens[63] ; ils menacent et inquiètent[64] ; dans les provinces éloignées, ils tuent[65]. Ajoutez à cela les anciennes plaies que la guerre civile n'a certes pas guéries ; l'abandon des campagnes, le brigandage en Italie[66] ; l'accroissement de la plebs urbana, toujours accoutumée à vivre de largesses ; la diminution de la population laborieuse et de la population romaine en général[67] ; le discrédit du mariage ; la dissipation des patrimoines ; l'audace et le nombre des débiteurs ; l'absence du crédit, et, pour cause dernière de tous les maux, le luxe, le désordre et l'immoralité de la jeunesse[68].

César eut à peine quelques mois pour porter remède à toutes ces plaies, et cependant César se faisant homme de bien pour sauver son siècle de l'effroyable abîme vers lequel il le voyait marcher ; César se faisant censeur, moraliste, sage et sévère administrateur, après avoir été tribun, révolutionnaire, chef de parti, me semble un des faits les plus singuliers de cette vie extraordinaire. C'est le second côté de la médaille : la politique conservatrice de César.

Il existe à cet égard un document précieux. Deux lettres nous sont restées, sous le nom de Salluste, adressées à César et probablement inspirées par lui, véritables pamphlets dans lesquels il faisait plaider d'avance en faveur de la politique qu'il allait suivre. La première est antérieure à la guerre civile ; elle est écrite dans le premier feu du novateur politique. César va être consul, réformer l'État, renverser l'oligarchie des nobles, étendre le droit de cité, augmenter le sénat, changer la loi d'élection et celle des jugements : il n'y a que cela à faire, et la république est sauvée. Quand Salluste a écrit la seconde lettre, César a fait tout cela ou à peu près, et la république n'est pas encore sauvée. L'historien de Catilina, un peu revenu de sa foi aux panacées politiques, de publiciste se fait moraliste. Il ne cache point à César que son parti n'est pas composé des plus honnêtes gens du monde, qu'autour de lui on pousse à la confiscation et à la tyrannie, qu'on blâme sa clémence, que les vainqueurs réclament leur butin et que pourtant les vaincus sont des citoyens[69]. Mais, dit-il, tu es le maitre ; fais en sorte que le peuple qui t'obéit soit le meilleur possible ; le malhonnête homme n'est pas un sujet docile[70]. Ne rends pas, comme les barbares, meurtre pour meurtre, sang pour sang[71] ; continue à être clément, quoi qu'on en dise ; ôte la liberté du brigandage ; ôte, pour y parvenir, la liberté des profusions et du luxe ; sans reprendre toutes les lois anciennes, règle les dépenses privées[72] ; assure à chacun son patrimoine, en le défendant et contre les rapines d'autrui et contre sa propre folie. Pour sauver la jeunesse de sa ruine pécuniaire et par suite de toutes les voies de désordre où elle s'engage (pravæ artes), supprime l'usure ; pour sauver le peuple et le soldat de la pauvreté et de la sédition, supprime les distributions qui le corrompent ; que chacun — chose remarquablement hardie dans l'antiquité, et surtout à Rome — ait son occupation, ses moyens de vivre, son travail[73]. Salluste, l'homme de désordre dans sa vie privée et dans sa vie publique, après avoir expérimenté les phases et les mouvements divers de la politique, tout bien considéré, finit par un sermon.

Telle était bien aussi la pensée de César ; Cicéron nous l'apprend, César ne demandait pas mieux que de ramener les habitudes d'occupation et de travail. Il est curieux de voir ce débauché, devenu préfet des mœurs, renouveler les anciennes lois somptuaires ; faire visiter les marchés, poursuivre les mets défendus jusqu'aux pieds des Lares domestiques, envoyer ses licteurs dépouiller la table des riches gourmands ses amis ; interdire les perles, lui qui donna à Servilie une perle de six millions de sesterces (1.164,400 fr.) ; borner à deux cents as la dépense des repas, lui qui le premier servit au même repas quatre vins différents[74] — cette question des lois somptuaires devait être plus sérieuse que nous pensons, puisqu'elle occupait ainsi César —. César, qui héberge, auprès de Calpurnie sa femme, Cléopâtre et ce fils qu'elle avait appelé Césarion, César casse un mariage contracté deux jours seulement après le divorce ; César veut encourager le mariage, et ne permet ni la pourpre ni les litières aux femmes qui n'ont pas d'enfants[75]. L'homme qui a si peu ménagé les deniers publics destitue les sénateurs coupables de concussion. L'homme qui accueillait tous les condamnés aggrave toutes les peines[76]. L'homme populaire par excellence supprime ces corporations populaires dont Clodius et lui avaient fait si grand usage ; il exclut du droit de juger à côté des chevaliers et des sénateurs, les représentants de la plebs, les tribuns du trésor[77].

César va plus loin ; il attaque cette maladie radicale que nous avons dès l'abord signalée, l'appauvrissement et la dépopulation de l'Italie. Il est vrai que lui-même y a contribué et que 80.000 citoyens ont été envoyés au delà des mers pour relever entre autres Carthage et Corinthe, comme autrefois il avait relevé Capoue. César récompensait ainsi des services, il aimait à relever ces grands noms des cités rivales qu'une politique rancuneuse tenait abaissés[78]. Mais en même temps, pour maintenir la population de l'Italie, il interdit à tout citoyen de vingt à quarante ans de quitter l'Italie plus de trois ans de suite si ce n'est pour le service militaire ; à tout fils de sénateur de la quitter, si ce n'est pour le service de la république. Pour arrêter l'extinction de la race libre, il défend à ceux qui possèdent des troupeaux d'avoir plus des deux tiers d'esclaves ou d'affranchis parmi leurs bergers. Pour augmenter à Rome la population utile, il attache le droit de cité à la médecine et aux professions libérales ; pour diminuer la population fainéante, il fait de rue en rue et de maison en maison, un sévère recensement du peuple, et réduit de plus de moitié le nombre de ceux à qui la république donne du blé. Pour donner du prix aux terres italiques, il limite, sinon pour tout citoyen romain, du moins pour tout sénateur, le chiffre du capital mobilier ou extra-italique qu'il lui permet de posséder, et lui ordonne d'avoir en biens situés dans la péninsule au moins le tiers de sa fortune[79]. Pour relever les classes aristocratiques, il fait de nouveaux patriciens, entre autres Cicéron, et son petit-neveu à lui, qui fut depuis Auguste[80]. Enfin, il distribue des terres à ses vétérans ; mais il ne veut pas, comme Sylla, les faire camper dans une même province, légion agricole prête à se lever au premier signal. Il aime mieux ne dépouiller personne, pas même les colons de Sylla[81] ; il ne prend que les terres abandonnées — il y en avait tant dans l'Italie —. Il mêle ainsi cette population nouvelle à l'ancienne population, aimant mieux fortifier la race des laboureurs que perpétuer celle des soldats[82].

Chaque jour revient un exilé, chaque jour Cicéron est dans le vestibule de César, obtenant quelque grâce nouvelle ; Cicéron dit aux exilés de prendre courage : César s'adoucit tous les jours, il revient à l'équité[83]. Tous les exilés finissent par revenir, libres, rétablis dans leurs droits. On conspire contre lui, il se contente de faire connaître qu'il a découvert le complot. On l'attaque et on l'injurie, il se contente d'avertir publiquement les coupables qu'il les engage à ne pas continuer[84]. Et le sénat élève un temple à la Clémence, dans lequel la statue de César et celle de la déesse se donnent la main[85].

César est entouré de Pompéiens : après les avoir absous, il les honore ; Cassius est un de ses lieutenants, Sulpitius gouverne l'Achaïe, Brutus, qui tuera César, fait aimer dans la Cisalpine le nom de César. Le dictateur comprend qu'il a besoin d'honnêtes gens ; il recueille ces débris de l'ancienne vertu qui combattit à Pharsale contre lui. Ce n'est pas tout : il loue Pompée, il relève ses statues, et par là, Cicéron le dit très-bien, il affermit les siennes.

Croyez-vous, en effet, que cette modération fût une faute ? Nous allons raconter le meurtre de César, et nous verrons si, comme on l'a dit trop souvent, il fut victime de sa clémence. Qui, du reste, tyran ou homme de bien, fut jamais à l'abri d'un coup de poignard ? Il y a encore des hommes qui croient à la puissance du meurtre ; il y a encore des phrases toutes faites à ce sujet : Le salut du peuple est la loi suprême ; — il n'y a que les morts qui ne reviennent pas : ou plus nettement comme Caïphe : Il est utile qu'un homme meure pour tout le peuple. Il semble encore que la politique soit un arcane, comme on voulait la faire il y a deux cents ans[86] ; mais un sanglant arcane, une religion comme celle des druides, homicide et mystérieuse, à laquelle il faut au moins quelques gouttes de sang habilement ménagées. On ne dit plus : la raison d'État ; mais on dit, ce qui a le même sens ou plutôt n'en a pas davantage : la force des choses, la nécessité, le progrès social, la perfectibilité humaine ! On veut être humanitaire plutôt qu'humain. Tout le reste s'appelle politique de sentiment, et n'a, par conséquent, aucune valeur.

Par amour des contrastes, notre siècle, tolérant et doux[87], s'éprend volontiers des natures sauvages et sanguinaires ; il les grandit et les divinise. Louis XI et Richelieu marchaient à un grand but social ! Danton fut un génie ! Tibère et Néron même ne sont pas méprisables, ils servirent l'humanité à leur façon ! — De l'œuvre des génies sanguinaires, pourtant, qu'est-il resté ? Après Sylla, j'ai dit comment son œuvre disparut vite. Après Cromwell, vous savez le pauvre règne de son fils et la fin ignominieuse de sa république. Louis XI lui-même ne laissa pas la monarchie bien puissante sous Charles VIII ; le patient Louis XII, le bon homme Henri IV firent bien plus pour elle. Richelieu, après tant de sang versé, laissa l'aristocratie toujours vivante, les querelles de la Fronde, l'extrême danger et l'extrême faiblesse de la royauté : et qui prépara la grandeur de Louis XIV, sinon Mazarin, cet Italien doux et sournois, cet homme si attaquable d'ailleurs, mais qui ne fut ni vindicatif ni sanguinaire ? Reste la Convention, ou plutôt le Comité de salut public qui fut le despote de la Convention comme de la France : le Comité de salut public n'a pas sauvé la France, la France s'est sauvée elle-même, par son armée ; sans lui et malgré lui ; le Comité de salut public n'a accompli aucune de ses vues, n'a terminé aucune des luttes qu'il soutenait, n'a rendu impossibles, grâce à Dieu, ni la royauté, ni le pouvoir absolu, ni le gouvernement d'aucun des partis qu'il combattait ; s'il a rendu quelque chose impossible, c'est la république.

César fut un homme supérieur, parce qu'il suivit une marche toute contraire, parce qu'il sut que rien ne se termine dans le sang, et qu'on ne tue pas les partis. En laissant vivre les républicains, il tuait la république ; et en effet, elle n'eut pas après lui un instant d'existence sérieuse. Cette noble pensée fut son escorte dans la guerre, son élément de force dans la cité ; elle devait être sa gloire dans l'avenir : exemple rare même chez les modernes, et qui, je crois, n'a pas eu son pareil dans l'antiquité 1

Du reste, rien de grand ni d'utile n'échappait à la pensée de César. Le calcul des jours se faisait si mal, que ni les solstices et les équinoxes, ni les temps des récoltes et des vendanges ne s'accordaient plus avec la numération des pontifes ; pour se trouver d'accord avec le soleil, il fallut faire une année de 445 jours : César, qui avait étudié l'astronomie en Égypte et composé un poème sur cette science, fit réformer le calendrier[88]. Rome allait s'agrandir et s'embellir : un nouveau théâtre s'élevait au pied du Capitole ; un temple de Mars, plus grand que ne fut aucun temple, allait être construit sur la rive droite du Tibre ; le Tibre, à partir du pont Milvius (ponte Molle), aurait été détourné et serait allé passer au pied des monts Vaticans — le monte Mario et la hauteur sur laquelle est construit le palais du Vatican — ; le Champ de Mars aurait été transporté sur ce terrain conquis pour la ville de Rome ; l'ancien Champ de Mars aurait été couvert de bâtiments[89]. Le dessèchement des marais Pontins, l'écoulement à donner au lac Fucin, la coupure de l'isthme de Corinthe, ces projets tant de fois médités étaient repris. Une carte de tout l'empire, travail immense pour l'antiquité, devait indiquer toutes les routes et les distances.

César n'oubliait pas non plus les droits de l'intelligence ; Varron préparait pour les ouvrir au peuple, des bibliothèques grecques et latines. Un travail d'un autre genre devait réunir et classer les lois civiles, dont la multitude amenait la confusion. César, fidèle à sa mission de rallier les peuples à l'unité, voulait que Rome touchât les deux bouts de son empire ; un lit nouveau donné au Tibre, un port nouveau à Ostie, l'auraient rapprochée de la mer de Toscane et de l'Occident ; des routes directes par-dessus les chaînes de l'Apennin l'auraient rapprochée de l'Adriatique et de l'Orient[90].

Mais le temps devait manquer à César. Pendant la guerre de Munda, les dernières et atroces convulsions de la liberté avaient flétri son âme. Après cette guerre (710), le triomphe dédaigneusement abandonné par lui à ses lieutenants déplut au peuple ; on trouva le triomphe cruel après une victoire sur les Romains, et de plus on le trouva mesquin : on n'applaudit pas[91]. A cette époque, César prenait une escorte de 2.000 hommes pour aller souper dans la villa de Cicéron ; il se réconciliait avec Antoine, son mauvais génie ; et Cicéron n'espérait plus qu'une demi-liberté en récompense de son obscurité et de son silence[92].

Le sénat cependant accable César d'honneurs inouïs, le nomme père de la patrie, consul pour dix ans, dictateur perpétuel, lui confère (bien en vain !) l'inviolabilité religieuse qui entoure la personne des tribuns. L'hérédité des honneurs, chose inconnue à Rome, est imaginée pour une race qui ne naîtra pas : César est déclaré grand pontife héréditaire ; ses fils — il n'en a pas et n'en doit pas laisser d'autre que le bâtard Césarion — porteront le titre d'imperator et celui de pontife — une charge publique héréditaire était à Rome quelque chose d'inouï —. César reçoit tout cela avec facilité, avec indifférence, sans penser qu'il peut y avoir un piège sous ces flatteries. Le droit de cacher sous une couronne de lauriers la chauveté de sa tête est le seul qui flatte la coquetterie de César.

Le sénat asservi l'a proclamé libérateur, le sénat corrompu préfet des mœurs, le sénat sans foi l'a fait dieu. César vivant, César flétri avant l'âge, a des autels, des temples, des sacrifices, le coussin sacré, le char sacré pour son image, tous les privilèges de Jupiter. César s'appelle Jupiter-Julius ; sa statue est au temple avec celle des dieux : il y a plus, elle est au Capitole avec celle des rois ; flatterie homicide !

Un moderne a dit : Quand on veut changer dans une république, c'est moins les choses que le temps que l'on considère... Vous pouvez aujourd'hui Ôter à cette ville ses franchises, ses lois, ses privilèges ; demain ne songez pas même à réformer ses enseignes[93]. Cette vérité, qui est l'histoire de l'esprit constitutionnel chez tous les peuples, cette vérité si vulgaire échappe à César. Il se laisse aller à jouer le dieu. Il oublie de laisser au peuple ces dehors de liberté auxquels le peuple tient souvent plus qu'à la liberté même. Il se joue avec les consulats et les prétures, laisse pendant toute la guerre d'Espagne Rome sans magistrats, crée des consuls plusieurs années à l'avance, quitte le consulat et met à sa place qui il veut, nomme un consul pour dix-sept heures, donne des charges à ses esclaves, se rit des auspices[94], ne regarde même pas la lettre de la loi, si facile et si accommodante : il oublie qu'il faut à la révolte bien plutôt des prétextes que des raisons.

Un tribun refuse de se lever sur son passage : Tribun, lui dit-il, viens-tu me redemander la république ? et il ne donne plus un ordre sans ajouter ironiquement : Si Pontius Aquila le permet. Le sénat vient à lui, chargé de décrets honorifiques : César ne se lève même pas devant le sénat. Il dit tout haut : La république n'est rien ; c'est un nom, une ombre sans corps ; Sylla n'a été qu'un sot quand il a abdiqué : je veux qu'on me parle désormais avec plus de réserve et que mes paroles soient des lois. Le peuple dit que César ira plus loin encore, que Rome cessera d'être la capitale du monde, que l'empire sera transféré à Ilion, à Alexandrie ; que l'Italie, épuisée par des levées d'hommes, sera abandonnée à la, dangereuse tutelle des amis de César. Une loi est prête, on l'a lue, Helvius Cinna l'a dans sa poche : elle autorisera César à épouser telles femmes et autant de femmes qu'il voudra pour donner des rejetons à sa dynastie[95].

La faveur du peuple se détache-t-elle de César comme elle se détache toujours des grandeurs qui déclinent ? Dans une certaine fête où les images de César se trouvaient mêlées aux images des dieux, on s'est tu devant les dieux pour ne pas acclamer César.

Tant de fatigues souffertes, tant de périls bravés, tant d'efforts de volonté et d'intelligence ont-ils épuisé César Les débauches de sa jeunesse, l'épilepsie, dont il craint sans cesse le retour, et qui fut aussi la maladie de son successeur Caligula, lui ont-elles préparé une précoce décadence ? Le vertige de l'empire, qui eut une prise si facile sur les faibles cerveaux des Caligula et des Néron, l'étourdissement d'un tel pouvoir joint à un tel danger, a-t-il pu obscurcir la vue de César et jeter un nuage sur sa pensée ? César sent-il l'affaiblissement de son génie ? — Une tristesse mélancolique, signe de la décadence de son âme comme de l'affaissement de son corps, le rend indifférent à la vie : Sa mort, dit-il, après tout, est à redouter non pour lui, mais pour la république ; en fait de gloire et de puissance ses désirs ont été comblés ; mais la république, après lui, ne doit attendre que des calamités sans fin et une guerre civile pire que la première[96]. Malgré les prières de ses amis, il a renvoyé sa garde espagnole : il aime mieux succomber une fois que craindre toujours. On le prémunit contre Antoine et Dolabella : Je ne redoute pas ces faces réjouies ; ce sont les visages pâles qu'il faut craindre. Mais lui parle-t-on du pâle Brutus : Croyez-vous, dit-il, en regardant son corps affaibli, que Brutus n'ait pas la patience d'attendre que ces pauvres restes aient fait leur temps ?

La seule pensée de la guerre pourrait l'aider à vivre ; dans les camps sa santé a toujours été plus forte. Il sait d'ailleurs quelles espérances tiennent le monde en suspens ; il sait que l'Orient est dans l'attente d'un conquérant et d'un maitre ; les traditions de tout l'univers, les oracles de la sibylle, les prophéties du judaïsme s'unissent pour annoncer aux hommes que l'heure approche. Le monde ne demande pas mieux que d'appliquer au dieu César ces prophéties qu'il appliquera plus tard à Auguste, à Néron, à Vespasien, à tous les tyrans plutôt qu'au Fils de l'homme qui, doux et humble de cœur[97], ne brisa pas le roseau froissé et n'éteignit pas la mèche encore fumante[98]. Porter la guerre en Asie, soumettre en passant les Daces qui infestent la Thrace et le Pont, dominer le Pont-Euxin et le Bosphore cimmérien (mer Noire et mer d'Azof), venger sur les Parthes la défaite de Crassus, conquérir l'Inde, revenir par le Caucase et la Scythie jusque dans la Germanie et la Gaule, toucher par tous les points cette mystérieuse limite du monde, ce fleuve Océan chanté par Homère ; être le héros que le monde attend, ouvrir cette grande année à l'approche de laquelle, comme dira le poète, se réjouissent le ciel et la terre, et l'Océan et l'univers entier ébranlé sur son axe éternel[99] : — telle est la pensée de César.

Mais c'est un roi que l'Orient appelle ! L'oracle universel demande un roi[100], et cet oracle n'est pas un caprice de la pythie, ni une facile interpolation de quelque pontife romain. César eut-il cette pensée ? voulut-il satisfaire la croyance des peuples ? ou bien trouva-t-il que c'était quelque chose de désirable par soi-même que ce titre de roi ; titre vulgaire prodigué par les clients à leur patron ; réservé dans Rome à un obscur personnage, le roi des sacrifices, que, sa besogne faite, on chassait immédiatement du Forum ; titre odieux et plein de dangers, si bien que Caligula lui-même, au milieu d'une orgie, eut le bon sens de n'en pas vouloir ?

Quoi qu'il en soit, César a cette faiblesse ; il veut être roi (710) ; et il a de funestes amis pour le seconder. Tout prend déjà les formes des royautés de l'Orient. Voyez Antoine, consul et prêtre de César, marcher à côté de la litière impériale, la tête humblement avancée dans la portière et sollicitant les ordres du maitre Antoine aposte des gens pour crier sur le passage de César : Vive le roi Le peuple se tait ; César est obligé de répondre qu'il est César et non pas roi. Aux Lupercales ; folle fête où les jeunes gens courent nus par la ville, Antoine, nu comme eux, se fait soulever par leurs mains jusqu'à la hauteur des rostres, où César est assis, lui offre la bandelette royale ; un gémissement de la foule avertit César de refuser : Antoine recommence, Antoine se prosterne, le peuple murmure encore ; César n'ose accepter le diadème, le renvoie à Jupiter, et néanmoins fait exiler deux tribuns qui ont arraché les bandelettes mises à sa statue[101].

Le peuple romain, qui prenait son parti de tout le reste, ne se résignera pas à l'idée de voir cette demi-aune de ruban autour du front de César. Les deux tribuns exilés ont un grand nombre de voix pour le consulat qu'ils ne demandent même pas. Un consul, que César a nommé contre les règles du droit, veut au théâtre se faire faire place par son licteur ; on lui crie : Tu n'es pas consul ! Et sous la statue de l'ancien Brutus, on trouve écrits ces mots : Si tu vivais aujourd'hui !

Ce ne fut donc pas le caprice d'un fou ni la monomanie d'un scélérat qui tua César. Ceux qui lui donnèrent la mort s'étaient résignés à sa dictature ; mais ils se révoltèrent à la pensée de sa royauté, et d'une royauté insolente comme celles de l'Orient. Marcus Brutus, ami personnel de César comme il avait été l'ennemi personnel de Pompée, mais qui par devoir avait combattu César et soutenu Pompée, Brutus devait juger la république impossible ; mais Brutus le stoïcien, le gendre et le neveu de Caton, pouvait bien n'accorder à César qu'une certaine mesure de tyrannie. Des compagnons d'armes de César, D. Brutus, Trébonius, Casca, plus de soixante sénateurs ou chevaliers, en tout plus de quatre-vingts conjurés, grands ou petits, bourgeois ou soldats, amis ou ennemis[102], ne se réunirent point pour aller renverser en étourdis le même pouvoir de qui ils avaient obtenu grâce ou récompense. Cette entreprise, louable selon la morale antique, fut conduite avec gravité : ce fut comme un jugement de l'ancienne république rendu contre César. Brutus fit décider qu'on ne toucherait à personne autre que le dictateur : et, quoique le secret ne fût pas juré, nul ne le trahit, pas même l'ivrogne Cimber ; la seule Portia, fille de Caton, femme de Brutus, le pénétra au prix de son sang.

Mais, comme s'il y avait toujours dans l'air quelques pressentiments d'une grande catastrophe, les avertissements arrivèrent en foule à César, comme à Henri IV. Le devin Spurinna le suppliait de prendre garde aux ides de mars (15 mars). Des chevaux, qu'après son passage du Rubicon, il avait consacrés aux dieux et abandonnés dans les pâturages, refusaient, disait-on, la nourriture et pleuraient en abondance. Ca nuit qui précéda les ides, Calpurnie rêva que le toit de sa maison s'écroulait, qu'elle tenait entre ses bras son mari sanglant ; et aussitôt toutes les portes de la chambre s'ouvrirent d'elles-mêmes. Le matin de ce jour, les entrailles de la victime étaient défavorables et annonçaient un vengeur ; aussi l'on sollicitait César de céder à la voix des dieux et de ne pas venir au sénat. Déjà malade, il hésita longtemps, ne se laissa décider que par D. Brutus, et se mit en chemin vers la cinquième heure seulement (onze heures du matin), pendant qu'un esclave, après avoir inutilement tâché de l'aborder, venait se remettre entre les mains de Calpurnie, pour révéler, disait-il, des secrets importants à César. Il y a plus, et le dictateur entra au sénat, tenant avec d'autres papiers le billet encore cacheté où le rhéteur Artémidore lui donnait le détail de la conjuration[103].

Or il était temps pour les conjurés d'agir ; car le sénat était assemblé ce jour-là même pour autoriser César à porter, hors de l'Italie, le titre de roi. Ils tuèrent César, dit Suétone, pour ne pas être obligés de voter ce décret. Tout fut grave et calme dans leur action. Peu auparavant, Cassius, avec un grand nombre d'entre eux, était au Capitole, faisant prendre la toge virile à son fils. D'autres tenaient leur audience comme magistrats ; à un plaideur qui en appelait à César, Brutus répondait : César ne m'empêchera pas de faire observer les lois. On lui annonça que Portia, dévorée d'inquiétudes, était évanouie et comme mourante ; il fut troublé, mais ne se retira pas. A l'heure du sénat, les conjurés y vinrent, le poignard sous la toge, en silence, s'interrogeant du regard ; il y eut parmi eux un mouvement de terreur muette quand un sénateur, qui paraissait avoir deviné le complot, s'approcha de César, lui parla bas et longtemps ; Cassius cherchait son poignard pour se tuer : Brutus examina la physionomie des deux interlocuteurs, et, sans mot dire, promena sur ses complices un regard tranquille qui les rassura. Le sang-froid de ces meurtriers ressemblerait à la paix d'une bonne conscience, s'il n'y avait pas toujours en l'homme une voix intérieure pour condamner le meurtre, même quand les lois et l'opinion le permettent.

On sait assez comment fut porté le coup. Les conjurés environnèrent César, le pressant et lui baisant les mains, sous prétexte de lui demander une grâce. Comme il la refusait, Cimber lui releva sa toge pour lui prendre les mains et la tête, et, à ce signal, comme César s'écriait : Mais c'est de la violence ! Casca frappa le premier, mais en tremblant. César, malgré une blessure dans la poitrine, se débattait comme un lion parmi les épieux des chasseurs, et porta un coup de stylet à Cassius ; dans leur acharnement, les conjurés se blessèrent les uns les autres. Mais quand César vit Brutus : Et tu es aussi du nombre ! toi, mon fils ! (Καί σύ εΐ έκείνων, καί σύ τέκνον !) lui dit-il en grec ; puis il s'enveloppa la tête, ramena sa toge sur ses jambes pour tomber avec décence, et demeura percé de vingt-trois coups auprès de la statue de Pompée, qui gisait là renversée comme pour l'attendre[104]

Mais la justice ne veut pas être servie par le poignard. Les meurtres accomplis pour une mauvaise cause ont trop souvent, hélas ! servi cette cause : tels de nos jours le crime de Louvel, celui d'Alibaud, ceux d'Orsini, de Milano, des meurtriers de Rossi. Au contraire, Charlotte Corday, qui croyait, en tuant Marat, tuer le régime de la Terreur, n'a fait qu'accroître et affermir la Terreur. Et de même l'entreprise de Brutus, si sérieusement conduite, ne devait pas avoir pour la liberté de résultat sérieux. Ce n'était pas César qu'il eût fallu tuer, c'était la république et l'esprit de la république qu'il eût fallu faire revivre. César n'avait fait que prendre la dictature des mains d'un autre et l'exercer plus franchement. La république ne pouvait plus être qu'une perpétuelle et changeante dictature, pire que la monarchie[105] Brutus donna à Rome des années de guerres civiles et de proscriptions, et pas un jour de liberté.

Aussi le premier sentiment, après le meurtre de César, fut-il celui d'un grand vide et d'une consternation générale. Quand le coup fut fait, Brutus voulut haranguer ce sénat qu'il venait de rétablir dans ses droits ; le sénat s'était enfui avec des cris de terreur. Il voulut parler au peuple ; le peuple, qu'il avait rendu libre, s'éloignait sur son passage. Chacun ne pensait qu'à sa sûreté ; Lepidus, maitre de la cavalerie, se cachait ; Antoine allait prendre une légion de César et la conduisait au Champ de Mars. Chacun fortifiait sa maison, se fournissait d'armes ; des gladiateurs sortaient armés du théâtre, pillaient le marché, tuaient dans les rues. Les conjurés, effrayés de la liberté dont ils étaient les auteurs, traversaient Rome deux à deux, tenant leurs poignards à la main, portant devant eux le bonnet de l'affranchissement, tâchant de calmer le peuple qu'ils venaient de faire souverain, et, sous une escorte de gladiateurs préparés à l'avance, ils allaient se mettre au Capitole en défense contre ce souverain. Le pouvoir manquait sans que la liberté fût revenue ; et si quelqu'un avait puissance dans Rome, c'était ce pauvre corps sanglant et criblé de coups, qu'au premier moment de terreur, sénateurs et conjurés avaient laissé seul dans la curie, et que maintenant trois esclaves emportaient, les bras pendants hors de la litière.

Le peuple était douteux, les chances d'un combat incertaines pour tous. Les amis de César négociaient avec ses meurtriers ; Antoine soupait chez Cassius. Mais restait une grande difficulté, le corps de César ; allait-on l'ensevelir avec honneur ? le jeter dans le Tibre ?

Brutus se montra généreux, permit les funérailles. César fut donc porté à la tribune, exposé sur un lit d'ivoire et d'or, avec un trophée que surmontait sa toge sanglante. La foule alla au Champ de Mars porter des offrandes à son bêcher, si nombreuse qu'on la dispensa d'y aller en ordre, selon l'usage ; le jour n'y eût pas suffi.

Les funérailles une fois permises, l'éloge du mort était de droit. Antoine se contenta de lire les décrets du sénat si adulateurs pour César, le serment prêté par tous les sénateurs et entre autres par les conjurés de défendre la personne de César ; puis, les esprits s'animant peu à peu, il déploya la toge sanglante, fit apporter une représentation en cire du cadavre, compta au doigt toutes les plaies, parla peu, mais des paroles touchantes, et pleura beaucoup.

Le peuple éclata. Ce peuple, en partie romain par la grâce de César, venait d'applaudir au théâtre les allusions contre les conjurés :

Les ai-je donc sauvés pour qu'ils fussent mes meurtriers ?[106]

ce peuple avait lu le testament de César, sur lequel étaient portés plusieurs des meurtriers ; ce peuple savait le legs que lui faisait César de ses jardins et de 300 sesterces par tête. Il eût avec plaisir embrasé Rome pour en faire un bûcher à César. Il parlait de brûler le corps dans le temple de Jupiter au Capitole, ou dans la curie même, théâtre du meurtre ; quand deux hommes, la javeline en main, s'approchèrent du lit funèbre et y mirent le feu. Bancs des sénateurs, comptoirs des marchands, armes et bracelets d'honneur des vétérans, habits de fête des musiciens, parures des matrones, bulles d'or des enfants, tout fut jeté dans les flammes ; les maisons voisines coururent un grand risque ; et, quand le peuple armé de tisons vint attaquer celles des conjurés, ils ne se défendirent qu'avec peine.

C'en était fait de leur cause : César mort les avait vaincus. L'univers pleurait César ; les étrangers de toute nation venaient tour à tour faire entendre auprès de ses cendres leurs lamentations sur le mort ; les Juifs, qui cherchaient déjà le Messie et avaient peut-être cru le trouver en César, passaient les nuits près de son bûcher. César fut Dieu ; autour d'une colonne élevée Au père de la patrie, s'offrirent des sacrifices, se firent des serments ; les dévots qui y venaient formèrent presque un parti, et un imposteur, qui se donnait pour petit-fils de Marius et cousin de César, en fut le chef. Une comète que l'on vit au ciel fut l'âme de César reçue dans l'Olympe[107].

Que laissait donc César après lui pour être si grand ? Avait-il guéri quelqu'une des plaies du monde ? avait-il seulement pensé à guérir la plaie capitale, l'esclavage ? Non, sans doute, et le monde ne pleurait en lui qu'une espérance, et une espérance qui ne se fût pas accomplie. Chose étrange, le pâle Octave fit plus que le brillant César n'avait su faire : Octave, ce terne et cauteleux personnage, tout souillé du sang des proscrits, dompta pour jamais l'esprit républicain, fonda l'empire sur les institutions qui le firent vivre tant bien que mal pendant trois siècles, concilia, pour un temps du moins, les intérêts en lutte dans l'État, maintint l'équilibre du monde, lui rendit une certaine force morale, sut, avec une puissance au moins égale à celle de César, résister mieux que hi au vertige du pouvoir, et suspendit pendant un demi-siècle le fatal entraînement des choses vers le règne des délateurs et des bourreaux.

Mais César était grand parce qu'il avait été sans le savoir l'instrument de la Providence à une époque où la Providence allait se rendre visible au monde. César, qui ne se posait pas en sauveur, fut salué comme tel, parce que les peuples attendaient un sauveur[108]. César eut la mission de préparer matériellement les voies au christianisme — car l'histoire chrétienne et l'histoire profane de ce siècle, qui semblent s'ignorer l'une l'autre, se touchent cependant par tous les points —. Non-seulement l'élargissement de la cité romaine, le droit de citoyen donné à des villes, à des peuples entiers ; mais surtout ces vastes guerres qu'il mena sur tous les points du monde civilisé, ces populations armées qu'il fit voyager de la Germanie en Afrique et des Gaules en Syrie, avec une célérité jusque-là sans exemple ; tout cela aida les rivalités à s'effacer, les peuples à se connaître, le monde à s'unir. La guerre, ce grand moyen de rapprochement entre les hommes, se fit rarement sur un plus vaste théâtre : dans ses dix ans de guerre au delà des Alpes, César avait rapproché de Rome la Gaule, la Germanie, la Bretagne, des peuples et des contrées dont Rome ignorait même l'existence : dans ses cinq ans de guerre civile, il mena avec lui la Germanie et la Gaule en Italie, en Égypte, en Espagne, au pied du Caucase, dans Athènes, Alexandrie, Carthage et Jérusalem. Peu d'hommes ont plus cheminé les armes à la main.

Ainsi, pour parler avec Bossuet, le commerce de tant de peuples divers, autrefois étrangers les uns aux autres et réunis sous la domination romaine, a été un des grands moyens dont la Providence se soit servie pour donner cours à l'Évangile[109]. Mais il faut comprendre que cette unité du monde romain n'était pas l'union des intelligences : les croyances se mêlaient, mais ne s'unissaient pas ; dans l'ordre moral, au lieu de l'unité, c'était le chaos. La tache morale et intellectuelle du christianisme restait donc tout entière ; le chemin lui était plus ouvert, non la victoire plus facile ; l'unité romaine était pour lui un moyen de publicité, non de persuasion et de triomphe, il ne triompha que par un miracle. Et quand il eut triomphé, à l'encontre de cette unité romaine tout extérieure et toute matérielle qui n'excluait, disait-on, que les esclaves et les barbares[110], mais enfin les excluait, s'éleva l'unité chrétienne, cette unité des cœurs et des intelligences, dans laquelle il n'y a ni esclave, ni homme libre, ni Grec, ni barbare, mais tous et le Christ en tous[111].

 

 

 



[1] Tabulæ novæ, exsulum reditus, in bona invasio, cædes. (Cic., ad Attic., X, 8.) Egestates tot egentissimorum hominum... libidines, audaciæ... sumptus. (Ibid., IX, 7.) Cæsar... Phalaris erit an Pisistratus ? (Ibid., VII, 20.) César, disait alors Cicéron, ne sera pas meilleur que Sylla. (Ibid., VII, 7.)

[2] Nil timidius, nil perturbatius. (Cic., ad Attic., VII, 13.) Homo et άπολιτικώτατος, ut antea putabam, nunc et άστρατηγικώτατος. (Ibid., VIII, 16.) V. encore VII, 19, 20.

[3] Sur la clémence de César envers Domitius pris à Corfinium, V. Sénèque, de Benef., III, 24 ; Suétone, Pline, Plutarque.

[4] Toutes les lettres de Cicéron à Atticus, et sa correspondance avec César et les amis de César. Att., VII, 12, 17 ; VIII, IX, X ; Fam., XVI, 12.

[5] Suet., in Cœs., 75.

[6] Villulas et nummulos. (Cic., ad Att., VIII, 13 ; VIII, 12 ; IX, 13.)

[7] Sullaturit animus ejus et proscripturit diu. (Cic., ad Att., XI, 10.) Meras proscriptiones, meros Sullas... Causa agetur fœdissime... utrinque difficultas pecuniarum... Leurs dettes, leurs beaux soupers, leurs discours. Sois sûr que si Pompée l'emporte, il ne restera pas une tuile en Italie. Tout le 9e livre à Atticus, entre autres, 7, 9, 11, 13, 14. V. aussi VII, 20, 22, 25 ; VIII, 1, 2, 3, 8, 9, 11, 16 ; IX, 9 ; XI, 6 ; Fam., IV, 14.

[8] Nil malle Cæsarem quam Pompeio principe sine metu agere (Cic., ad Att., VIII, 9.)

[9] Cic., ad Att., IX, 16.

[10] Cic., ad Att., IX, 14.

[11] V. les monnaies de César qui portent C. CÆSAR COS TER (708) ; — DICT TER (780) ; — DICT QVATER (709) ; DICT PERPETVO (710) ; PARENS PATRIÆ (710). Tête de César, couronnée de lauriers (709 et710). Tête de Vénus ; c'est Vénus Victrix, le mot d'ordre de Pharsale (709). Junon, Cérès, CLEMENTIÆ CÆSARIS, etc.

[12] C'est ce qu'écrit Célius à Cicéron, et Cicéron lui-même : Nihil nisi atrox cogitat et loquitur... simulationem amisit mansuetudinis in Metello, continentiæ in ærario... Ce règne ne peut pas durer six mois... César consent à être appelé tyran et l'est en effet... ; il n'a été clément que parce qu'il a vu que la clémence est populaire... Il n'a jamais vu l'ombre de ce qui s'appelle le beau (τοΰ καλοΰ). Fam., VIII, 16 ; ad Att., VII, 13 ; X, 4, 5, 7, 8.

[13] V. Cicéron : Consilium ducis nostri omne Themistocleum est.

[14] Matth., XII, 30. Et au contraire, Dieu dit aux hommes : Qui n'est pas contre vous est pour vous. Marc, IX, 39.

[15] Cic., ad Att., XI, 6. Præter ducem et paucos alios, animi rapaces, crudeles ita ut victoriam horrerem... Maximum æs alienum... Nil boni præter causam. (Fam., VII, 3.) C'est le contraire de ce que Cicéron disait tout à l'heure de César : Causam solum non habet.

[16] Senec., de Ira, II, 23. Sénèque ajoute ce joli mot : Gratissimum genus veniæ, nescire.

[17] Confisus fama rerum gestarum, infirmis auxiliis proficisci non dubitaverat, atque omnem sibi locum tutum fore arbitrabatur. (Cæsar., de Bello civ., III, 106.)

[18] Cæsar, de Bello civ., in fine.

[19] Cic., Fam., XVI, 9.

[20] Sur les Commentaires, V. Suet., 56, et Cic., in Bruto, 75. Sur l'Anti-Caton, Att., XII, 40, 45 ; Plut., in Cœs.

[21] Sur les harangues de César, V. Suet., 55, 56 ; Cic., Brut., 72, 75 ; de Offic., I, 37 ; Quintilien, X, 1, 2 ; XII, 10 ; Tacite, de Oratoribus, 21, 25, 34 ; Pline, Épist., I, 20, v. 3 ; Tacite, Ann., XIII, 3. Ses qualités étaient la force, la chaleur, la promptitude des reparties mordantes. Eodem animo digit quo bellavit, dit Quintilien, X, 1. Il nous est resté des vers de César.

[22] Suet., 56.

[23] Timor tabularum novarum... qui fere bella et civiles dissensiones sequi consuevit. (Cæsar, de Bello civ., III, 1.)

[24] Suet., 33, 38.

[25] Lettre politique, II.

[26] En autorisant les débiteurs à céder leurs biens aux prix qu'ils avaient avant la guerre civile, et à imputer sur le capital les intérêts payés. Cæsar, de Bello civ., III, 1 ; Suet., 42 ; Cic., de Offic., 11, 24.

[27] V. sa lettre à Cicéron, Fam., VIII, 17.

[28] César, III, 20, 21 ; Dion.

[29] V. sur Antoine : Cic., ad Att., VIII ; Plut., in Ant. ; Cic., Phil., II.

[30] Legionum nec vis eadem, nec voluntas... Italia abalienata, urbanæ res perditæ. (Cic., ad Attic., XI, 10.) Versor in gemitu Italiæ, urbis miserrimis querelis. (Fam., XV, 15.)

[31] Cic., ad Att., XI, 10, 12, 15.

[32] Une remise d'un an (annuam habitationem remisit) à tous les locataires au-dessous de 2.000 sesterces (390 francs) à Rome, de 500 en Italie. Suet., 38. Cette libéralité était-elle faite aux dépens des propriétaires ou aux dépens de César ? Il est peu probable que César se fût chargé d'une aussi énorme dépense.

[33] Cic., Phil., II, 27.

[34] Selon Velleius Paterculus (II, 56), 600 millions sesterces (116 millions de fr.) seulement.

[35] 788 kilogrammes, valant, d'après le prix de l'or à cette époque, 2.697.000 fr. Appien, de Bello civ., II.

[36] Pline, Hist. nat., XIX, 1 ; Dion, XLIII.

[37] Dion, XLIII, p. 221.

[38] J'évalue ici le sesterce à 28 c., et le denier à 1 fr. 12 c. (Voyez l'Appendice.)

[39] M s. Vindoboa. Suet., 38. avec la correction de Casaubon. Il avait déjà porté la solde de 1/3 de denier à 2/3 par jour (de 37 c. à 74 c.). V. Polyb., VI, 9 ; Suét., in Cœs., 26.

[40] V. Suet. Pline, XIX, 8. Dion.

[41] Facetiæ oblitæ Latio... in urbem nostram infusa peregrinitas... braccatis transalpinisque nationibus... ut nullum vestigium priscæ urbanitatis appareat. (Cic., Fam., XV, 9.) Exaruit vetus urbanitas. (Id., VII, 30.)

[42] B. F. (Bonum factum.) Ne quis senatori novo Curiam monstrare velit. (Suet., in Cœs., 80.)

[43] Omnia delata ad unum. (Cic., Fam., IV, 9 ; VI, 14.)

[44] Fam., IX, 14.

[45] Dion, XLIII, 23 ; II, Macrob., II, 7 ; Suet., 26, 39.

[46] Un homme demande à Cicéron de l'aider à devenir sénateur dans sa petite ville : A Rome ce serait aisé, répondit-il ; à Pompéi, c'est plus difficile.

[47] Il se passe bien des choses, dit Cicéron, qui ne plaisent pas même à César. C'est à cela qu'aboutissent les guerres civiles, que non-seulement il faut obéir au vainqueur, mais que le vainqueur à son tour obéit aux auxiliaires qui lui ont donné la victoire. Fam., XII, 18, et Dion, XLIII, p. 237.

[48] Denys d'Halicarnasse, III, 68. Pline, VIII, 7 ; XXXVI, 15, 24. Suétone, in Cœs., 39. Il lui donna une étendue de 3 stades sur (environ 200 mètres sur 200), et des places pour 150.000 spectateurs. Plus tard, un nouvel agrandissement, sous Vespasien, porta le nombre des places à 260.000.

[49] Dion, p. 223 et suiv. ; Suet., 37-39 ; Plut., in Cœs., 71 ; Pline, Hist. nat., XIV, 15. Je compte, selon l'usage le plus ordinaire, trois convives par lit.

[50] Sur ce temple de Vénus Genitrix. V. Suétone, in Cœs., 61, 78. Stace, Sylves, I, 1. Nibby, Roman antica, t. II, p. 148. Pline, Hist. nat., VII, S8 ; IX, 42 ; XXV, 23 ; XXXIV, 5 ; XXXV, 9, 11, 12. Ampère, L'Empire romain à Rome, t. I, p. 26.

[51] Sur la loi Julia majestatis, v. Cicéron, Philippic., I, 9. Dig. ad XLVII (Leg Jul. maj., I, 4.) Paul., Sent., V, 29.

[52] Et inanem prosequar umbram. (Lucain.)

[53] Miraris tam exhilaratam servitutem. (Fam., IX, 26 ; V ; IV, 14 ; IX, 16, 19, 20.) Toutes les lettres à Pætus.

[54] Me republica mœstuna domus accipiebat. Nunc in domo dolentem, resp. non recipit. (Fam., IV, 6.) V. encore IV, 3, 4, 9, 13 ; VI, 1, 6 ; VII, 3,.8 ; XV, 18, et même devant César il dit : Je regrette que la république, qui devrait être immortelle, soit maintenant renfermée dans un homme mortel. Pro Marcello. Et, dans le reste du discours, tout en louant César, il indique bien la pensée que le régime actuel ne devrait être que provisoire et que l'État Romain est à constituer : Si, en finissant, tu laissais la république dans l'état où elle est aujourd'hui, tu rencontrerais dans la postérité plus d'étonnement que de gloire.  8 et 9.

[55] Ea nobis erepta quæ hominibus non minus quam liberi cara sunt, patria, honestas, dignitas, écrit Servius. Fam., IV,5. Quod perfugium spoliato et domesticis et forensibus ornamentis et solatiis. (Cic., ibid., V, 15.) Remarquez ces mots bien propres à l'honneur romain. Et Cicéron dit ailleurs plus énergiquement : Sedebamus in puppi, nunc vix est in sentina locus. J'étais au gouvernail, j'ai à peine place à fond de cale. Fam., IX, 15.

[56] Ut in τοΐς έρωτικοις... Cic., ad Att., IX, X.

[57] Id., Philipp., II.

[58] Cic., ad Att., XIII, 52.

[59] Cæsarem σύνναον Quirino malo quam Saluti. (Id., ibid., XII, 45.) Il faut se souvenir que Romulus périt assassiné.

[60] Cic., Fam., IV, 9.

[61] Nil melius ipso. Cæteri et cætera ejusmodi, ut audire mens quam videre. (Id., Fam., IV, 4.)

[62] V. Salluste, Lettre politique, II ; Cic., pro Ligario, 15. Multi ad Cœsarem detulerunt, plures delaturi sunt. (Cic., ad Attic., XI, 27.)

[63] Je crains le brigandage pour ta fortune, écrit Cicéron à Marcellus exilé ; qui sont ces brigands, je te le dirais, si tu ne devais pas le deviner. (Probablement Antoine.) Cic., Fam., IV, 7.

[64] Notre correspondance n'est pas sûre ; ce n'est pas la faute du vainqueur, le plus modéré des hommes ; c'est celle de la victoire, toujours insolente dans les guerres civiles. Id., ibid., IV, 4.

[65] Magna gladiorum licentia, præsertim in externis. (Cic.)

[66] Salluste, loc. cit.

[67] La population investie du droit de cité romaine avait été recensée en 683 à 450.000 citoyens. (Tite-Liv., Épitomé, XCVIII.) Après les guerres civiles, elle se trouva ne plus être que de moitié, par conséquent 225.000. (Appien, de Bello civili, II, 102. Dion, XLIII, 25.) — Plut., in Cæsar, 4,) ; Tite-Live, Épit., CXV, ne portent même que le chiffre de 150.000 pour le recensement de l'an 708. Mais ce chiffre doit s'entendre de citoyens romains habitant Rome et participant aux distributions de blé. (V. Suétone, in Cœs., 41).

[68] V. Salluste, et Cicéron, pro Marcello. Revocanda fidespropaganda soboles, reprimendæ libidines, vulnera belli curanda.

[69] Victores prædam petunt, victi cives sunt. (Sallust., ibid.)

[70] Fac uti quam optumis imperites. Nam pessumus quisque asperrime rectorem patitur. (Ibid.)

[71] Neque barbaro ritu, cæde cædem, sanguine sanguinem expiandum. (Ibid.)

[72] Non ad vetera instituta revocamus quæ jam corruptis moribus ludibrio sunt, sed si suam cuique rem familiarem finem sumptuum statueris... (Ibid.) Cicéron donnait les mêmes conseils à César : Il faut relever ce que forcément les guerres civiles ont détruit, reconstituer les tribunaux, rétablir le crédit, réprimer la licence, favoriser la population ; mettre un terme par des lois sévères à tous les relâchements des derniers temps. Pro Marcello, 8.

[73] Provideas uti plebes, largitionibus et frumento publico corrupta, habeat negotia sua, quibus a malo publico distineatur, etc. (Ibid.)

[74] Lex Julia sumptuaria. Suet., in Cœs., 43. Cic., ad Attic., XIII, 7 ; Fam., VII, 26 ; IX, 15, 26. Dion, XLIII, 25. Pline, Hist. nat., XIV, 15. Aulu-Gelle, II, 24.

[75] Suet., in Cœs., 43. Eusèbe, ad Olymp., 183.

[76] Leges Juliæ : — majestatis (en 706, contre les crimes de haute trahison. Cic., Phil., I. 9) ; — repetundarum (contre les exactions des proconsuls) ; très-rigoureuse (Cic., Fam., VIII, 7. 8 et ailleurs ; Suet., in Cœs.) ; — de residuis (contre les comptables inexacts) ; — peculatus (comprenant aussi des peines contre le sacrilège) ; — de vi publica et privata (contre toute espèce de violence). (Cic., ibid.) César aggrava aussi la peine du parricide. (Suet., 48.) — V. sur ces lois qui furent le fondement du droit pénal de l'empire, les titres du Digeste, des deux Codes et des Sentences de Paul (V, 2-29), qui portent la rubrique de ces lois.

[77] V. sur tout ceci, Suet., in Cœs., 41, 42-43.

[78] Suet., in Cœs., 42. Plut., in Cœs., 15, Dion, XLIII, 239.

[79] Lex Julia de modo credendi possidendique extra Italiam. (Tacit., Ann., VI, 14.) Cette loi est différente de celle qui date du consulat de César (695), et par laquelle il défendait d'avoir en numéraire plus de 70.000 sesterces (Dion, XLI, p. 171.)

[80] Loi Cassia. Tacite, Ann., XI, 25 ; Suet., 41.

[81] V. Cic., ad Attic., II, 94, 119 et suiv. ; Rom., IX, 17 ; XIII, 4, 5, 7, 8. D'après ces lettres, il semble que les propriétaires aient eu des craintes. Mais il faut penser combien les titres de propriété étaient incertains, et combien de possesseurs pouvaient être légitimement évincés. On voit par ces lettres que les distributions se faisaient entre autres dans les territoires de Véies, de Capoue et de Volterra ; d'après Frontin (de Coloniis), dans ceux de Lavinium, Minturnes, Vulturne, Véies, Cures, Lanuvium, etc.

[82] V. Suet., in Cœs., 42, 38. V. aussi Cic., ad Attic., XIII, 7.

[83] Il y a dans César une douce et clémente nature... Cic., Fam.. VI. 6... Celui qui peut tout revient chaque jour à l'équité et à l'ordre naturel des choses. La république ne peut être toujours dans le deuil ; elle finira par se relever... Il montre chaque jour plus de clémence et de douceur que nous n'en pouvions attendre. Ibid., 10. V. les lettres de Cicéron à Marcellus, IV, 3, 7, 8, 9, Il ; à Ligarius, VI, 13, 14... ; à Cécina, VI, 4, 7, 8... ; à Torquatus, IV, 12, 4 ; à Trebianus, VI, 10, 11.

[84] Suet., in Cœs., 75.

[85] Dion, XLIV. Rappel de Marcellus. Cic., Fam., VI, 6, et le fameux pro Marcello.

[86] Et même alors on disait : Il n'y a ni art ni science à exercer la tyrannie, et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort bornée et de nul raffinement. (La Bruyère, ch. X.)

[87] J'écrivais avant 1871.

[88] Suet., in Cœs., 4. Dion, XLIII, p. 226. Macrob., Saturn., I, 13, 14. Solinus, 3. Censorinus, etc. La première année (bissextile) du calendrier réformé commença le 1er janvier de l'an 45 av. J.-C. (708 de Rome).

[89] Cic., ad Attic., XIII, 20, 33, 35.

[90] Sur tout ceci, Suet., in. Cœs., 41.

[91] Cic., ad Attic., XIII, 13.

[92] Semiliberi saltem simus quod assequemur latendo et tacendo. Cic., ad Attic., XIII, 31.

[93] La Bruyère, X.

[94] Cic., Fam., VII, 30, 31, et Philipp., II, 32. Suet., in Cœs., 76 et suiv.

[95] V. Suétone et Plutarque, confirmés par le césarien Nicolas de Damas. César, dit-il, s'estimait déjà plus qu'un simple mortel. In Cœs., 19, 20.

[96] Suet., in Cœs., 86.

[97] Math., XI, 29.

[98] Isaïe, XLII, 3.

[99] Virgile, Eglog., IV.

[100] Suet., in Cœs., 79.

[101] Cic., Philipp., II, 34. Suet., in Cœs., 79. Plutarque, Nicolas de Damas, 20, 1 Le récit de cet écrivain n'infirme pas la pensée qu'Antoine agissait de complicité avec César.

[102] Nicolas de Damas, 19.

[103] Suet., in Cœs., 81. Nicolas de Damas, 24.

[104] V. Suet., in Cœs., 82 ; Plutarque, Appien, Dion. Nicolas de Damas (24) dit 35 blessures. César fut tué dans la curie et près du théâtre de Pompée ; l'emplacement de cette curie serait, selon quelques savants, l'église de Saint-Loredan et le palais voisin de la Chancellerie, où le comte Rossi périt, eu 1848, assassiné en défendant une cause autrement juste et glorieuse. La statue de Pompée, qui est au palais Spada et qui serait celle auprès de laquelle César tomba a été trouvée en 1553 près du palais de la Chancellerie. Mais la plupart des archéologues placent la curie et le théâtre de Pompée à une certaine distance de là, près de l'église de San-Carlo à Catinari. V. aussi Cic., Philipp., II, 35. V. Nibby, t. II, p. 619 et suiv. Ampère, Emp. rom., t. I, p. 64 st suiv.

[105] Sénèque le dit très-bien : Brutus se trompa quand il crut la liberté possible, là où la servitude, comme le despotisme, avait de si grandes récompenses à attendre ; quand il crut possible la restauration de l'ancienne Rome, là où les anciennes mœurs étaient perdues ; quand il crut possible l'égalité des droits et le respect pour l'ordre légal, après avoir vu tant de milliers d'hommes combattre pour savoir, non s'ils auraient un maître, mais qui serait le maitre. Combien méconnaissait il et son pays et la nature humaine, s'il pensait qu'après la mort d'un tyran, il ne s'en trouverait pas un autre prêt à lui succéder ! (De Beneficiis, II, 20.)

[106] Men' men' servasse ut essent qui me perderent ! (Pacuvius, dans le Jugement des armes. Suet., in Cœs., 84. V. aussi Cic., Philipp., II, 36.)

[107] Monnaies qui mentionnent l'apothéose de César. DIVVS IVLIVS — Temple avec sa statue et l'inscription D. IVLIO. — Autel embrasé. — Tête de César radiée. La comète... (Quelquefois la tête d'Auguste au revers.)

[108] Une inscription, gravée au nom des villes de l'Asie, appelle César Dieu manifesté et commun sauveur de genre humain (Inscription d'Éphèse, Pococke, Inscript. ant., 8.)

[109] Disc. sur l'hist. univ., III, 1.

[110] Urbs... in qua soli barbari et servi peregrinantur. (Sidonius Apollinaris.)

[111] Novum hominem... ubi non est gentilis et Judæeus, circumcisio et præputium, barbarus et Scytha, servus et liber, sed omnia et in omnibus Christus. (Coloss., III, 11.)