LA RÉGENCE GALANTE

 

II. — DERNIERS JOURS DE L'IMMORTEL.

 

 

Manœuvres de la coterie. — Edit nouveau. — Les batardeaux déifiés. — Murmures de la cour. — Question de la Régence. — Testament de l'Immortel, Cabales. — Parti du duc d'Orléans. — Cachettes. — La cour et la ville. — Paris de lord Stair et des Anglais. — Une lecture désagréable. — Louis XIV veut tromper la mort. — Le jour de sa fête. — Les médecins du roi. — Extrême-Onction. — Craintes de madame du Maine. — Paroles au Dauphin. — La reine secrète et la Palatine. — Rendez-vous donné à madame de Maintenon. — L'empirique Lebrun. — Fagon. — Le roi va mieux. — Le roi va plus mal. — Agonie et mort.

 

Il ne suffisait pas d'avoir créé une position à M. et, Madame du Maine, il fallait en assurer les bases pour l'avenir. La famille royale avait été cruellement frappée par la mort, et l'héritier du trône n'avait pas cinq ans. line régence était inévitable. Madame de Maintenon poursuivit son but en faveur du Légitimé contre le duc d'Orléans, en faveur de la cour de Sceaux contre celle du Palais-Royal. D'accord avec le jésuite Le Tellier, confesseur de Louis XIV, elle s'efforça de faire tester le monarque, accablé à la fois par la maladie et par la vieillesse.

Dès qu'elle put prévoir raisonnablement le terme fatal, la coterie des légitimés ne quitta plus Louis XIV, que la mort effrayait. Le 41 juillet 1714, le vieux roi avait fait paraître un édit qui conférait à ses bâtards un honneur de princes du sang, et qui les appelait au trône à défaut de la ligne légitime.

Louis violait ainsi toutes les lois divines et humaines ; on l'a répété, il scellait, par un dernier scandale, le scandale de la naissance doublement adultère de ces princes, qu'il eût dû à jamais cacher. Le monarque agissait en Dieu jusqu'à la fin, se moquant de ce que dirait la France épuisée, prouvant jusqu'à la fin qu'il considérait ses courtisans comme de simples spectateurs de la comédie commencée depuis plus de vingt ans.

Seulement, les batardeaux déifiés, remarque Saint-Simon, ne parurent que quelques moments à Marly. M. du Maine crut nécessaire cet air de modestie et de ménagement pour le public. Il n'eut pas tort... La cour éclata en murmures bien plus qu'on n'aurait cru. Paris se déchaîna, et les provinces, le parlement, chacun à part, ne se contraignit pas. Madame de Maintenon, transportée de son ouvrage, en recevait les adorations de ses familières... Quoiqu'il n'y eût plus personne du sang légitime à craindre, ils ne laissèrent pas d'être effarouchés, et le roi fut gardé à vue, et persuadé par des récits apostés de la joie et de l'approbation générale à ce qu'il venait de faire. Al. du Maine n'eut garde de se vanter de l'air triste, morne, confondu, dont une cour esclave lui portail un hommage forcé, et qui n'en cachait pas la violence. Madame du Maine triompha à Sceaux de la douleur publique. Elle redoubla de fêtes et de plaisirs...

Louis XIV ne cessait de faire des actes qui montraient ses intentions à l'égard de ses enfants naturels. A la mort de la veuve du duc de Verneuil, bâtard de Henri IV, il avait pris le deuil pour quinze jours.

Ce ne fut pas assez pour la coterie des légitimés. Elle traita à son point de vue la question de future régence.

Elle parla d'états-généraux pour nommer un régent du vivant même de Louis XIV, car elle ne doutait pas que cette assemblée ne dût choisir le prince le plus agréable au roi, c'est-à-dire le duc du Maine.

Mais le vieux monarque ne voulut pas démentir les idées de toute sa vie. Le mot d'états-généraux lit tressaillir Louis, bien qu'il ne fût plus que l'ombre de lui-même ; un appel à la nation indignait sa tenace personnalité. Malgré sa faiblesse, il refusa.

Comment donc s'y prendre pour écarter de la régence le duc d'Orléans ?

Il y avait un moyen qui ne pouvait froisser l'absolutisme du roi, c'était un testament. La coterie adopta ce moyen, tout en n'ignorant pas quelles autres difficultés se présenteraient.

Un testament ! de quelle façon parler de cet acte suprême à l'immortel ? On prépara les choses de longue date. On dora la pilule à Louis XIV, en multipliant les musiques, en l'égayant par des ambassades ridicules qui ressemblaient à des réunions de masques. Enfin, le 2 août 4714, Louis, obsédé par madame de Maintenon et ses protégés, céda et chargea le chancelier Daniel François Voysin d'écrire ses dernières volontés.

Voysin obéit, car un bon voisin fait toujours ce qui plait, remarqua la duchesse du Maine. Il obéit, bien que son avantage réel consistât à respecter les droits du duc d'Orléans, prince légitime, et neveu du roi.

Le dimanche 27 août, Louis XIV appela, à l'issue de son lever, le premier président de Mesmes et le procureur-général Daguesseau. Seul avec eux dans son cabinet, il leur remit en mains un paquet cacheté de sept cachets, qu'il avait pris dans un tiroir sous sa clef, et il dit aux deux magistrats :

Messieurs, voici mon testament ; qui que ce soit que moi ne sait ce qu'il contient. Je vous le confie pour le déposer au parlement, à qui je ne puis donner une plus grande preuve de mon estime et de ma confiance. L'exemple du testament du roi mon père ne me laisse pas ignorer ce que celui-ci peut devenir ; mais on l'a voulu, on m'a tourmenté, on ne m'a pas laissé de repos, quoi que j'aie pu dire. Oh bien, j'ai donc acheté mon repos. Le voilà, emportez-le, il deviendra ce qu'il pourra ; au moins j'aurai patience et je n'en entendrai plus parler.

En prononçant la dernière phrase, qu'il finit avec un coup de tête fort sec, il leur tourna le dos, passa dans un autre cabinet, et les laissa tous deux presque changés en statues, écrit Saint-Simon.

L'après- midi seulement, on sut que le roi avait fait un testament, et qu'il l'avait remis à de Mesmes et à Daguesseau.

Dans cet acte, il n'enlevait pas la régence au duc d'Orléans, mais il le transformait en chef fantastique d'un conseil de courtisans sans valeur et de ministres impopulaires ; il donnait à M. du Maine la tutelle du roi mineur, avec le commandement militaire.

Le lendemain lundi, 28, la reine d'Angleterre vint de Chaillot, où elle était presque toujours, à Versailles. Elle félicita Louis XIV sur son attention à pourvoir, par un testament, au gouvernement du royaume. Le monarque repartit :

J'ai dicté un testament, mais je crains bien qu'il n'en soit de celui-ci comme de celui de mon père.

Sa mauvaise humeur dura huit jours au moins. Peut-être comprenait-il que son acte suprême n'avait que de vaines apparences, et qu'il retombait, lui, vieillard octogénaire, dans les mains des cabales.

Quant à la coterie, à la reine secrète — madame de Maintenon —, au bon voisin — le chancelier —, et au duc du Maine, ils ne fondaient pas tous le même espoir sur le testament de Louis XIV. Le chancelier Voysin, notamment, fit proposer par le maréchal de Villeroi au duc d'Orléans, principal intéressé, de lui révéler le contenu du testament, moyennant la conservation des sceaux ; il s'engagea en outre à se démettre de la place de secrétaire d'état de la guerre, sous la condition qu'on lui paierait comptant quatre cent mille livres.

Assurément, quoi que les légitimés essayassent de faire, le temps de la disgrâce semblait passé pour le duc d'Orléans, chez qui se tinrent de secrètes conférences, et dont les amis se recrutèrent parmi les persécutés du règne qui s'éteignait. Autour de ce prince épicurien se rallièrent les rigides jansénistes, comme pour prouver une fois de plus que les extrêmes se touchent, au compte de la politique nu de l'ambition : avec eux étaient gagnés par avance les chefs du parlement. On compta aussi, dans les conciliabules du Palais-Royal, quelques quiétistes, amis du doux Fénelon, qui haïssaient moins les vices du neveu que l'intolérance de l'oncle, observe Lémontey. Les indiscrétions de Voysin leur avaient appris que le roi, dans son testament, recommandait de maintenir les édits contre les protestants. Enfin, des courtisans fieffés de Louis XIV, gens auxquels les faveurs étaient indispensables, ne manquèrent pas de faire volte-face en temps opportun. Le plus avide d'entre eux, le duc de Noailles, s'empressa de tromper son bienfaiteur au lit de mort. On lai avait promis les finances.

Telles furent les intrigues qui se croisèrent en silence, suit chez les soutiens du camp des dévots, soit chez les commensaux du duc d'Orléans.

Le testament. royal fut mis en une niche creusée dans l'épaisseur du mur d'une tour du Palais de Justice, derrière la buvette de la grande chambre et le cabinet du premier président. Cette niche était défendue par une grille de fer et par une porte munie de trois serrures différentes. Le premier président garda une clef, le procureur-général une autre, et le greffier en chef du parlement la troisième. On assembla le parlement, et le premier président vanta fort l'honneur qu'il y avait pour lui de posséder ainsi la confiance du monarque.

Tout Paris, apprenant que le roi avait testé, se perdit en conjectures. Les épigrammes, les vaudevilles, les placards, les plaisanteries les plus amères résultèrent de cette nouvelle. Chacun proclama un légataire universel de son choix. Le nom dut duc du Maine sortait de presque toutes les bouches.

Pendant plusieurs mois, de septembre 1714 à juin 1715, la peur fut en proie aux cabales les plus sournoises, les plus compliquées, et la ville escompta la mort de son souverain. Lord Stair — comte de Dalrimple — paria, selon le génie de sa nation, dit Voltaire, que le roi ne passerait pas le mois de septembre 1115.

En Angleterre, les paris s'ouvrirent sur le mente objet (juin de la même année). Le 1er septembre était la date fatale assignée. On donnait à Louis XIV trois mois à vivre : on peut juger que personne ne fut pressé d'apprendre au roi ces nouvelles de Londres. Il se faisait ordinairement lire les gazettes de Hollande en particulier par Torcy, souvent après le conseil d'Etat, raconte Saint-Simon. Un jour qu'à cette heure-là Torcy lui faisait cette lecture qu'il n'avait point parcourue auparavant, il rencontra ces paris à l'article de Londres ; il s'arrêta, balbutia et les sauta. Le roi, qui s'en aperçut aisément, lui demanda la cause de son embarras, ce qu'il passait, et pourquoi ; Torcy rougit jusqu'au blanc des yeux, dit ce qu'il put, enfin que c'était quelque impertinence indigne de lui être lue. Le roi insista ; Torcy aussi, dans le dernier embarras ; enfin il ne put résister aux commandements réitérés ; il lui lut les paris tout du long.

Louis XIV joua l'indifférence à l'endroit de cette lecture ; mais il fut profondément touché. En vain, en se mettant à table aussitôt après, il fit ce qu'il put pour manger, et pour montrer qu'il mangeait avec appétit. Les morceaux lui croissaient à la bouche.

Bien qu'il posât toujours sur son piédestal, qu'il n'eût rien changé à ses façons de vivre ni dans l'arrangement de ses journées, qu'il s'occupât continuellement des moindres détails de sa toilette, l'immortel déclinait d'une manière sensible. L'appétit de ce grand mangeur avait de beaucoup diminué !

Aux premiers jours d'août 1745, Louis XIV dépérissait à vue d'œil. Notre roi est raccourci avant sa mort de la valeur d'une tête, écrivit sa belle-sœur... Il était changé de façon à n'avoir plus rien qui lui ressemblât.

Comme pour tromper la mort, le vendredi 9 août, il courut encore le cerf dans sa calèche, qu'il mena lui-même ; le dimanche 11, il tint conseil et se promena dans les jardins de Trianon.

Ce fut sa dernière sortie. Néanmoins, il continua de travailler avec ses ministres, jusqu'au 23, date d'un second codicille par lequel il nomma Fleury précepteur, et Le Tellier confesseur du jeune roi. La veille, 22, il choisit des échantillons et commanda des habits neufs. Il mangea encore, en présence des courtisans qui avaient les entrées. Probablement il ne se croyait pas en danger.

Peu d'inquiétude, jusqu'au 25 août, parmi MM. d'O, de Caylus, de Lévi, et les légitimés, qui se tenaient sans cesse aux côtés du vieillard. Pourtant, à une jambe paraissaient, depuis la veille, des taches de gangrène.

Le 25, le roi avait fait venir la gendarmerie, qu'il se flattait de passer personnellement en revue. Sa faiblesse l'en empêcha.

M. du Maine remplaça Louis, et put, dans sa vanité, se croire déjà régent. Seulement, l'héritier, qui, depuis une semaine, avait quitté la robe, endossa un petit uniforme de capitaine de gendarmerie, et assista à la revue, où parut aussi l'antagoniste du Légitimé, le duc d'Orléans, à la tète des compagnies de son nom.

C'était le jour de la Saint-Louis, 25 août 1715. Vers sept heures du soir, les musiciens se préparaient pour le concert accoutumé, lorsque Louis XIV, qui devait y assister, se trouva mal. On remit le concert au lendemain ; on appela les médecins.

Près du roi, Maréchal avait été le docteur Tant-pis, et Fagon le docteur Tant-mieux. Ce dernier, très-vieux, absolument du même âge que l'immortel — il était né aussi en 1638 —, avait été aveuglé par son fétichisme au point de ne pas apercevoir à temps la petite fièvre lente qui minait le monarque, et par conséquent de négliger les remèdes qu'une robuste constitution pouvait rendre encore efficaces. En cette circonstance, Fagon avait justifié ces vers qu'on trouve dans le Recueil de Maurepas :

Que l'heure soit ou non venue,

Comme bourreau, médecin tue.

Cette fois, tous les médecins jugèrent et déclarèrent qu'il convenait de faire administrer les sacrements au roi, que le père Le Tellier vint aussitôt confesser.

A partir de ce moment, la cour s'attendit à une catastrophe, non-seulement inévitable, mais très-prochaine.

Le 25 août donc, sur les onze heures du soir, le cardinal de Rohan et le curé de la paroisse Notre-Dame de Versailles arrivèrent : on donna au roi le viatique et l'extrême-onction. Après la cérémonie, le moribond parla bas durant un quart d'heure environ, et d'une manière très-affectueuse, à son neveu le duc d'Orléans. Il lui parla les portes fermées, ainsi qu'à MM. du Maine et de Toulouse.

Or, madame au Maine vit d'un mauvais œil cet entretien avec le duc d'Orléans. Elle qui n'avait pu, à cause de quelque empêchement, se trouver avec les autres princesses lorsque celles-ci entrèrent toutes ensemble dans la chambre de Louis XIV, fit appeler le père Le Tellier, pour le prier de demander à Sa Majesté qu'elle voulût bien lui donner la consolation de se présenter à elle.

Au fond, madame du Maine craignait peut-être que l'on ne pense pas assez à son mari. Le roi ordonna qu'on la fit entrer[1].

Le 26, Louis, de plus en plus faible, prononça un adieu solennel devant ses courtisans Au petit héritier, qu'on lui amena, il dit :

— Mon enfant, vous allez être bientôt roi d'un grand royaume. N'oubliez jamais les obligations que vous avez à Dieu ; souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes. Tâchez de conserver la paix avec vos voisins. J'ai trop aimé la guerre, ne m'imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dépenses que j'ai faites. Prenez conseil en toutes choses. Soulagez vos peuplés le plus tôt que vous le pourrez, et faites ce que j'ai eu le malheur de ne pas faire moi-même.

Ces paroles furent inscrites au chevet du lit de l'enfant royal.

Le mardi 27, étant seul avec madame de Maintenon et le chancelier Voysin, Louis XIV se fit apporter deux cassettes, en tira beaucoup de papiers qu'il brûla ; puis il appela M. de Pontchartrain, ex-chancelier, lui ordonna d'expédier l'ordre de porter son cœur aux Jésuites, pour qu'on le plaçât vis- à-vis celui de Louis XIII. Ensuite, s'adressant à madame de Maintenon :

— J'avais toujours ouï dire, murmura-t-il, qu'il était difficile de mourir ; je touche à ce dernier moment, et je ne trouve pas que ce soit si pénible.

Elle lui répondit que la mort était affreuse, quand on avait de l'attachement aux créatures, de la haine dans le cœur, des restitutions à faire.

— Ah ! reprit le roi, pour des restitutions à faire, je n'en dois à personne comme particulier ; mais pour celles que je dois au royaume, j'espère en la miséricorde de Dieu.

La nuit qui suivit fut fort agitée. On lui voyait, dit Saint-Simon, à tous moments joindre les mains, et on l'entendait dire les prières qu'il avait accoutumé en santé, et se frapper la poitrine au Confiteor.

Déjà l'éternité commençait pour l'immortel. Du temps que j'étais roi !... s'écriait-il quelquefois.

La princesse Palatine, sa belle-sœur, ne tarda pas à se présenter : elle eut avec le mourant une conversation longue et attachante, dont madame de Maintenon prit ombrage, assez pour rougir jusqu'au blanc des yeux, et pour dire :

— Madame, allez-vous-en, le roi s'attendrit trop avec vous. Allez-vous-en, cela pourrait lui faire mal.

Quand la Palatine sortit, la reine secrète la reconduisit, et ajouta :

— Ne croyez point, madame, que ce soit moi qui vous aie rendu de mauvais offices auprès du roi.

— Ah ! madame, répondit la mère du duc d'Orléans toute en larmes, il n'est plus question de cela.

Louis XIV resta seul encore avec madame de Maintenon et Voysin, qui semblaient bien résolus à ne pas s'éloigner avant l'entier achèvement de leurs desseins.

Le 28, le roi aperçut deux domestiques qui pleuraient au pied de son lit.

— Pourquoi pleurez-vous ? dit-il. Mon âge a dû vous préparer à ma mort. M'avez-vous cru immortel ? Pour moi je n'ai point cru l'être.

Il regarda madame de Maintenon, et ajouta :

— Ce qui me console en vous quittant, c'est l'espérance que nous nous rejoindrons bientôt dans l'éternité.

Cet adieu, dit un historien que nous croyons sans peine, parut répugner beaucoup à madame de Maintenon. Elle partit aussitôt pour Saint-Cyr ; elle estimait faussement que son rôle était fini. Pour se montrer digne, ne devait-elle pas fermer les yeux au prince qui lui avait été si attaché ?

M. du Maine prépara tout pour le lit de justice qui suivrait immédiatement la mort du roi.

Parmi les courtisans, les uns environnaient les légitimes, le duc d'Orléans surtout ; les autres ne quittaient pas les légitimés, M. et madame du Maine et le comte de Toulouse.

Peu d'entre eux restèrent près du moribond, tandis que les gens de service remplissaient leur devoir.

Tout à coup, un empirique de Marseille, appelé Lebrun, espèce de manant provençal, se présenta, prônant un élixir qu'il déclarait infaillible contre la gangrène dont mourait le roi.

Les médecins, à bout de science, permirent que leur malade prît quelques gouttes de cet élixir.

M. du Maine assista à la consultation de cet homme. Fagon, accoutumé à régner sur la médecine avec despotisme, trouva — en Lebrun — une manière de paysan très-grossier, qui le malmena fort brutalement. M. du Maine, qui n'avait plus lieu de rien arracher, et qui se comptait déjà le maître du royaume, raconta le soir chez lui, parmi ses confidents, avec ce facétieux et cet art de fine plaisanterie qu'il possédait si bien, l'empire que ce malotru avait pris sur la médecine, l'étonnement, le scandale, l'humiliation de Fagon pour la première fois de sa vie, qui, à bout de son art et de ses espérances, s'était limaçonné en grommelant sur son bâton, sans oser répliquer, de peur d'essuyer pis. Ce bon et tendre fils leur lit si plaisamment le conte de cette aventure, que les voilà tous aux éclats de rire, et lui aussi, qui durèrent fort longtemps.

En vérité, cela donne une exacte idée de la sensibilité des gens de cour. Continuons, nous verrons encore mieux se dessiner leur caractère.

Grâce à l'élixir de l'empirique marseillais, dont il prit dix gouttes dans du vin d'Alicante, Louis XIV se ranima le 29.

Hors de l'appartement royal, ce mieux fut exagéré : on prétendit que le monarque avait mangé. Le va-et-vient habituel, organisé depuis la maladie, continua. Les courtisans s'éloignèrent du duc d'Orléans et de M. du Maine, pour revenir à Louis XIV. Aussi le premier s'écria-t-il, en homme qui connaît son monde :

Si le roi mange une seconde fois, nous n'aurons plus personne.

Mais bien que l'empirique Lebrun eût presque répondu de la guérison, le 30 commença l'agonie royale.

Il y eut un revirement de la plupart des courtisans, les uns vers les légitimes, les autres vers les légitimés ; et lorsque, le 31, Louis XIV n'eut plus que de courts et rares instants de connaissance, tous les courtisans quittèrent l'appartement du roi. Au lit du mourant se tinrent seulement le cardinal de Rohan et les ecclésiastiques du château, récitant les prières des agonisants.

Un dimanche, le 1er septembre 1715, à huit heures et un quart du matin, l'immortel expira. Il sembla que le soleil venait de s'éteindre.

Lord Stair avait gagné son pari !

 

 

 



[1] Histoire militaire de Louis XIV, de Quincy.