HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE XIX.

 

 

Les frondeurs dans les provinces. — Misère générale. — Comment finissent les frondeurs des deux époques. — Tableau de Paris et des provinces. — Mœurs diverses. — Oublieux. — Les femmes. — Le hocca ; détails sur ce jeu. — Les Tontines. — Académistes. — Les vices des grands. — Peinture, littérature, innovations diverses. — La milice bourgeoise.

— Du 29 mars 1653 à la fin de la Fronde. —

 

C'en était fait des frondeurs et des fronderies ; les mazarins allaient jouir paisiblement du triomphe de leur patron ; la rébellion se trouvait confinée dans quelques coins du royaume. Le sang qui devait couler encore était celui de simples partisans. Plus d'apparente réforme politique ! plus de luttes parlementaires ! Tout a fui, tout semble un songe évanoui ! Le bonhomme de Broussel, pour qui en partie on fit les barricades, meurt le 27 août 1654, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, écrit Gui-Patin. Du passé, que reste-t-il ? une horrible misère générale. La bourgeoisie, pourtant, se souvient encore des jours où elle a failli fonder un gouvernement : le despotisme de Louis XIV ne peut étouffer les traditions insurrectionnelles. Voilà le résultat véritable de la Fronde.

Ah ! la fin de tous ceux qui servirent l'ambition personnelle des princes ne saurait apitoyer l'historien, non plus que celle des hommes qui, en possession de la popularité, ont tour à tour flatté, excité, trahi les frondeurs qu'ils commandaient. Que Condé, dans les dernières années de sa vie, expie son indigne conduite, c'est justice ; que Gondi se voie forcé d'abandonner son archevêché, et qu'il éprouve mille vicissitudes honteuses, c'est justice encore, car il a joué avec la politique. Que Gaston d'Orléans continue à vivre, et qu'il meure sans gloire : c'est une conséquence de sa poltronnerie perpétuelle. L'heureuse destinée de Conti qui, par la suite, devient un beau-neveu de Mazarin et reçoit le gouvernement du Languedoc, nous laisse indifférents. La Rochefoucauld nous désarme à peine par ses Maximes, et souvent nous irrite par ses Mémoires. Madame de Longueville, en se retirant du monde, accomplit un devoir, et se fait seulement pardonner à un point de vue particulier son attachement coupable pour La Rochefoucauld. Nous aimons mieux encore voir le duc de Longueville montrer, dans sa vieillesse, les plus nobles sympathies pour les misères du peuple. Après sa sortie de prison, il ne s'occupa plus d'intrigue politique ; retiré dans ses terres, il vécut honoré, chéri. Il répondit à la proposition qu'on lui faisait de défendre la chasse sur ses domaines : J'aime mieux des amis que des lièvres.

Quel cœur sensible, en effet, eût pu contempler de sang-froid l'état malheureux des populations, à Paris et dans les provinces ! Au commencement des troubles, il s'était agi de faire diminuer les impôts, de porter remède à la misère publique, d'améliorer en un mot la situation des sujets du royaume. But louable, honorable entre, tous, et qu'on n'eût jamais dû perdre de vue. Il fut oublié, néanmoins, et après, plus encore qu'avant la Fronde, les plaies du peuple se montrèrent à vif. A Paris, en 1653, on compta quarante mille pauvres ; le nombre extraordinaire des mendiants détermina la fondation de l'Hôpital général — aujourd'hui Salpêtrière —. Le 22 juin 1654, on inscrivait sur le registre de l'Hôtel-de-Ville la déclaration suivante : Nous, prévôt des marchands et échevins de la Ville de Paris, certifions à tous qu'il appartiendra que, par les registres de la Ville, il appert que, depuis le samedy vingt-sixième jour d'aoust 1648 jusques a la fin du mois d'octobre 1652, il y a eu, dedans la dicte ville, diverses factions qui ont causé de grands troubles et quantité de ruynes, tant en ladicte ville, qu'aux environs d'icelle ; ayant mesme esté investie fort longtemps de gens de guerre, d'armes, estrangers et autres, qui y ont fait tous les maux imaginables, ce qui a empesche les bourgeois et habitants d'icelle de pouvoir vaquer aux faicts de leurs charges et dans leurs propres affaires, pendant cette longue persécution ; laquelle fut apaisée par le retour du Roy en ladicte ville. Bien n'est exagéré dans ces lignes, où l'on n'incrimine pas, d'ailleurs, un parti plus que l'autre, mais qui constatent seulement le fait authentique des malheurs de la capitale.

Ajoutez les inondations de 1649 ; la Seine enlevant un pont à Paris : la petite rivière de Bièvre débordant ; ajoutez l'hiver rigoureux, la neige fréquente, les maladies les plus terribles frappant sur les gens affamés, et vous aurez une idée des malheurs de Paris, depuis 1644 jusqu'en 1652.

Dans les provinces, pendant la Fronde, la misère du peuple était épouvantable, dit La Porte, et dans tous les lieux où la Cour passait, les pauvres paysans s'y jetaient, pensant être en sûreté, parce que l'armée désolait la campagne : ils y amenaient leurs bestiaux qui mouraient de faim aussitôt, n'osant sortir pour les mener paître ; quand leurs bestiaux étaient morts, ils mouraient eux-mêmes incontinent après, car ils n'avaient plus rien que les charités de la Cour, qui étaient fort médiocres, chacun se considérant le premier. Ils n'avaient de couvert contre les grandes chaleurs du jour et les fraîcheurs de la nuit que le dessous des auvents, des charrettes et des chariots qui étaient dans les rues. — Quand les mères étaient mortes, les enfants mouraient bientôt après... — Toutes ces misères touchaient fort la reine ; et même, comme on s'en entretenait à Saint-Germain, elle en soupirait, et disait que ceux qui en étaient la cause auraient un grand compte à rendre à Dieu, sans songer qu'elle-même en était la principale cause. Ce tableau et la réflexion qui le termine méritent qu'on s'y arrête. Oui, ce fut surtout pendant l'existence de la nouvelle Fronde, lorsqu'Anne d'Autriche et Condé se querellèrent à l'endroit de Mazarin, que les désolations montèrent au comble ; les calculs de l'égoïsme ou de l'ambition firent plus de mal que les essais infructueux du libéralisme d'alors. En 1652, lisez ce que vit mademoiselle de Montpensier : A mon arrivée à Orléans, écrit-elle, je reçus force plaintes des bourgeois et gentilshommes des environs, des désordres des gens de guerre qui prenaient les bestiaux et les chevaux des laboureurs, battaient et faisaient toutes les violences imaginables, à ce que l'on disait ; brûlaient les pieds des paysans pour avoir de l'argent, enfin tous les contes fabuleux que l'on fait aux bonnes femmes des champs.

Y a-t-il exagération, comme le laisse penser la fille de Gaston d'Orléans ? Mais ces craintes incroyables indiquent des actes odieux. Le malheur ajoute à la vérité, sans inventer le mensonge. A Lyon, le nombre des ouvriers pauvres auxquels la ville donnait des secours était de dix mille en 1642 ; il s'éleva en 1636 à dix-huit mille. Il n'y a point de langue qui puisse dire, point de plume qui puisse exprimer, point d'oreille qui puisse entendre ce que nous avons vu — à Reims, à Châlons, Rethel, etc. —. Partout la famine et la mort, les corps sans sépulture. Ceux qui restent ramassent aux champs des brins d'avoine pourrie, en font un pain de boue. Leurs visages sont noirs ; ce ne sont plus des hommes, mais des fantômes... La guerre a mis l'égalité partout ; la noblesse sur la paille n'ose mendier et meurt... On mange des lézards, des chiens morts de huit jours... Ailleurs, en Picardie, on rencontre un troupeau de cinq cents enfants, orphelins et de moins de sept ans. En Lorraine, les religieuses affamées quittent leur couvent pour mendier. Les pauvres créatures se donnent pour un morceau de pain (1651). Nulle pitié. Une guerre exécrable, acharnée, sur les faibles. Une chasse épouvantable aux femmes. En pleine ville de Reims, une belle fille chassée par les soldats dix jours de rue en rue ; et, comme ils ne l'attrapent pas, ils la tuent à coups de fusil. Près d'Angers, à Alais, à Condom, sur toutes les routes de Lorraine, tout violé, femmes et enfants, et par des bandes entières, à mort. Elles expirent, novées dans leur sang. Qu'ajouter à cette poignante description de Michelet ? Quel contraste ! La littérature pour rire des Mazarinades raconte parfois ces scènes de deuil.

A côté des maux réels se produisaient les paniques, les terreurs imaginaires. Dès les premiers actes d'autorité du parlement, un émoi perpétuel s'empara des masses. En 1649, le soir, aucuns officiers de la ville avec leurs archers estant à visiter le Palais-Royal avec flambeaux donnèrent l'alarme à des femmes et enfants qui crièrent que l'on bruslait le palais Cardinal[1]. Tantôt, par crainte de manquer de pain, les habitants d'un quartier ne voulaient pas que ceux d'un autre quartier en allassent prendre chez leurs boulangers ; tantôt à l'arrivée d'un régiment allemand autour de Paris, les gens des faubourgs et environs a portaient de toutes parts leurs meubles à sauveté dans la ville ; tantôt, on mettait garnison de soldats à la porte des trésoriers. Le tocsin sonnait tout à coup dans tel ou tel clocher, et soudainement la population était sur pied : ce n'était souvent que par suite de visites domiciliaires et de rafles d'argent faites chez des financiers. Ou bien, les soldats se révoltaient contre leurs officiers pour avoir la solde arriérée, et les Parisiens croyaient à des combats sérieux. Le chapitre des on-dit était interminable et motivait de continuelles alertes. Rarement un jour se passait sans arrestation, et quelquefois il arrivait que, sur un simple soupçon mal fondé, on tentât de jeter un homme à la Seine.

Au nombre des paniques, remarquons celle-ci, signalée par Dubuisson : Allarme et commandement par le faux-bourg Saint-Germain, rue Saint-Antoine et autres quartiers de la ville de tenir de l'eau preste en chaque maison sur le bruit qui court que le feu doist être mis. Bien souvent, quand les hommes de police allaient faire des perquisitions chez les imprimeurs, des attroupements se formaient, on proférait mille cris de haine, et tout finissait par s'apaiser, quand les milices bourgeoises déclaraient suivre les ordres du parlement.

Ce qui a porté les historiens à traiter légèrement et comme en plaisantant les guerres de la Fronde, c'est le caractère hybride de cette époque. Ici l'on se battait, et là on s'égayait sur toutes choses. Entendez donc Condé s'écrier, après une terrible bataille : Bah ! ce n'est qu'une nuit de Paris ! La minorité de Louis XIV est empreinte d'étrangeté. Les personnages qui figurent alors sont des hommes de cape et d'épée ; leurs actes les plus sérieux sont accompagnés de formes, d'accessoires comiques, si bien que, non-seulement les faits de guerre disparaissent presque dans la grotesque mise en scène de ce temps, mais encore, et à plus forte raison, les innovations de toutes sortes, en littérature, en sciences et en arts, la marche de la civilisation française, en un mot, demeurent comme enfouies et annulées.

Essayons de tracer le tableau moral de la France pendant la Fronde, époque sur laquelle on a épuisé les plus humiliantes qualifications : mascarade, comédie, partie de chasse, selon Gondi ; jeu de barres, selon Bussy-Rabutin ; partie de cartes, a dit un chef de mécontents.

Dans aucun temps, les déguisements de tous genres n'ont été plus en usage. A cette époque, un déguisement tout prêt ressemble à un passeport. Tantôt Mazarin, au fort des émeutes, revêt l'habit d'officier, pour parcourir les postes placés autour du Palais-Royal ; tantôt M. d'Aumont se promène en costume de minime ; tantôt Gondi, déguisé en cavalier, vient visiter le ministre, et Coudé, sous ce même déguisement, va de Gien à Lorris (mars 1652). Des gentilshommes s'habillent comme des artisans, pour échauffer la colère des masses. Ou bien encore, le père François Berthod, gardien du couvent des cordeliers de Brioude, s'en va, sous une veste de matelot, rétablir en Guienne l'autorité royale. La princesse de Carignan se sauve de Paris (février 1649) habillée en paysanne.

Rien en cela qui soit contraire à la mode, puisque depuis longtemps déjà les femmes qui sortent à pied portent des masques. En février 1651, une ordonnance de police cherche en vain, pour cause de sûreté publique, à s'opposer aux déguisements : on ne décrète pas les mœurs, et les restrictions portées à un usage bien adopté invitent à h désobéissance.

Chaque événement se prépare dans l'ombre, avec mystère, et devient la conséquence d'une petite conspiration. Vers le commencement des troubles, on donne par plaisanterie le nom d'oublieux aux grands et autres intrigants qui, mécontents des actes de Mazarin, parcourent la nuit en cachette les différents quartiers de Paris pour former des ennemis au cardinal.

Tramés dans les boudoirs, les complots éclatent dans les rues et sont dirigés par des femmes. Le fin cardinal dit plus tard avec raison : Nous avons trois femmes en France qui seraient capables de gouverner ou de bouleverser trois royaumes : la duchesse de Longueville, la princesse Palatine, et la duchesse de Chevreuse. Epris de madame de Montbazon, le marquis d'Hocquincourt mit un jour Péronne à sa disposition, en lui envoyant ce billet : Péronne est à la belle des belles. L'influence des femmes sur les troubles de l'époque suscita de grands embarras aux gouvernants. Le cardinal s'en plaignit un jour en ces termes, à l'Espagnol don Louis de Haro, pendant les conférences qui précédèrent la paix des Pyrénées : Vous autres ministres espagnols, vous êtes bien heureux : les femmes de votre pays ne vous donnent nulle peine à gouverner ; elles n'ont pour toute passion que le luxe ou la vanité ; les unes n'écrivent que pour leurs amants, les autres que pour leurs confesseurs. Il n'en est pas de même en France : jeunes ou vieilles, prudes ou galantes, sottes ou spirituelles, toutes les femmes chez nous se mêlent des affaires de l'Etat, et l'homme le plus turbulent ne nous donne pas tant de peine à contenir que nous en procurent, par leurs intrigues, ou une duchesse de Chevreuse, ou une princesse Palatine, ou une tout autre femme de cette trempe. Il faut ajouter que protégés d'abord par les femmes, les hommes politiques du temps s'empressaient bientôt de secouer cette tutelle dont souffrait leur amour-propre ; mais les protectrices criaient à l'ingratitude et choisissaient de nouveaux favoris.

L'immoralité du jeu, jointe à la pénurie des finances, perdent Mazarin dans l'esprit des Français. Les Italiens venus à sa suite, ayant obtenu la permission de tenir le jeu de hocca à Paris, ruinent une foule de particuliers : le parlement croit devoir, pour arrêter le cours de ces désordres, sévir contre les banquiers, et défendre le hocca sous des peines rigoureuses. Les expédients, employés pour procurer de l'argent au fisc, se renouvellent sans cesse.

De tous les jeux de hasard, dit Delamarre, dans son Traité de la police, le hocca est le plus pernicieux. Les souverains pontifes, Urbain VIII et Innocent X, avertis du désordre que ce jeu causait en Italie, l'avaient défendu, et avaient chassé de Rome ceux qui le tenaient. Mais Mazarin commande en France, et plusieurs banquiers de hocca se réfugient auprès de lui. Quatre Italiens, nommés Prompti, Maure, Rahbosi, et la signora Anne, ouvrent quelques académies de ce jeu, à Paris, en différents quartiers de la ville. L'attrait de la nouveauté et la cupidité du gain attirent bientôt une foule de joueurs, qui n'ont point d'armes contre les artifices et les filouteries des banquiers. Les ruines sont fréquentes, des banqueroutes s'ensuivent. Qu'importe à Mazarin, pourvu que les privilèges du hocca fassent verser de l'argent dans ses caisses ? Il n'arrête pas le mal dont il profite. A la fin, cependant, les cris et la désolation des familles affligées excitent la sollicitude des magistrats. Le parlement défend, sous peine d'emprisonnement, de tenir aucun jeu de hocca (14 octobre 1658) ; ses inhibitions, réitérées, n'obtiennent que peu ou point de résultat, et les banquiers n'obéissent qu'à une déclaration royale du 18 décembre 1660.

Ce jeu, qui a inspiré la verve des pamphlétaires anti-mazarinistes, s'exécutait au moyen d'un grand tableau divisé par raies, en trente numéros qui étaient gravés dans des carrés. Sur l'un ou plusieurs de ces numéros, celui qui jouait contre le banquier mettait la somme qu'il voulait hasarder. Pour décider son gain ou sa perte, il y avait un sac contenant trente boules marquées intérieurement des mêmes numéros que ceux qui étaient gravés sur les carrés du tableau. On mêlait et secouait le plus possible ces boules dans le sac. Ensuite, un des joueurs qui avaient mis au jeu, — et cent personnes pouvaient y mettre en même temps, — tirait une des boules du sac, l'ouvrait, annonçait, montrait le numéro. Si celui qui était pareil sur le carré du tableau était couvert de quelque somme, il fallait que le banquier payât vingt-huit fois cette somme, de sorte, par exemple, que s'il y avait un louis sur ce numéro, il en payait vingt-huit. Mais tout ce qui était couché sur les autres numéros, perdu pour les joueurs, appartenait au banquier, lequel avait d'ailleurs pour lui deux des numéros de profit. En effet, on mettait indifféremment su trente numéros, et il n'en payait que vingt-huit aux gens que le hasard favorisait ; ce qui ne constituait aux joueurs que vingt-huit chances contre trente.

Le hocca a surtout prospéré pendant la Fronde, — dans des maisons spéciales, chez les particuliers, aux corps-de-garde, au milieu de toutes les réunions.

C'est en 1649 qu'un Napolitain, nommé Lorenzo Tonti, imagine les emprunts en rentes viagères, rentes distribuées en plusieurs classes, et payées au dernier survivant de chaque classe. Dans la pensée de Lorenzo Tonti, la tontine a pour but de faciliter les emprunts des Etats, en offrant aux préteurs des chances de bénéfices considérables en cas de survie. A vrai dire, on voit là une forme nouvelle de la loterie, importée en France sous François Ier. La tontine est un expédient fiscal ; Mazarin prend l'inventeur sous sa protection, et il fait rendre (1653) un édit qui ordonne une première application du chef-d'œuvre de Tonti, pour une somme en rentes de 1 million 25 mille livres ou de 25 millions en capital. Si l'édit n'est pas exécuté, c'est parce que le parlement a refusé de l'enregistrer, car Mazarin n'a rien négligé pour le succès de l'expédient nouveau.

On sait que les tontines, autorisées (1689) par Louis XIV, après les guerres que termina le traité d'Augsboug, ont jusqu'à nos jours fonctionné après plus ou moins de bonheur.

Faire l'amour, jouer et se battre, voilà la devise des Français de l'époque, frondeurs ou mazarins. Mille aventures galantes sont racontées çà et là, à propos des bourgeoises et, des dames : Tallemant marche en tête des conteurs. Quant aux jeunes seigneurs, les uns, très adonnés aux écoles d'équitation, se glorifient du nom d'académistes qu'ils ont reçu ; les autres ne rêvent encore qu'exploits d'alcôve, fêtes chez Renard. Cet homme, anciennement valet de chambre d'Augustin Potier, évêque de Beauvais, puis garde des meubles du roi, avait galamment conquis la bienveillance d'Anne d'Autriche, en allant tous les matins lui porter un bouquet : plein de reconnaissance pour les générosités royales, il avait fait peindre un tableau allégorique, dans lequel on le voyait lui-même offrant des fleurs à la Fortune, qui d'une main recevait les fleurs, et de l'autre répandait une pluie d'or. Charmée d'une si délicate attention, la reine avait accordé la jouissance d'un terrain dans les Tuileries à Renard, qui bientôt y avait construit une jolie maison.

Les aventures d'amour mènent fatalement à des combats singuliers : les jeunes gens de l'époque profitent amplement de l'inexécution des anciens édits sur le duel, tolérance motivée par les troubles. S'ils s'arrachent à la vie de libertinage, c'est pour marcher à la suite des partis, et commettre toutes sortes de violences indignes. Un poète compose ces vers contre les grands :

Le vice est tout leur entretien ;

Le luxe est leur souverain bien ;

Leur table en délices abonde ;

Leurs pieds au mal sont diligents ;

Et les plus grands marauds du monde

Se nomment les honnêtes gens.

Une fois entrés dans la lice, beaucoup cherchent leur avantage, sans braver les dangers : tel Gaston d'Orléans, type de la poltronnerie frondeuse ; tels les mitigés en général, et ceux qui inclinent vers le tiers-parti inventé par Gondi.

Au milieu du bruit des discussions ou des armes, quelques hommes, étrangers à la politique, accomplissent des choses remarquables. Le Poussin a donné ses chefs-d'œuvre. Le peintre Eustache Lesueur a composé, de 1645 à 1648, les vingt-deux tableaux de la vie de saint Bruno ; il a merveilleusement réussi à décorer l'hôtel Lambert ; de 1648 à 1652, Charles Lebrun a peint le martyre de saint André et le martyre de saint Etienne, pour la corporation des orfèvres parisiens. Mansard a fourni les dessins du Val-de-Grâce, dont la première pierre a été posée par le roi, le 1er avril 1645 ; Abraham Bosse, de Tours, a donné, à Paris, les premières leçons de la perspective. Pierre Puget, admirable statuaire, conquiert déjà le génie qui lui vaudra plus tard le surnom de Michel-Ange français.

Rotrou a fait représenter son Wenceslas (1647) ; l'avocat Cleirac, de Bordeaux, a publié (1647) les Us et coutumes de la mer, collection qui exerça une grande influence sur la formation du droit maritime.

La Bibliothèque Mazarine a été ouverte à tout le monde, celle de Saint-Victor a suivi l'exemple, et l'Académie de sculpture et de peinture a été fondée (1648). En 1650, la France a vu créer dans Marseille sa première chambre de commerce.

Une pléiade de savants a brillé : Mazarin a accordé une pension de mille écus au philosophe René Descartes, bien que celui-ci eût été accuse d'athéisme par un théologien hollandais. Parmi ces savants, on distingue Sirmond, Jacques Godefroi, Gassendi, Omer Talon, Petau, Naudé, Saumaise, Brébeuf, Pascal, Gui-Patin, Labbe, Fermat, etc. Rien n'a pu interrompre leurs veilles. Des littérateurs, des poètes distingués ont laissé des ouvrages estimés : Rotrou, Du Ryer, Balzac, Scarron, Racan, Péréfixe, Scipion Dupleix, Adam Billaut, etc. Molière a déjà joué la comédie, et Pierre Corneille, devenu académicien, décline, mais ne se tait pas encore.

Les écoles de Port-Royal ont été établies, les religieuses de cette maison ont relevé l'Institut du Saint-Sacrement. Vincent de Paul a fondé l'ordre des Filles de la Charité pour le service des pauvres, et bientôt après l'hospice des Orphelins, dans le château de Bicêtre. Ollier, curé de Saint-Sulpice, a créé un établissement pour les orphelins des deux sexes de sa paroisse : Orphelins de Saint-Sulpice ou de la Mère de Dieu. Anne d'Autriche a protégé le couvent des Filles de la Congrégation de Notre-Dame ; — celui des Filles de la Providence, — celui des Hospitalières de la Miséricorde de Jésus, etc. En 1655, elle pose la première pierre de l'église de Saint-Sulpice.

Plusieurs innovations ont eu lieu dans les armées. On voit figurer quelques escadrons de Croates, dans la relation de la bataille de Rocroi : c'est l'origine de nos hussards. A Nordlingen, un régiment irlandais se couvre de gloire. Richelieu a commencé d'en enrôler au service de France : il en existe deux régiments.

Au siège de Dunkerque paraissent trois mille fantassins polonais, expédiés à Anne d'Autriche par leur reine : c'est la première fois que les Polonais viennent servir notre pays. Des régiments célèbres, ceux de Vendôme, de La Ferté Senneterre et de La Fère, datent de 1651. Reconnaissons, d'ailleurs, que, pendant les troubles, on ne cessa de pourvoir avec un soin particulier à l'entretien de l'armée. Les administrations militaires n'étaient pas encore organisées ; l'habillement et la nourriture des soldats se faisaient aux frais des villes, spécialement des villes-frontières. L'armement n'était point régulier ; mais on décida, en 1654, que dans chaque compagnie d'infanterie, le tiers des hommes se serviraient de piques, et que tous les autres auraient des mousquets.

A côté de l'armée permanente, la milice bourgeoise a joué un grand rôle, de 1643 à 1653. L'organisation de cette milice était sérieuse. Elle avait pour colonels les hommes les plus considérables du tiers-état, — de Lamoignon, de Guénégaud, Miron, Tubeuf, Molé de Champlastreux, de Longueil de Maisons, etc., presque tous membres du parlement ou du conseil d'Etat. Ces colonels recevaient chaque jour plusieurs ordres, autographes ou légalisés, soit du prévôt des marchands, soit du gouverneur de Paris. L'ordre de service, pour les officiers et bourgeois, était assez rigoureux. Chaque soldat devait tenir ses armes nettes et en bon estat. Le mousquetaire ne pouvait jamais venir au drapeau qu'avec six charges de poudre au moins, autant de balles de calibre et une brasse de mèche. Défense à lui, toutefois, de mettre sans commandement du plomb dans son mousquet.

La milice bourgeoise ne s'illustra guère par son courage ; elle plia souvent, tantôt devant les soldats de Condé, tantôt devant ceux de Turenne. Mais elle représentait merveilleusement le principe parlementaire et la puissance municipale. Ses chefs faisaient bonne contenance à et vivaient en très étroite amitié avec les magistrats. Citons ce billet au colonel de Lamoignon :

Monsieur, — messieurs les prévost des marchands et eschevins de la ville de Paris vous baisent très humblement les mains, et vous prient de leur faire l'honneur de venir disner jeudy prochain en l'hostel de ladite ville. Et Lamoignon a cuit en note, au bas de cette lettre autographe : C'estoit pour nous remercier de toutes les fatigues de la guerre, qui n'avoient pas été médiocres. (Avril 1649.)

Bien des membres de la milice bourgeoise manquaient de zèle ; on les punissait par des amendes et par la confiscation de leurs armes ; s'ils commettaient des fautes graves dans les corps de garde, dans les marches ou quartiers, on les arrêtait, désarmait, emprisonnait et jugeait militairement.

Somme toute, pendant la Fronde, la milice bourgeoise s'est conduite à peu près comme la garde nationale depuis la révolution. Mêmes ambitions pour obtenir des grades, mêmes désirs de parader, mêmes prétentions à l'importance politique.

 

 

 



[1] Mémoire ou Journal des guerres civiles pendant l'année 1649, par M. Dubuisson Aubenay, tome I, page 13. (Manuscrit de la bibliothèque Mazarine.)