HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE XII.

 

 

Condé brouillé avec les frondeurs. — Les amours du marquis de Jarzé. — On éloigne madame de Beauvais. — Couplet sur Jarzé. — Conduite de Monsieur le Prince envers la Cour. — Mariage du duc de Richelieu et de la laide Hélène. — Pensées de vengeance chez Anne d'Autriche. — Gondi change de front. — Gaston et mademoiselle de Soyon. — Gondi supplée la Rivière. — Intrigues de madame de Chevreuse. — Gaston abandonne Condé. — Arrestation de Condé, de Conti et de Longueville. — Détails. — Grand bruit dans la presse et feux de joie. — Pamphlets. — Retour du prince de Condé dans le ventre de sa mère. — L'Imitation de M. de Beaufort. — Miossens. — Condé plaisante sur Cadet-la-Perle. — Sauve-qui-peut parmi les chefs de la Fronde.

— Du 4 janvier 1650 au 18 janvier 1650. —

 

Monsieur le Prince est brouillé avec les frondeurs : que faut-il de plus à Mazarin, ministre observateur de la maxime : Diviser pour régner ? Son but est atteint. A quoi bon pousser les choses trop avant contre les frondeurs, et surtout contre le malin Candi, dont on se peut servir ? Laisser Condé dans l'isolement, le voir se perdre par orgueil, et, dès qu'il passera les bornes, le traiter en ennemi déclaré, voilà le chemin qu'il convient de suivre. Mazarin a tendu ses filets... Encore un peu de temps, et le jeune lion va venir s'y prendre.

Condé, on le sait, avait la rage dans le cœur contre Mazarin, à qui chacune de ses victoires profitait ; Condé se figurait que l'abbate Mazatini l'avait perfidement envoyé à Lérida pour s'y casser le nez, dit Michelet. Il se rappelait qu'un soir, pendant qu'il assistait à une comédie, un impertinent s'était permis de siffler, avait failli être empoigné pour ce fait irrévérent, et s'était dérobé aux poursuites, en s'écriant avec malignité : On ne me prend pas... Je suis Lérida. Condé avait commencé des intrigues, et, à la première occasion qui lui servirait de prétexte, il devait rompre la glace. La Rivière et Jarzé étaient ses deux espions, près de Gaston d'Orléans et d'Anne d'Autriche. On parvint cependant à brouiller la Rivière avec le duc son maitre ; et Condé, vers la fin de son procès, éprouva l'effet des mauvais vouloirs de Gaston. De plus, la reine avant appris, par les confidences de Jarzé, les gorges-chaudes que Monsieur le Prince faisait avec ses amis, chassa la complaisante dame de Beauvais, qui soutenait le marquis dans ses chimères. Madame de Beauvais, vieille, laide, avait cherché à se rendre Jarzé favorable, en lui promettant ses bons offices. Notre amoureux l'avait compromise : pendant un séjour en Brie, ne s'était-il pas avise d'écrire à la femme de chambre plusieurs lettres, avec l'intention que ces lettres fussent montrées à la reine ! Mazarin était piqué de tous ces manèges, et, d'après son désir formel, madame de Beauvais reçut l'ordre de s'éloigner.

Quant au marquis de Jarzé, revenu à Paris, il alla droit an Palais-Royal, où il afficha sa présomption. Anne d'Autriche ne l'eut pas plus tôt aperçu, qu'elle l'apostropha aigrement et brusquement. Grande fut la déception de Jarzé, jusqu'alors traité en amoureux comique, avec force badinages. Le marquis, appelé par madame de Motteville le moins sage de tous les hommes, entra dans le cabinet de la reine. Vraiment, monsieur de Jarzé, s'écria aussitôt celle-ci, vous êtes bien ridicule, on me dit que vous faites l'amoureux. Voyez un peu le joli galant ! Si vous n'étiez connu fou à marotte, l'on vous jetterait par les fenêtres ; niais je vous commande de vous en aller chez vous pour vous faire panser. En vérité, j'ai pour vous de la pitié. Il faudrait vous envoyer aux Petites-Maisons. Mais il ne convient pas de s'étonner de votre folie : vous tenez de race. Allusion au maréchal de Lavandin, grand-père du marquis, autrefois amoureux de Marie de Médicis, et repoussé avec perte.

Cette leçon avait été combinée avec le cardinal. Le pauvre Jarzé, selon madame de Motteville, fut accablé de ce coup de foudre. Il n'osa rien dire pour sa justification. Il sortit du cabinet en bégayant, mais plein de trouble, pâle et défait. La collection de Maurepas renferme ce couplet sur l'air de la Diablesse, attribué à Marigny :

Jarzé, fais-tu la cour, ou l'amour

A cette main faite au tour,

Quoi que fasse

Ton audace

Un autre a pris ta place,

Cheval,

Ne sais-tu pas que ce cardinal

Ne souffrira jamais de rival.

Jarzé, ainsi éconduit, raconta sa mésaventure à Condé. Celui-ci trouva hautement mauvais que, sans avis de sa part, Anne d'Autriche dit osé gourmander le rival improvisé de Mazarin. Bon gré, mal gré, il fallut que la reine consentit à revoir Jarzé, à lui accorder le pardon de ses témérités.

Des querelles de tabouret, envenimées par les façons despotiques de Monsieur le Prince, qui se mêla aussi du mariage clandestin du jeune Richelieu avec madame de Pons, froissaient d'ailleurs vivement l'esprit de la reine.

Entrons dans quelques détails sur cet épisode du genre amoroso-politique. Armand de Vignerot, duc de Richelieu, petit-neveu du célèbre cardinal, héritier de son nom et de sa fortune, avait été placé sous la tutelle de la duchesse d'Aiguillon. En 1650, le duc de Richelieu atteignait sa vingt-et-unième année ; il commandait le Havre-de-Grâce. La duchesse d'Aiguillon, veuve sans enfants, reportait toutes ses affections sur son jeune neveu, qu'elle cherchait à établir d'une façon splendide, et pour lequel elle avait arrangé un mariage avec mademoiselle de Chevreuse, parti brillant entre tous. Mais elle était l'amie d'Anne Poussard du Vigean, qui avait perdu depuis 1648 son premier mari, François d'Albret, comte de Pons. Madame de Pons ne possédait point de fortune, n'était plus jeune, et paraissait moins que belle. Pour l'esprit, pour la coquetterie, elle y excellait ; et, en vérité, cela tenait de famille, car mademoiselle du Vigean, sa sœur, avait inspiré à Condé, quand il était duc d'Enghien, une passion telle, que le héros, en la quittant pour aller commander la guerre de Flandre, en 1646, se trouva mal devant toute la cour. Madame de Pons, recevant les assiduités du duc de Richelieu, ne sembla pas dangereuse à la duchesse d'Aiguillon. Bien imprudemment, celle-ci dit un jour à son amie : Je souhaiterais que cet entant devint assez honnête homme pour être amoureux de vous. — Prenez-y garde, répondit en riant madame de Pons ; je vous avertis que s'il me parlait d'amour et voulait devenir mon mari, je n'aurais pas le courage de le refuser. Et la duchesse d'Aiguillon, à ces mots, rit plus fort ; elle plaisantait sur une chose prise au sérieux par la veuve, si bien que, peu après, croyant sa conscience dégagée par suite des imprudentes paroles de madame d'Aiguillon, madame de Pons toléra, encouragea, attisa sans doute la passion naissante du duc de Richelieu. Au bout de quelques mois, le jeune homme caressa volontiers la pensée d'épouser l'amie de sa tante, tout en ne détestant pas, assurément, la charmante mademoiselle de Chevreuse qu'on lui destinait. Ses indécisions, ses perplexités croissaient de jour en jour. Mademoiselle de Chevreuse était si belle ! Madame de Pons était si persuasive ! Malgré le surnom de laide Hélène que les courtisans donnaient à cette dernière, la moindre chose pouvait faire pencher la balance en sa faveur, car le duc avait un caractère faible et facile à influencer.

Déjà, par le fait de madame d'Aiguillon, les préparatifs du mariage de son neveu avec mademoiselle de Chevreuse sont commencés ; déjà le jeune Richelieu se décide à suivre les volontés de sa tante, qu'il craint de mécontenter. Adieu les beaux projets de la laide Hélène ! Mais une question de politique se mêle à tout ceci. Madame de Pons trouve de puissants auxiliaires dans Condé et dans madame de Longueville, son amie. Si madame de Pons épouse le duc de Richelieu, celui-ci se brouillera avec sa tante. C'est à merveille. Par ce mariage, le gouvernement du Havre-de-Grâce est enlevé au parti de la reine, et voilà le duc de Longueville qui devient maitre absolu de la Normandie. Il n'y a pas un instant à perdre. Monsieur le Prince conduit un jour Richelieu, encore hésitant, à Trye (Picardie, Oise), magnifique château de la duchesse de Longueville, où madame de Pons l'a précédé. Puis, sans autre formalité, le mariage est célébré, en présence de Condé et de sa sœur, jouant les rôles de père et de mère. Le lendemain, les nouveaux époux partent pour le Havre, et peu s'en faut, observe un contemporain, que cette union ne cause autant de maux aux Français que celle de Paris et de la belle princesse de Grèce en fit aux Troyens. La duchesse d'Aiguillon, en apprenant l'événement, s'irrite au suprême degré ; madame de Chevreuse ne se contient pas d'indignation. Anne d'Autriche partage leur ressentiment, et envoie au Havre des courriers pour empêcher qu'on y reçoive le duc de Richelieu. Monsieur le Prince, de son côté, envoie dans la même place des messagers, avec ordre de jeter dans la mer, avec une pierre au cou, les gens qui se présenteront de la part de la reine, et bientôt il paraît au Palais-Royal, où il raconte avec une gaîté blessante, avec une hauteur sans pareille, les aventures de la noce clandestine. Anne d'Autriche lui déclare que la duchesse d'Aiguillon fera rompre ce mariage, à cause de l'extrême jeunesse de Richelieu. — Une telle chose, accomplie devant des témoins tels que moi, ne se rompt jamais, répond Condé plein d'assurance. Et la reine concentre encore sa colère.

Mais, par ses ordres, de Bar, qui commande au Havre pour la duchesse d'Aiguillon, ne livre pas la citadelle au duc de Richelieu ; de plus, il persuade au nouveau marié, dont l'esprit est si tendre et si facile, de conserver la place au roi, de se détacher des intérêts de Monsieur le Prince, et d'écrire à Anne d'Autriche une lettre d'excuses, qui ressemble fort à une demande de pardon et à un serment de grande fidélité pour l'avenir. Les projets de madame de Longueville et de Condé sont déjoués ; le gouvernement de la Normandie entière leur échappe.

Au lieu de pousser le parlement à venger Condé, Anne d'Autriche ne se contint plus devant les insolences du héros de Rocroi, qu'elle résolut d'accabler en s'unissant aux frondeurs, en tenant des conférences avec Gondi, que Mazarin embrassa.

Certains de voir la Fronde parlementaire rester neutre, et mettant à profit la vieille jalousie de Gaston d'Orléans contre Condé, Anne d'Autriche agit à l'égard de celui-ci comme elle avait agi en 1648 à l'égard du parlement. Elle vengea Mazarin, non sans quelque imprudence apparente, mais avec énergie, d'après la nature de son caractère, et avec raison, car sa position vis-à-vis de Monsieur le Prince était devenue intolérable. Une adroite plaisanterie du cardinal sur la bonne figure que ferait Gondi en manteau rouge, l'épée au côté, un chapeau à plumes sur la tête, dissipa les soupçons de Condé, instruit des visites faites à la reine par le coadjuteur, déguisé en cavalier (2 janvier 1650). Décidément, Monsieur le Prince ne s'entendait guère aux ruses de la politique. N'eût-il pas dû comprendre que la Cour changeait de front, qu'elle l'avait laisse se débattre seul avec les frondeurs, pour choisir après la lutte entre les combattants ? N'eût-il pas dû craindre que les haines nouvelles ne l'emportassent sur les anciennes ? N'eût-il pas dû prévoir la défection de Gondi, personnellement ravi d'être compté pour quelque chose dans les événements qui se préparaient, lui qui à différentes reprises avait été compte pour rien ? Gondi, tout brusquement, se donna à la Cour, non pas seulement dans l'espérance de devenir cardinal, mais au prix de faveurs accordées à ses amis, faveurs dont la plus considérable devait être l'octroi de l'amirauté au duc de Vendôme, avec la survivance à Beaufort. Il tenait dans sa main le roi des halles, satisfait du marché ; il put promettre sérieusement que Palis resterait tranquille, si Mazarin osait tenter un coup hardi.

Il s'agissait d'emprisonner Condé, Conti et Longueville. Grosse affaire, assurément, en rapport avec le génie aventureux du coadjuteur, mais capable d'effrayer Gaston d'Orléans, dont cependant le concours était nécessaire. Madame de Chevreuse se chargea de sonder l'oncle du roi, qui avait inclination pour elle, a écrit Gondi. Gaston, fort peureux de sa nature, tremblant toutes les fois qu'il venait au parlement, et, dans de certains jours, ne pouvant absolument pas y être mené, tant il éprouvait ce qu'on appelait les accès de la colique de Son Altesse Royale, écouta la foule des arguments présentés par madame de Chevreuse ; il goûta surtout celui qui montrait Paris exposé à mille sortes de troubles, et mis a feu et à sang. On le brouilla en outre avec La Rivière, en profitant des moyens qu'offrait pour cela une intrigue d'amour entre Gaston d'Orléans et mademoiselle de Soyon. La belle Soyon, par repentir ou par caprice, s'était tout à coup jetée dans un couvent de carmélites, où elle avait longtemps résisté au violent désespoir de son amant. A force de supplications, celui-ci avait obtenu de sa maîtresse qu'elle revint au palais du Luxembourg, à condition d'y porter l'habit du cloitre et d'y continuer les austérités religieuses. Un pareil traité ne pouvait sortir son plein effet, comme on le pense bien, et mademoiselle Soyon accepta de fréquents tête-à-tête avec Gaston. Parfois elle se montrait soumise aux exigences de cet amour, et assez souvent elle tenait rigueur, en disant qu'elle agissait d'après les bons conseils de l'abbé de La Rivière. Le duc d'Orléans finit par s'irriter contre les morales de son favori, et, ayant reçu par écrit du coadjuteur la promesse qu'il remplacerait La Rivière, il lui abandonna toute la direction de sa conduite. Gondi exploita aussitôt l'amour du prince, comme madame de Chevreuse avait exploité sa poltronnerie. Mademoiselle de Soyon, devenue dame d'atours de Madame, par l'éloignement de l'abbé de La Rivière, se lia entièrement à Mazarin. Dominé par sa jalousie contre Condé, par l'une de ces implacables jalousies que fait naître la gloire d'un homme vraiment supérieur au cœur d'une nullité titrée, Gaston entra dans les projets de la Cour ; il abandonna Condé, qui eut à peine le temps de connaître cette défection. Après huit jours de préparatifs secrets, d'amabilités feintes prodiguées par Mazarin à Monsieur le Prince, on procéda à l'accomplissement de l'acte prémédité.

C'était le soir du 48 janvier 1650, au Palais-Royal. L'heure ordinaire du conseil approchait. Anne d'Autriche renouvelait presque la scène de l'arrestation de Beaufort, où elle avait pleuré, et, pour dissimuler son trouble, se plaignait d'un fort mal de tête. Elle s'était jetée sur son lit, au chevet duquel s'assit bientôt la princesse douairière de Condé, qui avait le privilège de la voir à toute heure, et qui lui adressa mille gracieuses questions sur son indisposition. Peu après Condé lui-même, à qui Mazarin avait tiré, sous un prétexte, sa signature pour une arrestation, entra dans la chambre et se plaça dans la ruelle du lit de la reine, qu'il quitta après quelques insignifiants discours. De là, il passa dans le petit cabinet donnant entrée dans la galerie du conseil, s'entretint avec Mazarin, discuta aigrement avec La Rivière, et, toujours hautain, absolu, emporté, attendit pendant plus d'une demi-heure le prince de Conti et le duc de Longueville, avec lesquels il ne tarda pas à être introduit dans la galerie du conseil. Mazarin, au lieu de les suivre, prit l'abbé de La Rivière par la main, et lui glissa tout bas à l'oreille : Repassons dans ma chambre, j'ai quelque chose de conséquence à vous dire. Le cardinal, fort occupé de son dessein, et l'abbé, auquel cette retraite extraordinaire annonçait un grave événement, s'en allèrent ensemble. Pendant ce temps Guitaut, capitaine des gardes de la reine, arrêtait Condé ; Comminges, lieutenant, arrêtait Conti ; et Cressi, enseigne, arrêtait Longueville. Mazarin s'était complu à mêler une farce à tout ceci, car Condé avait signé lui-même sa propre arrestation. Un carrosse devait conduire les trois princes à Vincennes.

Aussitôt, un gentilhomme, Boutteville, passant à toute bride sur le pont Notre-Dame, cria au peuple que l'on venait d'arrêter le roi des Halles. A cette nouvelle, on prit les armes. Mais Gondi les fit poser un moment après, en marchant par les rues, avec cinq ou six flambeaux devant lui. Beaufort s'y promena de même, et les Parisiens, voyant que leur héros était sain et sauf, passèrent de l'inquiétude la plus sombre à la plus bruyante jubilation. Ils allumèrent partout des feux de joie, et Boutteville eut à peine le temps de se d gober à la fureur de la multitude qu'il avait abusée par une fausse nouvelle. Condé était si universellement haï ! Le duc d'Orléans, n'ayant plus de frayeur une fois le coup d'Etat réussi, manifesta son contentement par ces paroles : Voilà un beau coup de filet : on vient de prendre un lion, un singe et un renard.

Les libellistes ne restèrent pas muets. L'un publia le Récit véritable de ce qui s'est passé à l'emprisonnement des princes, pièce dialoguée, assez plaisante, où parlent Condé, le roi, la reine, le cardinal, le Parlement, et Paris enfin ; un autre entonna le Te Deum général de tous les bons Français sur la prise de MM. les princes ; un autre relata Le soufflet de la fortune donné au prince de Condé. Un autre s'écria :

Enrage en ta fureur ; sois noyé dans ta bave.

Dans le Coup de foudre, ou l'Echo du bois de Vincennes, on remarqua ces vers sur les incarcérés :

Si quelqu'un leur ouvre la porte,

Je veux que le diable l'emporte,

Et que l'estafier saint Martin

Le tourmente soir et matin.

Le Retour du prince de Condé dans le ventre de sa mère renferma cette allusion à la naissance du grand général né dans le château même où on l'enfermait :

Ce fier torrent, dont la rage et l'envie

Ravageaient tout sans ordre ni raison,

S'est englouti dans la même prison

Où il avait reçu l'air et la vie.

Condé, d'abord effrayé de son arrestation, qui lui paraissait sentir bien les États de Blois, se montra promptement calme et insoucieux, gai même en apparence. Amis ! cria-t-il aux gendarmes et aux chevau-légers qui l'escortaient, ce n'est point ici la bataille de Lens ! Se rappelant l'habileté avec laquelle Beaufort s'était évadé, en 1648, il répondit à quelqu'un qui lui offrait l'Imitation de Jésus-Christ, pour charmer les ennuis de sa captivité : — Non, non, l'imitation de M. de Beaufort.

Quand les trois princes furent arrivés dans la chambre qu'ils devaient occuper, ils n'y trouvèrent point de lit pour coucher, et ils passèrent la nuit à jouer aux cartes.

Le comte de Miossens avait été chargé de mener Monsieur le Prince à Vincennes. La voiture du prince s'étant, dit-on, brisée en route, voilà une belle occasion pour un cadet de Gascogne, insinua Condé à Miossens, qui resta fidèle à la reine et reçut plus tard, pour récompense, le bâton de maréchal. Miossens, à qui Mazarin avait promis cette dignité, rencontra le cardinal sur le Pont-Neuf, l'arrêta, lui promit à son tour cent coups de bâton. A la bonne heure, dit Mazarin, voilà qui est parler ! Et la nomination de Miossens maréchal d'Albret fut signée.

Condé, le précieux prisonnier, ne tarda pas à être transféré à Marcoussis, puis au Havre, sous la garde du comte d'Harcourt, de la maison de Lorraine, surnommé Cadet-la-Perle, parce qu'il portait une perle à l'oreille. Condé, placé dans la même voiture que le comte, fit cette chanson longtemps répétée par le public :

Cet homme gros et court

Si fameux dans l'histoire,

Ce grand comte d'Harcourt,

Tout rayonnant de gloire,

Qui secourut Casal et qui reprit Turin,

Est devenu recors de Jules Mazarin,

Autant Condé supporta avec fermeté, et l'on pourrait dire avec gaité, sa disgrâce, autant Conti et Longueville, le premier faible de corps, le second déjà vieux, tous deux inférieurs à leurs rôles, tombèrent dans l'abattement. Conti, pour passer le temps, se mit bientôt à apprendre le métier de sorcier, et à évoquer le diable : son frère s'en amusa. Longueville, lui, se recueillit et médita sur les vicissitudes de la politique.

Le parti nobiliaire de la Fronde fut d'ailleurs rudement frappé. La duchesse de Longueville se sauva dans le carrosse de la princesse Palatine, avec le prince de Marsillac ; la princesse douairière de Condé reçut l'ordre de se retirer à Chantilly, avec sa belle-fille, le duc d'Enghien son petit-fils, et les enfants de madame de Longueville ; des agents mazarins les v gardèrent. Le duc de Bouillon partit pour sa vicomté de Turenne. Il y eut un temps de désarroi parmi les chefs, sans que, néanmoins, les seigneurs désespérassent de mener à bonne fin leurs ambitieuses entreprises : ils attisèrent l'esprit de rébellion dans les provinces. Quant aux parlements, ils maintinrent leur association, et, par suite de leur tolérance, sinon à leur instigation, les libelles contre Mazarin et Anne d'Autriche continuèrent de pulluler.