HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE V.

 

 

Historique du Parlement de Paris ; sa composition, sa clientèle, ses prétentions. — Le peuple s'adresse à la régente et au roi. — Encore les Importants et les Petits-maîtres. — Satire contre le Parlement. — Le gros pourceau spirituel. — Réformes financières. — Retraite de d'Emery ; attends-le. — Portrait de Pierre Broussel. — Le père du peuple. — Portrait de l'abbé de Gondi ; l'agitateur. — Sermons politiques du Parlement. — Colère d'Anne d'Autriche.

— De juin 1648 au 26 août 1648. —

 

Avant d'aller plus loin, un mot sur l'influence du parlement de Paris ; en possédant le secret de sa force, nous posséderons aussi le secret de sa résistance, et nous saurons comment, à sa voix, la France presque entière se souleva contre un ministre déjà puissant.

Vénérable par son antiquité, — fort par l'appui qu'il donna en mille circonstances à la royauté, — souvent pris comme médiateur entre les grands vassaux et leur suzerain, par conséquent mêlé à toutes les fortes commotions nationales ou politiques, — exerçant par ses enregistrements un véritable droit de vélo sur les édits du roi, et usant de ce droit avec audace, — défendant la bourse des particuliers et jugeant leurs procès en dernier ressort, ce qui le rendait bien cher àla bourgeoisie, — annulant parfois les testaments royaux pour disposer lui-même en réalité des régences, cette assemblée de légistes voyait prendre place en son sein, dans les occasions critiques, les sommités nobiliaires de la France. Les ducs et pairs, les grands officiers de la couronne, et même les princes du sang, siégeaient avec le titre de conseillers-nés dans le parlement de Paris, qui devenait ainsi la tête de la magistrature française et formait, toutes les chambres réunies, un personnel de près de deux cents hommes de loi. Sa juridiction s'étendait sur toute la Champagne, la Picardie, Flic-de-France, la Beauce, l'Orléanais, la Touraine, l'Anjou, le Poitou, le Lyonnais, l'Auvergne et le Berri, c'est-à-dire sur les deux tiers du royaume. Quarante-cinq mille familles, l'élite de la bourgeoisie, étaient investies d'offices de judicature et de finance : elles étaient la clientèle du parlement de Paris. Talent, probité, richesse, voilà ce qui distinguait, en général, les chefs de la compagnie : c'était, on l'a dit, une sorte de république judiciaire, fortement établie, savamment organisée.

Elle ne pouvait échapper à la vanité, vice ordinaire des grands corps constitués. A plusieurs reprises, elle manifesta sou mécontentement en refusant de rendre la justice. Le parlement de Paris se drapa fièrement dans sa toge, et, à dater surtout du dix-septième siècle, il se grisa de majesté, se montra chatouilleux à l'excès sur les points de simple cérémonial, combattit ridiculement parfois pour la préséance. Lors du Te Deum chanté à Notre-Dame, en 1640, après la victoire de Casai, par exemple, le parlement sortit triomphant de la cathédrale, et afficha son triomphe, parce que les gardes françaises et suisses, lui faisant face à la porte du chœur, tournaient le dos à la chambre des comptes. Les débats sur le cérémonial le préoccupaient outre mesure. Il se plaignit un jour, sous Louis XIII encore, d'avoir été précédé par les députés de la noblesse. Messieurs, dit Gueméné aux magistrats mécontents, vous prendrez bien votre revanche dans la minorité.

La revanche était prise. Depuis plusieurs années, le parlement de Paris marchait sans égal, et ses remontrances le conduisaient peu à peu à la domination. Le respect accordé à la majesté royale diminuait clans la population ; mais le parlement y gagnait une auréole nouvelle. Au commencement de 1648, les bourgeois et marchands criaient contre les impôts ; ils disaient tous librement que, si on leur demandait de l'argent, ils étaient résolus de suivre l'exemple des Napolitains. Un matin (11 janvier), dit madame de Motteville, la reine allant entendre la messe à Notre-Dame, ce qu'elle faisait régulièrement tous les samedis, il y eut environ deux cents femmes qui la suivirent jusque dans l'église, criant et demandant justice. Elles se voulurent mettre à genoux devant elle pour lui faire pitié, mais les gardes les empêchèrent de l'aborder, et la reine passa sans écouter leurs clameurs.

Peu respectueuse semblait être cette façon de pétitionner. Aussi posa-t-on des sentinelles et établit-on des corps de garde dans tous les quartiers. Le 12 au matin, quand le roi, relevant de cette maladie qui avait donné tant d'espoir à son onde, alla entendre une messe d'actions de grâces dans la cathédrale, il traversa Paris avec une très nombreuse escorte, officiers à cheval et la cour presque entière ; il fut suivi de tout ce qui pouvait servir à l'augmentation de la majesté royale, afin d'exciter par cette voie, dans l'esprit des peuples, le respect que toutes ces sortes de choses produisent d'ordinaire dans les âmes faibles. Exciter le respect ! C'est que déjà beaucoup de gens criaient Vire le roi ! parce que le roi n'était qu'un enfant sans volonté réelle, et parce que ce cri amenait une antithèse. A bas le cardinal ! Oui, A bas le cardinal ! et Vive le roi ! voilà le mot d'ordre des mécontents.

Le parlement éprouva bientôt les caprices de la popularité trop aisément obtenue. La résistance avait réveillé des ambitions éteintes ; les importants renouvelèrent leurs cabales ; les petits-maîtres se montrèrent de plus en plus oppressifs dans leurs conseils à la cour, conseils équivalant à des ordres. Mille prétentions s'élevèrent à côté de celles des magistrats. Les conciliabules se multiplièrent. On regarda toujours le parlement comme le chef des opérations politiques ; mais, à peine il fonctionna dans son omnipotence, que ses actes furent l'objet du blâme injuste ou de la louange insensée.

La chambre de Saint-Louis avait commencé ses solennelles délibérations entre les cours souveraines. Il fallait céder ! Tel était l'avis que Mazarin donnait à la reine. Le cardinal ne voyait pas sans effroi les forces du parlement s'accroitre, et les magistrats prendre soudain des allures révolutionnaires, en demandant, sur l'avis de Broussel, la révocation des intendants établis clans les provinces, au détriment des officiers ordinaires de justice et de finance, ainsi que la réduction des tailles qui étaient excessives (cent millions environ, monnaie actuelle). Ce dernier point provoqua dans le public des sentiments divers. Le peuple accueillit avec joie la réduction des tailles, mais les esprits pointilleux accusèrent les compagnies d'avoir, en cela, plus songé à leur popularité qu'au soulagement des Français en général. On trouve dans un poème du temps assez lu :

Messieurs, avant toute autre chose,

Afin d'affermir notre cause,

Qui n'est pas sans besoin d'appui,

Nous conclurons tous aujourd'hui

Que l'on soulage la canaille,

Que l'on remette un quart de taille,

Que de nos pays désolés

Les intendants soient rappelés.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C'est par telles inventions

Que le peuple, prompt et volage,

Se meut, se conduit et s'engage.

Quand le peuple sera pour nous,

Sans doute qu'on filera doux.

La noblesse s'étonna. Les compagnies souveraines en vinrent jusqu'à s'occuper du menu peuple et diminuèrent le quart des tailles, remarque un gentilhomme, Bussy-Rabutin, dont la surprise ici fait assurément l'éloge du parlement. Comme Mazarin avait été accusé d'envoyer beaucoup d'argent par-delà les Alpes, afin de s'assurer une fortune en Italie et de s'y mettre à l'abri des événements, il voulut faire disparaitre ces bruits en renouvelant la défense, sous peine de mort, de transporter or ou argent loin du royaume, sans une permission expresse du roi.

Se voyant en si bon chemin, les compagnies coupèrent dans le vif : elles déclarèrent l'impossibilité de lever aucun impôt sans l'enregistrement des cours souveraines, à peine de rie ; elles proclamèrent le droit de juger elles-mêmes les malversations financières. Tout ceci se rapportait à d'Emery, le sous-intendant, que madame de Motteville appelle gros pourceau spirituel ; que son improbité cynique et ses spéculations éhontées sur la dette publique vouaient à l'exécration universelle. D'Emery était accusé d'avoir dit en plein conseil que la bonne foi n'importait qu'aux marchands, et que tout individu qui l'alléguait dans le service du roi méritait d'être puni. Voilà un homme qui comprenait bien les deux consciences définies par Séguier !

D'Emery, intéressé dans tous les traités et partis, faisait obtenir à vil prix aux partisans les fermes et autres droits du roi. Les choses en vinrent à un tel point, que, pour recevoir un million, il fallait en abandonner quatre ou cinq aux traitants. Un Mémoire avait prouvé qu'un écu qui vient des contributions directes au roi, en coûte plus de dix au peuple. D'Emery faisait acheter publiquement, pour lui et pour ses amis, des rentes au denier deux ou trois, rentes que le roi lui remboursait sur le pied du denier quatorze ; il accorda pendant dix ans, pour un million, la jouissance des impôts et billots de Bretagne, qui rapportaient cinq cent mille livres par année. Ce furent des taxes indirectes qu'établirent la plupart de ses édits bursaux. Pendant la minorité du roi, les ministres étaient assaillis de mémoires de finances semblables à ceux dont s'est moqué Molière. L'un d'eux proposa d'établir un impôt sur toutes les cheminées de France, et fit valoir la facilité qu'en offrirait la perception. L'auteur demanda, à titre de récompense, le dixième du produit[1].

Quel génie pour trouver de l'argent ! A quels expédients en était réduit le ministère de Mazarin ! Comme se trouvent expliquées les émeutes contre les percepteurs d'impôts, à Orléans, à Moulins et dans le Forez ! D'Emery avait prétendu qu'il était impossible que les ministres des finances ne fussent point maudits, et, conformément à son opinion, les malédictions pleuvaient sur sa tête. Partout menaçait la sédition du ventre, seditio ventris, selon l'expression de Gaston d'Orléans.

Les réformes financières popularisaient déjà le parlement : avec quelle explosion de joie on apprit qu'il exigeait dorénavant la garantie, pour toute personne arrêtée par ordre du roi, d'être interrogée dans les vingt-quatre heures, ou d'être mise en liberté ! C'était une constitution nouvelle, une barrière opposée au bon plaisir. Pour protéger aussi les marchands en détresse, le parlement déclarait nuls et révoqués tous privilèges commerciaux, et défendait d'importer en France les lainages et soieries d'Angleterre et de Hollande, les passements de Flandre, les points d'Espagne, de Gênes, de Rome et de Venise, avec confiscation et grosse amende contre les sujets du roi qui en achèteraient ou en porteraient : c'était là une véritable loi nationale. Il s'occupait enfin de la distribution des denrées dans Paris. Réformes sur réformes, comme on voit. Les magistrats se mêlaient bien de ce qu'ils avaient appelé le mauvais ménage de l'administration.

Loin de céder, Anne d'Autriche, de plus en plus énergique et fière de sa dignité, refusa de sanctionner ces demandes. Elle ordonna au parlement d'en finir avec les séditions.

Mais que signifient, aux yeux des magistrats, les sanctions royales pour leurs arrêtés ? Ne forment-ils pas des cours souveraines ? Ils répondent à la reine en supprimant les intendants provinciaux et les commissions extraordinaires. Alors, de la colère, Anne d'Autriche passe à la fureur. Elle ne consentira jamais que cette canaille attaque l'autorité du roi son fils ; elle veut terrasser les séditieux, faire un châtiment si exemplaire, qu'il étonnerait la postérité. Toujours maitre de lui, toujours partisan des formes cauteleuses, Mazarin la raisonne, lui qui, dans une conférence tenue au Luxembourg, a donné aux membres du parlement les titres de Restaurateurs de la France, de Pères de la patrie ; il s'inquiète parce que la régente est vaillante comme un soldat qui ne connait pas le danger. Mazarin a multiplié les largesses, pour s'attacher les courtisans ; mais son système palliatif n'a pas tout à fait réussi. Pour défrayer la table et les autres dépenses domestiques du roi, il a fallu mettre en gage les pierreries de la couronne ; et les gardes des Suisses, n'étant plus payés, ont voulu s'en aller. La régente en a été réduite à emprunter de l'argent aux daines de la cour. L'arrestation de trois capitaines des bardes, l'exil du comte de Fiesque, le  bannissement de la vertueuse dame d'Hautefort, actes émanés de la volonté d'Anne d'Autriche, ont néanmoins accru le déchaînement de la haine populaire contre le ministre.

Il est beaucoup trop bon, dit à son tour la bonne reine, en parlant de Mazarin ; il gâte tout pour vouloir toujours ménager ses ennemis. Anne d'Autriche va jusqu'à le taxer de lâcheté. Radoucie bientôt, cependant, elle se rend aux raisons qu'on lui oppose et cherche à tirer parti de la situation même. Elle supprime les intendants

par déclaration royale, pour que le peuple ait au moins à obligation de son soulagement  Sa Majesté. Le cardinal va plus loin en fait d'abnégation. Il renvoie d'Emery, sa créature, son ami (10 juillet 1648). Impossible, d'ailleurs, que cet homme conserve la direction des finances, car on manque à tous les engagements qu'il a contractés : le parlement n'a-t-il pas déclaré que les avances faites par les partisans et hommes d'affaires ne leur seraient point remboursées ?

D'Emery se retire donc. Comme, après sa disgrâce, il doit aller vivre dans son château de Tanlay, les moqueurs le plaisantent, mais il s'en consolera aisément, car cette terre qu'il possède depuis 1642, et dans laquelle deux millions et demi ont été dépensés, est l'une des plus belles de la France. Là, gorgé de richesses, il se rira bien des reproches qu'on lui adresse à l'endroit de sa probité ; il jouira impunément de l'immense fortune qu'il s'est acquise par ses habiletés ; en attendant que Mazarin le vienne rejoindre, il redira avec gaîté le mauvais calembour inspire aux malins par sa retraite à peu près volontaire :

D'Émery, ne t'en va pas.

Jules te suit pas à pas.

Attends-le (à Tanlay)

Mais d'Emery est encore plus ambitieux que cupide ; le souvenir de ses trahisons sous Louis XIII, de sa haute faveur pendant les premières années de la minorité de Louis XIV, lui fait espérer qu'il reprendra tôt ou tard la direction des finances. D'Emery n'attend pas Mazarin, dans son château de Tanlay ; il se flatte, au contraire, que Mazarin aura besoin de ses services et le rappellera. Son remplaçant dans la surintendance est le maréchal Charles de La Porte, duc de la Meilleraie, qui trouve une caisse fort mal garnie : 130 millions de dettes, et pas un sou vaillant. On lui adjoint Morangis et d'Aligre. La Meilleraie possédait la probité de Sully, mais non ses ressources.

Cette facilité de Mazarin à s'exécuter augmenta beaucoup l'espoir des révoltés ; les jeunes conseillers, délaissant les affaires ordinaires du palais, ne parlèrent plus que du gouvernement du royaume ; les anciens se réjouirent d'avance de voir le système ministériel échouer devant la résistance parlementaire. Parmi ceux-ci brillait Pierre Broussel, reçu conseiller en 1637, et qui avait, dans une séance des cours souveraines, produit des états prouvant que, depuis la régence, deux cents millions avaient été levés sans enregistrement des cours.

C'était l'idole, pour ne pas dire le tribun du peuple, assure Montglat. — Vieillard déclamateur, toujours prêt à tonner contre la cour et les impôts, très surpris probablement lui-même de sa surprenante popularité, il présentait le type du magistrat formaliste, fanatique de l'esprit de corps. C'était un personnage d'une ancienne probité, de médiocre suffisance, selon La Rochefoucault, et qui avait vieilli clans la haine des favoris. Pierre Broussel devint un drapeau vivant. Au-dessous d'un portrait gravé sur bois de Pierre Broussel, image sortie un jour des presses de Claude Morlot, libraire, rue de la Bûcherie, à l'enseigne des Vieilles-Etuves, resplendissait un sonnet de Pierre du Pelletier, dont il faut lire ces six derniers vers :

Un illustre consul mourut jadis pour Rome,

Et le Tibre pleura la mort de ce grand homme,

Qui voulut que son sang payât sa liberté.

La Seine, grâce aux dieux, quoi qu'en dise le Tibre,

Parle plus hautement de sa félicité,

Puisque de Broussel vit et que la France est libre.

A l'exemple des membres du parlement, qui, le 1er juillet 1648, informa contre un conseiller des parties casuelles, coupable d'avoir mal parlé de la compagnie, les bourgeois se remuèrent, et bientôt, à l'exemple des bourgeois, tous les Parisiens. Des pamphlets et des chansons sur la reine circulèrent. Les ambitieux jugèrent l'instant opportun pour mettre en avant les masses ; le jeune Paul de Gondi commença ses intrigues.

Le coadjuteur Gondi avait, en 1648, trente-quatre ans. Lié non-seulement avec des gens de robe de toutes les classes, mais encore avec des officiers de la milice bourgeoise, il s'était aussi formé, par d'immenses libéralités sorties de sa propre bourse ou de celle d'autrui, le gros d'un parti qui n'attendait que l'occasion pour agir. Ses dettes ne l'effrayaient point. J'ai bien supputé, avait-il dit à l'un de ses amis : César, à mon âge, devait six fois plus que moi. Du 28 mars au 25 août, veille du commencement des troubles, il dépensa trente-six mille écus en dons et aumônes. Avec un pareil chef, chef occulte, tergiversant encore, le peuple ne pouvait manquer de s'agiter beaucoup, sans savoir pour qui ni pourquoi peut-être ; mais quand le vent de l'émeute a soufflé sur la foule, une main inconnue la pousse, et la misère fait le reste.

Vainement la cour, inquiétée au dernier point, chercha-t-elle à dominer en secret le parlement ; vainement le roi accorda-t-il, dans un lit de justice, la remise d'un quart des tailles, avec ordre de ne lever aucun impôt sans l'enregistrement, avec promesse d'assembler les notables ; vainement défendit-on les séances de la chambre de Saint-Louis. Ces concessions entremêlées d'actes de vigueur ne satisfaisaient personne. Les assemblées tumultueuses, les pamphlets pleins de calomnies, ou de vérités qui n'étaient pas agréables à entendre, les chansons politiques allèrent leur train. Les Parisiens frondèrent de plus en plus, si bien que la régente, ne voulant pas souffrir davantage l'empire de cette troupe de mutins, se proposa d'abattre les cabales par un coup d'Etat. Reconnaissons, d'ailleurs, que Paris profitait de toutes les occasions pour faire tapage. La mort subite du conseiller le Boulanger au parlement (16 juillet) produisit une émotion. Emotion à la suite de la séance du 20, où le duc d'Orléans déclara que les peuples se soulevaient de tous côtés ! Emotion lors du Te Deum chanté à Notre-Dame pour la prise de Tortose (29 juillet) ! Émotion, parce qu'on arrêta l'intendant du duc de Vendôme (2 août) ! Émotion, lorsqu'une procession eut lieu pour expier une profanation commise dans l'église Saint-Sulpice (6 août) ! Emotion, enfin, quand le coadjuteur Gondi célébra la messe, dans la cathédrale, devant le roi et la reine-mère (15 août). Autant de jours, autant de foules rassemblées çà et là. On parlait haut, on riait, on critiquait les hommes et les actes de la cour.

Anne d'Autriche était lasse de l'opposition que faisaient les belles gens du parlement, et des sermons politiques qu'elle en recevait, principalement depuis le lit de justice du 15 janvier 1648. Tantôt Omer Talon, au parlement, avait supplié le roi de se contenter du pouvoir et de la bonne volonté de ses sujets ; de faire que les nœuds d'amitié, de bienveillance, d'humanité et de tendresse se pussent accorder avec la grandeur et la pourpre de l'empire ; de donner à ces vertus des lettres de naturalité dans le Louvre ; de mépriser toutes sortes de dépenses inutiles et superflues ; de triompher plutôt du luxe de son siècle et de celui des siècles passés, que non pas de la patience, de la misère et des larmes de ses sujets. Tantôt le président Antoine Nicolaï, dans la chambre des comptes, avait dit à Gaston d'Orléans : Il y a un homme dans l'Etat qui abuse de la puissance souveraine, et qui règne en la place du roi ; qui croit qu'il peut s'enrichir de la fortune des particuliers et de leurs dépouilles, et qui, après avoir consommé les biens du royaume et converti tout à son utilité particulière et à ses infâmes partisans, travaille tant qu'il peut pour entrer dans les premières dignités de la magistrature, s'imaginant y trouver son asile et l'impunité de tous ses crimes et de tous ses brigandages. Tantôt enfin, le président Jacques Amelot-Beaulieu, de la cour des aides, s'était écrié, devant le prince de Conti : Nous sommes le scandale et l'opprobre de tous nos voisins, qui savent que des gens nés de la corruption du siècle sont aujourd'hui les plus puissants de l'Etat ; qui voient que d'infâmes partisans, après avoir ruiné les familles les plus illustres et les plus anciennes par des avis pernicieux et punissables, triomphent encore de leurs dépouilles ; qu'on révère la boue et la fange dont ils sont sortis, parce qu'elles sont couvertes d'or, et qu'elles se trouvent un peu déguisées. Anne d'Autriche regrettait déjà les quelques concessions faites en paroles aux cours souveraines, quand celles-ci voulaient des effets, et ne se contentaient plus de paroles ; Anne d'Autriche déclarait qu'elle ne jetterait plus des roses à la tête du parlement, quand celui-ci s'ai prêtait à ne pas souffrir désormais les dilapidations.

 

 

 



[1] Bibliothèque impériale, fonds Harlai, n° 352.