HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE II.

 

 

Maladie de Louis XIII. — Ses rancunes. — Intrigues. — Le conseil de Régence. — Mort, enterrement, apothéose et portraits de Louis XIII. — Sort de son testament. — Mazarin va partir pour Rome. — La régente et le cardinal s'entraident. — Apostrophe à l'image de Richelieu. — Portrait physique et moral de Mazarin. — Hommages à Mazarin, à la régente, au roi.

— Du 21 février 1643 au 8 mai 1643. —

 

Déjà Louis XIII dépérissait (21 février 1643), Louis XIII que la Providence avait fait naitre dans un moment qui lui était propre, qui plus tôt eût été trop faible, plus tard trop circonspect, a dit Hénault. Sa mort semblait prochaine. Une maladie de langueur le consumait.

On vit alors, dans les appartements de Saint-Germain, le plus affligeant spectacle. Mille intrigues se nouèrent, parmi les amis de Mazarin, d'une part, et de l'autre, dans la foule des gentilshommes amnistiés ou rentrés même sans autorisation royale. Un vaste champ s'ouvrait aux ambitions de tous. Haïssant Anne d'Autriche, sa femme, autant que le duc d'Orléans son frère, Louis XIII, dont le seigneur Jean-Louis Guez de Balzac avait très malignement dit qu'il ne pouvait faire des coups d'État qu'avec la reine, ne s'était point réconcilié au fond avec celle-ci, lorsque, par une fécondité inattendue, après vingt-trois ans de stérilité, elle lui avait successivement donné deux fils : Louis XIV, appelé Dieudonné (16 septembre 1638), et Philippe, duc d'Anjou (21 septembre 1640), qui devint duc d'Orléans après la mort de Gaston, et qui fut la tige de la branche cadette des Bourbons. Anne d'Autriche, livrée à l'ennui, allait passer presque tout son temps au monastère du Val-de-Grâce, et faisait de Vincent de Paul le dépositaire de ses charités. Elle ne comptait pat, pour ainsi dire, sous le rapport politique, et elle partageait la disgrâce perpétuelle de son beau-frère.

Louis XIII se montra même implacable à l'égard de la fille de Philippe II d'Espagne ; il n'agit guère en chrétien, de son propre mouvement. Son confesseur lui avait prescrit l'oubli des injures : le pénitent moribond obéit ; mais l'animosité du roi ne céda pas complètement : sur son lit funèbre, il dit, en parlant d'Anne d'Autriche, qui niait d'avoir conspiré : En l'état où je suis, je dois lui pardonner, mais je ne dois pas la croire. Quelques jours après, en voyant les amis de la reine se presser autour de lui, il dit encore : Ces gens-là viennent voir si je mourrai bientôt ; oh ! si j'en puis revenir, je leur ferai payer cher le désir qu'ils ont que je meure ! Ces paroles trahissaient bien l'impuissance prétentieuse de Louis XIII. Son état languissant encourageait les intrigues. On le crut expiré deux fois, dans la dernière quinzaine. de sa vie, et on priait continuellement Dieu, par toutes les églises de Paris, le sainct sacrement esposé sur les autels, pour le recouvrement de sa santé, lisons-nous dans les registres de l'Hôtel-de-Ville.

Malgré tout, Gaston d'Orléans, à la fortune duquel Mazarin s'était d'abord attaché, ne rentra en grâce que pour la forme, et il n'exerça aucune influence. Anne d'Autriche, au contraire, avait maintenant de nombreux amis, autrefois emprisonnés ou proscrits, ou condamnés à mort, gens à qui le malheur n'avait point enlevé leur audace. Ils bravaient, dans Saint-Germain, Louis XIII mourant. Unis à la reine depuis bien des années, par les services qu'ils lui avaient rendus, dit La Rochefoucauld, ils comptaient sur ses promesses, ils espéraient ne pas la trouver ingrate. De ce côté, donc, il y avait l'avenir. Mazarin ne manqua pas l'occasion d'augmenter, ne fût-ce que momentanément, le nombre de ses amis personnels, en y ajoutant les partisans d'Anne d'Autriche. Il s'accordait avec la reine, lorsque Louis XIII nomma un conseil de régence, où le cardinal eut pour collègues le duc d'Orléans, lieutenant-général du royaume sous Anne d'Autriche régente ; Henri II de Bourbon, prince de Condé, qui ne pensait qu'à l'accroissement de ses richesses, et dont la plus grande gloire, au dire de Voltaire, est d'avoir été le père du grand Condé ; Pierre Séguier, chancelier, qui paraissait fort dévoué à la reine ; le surintendant Bouthillier, et son fils Chavigny.

Ces collègues s'entendirent appeler très spirituellement les collatéraux de la régence, parce que Mazarin, comme eux ministre d'Etat, reçut en outre la présidence du conseil en l'absence du duc d'Orléans et du prince de Condé, avec mission de régler seul, sous la régente, les affaires ecclésiastiques. Pour comble de faveur, il tint le dauphin sur les fonts de baptême (21 avril 1643), dans la chapelle du vieux château de Saint-Germain. La princesse de Condé fut marraine. On-dit qu'après la cérémonie, lorsqu'on ramena l'enfant à son père, celui-ci lui demanda comment il s'appelait maintenant : Je m'appelle Louis XIV !Pas encore, aurait doucement reparti le roi mourant, pas encore ! L'héritier du trône avait quatre ans et demi.

L'événement suprême, depuis longtemps prévu, ne devait pourtant pas tarder à arriver. Un mois après son baptême, l'enfant royal s'appela Louis XIV. Louis XIII, dit le Juste, le juste à tirer de l'arquebuse, observaient certains plaisants, trépassa (14 mai 1643), trente-trois ans, jour pour jour, après l'assassinat de son père Henri IV. Le 15 mai, Anne d'Autriche ramena de Saint-Germain au Louvre le nouveau roi, et, à la cour, l'affliction fut très médiocre[1]. A peine resta-t-il près du défunt, — d'un roi de France ! — les trois personnages qui, selon le cérémonial d'usage, devaient autoriser l'ouverture du corps. On remit aux jésuites le cœur de Louis XIII ; on porta ses entrailles à Notre-Dame de Paris, et son cadavre alla directement de Saint-Germain, le château, à Saint-Denis, la tombe (19 mai). Une gravure, rare aujourd'hui, fut intitulée : Apothéose de Louis XIII, ou sa réception dans le ciel, où il monte glorieux après avoir triomphe de l'hérésie et de la rébellion. Hommage qui se trompait d'adresse, qui rendait à Louis ce qui appartenait à Richelieu. Mais il parut une épitaphe bien tournée, traçant de Louis XIII le portrait le plus exact :

Il eut cent vertus de valet,

Et pas une vertu de maître.

En effet, gracieusement danser, monter convenablement à cheval ; faire des canons de cuir, des lacets, des filets, des arquebuses ; être bon préparateur de confitures, adroit jardinier, passionné chasseur ; larder des viandes comme un cuisinier ; raser habilement comme un barbier ; confectionner enfin des châssis, — telles étaient les qualités réelles du mari d'Anne d'Autriche, qualités que venaient anoblir un peu de peinture, quelques travaux de musique, çà et là des raisonnements passables dans un conseil, et auxquelles s'ajoutaient une certaine cruauté native, beaucoup de dissimulation, de la pudeur sournoise, une vaillance douteuse, une fainéantise achevée, des ennuis passés à l'état de nature, une horrible manie qu'il garda longtemps, assure Tallemant des Réaux, celle de se divertir à contrefaire les grimaces des mourants. Quand son jeune favori Cinq-Mars fut décapité, Louis XIII ne s'écria-t-il pas ? Je voudrais bien voir la grimace qu'il fait à cette heure sur cet échafaud ! Voilà le prince que la régente devait officiellement pleurer.

Sans perdre de temps, Anne d'Autriche conduisit le petit roi tenir un lit de justice au parlement (18 mai 1643).

Alors fut consommé un fait grave et fécond en conséquences. Louis XIII avait exécuté de point en point le Testament politique de Richelieu, dont l'avant-propos contient quelques pages plus habiles encore que flatteuses, une succincte narration de toutes les grandes actions du roi. Le sien n'eut pas la même fortune : on l'éluda très catégoriquement. Le royal défunt avait en vain écrit qu'il voulait que sa déclaration de régence fût irrévocable, aussi ferme que la loi salique ; en vain il avait solennellement signé cette déclaration, en mettant au bas : Ce que dessus est ma très expresse volonté que je veux être exécutée. Le monarque fantôme s'était fait illusion, parce que la régente et le duc d'Orléans avaient signé aussi ; il avait remis la déclaration à Matthieu Molé, premier président, en disant : J'ai disposé des affaires de mon royaume. C'est la seule satisfaction que je puisse avoir en mourant. L'enregistrement au parlement s'était effectué le lendemain des signatures.

Pures et impuissantes formalités, contre lesquelles Anne d'Autriche, déjà experte aux choses de la politique, s'était armée en secret par une protestation devant deux notaires, basée sur ce que sa signature avait été donnée par obéissance pour le roi.

Dans sa finesse déliée, Mazarin prévit que la veuve de Louis XIII attaquerait tout haut les dernières volontés ; il se démit de son pouvoir, exemple suivi par tous les autres membres du conseil de régence, et il publia sa résolution de retourner à Rome. Alors, les belles dames et les courtisans de s'écrier avec joie : Mazarin fait ses paquets ! Les ministres, selon eux, préparaient leur retraite et seraient remplacés par de galants mannequins ministériels. Ô bonheur ! plus de politique sérieuse, plus de système de Richelieu ! Non ; mais le galant duc de Beaufort va être favori en titre. Ce jeune et charmant écervelé ramènera à la cour la gaîté, depuis longtemps exilée, le laisser-aller amoureux, presque le désordre : le plaisir en permanence ! Mille projets s'agitent dans les cerveaux.

Les déceptions devaient suivre. Anne d'Autriche avait joué sa comédie, comme Mazarin avait joué la sienne. Voici se lever une nouvelle journée des dupes contre les jolis ambitieux. Reconnue à l'unanimité par le parlement en qualité de régente sans partage, Anne d'Autriche garda Mazarin, homme indispensable, disait-on, parce .qu'il était, avec Chavigny, seul dépositaire du secret de l'Etat ; Anne d'Autriche suivit en cela le penchant de son indolence plus peut-être encore que les conseils de Vincent de Paul.

Veuve à quarante-deux ans, adonnée aux exercices de piété, et néanmoins fière de son rang, la fille aînée de Philippe II d'Espagne joignait à la bonté continuelle de cours moments d'énergie. Elle avait bien les goûts et les délicatesses d'une reine, et elle montra toujours tant de recherche dans ce qui touchait à son corps, que plus tard Mazarin put lui dire avec raison : Madame, si vous étiez damnée, votre enfer serait de coucher dans des draps de toile de Hollande. Mais la régence libre et entière l'effrayait en la flattant. Le cardinal se rendit agréable à Anne d'Autriche, qui craignait d'être trahie par les grands, et à laquelle il convenait de donner sa confiance à un homme qui, étant étranger, devait trouver en elle seule un véritable appui. La galanterie, d'ailleurs, protégeait Mazarin dont la figure était belle, qui possédait d'élégantes manières et quelques traits de ressemblance, dit-on, avec Buckingham. Ainsi le ministre et la reine trouvaient un intérêt immense à s'unir pour commander. Celle-ci, surtout, sentait si bien les exigences de sa position présente et la nécessité de s'appuyer sur un bras vigoureux, qu'il lui arriva un jour, assure-t-on, de s'arrêter devant le portrait de Richelieu — du Musée du Louvre —, de contempler longtemps l'image de l'homme qui l'avait humiliée pendant toute sa vie, et de s'écrier : Si cet homme vivait, il serait aujourd'hui plus puissant que jamais ! Quelle transfiguration dans Anne d'Autriche ! Que ne peut le besoin de conserver le pouvoir ! Naguère, le terrible cardinal avait vaincu l'un des amants de la régente, et il avait tué l'autre !

Mazarin disait que quand on a le cœur on a tout. Etabli déjà dans le cœur et dans la tête d'Anne d'Autriche, soit avec passion, soit avec innocence réciproque, il plut singulièrement au public étranger aux intrigues de cour, qu'il charma par ses grâces personnelles, sa modestie apparente, sa rare politesse, la séduction de son langage. Mazarin, cependant, n'écrivait pas plus correctement sa langue adoptive qu'il ne la prononçait, mais son style avait de l'aisance et une libre allure fort enjouée. Belle taille, teint vif et beau, selon Brienne, les yeux pleins de feu, le nez grand et un peu élargi par le bout, le front large et majestueux, les cheveux châtains et un peu crépus, la barbe plus noire et toujours bien relevée avec le fer, mains remarquables, propres et très soignées, le tout avec une odeur habituelle de parfums ; l'esprit étendu, fin, insinuant et délicat, selon Bussy-Rabutin, faisant plaisamment un conte, et l'abord agréable par nature, voilà l'homme qui allait gouverner la France de concert avec une reine dont la coquetterie, les passions vives et le tempérament hardi, quoique endormi, ne furent un secret pour personne ; voilà l'homme que Condé, Retz, l'abbé de Choisy et autres ont plaisanté sur sa naissance obscure, et regardé comme un être inférieur, en fait de noblesse, de bonnes manières, d'intelligence politique. Montglat a prétendu que le cardinal était brelandier, adroit aux jeux de main, à faire des tours de cartes et de billard ; aussi parut-il, plus tard, une Ballade de Mazarin, grand joueur de hoc ou beau jeu de trente et quarante ; aussi lui dit-on, dans un sonnet :

... Dispose

De la reine de cœur, pique, trèfle ou carreau,

Mais n'en fais pas ainsi de la reine de France.

Aussi l'accusa-t-on, enfin, de tricher au jeu, en déclarant que la France était bien malheureuse d'être gouvernée par un Italien qui axait le loisir d'inventer des jeux, notamment celui du hoc. Mazarin avait les singes pour animaux favoris, et deux singes sur ses genoux dansaient parfois avec lui, assure une lettre burlesque du temps.

Une grande allégorie complimenta Mazarin sur sa nouvelle dignité : une estampe le représenta prenant soin de l'éducation du dauphin, et dans une autre, dont le titre était : Etat de la famille royale après la mort du roi, on put lire ce panégyrique de la régente :

Anne, dont la vertu nous assiste eu besoin,

Va ramener le calme après tant de tempêtes ;

Et ces princes divins, dont elle a tant de soin,

De l'aurore au couchant borneront leurs conquêtes.

Sur le lit de justice du 18 mai, on célébra les louanges du parlement favorable à la mère du petit roi :

Icy le Parlement, pour nous tirer de peine,

Reçoit Anne régente et nous met soubz sa loy,

Ô Dieu ! que nous aurons une adorable reyne !

Mon Dieu, que nous aurons un adorable roy !

Et puis, comment toutes choses ne marcheraient-elles pas sans entraves ! Le dépost de la régence du royaume de France faict par la reyne-mère régente entre les mains de la reyne de paix, mère de Dieu, avait inspiré à un graveur la plus touchante allégorie ; enfin l'enfant-roi recevait sa couronne des mains de l'Enfant-Jésus, d'après une estampe parue en 1643.

 

 

 



[1] Lettre de Turenne à mademoiselle de Bouillon, sa sœur.