LES BOURBONS DE FRANCE

HENRI IV, LOUIS XIII, LOUIS XIV, LOUIS XV, LOUIS XVI, LOUIS XVIII, CHARLES X, LOUIS-PHILIPPE Ier, LE COMTE DE PARIS

 

LOUIS XVIII.

 

 

Les armées coalisées de l'Europe, soulevées contre l'empereur et l'empire plus que contre la France elle-même, entrèrent sur son territoire pendant l'hiver de 1814. Napoléon Ier voulut encore dicter la paix, il ne voulut pas la subir et l'on voyait en perspective de nouveaux appels à l'impôt et à la conscription.

On était las de la guerre, on était las d'avoir sacrifié tant d'or et versé tant de sang pour le héros des champs de bataille qui ne savait pas, qui ne voulait pas transiger avec l'Europe, offrant de laisser à la France ses frontières de 1792, celles que la dynastie des Bourbons lui avait données, et qui demandait à reprendre les conquêtes de la Convention, du Directoire, du Consulat et de l'Empire.

Les armées de la coalition devant lesquelles fuyait Marie-Louise d'Autriche que son mari Napoléon Ier avait mise à la tête d'une régence, arrivèrent le 30 mars 1814 aux portes de Paris qui capitulait dans la soirée. Les maréchaux Edouard-Adolphe-Casimir-Joseph Mortier, duc de Trévise, et Auguste-Frédéric-Louis Wiesse de Marmont, duc de Raguse, signèrent cette capitulation. Ils cédèrent à la force.

Le lendemain l'empereur de Russie, Alexandre Ier et le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, firent leur entrée dans la capitale de la France. Ils déclaraient ne pas vouloir traiter avec Napoléon Ier.

Il se manifestait dans les conseils de l'Europe où l'Autriche était impuissante, où la Prusse ne dissimulait pas ses sentiments de haine et de vengeance, où l'Angleterre était neutre, des idées de partage ou tout au moins de mutilation qui allaient au delà d'un recul jusqu'aux frontières de 1792.

Il n'y avait de salut que dans la restauration de la dynastie des Bourbons dont le rétablissement avait été déjà proclamé à Bordeaux, avant-garde des provinces de l'est, de l'ouest et du midi.

C'est alors que sous l'influence de Talleyrand, qui se fit pardonner par son habileté patriotique ses erreurs passées, Alexandre Ier adopta ce projet de dénouement de la situation avec enthousiasme. Il était descendu à l'hôtel de la rue Saint-Florentin, qui appartenait à ce Nestor de la diplomatie. Cette heureuse circonstance eut un résultat, un effet utile.

Alexandre Ier Paulovitch était fils de Paul Ier, dont on sait la mort tragique. Le père était un despote barbare, le fils était un libéral éclairé. Il fut dans ses vastes États, un réformateur et un civilisateur. En 1801, il montait sur le trône des czars et signait avec Napoléon Ier un traité d'amitié. Mais il rompit avec lui avec éclat, après l'arrestation et la mort du duc d'Enghien.

Après la campagne de Russie, qui commença le déclin de la fortune de Napoléon Ier, Alexandre Ier se posa en pacificateur de l'Europe. Il y avait alors dans le langage de ses manifestes une sorte de mysticisme religieux. C'est de cette disposition d'esprit qu'est sortie l'idée de la sainte alliance dont il fut le promoteur et l'inspirateur, sorte de contrat d'union des gouvernements européens, contre les révolutions passées, présentes et futures, qui exerça une grande action diplomatique jusqu'à la fin du règne de Louis XVIII.

Alexandre Ier était le véritable chef de la coalition européenne qui remporta sur Napoléon Ier la victoire de Leipzig. Cette victoire qui ouvrit les portes de la France aux armées alliées, fut aussi celle qui les amena dans Paris, forcé, comme on vient de le voir, de capituler.

On doit rendre à Alexandre Ier cette justice qu'entré avec ces armées, en vainqueur, dans la capitale de la France, il y contint énergiquement l'insolence de la soldatesque étrangère et préserva la population parisienne de bien des violences. Il s'y comporta en sauveur plutôt qu'en vainqueur et y devint presque populaire. Il y fut surtout le partisan résolu du rétablissement de la dynastie des Bourbons sur le trône de Henri IV et de Louis XIV.

Le Sénat conservateur de l'Empire, qui n'avait su conserver ni la liberté, ni la justice, ne sut pas davantage conserver le pouvoir de son maître. Il vota, à l'instigation du prince de Talleyrand, la déchéance de Napoléon Ier, et appela au trône de France Louis XVIII, chef de la branche aînée de la dynastie des Bourbons. Le comte d'Artois fut nominé lieutenant général du royaume.

C'est le prince de Talleyrand qui le reçut, en même temps qu'il négociait l'armistice du 23 avril 1814. Cet armistice avait été précédé de l'acte signé par Napoléon Ier, dans le palais de Fontainebleau, acte qui était son abdication pure et simple, et qui portait la date du 14 avril 1814.

L'impulsion était donnée. L'élan fut général. Napoléon lei se rendit à l'île d'Elbe dont on lui accordait la souveraineté, seulement accompagné de quelques amis fidèles. Toute la phalange de ses courtisans avait déserté sa cause. Il faut dire, pour leur justification, qu'ils étaient entraînés par l'irrésistible courant de l'opinion. La France se tournait avec confiance vers la dynastie des Bourbons.

Elle était ainsi composée :

Le dauphin de France, fils de Louis XV, avait laissé trois fils : Louis-Auguste qui devint Louis XVI, mort sur l'échafaud ; Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, et Charles-Philippe, comte d'Artois, qui tous deux avaient émigré et mené à l'étranger une vie errante.

Le comte de Provence était veuf d'une princesse de Savoie, Marie-Joséphine-Louise, fille de Victor-Amédée III, roi de Sardaigne, morte en 1810. Il n'avait pas de postérité.

Le comte d'Artois, marié à une autre princesse de Savoie, Marie-Thérèse, fille également de ce même Victor-Amédée III, avait deus fils : Louis-Antoine, duc d'Angoulême, marié à sa cousine germaine, Marie-Thérèse-Charlotte, fille de Louis XVI, l'ancienne prisonnière du Temple, et Charles Ferdinand, duc de Berry, qui devait épouser. le 17 juillet 1816, Marie-Caroline-Thérèse, princesse des Deux-Siciles, union qui fut consacrée à Notre-Dame.

C'était la branche aînée. La branche cadette avait pour chef, le premier prince du sang, Louis-Philippe, seul fils survivant du duc d'Orléans, qui avait été décapité sur la place de là Révolution. Sa sœur, la princesse Louise-Marie-Adélaïde-Eugénie, avait également survécu à ses deux autres frères, le comte de Montpensier et le duc de Beaujolais.

Enfin il y avait deux autres princes du sang, le duc Louis-Joseph de Bourbon, et le duc Louis-Henri-Joseph de Bourbon, tous deus déjà nommés, l'un aïeul, l'autre père du malheureux duc d'Enghien, qui avait été fusillé, comme on sait, en 1804, dans un fossé du château de Vincennes.

Le 12 mars 1814, le comte d'Artois entra dans Paris, par la porte de Bondy, à cheval, à la tête d'un cortège qui se grossit tout le long de la route, alla prendre, au nom de Louis XVIII, avec le titre de chef du gouvernement provisoire pour les uns, comme lieutenant général pour les autres, possession du palais des Tuileries. C'est lui qui dut signer, le 23 avril 1814, la convention préliminaire négociée par le prince de Talleyrand, pour la cessation immédiate des hostilités, triste nécessité qu'il subissait, sans l'avoir créée et à laquelle aucune puissance humaine, n'aurait pu soustraire la dynastie des Bourbons. Toute autre conduite eût été la guerre, eût été le partage.

L'accusation qu'on a portée contre la Restauration, d'avoir été la protégée de l'étranger, est une fausse accusation.

La dynastie des Bourbons n'est pas revenue en France, comme on l'a dit, dans les fourgons de l'étranger, elle est venue se jeter entre l'étranger et la France, pour que la France fût sauvée, pour que l'étranger ne lui fît pas subir le sort de la Pologne.

Hôte de Talleyrand, Alexandre Ier n'avait pas dit : Je ramène la dynastie des Bourbons et je veux lui rendre le trône de saint Louis.

Il s'était borné à promettre que la France serait libre de se donner le gouvernement de son choix, pourvu que ce ne fût pas la continuation de l'Empire.

C'est la France, fatiguée de l'Empire, malgré les éblouissements de l'auréole de gloire dont resplendissait le front de Napoléon Ier, qui a rappelé, de son propre mouvement, la dynastie des Bourbons, et qui a, du reste, accueilli son retour avec des manifestations de joie, publiques et indéniables.

Cependant Louis XVIII attendait les événements en Angleterre, au château d'Hartwel. C'est là qu'il reçut des messagers et des conseils venus de Paris. Les uns et les autres adoptaient le principe de la royauté légitime, dont il était le représentant. Il ne les accueillit qu'avec réserve. Son esprit libéral et conciliant était disposé à l'oubli du passé, prêt aux concessions que commandait la situation nouvelle qu'il allait retrouver en France. Mais il est un point sur lequel il n'entendait pas transiger, c'est qu'il était le Roi, parce qu'il était le Roi.

Louis XVIII quitta le château d'Hartwel, s'embarqua à Douvres, descendit à Calais, et le 2 niai 1814, il s'installait provisoirement à la porte de Paris, au château de Saint-Ouen, d'où il datait la fameuse déclaration dans laquelle il annonçait en termes généraux la Charte de 1814, déclaration qui fut affichée pendant la nuit sur les murs de Paris.

Le lendemain, Louis XVIII fit son entrée dans Paris dans une voiture à huit chevaux, ayant à ses côtés, sa nièce, la duchesse d'Angoulême. Sur le devant de cette même voiture se trouvaient les deux princes de la maison de Condé, aïeul et père du duc d'Enghien.

Le 3 juin 1814, les souverains alliés quittaient Paris. Le lendemain, il y avait séance royale au Palais-Bourbon. C'est dans cette séance royale que la charte reçut sa consécration officielle. Elle donnait la liberté de la presse, la liberté individuelle et la liberté de conscience, bien qu'elle déclarât que la religion catholique était la religion de l'État ; elle reconnaissait l'égalité de tous les citoyens devant la loi, la justice et l'impôt, établissait une Chambre héréditaire, celle des pairs, une Chambre élective, celle des députés, qui devait voter les lois de finances.

Le traité de paix définitif que le prince de Talleyrand avait également négocié, était daté du 30 mai 1814. La France rentrait dans ses frontières de 1792, mais sans en rien perdre. On y ajoutait même Mulhouse et Montbéliard qu'elle garda, Chambéry et Annecy qu'elle devait bientôt rendre.

Le premier ministère de la première Restauration fut promptement organisé. Le portefeuille des affaires étrangères échut naturellement au prince de Talleyrand qui d'ailleurs devait se rendre à Vienne où l'Europe allait se constituer en Congrès pour régler les questions de détail laissées en dehors de la convention du 30 mai 1814.

Il y avait, dans ce cabinet, comme ministre Lie la maison du Roi, Pierre-Louis-Jean-Casimir, duc de Blacas, fidèle serviteur de la royauté et ardent ami de Louis XVIII qu'il avait connu dans l'exil, pendant l'émigration, ministre dépaysé dans la France nouvelle.

On raconte à ce sujet une anecdote curieuse. Le duc de Blacas, ministre de la maison du Roi, et admis dans l'intimité de Louis XVIII, ne comprenait rien au mécanisme de la charte. Il eut un jour l'idée de prier son souverain de lui expliquer ce mécanisme.

Louis XVIII fit à cette question une réponse très spirituelle, dans la forme, et, au fond, très vraie. Voici son explication : Tu vois, dit-il au duc de Blacas, le Président du conseil venir nie trouver tous les matins, à l'heure de mon déjeuner, pour m'exposer la situation politique et parlementaire du moment. Je lui demande s'il a la majorité. S'il nie répond oui, je vais me promener ; s'il me répond non, c'est lui que j'envoie promener.

Louis XVIII eut immédiatement à se débattre au milieu de grosses difficultés intérieures que lui créaient à la fois ses ardents amis de l'extrême droite, qui n'avaient pas tous la sagesse de comprendre ce qu'il v avait d'habile, de prudent et de sensé dans son attitude conciliante et libérale, et la coterie des Jacobins, qui n'avaient pas davantage la sagacité de comprendre que le descendant de Henri IV et de Louis XIV ne pouvait pas être un Robespierre couronné et que la dynastie des Bourbons n'était pas la Convention sur le trône.

C'est dans cette courte période que l'anniversaire du 21 janvier 1793 fut l'occasion d'une réparation sacrée.

La Convention avait fait enterrer les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans un cimetière voisin de la place de la Révolution. Louis XVIII devait faire élever, sur l'emplacement de ce cimetière, le monument expiatoire de la rue d'Anjou.

Le 21 janvier 1815, Louis XVIII fit transporter ces restes dans les caveaux de la basilique de Saint-Denis, réservée aux sépultures royales.

Napoléon Ier avait laissé en France des amis ardents. Il y avait surtout des partisans dans l'armée qui regrettait le drapeau tricolore que le drapeau blanc avait remplacé. Il partit inopinément et secrètement de l'île d'Elbe par une marche rapide que le maréchal de France, Michel Ney, duc d'Elchingen, prince de la Moskova, devait arrêter à Besançon, et qu'il favorisa en donnant son corps d'armée à celui qu'il avait promis à Louis XVIII d'amener à Paris dans une cage de fer.

Le 20 mars 1815, Napoléon Ier se réinstallait dans le palais des Tuileries que Louis XVIII avait quitté la veille pour aller attendre à Gand la fin de cette aventure.

Ce ne fut qu'une trombe qui vint fondre sur le congrès de Vienne, ouvert depuis quelque temps déjà et qui s'occupait de la rédaction des traités de paix, rédaction encore inachevée, ce qui fit qu'au lieu de s'appeler les traités de 1814, ils se sont appelés les traités de 1815.

A peine rentré dans le palais des Tuileries, Napoléon Ier eut à soutenir, avec des forces numériquement inférieures, une lutte nouvelle et terrible, une lutte sanglante, qui fut la dernière, contre toutes les forces de l'Europe coalisée, encore en armes. Son étoile, déjà palie, s'obscurcit tout à fait sur le champ de bataille de Waterloo, en Belgique, aux environs de Bruxelles, champ de bataille où il jouait une partie désespérée qu'il perdit, malgré la science militaire et l'habileté stratégique dont il fit preuve.

Rentré à Paris après le désastre de Waterloo, Napoléon Ier s'établit d'abord à l'Elysée, puis dut s'en aller à la Malmaison. La grande épopée qu'il venait de tracer dans l'histoire avec la pointe de son épée était ouverte à la dernière page. Le 30 juillet 1815, il quitta la Malmaison, arriva à Rochefort et se rendit avec confiance à bord du navire anglais le Bellérophon, qui stationnait dans la rade de l'île d'Aix. Mais, le 7 août, en vertu d'une convention des Puissances Alliées, qui avaient décidé de le déporter dans une île de l'Océan, il monta sut le Northumberland, qui le conduisit à Sainte-Hélène, où il mourut le 5 mai i 821, et où l'un des fils de Louis-Philippe Ier, le prince de Joinville, devait aller chercher ses cendres pour les ramener à Paris, où elles reposent sous le dôme des Invalides.

Louis XVIII s'était retiré à Gand pendant l'interrègne des Cent-Jours. Avant de rentrer dans Paris, il s'arrêta quelques jours à Cambrai, où le prince de Talleyrand alla le retrouver. Là, il rédigea, signa et publia une proclamation d'une haute sagesse.

J'accours, disait le Roi, pour ramener mes sujets égarés, pour adoucir les maux que j'ai voulu prévenir, pour me placer une seconde fois entre les Français et les mêmes Alliés, dans l'espérance que les égards dont je pourrai être l'objet, tourneront au salut du pays.

C'est la seule manière dont j'ai voulu prendre part à la guerre. Je n'ai point permis qu'aucun prince de ma famille parut dans les rangs de l'étranger.

Le 9 juillet 1815, Louis XVIII rentrait dans Tuileries où, la veille, le drapeau blanc était arboré. Le préfet de la Seine l'avait reçu à la barrière. Là, un échange de parut dans les le palais des paroles graves s'était fait entre le souverain et le sujet, échange dont le sens était celui-ci : c'est que les intérêts de la France et les malheurs du peuple ramenaient la dynastie des Bourbons dans la demeure des rois, parce que seule elle avait dans son passé, dans son droit, la force nécessaire pour remédier à ces malheurs, pour raviver ces intérêts. C'était la vérité.

Ici se place un incident qui démontre ce qu'est l'âme d'un Bourbon sur le trône de France et à quelle grandeur de patriotisme il peut atteindre, à quelle hauteur de courage il peut s'élever.

Parmi les Alliés revenus à Paris, la Prusse s'était toujours montrée la plus haineuse, la plus vindicative. Parmi ses généraux, Blücher se signalait par ses exigences brutales, par ses insatiables avidités, par ses ordres impitoyables. Il prétendait faire sauter le pont d'Iéna, qui lui rappelait une défaite nationale.

Louis XVIII s'opposa à cet acte de vandalisme et déclara que si Blücher persistait dans sa résolution, il se ferait porter au milieu du pont d'Iéna et qu'on ne ferait sauter le pont qu'en faisant sauter le Roi.

Le pont d'Iéna fut sauvé.

La France politique et parlementaire allait être très agitée, très mouvementée pendant cette heure de restauration, sous le règne interrompu et recommencé de Louis XVIII. A sa rentrée eu France, à sa réinstallation dans Paris, il avait di, par des considérations accidentelles, confier de nouveau au prince de Talleyrand le portefeuille des affaires étrangères.

Malheureusement, le ministère de la police fut donné, par les mêmes motifs ou les mêmes nécessités, à Joseph Fouché, que Napoléon Ier avait fait duc d'Otrante, et qui occupait pour la quatrième fois ce poste auquel les circonstances donnaient une grande importance. En cette qualité, il dressa contre les auteurs de la conspiration du 20 mars, une ordonnance de proscription, datée du 24 juillet ISI5, ordonnance qui comptait à l'origine cent noms.

A cette occasion, Talleyrand eut un mot superbe. Il faut rendre justice à Fouché, disait-il. Il n'a oublié aucun de ses amis. Ils sont tous sur la liste.

Tous deux allaient disparaître, l'un pour longtemps, l'autre pour toujours de la vie publique. Le prince de Talleyrand qui était un homme de valeur et de renom échangea son portefeuille de ministre des affaires étrangères contre le titre de grand chambellan.

Bientôt atteint par la loi du 12 janvier 1816, qui bannissait de France les régicides, le duc d'Otrante se retira en Autriche, où il est mort, en 1820, laissant une fortune de quatorze millions.

Dans ce ministère, à côté du prince de Talleyrand et du duc d'Otrante, on remarquait un nom destiné à une grande notoriété, celui du baron Étienne Pasquier, qui avait été préfet de police sous Napoléon Ier, qui devait présider un jour la Chambre des pairs et qui devait obtenir, sous Louis-Philippe Ier, le titre de duc, aujourd'hui noblement porté par son neveu, le duc d'Audiffrey-Pasquier, l'une des hautes notabilités actuelles du parti royaliste.

C'était une idée malheureuse que de confier le portefeuille du ministère de la police générale au duc d'Otrante, homme d'intrigue, d'une conscience aussi élastique que son esprit était mobile, ressemblant à une girouette qui tourne à tous les vents de la fortune.

Ce fut, au contraire, une heureuse idée que d'appeler à la préfecture de police Elie Decazes, qui eut immédiatement le courage, la bonne fortune et l'intelligence de faire rayer beaucoup de noms de la liste de proscription que Fouché avait dressée.

Elie Decazes, qui allait être appelé à un rôle prépondérant sous Louis XVIII, était veuf de sa première femme, la seconde fille de Muraire, premier président de la cour de cassation. Il épousait en 1816, en secondes noces, Mlle de Saint-Aulaire, petite-fille d'un prince de Nassau-Sarrebruck. A cette occasion, Louis XVIII le nomma pair de France et.lui donna le titre de comte. Deux ans après, il recevait du roi de Danemark, celui de duc de Glücksberg. Le 24 septembre 1815, il avait pris le portefeuille de ministre de la police générale, dans le premier ministère Richelieu.

Après la retraite forcée du prince de Talleyrand, Armand-Emmanuel-Sophie-Septimanie de Vignerod du Plessis, duc de Richelieu, déjà pair de France, en possession de l'amitié de l'empereur Alexandre fer, parut tout désigné pour prendre, avec la Présidence du conseil, le portefeuille des affaires étrangères. Seulement, il acceptait avec tristesse cette situation, car il allait avoir la douloureuse mission de signer une convention qui fait partie des traités de 1815, mais qui était spéciale à la France et lui imposait de durs sacrifices. Il s'exécutait, la mort dans l'âme, le 20 octobre.

Tout est consommé, écrivait-il le lendemain. J'ai apposé, plus mort que vif, mon nom à ce fatal traité. J'avais juré de ne pas le faire, et je l'avais dit au Roi. Ce malheureux prince m'a conjuré, en fondant en larmes, de ne pas l'abandonner, et, dés ce moment, je n'ai plus hésité. J'ai la confiance de croire que sur ce point personne n'eut fait mieux que moi, et la France, expirante sous le poids qui l'accable, réclamait impérieusement une prompte délivrance.

Personne, en effet, n'eut mieux fait que le duc de Richelieu qui, secondé par l'empereur Alexandre Ier, fit réduire de huit cent millions à sept cent millions la contribution de guerre et retrancher deux ans de la durée de l'occupation, fixée d'abord à sept ans et qu'il eut le bonheur de faire cesser à l'expiration de la troisième année, du consentement des puissances européennes, réunies en 1818, en conférence, à Aix-la-Chapelle. La Chambre des pairs et la Chambre des députés lui votèrent spontanément, à titre de récompense nationale, une rente annuelle de cinquante mille francs, rente dont il fit, quoiqu'il n'eut pas de fortune, l'abandon complet aux hospices de Bordeaux.

Triste héritage légué par l'Empire à la Monarchie, ces traités de 1815, qui donnaient Gênes au roi de Sardaigne, qui rendaient la Vénétie et la Lombardie à l'Autriche, et qui réunissaient de force la Belgique et la Hollande, pour en faire les Pays-Bas ; ont eu du moins cette compensation, non d'empêcher des guerres partielles, des commotions locales, mais de donner à l'Europe trente-trois ans de paix générale.

La mission du duc de Richelieu était surtout de traiter avec l'Europe. Celle du duc Decazes était principalement de naviguer, habile pilote, sur les mers orageuses de la politique. Il le fit avec une rare sagacité et un merveilleux succès, de 1816 à 1820. On peut dire qu'énergiquement soutenu par Louis XVIII, qui l'approuvait et l'aimait, il fut, pendant ces quatre années, les plus heureuses et les plus calmes du règne, l'âme du gouvernement. En 1818, il avait le portefeuille de ministre de l'intérieur ; en 1819, il eut, avec ce portefeuille, la Présidence du conseil et fut l'homme de la situation. Il devait son influence et son importance à sa supériorité.

De 1815 à 1820, il y eut fatalement des orages politiques et des représailles violentes inévitables. La lutte des partis ne pouvait cesser tout à coup comme par enchantement.

Il y eut le jugement, la condamnation à mort et l'exécution de Ney, qui fut fusillé, le 7 décembre 1815, dans l'allée de l'Observatoire.

C'était dur, mais juste. Il avait fait défection sous les drapeaux. Il devait être frappé. Son excuse était dans la fascination que la vue de Napoléon Ier avait exercée sur lui. Mais, ni la loi militaire, ni la loi politique ne sauraient admettre de pareilles excuses.

Il y eut aussi dans cette brillante période des actes heureux qui tendaient, selon la pensée de Louis XVIII et le mot du duc Decazes, à royaliser la nation et à nationaliser le royalisme. Ce fut le but constant de leurs efforts qu'un épouvantable forfait devait bientôt stériliser.

C'est sur les conseils très chaleureux du duc Decazes que Louis XVIII rendit, le 5 septembre 1816, l'ordonnance dans laquelle il était déclaré qu'aucun article de la charte de 1814 ne serait révisé. Il y eut en même temps une dissolution de la Chambre des députés, qui garde dans l'histoire parlementaire de l'époque la qualification de Chambre introuvable, parce qu'elle tendait à ramener la France en arrière de 1789, ce qui n'était ni désirable, ni possible.

Le vicomte Henri-Joseph-Joachim Lainé était ministre de l'intérieur dans le cabinet Richelieu-Decazes. Il présenta une nouvelle loi électorale, empreinte de l'esprit de conciliation qui animait ce cabinet ; elle fut votée.

On voit apparaître au premier rang, dans cette même période de cinq ans, deux noms qui n'étaient pas, du reste, nouveaux pour l'opinion publique.

La loi de recrutement de l'armée de 1818 est peut-être l'œuvre qui fut la plus considérable et la plus durable du règne de Louis XVIII. On la doit au maréchal de France, Laurent Gouvion, marquis de Saint-Cyr, du nom de sa mère. Il avait alors le portefeuille de ministre de la guerre. Il était pair de France. Cette loi fut son testament politique et militaire. En 1819, il se retira de la vie publique.

Cette année-là, Pierre-François-Hercule, comte de Serre, qui avait pris le portefeuille de ministre de la justice, lorsque le duc Decazes avait succédé au duc de Richelieu, démissionnaire, à la Présidence du conseil, présenta aux Chambres une loi d'organisation, de liberté et de réglementation de la Presse.

Cette loi, qui était un progrès à l'heure où elle fut discutée et votée, avait été proposée par MM. de Broglie, Guizot, Royer-Collard, Cuvier et de Barante.

Il ne pouvait sortir de cette collaboration qu'une œuvre de législation spéciale, sans doute perfectible, niais profondément combinée pour donner des garanties et des gages en même temps au principe d'ordre et au principe de liberté. Elle était de son époque. C'est le plus grand éloge qu'on puisse faire d'une loi.

M. de Serre, comme on voit, qui était lui-même un grand orateur, s'était associé deux princes de la parole, deux hommes d'État, que nous retrouverons sous le glorieux règne de Louis-Philippe Ier, où tous deux devaient occuper une place considérable.

Georges-Chrétien-Léopold-Dagobert, baron Cuvier, appartient surtout au monde de la science.

Aimable-Guillaume-Prosper Brugière, baron de Barante, qui fut membre de l'Académie française et ambassadeur de France en Russie, est principalement connu par son Histoire des ducs de Bourgogne.

Pierre-Paul Royer-Collard a brillé sous la Restauration, de 1815 à 1830, par son éloquence, par son active participation aux grandes luttes politiques et parlementaires de cette période de quinze ans. Il était dans les premières Chambres de l'époque, le chef reconnu des royalistes modérés et constitutionnels, communément appelés les doctrinaires, qui passèrent, en 1820, à l'opposition, après la chute du duc Decazes.

Royer-Collard joua encore un rôle actif sous les ministères Villèle et Polignac. C'est lui qui a présenté à Charles X la fameuse adresse des 221, origine des ordonnances de juillet. Sous Louis-Philippe Ier, il n'eut qu'une action presque passive.

La grande difficulté était toujours d'amener l'extrême droite à la modération, afin de réduire l'extrême gauche à l'impuissance, en l'isolant tout à fait de l'opinion publique. Le but du duc Decazes, entré résolument dans la pensée intime de Louis XVIII, était de fondre en un seul grand parti monarchique par la conciliation, par la fusion de toutes les fractions royalistes, tous ceux qui voulaient rasseoir la société ébranlée par tant de secousses sur ses deux assises séculaires et traditionnelles : la religion et la royauté.

Le duc Decazes aurait probablement réussi, à la grande joie de Louis XVIII, à réaliser son plan, sans un exécrable scélérat, du nom de Louvel.

Le duc d'Angoulême n'avait pas d'enfant. Le duc de Berry n'avait qu'une fille. Louvel, qui paraît n'avoir été, comme Ravaillac, qu'une abominable brute, sans complice, eut une infernale idée.

Ce misérable se dit que la mort du duc de Berry frapperait de stérilité la dynastie des Bourbons qui s'éteindrait alors dans sa personne. Il oubliait que le duc d'Orléans, rentré en France en 1816, installé au Palais-Royal et chef de la branche cadette, était déjà père d'une nombreuse famille.

Le 13 février 1820, le duc et la duchesse de Berry étaient à l'Opéra, place Louvois ; Louvel les suivit. Il alla se placer à la porte du théâtre.

La duchesse de Berry partit la première. Le duc de Berry lui offrit le bras jusqu'à leur voiture, qui devait revenir le chercher. Louvel s'avança et le frappa d'un coup de poignard, comme Ravaillac avait frappé Henri IV, en pleine poitrine.

Je suis assassiné, s'écria aussitôt le duc de Berry. On s'empressa, on le conduisit dans le cabinet de l'administrateur, entouré de sa femme qui sanglotait, de sa fille qui était tout en larmes. Louis XVIII accourut à cinq heures du matin. L'entrevue fut courte.

C'est dans cette entrevue qu'avant d'expirer, le duc de Berry apprit au chef de la famille royale, que la duchesse de Berry était enceinte. Le 29 septembre de la même année, en effet, elle accouchait d'un fils, qui reçut les noms de Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné, avec le titre de duc de Bordeaux. Nous retrouverons dans l'exil ce prince, qui semblait appelé aux plus hautes destinées, que l'on qualifia d'enfant du miracle, d'enfant de l'Europe, et qui ne devait pas régner.

Le forfait du 13 février 1820 fut l'éclair déchirant la nue des illusions du parti royaliste, constitutionnel et modéré. Il jeta un grand trouble dans tous les esprits, une grande épouvante dans l'opinion publique, une grande agitation dans les Chambres. On y vit le réveil des anarchiques et dangereuses passions de 1793. Il y eut dans le gouvernement une réaction contre la politique libérale et conciliante que Louis XVIII avait inaugurée, que le' duc Decazes avait pratiquée.

Le duc Decazes fut sacrifié, au grand désespoir de son royal protecteur et ami, qui ne s'en sépara qu'à regret. A dater de ce jour, la direction des affaires publiques échappa pour ainsi dire des mains de Louis XVIII, attristé, découragé, infirme et débordé.

Il y eut un second ministère Richelieu d'une courte durée, qui tomba devant une monstrueuse coalition de l'extrême droite et de l'extrême gauche.

Puis la direction des affaires de l'État resta tout entière à ce que l'on appelait l'entresol, où dominait le comte d'Artois, installé à l'entresol du palais des Tuileries ou, pour être plus exact, à l'extrême droite, dans la personne de Jean-Baptiste-Séraphin-Joseph, comte de Villèle, qui fut surtout l'homme d'affaires du parti royaliste pur, dont il était peut-être moins le chef que l'instrument :

Le comte de Villèle, d'abord ministre des finances en 1821, avait, en 1822, la Présidence du conseil, et se donna pour collèges, au ministère de la justice, Charles-Ignace, comte de Peyronnet, et au ministère de l'intérieur, Jacques-Joseph-Guillaume-Pierre, comte de Corbière. C'était une trilogie homogène de serviteurs dévoués à la royauté et à la religion, dont les intentions furent toujours honorables, mais dont les actes furent parfois impolitiques.

Dans ce cabinet, le portefeuille de ministre de la guerre fut donné à Claude-Victor Perrin, maréchal de France, duc de Bellune, qui devait préparer l'expédition d'Espagne. Il était déjà pair de France et major général de la garde royale.

Le portefeuille des affaires étrangères fut d'abord confié à ce même Mathieu-Jean-Félicité, duc de Montmorency-Laval, qui avait proposé, dans la nuit du 4 août 1789, l'abolition des droits féodaux. Il ne tarda pas à être remplacé dans ce poste, qui lui valut l'honneur d'être le premier plénipotentiaire de la France au Congrès de Vérone de 1822.

François-René, vicomte de Châteaubriand, auteur d'un livre, Le génie du Christianisme, qui rend son nom impérissable, eut ensuite dans le cabinet Villèle, Corbière, Peyronnet, ce même portefeuille de ministre des affaires étrangères. Il avait représenté la France au Congrès de Vérone, comme second plénipotentiaire. D'accord avec Louis XVIII, qui voulait rester fidèle au pacte de famille de 1761, il fit accepter, dans ce Congrès, le principe de l'intervention du gouvernement du Roi en Espagne.

L'expédition d'Espagne, que commandait le duc d'Angoulême, fut l'œuvre ministérielle de Châteaubriand. Mais elle fut surtout l'œuvre royale de Louis XVIII, qui la fit malgré l'Angleterre. On sait qu'elle s'est terminée en 1823, devant Cadix, par la prise et la victoire du Trocadéro et la restauration du gouvernement de Ferdinand VII.

L'opportunité de cette expédition que le comte de Villèle désapprouvait, a été très discutée. Mais ce qui est indiscutable, c'est que

Louis XVIII, en sollicitant et en obtenant du Congrès de Vérone, la mission de rétablir Ferdinand VII sur le trône d'Espagne, en l'imposant à l'Angleterre, sept ans à peine après les défaites de l'Empire, prouva que le rétablissement de la dynastie des Bourbons avait aussi rétabli le prestige, l'influence et l'autorité de la France en Europe.

Cette expédition eut encore un autre résultat. Elle apprit à l'Europe que la France avait une armée avec laquelle il faudrait compter.

Le 4 décembre 1823, le duc d'Angoulême faisait, aux acclamations du peuple, une entrée solennelle dans Paris, où on proposa d'élever un monument en souvenir de la victoire du Trocadéro, sur l'emplacement même où Napoléon Ier voulait construire le palais du roi de Rome, emplacement qui a gardé ce nom de Trocadéro.

Quelque temps après, le i6 septembre 1824, Louis XVIII mourut dans le palais des Tuileries, d'où son cercueil fut conduit, le 25 octobre, en grande pompe, selon le cérémonial traditionnel, dans la basilique de Saint-Denis, où il est encore. La couronne de France passait à son frère, le comte d'Artois.

Plus nous avançons dans ce livre, moins il y a d'intérêt et moins nous avons l'occasion de donner des autographes des rois de la dynastie des Bourbons, autographes qui, du reste, deviennent de plus en plus rares. On a souvent leur signature, mais rarement leur écriture.

Ainsi ce que l'on appelle le dernier ordre de Louis XVI, dont l'original a été récemment déposé au musée municipal de l'hôtel Carnavalet, porte sa signature qu'il a donnée contraint et forcé par le Président de la Législative. Mais on le lui a présenté tout écrit, tout rédigé, on ne sait même pas exactement par qui.

C'était l'ordre intimé, le 10 août 1792, à la garde suisse de cesser le feu. Depuis, Louis XVI, en effet, n'en a plus donné, n'en a plus signé.

Mais, peut-on qualifier de dernier ordre, cet ordre imposé par la Législative effrayée au Roi, presque à la minute où il allait être dépouillé de son titre, déchu de sa fonction, privé de son autorité.

Toutefois, il existe aux Archives nationales un autographe authentique de Louis XVIII, écrit tout entier de sa main et qui est signé de ses initiales et de celles de son frère, Charles X.

C'est un billet portant au Roi, en juillet 1791, l'assurance du dévouement absolu de ses deux frères, Louis-Stanislas-Xavier, alors comte de Provence, et Charles-Philippe, alors comte d'Artois, tous deux émigrés. Ce billet annonçait à Louis XVI un prochain appui général. C'était sans doute une allusion à l'armée de Condé qui était en formation, et aux pourparlers de l'empereur régnant d'Autriche, Léopold II, frère de Marie-Antoinette, avec le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, pourparlers qui n'aboutirent, au congrès de Pilnitz, qu'à une déclaration du 27 août 1791, déclaration de guerre à la Constituante, près de disparaître, restée platonique.

Les deux frères de Louis XVI, on l'a vu, avaient émigré séparément, l'un allant à Turin, l'autre allant à Bruxelles. Comme le billet autographe de juillet 1791 est signé des initiales du comte d'Artois aussi bien que des initiales du comte de Provence, qui l'a écrit, on en doit conclure que tous deux étaient réunis à ce moment-là.

Quoi qu'il en soit, ce billet est l'une des pièces qui furent communiquées à Louis XVI par Valazé dans la séance de la Convention du 11 décembre 1792, séance où il avait entendu la lecture de l'abominable acte d'accusation dressé contre lui et l'avait entendue avec le calme de l'innocent, avec la sérénité du juste.