LES BOURBONS DE FRANCE

HENRI IV, LOUIS XIII, LOUIS XIV, LOUIS XV, LOUIS XVI, LOUIS XVIII, CHARLES X, LOUIS-PHILIPPE Ier, LE COMTE DE PARIS

 

LOUIS XV.

 

 

Il y avait eu trois règnes successifs, grands à des titres divers, glorieux dans des conditions différentes, mais grands et glorieux, ceux de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV. Seulement la France était montée si haut que, selon les lois de l'histoire et de l'humanité, que, selon la règle habituelle des nations et des empires, elle était fatalement condamnée à s'arrêter dans cette marche ascendante.

Le règne de Louis XV n'a donc eu ni l'éclat, ni le prestige des trois règnes qui l'avaient précédé.

Ce règne n'a pas eu cependant que des revers, il a eu aussi des succès, et s'il a vu s'amoindrir la France coloniale, il a vu s'agrandir la France continentale, il a vu la réunion très importante de la Lorraine au domaine de 'la Couronne, domaine que la conquête de l'île de Corse a augmenté et complété, dans la même période.

Comme Louis XIII, comme Louis XIV, Louis XV était mineur, n'était qu'un enfant, lors de son avènement au trône de France.

Comme sous Louis XIII, comme sous Louis XIV, il y eut une régence. Seulement ce n'est pas sa mère, déjà descendue dans la tombe, qui fut Régente. Le Régent fut Philippe de Bourbon, duc d'Orléans, né à Saint-Cloud, en 1674, alors âgé de plus de quarante ans.

Surpris par une mort tragique, Henri IV n'avait pas fait de testament et Marie de Médicis, sa veuve, mère de Louis XIII, était devenue Régente sans discussion, sans difficulté, par la décision du parlement de Paris.

Louis XIII avait fait un testament que ce même parlement de Paris avait pour ainsi dire cassé, mais qui avait été plutôt modifié en principe qu'annulé en fait, puisque ses dispositions principales, la régence d'Anne d'Autriche, la lieutenance générale du duc Gaston d'Orléans et la prédominance ministérielle du cardinal de Mazarin avaient été réalisées.

Le testament de Louis XIV fut encore moins respecté. Dans ce testament, il n'enlevait pas la régence au duc Philippe d'Orléans, qui, ayant épousé mademoiselle de Blois, sa fille légitimée, était à la fois son gendre et son neveu, mais il confiait la garde et l'éducation de Louis 'XV au duc du Maine, Louis-Auguste de Bourbon, assimilé aux princes du sang, avec à comte de Toulouse, par actes de 1714 et de 1715 et frère de la duchesse d'Orléans, fille comme lui de la marquise de Montespan,

Le 2 septembre 1715, le parlement de Paris décidait que la régence appartiendrait sans conditions et sans restrictions au duc d'Orléans. Le duc du Maine, qui perdit bientôt après sa qualification de prince du sang, n'eut même pas le commandement de la maison militaire et civile de Louis XV, commandement que Louis XIV lui avait attribué.

Les premières années du règne du Louis XV sont donc les années de la régence du duc d'Orléans. Ce prince, qui s'était brillamment distingué à la guerre, sous Louis XIV, était doué de grandes qualités personnelles ; son tort, ou plutôt son malheur, a été d'avoir eu pour précepteur le trop célèbre Guillaume Dubois, qui fut plus tard son premier ministre.

Instruit et intelligent, mais sans scrupule, sans conscience, ni comme homme public, ni comme homme d'Église, ni comme homme privé, Dubois, qui fut honoré du cardinalat qu'il n'honorait pas, a devant l'histoire et la postérité la véritable responsabilité des scandales de la Régence.

Le duc d'Orléans était le portrait vivant de Henri IV, ressemblance que le duc de Nemours, l'un des fils de Louis-Philippe Ier, a également au même degré. Il ramena la Cour du palais de Versailles au palais des Tuileries où Louis XV fut installé, le 3o décembre 1715. On lui en sut gré dans Paris où il fut aussitôt populaire, dans Paris qui déplorait l'absence systématique du Roi depuis que les troubles des deux Frondes en avaient éloigné Louis XIV.

La situation extérieure était très simplifiée. Elle vient d'être indiquée.

Des descendants de Jacques II essayèrent bien encore de reprendre possession de la couronne d'Angleterre, si enviable. Mais ils échouèrent dans toutes leurs tentatives. L'un d'eux, Jacques III, s'efforça d'obtenir le concours de la France. Le duc d'Orléans, qui voulait surtout qu'une paix durable lui permit d'améliorer la situation financière du royaume dont il avait la régence, tourna habilement et sagement cet écueil. Il lui donna ses sympathies, mais il ne lui accorda aucun concours ostensible, qui eût été la violation de l'une des clauses importantes du traité d'Utrecht.

L'administration du royaume avait été divisée par le duc d'Orléans en six conseils, celui des affaires ecclésiastiques, celui de la guerre, celui de la marine, celui de l'intérieur, celui des affaires étrangères, et enfin celui des finances.

Ce dernier conseil était présidé par le maréchal de France Adrien-Maurice, duc de Noailles, qui avait épousé Françoise d'Aubigné, nièce de Mme de Maintenon. C'est ce mariage qui a fait entrer le beau château de ce nom dans cette illustre famille.

Le duc de Noailles fit de grands, de louables et consciencieux efforts pour fonder le crédit public, que les dépenses forcées d'un long état de guerre avaient compromis, et ranimer le commerce et l'industrie dont ce même état de guerre avait ralenti l'activité.

Ces efforts n'aboutirent, malgré quelques réformes utiles, quelques améliorations heureuses, qu'a des résultats incomplets et partiels. C'est alors qu'apparaît Jean Law de Lauriston, fils d'un riche orfèvre d'Édimbourg, esprit inventif et hardi, mais aventureux. Il s'offrit au duc d'Orléans, qui aimait les nouveautés, comme un sauveur, lui fit accepter ses plans financiers et créa d'abord une banque privée d'escompte et de circulation, ensuite la Compagnie d'Occident dont l'action rayonnait des lacs du Canada aux bouches du Mississipi, compagnie qui fut créée par lettres-patentes du mois d'août 1717, et qui devint bientôt la Compagnie des Indes.

Le succès de cette Compagnie fut phénoménal. Il y eut de la folie dans l'accaparement de ses actions ; c'est alors que l'agiotage dont la rue Quincampoix a été le premier théâtre, s'introduisit dans Paris où il a toujours son temple.

Ce ne fut pourtant qu'une grande aventure financière de plusieurs années. Après l'affolement de la confiance vint l'affolement de la défiance. Aux bénéfices immenses succédèrent les immenses ruines. Un jour, le peuple de Paris voulut lapider jusque dans le Palais-Royal, Law, qui avait eu un instant le poste de contrôleur général des finances, qui s'enfuit de France tout à fait discrédité, et qui mourut, en 1729, dans la pauvreté, à Venise, où il s'était retiré.

Il ne restait pas que des ruines de toute cette féerie dont nous avons indiqué, dans un seul et même tableau, le commencement, le milieu et la fin, pour ne plus avoir à nous occuper de ce triste épisode ; elle avait eu pour résultat final la liquidation des dettes qui grevaient l'agriculture, un élan nouveau donné à l'esprit de colonisation, en même temps qu'elle avait rendu plus d'élasticité au crédit et plus d'activité au commerce.

Des questions d'ordre intérieur de nature diverse, moins importantes que la question financière, appelèrent bientôt l'attention du duc d'Orléans. On le sollicita de convoquer les États généraux pour les examiner, les discuter et les résoudre. Il s'y refusa absolument, bien résolu qu'il était de transmettre intact à Louis XV le pouvoir royal dont il avait reçu le dépôt de Louis XIV.

Le duc d'Orléans sentait très bien que cette demande de convocation des États généraux masquait une pensée d'opposition, et qu'elle cachait l'espoir d'arriver à un amoindrissement de la puissance royale. Il régla donc d'autorité le seul débat d'ordre intérieur qui lui parut appeler une solution immédiate ; débat que les princes de la maison de Condé avaient soulevé. Il cassa par une loi du 8 juillet 1717, les déclarations de Louis XIV qui assimilaient les légitimés aux princes du sang, ce qui leur avait créé un droit éventuel à la couronne de France, droit contraire aux lois traditionnelles de la monarchie.

Les princes de la maison de Condé, avant alors une situation importante dans l'État, étaient au nombre de trois : Louis Henri, duc de Bourbon ; Charles, comte de Charolais ; Louis Armand, prince de Conti.

Tous trois furent membres du conseil de Régence.

La réclamation des princes du sang, demandant le maintien de leurs privilèges et de 'leurs droits, à l'exclusion des légitimés, était juste : elle en fit naître une autre qui était au moins inopportune, intempestive.

Les princes du sang venaient naturellement dans la hiérarchie, après le Roi. Dans l'ancienne monarchie, la qualification et le titre de prince n'appartenaient qu'à eux. Ce titre et cette qualification n'existaient pas, si ce n'est à de rares exceptions, et par l'effet de circonstances spéciales, même dans la haute noblesse où le titre et la qualification de duc primaient toutes les autres qualifications et tous les autres titres.

Les membres des grandes familles qui portaient régulièrement le titre et la qualification de princes, les tenaient, non de lettres patentes royales, mais généralement du saint empire romain germanique. Ce titre et cette qualification étaient donc d'origine étrangère.

La haute noblesse se divisait en familles historiques, comme celle de Montmorency, et en familles illustrées, comme celle de Noailles. Elles étaient généralement les unes et les autres, en possession d'un duché pairie : Il était rare qu'il y en eut deux dans la même maison.

Les titulaires des duchés pairies venaient immédiatement, dans la hiérarchie, après les princes du sang.

A l'instigation du duc de Saint-Simon, qui eut de l'originalité et de l'influence à la cour, sans y occuper une grande situation officielle, les titulaires des duchés pairies prétendirent aussi recouvrer leurs vieux privilèges, leurs vieux droits, depuis longtemps oubliés, et ramener la France à une sorte de féodalité nouvelle.

Le duché-pairie dont le duc de Saint-Simon était titulaire, ne datait que de 1635. C'est Louis XIII qui avait créé ce duché-pairie en faveur de Claude de Rouvroi, père de l'historien.

L'heure était singulièrement choisie pour ouvrir un pareil débat et entreprendre une pareille croisade ; déjà la révolution de 1789 frappait à la porte du palais de Versailles et du palais des Tuileries, déjà la soirée du 4 août était marquée au cadran du siècle.

Des préoccupations plus graves appelèrent l'attention du duc d'Orléans sur la situation extérieure. La France n'avait pas d'allié. L'Espagne elle-même lui était plus hostile que favorable.

Devenu tout à fait espagnol, Philippe V oubliant qu'il avait été duc d'Anjou, rêva de déchirer le traité d'Utrecht, au profit de l'Espagne. C'était la rupture de la paix de l'Europe.

Le duc d'Orléans, qui redoutait les maux de la guerre, essaya de détourner Philippe V de ses ambitieux desseins. Il n'y réussit pas. C'est alors que, sur l'avis de Dubois, qui n'était encore que son conseiller officieux et intime, il rechercha l'alliance de deux autres puissances, l'Angleterre et la Hollande. Il y eut la triple alliance, qui devint bientôt la quadruple alliance par l'accession de l'Allemagne ou de l'Autriche à cette ligue formée contre l'Espagne.

Avant que la quadruple alliance pût agir, il y eut quelques incidents qui sont à signaler.

C'est sous la régence du duc d'Orléans qu'un souverain, qui devait devenir un grand empereur et qui était déjà un grand prince, le czar Pierre Ier, vint en France où il ne fit qu'une rapide apparition.

L'année suivante, en 1718, Antoine Giudice, duc de Giovenuzzo, prince de Cellamare, ambassadeur extraordinaire du roi d'Espagne à Paris, fut convaincu de s'être mêlé à un complot formé contre le duc d'Orléans. Il fut reconduit à la frontière. L'âme de ce complot était la duchesse du Maine. On l'arrêta ainsi que son mari. Mais on rendit bientôt la liberté à l'un et à l'autre, car il fut démontré que dans toute cette affaire, le côté ridicule l'avait emporté sur le côté dangereux.

Depuis, la duchesse du Maine, Bénédicte de Bourbon, tint à Sceaux une sorte de cour, semi-politique, serai-littéraire, qui devint le centre de réunion des mécontents.

Le duc d'Orléans, comme Louis XIV, comme Louis XIII, com me Henri IV, eut à soutenir des démêlés avec le parlement de Paris.

Un édit du f i mai I7i8 avait ordonné la refonte des monnaies. Le parlement de Paris qui jamais n'avait renoncé sincèrement à exercer un pouvoir politique, s'immisça dans cette affaire.

Mais le duc d'Orléans n'entendait pas céder. On prépara au palais des Tuileries pour le 26 août 1718, un lit de justice qui avait été précédé d'un conseil de régence.

Le parlement de Paris, introduit en présence de Louis XV, encore mineur, n'obtint même pas le droit de remontrance. Il dut se soumettre. Bientôt après on supprima les conseils établis au commencement de la régence, on les remplaça par des secrétaires d'État.

Dubois, n'était encore qu'abbé ; il n'en fut pas moins le personnage le plus considérable du gouvernement dans cette nouvelle organisation du pouvoir.

La quadruple alliance porta ses fruits prévus. Le 9 janvier 1719, la France déclarait, après l'Angleterre, la guerre à l'Espagne dont la défaite amena la disgrâce du cardinal Alberoni.

Philippe V accepta, le 26 janvier 1720, les conditions de paix que lui offrait la quadruple alliance.

C'est après la déroute militaire de l'Espagne que se produisit la déroute financière de Law.

Puis, Law oublié, on reparla de la bulle Unigenitus contre laquelle avait constamment protesté le cardinal Louis-Antoine de Noailles, archevêque de Paris, et on en reparla si bien que pour faire cesser l'agitation dont cette discussion était la source dans le clergé, dans l'Université, à la Sorbonne, dans le parlement et dans le peuple, il ne fallut rien moins qu'une ordonnance royale du 4 août 1720, qui en prescrivit l'acceptation à tous les princes de l'Église.

Cependant le cardinal de Noailles persista dans sa résistance et la paix de l'Eglise ne fut définitivement rétablie qu'en 1728, lorsqu'il se résigna à accepter, à son tour, sans réserve, la bulle Unigenitus, qui fut enregistrée, le 3 avril 1730, comme loi de l'Etat, dans un lit de justice que tint Louis XV.

L'ordonnance royale du 4 août 1720 avait déjà été un triomphe pour le Saint-Siège. L'édit du 3 avril 1730 compléta ce triomphe.

Dubois avait contribué à ce résultat, qui assurait la paix de l'Église. Il se fit donner d'abord l'archevêché de Cambrai par le duc d'Orléans, puis le chapeau de cardinal par Innocent XIII, la situation officielle de premier ministre, la présidence de l'assemblée du clergé et un fauteuil à l'Académie française, fortune qui égalait celle du cardinal de Richelieu et du cardinal de Mazarin.

Dubois n'avait certes ni les talents, ni les vertus de ces deux grands ministres. Son élévation n'était pas justifiée par ses services, et bien qu'il pût se glorifier d'avoir travaillé avec habileté, avec succès, au rétablissement de la paix en Europe, à la restauration de la paix dans l'Eglise de France, on s'étonna, on s'indigna de cette élévation aussi extraordinaire que rapide. Seulement, comme toujours, la médisance dépassa la vérité et devint de la calomnie.

Devenu premier ministre, Dubois se hâta de réinstaller Louis XV dans le palais de Versailles, afin de l'éloigner des agitations de Paris. La régence du duc d'Orléans allait cesser.

Le 19 février 1723, Louis XV fut déclaré majeur. Il avait déjà été sacré à Reims, le 25 octobre 1722. A cette occasion, le duc d'Orléans à Saint-Cloud, le duc de Bourbon à Chantilly, donnèrent des fêtes somptueuses. C'était leur devoir de premiers princes du sang.

Le duc d'Orléans mourut d'apoplexie foudroyante, le 2 décembre 1723. Son mauvais génie, Dubois l'avait précédé dans la tombe, le 23 août 1723. La situation devenait ainsi tout à fait nouvelle. La régence, qui disparaissait en droit, disparaissait aussi en fait, par ces deux morts se suivant à si peu d'intervalle.

Louis XV, dans les premières années de son règne de fait, montra plus de bonté de cœur, plus de loyauté de caractère que de virilité d'esprit. Il se fit aimer par ses qualités privées plus qu'il ne se fit admirer par ses actes publics. Il n'oublia jamais les services rendus à la royauté par les familles déchues de leur splendeur passée, comme le prouve la lettre autographe qu'il adressa de Versailles, le 13 décembre 1760, à Louis-Charles de Lorraine, comte de Brionne, grand écuyer de France, et qui nous révèle, sans plus tarder, combien son cœur était affectueux.

Louis XV réalisa sa promesse. La charge de grand écuyer de France fut donnée en 1761, à l'un des fils du comte de Brionne, à Charles de Lorraine d'Elbeuf, qui devint prince de Lambesc, émigra à la révolution, et mourut en 1825 en Autriche.

Après la mort du duc d'Orléans, qu'avait devancée la mort de Dubois, le pouvoir ministériel passa, en apparence, au duc de Bourbon, qui devint officiellement premier ministre, et, en réalité, au cardinal de Fleury, ancien précepteur de Louis XV, qui eut dans ses attributions spéciales le département des affaires étrangères.

Du reste, le duc de Bourbon dut bientôt se retirer, par ordre de Louis XV, dans son château de Chantilly. Cette révolution de palais s'était accomplie le 11 juin 1726. Le cardinal de Fleury restait seul maître de la situation. Ce n'était pas un homme de génie, mais c'était un sincère ami du Roi et de la France. Ces deux sentiments suffirent à le guider, dans le gouvernement des affaires de l'État, toujours avec prudence, quelquefois avec bonheur.

Avant cet incident, Louis XV, quoique fiancé à une infante d'Espagne, fille aînée de Philippe V, qui était à Paris et qui fut renvoyée à Madrid, avait épousé, en 1725, la princesse de Pologne, Marie Leczinska, dont le père n'avait plus ni couronne, ni fortune.

Louis XV n'avait que quinze ans, la fille de Stanislas Leczinski en avait vingt-deux. Ce mariage sans éclat devait avoir un résultat inattendu, inespéré. Il devait donner un jour la Lorraine à la France.

L'Espagne se montra très froissée de la rupture inopinée du projet de mariage de Louis XV avec l'Infante dont la main avait été demandée et accordée sous la régence du duc d'Orléans. La paix de 1720 n'avait pas réglé toutes les questions en suspens entre l'Espagne, l'Autriche et l'Angleterre. La solution de ces questions avait été réservée à un congrès qui devait se réunir à Cambrai, dans le palais des archevêques. Ce congrès ne s'était pas encore assemblé le 1er janvier 1724.

Lorsque ce congrès commença à délibérer, le décor était changé sur le théâtre de l'Europe. Philippe V et Charles VI s'étaient entendus ensemble. La quadruple alliance était rompue.

Il se forma deux ligues. Dans l'une d'elles, la France se trouvait associée à l'Angleterre, à la Hollande, au Danemark, à la Suède et à la Prusse qui commençait à entrer 'sérieusement en scène. Dans l'autre figurait la Russie, à côté de l'Espagne et de l'Autriche. Le tableau était véritablement nouveau.

On fit alors en France une levée extraordinaire de soixante mille hommes dans laquelle on peut voir la première conscription. L'édit de Louis XV qui l'avait décrétée, est du 26 février 1726. C'était le prologue d'une nouvelle et grande guerre générale. Elle fut évitée à la satisfaction de toute l'Europe.

Le cardinal de Fleury eut l'habileté de décider les puissances entrées dans l'une ou l'autre ligue, à signer à Paris, le 31 mai 1727, des préliminaires de paix. L'Europe devait ainsi son repos menacé à la sagesse et à l'activité de la France. Le congrès de Cambrai dissous, sans avoir rien réglé, rien décidé, devait être remplacé par un congrès de Soissons.

Il n'y eut finalement qu'un traité de Séville, du 29 novembre 1729, entre la France, l'Angleterre et l'Espagne.

Ce repos ne fut pas de longue durée. Bien des négociations se croisèrent et s'entrecroisèrent, qui toutes pouvaient amener la rupture de la paix. L'Espagne avait ses exigences. L'Autriche, qui était restée en dehors du traité de Séville, et dont le nom était substitué i celui d'Allemagne, bien que ce fût encore l'Empire, demandait surtout qu'on adhérât à la pragmatique sanction que la diète de Ratisbonne avait acceptée et garantie, le if janvier 1732.

Ce qu'on nommait ainsi, c'était une ordonnance de Charles VI sur les affaires. Cette ordonnance décidait que lorsqu'il mourrait sa fille Marie-Thérèse hériterait de tous les États de l'Empire, à l'exclusion des filles de son frère Joseph.

Marie-Thérèse, qui avait épousé, en 1736, le duc François de Lorraine, devait, en effet, succéder à son père comme impératrice d'Allemagne, reine de Hongrie et reine de Bohême, titres qu'allait lui reconnaître, en 1748, le second traité d'Aix-la-Chapelle. Ce traité dénoua, à son jour et à son heure, la guerre dite guerre de la succession d'Autriche, guerre à laquelle allait être mêlée la France, et dans laquelle allait intervenir toute l'Europe.

Mais avant la guerre de la succession d'Autriche, il y eut la guerre de Pologne.

Le point de départ de cette nouvelle mêlée était en Pologne. Le Ter février 1733, mourut Auguste II, qui avait remplacé Stanislas Leczinski, depuis retiré en France, au château de Chambord.

Stanislas Leczinski partit aussitôt pour Varsovie où il reçut un accueil enthousiaste. Il ne devait cependant pas réussir à recouvrer son trône de Pologne. Une ligue du Nord s'était formée, à la mort d'Auguste II, entre l'Autriche, la Russie, le Danemark, la Prusse et la Saxe. La France, pour combattre cette ligue, envoya deux armées, l'une sur le Rhin, l'autre sur.les Alpes.

Il y avait eu des luttes en Italie et en Allemagne, mais pas de résultats décisifs. Le cardinal de Fleury eut l'heureuse idée d'entamer secrètement des négociations particulières avec l'Autriche. Ces négociations, qui devinrent officielles, amenèrent la signature du traité de Vienne, du 18 novembre 1738.

Ce traité, qui terminait la guerre de Pologne, assurait à la France la possession du duché de Lorraine qu'elle avait souvent conquis, longtemps occupé, mais qui ne lui était jamais resté.

On faisait abandon de ce duché à Stanislas Leczinski, en compensation de sa renonciation au trône de Pologne. Il était stipulé qu'à sa mort sa fille, Marie Leczinska en hériterait, et qu'il serait alors réuni au domaine de la couronne. C'est ce qui devait être réalisé en 1766. Ce résultat était considérable et compensait bien des sacrifices. Il y avait un siècle que la France le poursuivait et il suffirait à lui seul à illustrer le règne de Louis XV.

La guerre de Pologne était à peine terminée que la France se vit à la veille d'être mêlée à une guerre maritime et coloniale qui intéressait, surtout à l'origine, l'Espagne et l'Angleterre. Cette tempête fut momentanément détournée par un autre orage. La mort de Charles VI, survenue le 20 octobre 1740, fit éclater la guerre continentale de la succession d'Autriche. Dans cette guerre, la Prusse allait jouer l'un des premiers rôles avec Frédéric II, que l'histoire appelle Frédéric le Grand, et qui a compté parmi ses flatteurs Voltaire, l'un des personnages de l'époque.

La France aurait pu rester étrangère à cette sanglante mêlée, puisqu'elle avait adhéré, par le traité de Vienne de 1738, à la pragmatique sanction. Mais un petit-fils de Fouquet, Charles-Louis-Auguste Fouquet, duc de Belle-Ile et maréchal de France, entraîna Louis XV et le cardinal de Fleury à soutenir les droits contestables du duc Charles de Bavière contre les droits incontestables de Marie-Thérèse.

Le duc de Bavière, qui mit la Prusse avec la France et l'Espagne dans ses intérêts, prit même, sous le nom de Charles VII, le titre d'empereur d'Allemagne. L'Angleterre. où régnait alors Georges II, fils et successeur de Georges Ier, se mit du côté de Marie-Thérèse qui ne tarda pas à avoir d'autres puissants alliés.

Le cardinal de Fleury ne vit pas le dénouement de la guerre de la succession d'Autriche. Il mourut le 29 janvier 1743, lorsqu'elle était dans toute sa gravité, mélangée de succès et de revers, de plus de revers que de succès pour la France, qui allait être envahie du côté de l'Alsace et du côté de la Lorraine, lorsque Louis XV, se souvenant du chef de sa dynastie, Henri IV, de son bisaïeul Louis XIV, se rappelant que Louis XIII lui-même, qui n'était pas un homme de guerre, avait participé à des sièges et à des campagnes, prit la mâle résolution de se montrer à l'armée. Il se rendit d'abord au camp de Lille, puis il conduisit un corps d'armée en Alsace, laissant en Flandre le comte Hermann Maurice de Saxe, qui était entré, sous la régence du duc d'Orléans, au service de la France où il obtint, en récompense de services militaires, le maréchalat.

Louis XV arriva à Metz le 4 août 1745 ; quatre jours après il y tomba dangereusement malade. Cette nouvelle, bientôt répandue dans Paris, causa une désolation générale.

Le peuple était d'autant plus inquiet qu'il voyait partir, pour aller retrouver à Metz Louis XV que l'on disait mourant, la reine, le dauphin, alors âgé de seize ans, les princes du sang.

On exigea que l'on affichât d'heure en heure, et dans tous les quartiers de Paris, le bulletin de santé du Roi. Il y eut des prières dans toutes les églises pour son rétablissement.

C'est alors que le poète des Halles, Vadé, donna à Louis XV le surnom de Bien-Aimé, qui fut répété par le peuple et qui lui est resté dans l'histoire.

La dernière heure de Louis XV n'était pas venue. Il était sauvé, lorsque la Reine arriva à Metz avec le Dauphin. La joie fut grande dans toute la France, lorsqu'on y apprit son rétablissement.

Pendant sa convalescence, Louis XV quitta Metz et alla achever sa guérison à Strasbourg. Il put assister au siège et à la prise de Fribourg, puis il rentra dans Paris où on lui offrit un splendide banquet à l'Hôtel de Ville.

Charles VII, ou plutôt le duc de Bavière qui avait porté ce titre, mourut subitement à Munich, le 20 janvier 1745. Cette mort n'arrêta pas la guerre. Elle continua.

C'est dans cette phase nouvelle, et pendant la campagne de Flandre, que dirigeait le maréchal de Saxe, que se livra la bataille de Fontenoy, où Louis XV, s'il n'avait été le Roi, aurait conquis par son courage la première dignité de l'armée.

Le Ier mai 1745, le maréchal de Saxe assiégeait la ville de Tournay que défendait une garnison hollandaise de neuf mille hommes. Le duc de Cumberland accourut au secours de cette place avec des troupes anglaises.

La bataille de Fontenoy fut livrée, le 11 mai 1745, par l'armée française, le Roi présent, le Dauphin présent, contre des troupes hollandaises et des troupes anglaises réunies.

C'est pendant cette bataille qu'une colonne anglaise arrivant en face du régiment des gardes françaises, dit ces mots connus, mais souvent mal répétés : Messieurs des gardes françaises, tirez les premiers. Mais du côté des gardes françaises on eut la même courtoisie et on dit : Messieurs les Anglais, tirez les premiers.

Louis XV s'était placé au milieu des troupes, mais sans donner d'ordres, afin de ne pas contrecarrer les instructions du maréchal de Saxe, malade, qui se faisait porter dans une voiture d'osier.

D'après M. Dareste, la fameuse colonne anglaise de Fontenoy fut prise en face par le canon, en flanc par plusieurs régiments français qui se précipitaient sur elle en même temps, l'infanterie à la baïonnette, la cavalerie le sabre à la main, ayant l'ordre de toucher l'ennemi du poitrail des chevaux. Elle recula lentement, laissant le terrain jonché de morts, mais gardant ses rangs et n'abandonnant ni drapeaux, ni prisonniers.

Cette colonne anglaise de Fontenoy, marchant six heures pour franchir un ravin et enlever des redoutes, puis venant s'abîmer sous une grêle de feux et des charges effroyables, a laissé un grand souvenir dans les fastes militaires de l'Angleterre. Mais son héroïsme n'a fait qu'ajouter à l'éclat de la victoire que les troupes françaises ont remportée sur elle.

Huit mille Anglais environ restèrent sur le champ de bataille. La maison du roi, dont la présence de Louis XV excitait l'ardeur, fut magnifique d'audace, et dans le danger, de mépris de la mort. Le drapeau de la France avait reconquis tout son prestige, la supériorité de notre armée redevenait incontestable. Louis XV, assistant à une bataille, rappelait Henri IV.

La guerre avait changé de caractère, à diverses reprises. Marie-Thérèse elle-même avait changé d'attitude. Elle avait naguère contesté la validité de l'élection de Charles de Bavière, comme empereur d'Allemagne. Après sa mort elle modifia son plan.

Le titre d'empereur d'Allemagne étant redevenu vacant, de fait comme de droit, elle ne s'occupa plus que d'assurer des voix à son mari, François de Lorraine. Elle réussit sans difficulté.

Le duc de Lorraine fut élu empereur d'Allemagne à Francfort, le 13 septembre 1745, sous le nom de François Ier, victoire pacifique que Marie-Thérèse célébra par des revues militaires et des réjouissances publiques.

On n'en continua pas moins à guerroyer, presque sans but, pendant trois années encore avant de déposer les armes. Enfin on décida entre le duc de Cumberland et le maréchal de Saxe, qu'il y aurait un congrès à Aix-la-Chapelle pour le rétablissement de la paix en Europe. On y signa, des préliminaires de paix seulement le 30 avril 1748, entre la France, l'Angleterre et la Hollande. Ces trois puissances arrêtèrent entre elles les bases d'un traité définitif, bases qu'elles firent accepter aux autres belligérants, à l'Autriche, à l'Espagne, à la Sardaigne.

La paix d'Aix-la-Chapelle donnait la Silésie à la Prusse, Parme avec Plaisance et Guastalla à Philippe de Bourbon, qui était l'un des fils de Philippe V et d'Elisabeth Farnèse.

Cette paix ne modifia en rien la situation de l'Europe. Chacun garda ou reprit ce qu'il avait avant la guerre. La France n'en retira aucun bénéfice, niais on peut dire qu'elle avait dirigé les négociations, et que le traité d'Aix-la-Chapelle était en grande partie son ouvrage.

Après la guerre de Pologne, après la guerre de la succession d'Autriche, après le traité d'Aix-la-Chapelle, il y eut en France un regrettable relâchement de mœurs, qui était dans le courant de l'époque et auquel se rattache le nom méprisable et méprisé de Jeanne-Antoinette Poisson, mariée à M. Lenormand d'Étiolles, plus connue sous le nom de marquise de Pompadour, titre que Louis XV eut la faiblesse de lui accorder.

ll y eut aussi de perpétuelles discussions, de continuelles agitations, qui vinrent, en partie des luttes du parlement de Paris avec l'autorité royale, en partie des controverses et des discordes religieuses auxquelles il fut mêlé, tantôt contre le clergé de France, tantôt contre la société de Jésus. Il y eut enfin une très grande liberté de langage, une sorte de débauche d'esprit dans le monde savant et lettré, et, à côté de quelques œuvres mûrement méditées, longuement préparées, comme l'Esprit des lois de Montesquieu, beaucoup d'écrits dont le but était de saper les fondements de la société, dans ses deux principales assises ; la religion et la royauté.

Le parlement de Paris qui travaillait sciemment ou inconsciemment à amener une tempête révolutionnaire dans laquelle il devait disparaître, où il devait sombrer, imagina qu'il était à la fois le représentant de l'État et l'organe de la nation. Il n'était qu'un élément de trouble, et même lorsqu'il était dans son droit et dans le vrai, il gâtait sa cause par la turbulence de son caractère et la hauteur de son attitude. C'est ce qui décida René-Charles-Nicolas-Augustin de Maupeou, alors chancelier de France, à en modifier l'organisation. C'était presque un coup d'État au petit pied qui devait avoir sa contre-partie sous le règne de Louis XVI.

Il n'y a aucun intérêt, aucune utilité à s'appesantir sur les teintes variées, toutes attristantes, de ce tableau que de dramatiques et vastes événements ne devaient pas tarder à rejeter dans l'ombre.

Nous devons aborder maintenant une question plus haute et plus intéressante, la question maritime et coloniale qui réservait à la France de douloureuses surprises.

Le début de la guerre maritime et coloniale fut heureuse. Un personnage d'une physionomie étrangement légendaire, Louis-François Armand du Plessis, duc de Richelieu, avait en 1.56 le commandement supérieur des côtes de la Méditerranée. Les Anglais occupaient Port-Mahon, capitale de l'île Minorque.

Le 10 avril, la flotte de Toulon prenait la mer. Elle transportait des troupes de débarquement destinées à faire le siège de cette place qui passait pour être imprenable et que le duc de Richelieu faisait capituler le 27 juin.

Auparavant il y avait eu sur mer un combat entre l'escadre française et l'escadre anglaise que commandait l'amiral-John Bvng, qui paya sa défaite de sa vie. Arrêté, emprisonné, jugé, condamné, il fut fusillé.

Malheureusement la fin ne devait pas répondre au commencement.

Le dénouement final pour la France fut la perte du Canada qui fut bientôt suivi de la perte de l'Inde. La guerre maritime devait se prolonger jusqu'en 1762, se combinant avec une guerre continentale, dans laquelle la Prusse et la France étaient belligérantes et ennemies.

C'est dans le cours de cette guerre continentale que fut livrée la bataille de Rosbach, où Frédéric 1I, dont la situation était désespérée, remporta, le 5 novembre 1757, une grande et décisive, mais facile victoire qui sauva et releva la Prusse, alors menacée d'un complet écrasement.

L'adversaire du roi de Prusse à Rosbach était Charles de Rohan, prince de Soubise, médiocre général, quoiqu'il fût maréchal de France.

Enfin la guerre maritime et la guerre continentale aboutirent à la paix par deux traités séparés. Le premier fut signé le 10 février 1763, à Paris, entre la France, l'Angleterre et l'Espagne. Le second ne fut signé que le 15 février 1763, dans la Saxe, au château de Habertsbourg, entre l'Autriche et la Prusse.

La France ne céda rien sur le continent, mais elle perdit toutes ses plus belles colonies. C'était la paix. On la fêta à Paris où on inaugura, le 20 juin 1763, la statue équestre de Louis XV, œuvre de Bouchardon, érigée sur la place qui est aujourd'hui la place de la Concorde ; cette statue a été renversée le 10 août 1792. Elle n'a été ni replacée, ni remplacée.

Le tableau européen avait encore changé.

Le roi d'Angleterre était alors Georges III, troisième du nom, de la maison de Hanovre. Le roi d'Espagne était Charles III, qui succéda à son frère consanguin, Ferdinand VI, fils aîné de Philippe V et de sa première femme. Il était lui-même le fils aîné de ce même Philippe V et de sa seconde femme.

Enfin William Pitt, devenu lord Chatam, achevait à la chambre des pairs d'Angleterre sa longue carrière ministérielle et Étienne François, titulaire du duché pairie de Choiseul, avait la direction des affaires de l'État.

Catherine II était impératrice de Russie. Marie-Thérèse était impératrice d'Autriche.

Un prince de la maison des Bourbons d'Espagne, fils de Charles III, et petit-fils de Philippe V et d'Élisabeth Farnèse, était roi de Naples où il fondait une dynastie.

Un prince de la maison d'Autriche, Hapsbourg-Lorraine, était grand duc de Toscane où il fondait également une dynastie.

Un prince de la maison d'Este était rentré en possession du duché de Modem, héritage de famille.

Charles-Emmanuel III, de l'illustre et vieille maison de Savoie, fils de Victor-Amédée II, était roi de Sardaigne, bien que Turin fût sa résidence.

Le duc de Choiseul avait eu un grand succès diplomatique. Il avait signé le 15 août 1761, le pacte de famille qui stipulait une étroite alliance offensive et défensive entre les quatre souverains de la maison de Bourbon, Louis XV, roi de France, Charles III, roi d'Espagne, Ferdinand IV, roi de Naples et Philippe Ier, duc de Parme.

Le meilleur des pactes de famille eut été une armée nombreuse, aguerrie, disciplinée, et surtout commandée par d'autres généraux que ceux du choix de la marquise de Pompadour.

Le nom de la marquise de Pompadour se rattache directement à la grosse affaire de la société de Jésus. Un ministre de Joseph Ier, roi de Portugal, Carvalho, marquis de Pombal, expulsa les membres de la société de jésus de ce royaume.

Cet incident eut du retentissement en France où les derniers Jansénistes rappelèrent que la société de Jésus avait peut-être armé la main de Robert-François Damiens, qui avait tenté d'assassiner Louis XV, bien qu'il eût été démontré que ce Damiens, voleur avant d'être assassin, n'était pas un fanatique religieux, mais plutôt un précurseur des régicides de 1793.

La société de Jésus était hostile à la marquise de Pompadour et avait essayé d'amener sa disgrâce. Elle résolut de se venger par l'expulsion de cette société, qui avait contre elle l'Université, sa rivale dans l'enseignement.

Le 6 août 1762, un arrêt du parlement de Paris condamna la société de Jésus à disparaître du sol de la France, sous prétexte qu'elle formait un corps politique indépendant, en un mot, un État dans l'État. Son plus grand adversaire, La Chalotais, rédigea alors le plan d'une nouvelle éducation nationale et revendiqua, à cette époque, le droit pour l'État d'inscrire la jeunesse. C'était un précurseur. D'autres États prirent des résolutions analogues. Clément XIV leur accorda, le 20 juillet 1773, un bref d'abolition de la société de Jésus dont Paul III avait approuvé, le 27 septembre 1540, la fondation, qui remontait à 1534.

Clément XIV accusait la société de Jésus d'avoir été un élément de trouble et de discussion dans l'Église. La marquise de Pompadour, la puissante ennemie des Jésuites, était morte depuis le 15 avril 1764. Elle n'eut pas la joie impie d'assister à leur désastre.

Le duc de Choiseul, délivré de la complicité, de l'ingérence et de la solidarité de la marquise de Pompadour, racheta l'alliance qu'il avait contractée avec elle et s'occupa de la réforme de l'armée et de la reconstitution de la marine. Puis il compensa la perte des colonies par l'acquisition de l'île de Corse, qui fut définitivement et régulièrement réunie au domaine de la couronne, le 15 mai 1768, sous son ministère.

Cette réunion était le testament politique du duc de Choiseul, qui fut disgracié et qui alla mourir dans son château de Chanteloup. D'abord comte de Stainville, il devait à Louis XV son duché-pairie.

Sous le duc de Choiseul, comme sous le cardinal de Fleury, comme au temps de Dubois, le ministre des affaires étrangères était doublé par un homme d'État que Louis XV chargea, pendant un très grand nombre d'années, de la direction de ce qu'on a appelé la correspondance secrète du Roi.

Ce ministre occulte des affaires étrangères était le comte Jean François de Broglie, de l'illustre famille de ce nom, originaire du Piémont, et titulaire, depuis 1742, d'un duché-pairie.

La fin de Louis XV fut une expiation. Elle suivit de prés la disgrâce du duc de Choiseul. Il expira le 10 mai 1774, deux ans après le premier partage de la Pologne qu'il ne put empêcher, mais dont il ne fut ni le complice, ni le bénéficiaire.

Avant de rendre le dernier soupir, Louis XV s'était réconcilié avec l'Eglise. Il avait voulu que le premier aumônier de France fît en son nom amende honorable.

Sous le règne de Louis XV, on voit apparaître dans le monde des lettres, des noms dont la renommée plus ou moins retentissante a survécu à ce long règne.

Ce fut comme une seconde période, moins éclatante et moins respectable que celle du règne de Louis XIV, et cependant influente et adulée. A la tête, figuraient François-Marie-Arouet de Voltaire, qui a fait plus de mal que de bien ; Jean-Jacques Rousseau que son Contrat social et son Vicaire savoyard, œuvres d'un sectaire, classent dans le parti des destructeurs de la religion et de la société ; Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, déjà cité, que son livre, l'Esprit des lois, traduit dans toutes les langues, a immortalisé ; Jean-Antoine de Caritat, marquis de Condorcet, savant qui devait être mêlé au mouvement révolutionnaire et qui serait monté sur l'échafaud de la place de la Révolution, s'il n'avait échappé au supplice par le poison ; le grand naturaliste Jean-Louis Leclerc, comte de Buffon ; le philosophe Etienne Bonnot de Condillac ; le géomètre Pierre Simon, marquis de Laplace ; Réaumur ; puis d'Alembert, Diderot, Helvetius, Fontenelle, Regnard, Crébillon, Beaumarchais, Marivaux ; et dans un autre domaine, Anne-Bernard-Jacques Turgot, l'économiste ; Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, qui devait être l'un des défenseurs de Louis XVI.

C'est sous le règne de Louis XV que Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon, indiqué comme avant été le dernier prince de Condé, épousa Louise-Marie-Thérèse-Batilde d'Orléans.

On remarque parmi les signatures qui existent au bas du contrat de mariage, qui est du 23 avril 1770, et qui fut signé au palais de Versailles, sous celle du roi Louis XV, celle du Dauphin, qui fut Louis XVI, celle du comte de Provence, qui est devenu Louis XVIII, celle du comte d'Artois, qui est devenu Charles X.

Le règne de Louis XV, à raison de sa durée, avait été assombri de deuils nombreux. Il avait perdu, en 1759, sa fille, infante de Parme ; en 1761, son petit-fils, le duc de Bourgogne ; en 1765, son fils le dauphin Louis ; en 1766, son beau-père, Stanislas Leczinski ; en 1767, sa belle-fille, la dauphine ; en 1768, sa femme, Marie Leczinska. Il laissa, à sa mort, la couronne de France à son petit-fils, le second fils du dauphin, Louis-Auguste.

Les funérailles de Louis XV se firent comme celle de Louis XIII et de Louis XIV, sans pompe. Son cercueil fut transporté du palais de Versailles à la basilique de Saint-Denis.

C'était plus que la fin d'un règne. C'était la fin de l'ancienne monarchie, car l'histoire du règne de Louis XVI allait être, en effet, l'histoire de la révolution naissante.