LES BOURBONS DE FRANCE

HENRI IV, LOUIS XIII, LOUIS XIV, LOUIS XV, LOUIS XVI, LOUIS XVIII, CHARLES X, LOUIS-PHILIPPE Ier, LE COMTE DE PARIS

 

LOUIS XIII.

 

 

Né au palais de Fontainebleau, le 27 septembre 1601, Louis XIII, que l'on a surnommé le Juste, parce qu'il était venu au monde sous le signe de la Balance, était mineur, à la mort de son père. On passa du règne de Henri IV à la régence de Marie de Médicis dont la nature hautaine, ambitieuse, remuante devait, sous la fatale influence de la Galigaï, qui s'était mariée à un Florentin du nom de Concini, se manifester même au delà de l'expiration de son mandat, par d'incessantes intrigues.

C'était bien une Italienne, mieux encore, une Florentine, comme Catherine de Médicis, mère des derniers Valois, qui ne se montra faible et bienveillante que pour le ménage Concini, dont la fortune lut aussi scandaleuse que soudaine et inattendue.

Toutefois, le mari de la Galigaï, premier gentilhomme de la chambre, puis gouverneur d'Amiens, maréchal de France, avec le titre de marquis d'Ancre, n'eut aucune influence directe ou indirecte sur la marche des affaires d'État.

Du reste, on verra bientôt que cet indigne favori de Marie de Médicis était prédestiné, ainsi que sa femme, à une fin terrible, de nature différente, mais que tous deux avaient également trop méritée.

Marie de Médicis avait des aspirations ou des sentiments plus funestes dans le domaine de la politique. Elle avait des dispositions et des tendances absolument contraires à celles de Henri IV dans la question extérieure. Elle penchait vers une alliance avec la maison d'Autriche.

On trouve la preuve de ces dispositions et de ces tendances dans une lettre du 16 novembre 1610 qu'elle écrivit de sa main à Philippe III, roi d'Espagne.

Au roy catholique des Espagnes.

Monsieur mon frère,

M. le duc de Feria dira à Votre Majesté combien l'assurance qu'il m'a donnée de son amitié et des bons effets que j'en dois espérer, pour le bien du Roy mon fils et ma particulière consolation, a allégé l'ennui que je ressens de la perte inestimable que j'ai faite en la mort trop rigoureuse du feu roy mon seigneur, que Dieu absolve, et de quelle affection j'en remercie Votre Majesté et la prie de me continuer cette bonne volonté. Partant, je m'en remettrai sur lui pour prier Dieu qu'il continue à Votre Majesté ses saintes grâces, telles que les lui désire la très bonne sœur de Votre Majesté,

MARIE, régente.

Cette lettre préparait le double mariage qui devait se conclure quelques années après entre Louis XIII, roi de France, et Anne d'Autriche, fille de Philippe III, et entre la princesse Elisabeth de Bourbon et le prince des Asturies, appelé à être un jour Philippe IV, fils de ce même Philippe III.

Ce double mariage fut précédé de longues négociations dans lesquelles Marie de Médicis intervint encore personnellement par une correspondance sans trait distinctif, sans intérêt particulier.

En apprenant la mort de Henri IV, presque tous les souverains d'Europe envoyèrent des ambassadeurs extraordinaires à Louis XIII, mineur, et à sa mère Marie de Médicis, régente. Ils leur apportaient les compliments de condoléance d'usage.

Ce fut Lorenzo Suarez de Figueroa, duc de Feria, autrefois l'un des soutiens passionnés de la Ligue, qui, dans cette circonstance spéciale, représenta Philippe III, roi d'Espagne. Il emporta la lettre qu'on vient de lire, lettre qui démontre avec quelle soudaineté la veuve de Henri IV abandonnait la politique extérieure de son mari et se faim sait l'amie et l'alliée de la maison d'Autriche.

Seulement la dynastie des Bourbons occupait alors le trône de France. Toutes les menées de Marie de Médicis, pour dominer dans le royaume de saint Louis, allaient se heurter à de puissants obstacles et, si elles devaient entraver la marche régulière et calme du règne de Louis XIII, elles ne devaient pas faire échouer les deux grands desseins de ce règne dont voici les lignes principales : Concentration de plus en plus forte, dans les mains du roi, du pouvoir, et abaissement de la maison d'Autriche : deux idées de Henri IV, d'abord abandonnées, mais reprises ensuite par le cardinal duc de Richelieu, Armand-Jean Du Plessis, né le 9 septembre 1585, à Paris, où il est mort en 1642, filleul de Biron, d'abord évêque de Luçon, puis ministre dirigeant ou plutôt ministre unique, ministre tout-puissant d'un roi qui eut la sagesse de comprendre son patriotisme, de reconnaître sa capacité, et la volonté de lui laisser, envers et contre tous, la direction générale des affaires de l'État.

Entre Henri IV, le grand roi enlevé trop tôt à l'amour et à l'admiration de la France, par un crime abominable qui fut aussi un crime inconscient, et Louis XIV, le grand règne de la dynastie des Bourbons, avant la Révolution, avant la Terreur, avant la Convention, se place donc Louis XIII, dont l'enfance n'offre aucune particularité remarquable. Il était intelligent, éclairé, et quoique faible de caractère et timide de sa nature, il sut faire respecter dans sa personne les droits de l'autorité royale.

L'opinion de Marguerite de Valois sur Louis XIII est curieuse à citer. A l'époque où il atteignait l'âge de la majorité, elle écrivait à un seigneur de la cour de France en parlant du jeune roi : Il est incroyable combien il a cru de corps et d'esprit dans ce voyage ; il entend à cette heure toutes ses affaires, et est prince qui se voudra rendre fort absolu et promet de se faire bien obéir. Il ne fera pas bon de se jouer à lui dorénavant.

Le voyage auquel Marguerite de Valois fait allusion dans ce billet est  celui que Louis XIII venait de faire en Bretagne où il avait accompagné sa mère, encore régente, appelée à Nantes par des agitations locales.

C'était après ce que l'on appelle le traité de Sainte-Menehould, signé le 15 mai 1614, dans cette localité de l'ancienne province de Champagne, voisine de la frontière. Ce traité était simplement une série de conditions imposées à Marie de Médicis par Henri de Bourbon, troisième prince de Condé, chef alors d'une ligue de princes du sang et de seigneurs de la cour que la faveur grandissante de Concini avait humiliés et irrités et qui se posaient en défenseurs de la liberté de conscience. La plus importante de ces conditions était la convocation des états généraux qui devaient être assemblés à Sens, mais qui se réunirent à Paris.

Ce prince de Condé, déjà désigné, était ce fils posthume du second prince de Condé, que Henri IV avait fait élever dans la religion catholique.

Cependant des troubles s'étaient encore produits en Bretagne. C'est alors que Marie de Médicis s'y était rendue, était allée jusqu'à Nantes et que tout s'était momentanément calmé dans la région, grâce à la présence du roi qui fut acclamé par les populations des villes qu'il eut à traverser.

Le prince Henri de Condé qui avait fait, dicté, imposé le traité de Sainte-Menehould et qui était appelé à jouer un rôle politique intermittent sous Louis XIII, était premier prince du sang. Il avait pour oncles consanguins ou utérins trois autres princes du sang, François, prince de Conti, Charles, comte de Soissons, tous deux souvent nommés, et le cardinal de Vendôme.

Le cardinal de Vendôme était mort en 1594. Le prince de Conti fut peu mêlé aux intrigues de cour et aux actes d'insubordination du règne de Louis XIII.

Le comte de Soissons mourut en 1612, laissant un fils, du nom de Louis, qui fut de toutes les cabales de l'époque.

Le prince Henri de Condé que son rang, son nom, sa situation semblaient appeler de droit à la tête du gouvernement ou de fait à la tête de l'opposition, fut alternativement dans les deux camps. D'une nature impressionnable, d'un caractère changeant, mobile dans ses résolutions politiques, il passa la première partie de sa vie à combattre et à servir tour à tour Louis XIII.

Le lendemain de son sacre, Louis XIII, qui disposait du collier de l'ordre du Saint-Esprit dont il devenait le grand maître, ne fit qu'au prince de Condé l'honneur de le lui conférer ; ce qu'il ne put lui donner, ce fut le sentiment de la gratitude et de la fidélité.

Le prince Henri de Condé avait épousé en 1609 Charlotte de Montmorency, fille du connétable, duc de Montmorency, et sœur du duc de Montmorency, qui devait mériter le sort du duc de Biron.

Le prince Henri de Condé eut la bonne fortune d'être le père du grand Condé dont la gloire est impérissable. Il hérita, plus tard, du chef de sa femme, des biens immenses de son beau-frère, qui mourut sans enfants. Il avait pourtant vécu pendant plusieurs années en mésintelligence avec elle, l'avait confinée, loin de la cour de France, tantôt à Bruxelles, tantôt à Milan, pour la soustraire, d'après les chroniques du temps, aux sollicitations trop ardentes de Henri IV dont la mort le ramena au Louvre qu'il remplit souvent de ses exigences impératives et où il prit fréquemment le ton d'un maître qui commande plutôt que d'un sujet qui obéit ; parfois rebelle au point qu'arrêté en 1617, dans des circonstances exceptionnellement curieuses, dans le Louvre même, il fut enfermé, pour crime de conspiration à l'intérieur, dans le fort de Vincennes. Il n'en sortit qu'en 1620. A dater de ce jour, réconcilié d'ailleurs avec sa femme, Charlotte de Montmorency, il servit fidèlement son roi qui lui confia le gouvernement de Bourgogne.

A côté, au-dessous ou au-dessus du prince Henri de Condé, les agitateurs de l'époque comptèrent dans leurs rangs : d'abord le duc Gaston d'Orléans, frère du roi, troisième fils de Henri IV et de Marie de Médicis, qui avait porté à sa naissance le titre de duc d'Anjou ; le duc d'Épernon dont la passion de l'or et l'amour de la domination possédaient en entier le cœur, l'esprit et l'imagination, mais qui était sans énergie comme sans élévation, ce qui en faisait le digne rival du marquis d'Ancre, dont il fut tour à tour l'adversaire et l'ami ; enfin

le duc de Bouillon, déjà mêlé, on l'a vu, sous le règne de Henri IV, à des tentatives de rébellion ouverte et qui avait si bien le tempérament d'un conspirateur que l'état de révolte semblait être sa vie.

Quelques personnages qui avaient déjà une grande notoriété et qui firent de l'agitation sous le règne de Louis XIII doivent être également signalés à cette place.

Ainsi, Charles de Gonzague, fils de ce duc de Nevers, auquel Henri IV avait écrit sa lettre autographe du 25 août 1590, qui était mort en 1595 et dont on voit dans la cathédrale du chef-lieu du département de la Nièvre le magnifique mausolée que sa veuve, Henriette de Clèves, y fit élever.

Charles de Gonzague était devenu duc de Nevers, en 1601, à la mort de sa mère et il devait, en 1627, hériter du duché de Mantoue. Puis Henri de Rohan appelé à jouer un rôle important sous le règne de Louis XIII. Ce nom était porté par le gendre du duc de Sully.

Sous le règne de Henri IV, par une faveur royale exceptionnelle, Henri de Rohan avait été gratifié d'un duché-pairie. Il devait rester fidèle au parti protestant qui le reconnut pour son chef dans ses dernières luttes plus politiques que religieuses contre l'autorité royale.

Benjamin de Rohan, seigneur de Soubise, dont la baronnie de Fontenay a été érigée en duché-pairie en 1626, était le frère du duc Henri de Rohan. Protestant passionné, à l'époque du siège de la Rochelle il s'unit à l'Angleterre contre Louis XIII et s'enfuit à Londres après la prise de cette ville par le cardinal de Richelieu.

Les deux Rohan moururent hors de France, Henri en Allemagne, Benjamin en Angleterre.

Un autre agitateur, sous le règne de Louis XIII, c'est le duc César de Vendôme, déjà nommé, qui, tantôt en prison, tantôt en fuite, passa sa vie à conspirer contre Marie de Médicis et contre le cardinal de Richelieu.

C'était une famille prédestinée aux intrigues politiques.

Pourtant, dans les premières années de son règne, Louis XIII avait témoigné au duc César de Vendôme une affection fraternelle. Voici un fait qui le prouve :

On sait que la seconde fille de Henri IV et de Marie de Médicis, la princesse Christine de Bourbon, a épousé Victor-Amédée, alors prince de Piémont, fils du duc de Savoie et son héritier présomptif. Le mariage avait eu lieu, par procuration, en février 1619. La princesse Christine de Bourbon devait aller retrouver son mari trois mois après. Louis XIII voulut confier à la duchesse de Vendôme le soin d'accompagner sa sœur légitime jusqu'à la frontière de France. Il écrivit à ce sujet au duc de Vendôme, pour lui demander son agrément, deux lettres autographes, la première datée d'Étampes, la seconde datée d'Orléans.

Cette seconde lettre autographe est curieuse à raison de la qualification qui y est donnée au duc de Vendôme.

Orléans, 11 mai 1619.

A mon frère naturel, le duc de Vendôme,

Mon frère naturel, j'ajoute ces lignes à la dépêche que je vous fis étant à Étampes, pour vous prier de la même chose, et vous renouveler les assurances de mon affection. Je désirerais plutôt le vous témoigner par effet que de m'arrêter à vous le dire, dont je reçois autant de déplaisir que j'aurais de contentement lorsque je vous le ferai paraître. Croyez m'en, je vous prie, et que c'est avec zèle que j'adresse mes vœux au ciel à ce qu'il vous ait, mon frère naturel, en sa sainte et digne garde.

Le duc César de Vendôme ne mérita pas longtemps l'amitié de Louis XIII dont il lassa si bien la patience qu'il dut, dans les derniers temps, se réfugier en Hollande.

A la mort de Louis XIII, le duc César de Vendôme ne quitta la Hollande que pour organiser avec son second fils, le duc François de Beaufort, la cabale des Importants, la plaie des commencements de la régence d'Anne d'Autriche.

Le fils persista plus longtemps que le père, dans sa turbulence et, avec la qualification de roi des Halles qu'il dut à sa popularité, il devait être activement mêlé aux troubles de la Fronde.

Un nom de femme, apparaît sous Louis XIII, qui mérite de figurer dans cette liste, c'est celui de Marie de Rohan, fille d'Hercule de Rohan, de la branche des Rohan Montbazon, née en 1600, mariée en 1617 au connétable duc de Luynes, veuve en 1621, remariée au duc Claude de Chevreuse. Célèbre par son esprit et sa beauté, elle fut l'ennemie acharnée du cardinal de Richelieu et du cardinal de Mazarin.

La duchesse de Chevreuse avait eu, du vivant de Louis XIII, une si funeste influence sur Anne d'Autriche qu'on avait dû lui interdire le séjour de la France. Dès qu'elle apprit sa mort, elle quitta Londres où elle avait cherché un refuge, se hâta de revenir à Paris et recommença les intrigues qui étaient son élément.

Lorsque ces personnages seront en scène sous la régence de Marie de Médicis, sous le ministère du cardinal de Richelieu et sous la régence d'Anne d'Autriche, maintenant qu'ils sont connus, il n'y aura plus qu'à enregistrer leurs actes.

Le plus actif et le plus intrigant des seigneurs de la cour qui se trouvaient au Louvre, le lendemain de la mort de Henri IV, le duc d'Épernon, s'empara du pouvoir, au nom de Marie de Médicis, du consentement de son rival de la veille, le duc Charles de Guise, devenu instantanément son associé. Tous deux s'étaient rencontrés dans la soirée du 14 mai 1610 étant chacun à la tête d'une nombreuse escorte. C'est là un fait singulier de l'époque. Les chefs de la noblesse ne marchaient que suivis de beaucoup de gentilshommes, comme autrefois dans Rome les chefs du patriciat toujours accompagnés d'une foule de clients. Est-ce qu'il pouvait y avoir de véritable autorité royale avec de pareilles coutumes ? Henri IV avait commencé, Louis XIV devait achever d'en finir avec ces abus du passé.

Immédiatement après la mort de Henri IV, la première question qui se posa fut celle de la régence. Les trois princes du sang qui pouvaient la disputer à Marie de Médicis étaient le prince de Condé, le prince de Conti et le comte de Soissons. Tous trois étaient absents de Paris.

Dés le 14 mai 1610, à six heures du soir, le parlement de Paris, qui siégeait au couvent des Augustins, déclarait, par un arrêt rendu à la hâte, que le duc d'Épernon et le duc de Guise avaient presque dicté l'épée au côté, Marie de Médicis régente de France. Le lendemain cet arrêt fut confirmé avec plus de régularité dans les formes.

Le parlement de Paris se trouva en séance, dès le matin, dans le couvent des Augustins, toutes chambres assemblées, sous la présidence de M. de Harlay, son chef suprême. Tous les présidents, tous les conseillers avaient leurs robes écarlates. On allait tenir un lit de justice pour affirmer la régence de Marie de Médicis.

Là se trouvèrent les princes du sang présents à Paris, les titulaires des duchés-pairies du royaume, les maréchaux de France, des cardinaux, des archevêques, des prélats accourus du siège de leurs diocèses, le jeune roi assis sur son trône, ayant auprès de lui à sa droite sa mère que plusieurs darnes de la cour avaient accompagnée.

Marie de Médicis prit la première la parole ; elle prononça un discours, qui fut plusieurs fois interrompu par ses larmes. Le voici :

Ayant plu à Dieu, par un si misérable accident, retirer à soi notre bon roi, mon seigneur, je vous ai amené mon fils, pour vous prier tous d'en avoir le soin que vous êtes obligés par ce que vous devez à la mémoire du père, à vous-même et à votre pays. Je désire qu'en la conduite de ses affaires il suive vos bons conseils, et je vous prie de les lui donner tels qu'aviserez en vos consciences pour le mieux.

Cette séance se termina par un arrêt plus solennel que celui de la veille qu'il confirmait, et où il était dit que le roi, séant en son lit de justice, déclarait la reine sa mère régente en France, pour avoir soin de l'éducation et nourriture de sa personne, et l'administration des affaires pendant son bas âge.

Les autres parlements de France suivirent l'exemple du parlement de Paris et, sans contestation, la régence de Marie de Médicis se trouva partout constituée en moins d'une semaine.

C'est alors que les difficultés surgirent. ll fallut d'abord acheter à prix d'argent la soumission du comte de Soissons. Les exigences de cette nature se succédèrent et se multiplièrent vite. Le duc d'Épernon et le marquis d'Ancre furent des premiers les plus âpres à la curée. Ravaillac n'était pas encore exécuté, Henri IV n'était pas encore inhumé, que déjà la Régente ne savait plus auquel entendre.

La prodigalité remplaça vite l'ordre que le duc de Sully avait rétabli dans les finances de l'État. Du reste, il dut bientôt se démettre successivement de toutes ses grandes charges pour aller vivre dans la retraite, tantôt à Sully, tantôt à Villebon, tantôt à Rosny où il menait une grande existence, toujours fidèle à la mémoire de Henri IV. C'est à ce moment là qu'il écrivit des mémoires que l'on consulte encore avec utilité. La mort le surprit en 1641 avant qu'il les eût tous publiés.

La tradition d'ordre financier que Henri IV avait laissée ne' fut pas la seule que l'on abandonna. On ne comprit pas ou l'on n'accepta pas sa grande pensée d'équilibre européen et de pacification religieuse. On suspendit l'exécution de son plan général de guerre que l'on réduisit d'abord à des proportions minuscules et que l'on abandonna ensuite.

On fit plus ; on renoua avec l'Espagne des relations amicales, qui sans tendre à la suprématie de la maison d'Autriche, ne s'accordaient plus avec la politique contraire que Henri IV avait conçue et qu'heureusement Louis XIII, avec l'aide du cardinal de Richelieu, devait reprendre, que Louis XIV, avec l'aide du cardinal Mazarin devait réaliser.

L'esprit d'intolérance, sinon de fanatisme, régnait de nouveau au Louvre. Cependant on jugea qu'il était sage et prudent de ne pas aggraver encore une situation que les prétentions renaissantes et les rivalités personnelles des princes du sang et des grands du royaume rendaient très difficile, en fournissant un prétexte pour une nouvelle guerre religieuse. On voulut rassurer les protestants.

Le 22 mai 1610, on renouvela ou on confirma l'édit de Nantes par une déclaration, qui était le premier acte public du règne de Louis XIII et dont il suffira de donner un extrait pour en indiquer la pensée. Voici cet extrait :

L'expérience ayant appris à nos prédécesseurs rois que la fureur et la violence des armes n'avaient pas seulement été inutiles pour faire retourner à l'Église catholique leurs sujets qui s'en étaient séparés, mais plutôt dommageables, ils eurent recours, par un conseil plus heureux, à la douceur, et leur union dans l'exercice de la religion prétendue réformée, à l'imitation desquels le défunt roi notre père aurait fait l'édit de Nantes pour réconcilier tous ses sujets ensemble, ce qui avait duré depuis sans interruption. Et comme bien que cet édit soit perpétuel et irrévocable, et par ce moyen n'ait pas besoin d'être confirmé, néanmoins, afin que nos sujets soient assurés de notre bienveillance, nous avons voulu leur faire connaître davantage notre intention et volonté de garder inviolablement ledit édit, pour le bien et repos de tous nos sujets.

Cinq jours après paraissait une autre déclaration d'un caractère tout différent qui prouvait bien que l'esprit d'indépendance n'était pas encore éteint dans les rangs élevés de la noblesse de cour et d'épée. Quelques seigneurs avaient pris spontanément les armes, par mesure préventive, afin d'être prêts à tout événement ; d'autres avec le même but et dans la même pensée s'étaient emparés des places fortes qui se trouvaient à leur convenance et à leur portée. Louis XIII se borna à les inviter au respect de ses droits. Tous s'exécutèrent sans résistance. Mais cette soumission générale ne devait pas être de longue durée.

Le litige secondaire des duchés de Clèves et de Julliers auquel la France était mêlée, dans lequel son honneur était engagé, avait été promptement et facilement réglé. La paix au dehors comme au dedans était la maxime du jour. Il y avait bien dans Paris des querelles religieuses de plume et de parole, surtout à propos de deux livres publiés, l'un par Jean de Mariana, qui était l'apologie de régicide, autre, par le cardinal Robert Bellarmini, où était proclamée la suprématie de la papauté sur tous les rois de la terre.

Ces querelles laissaient le public indifférent. Aussi, Marie de Médicis choisit cette heure de calme intérieur et de sécurité extérieure pour faire sacrer, selon la vieille tradition de la monarchie française, son fils Louis XIII, dans la cathédrale de Reims. La date de cette imposante cérémonie fut fixée au 17 octobre 1610.

Cette grande solennité du sacre d'un roi de France était un souvenir presque oublié, presque une nouveauté attrayante. Elle excita une vive curiosité. Ce que l'on appellerait aujourd'hui le Tout-Paris, ce que l'on appelait alors le Tout-Pays s'y rendit avec la surexcitation que l'on met de notre temps à assister à une grande première théâtrale ou parlementaire.

Marie de Médicis partit pour Reims trois jours avant celui où devait se faire l'imposante cérémonie à laquelle toute la France aristocratique était conviée. Elle y fit son entrée solennelle avec le roi, accompagnée du prince de Condé, du prince de Conti, du comte de Soissons, du duc Charles de Nevers, d'un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes d'une situation moins importante, quoique de haute lignée, et de sept compagnies de chevau-légers qui étaient l'escorte de ce brillant cortège.

Par un calcul de pure politique, la veille même de la cérémonie du sacre, qui était essentiellement une consécration catholique de la royauté, on expédia de Reims, des lettres ou brevets qui étaient adressés aux chefs officiels des protestants et qui les autorisaient à se réunir au mois de mai 1611 en assemblée électorale. C'est dans cette assemblée qu'ils devaient désigner les nouveaux délégués qui devraient résider auprès du roi, afin d'y faire leurs affaires spéciales. Ces nouveaux délégués étaient destinés à remplacer leurs mandataires en fonction dont les pouvoirs, après trois ans d'exercice, allaient expirer.

Après l'expédition de ces lettres ou brevets, Louis XIII reçut la confirmation des mains du cardinal François de joyeuse, qui avait déjà sacré Marie de Médicis, comme reine de France, qui avait travaillé à la réconciliation de Henri IV avec Clément VIII, et qui était l'un des trois fils du vicomte Guillaume de Joyeuse, tige de cette famille et mort maréchal de France. Il était le frère des deux ducs de Joyeuse, qui avaient combattu Henri IV, au temps de la Ligue, mais ne s'était, à aucun moment de sa vie, montré hostile à ce prince.

Une bizarre particularité de cet acte purement religieux et tout personnel, c'est que la présentation de Louis XIII au cardinal de Joyeuse se fit par la reine Marguerite de Valois, première femme et femme divorcée de son père.

Le cardinal François de Joyeuse, qui présida toute la cérémonie, remplaçait l'archevêque de Reims que sa trop grande jeunesse priva de cet honneur. Il fut assisté de cinq évêques, de princes du sang, de titulaires des duchés-pairies, de beaucoup de seigneurs et de gentilshommes.

Avant l'onction, Louis XIII fit le serment d'usage. En voici les termes : Je promets au nom de Jésus-Christ, aux chrétiens mes sujets, d'avoir soin que le peuple chrétien vive paisiblement avec l'Église de Dieu ; de faire qu'en toutes vacations cessent rapines et iniquités ; d'ordonner qu'en tous jugements l'équité et miséricorde aient lieu, à cette fin que Dieu clément et miséricordieux fasse miséricorde à moi et à tous ; de faire tout mon possible en bonne foi pour chasser de ma juridiction et terres de ma sujétion tous hérétiques dénoncés par l'Église : Ainsi me soient en aide Dieu et les saints évangiles.

On comprend qu'à la veille d'un pareil serment royal, plus curieux par la forme qu'intéressant par le fond, la Régente eut jugé nécessaire, habile et opportun de rassurer les protestants par un acte qui démontrait qu'elle persistait dans les principes .de liberté religieuse de Henri IV.

Le 30 octobre 1610, la cour rentrait dans Paris, et elle y rentrait dans un grand trouble. Il y avait eu à Reims des querelles de préséance, qui déguisaient des rivalités d'ambition. Mais l'épargne péniblement amassée, sous le règne de Henri IV, par le duc de Sully, dans les caves de la Bastille, était là. C'est encore elle qui servit à apaiser les rivalités et les querelles.

Le moyen était efficace. Mais les ressources qui alimentaient les prodigalités forcées de Mai ie de Médicis n'étaient pas inépuisables. Il fallait y ajouter d'autres faveurs, il fallait y ajouter le partage des charges nombreuses que le duc de Sully remplissait sous le règne de Henri IV. C'est lui qui acheva de paver les frais de l'accord ou de la réconciliation qui se fit entre le duc d'Épernon, le comte de Soissons et le marquis d'Ancre, les principaux héritiers de sa situation officielle. C'est vers cette époque environ qu'il se décida à rentrer tout à fait dans la vie privée. Depuis quelque temps déjà, il s'était démis de son gouvernement du Poitou en faveur de son gendre, Henri de Rohan, déjà colonel général des Suisses.

Toutes ces compétitions révélaient une pensée persistante qui continuait à inspirer la conduite de tous ces hauts intrigants que l'on voyait se disputer ainsi, comme leur appartenant de droit, les grandes situations, les opulentes sinécures. Cette pensée qui renaissait toujours, c'est que la Royauté était moins la maîtresse que la sujette de l'aristocratie de race et d'épée et qu'elle avait le devoir de gouverner pour et par les vieilles familles dont les gouvernements de province, les charges de la cour, les dignités de l'État étaient l'apanage exclusif et légitime. C'est là le trait caractéristique de tous les événements intérieurs qui remplirent la régence de Marie de Médicis, régence que signala surtout la renaissance des discordes religieuses, éteintes à la fin du règne de Henri IV.

Les passions religieuses étaient presque toujours à cette époque le masque d'ambitions politiques. On le vit bien à l'assemblée électorale, que les lettres ou brevets de la veille du sacre avaient autorisé les protestants à tenir et qui s'ouvrit le 27 mai 1611 à Saumur, ville de l'ancienne province d'Anjou.

D'après Philippe de Mornay, communément appelé du Plessis-Mornay, que l'on qualifiait de pape des Huguenots et qui fut gouverneur de Saumur, de 1589 à 1620, voici la situation de ce que l'on appelait encore l'Église réformée : En conséquence de ces lettres ou brevets, les Français faisant profession de la religion protestante, au nombre de cinq cents églises, composant quinze provinces, sans compter le Béarn, se rassemblèrent dans les différents lieux désignés par eux comme le centre de leurs synodes partiels, et nommèrent soixante-dix députés, savoir trente gentilshommes, vingt pasteurs, seize membres du tiers-état, qui s'appelaient dans leur organisation anciens, et quatre du gouvernement de La Rochelle, pour se rendre à l'assemblée générale.

Les réformés, dans leur police intérieure, avaient conservé la distribution du royaume en trois ordres, et la ville de La Rochelle ne se confondait dans aucune province, mais formait comme une principauté à part, avant son rang, sa voix et ses représentants.

Cette constitution du parti, qui semblait respirer l'indépendance, n'empêchait pas qu'il ne reconnût la supériorité de quelques grandes existences seigneuriales, et qu'il recherchât leur appui. Il voulait que ses chefs militaires et féodaux figurassent dans l'assemblée, et, comme ceux-ci se tenaient bien au-dessus d'une élection, il fut convenu qu'ils se feraient supplier par les provinces de se rendre à la réunion des députés, pour le bien des églises, attendu la conjoncture du temps et l'importance des affaires. Des lettres à cet effet, écrites de bonne encre, devaient être adressées au duc de Bouillon, au duc de la Trémoille, aux deux frères ducs de Rohan et de Soubise.

Du Plessis-Mornay, qui donnait ce conseil, ajoutait naïvement : Je me sentirai obligé de recevoir pareille semonce, et y obéirai volontiers. Pour le duc de Sully il y avait doute, et ce doute montre assez en quelle estime il était auprès des siens.

Ces gens-là, dit du Plessis-Mornay, ne pensent à nous que quand ils n'en peuvent plus, et cependant ils auront tout fait et voudront y régner. Néanmoins il en fut prié comme les autres. On fit agréer toutes ces adjonctions à la reine, par ce motif que les grands ont les grandes considérations, que ceux qui font partie de l'État ont soin de l'État, et que ceux qui approchent le plus prés du prince peuvent mieux répondre de ses intentions.

Tous ces rassemblements de réformés dans les provinces, et la marche de ces députés vers le lieu de leur réunion, n'avaient pu se faire publiquement, avec bruit et apparat, envoi de lettres, voyages d'agents accrédités, conférences et rédaction de cahiers, sans offenser les catholiques, soumis partout aux lois et aux formes ordinaires de l'État, pour qui l'exercice de ce droit exceptionnel, pratiqué librement devant eux et au milieu d'eux, était une espèce de bravade. En plusieurs lieux, comme à Poitiers, ils s'étaient mis sous les armes. Il y avait eu des violences commises, sur quelques points de la Gascogne, entre gentilshommes de religion différente. Des ordres furent envoyés de la cour aux gouverneurs des villes, pour qu'ils eussent à permettre et à diriger eux-mêmes la surveillance que les habitants voudraient organiser.

Au jour fix4 pour l'assemblée des réformés, et dans la ville de Saumur, arrivèrent les députés des quinze provinces au nombre de soixante-dix, plus ceux du Béarn qui furent provisoirement admis. Les grands seigneurs invités s'y rendirent exactement, sauf le duc de Bouillon qui se fit attendre un jour. La position de celui-ci avait été fort habilement ménagée ; il s'était fait attribuer parmi les réformés le mérite de la convocation ; il avait contribué à répandre dans les provinces de grandes espérances sur le profit à tirer de cette assemblée, si on y apportait des résolutions vigoureuses ; il s'était rapproché avec soin de du Plessy-Mornay, l'homme le plus zélé du parti : puis, lorsqu'il vit les choses montées de façon à effrayer la Régente, il se laissa engager à ramener le calme là où il avait excité l'ardeur ; il mit à la disposition du gouvernement le crédit qu'il avait gagné parmi les réformés ; il promit de faire aboutir à néant toutes les prétentions auxquelles il les avait poussés, et stipula le prix qu'il exigeait pour ce service. On lui donna de l'argent, les uns disent trois cent, les autres quatre cent mille livres, pour paver son influence et son autorité supposées sur les membres de l'assemblée générale, et il se fit fort d'en être nommé président, encore bien qu'il eût conseillé lui-même de ne pas porter à la présidence un des seigneurs invités, mais bien un député, produit de l'élection.

Dans le même temps où le duc de Bouillon se rapprochait de la cour, le duc de Sully et le duc de Rohan son gendre s'étaient rapprochés des députés. La défiance où l'on se tenait envers l'ancien surintendant s'était un peu relâchée. Aussi, arrivé le dernier à Saumur, le duc de Bouillon trouva les esprits moins disposés qu'il ne croyait à se laisser diriger par lui.

L'assemblée générale s'ouvrit le lendemain par la prédication et la prière ; puis on procéda à l'élection du président ou modérateur, les députés du Béarn étant reçus, malgré quelque opposition, à donner leurs voix. Les suffrages de dix provinces sur treize portèrent à cet honneur Philippe du Plessis-Mornay.

Le duc de Bouillon se montra fort mécontent, menaça de quitter Saumur, et il fallut songer d'abord à calmer sa colère.

On choisit ensuite quelques députés pour examiner ou compiler les cahiers des provinces. Les députés généraux, dont la résidence auprès du roi venait de cesser, rendirent compte de leur charge.

C'est à l'assemblée générale de Saumur que le duc Henri de Rohan, âgé seulement de trente-deux ans, se révéla comme homme d'État autant que comme homme de guerre. Dans un discours dont le langage était celui des affaires, il insista vivement sur la nécessité de réclamer avec fermeté l'admission des protestants à toutes les charges et dignités du royaume, ce qui prouve que le fait n'avait pas encore sanctionné le droit.

Le 7 juin 1611, deux commissaires royaux, les conseillers d'état de Boissise et de Bullion, se présentèrent, selon l'usage, à l'assemblée générale.

Il y eut beaucoup de tiraillements, qui démontrèrent que le gouvernement de la Régente entendait autrement que la réunion de Saumur ses pouvoirs. Enfin on se sépara, sur un ordre royal formel, le 15 septembre 1611, sans avoir abouti à autre chose qu'à former une liste de six candidats sur laquelle furent choisis au Louvre les deux délégués, qualifiés de députés généraux, investis, pour une nouvelle période de trois ans, du soin de suivre les affaires des protestants à la cour de France. Il était déjà facile d'entrevoir que bientôt une nouvelle guerre civile sortirait des débats de Saumur.

Mais avant l'heure des discordes civiles, sonna l'heure des fêtes, l'heure des unions royales. Le 25 mars 1612, dans le palais du Louvre, on proclama solennellement, officiellement, les prochains mariages de Louis XIII, avec Anne d'Autriche, fille aînée de Philippe III, roi d'Espagne, et de la princesse Elisabeth de Bourbon avec celui qui devait être Philippe IV.

Le mariage d'Anne d'Autriche, née en 1602, morte en 1666, après avoir été Régente, sous la minorité de son fils, Louis XIV, ne fut célébré que le 25 décembre 1615. Celui de la princesse Elisabeth de Bourbon avec le prince Philippe d'Autriche ne fut également célébré que vers la même époque.

Mais Marie de Médicis avait hâte de faire solenniser par des fêtes publiques et populaires la proclamation de ces deux projets d'alliances princières entre la France et l'Espagne. Voici, d'après des extraits textuels des chroniques du temps, le curieux programme de ces fêtes dont la place Royale, récemment construite par Henri IV, fut le centre ou le théâtre.

La reine régente avait commandé au duc de Guise, récemment et richement marié, au duc de Nevers et au comte de Bassompierre, d'être les tenants d'un divertissement en forme de carrousel ou tournoi, mais seulement pour courir la quintaine et la bague, sans combat d'homme à homme, dont la lice serait dans la place Royale s'en rapportant, à ces trois seigneurs qui s'en adjoignirent deux autres pour surpasser tout ce que pourraient faire à Madrid les Espagnols.

Les cinq tenants désignés dressèrent ainsi le plan de leur spectacle : Ils s'intitulaient chevaliers de la Gloire, gardant le temple de la Félicité, et prêts au combat contre quiconque se présenterait pour y pénétrer. Leur défi était signé Almidor, Léontide, Alphée, Lysandre, Argant ; le lieu indiqué à la place Royale de l'abrégé du monde, et le jour au 25 du mois portant le nom du dieu qui les inspirait. Alors tout ce qu'il y avait à Paris de seigneurs alertes, galants, riches, avant crédit chez les marchands ou bonheur au jeu, se disposèrent à paraître dans cette joyeuse solennité. La place où devait se tenir le camp fut aplanie ; on y dressa des barrières, et on y bâtit le palais allégorique avec figures et devises de gentille invention.

La mort du duc Vincent de Mantoue, survenue en ce temps, faillit tout arrêter ; mais la reine, belle-sœur du défunt, et le duc de Nevers, son cousin, issu de germain, firent violence à leur douleur, et la fête ne fut retardée que de quelques jours.

Au centre de la place, dans un enclos de barrières toutes bordées de soldats, étaient le camp et le palais. Autour et à quelque distance des barrières, s'élevaient des échafauds qui montaient jusqu'au premier étage. Quatre échafauds, touchant à l'enceinte, avaient été réservés pour le roi et ses sœurs, pour la reine sa mère, pour la reine Marguerite, et pour les juges du camp, qui étaient le connétable et quatre maréchaux de France. Les fenêtres des maisons, les entablements des combles, et les échafauds des quatre faces, étaient garnis de spectateurs, sans compter le peuple entassé sur le pavé derrière les gardes. Il ne fallut pas moins des deux journées des 5 et 6 avril pour que tous ceux qui avaient à paraître pussent prendre leur tour et jouer leur rôle dans ce spectacle, que nous n'avons du reste nulle intention de décrire tout au long. La seule entrée des tenants présentait un équipage d'environ cinq cents hommes, archers, trompettes, hérauts, estafiers, musiciens, pages, esclaves, écuyers ; de deux cents chevaux, avec un chariot d'armes monté de machines et personnages, un rocher roulant chargé de musique, et un char triomphal d'où plusieurs divinités débitaient des vers.

Après eux s'avancèrent : d'abord les chevaliers du Soleil, conduits par le prince de Conti sous le nom d'Aristée, et se faisant annoncer en langue espagnole ; puis les chevaliers du Lys', enrôlés avec le duc de Vendôme ; les deux Amadis, représentés par le comte d'Ayen et le baron d'Uxelles ; Henri de Montmorency, fils du connétable, seul et s'appelant le Persée français ; les chevaliers de la Fidélité, ayant à leur tête le duc de Retz ; le duc de Longueville, seul aussi et s'annonçant chevalier du Phénix ; les quatre Vents réduits à trois, parce que l'un d'eux, le sieur de Balagny, venait d'être tué en duel ; ensuite sous le nom et l'habit des nymphes de Diane, quatre seigneurs qui furent depuis maréchaux de France et le marquis de Rosny ; deux chevaliers de l'Univers, et enfin neuf illustres Romains.

Toutes ces troupes, où l'on comptait les descendants des plus illustres familles, des chefs militaires, des hommes ayant charge et emploi dans l'État, revêtus de costumes richement bizarres, déployaient chacune à leur tour, comme la première, un cortège de travestissements analogues à leur caractère, et traînaient avec elles des théâtres mobiles où se groupaient de nombreux acteurs :Chacune avait aussi sa provision de poésie, qu'elle écoulait par le chemin en diverses places où se faisaient les stations. L'ordre était, à chaque entrée, de parcourir tout le tour de l'enceinte, après quoi l'on se rangeait en travers, et chaque assaillant s'accouplait avec un des tenants, pour courir contre lui la quintaine et disputer un prix. On estimait à quatre-vingt mille le nombre de personnes réunies sur la place Royale, à deux mille celui des figurants dans les diverses troupes, à mille celui des chevaux. On avait vu passer plus de vingt grandes machines mouvantes tirées à roues, sans compter les géants, les éléphants, les rhinocéros, et un monstre marin. Quarante-sept assaillants, chevaliers de toute espèce, vents, nymphes et romains s'étaient mesurés avec les cinq tenants, à qui briserait le mieux une lance sur le poteau placé au bout de la lice ; et un pareil nombre de prix, dont quelques-uns étaient évalués à quatre cents pistoles, avaient été remportés par les vainqueurs de chaque course.

Le soir du second jour, un grand feu d'artifice s'échappa du palais de la Félicité, et deux cents pièces de canon l'accompagnèrent de leurs salves.

Le troisième jour (7 avril) était destiné à la course de la bague. Les cinquante-deux chevaliers s'y trouvèrent en même appareil, sauf que deux de ceux qui avaient été confondus parmi les suivants du Lys, eurent ambition de faire cortège et dépense à part : c'était le marquis de la Valette, fils du duc d'Épernon, et le sieur Zamet, fils du riche Sébastien. Après trois épreuves, cinq chevaliers se trouvèrent égaux, et aucun d'eux ne pouvant l'emporter, la partie fut remise à une autre fois. Le soir, comme on avait fait la veille, la cavalcade tout entière, avec son long attirail, parcourut la ville à la lueur de mille lanternes, sans qu'il en résultât d'autre accident que deux incendies. Le détail de ces joyeuses journées, qui n'eurent pas à proprement parler de nuits entre elles, est soigneusement consigné dans un volume in-quarto qu'a publié Honoré Laugier, sieur de Porcheres. En tête du livre étaient gravés sur un double feuillet, vis-à-vis l'un de l'autre, le portrait du roi Louis XIII et celui d'Anne d'Autriche, sa future femme, de sorte qu'en le pliant, on faisait toucher les deux figures.

Le 29 septembre 1614, Louis XIII était âgé de treize ans, époque à laquelle une ordonnance de Charles V avait fixé la majorité des rois. C'était le vrai commencement de son règne, c'était la fin légale de la régence. Mais pour quelque temps ce ne fut encore là qu'une fiction. Marie de Médicis essaya de retenir en fait le pouvoir qui lui échappait en droit.

Louis XIII eut une libérale inspiration au début de sa majorité. Son premier acte fut de confirmer à nouveau l'édit de Nantes. Il se rendit ensuite au Parlement de Paris qui le reçut en son lit de justice. Cette solennité, qui était d'usage, ne fut signalée que par des paroles de courtoisie échangées entre la Régente, qui se dit heureuse d'abandonner à son fils le gouvernement des affaires de l'État, et le Roi qui pria sa mère de lui continuer ses conseils.

Depuis la solennité du sacre de Louis XIII, la mort avait emporté dans la tombe plusieurs hauts personnages, qui étaient à Reims, et que l'on ne retrouvait plus à la proclamation de sa majorité.

Deux noms sont à citer, celui du connétable, duc Henri de Montmorency, et celui de l'ancien ligueur, Charles de Lorraine, duc de Mayenne, disparu de la scène politique dans cette même année 1614, avant le 29 septembre.

On sait déjà que Charles de Bourbon, comte de Soissons, oncle du prince de Condé, mourut en 1612. L'année 1614 vit également mourir son frère, François de Bourbon, prince de Conti, autre oncle de ce même prince de Condé.

Ce François de Bourbon, prince de Conti, avait épousé, en 1605, Louise de Lorraine, fille unique du duc Henri de Guise, qu'il laissa veuve après neuf ans de mariage, pendant lesquels il ne vécut que d'une vie languissante. On assure qu'elle se remaria secrètement avec le maréchal de France, comte François de Bassompierre, que le cardinal de Richelieu devait faire enfermer à la Bastille, en 1631, et que, retirée dans le château d'Eu, alors sa propriété, elle y mourut de chagrin.

Après la mort de François de Bourbon, qui n'a pas laissé de trace profonde dans l'histoire, son titre de prince de Conti resta dans la maison de Condé, dont une branche collatérale, qui ne s'est éteinte qu'en 1814, devait le porter pendant une longue période.

Le chef de cette branche collatérale de la maison de Condé a été Armand de Condé, fils puîné du troisième prince de Condé et, par conséquent, frère du grand Condé et filleul du cardinal de Richelieu.

Ce prince de Conti fut enfermé à Vincennes, par ordre de Mazarin, contre lequel il avait fait de l'agitation. Un de ses descendants avait été désigné par Louis XIV pour être l'un des membres du conseil de régence. Un autre de ses descendants avait épousé, en 1732, Diane d'Orléans, l'une des filles du Régent. Grand prieur du Temple, il passa les dernières années de sa vie dans cette résidence.

Le dernier prince de Conti, resté en France pendant la première république, fut exilé au 18 fructidor, et alla mourir à Barcelone, en Espagne.

Après la mort de son oncle, Charles de Bourbon, comte de Soissons, qui avait partagé avec son neveu l'autorité qui s'attachait alors à la qualité de prince du sang, le troisième prince de Condé posséda à lui seul toute cette autorité.

Le fils de Charles de Bourbon, Louis, héritier du titre de son père, était encore trop jeune pour contrebalancer, dans l'État, l'influence de son cousin germain.

Il y avait bien un autre prince du sang, Henri d'Orléans, deuxième du nom, filleul de Henri IV, fils et héritier du duc de Longueville, qui avait signé l'acte du 3 août 1559, mais il secondait le prince de Condé, dont il ne devait pas tarder à épouser, en secondes noces, la fille, Anne-Geneviève de Bourbon. Devenu son gendre, en même temps que le beau-frère du prince Armand de Conti, il ne put être pour cette coterie ou cette cabale, selon le langage du temps, qu'un allié et non un rival ou un adversaire.

Le prince de Condé eut donc pendant quelques années une de ces situations personnelles exceptionnellement prépondérantes, qui commencèrent à s'amoindrir sous Louis XIII, qui devaient s'effondrer sous Louis XIV, devant la puissante suprématie et dans la salutaire unité du pouvoir Royal.

Le premier coup qui fut porté à cette haute situation de la maison de Condé date du règne de Louis XIV.

Le grand Condé n'avait qu'un fils unique, du nom de Henri-Jules, qui avait épousé Anne de Bavière, princesse palatine du Rhin, et que l'on appelait simplement M. le Prince. Louis XIV interdit cette appellation à son fils, Louis, duc de Bourbon, troisième du nom, sixième prince de Condé, qui reçut ordre de ne plus se faire appeler que : M. le Duc.

Le Régent avait fait du duc de Bourbon, septième prince de Condé, le chef du conseil de Régence. C'est son fils qui a fait reconstruire à ses frais, au prix de douze millions, le Palais Bourbon actuel. On sait que son petit-fils, Louis-Henri-Joseph, père de l'infortuné duc d'Enghien, est mort d'une mort tragique, le 27 août 1830, dans son château de Saint-Leu, triste événement trop connu pour qu'il soit utile d'en rappeler les détails et les circonstances.

La descendance de Louis de Bourbon, premier prince de Condé s'est éteinte dans la personne de ce Louis-Henri-Joseph, neuvième prince de Condé.

L'événement du jour, c'était l'assemblée des états généraux qui se réunit, après quelques tiraillements et quelques retards, le 14 octobre 1614, au couvent des Augustins de Paris. D'après le traité de Sainte-Menehould elle aurait dû, on le sait, se réunir à Sens, dès le 25 août, sous la régence. Mais, divers incidents sans importance avaient retardé et empêché l'exécution littérale de cette clause, et, deux jours après la déclaration de sa majorité, Louis XIII changea le lieu de ses délibérations.

Les règles alors en usage furent scrupuleusement observées. Les députés des trois ordres, qui ne se confondaient pas, se réunirent, d'abord ensemble au couvent des Augustins de Paris. Puis, les délégués du clergé continuèrent leurs discussions dans ce même couvent des Augustins, ceux de la noblesse se retirèrent au couvent des Cordeliers et ceux du tiers état, qui n'y figuraient officiellement que depuis Philippe IV, à l'hôtel de ville.

C'était la préparation à l'ouverture royale des états généraux. La veille, il y eut une procession où figura, du couvent des Augustins à l'église épiscopale de Notre-Dame, chaque député, un cierge blanc à la main. Le tiers état était vêtu de noir. Il marchait le premier. Il était suivi de la noblesse en riches habits et l'épée au côté. Le clergé venait ensuite. Il comptait dans ses rangs deux Cardinaux, trois archevêques, et trente-deux évêques.

C'est l'évêque de Paris, l'un des députés du clergé, qui portait le Saint-Sacrement, suivi de Louis XIII, de Marie de Médicis, du Parlement de Paris, de la cour des comptes et de la cour des aides.

La cérémonie royale, fixée au lendemain, avait attiré, à l'avance, à l'hôtel de Bourbon, où devait se rendre Louis XIII, une foule de dames et de gentilshommes qui ne voyaient là qu'un spectacle.

Enfin les députés s'étant placés, le Roi se mit sur le trône, entouré de sa mère, des membres de la famille royale, du prince de Condé, du comte de Soissons, des cardinaux, des titulaires des duchés pairies, et des maréchaux de France. Devant lui on voyait le chancelier avec les secrétaires d'État. Lorsque le silence se fit, il prononça ce petit discours :

Messieurs, j'ai désiré de vous cette grande et notable assemblée, au commencement de ma majorité, pour vous faire entendre l'état de mes affaires, et pour établir du bon ordre par le moyen duquel soutenu et honoré, mon pauvre peuple soulagé, et chacun maintenu et contenté en ce qui lui appartient sous ma protection et autorité. Je vous prie et conjure de vous employer comme vous devez à une si bonne œuvre, vous promettant saintement de faire exécuter tout ce qui sera résolu et avisé en cette assemblée.

Il n'y eut rien d'inattendu à exécuter. Après quatre mois de discussions stériles, le 23 février 1615, les États généraux furent admis à présenter à Louis XIII leurs cahiers. On y demandait la réunion définitive et officielle, au domaine de la couronne, de tout ce que Henri IV avait possédé, comme roi de Navarre. Ce n'était plus qu'une formalité qui fut remplie seulement en 1620.

Un fait caractéristique de la présentation à Louis XIII des cahiers des États généraux, c'est que ce jour-là celui qui allait devenir le cardinal de Richelieu fit, dans cette occasion, son entrée sur la scène du monde. Il y prit la parole au nom de l'ordre du clergé.

Les États généraux de France de 1614 à 1615 se séparèrent comme ceux de la Ligue l'avaient fait, sans laisser derrière eux de décision et de résolution d'un caractère pratique. Ce furent les derniers de la monarchie avant ceux de 1789.

Il y eut cependant de 1626 à 1627 une assemblée de Notables que présida le duc Gaston d'Orléans, qui se réunit dans la grande salle du palais des Tuileries, qui dura deux mois environ et qui n'eut qu'un caractère platonique.

Le rôle des assemblées de Notables comme le rôle des États généraux allait passer tout entier au parlement de Paris où Louis XIII devait tenir, dans le cours de son règne, d'assez fréquents lits de justice.

Le prince de Condé avait réclamé la convocation des États généraux parce qu'il avait cru qu'il pourrait s'appuyer sur eux contre l'autorité royale. Il fut déçu dans cette attente. Ils s'occupèrent à peine de sa personne.

Les événements allaient marcher dans une autre direction, dans une autre voie, sous la puissante, sous l'habile, sous la vigoureuse et prochaine impulsion du jeune évêque de Luçon ; ils allaient conduire la France des Bourbons à l'unité du pouvoir, à l'éclat éblouissant de la royauté, à l'agrandissement territorial du royaume et à l'apogée de la grandeur extérieure de la monarchie que Hugues Capet avait fondée et que Philippe Auguste avait consolidée.

Avant l'entrée du cardinal de Richelieu aux affaires, une année allait s'écouler qui fut remplie par des discordes intérieures et par deux événements privés.

Le prince de Condé fut l'âme de nouvelles cabales. Il fit, comme chef de parti, comme chef de l'opposition des princes et des grands, un manifeste qui indiquait qu'il croyait traiter avec le roi Louis XIII de puissance à puissance. Enfin les protestants reprirent les armes sous le commandement du duc Henri de Rohan.

Ces agitations intérieures se prolongèrent jusqu'au traité de Loudun, de 1616, traité qui fut imposé à Marie de Médicis, comme lui avait été imposé le traité de Sainte-Menehould de 1614. Il n'amena que momentanément la pacification générale du royaume.

En effet, c'est quelque temps après le traité de Loudun que, s'étant rendu au Louvre, sans défiance, le prince de Condé y fut arrêté par le maréchal de Thémines, sur l'ordre du Roi et à l'instigation de Marie de Médicis.

Louis XIII n'en poursuivit pas moins la conclusion de son mariage avec Anne d'Autriche et celui de sa sœur Élisabeth de Bourbon avec Philippe d'Autriche.

Le 28 septembre 1615, Louis XIII partit pour Bordeaux où il arriva quelques jours après, presque suivi d'une armée comme s'il était parti en guerre.

Six semaines se passèrent ainsi en attente agitée. Enfin, le 16 novembre 1615, Anne d'Autriche, en Espagne, la princesse Élisabeth de Bourbon, en France, s'étaient mises simultanément en route, la première pour Saint-Jean-de-Luz, la seconde pour Fontarabie, d'où l'une et l'autre devaient s'avancer vers la rivière de la Bidassoa, qui séparait les deux Etats.

On dressa un pavillon de repos sur chacune des deux rives. On en éleva un autre au milieu de la Bidassoa. C'est là que se fit, trois jours après, l'échange des deux princesses.

Les deux cortèges qui accompagnaient ces deux princesses descendirent chacun de l'un des côtés des montagnes opposées. Lorsqu'ils s'aperçurent, ils mesurèrent constamment leur marche de façon à ne pas s'approcher plus vite l'un que l'autre de leur pavillon respectif où ils arrivèrent ensemble.

On observa les mêmes règles d'étiquette pour l'entrée des deux princesses dans le bac qui les conduisit au pavillon du milieu de la Bidassoa. Elles y avaient été précédées des deux secrétaires d'Etat, l'un Espagnol, l'autre Français, qui se communiquèrent les contrats de mariage dressés à cette occasion. Les seigneurs des deux nations les saluèrent, elles s'embrassèrent et se séparèrent pour aller prendre terre, l'une en Espagne, l'autre en France.

Ces détails pourraient paraître puérils, bien que curieux, s'il ne s'agissait pas d'une alliance politique entre deux grands pays, l'Espagne et la France, d'Anne d'Autriche appelée à jouer un rôle personnel sous Louis XIII et sous Louis XIV, et enfin si ce double mariage n'avait pas servi de prétexte aux troubles intérieurs qu'avait suscités le prince de Condé qui, après l'avoir désiré, en avait, avant la préparation, blâmé l'exécution.

La reine Amie d'Autriche, que Louis XIII était allé voir à Castres, mystérieusement, et qu'il avait aperçue dans la rue, sans en être connu, fit son entrée solennelle dans la ville de Bordeaux, dans la soirée du 21 novembre 1615, aux flambeaux.

Quatre jours après, l'évêque de Saintes donnait au ménage royal la bénédiction religieuse.

Le Roi ne devait pas avoir, comme son père, une action aussi prépondérante qu'active sur les grands faits de l'Europe. C'est le moment de parler de l'homme.

La chasteté de Louis XIII est restée proverbiale. Deux jeunes femmes occupèrent cependant son imagination, Marie de Hautefort, duchesse de Schomberg, tantôt en faveur, tantôt en disgrâce auprès d'Anne d'Autriche, et Louise de la Fayette, que l'on dit avoir inspiré le vœu dont on célébrait le souvenir le 15 août de chaque année, à la fête de l'Assomption.

Née en 1616 et morte en 1691, mariée en 1646 et veuve en 1656, Marie de Hautefort mourut retirée de la Cour dans une maison qu'elle avait fait construire.

Née également en 1616, Louise de la Fayette est morte en 1665, supérieure des visitandines, dans un couvent des filles de la Visitation de Sainte-Marie où elle s'était retirée en 1637, pour échapper à la fois aux outrages de Marie de Hautefort, du cardinal de Richelieu et d'Anne d'Autriche qui redoutaient son influence sur l'esprit du roi.

Il est établi, il est avéré que toutes les relations personnelles de Louis XIII avec ces deux jeunes filles ne furent que de simples causeries amicales où il se plaisait, parce qu'elles étaient instruites, de bon conseil, d'un caractère enjoué, qu'elles avaient l'imagination vive et l'esprit cultivé.

Louis XIII regretta surtout l'absence de Louise de La Fayette qui avait quitté la première le séjour du Louvre. Il est certain que dans le mois de juillet qui suivit son départ il alla la voir dans son couvent de la rue Saint-Antoine. On l'y appelait la Mère Angélique. Il s'entretint avec elle pendant trois heures à travers la grille du parloir. C'est pendant cette conversation qu'elle le décida à consacrer le royaume de France à la vierge Marie.

Voici le texte complet des lettres-patentes du 10 février 1658 qui ont consacré officiellement et publiquement le vœu de Louis VIII :

Dieu qui élève les rois au trône de leur grandeur, non content de nous avoir donné l'esprit qu'il départ à tous les princes de la terre pour la conduite de leurs peuples, a voulu prendre un soin si spécial et de notre personne et de notre État, que nous ne pouvons considérer le bonheur du cours de notre règne, sans y voir autant d'effets merveilleux de sa bonté, que d'accidents qui nous pouvaient perdre. Lorsque nous sommes entrés au gouvernement de cette couronne, la faiblesse de notre âge donna sujet à quelques mauvais esprits d'en troubler la tranquillité ; mais cette main divine soutint avec tant de force la justice de notre cause, que l'on vit en même temps la naissance et la fin de ces pernicieux desseins. En divers autres temps, l'artifice des hommes et la malice du diable avant suscité et fomenté des divisions, non moins dangereuses pour notre couronne que préjudiciables au repos de notre maison, il lui a plu en détourner le mal avec autant de douceur que de justice. La rébellion de l'hérésie ayant aussi formé un parti dans l'État, qui n'avait autre but que de partager notre autorité, il s'est servi de nous pour en abattre l'orgueil, et a permis que nous ayons relevé ses saints autels en tous les lieux où la violence de cet injuste parti en avait ôté les marques. Si nous avons entrepris la protection de nos alliés, il a donné des succès si heureux à nos armes, qu'à la vue de toute l'Europe, contre l'espérance de tout le monde, nous les avons rétablis en la possession de leurs États, dont iis avaient été dépouillés. Si les plus grandes forces des ennemis de cette couronne se sont ralliées pour conspirer sa ruine, il a confondu leurs ambitieux desseins, pour faire voir à toutes les nations que, comme sa providence a fondé cet État, sa bonté les conserve et sa puissance le défend. Tant de grâces si évidentes font que, pour n'en différer pas la reconnaissance, sans attendre la paix, qui nous viendra sans doute de la même main dont nous les avons reçues, et que nous désirons avec ardeur pour en faire sentir les fruits aux peuples qui nous sont commis, nous avons cru être obligé, nous prosternant aux pieds de sa majesté divine que nous adorons en trois personnes, à ceux de la sainte Vierge et de la sacrée Croix, où nous révérons l'accomplissement des mystères de notre rédemption par la vie et la mort du fils de Dieu en notre chair, de nous consacrer à la grandeur de Dieu par son fils rabaissé jusqu'à nous, et à ce fils par sa mère élevée jusqu'à lui ; en la protection de laquelle nous mettons particulièrement notre personne, notre État, notre couronne et tous nos sujets, pour obtenir par ce moyen celle de la sainte Trinité par son intercession, et de toute la cour céleste par son autorité et exemple. Nos mains n'étant pas assez pures pour présenter nos offrandes à la pureté même, nous croyons que celles qui ont été dignes de la porter les rendront hosties agréables, et c'est chose bien raisonnable qu'ayant été médiatrice de ses bienfaits, elle le soit de nos actions de grâces.

A ces causes, nous avons déclaré et déclarons que, prenant la très-sainte et très-glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de notre royaume, nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre État, notre couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une sainte conduite, et défendre avec tant de soin ce royaume contre l'effort de tous ses ennemis, que soit qu'il souffre le fléau de la guerre, ou jouisse de la douceur de la paix que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, il ne sorte point des voies de la grâce qui conduisent à celle de la gloire. Et, afin que la postérité' ne puisse manquer à suivre nos volontés en ce sujet, pour monument et marque immortelle de la consécration présente que nous faisons, nous ferons construire de nouveau le grand autel de l'église cathédrale de Paris, avec une image de la Vierge qui tienne entre ses bras celle de son précieux fils descendu de la croix, et où nous serons représenté, aux pieds du fils et de la mère, comme leur offrant notre couronne et notre sceptre. Nous admonestons le sieur archevêque de Paris, et néanmoins lui enjoignons que tous les ans, le jour et fête de l'Assomption, il fasse faire commémoration de notre présente déclaration à la grand'messe qui se dira en son église cathédrale, et qu'après les vêpres dudit jour il soit fait une procession en ladite église, à laquelle assisteront toutes les compagnies souveraines et le corps de ville, avec pareille cérémonie que celle qui s'observe aux processions générales les plus solennelles ; ce que nous voulons aussi être fait en toutes les églises, tant paroissiales que celles des monastères de ladite ville et faubourgs, et en toutes les villes, bourgs et villages dudit diocèse de Paris. Exhortons pareillement tous les archevêques et évêques de notre royaume, et néanmoins leur enjoignons, de faire célébrer la même solennité en leurs églises épiscopales et autres églises de leurs diocèses, entendant qu'a ladite cérémonie les cours de parlement et autres compagnies souveraines, et les principaux officiers des villes v soient présents ; et, d'autant qu'il y a plusieurs églises épiscopales qui ne sont pas dédiées à la Vierge, nous exhortons lesdits archevêques et évêques, en ce cas, de lui dédier la principale chapelle desdites églises, pour y être faite ladite cérémonie, et d'y élever un autel avec un ornement convenable une action si célèbre, et d'admonester tous nos peuples d'avoir une dévotion particulière à la Vierge, d'implorer en ce jour sa protection, afin que, sous une si puissante patronne, notre royaume soit à couvert de toutes les entreprises de ses ennemis, qu'il jouisse longuement d'une bonne paix, que Dieu y soit servi et révéré si saintement, que nous et nos sujets puissions arriver heureusement à la dernière fin pour laquelle nous avons tous été créés car tel est notre plaisir.

La première procession qui se fit dans Paris en exécution de ces lettres-patentes est de la même année.

Louis XIII n'eut pas, comme Henri IV, à sacrifier ses maîtresses à l'intérêt supérieur de l'État. Mais il lui sacrifia ses favoris, parce qu'il plaçait au-dessus de tout le salut et l'honneur de la France.

Le premier en date, cependant, eut l'heureuse chance de mourir opportunément, à la veille d'une complète disgrâce, qui était déjà dans l'air, et qui aurait pu être une catastrophe. C'est le connétable Charles d'Albert, duc de Luynes, qui avait étayé son insolente fortune sur les ruines, sur les cadavres de Concini et de la Galigaï.

L'arrestation du prince de Condé fut l'occasion ou le prétexte, si ce n'est le motif, d'une entente entre tous les ennemis du maréchal marquis d'Ancre, que détestait la population parisienne. Il ne s'agissait de rien moins que de le tuer par surprise. Il logeait prés du Louvre, niais hors du Louvre.

Dans la matinée du 24 avril 1617, le maréchal marquis d'Ancre reçut cinq coups de pistolet, sur un pont tournant qui joignait un pont-levis menant à la basse cour du Louvre, dont on lui avait laissé franchir à dessein la grande porte. C'est un baron de Vitry qui avait présidé à cet assassinat, sous l'inspiration du duc de Luynes.

La maréchale marquise d'Ancre ou la Galigaï fut arrêtée, emprisonnée, jugée, condamnée et exécutée dans les premiers jours de juillet de cette année.

La reine mère reçut l'ordre de se retirer à Blois.

Charles, marquis d'Albert, fut ensuite créé duc de Luynes. Il devint connétable et fut comblé de faveurs de toutes sortes. Mais après avoir joui d'un crédit illimité auprès du roi, il allait tomber en disgrâce, parce qu'il avait trop abusé de son influence au détriment de l'intérêt public, lorsqu'une mort, presque subite, vint lui épargner cet affront et ce chagrin.

L'extrême faiblesse de Louis XIII pour le duc de Luynes avait été si grande qu'il y eut une heure où, après la mort du marquis d'Ancre, il avait non seulement écarté de son chemin l'influence affaiblie de Marie de Médicis, mais aussi balancé le crédit du cardinal de Richelieu, encore simple évêque de Luçon, qui s'était éloigné de Paris avec elle.

Marie de Médicis, très surveillée, froissée des procédés qu'on employa envers elle, se plaignit à son fils, Louis XIII, qui lui répondit la lettre suivante, écrite de sa main et datée de Paris, 21 mars 1618.

Madame, je me sens infiniment votre redevable de la souvenance que vous avez de moi, du soin qui vous prend de m'envoyer visiter pour avoir de mes nouvelles, et de la part qu'il vous plaît de me donner des vôtres.

Cela est suffisant pour me convier à vous en remercier et à me réjouir pour en avoir appris par le même moyen de la personne du monde que j'honore et je chéris le plus. Il m'est impossible de vous en témoigner la joie que j'en ressens, non plus que la véritable affection que je vous porte.

C'est tout ce que je puis vous mander pour réponse à la lettre que m'a rendue le sieur de Villiers, remettant à vous faire entendre par le sieur de Roissy ce qui est de mes intentions sur le surplus de ce qui est contenu dans celle-ci et sur plusieurs autres choses dont je désire qu'il vous éclaircisse. Ce sera au premier jour qu'il vous rendra compte de ce que dessus, et en tout temps et en toutes occasions que je vous ferai paraître que je suis, Madame, votre très humble et très obéissant fils.

Cette lettre ne fut pas expédiée à Blois, absolument comme elle avait été écrite et comme elle vient d'être donnée ; elle fut modifiée, à la dernière heure.

On voit que dans la lettre autographe conservée aux Archives nationales, on a biffé cette phrase : il m'est impossible de vous entre-marquer la joie que j'en ressens non plus que la véritable affection que je vous porte.

Enfin, on y avait remplacé ces mots : sur plusieurs autres choses dont je désire qu'il vous éclaircisse, par ceux-ci : sur ce qui se passe maintenant à ma cour.

Le premier que Louis XIII ait réellement sacrifié à son devoir de roi et à l'intérêt de l'État, c'est Henri de Talleyrand, comte de Chalais qui a payé de sa vie un acte de haute trahison. Il avait préparé une rébellion armée contre l'autorité royale. Cette conspiration à laquelle le duc d'Orléans était également mêlé, selon sa triste habitude, découverte à temps, fut déjouée avant son exécution.

Le cardinal de Richelieu était alors à Nantes avec Louis XIII. Le comte de Chalais, dénoncé par un de ses complices secondaires, fut arrêté, le 8 juillet 1626, jugé par le Parlement de Rennes, condamné sur son propre aveu et exécuté, quoiqu'il eût sollicité sa grâce qui lui fut impitoyablement refusée.

Puis ce fut le tour de Michel de Marillac, qui avait les sceaux et qui se compromit dans l'une des intrigues de cour que Marie de Médicis avait dirigées contre le cardinal de Richelieu. Il fut arrêté en 1630 et mourut dans une prison d'État.

Michel de Marillac avait un frère, Louis de Marillac, maréchal de France, qui se trouva mêlé à cette même intrigue. Il était à l'armée d'Italie lorsqu'il fut également arrêté, puis jugé, condamné et décapité.

Les deux Marillac n'étaient que des favoris de passage. II y en eut un autre qui fut plus coupable, plus haut placé à la cour de Louis XIII et dont la fin fut toute une sanglante tragédie : c'est le brillant Henri Coiffier de Ruzé, marquis de Cinq-Mars, nommé grand écuyer de France, en 1639, alors qu'il n'avait pas encore vingt ans, et qui eut un sort plus tragique. Le cardinal de Richelieu l'avait placé près du roi ; oublieux et ingrat, il aspirait à remplacer son protecteur et conspira contre lui avec le duc d'Orléans, Louis de Bourbon, second comte de Soissons, de la maison de Condé et Frédéric-Maurice de la Tour d'Auvergne, deuxième duc de Bouillon de cette famille.

Le comte Louis de Soissons avait déjà payé de sa vie toutes ses rébellions, compliquées d'intelligences criminelles avec l'étranger, surtout avec les Espagnols.. En 1641, au combat de la Marfée, quoique victorieux de l'armée royale, il périt d'une mort mystérieuse, restée inexpliquée. Il n'avait pas de postérité.

On se rappelle que le comté de Soissons était entré dans la maison de Bourbon par le mariage de Marie de Luxembourg avec François de Bourbon, comte de Vendôme. Leur fils, Charles de Bourbon, premier duc de Vendôme, en avait hérité. Il le légua à un de ses fils du nom de Jean, qui vécut sans notoriété et mourut sans enfants. C'est alors qu'il passa à Louis de Bourbon, premier prince de Condé, frère de Jean et dernier fils de Charles.

Le premier prince de Condé possédait donc de son chef, comme faisant partie de son patrimoine de famille, le comté de Soissons, qu'il laissa à son fils Charles et qui entra, à la mort de son petit-fils Louis, dans la maison de Savoie, par le mariage de sa petite-fille, Marie de Bourbon, avec François Thomas de Savoie, prince de Carignan.

On se rappelle également que Henri IV avait provoqué le mariage de Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, avec Charlotte de la Marck, héritière du duché de Bouillon et de la principauté de Sedan ; elle ne lui donna pas d'enfant, mais elle l'institua, à sa mort, par testament, héritier de ce duché et de cette principauté.  

Ce premier duc de Bouillon, prince de Sedan, épousa en secondes noces Isabelle de Nassau dont il eut deux enfants. L'aîné, Frédéric-Maurice, hérita en 1623, à la mort de son père, de ses deux titres et de son tempérament de conspirateur. Le puîné devint le célèbre maréchal de Turenne.  

Le second duc de Bouillon, prince de Sedan, dénoncé par le duc d'Orléans, qui acheta son pardon, en livrant au cardinal de Richelieu lçs noms de ses complices et les preuves de la conspiration, dite de Cinq-Mars, fut arrêté, en 1642, à Casai, à la tête d'un corps d'armée qu'il commandait en Italie. Il racheta sa liberté en cédant à Louis XIII sa ville de Sedan, que son père avait autrefois abandonnée à Henri IV, ainsi que nous l'avons dit, mais qui lui avait ensuite été rendue.  

Cette fois la cession de Sedan au domaine de la couronne fut définitive. C'est le cardinal de Mazarin, déjà entré en scène, qui en prit possession, au nom du Roi, par ordre du cardinal de Richelieu.  

Le marquis de Cinq-Mars ne s'était pas borné à nouer avec le duc d'Orléans, le comte de Soissons et le duc de Bouillon une simple intrigue de cour, un simple complot d'ambition contre le cardinal de Richelieu. Après le combat de la Marfée, où l'un de ses trois complices, comme on vient de le voir, avait perdu la vie, il s'était allié secrètement avec la cour d'Espagne, dans la pensée de la délivrer par un assassinat de l'hostilité du cardinal de Richelieu, qui était le plus redoutable ennemi de la maison d'Autriche.

Averti de cette conspiration qui constituait le marquis de Cinq-Mars en état d'intelligence avec l'étranger contre son pays, le cardinal de Richelieu le fit arrêter à Narbonne, avec son ami et complice François-Auguste de Thou. Tous deux furent enfermés .à Montpellier, puis conduits à Lyon où ils furent jugés par une commission que présidait le chancelier Séguier, condamnés et exécutés le 12 septembre 1642.

A aucun titre, le marquis de Cinq-Mars n'était intéressant. L'amitié que lui portait Louis XIII était plutôt de la faiblesse, de la bonté, comme le prouve la lettre suivante qu'il écrivit au cardinal de Richelieu pour se plaindre de ce favori qui passait auprès de la célèbre Marion de Lorme, dans les environs de la place Royale, le temps qu'il devait consacrer à son service.

Voici le texte de la lettre qui porte sa signature :

Je suis bien marri de vous importuner sur les mauvaises humeurs de M. le Grand. A son retour de Ruel, il m'a baillé le paquet que vous lui avez donné. Je l'ai ouvert et l'ai lu. Je lui ai dit : Monsieur le cardinal me mande que vous lui avez témoigné avoir grande envie de me complaire en toutes choses, et cependant vous ne le faites pas sur un chapitre de quoi je l'ai prié de vous parler, qui est sur votre paresse. — Il m'a répondu que vous lui en aviez parlé, mais que, pour ce chapitre-là, il ne pouvait se changer, et qu'il ne ferait pas mieux que ce qu'il avait fait. — Ce discours m'a fâché. Je lui ai dit qu'un homme de sa condition devait songer à se rendre digne de commander les armées, comme il m'en avait témoigné le' dessein, et que la paresse y était du tout contraire. — Il m'a répondu brusquement qu'il n'avait jamais eu cette pensée et n'y avait pas prétendu. — Je lui ai répondu que si, et n'ai pas voulu enfoncer ce discours. Vous savez bien ce qui en est. — J'ai repris ensuite le discours sur la paresse, lui disant que ce vice rendait un homme incapable de toutes bonnes choses, et qu'il n'était bon qu'à ceux du Marais où il avait été nourri, qui étaient du tout adonnés à leurs plaisirs, et que, s'il voulait continuer cette vie, il fallait qu'il y retournât. — Il m'a répondu arrogamment qu'il était tout prêt. — Je lui ai répondu : si je n'étais plus sage que vous, je sais bien ce que j'aurais à répondre là-dessus. — Ensuite de cela je lui ai dit que, m'ayant les obligations qu'il m'a, il ne devait pas me parler de la façon. — Il m'a répondu son discours ordinaire, qu'il n'avait que faire de mon bien, qu'il s'en passerait fort, et serait aussi content d'être Cinq-Mars que M. le Grand, et que, pour changer de façon et de vivre, il ne le pouvait. — Et ensuite est venu, toujours me picotant et moi lui, jusque dans la cour du château où je lui ai dit qu'étant en l'humeur où il était, il me ferait plaisir de ne me point voir. — Il m'a témoigné qu'il le ferait volontiers. Je ne l'ai pas vu depuis. Tout ce que dessus a été dit en la présence de Gordes.

Il y avait alors dix ans que le supplice du duc Henry de Montmorency, qui rappelait le supplice du duc Charles de Biron, avait profondément ému la noblesse et le peuple de France. Voici quel concours à e circonstances avait amené ce terrible et douloureux événement. Nous avons dit qu'après la double catastrophe qui avait emporté le ménage Concini, impuissante à lutter au Louvre contre l'influence grandissante du duc de Luynes, la reine Marie de Médicis avait quitté la cour et s'était retirée à Blois, en disgrâce et en exil. De 1617 à 1631, sa vie avait été très agitée et très accidentée.

Pendant cette longue période, fomentant tantôt des intrigues souterraines, tantôt des rebellions ouvertes, parfois réconciliée momentanément avec le Roi, mais fréquemment en guerre ouverte avec le cardinal de Richelieu qui, dans l'intervalle, avait été investi d'un duché-pairie, la reine Marie de Médicis n'avait pas toujours séjourné à Blois, elle avait eu successivement plusieurs autres résidences volontaires ou forcées. Enfin en 1631, reléguée ou internée à Compiègne, elle quitta la France et alla se réfugier en Flandre.

De son côté, le duc Gaston d'Orléans, qui avait perdu sa première femme, mademoiselle de Montpensier, qu'il avait épousée en 1626, et dont il n'avait qu'une fille, qui a été la grande Mademoiselle, passait sa vie à conspirer contre le Roi son frère et à se faire pardonner ses révoltes, en acceptant d'humiliantes conditions de soumission. En 1631, la fantaisie lui prit de se retirer en Lorraine, où il devint très épris de la sœur du duc régnant, en hostilité constante contre la France. Il l'épousa secrètement et alla rejoindre sa mère, en Flandre. Tous deux étaient à Bruxelles, en terre ennemie.

Bruxelles, en effet, était à ce moment là, l'une des villes les plus importantes de ce que l'on appelait les Pays-Bas espagnols, que gouvernait la veuve de l'archiduc Albert, Isabelle-Claire-Eugénie d'Autriche, dont le père, Philippe II, avait naguère voulu faire une reine de France en la mariant au jeune duc Charles de Guise.

La reine Marie de Médicis et le duc Gaston d'Orléans, qu'une déclaration de Louis XIII, enregistrée par le Parlement de Paris, venait de frapper d'indignité, organisèrent, dans leur refuge de Bruxelles, une invasion armée de la France.

Cette invasion était combinée avec des concours étrangers, ce qui la rendait plus criminelle. Ces concours étrangers, sollicités et promis, paraissent n'avoir pas répondu à l'attente du duc Gaston d'Orléans. Il n'en poursuivit pas moins son plan d'attaque. Il entra en France en armes. Sans rencontrer ni encouragement, ni appui sur sa route, il se rendit en Languedoc, où le duc Henri de Montmorency, conquis à sa cause, d'accord et de complicité avec lui, leva le drapeau de la rébellion. Mais ni la population, ni les villes, ni les campagnes, ni l'armée ne se soulevèrent à leur appel. Ils restèrent isolés, n'ayant pu réunir que de faibles forces.

Enfin l'armée royale et l'armée rebelle se rencontrèrent aux environs de Castelnaudary. Dés le commencement de l'affaire, le cheval du duc Henri de Montmorency jetait à terre, en s'abattant, son cavalier, criblé de blessures. Ce fut la fin de la bataille.

Des gardes du roi s'emparèrent du duc Henri de Montmorency, qu'ils portèrent à Castelnaudary, où il se trouvait au pouvoir du cardinal de Richelieu. On le conduisit au château de Lectoure, et le Parlement de Toulouse reçut mission de le juger. Le 30 octobre 1632, il était déclaré, d'après ses propres aveux, coupable de crimes de haute trahison et de lèse-majesté, et condamné à avoir la tête tranchée sur un échafaud dressé place de Salin.

Louis XIII fit au duc Henri de Montmorency la même grâce que Henri IV avait faite au duc Charles de Biron. L'intérieur de l'hôtel 'de ville fut substitué à la place de Salin. C'est donc dans la cour, dite la cour des Capitouls, que le bourreau remplit son lugubre office.

Comme toujours, le duc Gaston d'Orléans, qui ne devait pas tarder à quitter de nouveau la France, acheta son pardon en confessant sa faute avec une humilité plus qu'évangélique. L'histoire dit pourtant qu'il demanda très sincèrement à son frère de faire au moins grâce de la vie au duc Henri de Montmorency. Tous les hauts personnages qui se trouvaient à Toulouse sollicitèrent, les larmes aux veux, de Louis XIII, le pardon de ce chevaleresque et vaillant seigneur, qui excitait d'universelles, d'ardentes sympathies. Il resta inflexible.

Derrière Louis XIII, il y avait naturellement le cardinal de Richelieu. On avait cru qu'il n'oserait pas toucher à la plus puissante famille du royaume. On se trompait. Il jugea que plus la tête était haute, plus il était nécessaire, dans l'intérêt de l'État, qu'elle tombât, pour que cet exemple servît d'enseignement.

Ces terribles et sanglantes tragédies étaient commandées, comme la mort du duc de Biron, comme la mort du duc de Montmorency, par l'inflexible, par l'inexorable raison d'État. Il faut se reporter, pour les juger, à l'époque où elles se passèrent. Ce n'est pas seulement la royauté, c'est la France que menaçaient toutes les rébellions armées, toutes les conspirations souterraines, toutes les intrigues de cette époque où, comme le serpent, dont chaque morceau vit encore, lorsque le tronc est séparé de la tête, la féodalité s'agitait, sous des prétextes et des noms divers, avec des formes et dans des conditions nouvelles, mais était toujours la féodalité essayant de se reconstituer, souvent même avec l'aide de l'étranger.

Que serait devenue la royauté, que serait devenue la France si une main de fer ne s'était pas appesantie sur ces hauts conspirateurs, qui trouvaient des appuis jusque dans la famille royale, jusque parmi les princes du sang, d'abord jusque dans Marie de Médicis, ensuite dans Anne d'Autriche ?

Le duc Henri de Montmorency n'était pas un ami particulier, un favori privilégié de Louis XIII, qui n'avait eu qu'à laisser la justice suivre son cours à son égard comme avec tout autre prévenu, accusé de haute trahison et de rébellion à main armée. Né au château de Chantilly, il avait, comme le duc de Biron, noblement débuté dans la vie. Créé maréchal de France, pour la bravoure qu'il avait montrée dans plusieurs affaires, il voulut avoir le titre de connétable qu'avait eu son père, titre qui était devenu vacant, en 1626, par la mort du duc de Lesdiguières. Il ne l'obtint pas et c'est cette déception qui fit que, d'accord avec Marie de Médicis, surtout avec le duc d'Orléans, il leva publiquement l'étendard de la révolte dans le Languedoc.

C'était le plus grand seigneur de France dont la tête tombait sous la hache du bourreau. Avec lui mourut toute la haute seigneurie. C'est ce que voulait et devait vouloir le cardinal de Richelieu qui, en fermant son âme à la clémence, réalisait sa pensée de tout soumettre, les puissants comme les humbles, à l'autorité royale.

Le cardinal de Richelieu a lui-même expliqué dans ses mémoires cette pensée d'ordre supérieur. Voici en quels termes :

Croire que pour être fils ou frère du roi ou prince de son sang, on puisse inopinément troubler le royaume, c'est se tromper. Il est bien plus raisonnable d'assurer le royaume que d'avoir égard à leurs qualités. Les fils, frères et autres parents des rois, sont sujets aux lois comme les autres, principalement quand il est question du crime de lèse majesté.

La décapitation du duc Henri de Montmorency eut un douloureux retentissement dans la noblesse, dans le clergé, dans le peuple. Mais elle fut une leçon salutaire pour tous les grands de l'État qui avaient été si longtemps un obstacle à l'établissement de l'ordre et de l'unité dans le royaume.

En 1632, à l'heure où la tête du duc Henri de Montmorency tombait dans la cour des Capitouls, à Toulouse, sous la hache du bourreau, la situation intérieure s'était améliorée, le personnel des agitateurs s'était modifié, le nombre des rebelles avait diminué, d'anciens adversaires du pouvoir royal étaient devenus de fidèles et dévoués serviteurs du Roi.

Ainsi, dès 1616, la reine Marie de Médicis était allée chercher à La Bastille où ses cheveux avaient blanchi, le comte d'Auvergne pour en faire un chef de corps d'armée dévoué à la couronne et à la Régence.

Depuis, Charles de Valois, d'abord sous cet ancien titre de comte d'Auvergne, ensuite sous celui de duc d'Angoulême, avait vaillamment consacré, dans diverses occasions, son épée au service de Louis XIII.

En 1620, le prince de Condé, que le maréchal de Thémines avait conduit du Louvre à la Bastille avec une escorte de cinq cents chevaux, qui avait ensuite été transféré, sur sa demande, au fort de Vincennes, sortait de sa prison où le duc de Luynes allait le chercher, également avec une escorte de cinq cents chevaux, afin de l'amener au château de Chantilly, où l'attendait le Roi pour lui pardonner.

La réconciliation fut complète, sincère et durable. Sans jeter un grand éclat sur un nom que son fils aîné devait immortaliser, le troisième prince de Condé fut l'un des plus fermes appuis de la politique royale. Il devint même l'ami du cardinal de Richelieu, dont la nièce, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, devait un jour entrer dans sa famille.

Enfin, Charles de Gonzague, fréquemment mêlé, comme duc de Nevers, aux troubles qui avaient précédé, accompagné et suivi les traités de Sainte-Menehould et de Loudun, était alors le protégé de la France. Lorsqu'il devint, par des morts successives, l'héritier du duché de Mantoue, vieux fief de l'Empire, les armes de Louis XIII, après quatre années d'une résistance opiniâtre, contraignirent l'empereur régnant à lui donner l'investiture de ce duché. Ce n'était plus un agitateur du royaume, c'était un allié du roi.

A cette même date de 1632, un an après l'apparition de la Gazette de France, le premier journal qui ait paru en France, Armand-Jean du Plessis était arrivé, non pas brusquement, comme on pourrait le croire, mais progressivement, d'échelon en échelon, au plus haut sommet de la puissance ministérielle.

La reine Marie de Médicis, dont il était alors l'aumônier, avait fait entrer, en 1616, l'évêque de Luçon dans l'administration du royaume, comme secrétaire d'État pour la guerre et l'intérieur. En 1622, elle lui avait fait obtenir le chapeau de cardinal. En 1624, elle décida Louis XIII à l'admettre dans le ministère où il ne tarda pas à conquérir par son patriotisme et son génie la première place. Mais ce fut Louis XIII qui eut, en 1631, l'idée d'ériger la terre de Richelieu en duché pairie.

On voit qu'avant de devenir son irréconciliable, son intransigeante ennemie, la reine Marie de Médicis avait été sa protectrice. Du reste, il avait parfois travaillé avec succès à la réconcilier avec Louis XIII, et plus tard, le fils avait tenté, niais vainement, surtout à Compiègne, de mettre d'accord sa mère et son ministre.

La lutte du cardinal de Richelieu contre l'influence néfaste que la reine Marie de Médicis pouvait exercer sur l'esprit de Louis XIII ne provenait nullement d'un motif d'animosité personnelle. Il ne la combattit, après lui avoir été attaché, que parce qu'elle avait une politique autrichienne absolument contraire à sa politique française.

Il y eut cependant une heure où Marie de Médicis, alors en réconciliation avec Louis XIII et en mésintelligence avec le cardinal de Richelieu, ministre absolu sur le terrain ministériel enfin balayé de toutes les compétitions et de toutes les influences parasites qui l'avaient longtemps obstrué, crut ressaisir son entier empire. Ce fut du 9 au 11 novembre 1630.

L'ancienne Régente avait reçu, le 9, à titre de Reine-mère, devant Louis XIII, une visite courtoise du cardinal de Richelieu, qu'elle avait accablé d'injures. Le lendemain 10, elle fit signer à son fils une dépêche qui était en contradiction avec les volontés, en opposition avec les idées du premier ministre. Celui-ci était sérieusement inquiet. On annonçait sa chute.

Les antichambres du palais du Luxembourg, alors résidence de la Reine mère, étaient encombrées de courtisans.

La reine Anne d'Autriche, elle-même, entrait dans les vues et les espérances de Marie de Médicis. Louis XIII, pour leur échapper, s'était rendu à son pavillon de chasse de Versailles, qui est encore debout et qui est attenant au palais de Louis XIV. C'est là que le cardinal de Richelieu, qu'on croyait parti pour le Havre, alla retrouver, dans la soirée, son souverain dont il reconquit facilement toute la confiance.

Le lendemain de cette journée qu'on appelle dans l'histoire la journée des Dupes, Marie de Médicis au palais du Luxembourg et Anne d'Autriche au palais du Louvre apprirent avec stupéfaction que le cardinal de Richelieu était plus maître qu'il ne l'avait encore été de la direction supérieure des affaires de l'État. Toute la cour dut plier sous son influence. Mais aussi tous, grands et petits, durent plier sous l'autorité du roi. Ce but, il ne cessa de le poursuivre et c'est pour l'atteindre qu'il lui fallut, à diverses reprises, frapper les têtes les plus hautes.

Une question de politique intérieure, greffée sur une question de guerre religieuse, venait d'être terminée par la prise de la Rochelle dont le cardinal de Richelieu avait lui-même dirigé le siège, et qui avait été forcée de se rendre après quatorze mois d'une résistance désespérée.

La Rochelle était la véritable place de guerre. des protestants. C'était comme la capitale officielle et fortifiée de leur gouvernement ou de leur parti. C'était leur droit, c'était leur devoir d'exiger des sûretés, des garanties pour le libre exercice de leur culte et de maintenir la liberté de conscience dans toute sa plénitude. Mais ils avaient conservé des anciennes guerres civiles, semi-politiques, serai-religieuses, du temps des derniers Valois, qui s'étaient prolongées sous le règne de Henri IV, une attitude militante, inadmissible sous Louis XIII.

Le cardinal de Richelieu ne songeait nullement à opprimer les protestants dans leur foi religieuse. Mais il n'admettait pas qu'ils restassent organisés comme un état dans l'État, il n'admettait pas qu'ils continuassent à être un parti politique, s'alliant contre l'autorité royale, avec les princes du sang et les grands du royaume, qui, sous prétexte de religion, se servaient d'eux dans leur rébellion, et s'en faisaient des instruments d'ambition, en ayant l'air de les aider, de les seconder.

Le siège de la Rochelle avait donc été le dénouement forcé d'allées et de venues des protestants, des démarches qu'ils avaient faites, des mouvements qu'ils s'étaient donnés, des réunions qu'ils avaient tenues, en un mot, de leurs agitations souvent combinées d'abord avec celles du prince de Condé, puis avec celles du duc d'Orléans, et des autres puissants personnages de la cour et du royaume, que l'on voyait constamment mêlés à toutes les résistances du temps contre l'autorité royale, la seule légitime, la seule qui fût la protectrice intelligente des progrès, la base solide de la stabilité, la source enfin durable de la prospérité intérieure et de la grandeur extérieure de la France.

Les défenseurs protestants de la Rochelle, qui avaient refusé à Louis XIII l'entrée de la ville, avaient aggravé leurs torts en réclamant l'appui du roi d'Angleterre, Charles Ier, marié à la princesse Henriette de Bourbon, sœur du roi de France, la troisième fille de Henri IV et de Marie de Médicis.

C'est Jacques Ier qui avait demandé pour son fils Charles, alors prince de Galles, la main de la princesse Henriette de Bourbon.

Le cardinal de Richelieu en négociant, dès 1624, ce mariage, accompli en 1625, avait stipulé expressément que la princesse Henriette de Bourbon serait entièrement libre de pratiquer le culte catholique à la cour que Henri VIII avait convertie au protestantisme. Il avait eu également une pensée politique, celle de resserrer des liens d'amitié alors un peu relâchés entre les deux cours de France et d'Angleterre. Cet espoir fut déçu.

Charles Ier accorda aux protestants de la Rochelle l'appui qu'ils lui avaient demandé, et il le leur accorda sur le conseil du duc de Buckingham qui avait eu pourtant la mission de conduire la princesse Henriette de Bourbon à Londres et qui maintenant amenait une flotte de secours à ces rebelles entêtés pour les soutenir contre Louis XIII, leur roi et frère de sa souveraine. Il échoua d'ailleurs dans cette expédition qui ne dépassa pas l'île de Rhé, et qui ne précéda que de quelques mois sa fin tragique.

Après un siège de quatorze mois, la ville révoltée de la Rochelle, obligée de se rendre, réclama l'indulgence de Louis XIII dans une requête conçue dans les termes suivants :

Les habitants de La Rochelle reconnaissant l'extrême faute qu'ils avaient commise, non seulement en résistant aux justes volontés du Roi et en refusant de lui ouvrir leur ville, niais encore en adhérant aux étrangers qui avaient pris les armes contre l'État, le suppliant avec toute humilité de leur pardonner ce crime et de recevoir pour satisfaction, l'obéissance présente qu'ils désiraient lui rendre, lui ouvrant les portes de leur ville qu'ils remettraient dès à présent entre ses mains, pour en disposer ainsi qu'il lui plairait et leur prescrire telle façon de vivre, qu'il jugerait à propos pour l'avenir, sans autres conditions que celles qu'ils espéraient de sa bonté.

Cette requête des Rochelais fut accueillie avec les clauses suivantes :

Ayant égard à leur repentance, le Roi leur promettait le pardon de leur faute et l'exercice de leur religion dans l'intérieur de leur ville ; la restitution de tous leurs biens saisis et confisqués, sauf les fruits perçus sans fraude ; même grâce pour les gens de guerre, sujets du royaume mais étrangers à la ville, qui s'y trouvaient renfermés, lesquels en sortiraient, savoir les officiers et gentilshommes l'épée au côté, et les soldats un bâton blanc à la main ; amnistie pour toutes hostilités et négociations, sous la réserve des cas exécrables exceptés par les édits, aussi bien que pour toutes fontes de canon, fabrication de monnaies, saisies de deniers, levée de contributions et contraintes ; décharge de tous jugements rendus contre eux à l'occasion de leur rébellion, comme de tous recours à raison de ceux qu'ils auraient obtenus de leurs juridictions.

Louis XIII fit une entrée solennelle dans la ville de La Rochelle au milieu des démonstrations de joie de la population, qui avait plutôt l'air d'être délivrée que conquise. Le maire, qui se nommait Guitton, reçut du cardinal de Richelieu, l'autorisation de se retirer à Londres auprès du roi d'Angleterre. Il lui fit, d'après une chronique du temps, cette belle réponse : J'aime mieux être sujet du roi, qui a pris La Rochelle, que de celui qui n'a pas su la sauver.

La prise de La Rochelle n'abattit pas tout à fait le parti protestant, comme parti politique. Le duc de Rohan persista dans son attitude militante. Il y eut des soulèvements, des rebellions dans quelques contrées du Midi où un édit avait ordonné de démanteler toutes les fortifications des places de guerre inutiles à la sécurité intérieure du royaume.

La ville de Montauban se soumit la dernière à cet édit ; elle dut céder à la force. Elle fut occupée militairement par l'armée royale, et le cardinal de Richelieu, qui n'y séjourna que quelques heures, fit commencer sous ses veux son démantèlement.

C'était la fin du parti de la Réforme. Il ne lui restait même plus une ombre de puissance. Son chef, le duc de Rohan, découragé, alla guerroyer en Italie, où vivait déjà, depuis 1622, dans la retraite et l'oubli, le duc Charles de Guise, sorti des agitations de la politique et qui devait mourir en 1640, hors de France, volontairement expatrié.

Louis XIII était ici complètement d'accord, de sentiment et de volonté, avec le cardinal de Richelieu. Il voulait aussi ardemment que son ministre la fin du parti politique dit de la Réforme. Il l'avait prouvé, dès 1620, dans le Béarn où, de son propre mouvement et de sa seule initiative, il avait entièrement rétabli, par son énergie, l'exercice du culte catholique et remis le clergé de cette province en possession des églises que Jeanne d'Albret lui avait enlevées et des biens ecclésiastiques ainsi que des situations officielles dont elle l'avait dépouillé.

Louis XIII fut obligé d'employer la force des armes pour contraindre les États du Béarn à laisser se reconstituer l'ancien ordre de choses. Il dut même entrer dans la ville de Pau en vainqueur autant qu'en souverain.

C'est dans cette ville que le fils de Henri IV, que le père de Louis XIV déclara le Béarn définitivement réuni à la couronne de France. Aussi, bien que cette déclaration ne fût plus, en réalité, qu'une formalité qui comprenait aussi la Navarre, elle eut du moins ce caractère d'être la consécration d'une victoire du catholicisme dont le mérite revenait tout entier au Roi.

Entre la prise de la Rochelle et la reddition de Montauban, Louis XIII avait fait dans la Haute Italie une heureuse et rapide expédition militaire, dans laquelle il avait réussi à régler un différend survenu entre le nouveau duc de Mantoue, Charles de Gonzague, et le duc de Savoie, Charles Emmanuel Ier, dont le fils, son héritier présomptif, avait épousé, on le sait, la princesse Christine de Bourbon.

La branche directe de la maison de Gonzague s'étant éteinte, la possession de son duché de Mantoue, qui comprenait tout le Montferrat, dont relevait la ville de Casai, était l'objet d'un litige entre les deux branches collatérales, celle de Guastalla et celle de Nevers.

On sait déjà que la branche de Nevers était la protégée de la France, peut—être parce que la branche de Guastalla était la protégée de l'Allemagne.

Le duc de Savoie était intervenu dans cette querelle dans un but d'ambition personnelle. Il s'était allié à l'Espagne, contre Charles de Gonzague et prétendait que le Montferrat lui revenait du chef de sa femme.

L'honneur et l'intérêt de la France, qui voulait avoir. une porte ouverte sur l'Italie, étaient intéressés dans la question. C'est ce qui explique cette expédition militaire de Louis XIII, dont les deux traités de Suze, l'un avec le duc de Savoie, l'autre avec le roi d'Angleterre, avaient été le couronnement.

Le traité signé à Suze, le 24 avril i629, avec le roi d'Angleterre, après d'habiles et secrètes négociations du cardinal de Richelieu, était un traité de paix et de réconciliation entre Louis XIII et Charles Ier.

Arrêté en 1626 pour crime de rébellion, forcé d'abandonner son gouvernement de Bretagne, remis en liberté vers 1630, le duc de Vendôme s'était établi en Hollande où il cessait d'être dangereux.

La véritable instigatrice de la conspiration du comte de Chalais, l'ancienne duchesse de Luynes, devenue la duchesse de Chevreuse, et par conséquent alliée par son second mari à la famille des Guise, était à Londres où elle continuait de loin ses intrigues, mais où elle n'était plus redoutable.

On vient de voir que le duc de Rohan avait renoncé à la lutte, moitié politique, moitié religieuse, qu'il avait longtemps soutenue, comme chef du parti protestant. Il était à Venise, en accord plus qu'en désaccord avec le cardinal de Richelieu ; son frère, le duc de Soubise, avait cherché à Londres un asile où il pouvait conserver son indépendance, mais où il était sans force et sans autorité.

Pendant quelques années, le duc d'Orléans, le comte de Soissons et le duc de Bouillon restèrent les seuls artisans actifs et élevés, mais impuissants, de trouble et d'agitation qui pouvaient encore se jeter, quoique sans succès, à travers la marche vigoureuse et patriotique du gouvernement de Louis XIII.

Le cardinal de Richelieu, surtout après la fameuse journée des Dupes, était donc devenu tout à fait libre d'action, d'esprit et de mouvement dans le domaine élevé des questions extérieures.

Ici la scène change. Ce ne sont plus de stériles menées intérieures, sans grandeur, ce sont des négociations diplomatiques et des opérations militaires qui ont pour but de placer à la tête de l'Europe chrétienne la dynastie des Bourbons, en faisant descendre, de ce faîte, la maison d'Autriche. C'est un magnifique tableau à peindre à grands traits, tableau qui a pour encadrement l'extension du domaine de la couronne, le relèvement des arts, des sciences et des lettres, et l'embellissement de Paris. C'est, du reste, dans le cours de cette nouvelle période du règne de Louis XIII, qu'après plus de vingt ans de stérilité, Anne d'Autriche le rendit deux fois père, en 1638, de celui qui fut Louis XIV, en 1640, de celui qui fut la tige de la branche d'Orléans.

Cette double naissance, c'était la couronne de France assurée pour un long avenir à la descendance masculine de Henri IV et la ruine des secrètes espérances du duc Gaston d'Orléans, qui aurait hérité de cette couronne, si Louis XIII n'avait pas eu de fils.

Du reste, ce prince turbulent, marié deux fois, comme on l'a vu, ne devait laisser de ces deux unions que des filles.

Si nous voulions suivre pas à pas la vie du duc Gaston d'Orléans, nous remplirions cent pages sans intérêt des agitations sans but et sans résultat, qui furent son occupation favorite, aliment nécessaire sans doute d'un esprit inquiet et mobile.

Le début sérieux du cardinal de Richelieu dans le domaine des questions extérieures a été le règlement de celle de la Valteline, qui durait depuis plusieurs années sans solution. C'est une vallée de l'Italie, située aux environs du lac du Côme, qui séparait les possessions espagnoles du Milanais, des positions espagnoles du Tyrol. La cour de Madrid, n'osant s'en emparer, en avait confié la garde au Pape, sous prétexte d'en soustraire les habitants, qui étaient catholiques, au joug des Grisons qui étaient protestants et dont ils dépendaient.

Plus tard des forteresses occupées par des garnisons espagnoles avaient été élevées dans la Valteline.

Le cardinal de Richelieu y envoya le marquis de Cœuvres, qui s'en empara, fit raser ces forteresses et rendit la Valteline aux Grisons, peuplade du massif des Alpes helvétiques.

Anne d'Autriche était intervenue personnellement dans l'affaire de la Valteline. Le 11 février 1625, elle avait écrit la lettre autographe qui suit, en espagnol au premier ministre de Philippe IV son frère, don Gaspar de Guzman, comte d'Olivarès, duc de San Lucar de Barrameda. Cette lettre autographe lui était inspirée par le désir qu'elle avait de maintenir des relations amicales entre les cours de France et d'Espagne, qui étaient à la veille d'une rupture.

Comte, j'ai tardé de répondre à votre lettre pour pouvoir vous dire avec certitude quelque chose au sujet de ce que vous me dites des déplaisirs que vous causent les désaccords qui paraissent prendre consistance entre les deux couronnes. A ce sujet, je puis vous assurer que le Roi ne projette rien autre chose que ce à quoi il est forcé et obligé pour le maintien de sa réputation.

En cette considération faites ce qui vous paraîtra possible et puisque l'affaire de la Valteline est la principale pierre d'achoppement et de scandale, je puis vous assurer que si de ce côté il se présente quelque aventure et par ainsi que 'je vous prie aussi affectueusement que possible, vous employez les moyens de douceur et de modération pour conserver l'amitié et bons rapports réciproques nécessaires aux deux États, vous trouverez toujours l'esprit du Roi et de ses ministres dans les mêmes bonnes dispositions, et d'où résulteront, je vous le promets, des effets avantageux pour le bien commun de la chrétienté, la satisfaction des deux rois, le repos et la quiétude de leurs sujets.

Il m'est en outre impossible de vous cacher que l'on se plaint ici que les courtoisies et respects qui ont exercé ici votre patience n'ont servi qu'à donner ou entretenir l'occasion d'insinuer de nouveaux bruits dont l'exagération a forcé le Roi à prendre les résolutions qu'il a.jugées nécessaires au bien de ses affaires, et il parait que le Roi mon frère ainsi que ses ministres ont fait preuve de peu de mémoire ou de bonne volonté pour conserver entre les deux rois l'amitié et les bons rapports que le Roi mon père, que Dieu garde, par son testament et sa dernière volonté, avait, pour de justes considérations, étroitement recommandé de conserver. Tel est aussi mon désir et j'espère que par votre moyen et grâce à votre zèle, toutes choses s'arrangeront à l'entière satisfaction du Roi et de mon frère. Vous direz à Sa Majesté tout ce que je vous dis. Tâchez de connaître sa volonté à ce sujet pour accomplir ce que je disais tout à l'heure de la Valteline.

Dieu vous garde comme je le désire.

A Paris, ce 11 de février 1625.

Dans le cours de sa brillante campagne dans la haute Italie, Louis XIII avait séjourné six semaines à Suze, ville importante alors par sa position géographique, parce qu'elle est située au débouché des routes du mont Cenis et du mont Genèvre. Là, on l'a vu plus haut, il ne se borna pas à signer avec le duc de Savoie un traité que cet allié de vocation de la cour d'Espagne ne devait pas tarder à rompre. Il en conclut un plus important avec l'Angleterre, que d'autres États, ennemis de la maison d'Autriche, s'efforçaient de réconcilier avec la France dont elle s'était récemment séparée.

C'était le commencement de la résurrection du grand dessein de Henri IV, trop longtemps abandonné. Le cardinal de Richelieu avait indiqué récemment à Louis XIII le programme analogue de sa politique extérieure. Arrêter les progrès de l'Espagne, s'ouvrir des portes pour entrer dans les États voisins ; fermer ses frontières ; se rendre puissant sur mer ; s'étendre, s'il était possible, jusqu'à Strasbourg, pour avoir pied dans l'Allemagne : faire une citadelle à Verso. y ou Versoix, sur le lac Léman ou lac de Genève ; tâcher d'acquérir Neufchâtel pour tenir la Suisse sous la main ; enfin s'assurer une ouverture en Italie par le marquisat de Saluces, cédé au duc de Savoie par Henri IV, à titre d'échange et de compensation : tel était ce programme, œuvre d'une haute intelligence et d'un cœur patriotique, conception d'un véritable homme d'État.

En 1631, le cadre des évènements extérieurs allait, en se déplaçant, s'élargir et s'étendre. Mais auparavant une seconde et nouvelle expédition allait appeler les armes de Louis XIII dans la haute Italie qu'on dirait née pour être un éternel champ de bataille entre la France et l'Espagne.

L'empereur d'Allemagne avait fait envahir le pays des Grisons. Le roi d'Espagne avait fait envahir le duché de Mantoue. Le duc de Savoie, violant le traité de Suze, était aussi entré dans le Montferrat.

Le 9 décembre 1629, le cardinal de Richelieu alla se mettre en personne à la tête d'une armée de quarante mille hommes, ayant sous ses ordres trois maréchaux de France, Schomberg, la Force et Créquy. C'était un vrai généralissime. Il avait reçu de Louis XIII la qualification de lieutenant-général représentant la personne du Roi, pour tous les faits de la guerre, avec pleins pouvoirs pour traiter de paix, de trêve ou d'alliance avec tous rois, princes ou républiques. Cette expédition militaire fut de longue durée, elle fut même traversée par une grave inquiétude sur la santé de Louis XIII qui tomba sérieusement malade à Lyon où il s'était rendu, à diverses reprises, pendant des entractes du drame qui continuait à se jouer sur le théâtre de la guerre.

Cette inquiétude fut heureusement et promptement dissipée. Après quelques jours de souffrance, de la fin de septembre au commencement d'octobre 1630, Louis XIII quitta Lyon, et rentra dans Paris. Le succès de ses armes couronna heureusement une entreprise qui blessait en même temps dans leur intérêt et dans leur orgueil l'empereur d'Allemagne et le roi d'Espagne.

Des traités solennels, préparés à la diète de Ratisbonne, modifiés en Italie, furent conclus qui comprenaient la France, l'empereur d'Allemagne, à raison de ses droits d'investiture du duché de Mantoue, le roi d'Espagne et le duc de Savoie. Un incident curieux des négociations qui les précédèrent, c'est que les premières propositions d'arrangement que firent les généraux ennemis et alliés furent apportées au cardinal de Richelieu par son futur successeur et continuateur dans le poste de ministre dirigeant, par Jules Mazarin, alors Giulio Mazarini, qui était attaché à la cour de Rome.

Ces traités furent exécutés à leur jour et à leur heure. Charles de Gonzague fut remis, comme nous l'avons dit, en pleine possession de ses États dont il avait dû s'éloigner. La ville de Casai que les Espagnols avaient occupée, lui rouvrit ses portes, et Victor-Amédée Ier qui, de prince de Piémont, était devenu duc de Savoie, par la mort de son père, Charles-Emmanuel Ier, survenue dans l'intervalle, laissa aux mains de la France la place de Pignerol que le cardinal de. Richelieu avait exigée à titre de garantie.

La maladie de Louis XIII l'avait empêché d'aller combattre dans le Piémont. Mais il avait vaillamment guerroyé dans la Savoie.

C'est immédiatement après le retour du cardinal de Richelieu à Paris que survint la journée des Dupes, dont il a été parlé plus haut et qui précéda et amena l'épisode des deux Marillac. Il y eut encore, on le sait, après cette journée, qui tourna à la confusion des ennemis de ce grand ministre, bien des intrigues de cour et des complots d'assassinat, contre son pouvoir, contre sa vie, et aussi bien des rébellions contre les droits de la royauté, bien des conspirations contre la sûreté de l'État, enfin bien des crimes de haute trahison. On connaît déjà les noms des principaux personnages qui y furent mêlés.

Il n'y a pas à revenir sur tous ces faits dont nous avons groupé le tableau, uniformes dans le but et dans le dénouement et dont le récit détaillé serait aussi fastidieux que monotone. Il n'y a à retracer dans leur ensemble que les actes de politique extérieure, diplomatiques ou militaires, qui allaient terminer la glorieuse carrière ministérielle du cardinal de Richelieu.

Ces actes et ces négociations allaient sortir de l'étroite limite où le cardinal de Richelieu avait dû jusqu'ici se renfermer par prudence. L'empereur d'Allemagne, Ferdinand II, petit-fils du frère de Charles-Quint, était arrivé à l'apogée de sa fortune. Son joug pesait lourdement sur les catholiques aussi bien que sur les protestants. Tous ses adversaires avaient dû céder à la puissance de ses armes. Un seul était debout, le roi de Suède, Gustave-Adolphe, dont voici le portrait peint par la plume du cardinal de Richelieu au moment où il entrait en scène.

Nous citons :

Ce prince est un nouveau soleil levant qui, ayant eu guerre avec tous ses voisins, avait emporté sur eux plusieurs provinces ; il est jeune, mais de peu de réputation ; il s'est accru de plusieurs conquêtes faites sur les Moscovites, les Polonais et les Danois, et se montre déjà offensé contre l'empereur, non pour injures réelles qu'il ait reçues de lui, que parce que les États de la maison d'Autriche, mieux que les siens, lui offraient de quoi se contenter.

Le cardinal de Richelieu savait que la France n'était pas encore en état de lutter contre la maison d'Autriche avec de grands généraux et de fortes armées comme Louis XIV put le faire, sous son glorieux, grand et long règne ; aussi eut-il l'habileté de commencer ce grand duel, qui allait remplir l'Europe de bruit et de mouvement, pendant un demi-siècle, par de secrètes négociations dont le but était de grouper clandestinement d'abord, ouvertement ensuite, un solide faisceau d'alliances.

Le Danemark, que sa situation devait rendre prudent, puisqu'il avait été vaincu dans une guerre prématurée contre l'empereur d'Allemagne, ne pouvait être un allié utile. L'Angleterre, que des troubles intérieurs condamnaient à l'impuissance, ne pouvait pas davantage offrir à la France un concours efficace.

Ce fut la Suède que le cardinal de Richelieu fit réconcilier avec la Pologne par de secrètes influences diplomatiques, afin de lui rendre sa complète liberté d'action, contre l'empereur d'Allemagne, qui fut le premier point d'appui de la dynastie des Bourbons contre la maison d'Autriche.

Le système du cardinal de Richelieu consistait surtout alors à susciter à la maison d'Autriche, en Italie, dans ses possessions allemandes, sur le Rhin, des ennemis acharnés et puissants, et à entretenir une situation belliqueuse entre tous les acteurs de ce que l'on appelle la guerre de Trente ans, longue guerre qui ne devait se terminer qu'en 1648, après la mort du cardinal de Richelieu et de Louis XIII, par le célèbre traité de Westphalie, qu'ils avaient, pour ainsi dire, préparé en commun et qui devait se faire au grand avantage de la France et à la gloire de la dynastie des Bourbons.

Cette œuvre d'une si haute portée ne pouvait être l'œuvre d'un jour, et la guerre de Trente ans, par sa durée même, devait être entremêlée de revers et de succès alternatifs pour la maison d'Autriche et pour le royaume de France. Cette guerre qui a rempli l'Europe du bruit des armes pendant une période historiquement remarquable, devait être également incidentée de faits importants plus personnels que généraux.

Ainsi Gustave-Adolphe avait été tué, en 1631, sur le champ de bataille de Lutzen, où il avait pour adversaire le plus illustre des généraux de l'armée impériale, Albert Wenceslas, comte de Wallenstein, duc de Mecklembourg, de Friedland et de Sagan.

Cependant l'armée suédoise resta maîtresse du champ de bataille de Lutzen et Wallenstein fut obligé de battre en retraite, échec qui précéda seulement de deux années sa disgrâce, couronnée par un assassinat, que l'empereur d'Allemagne avait autorisé.

La mort glorieuse du roi de Suède et la fin tragique du comte de Wallenstein n'arrêtèrent pas les hostilités. La guerre de Trente ans était loin d'être terminée par ces deux graves événements.

La Suède continua sa lutte contre la maison d'Autriche. Elle devint le centre d'une coalition armée, qui eut bientôt l'argent avoué de la France, coalition à laquelle accédèrent à leur tour, dans une assemblée qu'ils tinrent à Heilbronn, la grande majorité des princes et des États des anciens quatre grands cercles impériaux, devenus, d'après une division datant du commencement du XVIe siècle, les dix principaux cercles de l'Allemagne.

Un ambassadeur de France parla dans cette assemblée au nom de Louis XIII. C'était la preuve incontestable de la force qu'avait acquise, du prestige 'qu'avait conquis en Europe, dès cette époque, la dynastie des Bourbons.

Enfin, on pouvait compter dans les rangs de la coalition hostile à la maison d'Autriche, toujours de cœur, souvent d'action, la Hollande dont les États généraux avaient, le 12 août 1632, appelé la nation entière aux armes.

Le nom de Hollande était le nom définitif des sept Provinces-Unies, constituées en confédération d'États depuis 1579, sous le gouvernement d'un stathouder, sorte de président de république fédérative, qui était alors Frédéric Henri de Nassau, prince d'Orange, aïeul du futur roi d'Angleterre, Guillaume III.

La Hollande n'avait que l'ombre de l'indépendance, puisqu'elle était encore sous la domination de la branche espagnole de la maison d'Autriche. Elle en voulait la réalité. Elle ne devait l'obtenir qu'en 1648, par la protection de la France dont elle était, dans cette situation expectante, l'alliée naturelle et permanente.

Louis XIII n'était pas, dans toute l'acception du terme, ce que l'on appelle un foudre de guerre, mais il était d'une bravoure qui en faisait le digne fils de Henri IV. On avait déjà vu son calme, sa franche résolution, son intrépidité au siège de la Rochelle, dans l'expédition de Suze et en Savoie. Il donna de son courage de nouvelles preuves dans deux graves circonstances.

La France avait d'interminables démêlés avec le duc Charles de Lorraine, d'un caractère assez semblable à celui de son beau-frère, le duc Gaston d'Orléans. Comme lui il ne se révoltait que pour se soumettre, et il ne se soumettait que pour se révolter. Las de ses tergiversations, Louis XIII fit personnellement diverses expéditions dans ses États et après des essais de réconciliation qui n'avaient amené que de nouveaux actes d'hostilité, il se décida à occuper Nancy avec les deux duchés de Bar et de Lorraine.

Les deux duchés de Bar et de Lorraine ne devaient être définitivement réunis au domaine de la couronne que sous Louis XV par son mariage avec Marie Leckzinska, qui en était héritière à cette époque.

Sous le règne de Louis XIII, il y avait des ducs de Bar et de Lorraine qui relevaient du roi de France pour le duché de Bar, et de l'empereur d'Allemagne pour la Lorraine, et qui descendaient des anciens ducs d'Alsace.

La France devait conserver les duchés de Bar et de Lorraine avec Nancy capitale des États du duc Charles de Lorraine, que Louis XIII avait occupés, jusqu'au traité de paix de Ryswick, qui les rendit momentanément aux descendants des anciens ducs d'Alsace.

Nous avons déjà dit que dans toute guerre de longue durée, il y a des alternatives de revers et de succès. Dans celle que la France soutenait contre la maison d'Autriche, elle eut le déplaisir d'éprouver une défaite sur son propre territoire. Des troupes espagnoles pénétrèrent en Picardie et s'emparèrent de la place de Corbie.

La prise de Corbie surprit Paris, alarma le gouvernement, répandit l'inquiétude dans tous les cœurs, excepté dans celui de Louis XIII, qui chassa presque immédiatement les troupes espagnoles de cette place de guerre où elles avaient pénétré par la négligence de son commandant.

Louis XIII eut également, vers la fin de son règne, une vaillante, une fière attitude au siège de Perpignan où l'on vit bien que le sang de Henri IV coulait dans ses veines, siège qui devait donner pour toujours le Roussillon à la France et qui fut l'un des plus brillants et des plus heureux épisodes de la grande épopée militaire de l'époque, épopée dont le dénouement était encore éloigné, que le cardinal de Richelieu ne devait pas voir, que Louis XIII ne devait qu'entrevoir, mais que tous deux ont beaucoup aidé à amener, le premier par sa haute intelligence, le second par sa valeur personnelle.

La lutte était heureusement conduite, habilement engagée, sur plusieurs points, contre la maison d'Autriche, par le cardinal de Richelieu ; la situation intérieure et extérieure de la France était florissante. C'était l'opinion générale.

L'heure était favorable pour retracer le tableau de cette situation à une haute assemblée. Le Parlement de Paris fut convoqué en séance royale. Le roi vint y tenir son lit de justice, le 18 janvier 1634. Il avait quitté pour se rendre à Paris le château de Saint-Germain, devenu sa demeure habituelle et favorite.

Le cardinal de Richelieu montra les factions dissipées, l'État affermi contre l'étranger, les alliés protégés et secourus, les Alpes traversées, Pignerol conquis, Nancy occupé. Ce tableau incomplet était exact, il était vrai.

Pendant cette réunion du Parlement de Paris, dont Louis XIII restreignit bientôt les attributions politiques, le mariage clandestin du duc Gaston d'Orléans avec la princesse Marguerite de Lorraine fut déclaré nul, sur l'injonction de Louis XIII.

Cette déclaration, qui resta sans effet et sur laquelle Louis XIII revint plus tard, alla trouver le duc Gaston d'Orléans à Bruxelles, où il s'était retiré, avait alors un motif que la naissance de Louis XIV, en 1638, fit bientôt disparaître.

En 1634, le duc Gaston d'Orléans était l'héritier présomptif de la couronne. Son mariage avec la sœur d'un ennemi de la France avait de graves inconvénients. En 1638, cette question perdit beaucoup de son importance.

Des faits moins heureux ou d'un tout autre ordre d'idées ou simplement curieux appartiennent à cette longue période. En même temps que Laffemas, d'Argenson, Machault, parcouraient les provinces surtout pour veiller à la démolition des forteresses condamnées à être rasées, on instruisait à Loudun le procès du célèbre Urbain Grandier. On l'instruisait sous le contrôle de Laubardemont, conseiller d'Etat et intendant de justice, dont l'histoire a gardé le nom.

Urbain Grandier fut accusé du crime de magie, maléfice et possession, condamné au bûcher le 18 août 1633. La sentence fut exécutée le jour même. Il est à supposer que ce crime imaginaire cachait un fait coupable qui ne devait pas être révélé.

En 1634, Axel Oxenstierna, le Richelieu de la Suède, vint à Paris pour y fortifier l'alliance de son pays avec la France contre la maison d'Autriche. Le savant Hugues ou Hugo de Groot (Grotius) l'accompagna dans ce voyage, et lui servit d'interprète dans une entrevue qu'il eut avec Louis XIII même.

Enfin, le personnage que l'on appelle encore le Père Joseph mourut le 16 décembre 1638, dans la maison que le cardinal de Richelieu, dont il fut l'ami et le confident, possédait à Rueil, dans les environs de Saint-Germain. Il joua un rôle très actif dans les affaires de l'État, et il le joua sans caractère officiel, en agent secret, plutôt qu'en agent avoué.

C'était du moins un collaborateur très intelligent, très dévoué et très utile que perdait le cardinal de Richelieu qui ne devait pas longtemps lui survivre. De son vrai nom de famille, il s'appelait François Leclerc du Tremblay, et descendait d'une ancienne famille. C'est son humble costume de religieux qui le fit surnommer le Père Joseph.

Un fait considérable d'une haute portée pour le gouvernement intérieur de la France, qui eut une action directe sur le règne de Louis XIV, en lui aplanissant les chemins où il devait marcher en maître, c'est la déclaration royale de 1641 qui fixait l'autorité du parlement de Paris. En voici le préambule :

Il n'y a rien, disait-elle, qui conserve et qui maintienne davantage les empires que la puissance du souverain également reconnue par tous les sujets. Mais, comme cette puissance porte les États au plus haut point de leur gloire, aussi, lorsqu'elle se trouve affaiblie, on les voit en peu de temps déchoir de leur dignité. Ainsi était-il arrivé en France pendant les désordres de la Ligue, qui doivent être ensevelis dans un éternel oubli, où le mépris de l'autorité royale, ébranlée par les entreprises injustes de ceux qui devaient la révérer, avait failli faire passer le sceptre aux mains d'un usurpateur. Henri le Grand lui avait rendu son éclat ; mais après sa mort, et dans le bas âge du roi, elle avait reçu de dangereuses atteintes. Le parlement, quoique porté d'un bon mouvement, entreprit d'abord, par une action qui n'a pas d'exemple et qui blesse les lois fondamentales de la monarchie, d'ordonner du gouvernement du royaume et de la personne du roi. Depuis cette première infraction, que les circonstances du temps obligèrent de dissimuler, cette compagnie se crut autorisée à conserver l'administration de l'État et à demander compte du maniement des affaires publiques. Ensuite les factions s'étaient formées, et elles n'avaient été dissipées que depuis que l'autorité royale avait repris cette force et cette majesté qui conviennent à un État monarchique, °il il ne saurait être permis de mettre la main au sceptre du souverain. C'était cette heureuse réintégration du royaume, par l'affermissement du pouvoir, qu'il fallait désormais consolider, afin d'assurer un règne prospère à la lignée dont Dieu avait honoré la couche du roi. Pour cela il importait de régler tous les ordres de l'État dans leurs fonctions, de manière à ce qu'ils agissent dans une parfaite dépendance de la puissance souveraine : et l'administration de la justice en étant la première partie, c'était par le parlement qu'on devait commencer, en déterminant l'usage légitime de l'autorité que les rois de France lui avaient déposée.

C'était la constitution du pouvoir royal dans ses rapports avec le pouvoir parlementaire.

L'expédition du Roussillon et la prise de Perpignan par Louis XIII, qui suivirent de prés cette déclaration royale, furent précédées de graves événements. De grandes difficultés assaillirent la maison d'Autriche en Espagne. Elle régnait sur le Portugal, elle commandait dans la Catalogne.

En 1640 et 1641 la Catalogne se souleva, réclama la protection de la France, voulut se séparer de ce que les Catalans appelaient toujours la couronne de Castille. Cette tentative n'eut qu'un succès momentané.

Mais le Portugal, qui relevait de l'Espagne, réussit à recouvrer i la même époque sa complète indépendance. Une révolution victorieuse appela à la tête de ce pays, qui était l'ancienne Lusitanie, Jean IV, fondateur de la maison de Bragance, qui devint un allié pour Louis XIII. Un roi de Portugal de la branche régnante, issue du mariage de la reine Dona Maria avec le prince Ferdinand ou Fernand de Saxe-Cobourg-Gotha, en 1835, devait contracter en 1886, ainsi qu'on lé verra plus loin, une alliance matrimoniale avec le chef actuel de la maison de France.

Ce furent là les circonstances inattendues qui justifièrent l'intervention de la France dans ces régions méridionales.

C'est vers la même époque que Louis d'Avezac, vicomte de Fontrailles, rapportait de Madrid le traité que le marquis de Cinq-Mars avait fait avec le duc d'Olivarez, traité dont le cardinal de Richelieu découvrit l'existence et qui ne justifia que trop l'arrestation, le jugement, la condamnation, la mort du triste personnage qui l'avait signé.

Un Espagnol, un Allemand, un ennemi de naissance acharné n'aurait pas fait une convention plus hostile, convention par laquelle le marquis de Cinq-Mars s'engageait à chasser la France de partout où elle s'était établie dans les dernières années et d'y restaurer la domination de ses rivaux. Pourquoi faut-il que le duc Gaston d'Orléans fût mêlé à cette misérable machination, d'autant plus criminelle que son pays, encore troublé par de mesquines luttes civiles dans le Nord, était en guerre avec l'étranger, en Allemagne et en Italie, en même temps que sur les confins de l'Espagne.

Là, tout semblait avoir été combiné pour un grand spectacle. Pendant que Louis XIII s'occupait du siège de Perpignan, où le marquis de Cinq-Mars l'avait accompagné, le cardinal de Richelieu se mourait à Narbonne où, le 23 mars 1642, quatre jours avant de quitter cette ville pour Tarascon, il dictait à un notaire de la localité son testament, très longuement et très minutieusement rédigé, et qu'il ne pouvait ni écrire, ni signer, à cause de son état de maladie.

Il y avait sept témoins dont faisait partie Jules Mazarin, alors passé du service de la cour de Rome au service de la cour de France et qui avait déjà reçu le chapeau de cardinal.

C'est à Narbonne, où Louis XIII s'était rendu, que le cardinal de Richelieu reçut la copie du traité fait avec le duc d'Olivarez par le marquis de Cinq-Mars, pour le duc d'Orléans qui acheta, on le sait déjà, sa grâce par une humiliante confession de ses fautes et le duc de Bouillon, qui céda, nous l'avons dit, la principauté de Sedan en échange de la vie et de la liberté.

Cette copie était conforme à ; le cardinal de Richelieu en avait la certitude. On ne sut jamais exactement par quelle voie elle lui était parvenue. On croit que le duc d'Olivarez lui-même la lui avait fait remettre par un calcul quelconque resté ignoré.

Louis XIII ne tarda pas à retourner à Paris par Lyon où le cardinal de Richelieu se fit également conduire de Tarascon où il s'était arrêté, après son départ de Narbonne, et où il s'embarqua sur le Rhône, suivi de ses deux prisonniers dont on sait la lugubre destinée.

Lorsque Louis XIII s'était éloigné de Perpignan, la conquête de cette ville était certaine. En effet, le 29 septembre 1642, elle ouvrait cette expédition royale, et le Roussillon tout entier était pour toujours ses portes à l'armée assiégeante. Une brillante victoire couronnait réuni au domaine de la couronne.

Les tristesses de la vie en suivent de prés les joies. Le 2 décembre de cette même année 1642, Louis XIII, quittant son château de Saint-Germain, accourait au Palais-Cardinal, œuvre récente de Lemercier auprès de son ministre dont la dernière heure était proche, et dont il alla attendre la fin imminente dans son palais du Louvre.

Deux jours après, vers midi, celui qui avait été le tout-puissant cardinal de Richelieu n'était plus.

L'année 1642 devait être marquée de plusieurs croix noires. Le 13 janvier, le duc d'Épernon était mort, presque en disgrâce, chargé d'années et d'intrigues, dans sa résidence de Loches. Enfin, le 3 juillet, la Reine Marie de Médicis terminait son existence vagabonde, dans les dernières années, et la terminait dans l'isolement et le dénuement, ayant refusé avec obstination de se retirer à Florence où Louis XIII offrait à sa mère une situation en rapport avec le rang qu'elle avait eu et le rôle qu'elle avait joué.

Le cardinal de Richelieu devait se survivre à lui-même dans le gouvernement. Le 3 décembre 1642, il avait remis à Louis XIII, de sa main mourante, une déclaration royale.

Il était dit dans cette déclaration que le duc Gaston d'Orléans ne pourrait jamais avoir, i l'avenir, aucune part à l'administration du royaume. ni être régent pendant la minorité des enfants de France, dans le cas où Louis XIII viendrait à décéder avant leur majorité. Six jours après, comme cédant à une volonté que lui transmettait une voix de la tombe, Louis XIII fit vérifier par le parlement de Paris cette déclaration qui rappelait tous les complots, toutes les agitations du duc Gaston d'Orléans. Est-ce l'esprit de prévoyance ou l'esprit de vengeance qui l'avait inspirée au cardinal de Richelieu ? Ce fut du moins son dernier acte politique.

Rien ne fut changé dans le gouvernement, rien, si ce n'est le nom du ministre dirigeant, du premier ministre, qui au lieu de s'appeler Richelieu allait s'appeler Mazarin.

Dès le lendemain de la mort de son alter ego, Louis XIII dicta de Paris, avant de retourner au château de Saint-Germain, une lettre adressée à tous les parlements et à tous les gouverneurs, par laquelle il leur annonçait que Dieu ayant voulu retirer à lui le cardinal de Richelieu, lorsqu'après une longue maladie, on avait plutôt lieu d'espérer sa guérison, il était résolu de conserver et d'entretenir tous les établissements ordonnés durant son ministère, de suivre tous les projets arrêtés avec lui pour les affaires du dehors et de l'intérieur, en sorte qu'il n'y aurait aucun changement ; et que, continuant dans ses conseils les mêmes personnes qui l'y servaient si dignement, il y avait appelé le cardinal Mazarin, duquel il avait éprouvé la capacité et l'affection à son service dans les divers emplois qu'il lui avait donnés, et dont il n'était pas moins assuré que s'il fût né parmi ses sujets.

Louis XIII eut cette fortune inespérée d'avoir pu confier successivement la direction des affaires publiques à deux grands ministres, qui furent deux véritables hommes d'État.

Le cardinal de Richelieu eut naturellement de magnifiques funérailles. Il laissait une fortune colossale, un héritage de deux duchés-pairies et de onze terres titrées. Il laissait enfin sa création, le Palais-Cardinal, aujourd'hui le Palais-Royal, dont il faisait don au Roi avec une somme d'argent de quinze cent mille livres. Il fut conduit en grande pompe à la Sorbonne et inhumé, par son expresse volonté, dans l'église de ce célèbre collège, qu'il avait fait agrandir et dont il était proviseur.

Les docteurs composant ce que l'on appelait la Maison et Société, du collège de Sorbonne, élisaient eux-mêmes leur proviseur, qui était toujours un prélat. A la mort du cardinal Henri de Gondi, deuxième évêque de Paris de ce nom et de cette famille, et dont le successeur, du même nom et de la même famille, Jean-François, eut, en 1623, le premier, le titre d'archevêque, ils choisirent, pour le remplacer, le cardinal de Richelieu, qui n'était encore à ce moment là qu'évêque de Luçon.

A l'occasion de cette élection, qui fut confirmée par l'Université, dans une séance solennelle, le 2 novembre 1622, le cardinal de Richelieu écrivait de sa main aux docteurs de la Maison et de la Société du collège de la Sorbonne, une lettre de remerciements en latin. C'est peut-être le seul autographe authentique intéressant qu'on ait de lui. Son secrétaire, Charpentier, imitait merveilleusement son écriture et jusqu'à sa signature. C'est à lui qu'il dictait ses dépêches diplomatiques.

On nous saura gré de donner la traduction en français de cette lettre en latin.

C'est avec joie, illustres docteurs, que j'accepte l'honneur aussi agréable que précieux pour moi, que viennent de nie décerner vos suffrages. Je ne l'attribue pas seulement à ma bonne fortune, niais surtout à la protection divine : n'est-ce point elle, en effet, qui s'est entremise prés de votre société si ancienne, si respectée, si connue dans le monde chrétien grâce à ses remarquables travaux, pour lui faire jeter les yeux sur moi, si peu digne d'elle, et pour me conférer un honneur qui était si loin de ma pensée. Voilà pourquoi je vous rends grâces, en vous exprimant toute la gratitude de mon cœur. Soyez assurés que je me montrerai reconnaissant de cette haute faveur, en travaillant, de tout mon pouvoir, au développement et à l'illustration de votre compagnie, ainsi qu'à l'ardente passion de tous les avantages qu'elle mérite par sa vertu et son savoir. Telle est mon intention, illustres docteurs, et j'ose espérer que, pour la réaliser, l'assistance du ciel ne me fera pas défaut.

Je vous salue, docteurs vénérés, et je vous prie de me croire, en toutes choses, votre très affectionné et très dévoué.

Dans cet ordre de faits et d'idées, le plus beau titre de gloire du cardinal de Richelieu, c'est la création de l'Académie française, dont l'idée lui fut inspirée par deux membres d'une société littéraire qui siégeait rue Saint-Denis, dans la maison de Valentin Conrard, conseiller et secrétaire du roi.

Sur un rapport du cardinal de Richelieu, en 1635, Louis XIII donna des lettres patentes dans lesquelles il était dit qu'il serait formé à Paris, sous le nom d'Académie française, une société de gens de lettres, au nombre de quarante, chargée de travailler au progrès et de veiller à la pureté de la langue française.

On a souvent médit de l'Académie française. On a fait sur elle des épigrammes en vers et en prose. Elle n'en est pas moins restée la plus grande, la plus illustre des institutions littéraires de l'Europe, et cette institution, qui a toujours été une réunion d'esprits d'élite, de poètes et de prosateurs éminents, où l'histoire et le théâtre ont eu constamment des représentants d'un mérite supérieur, a eu la rare sagesse de garder, à travers bien des révolutions et des orages politiques, son caractère primitif, son caractère exclusivement littéraire.

On ne doit pas oublier enfin que l'Académie française, par la date de son origine, appartient à la France des Bourbons.

Corneille était né à la gloire, à la poésie, au théâtre. Malherbe, qui avait débuté dans le monde des lettres sous Henri IV, avec Pierre de Ronsard, et qui était le contemporain du satirique Mathurin Regnier et du caricaturiste Callot, était, sous Louis XIII, dans tout l'éclat de son talent et de sa renommée. Blaise Pascal n'avait pas encore publié ses Lettres provinciales contre ou sur les jésuites. Il ne s'occupait encore ostensiblement que de science. Mais il préparait déjà la publication de ces fameuses Lettres qui eurent un retentissement immense. Enfin, René Descartes et Pierre Gassendi élevèrent les premiers monuments français de la philosophie moderne.

Pendant le ministère du cardinal de Richelieu et le règne de Louis XIII, les arts et les sciences reçurent, comme les lettres, une impulsion nouvelle. C'est à cette époque qu'on vit s'élever, par les soins de la Reine Marie de Médicis, sur le modèle du palais Pitti de Florence, le palais du Luxembourg, œuvre de Jacques Desbrosses ; que fut créé le Jardin des Plantes ; que fut définitivement fondée l'Imprimerie nationale, dont la création n'avait été qu'ébauchée sous François Ier, et dont la première installation se fit, comme la Savonnerie, au Louvre.

Pierre Puget, architecte, peintre et sculpteur, commençait à entrer dans la carrière des arts, où il devait, sous Louis XIV, conquérir la renommée ; Nicolas Poussin fut chargé par le cardinal de Richelieu de décorer la grande galerie du Louvre, et bientôt surgirent à côté de ce maître Eustache Lesueur et Claude Lorrain. L'école française avait trouvé ses créateurs.

Sous Louis XIII, qui allait suivre de prés le cardinal de Richelieu dans la tombe, comme sous Henri IV, de grands travaux d'élargissement de l'enceinte, d'assainissement de l'intérieur furent exécutés. On vit s'élever de brillants et nombreux hôtels particuliers, s'ouvrir de nouvelles voies de circulation qui continuèrent à modifier à son avantage l'aspect de Paris. On y construisit des ponts et des quais, on y éleva des fontaines, on y planta des arbres, on y fit des jardins et des promenades.

Sous Louis XIII comme sous Henri IV, le nombre des institutions de charité, des maisons de piété, des hôpitaux, des couvents s'était considérablement augmenté.

C'est l'honneur de la dynastie des Bourbons d'avoir constamment doté, favorisé la création de tous les asiles consacrés à la souffrance, à la prière, recueillant, ceux-ci les malades, les indigents, ceux-là les désabusés, les désillusionnés de la vie mondaine, d'autres les pieux travailleurs qui se consacraient au fond de leurs cloîtres silencieux, dans leurs calmes solitudes, à d'utiles et savantes recherches historiques. Le tableau de ces établissements de nature différente n'entre pas dans le cadre restreint de ce livre.

Il est cependant impossible de ne pas constater que sous le règne de Louis XIII, Marie-Angélique de Sainte-Madeleine sœur du théologien Antoine Arnauld, transféra, en 1626, son abbaye de bénédictines, de la vallée de Chevreuse dans une maison du faubourg Saint-Jacques, voisine de la retraite où quelques solitaires s'étaient groupés autour de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, disciple et ami de Corneille Jansen ou Janssen, communément appelé Jansénius.

Ce fut là l'origine de ce Port-Royal, célèbre citadelle philosophique du jansénisme, qui devait jouer un rôle sérieux surtout sous Louis XIV.

C'est également au règne de Louis XIII qu'appartient le vénérable saint Vincent de Paul ou Depaul, qu'il suffit de nommer pour évoquer le pieux souvenir des œuvres et des institutions charitables dont il fut le père.

Dans un domaine tout différent, le cardinal de Richelieu a rendu son roi et à son pays d'inappréciables services. Il a organisé l'armée dans de meilleures conditions de force et de permanence ; il a créé une marine, œuvre que le duc de Sully n'avait pu qu'ébaucher sous Henri IV ; il a enfin formé tout un corps de généraux expérimentés, tout un personnel d'habiles administrateurs, et les diplomates qui devaient négocier et conclure la paix générale de 1648.

Le cardinal Mazarin, d'origine italienne, né en 1602, à Piscina fans les Abruzzes, continua le cardinal de Richelieu, avec plus de jeunesse, avec moins de difficultés intérieures à dénouer, avec des espérances de paix générale naissante. Louis XIII ne devait pas être le signataire royal des conditions glorieuses pour la France de cette paix générale. Il régla la question de la future régence, dont l'état inquiétant de sa santé faisait entrevoir la prochaine éventualité.

Le lundi 20 avril 1643, dans la chambre de Louis XIII, on voyait la reine Anne d'Autriche, avec le jeune Louis et le jeune Philippe, ses enfants ; son beau-frère, le duc Gaston d'Orléans, relevé de fait de l'interdiction générale qui l'avait précédemment frappé ; le prince Henri de Condé ; des titulaires de duchés-pairies ; des maréchaux de France ; des officiers de la couronne ; les ministres, le cardinal Mazarin en tête.

Après quelques paroles que prononça Louis XIII, il fit lire par le secrétaire d'État, de La Vrillière, sa déclaration pour la constitution de la régence et l'administration du royaume, lorsque Dieu l'aurait rappelé à lui.

Anne d'Autriche était constituée Régente avec l'assistance d'un conseil qui se composait principalement du prince Henri de Condé, du cardinal Mazarin, puis, ultérieurement, du duc Henri de Longueville.

Devenu veuf en 1640 de Louise de Bourbon, le duc de Longueville s'était remarié en 1642, on le sait déjà, avec Anne-Geneviève de Bourbon, fille, et non pas sœur, comme on nous l'a fait dire plus haut, du prince Henri de Condé dont il était devenu le gendre et non le beau-frère.

Le duc Gaston d'Orléans, tout à fait pardonné, tout à fait réconcilié avec son frère, tout à fait amnistié, devait occuper le poste de lieutenant-général du royaume sous l'autorité de la Régente.

Louis XIII signa la déclaration où ces dispositions étaient consignées, en y ajoutant, écrits de sa main, ces mots : Ce que dessus est ma très expresse et dernière volonté que je veux être exécutée. Il la fit signer par sa femme et par son frère et leur fit prêter serment d'y conformer leur conduite. Il s'y trouvait d'ailleurs quelques restrictions au pouvoir de la Régente, surtout pour les nominations aux charges importantes.

Le dauphin, le futur Louis XIV, fut enfin présenté au baptême, sur l'ordre de Louis XIII, par le cardinal Mazarin et la princesse de Condé. Ce fut le dernier acte du règne. Le 14 mai 1643, trente-trois ans, jour pour jour, après la mort de Henri IV, le fils sortait de la vie.

Cinq jours après on apprenait à Paris, en province et à la cour, que le duc d'Enghien, qu'on appelait le duc d'Anguien, et qui annonçait le grand Condé, venait de remporter devant Rocroy, sur les Espagnols, une éclatante victoire. On y vit la bénédiction du ciel pour le nouveau règne.

Les chroniques de l'époque racontent que, dans la nuit même du jour de sa mort, Louis XIII avait eu la vision de cette victoire.

Le duc d'Enghien, qui avait reçu de Louis XIII, ou plutôt du cardinal Mazarin, le commandement en chef de l'armée de Flandre, dut s'estimer heureux de n'être alors ni au château de Saint-Germain, où des querelles de préséance éclatèrent dès le premier jour, ni au palais du Louvre, où son père le prince Henri de Condé eut à relever l'insolence du jeune et beau duc de Beaufort, qui se croyait déjà maître de l'esprit, peut-être du cœur d'Anne d'Autriche, ni au Palais-Cardinal, où fille, veuve et mère de roi, cette fière princesse, de sang espagnol, devait bientôt installer la Régence.

Quatre jours après la mort de son père, Louis XIV, encore enfant, alla solennellement, selon la règle, tenir au parlement de Paris un lit de justice pour l'enregistrement, pour la régularisation de la déclaration qui avait constitué la Régence, déclaration théoriquement modifiée, mais pratiquement maintenue dans ses dispositions principales.

Après on songea aux funérailles de Louis XIII, dont le corps inanimé était au château de Saint-Germain, devenu désert, dès le lendemain de sa mort, abandonné même par sa femme qui s'était hâtée d'emmener ses deux fils à Paris, où elle résida d'abord au Louvre avant d'aller habiter le Palais-Cardinal, déjà devenu de fait le Palais-Royal.

Le cœur de Louis XIII fut remis à la Société de Jésus, ses entrailles furent portées à Notre-Dame de Paris, et son cercueil, accompagné seulement des serviteurs qui avaient composé sa maison, fut conduit sans pompe à Saint-Denis et déposé dans la basilique, où il n'y eut de cérémonie officielle pour les obsèques qu'après une attente, qu'après un retard de plusieurs semaines.

Louis XIII fut vite oublié. Cependant la France avait acquis sous son règne le Roussillon, qu'elle ne devait plus reperdre, l'armée avait été plus fortement organisée, l'administration plus savamment constituée, et il laissait en germe, par les généraux et les diplomates formés sous son règne, les gloires et les grandeurs du règne de Louis XIV.

La statue équestre de Louis XIII, œuvre de Cortot, érigée sous le règne de Charles X, s'élève au centre de la place Royale de Henri IV, qu'on appelle maintenant la place des Vosges et qui a été construite sur l'emplacement de l'ancien palais des Tournelles.