LES BOURBONS DE FRANCE

HENRI IV, LOUIS XIII, LOUIS XIV, LOUIS XV, LOUIS XVI, LOUIS XVIII, CHARLES X, LOUIS-PHILIPPE Ier, LE COMTE DE PARIS

 

HENRI IV.

 

 

Au pied et en regard du splendide panorama de la nature qu'on appelle la chaîne des Pyrénées, on rencontre sur le chemin de fer du Midi, au centre d'une contrée pittoresque où règne, presque toute l'année, une température printanière, une ville de trente mille habitants, aujourd'hui silencieuse et somnolente, qui fut autrefois la capitale bruyante et mouvementée du Béarn.

C'est la ville de Pau.

La ville de Pau s'étend sur les deux rives de l'Hédas, petite rivière au nom harmonieux qui la divise en deux cités distinctes, la cité nouvelle et l'ancienne cité.

La cité nouvelle est sans souvenir, sans originalité. Dans l'ancienne cité, on remarqué un promontoire escarpé que couronne un château historique, élevé par un comte de Foix, Gaston, surnommé Phœbus, pour sa beauté, château plusieurs fois restauré depuis sa fondation.

C'est dans ce château qu'est né, le 14 décembre 1553, celui qui devait être Henri IV, fils de Jeanne d'Albret, héritière par son père du royaume de Navarre, et d'Antoine de Bourbon, fils de Charles de : Bourbon, duc de Vendôme, devenu, en 1527, à la mort du connétable Charles de Bourbon, chef de toute la maison de Bourbon.

Antoine de Bourbon avait six frères dont le premier, François de Bourbon, comte d'Enghien, était mort sans postérité en 1545, environ un an après avoir remporté une brillante victoire sur les impériaux à Cerisoles, en Italie.

Tout ce qui se rapporte à ceux. qui ont creusé dans le sol de leur pays un lumineux sillon de grandeur et de gloire a de l'intérêt : leur naissance comme leur mort, leur berceau comme leur tombe.

Du reste, les lieux où l'on a été enfant, où l'on a grandi, où l'on est devenu homme, laissent toujours dans le caractère une ineffaçable empreinte. Leur influence dure toute la vie. Il n'est donc pas inutile d'esquisser, à traits rapides, le tableau du pays d'origine de Henri IV.

La terrasse du château de Pau, château où a résidé la célèbre Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier, connue par son Heptaméron, imité du Décaméron de Boccace, domine toute la vallée. De cette terrasse, on embrasse, dans le lointain, le plus merveilleux des paysages que l'imagination puisse rêver. C'est l'ensemble des grands pics, variés de couleur et d'aspect, superposés les uns aux autres, et montant, d'étage en étage, vers le ciel, comme les gradins d'un amphithéâtre de verdure, de forêts, de rochers et de glace, pour se perdre dans les nuages, que Dieu a placés entre l'Espagne et la France, moins pour séparer les populations des deux versants que pour les réunir dans le sentiment d'une commune admiration.

Comme un pareil spectacle, en effet, doit frapper l'esprit d'étonnement, comme il doit élever la pensée, comme il doit agrandir le cœur, comme il doit fortifier l'âme !

Le fils de Jeanne d'Albret et d'Antoine de Bourbon s'est certainement ressenti, dans sa jeunesse, de la salutaire influence de ce spectacle grandiose.

Fille de Henri d'Albret et de Marguerite d'Angoulême, la princesse Jeanne, qui devait apporter en dot, t son mari, le petit royaume de Navarre, était elle-même une femme d'un grand cœur et d'un grand courage. En voici la preuve :

Le roi de Navarre avait une crainte, c'est que sa fille ne mît au monde un enfant morose et pleureur. Il lui promit de lui donner

une chaîne d'or, qui ferait vingt-cinq fois le tour de son cou si, pendant les douleurs de l'enfantement, elle chantait une chanson béarnaise, alors populaire dans le pays, le cantique de Notre-Dame du bout du Pont, nom d'un oratoire où les femmes enceintes allaient prier pour avoir d'heureuses couches.

L'heure de la délivrance arrivée, la vaillante princesse entonna, dans l'idiome local, ce cantique qu'elle chanta tout d'une haleine.

Voici la curieuse traduction, en langue française, de ce vieux chant du Béarn :

Notre-Dame du bout du Pont.

Aidez-moi à cette heure.

Priez le Dieu du ciel qu'il veuille

Bien me délivrer au plus vite.

Que mon fruit voie le jour.

D'un fils qu'il me fasse le don.

Tout jusqu'au bout des monts l'implore.

Aussitôt après l'accouchement, Henri d'Albret mit au cou de sa fille la chaîne d'or promise, en disant : Voilà qui est à vous, Jeanne, mais ceci est à moi, et il prit l'enfant qu'il emporta dans sa chambre où il lui frotta les lèvres avec une gousse d'ail, en même temps qu'il lui versa dans la bouche une goutte de vin, sans qu'il se mît ni à crier, ni à pleurer.

Alors, tout joyeux, Henri d'Albret s'écria :

Tu seras un vrai Béarnais.

Henri IV, dont une poétique légende accompagnait le premier pas dans la vie, devait être mieux qu'un vrai Béarnais, il devait être un grand roi. Appelé d'abord à faire le rude apprentissage de la royauté dans la Navarre, il était prédestiné à faire ensuite du trône de France le premier trône d'Europe.

Après avoir traversé la France, pour se rendre de Belgique en Espagne, Charles-Quint avait dit qu'il n'y avait rencontré qu'un homme, le roi de Navarre. Cet éloge était mérité. L'aïeul de Henri IV avait de la fermeté dans les résolutions et de la suite dans les idées. On vient de voir comment il avait agi et parlé le jour de la naissance de son petit-fils. Il persévéra dans ce système d'éducation, et, d'après les instructions qu'il lui avait laissées, et qu'elle suivit, la princesse Jeanne, devenue la reine Jeanne, fit élever l'enfant royal au château de Coarasse où s'écoula sa jeunesse, en montagnard qui doit un jour être soldat. C'est aux dures fatigues de cette existence active et simple qu'il devait sa robuste santé, son vigoureux tempérament.

Avant d'être roi de France, même avant d'être roi de Navarre, Henri IV eut à mettre à l'épreuve la force physique et l'énergie morale qu'il devait à cette éducation virile. Il n'avait pas seize ans que, déjà mêlé aux guerres civiles et religieuses de son temps, il assistait, le 13 mars 1569, à la bataille de Jarnac où fut tué Louis Ier de Bourbon, prince de Condé, sixième frère du roi de Navarre, et chef de la maison de Condé, branche collatérale de la maison de Bourbon... Il y combattit à côté de son oncle, qui fut son premier maître dans l'art de la guerre, et qui commandait, dans cette journée, l'armée des protestants, contre l'armée des catholiques que le duc d'Anjou, quatrième fils de Henri II et de Catherine de Médicis, menait au combat. On sait que sa mère, Jeanne d'Albret, l'avait élevé dans la doctrine du protestantisme.

La politique d'ailleurs entrait au moins autant que la religion dans ces querelles d'ambition plutôt que de fanatisme. L'armée des catholiques était surtout l'armée de la cour des Valois. L'armée des protestants était plutôt l'armée de l'opposition des Princes. C'était, sous une autre forme, la continuation de la lutte entre la féodalité et la royauté, commencée sous Philippe-Auguste, continuée sous Louis XI et qui ne devait se dénouer définitivement que sous Louis XIV.

Deux événements, de caractère très différent, quoique d'égale importance, modifièrent en 1572 la situation personnelle du futur chef de la glorieuse dynastie des Bourbons. Le 10 juin, il perdit sa mère, qui était veuve. Le 1S août il épousa Marguerite de Valois, et devint le gendre de Catherine de Médicis, en même temps que le beau-frère de Charles IX.

Jeanne d'Albret mourut à Paris pendant les fêtes que l'on donna au Louvre, à l'occasion du prochain mariage de Henri de Bourbon avec Marguerite de Valois. Son fils était donc déjà roi de Navarre, lorsqu'on célébra ce mariage tout politique auquel il dut cependant d'échapper, le jour de la Saint-Barthélemy, au massacre général des protestants. Sa femme le sauva de la mort qui lui était réservée ce jour là, comme à l'amiral de Coligny.

La vie de Henri IV allait devenir une vie de luttes, de combats, de fatigues, d'agitations et de soucis dans la Navarre où, pendant plusieurs années, il fut forcé de guerroyer presque constamment, tantôt pour la défense de son patrimoine royal contre les Espagnols, ses agressifs, ambitieux et turbulents voisins, qui en convoitaient la possession, tantôt pour la protection des protestants, contre des seigneurs béarnais, révoltés du dedans, alliés aux ennemis du dehors.

Le gouvernement du petit royaume de Navarre fut loin d'être pour Henri IV un poste de repos. Aussi pauvre que vaillant, il vivait au jour le jour, presque comme un capitaine d'aventures, courant de château en château pour y chercher un refuge ou pour y rallier son armée. Le tableau de cette époque de sa vie n'est que secondaire dans ce livre. Il est pourtant juste de constater qu'elle le prépara merveilleusement à accomplir l'œuvre immense du relèvement extérieur et de la régénération intérieure du vieux royaume de France à laquelle il devait bientôt se dévouer, œuvre qu'il sut rapidement réaliser, en dépit des obstacles semés sur sa route, par des rebelles sans foi ni loi, qui couvraient du masque de la religion leurs détestables passions et leurs égoïstes calculs.

Les chroniques du Béarn parlent d'une aventure d'amour, sans mystère, qu'il eut, à l'âge de trente ans, avec une jeune veuve, surnommée la belle Corisande, la comtesse Diane de Guiche, duchesse de Grammont, fille de Paul d'Audouins, vicomte de Louvigny. Elle fut moins sa maîtresse que son amie et son alliée. Elle l'aidait de ses conseils et fut pour lui une véritable Égérie, comme le prouvent les lettres qu'il lui a fréquemment adressées, lettres que le Mercure de 1765 a le premier publiées.

Dans ces lettres, que M. Berger de Xivrey a toutes reproduites dans son recueil des lettres missives de Henri IV, les affaires d'État tiennent habituellement plus de place que les affaires de cœur.

On peut juger du côté sérieux des relations intimes de Henri IV avec la belle Corisande par la lettre suivante, datée du 1er janvier 1589, quelques mois avant que de roi de Navarre il devint roi de France.

Ne vous manderay-je jamais que prises de villes et de forts ? Aujourd'hui se sont rendus à moi Saint-Maixent et Maillezais, et espère avant la fin de ce mois, que vous entendrez parler de moi.

Le roy triomphe : il a fait garotter en prison le cardinal de Guyse puis exposer sur la place, vingt quatre heures, le président de Neuilly et le prevot des marchands, pendus, et le secretaire de monseigneur de Guyse, et trois autres.

La royne mère lui dit : Mon fils, octroyez-moi une requeste que je viens vous faire. — Selon que ce sera, madame. — C'est que vous me donniez monseigneur de Nemours et le prince de Joinville. Ils sont jeunes, ils vous feront un jour service. — Je le veux bien, madame. Je vous donne les corps, et en retiendrai les testes. Il a envoyé à Lyon, pour attraper le duc du Maine. L'on ne sait ce qui en est résulté. L'on se bat à Orléans, et encore plus prés d'icy, à Poitiers, d'où je ne seray demain qu'à sept lieues. Si le roy le vouloit, je les mettrais bien d'accord. Je vous plains, s'il fait tel tems ou vous êtes qu'icy, car il y a dix jours qu'il ne desgéle point.

C'est une trop longue lettre pour un homme de guerre. Aimez-moy comme vous avez sujet. C'est le premier de l'an.

A l'occasion de cette lettre nous ferons deux observations générales ; la première, c'est qu'écrivant pour tous, et non seulement pour les érudits, nous en avons parfois modifié l'orthographe, sans en altérer en rien le sens ; la seconde c'est que les correspondances intimes de Henri IV ne portent ni adresse ni signature.

Voici en regard une lettre autographe de Henri IV à Corisande, d'une date plus rapprochée encore de son avènement au trône de France, puisqu'elle est du 18 mai 1589, et d'un caractère plus personnel.

Cette lettre, la seule de ce genre que nous reproduisions, à titre exceptionnel, est curieuse surtout par cette particularité qui lui donne une saveur exceptionnelle. La belle Corisande y a écrit dans les interlignes un commentaire de sa main qui ne manque pas d'originalité. Ainsi du mot fidélité elle fait le mot infidélité. Cette citation suffit pour indiquer l'esprit et le sens des réflexions personnelles qu'elle a ajoutées à l'original que l'on a conservé à la bibliothèque de l'Arsenal.

Il nous paraît nécessaire d'accompagner d'ailleurs, le fac-similé de cette lettre autographe du texte imprimé, afin d'en rendre la lecture plus facile et plus compréhensive. Voici ce texte :

Mon âme, je vous écris de Blois où il v a cinq mois que l'on me condamnait hérétique et indigne de succéder à la couronne, et j'en suis à cette heure le principal pilier. Voyez les œuvres de Dieu envers ceux qui se sont toujours fiés en luy ! Car y avoit-il rien qui eust toute apparence de force qu'un arrêt des Estats ? Cependant j'en appelois devant Celuy qui peut tout, et crois que ce sera aux dépens de nies ennemys. Ceux qui se fient en Dieu et le servent ne sont jamais confus. Je me porte très bien, Dieu mercy, vous jurant avec vérité que je n'aime nv n'honore rien au monde comme vous, et vous garderay fidélité jusques au tombeau. Je m'en vais à Beaugency, où je crois que vous entendrez bientôt parler de moi. Je fais estat de faire venir ma sœur bientôt. Résolvez-vous de venir bientôt avec elle. Le Roi m'a parlé de la Dame d'Auvergne. Ce 18 mai. Celui qui est lié avec vous d'un lien indissoluble.

Il est à remarquer que même dans ses lettres d'amour, Henri IV fait éclater le sentiment religieux qui fut le guide constant de sa vie agitée.

Le mariage de raison de Henri IV avec Marguerite de Valois n'avait amené de réconciliation sincère et durable ni entre les catholiques et les protestants, tour à tour qualifiés d'abord de calvinistes et de huguenots, ni entre les Valois et les Bourbons.

En 1584, la mort du duc d'Anjou rapprocha du trône de France le roi de Navarre. Mais dès le lendemain, il put se convaincre que ses droits à l'héritage de Hugues Capet, que ses titres à la succession de saint Louis seraient contestés, lorsque Henri III descendrait dans la tombe.

Ces droits, ces titres étaient pourtant indiscutables, puisque dans la maison de France, la loi salique est la règle invariable qui détermine, dans la descendance masculine du fondateur de la troisième race, l'ordre de succession au trône ; puisque la ligne directe était éteinte ; puisque la branche collatérale des Valois allait disparaître à son tour avec Henri III ; enfin puisque Henri IV était le chef de la branche collatérale des Bourbons, qui tenait ce nom d'une baronnie que Charles IV avait érigée en duché au profit du prince Louis, fils de Robert, comte de Clermont, sixième fils de Louis IX.

Mais la France était alors le théâtre d'agitations violentes, de discordes civiles et d'antagonismes religieux, aussi funestes à la paix publique qu'à l'autorité royale. Impuissant à dominer la situation, Henri III louvoyait entre tous les partis, les trahissant les uns après les autres, tantôt l'allié, tantôt l'adversaire de Henri de Bourbon, roi de Navarre, que des ambitieux de haut rang coalisés avec des fanatiques inconscients méditaient d'écarter du trône auquel l'appelait sa naissance.

Élisabeth de France, fille de Henri II, avait été mariée à Philippe II, roi d'Espagne, qui en avait une fille, Isabelle d'Autriche, née en 1566.

Philippe II eut l'audace de prétendre qu'à la mort de Henri III, la couronne de France revenait à la princesse Isabelle. Il n'oubliait que la loi salique. Lorsque le moment opportun de trancher cette question de droit monarchique arriva, le parlement de Paris lui rappela courageusement, dans un arrêt du 28 juin 1593, cette loi traditionnelle, qui régissait, depuis tant de siècles, le royaume.

Déjà deux faits analogues s'étaient produits et deux déclarations semblables avaient été faites par l'assemblée des trois Ordres de l'État, lorsque la princesse Jeanne, fille de Louis X, essaya de se faire proclamer reine de France, au préjudice de Philippe V, et quand Édouard II, roi d'Angleterre, tenta de s'emparer de la couronne des Capétiens, sous prétexte que sa femme, la princesse Isabelle, était fille de Philippe IV, dont les trois fils étaient morts sans héritier.

Dans ces deux circonstances, l'assemblée des trois Ordres de l'État déclara que la loi salique et la coutume française excluaient absolu ment les femmes du trône. Ce précédent n'avait pas découragé Philippe II. L'arrêt du parlement de Paris serait sans doute, bien qu'il fût la sanction légale de l'histoire et du droit, également resté sans force et sans autorité, si Henri IV, obligé de conquérir son royaume avec son épée, avant de le régénérer par son génie, ne se fût chargé de son exécution.

Ce fut une lutte étrange et terrible, un choc violent et formidable de passions politiques et religieuses qui secoua la France du nord au midi, de l'est à l'ouest, et qui eut tous les caractères d'une convulsion sociale, pouvant se dénouer par la conquête ou le fractionnement du royaume, la ruine de l'indépendance comme de l'unité de la nation, l'anéantissement de l'œuvre de Philippe-Auguste, la reconstitution de la féodalité ou la domination de l'étranger.

Dieu veillait. Henri IV agissait. La France devait être sauvée.

Les difficultés que le chef de la dynastie des Bourbons allait rencontrer dans l'accomplissement de sa mission providentielle lui vinrent surtout d'une association de catholiques, constituée en 1576, sous l'inspiration de Henri de Lorraine, duc de Guise, surnommé le Balafré, à raison d'une cicatrice qu'il avait à la figure et dont l'origine était une blessure qu'il avait reçue en 1575 sur un champ de bataille.

C'est cette association qui prit la qualification de Sainte Ligue ou de Sainte Union et que l'on appelle communément d'un seul mot : La Ligue.

La Ligue, pour le duc de Guise, n'était qu'une arme de guerre contre Henri III d'abord, ensuite contre Henri IV. Il visait à la couronne de France et rêvait la gloire de fonder une quatrième race royale.

Il fallait pourtant un prétexte pour former ostensiblement une association qui était un État dans l'État.

On découvrit qu'on ne pouvait se fier entièrement à Henri III pour la défense énergique de la religion et le maintien rigoureux de la foi contre les doctrines et les entreprises du protestantisme, qui déjà comptait en France de nombreux disciples.

C'est ce prétexte qui servit à expliquer et à justifier l'enfantement de la Ligue. Le duc de Guise, lui-même, était d'ailleurs tenu dans une sorte de suspicion. Il était placé sous la tutelle des Seize.

Les Seize étaient ainsi nommés parce qu'ils formaient un comité de direction de la Ligue et que dans ce comité de direction chacun des seize quartiers du Paris de l'époque était représenté par un délégué.

Le conseil des Seize était redouté, puissant, obéi. Pourtant, comme tous les pouvoirs il exerça la verve satirique des Parisiens. On fit sur lui le quatrain suivant :

A chacun le sien, c'est justice ;

A Paris seize quarteniers,

A Montfaucon seize piliers ;

C'est à chacun son bénéfice.

Jusqu'en 1584, la Ligue fut surtout un embarras, une menace pour Henri III, qui ne pouvait se dissimuler qu'elle était une épée de Damoclès perpétuellement suspendue sur son autorité royale, épée dont le duc de Guise tenait la poignée.

Mais après la mort du duc d'Anjou, la Ligue se déclara ouvertement l'irréconciliable ennemie du roi de Navarre que Sixte V ou Sixte Quint excommunia et qu'elle déclara ne vouloir reconnaître à aucun prix, à aucune époque, ni à aucune condition pour roi de France. Elle eut dans le clergé régulier et dans le clergé séculier des adhérents d'une exaltation d'esprit et d'une véhémence de langage qu'expliquent seuls les entraînements et les troubles de l'époque.

De tout temps les haines de religion, comme les haines de parti, ont étouffé dans le cœur tout sentiment du patriotisme. A la fin de l'année 1584, le duc de Guise avait signé, avec l'assentiment de la Ligue, à Joinville, dans le Vallage, contrée de la Champagne, un pacte d'union avec Philippe II, roi d'Espagne, qui se donnait, dans ce document, le titre insolent de protecteur de la France.

Le 31 mars 1585, docile instrument du duc de Guise qui voulait qu'après la mort de Henri III, il y eut d'abord un fantôme de roi pour lui ouvrir le chemin du trône, le cardinal Charles de Bourbon avait publié un manifeste, daté de Péronne, où il prétendait qu'en cas d'extinction de la branche des Valois, c'était à lui qu'appartiendrait la couronne de France.

Ce cardinal Charles de Bourbon était archevêque de Rouen et le second frère d'Antoine de Bourbon. Il était par conséquent oncle de Henri IV comme le prince de Condé. Son manifeste devait servir à Henri III de prétexte pour le faire enfermer à Fontenay-le-Comte où, après avoir été quelque temps Charles X, pour la Ligue,. il devait mourir, prisonnier d'État.

Ce n'était là que les préliminaires d'une future guerre civile inévitable. Henri de Bourbon n'était toujours que roi de Navarre, il n'était pas encore roi de France. Son grand règne ne devait commencer que dans la nuit du 1eC au 2 août 1589, à la mort de Henri III.

Quelques événements d'une grave importance, qu'il est utile de signaler, marquèrent la période intermédiaire qui commence à la mort du duc d'Anjou pour finir à la mort de Henri III.

Le 7 juillet 1585, Henri III avait conclu à Nemours, localité rapprochée de Fontainebleau, avec la Ligue, une convention qui le mettait à la remorque et à la merci de cette dangereuse et formidable association. Il révoquait les édits de tolérance existants, accordés, à l'instigation du vénérable chancelier Michel de L'Hôpital, aux protestants contre lesquels il prescrivait des mesures très rigoureuses.

Irrités plus qu'intimidés par cette déclaration de guerre, les protestants se réunirent à la Rochelle, sous la présidence du roi de Navarre, Henri de Bourbon, en assemblée générale, et rédigèrent, en faveur de la liberté de conscience, une requête impérative adressée à Henri de Valois, roi de France.

Cette requête, qui ne pouvait avoir immédiatement de résultat, est le premier document officiel où le grand principe de la liberté de conscience a été franchement et nettement posé.

Les relations directes et personnelles de Henri de Bourbon avec Henri de Valois étaient pourtant restées courtoises et même respectueuses, comme l'indique la lettre autographe suivante, écrite le 25 mai 1586 :

Au Roy, mon souverain Seigneur,

Suivant le sauf-conduit qu'il a plu à Vostre Majesté accorder aux quatre cantons suisses, faisant profession de la religion reformée, pour ceux que je voudrais députer pour aller conférer avec les ambassadeurs qu'ils ont délégués vers Votre Majesté, j'envoie présentement les sieurs de Rosny et de la Morsilière pour cet effet vers les dits ambassadeurs, et pour au reste supplier très humblement de ma part Votre Majesté de vouloir accorder aux enfants de feu mon oncle, M. de Rohan, desquels je suis tuteur, les rachats et droits seigneuriaux de leurs terres qui vous sont échues par le décès de leur susdit père ; ce qu'avant été de tout temps accordé et octroyé en tel cas, et, à l'endroit de personnes de telle qualité, j'espère que Votre Majesté ne le voudra desnier à votre très humble et très obéissant sujet et serviteur

HENRY.

A cette époque Henri IV pressentait déjà qu'un jour il aurait à s'appuyer sur les classes moyennes contre les prétentions des chefs de la haute noblesse à la direction des affaires publiques et à leur indépendance politique dans leurs gouvernements respectifs. Il eut donc la prévoyance et l'habileté de se ménager, pour l'avenir, l'appui et le concours de ce qu'on appelait le Tiers État. Il écrivit à ceux qui se glorifiaient d'en être une lettre où il déclinait avec raison la responsabilité des souffrances et des misères de la guerre civile.

Voici le texte intéressant des principaux passages de cette lettre :-

Montauban, 1er janvier 1586,

A Messieurs du Tiers État,

Messieurs, je n'ai pas besoin de grand langage pour vous faire entendre la justice de ma cause. Ressouvenez-vous que lorsque ces remuements sont advenus, nous vivions en paix, et de jour en jour allions en mieux. Ressouvenez-vous, nonobstant qu'ils fussent directement contre moi, que je n'ai pas bougé huit mois durant, que ma patience a passé toute borne. Souvenez-vous que j'ai vu les armes mêmes qui me devaient être plus propices, jointes à mes ennemis et acheminées contre moi.

Et je vous jure, messieurs, que l'horreur d'une guerre civile et l'appréhension sensible des misères et des calamités qu'elle produit, me rendraient stupide et insensible à mon dommage propre, si je n'eusse aperçu que nia trop longue patience tournait en danger et en ruine à ce royaume, donnant loisir aux perturbateurs d'y faire violemment tout leur plaisir. S'il a été question de la religion, je me suis soumis à un concile ; si des plaintes concernent cet État, à une assemblée des États.

J'ai désiré même d'attirer sur ma personne tout le péril de la France, pour la sauver de misère, m'étant égalé de mon plein gré à ceux que nature m'a rendus inférieurs, au lieu que dans leur propre intérêt, ils ont fait une calamité commune, une confusion publique, de leur querelle particulière.

J'aurais à me plaindre de ce que mes justes offres n'ont été reçues. Je m'en plains à vous, pour vous toutefois, et non pour moi ; je plains les extrémités où l'extrême injure qu'on me fait m'aura réduit de ne pouvoir me défendre, sans que le peuple innocent en souffre. Je plains ma condition, que, pour garantir ma vie, il faille que vous sentiez du mal et de la peine ; vous pour le soulagement et bien desquels j'étais prêt à répandre mon sang, si mes ennemis n'eussent mieux aimé se racheter d'un combat où je les appelais, par un parricide contre cet État, par une combustion universelle.

Mais je me console en pensant que vous saurez bien considérer que la nature des maux est telle qu'ils ne peuvent pas être guéris sans quelques maux, et que vous saurez en attribuer la cause, non pas au chirurgien qui a pour but de guérir, mais à celui qui a fait la plaie, et en cette plaie conséquent toutes les douleurs qui s'ensuivent ; que dans peu de temps, au reste, Dieu me fera cette grâce, après tant de traverses, de voir cet État purgé de ceux qui le travaillent, de vous voir aussi jouir d'un repos certain et assuré, qui nous fasse en peu de temps oublier tous les travaux passés.

Jugez, je vous prie, par les effets, des intentions des hommes. Pour vous faire applaudir à ces troubles, ces gens vous voulaient faire espérer qu'ils réformeraient les abus des finances, qu'ils diminueraient les tailles et subsides, qu'ils ramèneraient le temps du roi Louis XII ; et déjà, par ceux qui les voulaient croire, ils se faisaient surnommer Pères du peuple.

Qu'est-il adevenu ? Leur guerre, après vous avoir rongés étrangement de toutes parts, s'est vue terminée par une paix, en laquelle ils n'ont pensé qu'à leur particulier, et où il ne s'est fait aucune mention de vous. Leur paix, qui pis est, s'est tout aussitôt tournée en une guerre contre ceux qui demeuraient paisibles, par laquelle le roi est contraint de doubler les impôts, le peuple exposé à être en proie aux gens de guerre, la France obligée, si Dieu n'y met tôt la main, à être meurtrière d'elle-même.

Messieurs, je vous répète ceci : je suis né prince chrétien, j'ai cherché et proposé les voies chrétiennes pour conquérir cet État et réunir l'Église. Je suis né français ; je compatis à vos maux ; j'ai tenté tous les moyens de vous exempter des guerres civiles ; je n'épargnerai jamais ma vie pour vous les abréger. Je sais que pour la plupart vous êtes assujettis sous cette violence ; je sais que vos volontés sont serves ; je ne veux vous imputer vos actions ; j'aime mieux vous imputer vos volontés.

Je ne vous demande à tous qui selon votre vocation êtes plus sujets à endurer le mal que non pas à le faire, que vos cœurs, et vos souhaits, et vos prières. Priez Dieu, messieurs, qu'il distingue par ses jugements ceux qui cherchent le bonheur ou le malheur de cet État, la calamité ou la prospérité publique.

Quant à moi, je le prends à témoin que je ne désire que le bien de ce royaume et de vous tous ; je le prends pour juge si ambition ou passion particulière a poussé ou amené aucunement mes armes.

Votre bien affectionné et assuré ami

HENRY.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici sommairement que le Tiers État, c'était la bourgeoisie qui commençait à jouer un rôle actif dans les affaires publiques et qu'en 1302, il avait figuré et siégé officiellement, à côté de l'ordre de la noblesse et de l'ordre du clergé, dans la nef de l'église métropolitaine de Notre-Dame où, sur la convocation de Philippe IV, les États Généraux s'étaient réunis.

Presque à la dernière heure du règne des Valois, survint la journée du 12 mai 1588, appelée la journée des barricades, parce que, menacés dans leur vie et dans leur liberté, les Seize, résolus à résister par la force aux troupes qui devaient, sur l'ordre de la cour, les arrêter, s'étaient barricadés dans tout Paris où était alors le duc de Guise qu'acclamait le peuple et que la Ligue secondait, Paris où Henri III, qui en sortit en fugitif, ne devait plus rentrer.

La journée des barricades fut suivie de la convocation des États Généraux qui, réunis dans le château de Blois, se prononcèrent, par l'expresse volonté et une violente pression du duc de Guise, contre le roi de Navarre, Henri de Bourbon, comme successeur éventuel de Henri de Valois, roi de France.

Le duc de Guise ne devait pas bénéficier de cette déclaration qu'il avait provoquée, dans son intérêt personnel, par ses ténébreuses manœuvres de tous genres. Attiré par trahison, dans le cabinet de Henri III où il entra sans défiance, il fut assailli, percé de coups d'épée et de coups de poignard, et tué par douze meurtriers, qui appartenaient à une compagnie des gardes, dont le capitaine s'appelait Loignac et qu'on désignait sous cette dénomination spéciale, les QUARANTE-CINQ.

Le cardinal Louis de Guise, archevêque de Reims, second frère du duc Henri de Guise, fut arrêté dans la même journée, puis étranglé dans sa prison. Henri III avait aussi fait arrêter à la même heure Anne d'Este, fille d'Hercule duc de Ferrare, qui avait épousé en premières noces François de Lorraine, duc de Guise ; elle était la mère des deux princes lorrains assassinés, Henri et Louis, et de leur frère, Charles de Lorraine, duc de Mayenne, mais s'était remariée en secondes noces à. Jacques de Savoie, duc de Nemours, ayant de son second lit deux fils de même nom, avec le même titre : elle fut promptement mise en liberté.

Il n'en fut pas de même du duc Charles de Guise, précédemment prince de Joinville, fils aîné du duc Henri de Guise et de Catherine de Clèves, fille du duc de Nevers. Après l'assassinat de son père et de son oncle, il fut enfermé à Tours et ne s'échappa de sa prison qu'en 1591.

C'est à cc même moment que Henri III fit également enfermer le cardinal Charles de Bourbon.

La mort du duc de Guise n'avait pas relevé la fortune de Henri III. Sous l'empire d'une impérieuse nécessité, ce triste roi de France avait été amené à conclure, le 3 avril 1589, avec le vaillant roi de Navarre, un traité d'alliance d'un an.

Dans ce traité, Henri de Bourbon prit le titre de premier prince du sang et de premier pair du royaume.

C'était la reconnaissance implicite de ces mêmes droits et de ces mêmes titres que les États Généraux de Blois avaient méconnus.

Henri IV d'ailleurs n'était pas resté inactif et silencieux après la déclaration des États Généraux de Blois. Il avait protesté contre cette déclaration, dont il réfutait tous les arguments et démolissait tous les prétextes, dans une longue lettre missive que, par son ordre, son secrétaire particulier, Antoine de Loménie, avait adressée individuellement à chaque membre de cette assemblée violentée par le duc de Guise et égarée par des passions de diverse nature.

Cette lettre missive n'avait pas converti les ennemis de Henri de Bourbon, qui étaient aussi les ennemis de Henri de Valois, à la cause royale. La guerre civile, toujours à la fois politique et religieuse, continua de désoler le royaume.

Seulement ce n'était plus, comme on disait en 1586, des luttes intérieures de ces temps troublés, la guerre des Trois Henri, puisque le duc de Guise, qui portait aussi ce nom, n'était plus.

C'était la guerre des Deux Henri, contre Charles de Lorraine, duc de Mayenne, fils puiné de François de Lorraine, deuxième duc de Guise, prince de Joinville, duc d'Aulnaie, grand maître, grand chambellan et grand veneur de France.

François de Lorraine, qui a fondé la puissance de sa maison, possédait aussi la seigneurie de Mayenne, qu'il avait transmise à son second fils, et qui fut plus tard érigée en duché-pairie.

Le 26 juillet 1589, Nicolas de Harlay, baron de Sancy, rejoignit le roi de France et le roi de Navarre, avec un corps de troupes de douze mille hommes qu'il avait levés en Suisse, à ses frais, en engageant le beau diamant qui porte son nom, diamant qui avait appartenu à Charles, surnommé le Téméraire, dernier duc indépendant de Bourgogne.

C'est alors qu'après trois mois de préparatifs, d'intermèdes et d'escarmouches militaires, Henri de Valois et Henri de Bourbon se décidèrent à assiéger ensemble la capitale. Le 31 juillet 1589, ils répartirent leur armée, qui comptait quarante mille hommes, aux alentours de Paris, moitié au sud, moitié à l'ouest.

Le roi de Navarre établit son quartier général à Meudon, le roi de France s'installa dans le château de Saint-Cloud, bâti par Jérôme de Gondi, reconstruit depuis par Philippe d'Orléans et aujourd'hui en ruines.

C'était dans la matinée du 1er août 1589. Un jeune dominicain du couvent de l'Ordre, qui existait faubourg Saint-Jacques, aussi illettré que fanatique, du nom de Jacques Clément, fit demander une audience particulière à Henri III. Il se disait porteur de dépêches confidentielles importantes.

Introduit auprès du roi de France, Henri de Valois, Jacques Clément le voyant occupé à lire une lettre qu'il venait de lui remettre, sortit brusquement, de la manche de sa robe de moine, un couteau qu'il lui plongea très avant dans le bas-ventre.

La mort ne fut pas instantanée, mais dans la nuit qui suivit cet attentat le roi expira, victime d'un guet-apens, comme avait expiré le duc de Guise, assassiné par ses ordres.

Au moment où l'on va paraître devant Dieu, la conscience s'éveille et l'âme s'élève. Averti par la rumeur publique de la sombre catastrophe dont le château de Saint-Cloud venait d'être le lugubre théâtre, le fils d'Antoine de Bourbon et de Jeanne 'd'Albret accourut de Meudon. Dès qu'il fut entré dans la chambre où son royal parent reposait sur son lit d'agonie, Henri III, le montrant aux personnages de haut rang groupés autour de son chevet, leur dit qu'il les priait comme ami et qu'il leur ordonnait comme souverain de reconnaitre pour roi son frire de Navarre, et il les obligea de lui jurer immédiatement fidélité. Ce furent ses dernières paroles.

Une heure après, le régie de la branche des Valois venait de finir ; le règne de la dynastie des Bourbons venait de commencer.

Dans quelle épouvantable situation Henri III, à sa mort, laissait le royaume de France, très agrandi, sans doute, depuis 987, par des annexions successives ; mais il le laissait plongé dans une effroyable anarchie intérieure, en face de grands dangers extérieurs, avec la perspective enfin d'une double catastrophe, la dislocation et la conquête.

C'est dans ces déplorables et douloureuses conditions que le 2 août 1589, Henri IV prit avec les armes de Philippe III, champ d'azur aux trois fleurs de lis d'or, le titre de roi de France. A quels efforts surhumains n'allait-il pas être condamné, avant de relever la royauté, de régénérer le royaume, avant d'assurer la grandeur de son règne qui se divise en trois périodes distinctes.

La première appartient aux luttes formidables que Henri IV eut à soutenir contre la Ligue, coalisée avec l'Espagne, et aussi contre la féodalité renaissante et transformée qui s'insurgeait, quoique ralliée, contre les droits de la couronne, droits qu'il ne put exercer dans toute leur plénitude et toute leur indépendance, qu'après avoir désarmé tous ses adversaires religieux par sa conversion, qu'après avoir terrassé tous ses adversaires politiques avec son épée.

C'est la période militaire qu'on appellerait aujourd'hui la période militante.

La seconde période fut celle des réformes gouvernementales, administratives, économiques et sociales, déjà très avancées, lorsque dans la troisième période il put inaugurer avec plus de liberté d'esprit et d'action, son habile, son patriotique système de politique internationale qui tendait au relèvement extérieur de la France par l'abaissement de la maison d'Autriche, en Espagne et en Allemagne, où dominait en même temps cette oppressive et puissante maison.

Mais pour caractériser, dès son début, dans son ensemble, le règne de Henri IV, avec toutes les indications qui en peuvent donner la clef, il n'est pas inutile de constater quelle était, le 2 août 1589, la situation intérieure et extérieure du royaume de saint Louis. Ce sera comme la préface de ce règne, l'un des plus mémorables que les annales de la France aient eu à enregistrer.

D'après M. Poirson, l'impartial et savant historien du règne de Henri IV, le XVIe siècle avait ses contradictions et ses antagonismes ; s'il fut une époque de renaissance dans les arts, les lettres et les sciences, il a fait reculer, au point de vue politique et religieux, les rapports internationaux, le droit public, la morale, les destinées enfin de l'humanité.

Ferdinand le Catholique, Charles Quint, Philippe II obéissaient à une même pensée dans leurs pratiques, dans leurs procédés de gouvernement. Le terrible tribunal de l'Inquisition qui a joué alors un rôle si redoutable et si vaste, était entre leurs mains le double instrument du despotisme politique et du despotisme religieux. Leur volonté de fer ne s'appesantissait pas que sur leurs peuples. Elle ne fut pas moins fatale aux étrangers, victimes de leur gigantesque ambition, qu'ils broyaient sous leur impitoyable et brutale domination, comme de notre temps, la locomotive qui court à toute vapeur, à toute vitesse, sur les voies ferrées, broie tout ce qu'elle rencontre sur son passage.

L'Espagne de Philippe II surtout opprimait presque férocement les Pays-Bas ; elle ravissait leur indépendance aux Napolitains, aux Siciliens, aux Portugais, aux populations du nord de l'Italie et du midi de la Navarre ; elle écrasait, elle exploitait cyniquement l'Amérique du Sud, devenue pour elle une mine d'or longtemps inépuisable.

L'Europe, en fait, était revenue au droit de conquête des barbares, dans toute sa violence, avec un degré de plus dans la perfidie, avec l'application d'une nouvelle et monstrueuse doctrine, celle de l'assassinat, érigée en code et passée dans la pratique.

Tel était, à l'avènement de Henri IV, l'état général de l'Europe, état qui s'était surtout établi vers la fin du règne des Valois.

Voici maintenant quelle était à la même heure, en regard de cette situation générale de l'Europe, la situation particulière de la France. L'agriculture v était en détresse, l'industrie en discrédit, le commerce dans l'enfance. Pas d'encouragement donné à ces trois branches de l'activité d'un peuple, qui font sa richesse matérielle, préparent son émancipation politique, élèvent son niveau intellectuel et favorisent son éducation morale. Les efforts de François Fr pour le réveil des sciences, des lettres et des arts étaient devenus stériles. Les troubles intérieurs les avaient annulés.

Les hauts barons, les puissants seigneurs, investis du gouvernement des provinces, ne songeaient qu'à y perpétuer leur autorité personnelle, en rendant leurs charges héréditaires. C'était, en perspective, le rétablissement de la féodalité, le démembrement de la France.

Enfin les deux tiers du royaume étaient déchirés par des guerres civiles.

La minorité de la nation obéissait seule encore à l'autorité royale. Cette minorité se composait de six mille nobles sur cent mille que comptait le royaume, d'un tiers des magistrats en exercice, d'un nombre limité de villes secondaires, de quelques populations des campagnes.

Le roi de France n'avait plus qu'une ombre de pouvoir, qu'un débris d'autorité. La souveraineté nominale lui appartenait encore. La souveraineté réelle était passée aux mains de la maison de Lorraine, qui n'avait pourtant pas réussi à s'emparer tout à fait du gouvernement. Elle n'avait guère eu d'influence sérieuse que pour entretenir la rébellion, que pour perpétuer l'anarchie. Elle était le mal, elle ne pouvait être le remède.

Le remède, c'était Henri IV. Mais que d'obstacles il devait briser, avant de pouvoir commencer l'œuvre de salut, qui allait renouveler la face de la France.

Quelle tâche que cette œuvre multiple ! Tirer le royaume des abîmes de l'anarchie ; l'arracher aux sombres fureurs de la guerre civile ; le préserver du démembrement intérieur et de la domination étrangère ; relever et perfectionner dans tous les domaines de l'administration publique l'action bienfaisante du gouvernement ; prêter l'appui de la France transformée, régénérée, à tous les États d'Europe qui n'étaient ni espagnols, ni autrichiens ; garantir leur indépendance ; asseoir le droit public, base de la morale, du progrès, de la civilisation, sur de nouvelles et habiles assises internationales : telle était cette tâche qui a fait justement appeler Henri IV, Henri le Grand, appellation que ses contemporains lui ont décernée de son vivant et que l'histoire, après sa mort, a maintenue et consacrée.

L'immensité d'un pareil travail frappa l'imagination des chroniqueurs du temps.

Etienne Pasquier dit textuellement dans une de ses lettres :

Quand je me remets devant les yeux tout ce qui s'est passé en France depuis le mois de mars 1585, je ne pense pas qu'entre les histoires, tant anciennes que modernes, il y en ait jamais eu une plus prodigieuse que celle-ci.

Les rois, même les meilleurs, ont toujours des envieux et des détracteurs. Henri IV eut les siens.

Ainsi, après avoir fait un pompeux éloge du souverain ; après avoir dit que Henri IV méritait le surnom de Grand, non seulement par ses exploits militaires, mais encore par son habileté dans toutes les parties du gouvernement, les auteurs de l'Art de vérifier les dates critiquent très vivement l'homme et lui reprochent amèrement d'avoir trop aimé les plaisirs.

Sans nier ses écarts privés, Henri IV a lui-marne répondu à l'avance à cette accusation posthume dans une lettre admirable, signée de sa main, dictée à son secrétaire M. de Loménie et adressée à l'illustre Maximilien de Béthune, baron de Rosny, qu'il avait créé duc et pair, sous le nom de Sully, et qui était son surintendant des finances, son grand maître de l'artillerie, son grand voyer, son surintendant des bâtiments et fortifications, qui était gouverneur du Poitou et qui fut surtout son conseiller intime et son ministre préféré.

Cette lettre est du 8 avril 1607. Elle est un si merveilleux portrait moral de Henri IV qui s'y montre avec tant de franchise, on pourrait dire avec tant de naïveté, tel qu'il était, que nous devons la reproduire. On ne saurait mieux peindre le cœur de l'homme et l'âme du roi que dans ce document authentique dont voici le texte :

Mon ami, le doux repos que mes labeurs, périls et travaux, à quoi de plus, vous-même, en me flattant, ajoutez mes vertus, ont acquis à ma personne et à la France, et raffermissement que nous y avons donné par le moyen de nos ménagemens, de nos grandes provisions d'argent et d'armes, de l'universelle bienveillance de nos peuples, m'ont apporté, sans doute, de grands, voire même d'extrêmes contentemens. Cependant comme il n'y a point de félicité, ni de béatitude parfaite en la terre, mais seulement au ciel, ils n'ont laissé d'être traversés, en divers moments, non par la vertu, ni par les vertueux, mais par les calomnies des malicieux, par les coups de langue, contre lesquels les armes de la vérité n'ont jamais été à l'épreuve. Il v en a des plus grands et des plus autorisés, auxquels j'ai fait le plus de bien et départi le plus d'honneurs, que vous connaissez bien, sans que je vous les nomme, qui ont été si malicieux de dire et de faire publier par leurs factionnaires dans les provinces, que cette grande tranquillité, produite par cette paix universelle, m'a fait négliger, voire mépriser les plus grands et les plus qualifiés personnages de mon royaume, ôté tout le soin des grandes affaires de l'État, et des entreprises glorieuses et honorables ; m'étant entièrement laissé dominer par les délices, plaisirs, passe-temps, récréations et divertissements inutiles, auxquels j'emploie et consomme autant d'argent que je l'épargne dans les gratifications qu'ils publient mériter.

En tous lesquels discours je ne nierai pas qu'il puisse y avoir quelque chose de vrai. Mais aussi dirai-je que, ne passant pas la mesure, il nie devrait plutôt être dit en louange qu'en blâme, et en tout cas nie devrait excuser la licence en tels divertissemens, qui n'apportent nul dommage ni incommodité à mes peuples, par forme de compensation de tant d'amertumes que j'ai goûtées, et de tant d'ennuis, déplaisirs, fatigues, périls et dangers, par lesquels j'ai passé depuis mon enfance jusqu'à cinquante ans.

J'ai su que quelques-uns des dépendances de ceux qui se plaisent à me décrier, vous ayant fait tous ces beaux contes, vous les en avez grandement blâmés, et dit que ces petits défauts et peccadilles trouveraient facilement toutes leurs excuses et défenses légitimes, moyennant qu'ils ne m'ôtassent pas la souvenance d'une infinité de beaux, hauts et magnifiques projets et desseins que vous saviez que j'avais eus de longue main ; ne me fissent pas perdre le désir de les continuer ; ne m'empêchassent pas d'avoir le souci ni de prendre le temps, les occasions et opportunités de les entamer et poursuivre jusqu'à leur perfection.

De quels discours ayant eu avis, j'ai bien voulu vous écrire cette lettre pour vous faire souvenir de ce que fort souvent je vous ai ouï dire, lorsque quelques-uns blâmaient quelques-unes de mes actions, à. savoir que l'Écriture n'ordonne pas absolument de n'avoir pas de péchés, ni de défauts, d'autant que telles infirmités sont attachées à l'impétuosité et promptitude de la nature humaine, mais bien de n'en être pas dominé ni de les laisser régner sur nos volontés ; qui est ce à quoi je me suis étudié, ne pouvant faire mieux.

Et vous savez par beaucoup de choses qui se sont passées touchant mes maîtresses, qui ont été les passions que tout le monde a cru les plus puissantes sur moi, si je n'ai pas souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies, jusqu'à leur avoir dit lorsqu'elles faisaient les acariâtres, que j'aimerais mieux avoir perdu dix maîtresses comme elles, plutôt qu'un serviteur comme vous, qui m'étiez nécessaire pour les choses honorables et utiles. C'est ce que vous me verriez encore faire, et je vous en donne ma foi et parole, lorsque les occasions et opportunités me seront présentées pour entamer, poursuivre, mettre à exécution quelques-uns des honorables desseins que vous savez que j'ai depuis longtemps en l'esprit, et sur lesquels vous m'avez écrit tant de lettres, et avons tant discouru ensemble.

Car lors ferai-je voir que je quitterai plutôt maîtresses, bâtiments, et toutes autres dépenses, tous autres plaisirs et passe-temps, que de perdre la moindre occasion et opportunité pour acquérir honneur et gloire, dont les principales après mon devoir envers Dieu, ma femme et mes enfans, sont de me faire tenir pour prince loyal, de foi et de parole, et de faire des actions, sur la fin de mes jours, qui les perpétuent et couronnent de gloire et d'honneur, comme j'espère que feront les heureux succès des desseins que vous savez, auxquels vous ne devez douter que je ne pense plus souvent qu'à tous mes divertissements ci-dessus.

Devenu par la mort de Henri de Valois, roi légitime de France, Henri de Bourbon, quoique assiégé pour de longues années encore de graves préoccupations et de durs labeurs, n'oublia pas ses fidèles serviteurs, ceux qu'il devait garder, ceux qu'il voulait raffermir dans leur dévouement, ceux qu'il voulait ramener à lui. Les deux lettres autographes suivantes témoignent hautement du prix qu'il attachait à la sympathie et à la reconnaissance des hauts et puissants seigneurs du temps.

La première en date est du 3 août 1589. Elle est adressée à la duchesse de Montmorency qu'il appelle, selon l'usage d'alors, sa cousine, à raison du rang que son mari occupait dans l'État.

Cette duchesse de Montmorency était Antoinette de La Marck, fille aînée de Robert de La Marck, duc de Bouillon, prince de Sedan, et de Françoise de Brezé, comtesse de Maulévrier. Elle était née en 1542, et s'était mariée en 1558 à Henri de Montmorency, alors comte de Damville, puis, en 1579, à la mort de son frère ainé, François de Montmorency, troisième duc de Montmorency, maréchal de France et gouverneur du Languedoc.

Ma cousine,

Charretier vous dira ce qu'il me semble que l'on doit faire pour vos sujets de Montmorency. J'ai vu ce que l'on vous mande du Languedoc, de quoi je suis très aise. La mutation de règne ne diminuera point à mon cousin l'envie de bien faire, car il sait bien que je l'aime mieux que ne le faisait pas l'autre. Je vous verrai demain ; qui me fera finir. Bonjour, ma cousine.

HENRI.

Ce nom de Montmorency évoque trop de souvenirs historiques pour qu'il ne soit pas intéressant de s'y arrêter.

Le fondateur des diverses branches de la maison de Montmorency est, comme on sait, Bouchard Ier, grand feudataire du duché de France en 950.

Bouchard Ier était sire de Montmorency. C'est de là que vient le nom qui a été celui de toute sa descendance : une légende le qualifie de premier baron chrétien.

La maison de Montmorency a compté six connétables, douze maréchaux de France et quatre amiraux.

Mathieu de Montmorency, fils de Bouchard IV, a été, sous Louis VIL le premier connétable de ce nom.

Anne, né à Chantilly en 1492, fait connétable en 1538, a été le premier duc de Montmorency. C'est Henri II qui érigea en sa faveur, en 1551, la baronnie de Montmorency en duché pairie, et c'est à la femme de son petit-fils, Henri Ier, d'abord comte de Danville, puis duc de Montmorency, qu'Henri IV avait adressé sa lettre autographe du 3 août 1589.

Ce duc Henri de Montmorency devait être créé, par Henri IV, connétable, en 1595, l'année même de la naissance de son fils, Henri II, quatrième et dernier duc de Montmorency, de la ligne directe, maréchal de France, prédestiné à être décapité à Toulouse.

C'est à la ligne directe des Montmorency qu'on doit la première construction des châteaux de Chantilly et d'Écouen, devenus historiques.

La seconde lettre est du 25 août 1590, elle est adressée au duc de Nevers que Henri IV appelle également son cousin. Ce duc de Nevers était Louis de Gonzague, troisième fils de Frédéric II ; duc de Mantoue. Amené jeune en France, il avait servi Henri II et Henri III, puis, en 1588, il s'était rallié à la cause de Henri IV. Il était gouverneur de la Picardie, et tenait son duché de Nevers de sa femme Henriette de Clèves, sœur des derniers ducs de Nevers de la maison de Clèves.

A mon cousin le duc de Nevers,

Mon cousin, j'avais dépêché à Pluviers, devers vous sur l'avis que l'on m'avait donné que vous étiez en ces quartiers là ; mais ce gentilhomme m'a réjoui d'une meilleure nouvelle, qui est de votre arrivée à Corbeil, dont je suis très aise, et vous puis dire que vous serez le très bienvenu, pour vous trouver à la bataille des bons Français contre ceux qui ont quitté ce beau nom pour se faire espagnols. L'espérance que j'ai de vous voir bientôt fera nia lettre plus courte ; me remettant du surplus sur le sieur de la Rocque, avec prière à Dieu qu'il vous ait, mon cousin, en sa très sainte et digne garde.

De l'Hermitage, près Chaillot.

HENRY.

Le rapprochement définitif, intime et sincère, qui s'était produit entre Henri III, à la veille de sa mort, et Henri IV, presque à la veille de son avènement, n'avait que très légèrement modifié l'état respectif des partis.

Dés que la nouvelle de la mort de Henri III se fut répandue dans Paris, où le duc de Mayenne, frère du duc de Guise, dirigeait, inspirait la Ligue, on y proclama roi de France, le cardinal Charles de Bourbon, qu'on affubla de la qualification très prématurée de Charles X.

Le duc de Mayenne appartenait à la grande famille de Lorraine qui vint s'établir en France au commencement du XVIe siècle. François Ier érigea en duchés pairies le comté de Guise et le comté d'Aumale, qui appartenaient à Claude de Lorraine, premier duc de Guise et premier duc d'Aumale.

Le fils, François de Lorraine, second duc d'Aumale, en même temps que second duc de Guise, déjà nommé, avait eu de sa femme, Anne d'Esse, six fils dont Henri de Lorraine, troisième duc de Guise, Charles de Lorraine, d'abord marquis de Mayenne, puis duc de Mayenne, en vertu de lettres patentes de Charles IX, de 1575, et le cardinal Louis de Guise, archevêque de Reims, que nous avons déjà désignés, et une fille, Catherine de Lorraine, qui épousa Louis de Bourbon, deuxième du nom, duc de Montpensier.

Ce François de Lorraine, qui fut même quelque temps lieutenant général du royaume, sous François II, et qui fut assassiné par un gentilhomme protestant, a encore été le premier prince de Joinville.

C'est en 1552 que Henri II a érigé, au profit de François de Lorraine, la seigneurie de Joinville en principauté.

Il est à remarquer que plusieurs des titres et domaines, qui étaient la propriété de la famille de Louis Philippe Fr et même le château d'Eu aussi bien que la forêt de Guise où existent encore deux vieux chênes historiques, portant gravés, l'un le nom de François, l'autre le nom de Henri, ont appartenu à la maison de Lorraine.

On pourrait donc croire que la descendance du frère de Louis XIV, Philippe, premier duc d'Orléans, a été l'héritière directe de la maison de Lorraine, qui s'est complètement éteinte au xv ne siècle, dans la personne de François-Joseph de Lorraine, septième et dernier duc de Guise. Il n'en est rien.

Charles de Lorraine, quatrième duc de Guise, dont le nom reparaîtra dans ce livre, avait épousé, en 1611, une riche héritière, la fille du second duc de Joyeuse, alors veuve de Henri de Bourbon, duc de Montpensier.

On sait que le vicomte Anne de Joyeuse était un favori de Henri III, qui érigea, à son profit, sa vicomté en duché pairie.

Ce premier duc de Joyeuse périt à la bataille de Coutras en 1587, en combattant le roi de Navarre, futur roi de France. Sa fortune et son duché passèrent à son frère, Henri, premier du nom, second duc de Joyeuse, marié à la sœur du duc d'Épernon, autre favori de Henri III. Elle mourut jeune, ne laissant qu'une fille unique à son mari, qui se fit capucin, rentra dans le monde, fut maréchal de la Ligue et redevint capucin, sous le nom de Frère Ange.

C'est cette fille unique du second duc de Joyeuse, veuve d'un duc de Montpensier, qui devint la quatrième duchesse de Guise.

Le duc Charles de Guise, on le verra plus loin, mourut en Italie. Il avait eu une fille, dite mademoiselle de Guise, qui hérita en 1675 de toute la colossale fortune de sa famille et qui mourut célibataire. A sa mort, la maison de Lorraine s'éteignit complètement dans sa descendance féminine comme dans sa descendance masculine.

Mais le duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan, qui jouera plus loin dans ce livre un rôle important, et que Mme de Maintenon avait en grande estime et en grande affection, était devenu, par achat, testament, ou cession, propriétaire du château d'Eu, de tout le duché d'Aumale et de la forêt de Guise.

La succession du duc du Maine, dont la descendance s'est rapidement éteinte, est échue plus tard, en partie du moins, à la princesse

Louise-Marie-Adélaïde, mère de Louis-Philippe Ier et petite-fille du comte de Toulouse, frère du duc du Maine et comme lui, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan.

Le père de la princesse Louise-Marie-Adélaïde, le très aimé et très estimé duc de Penthièvre, avait réuni dans ses mains la presque totalité de la fortune des deux princes légitimés, le duc du Maine, son oncle et le comte de Toulouse, son père.

Sans qu'il soit utile d'entrer ici dans des détails plus complets, on voit que l'origine de la plupart des titres et des propriétés de la famille d'Orléans est aussi simple que légitime. C'est une fortune purement patrimoniale.

Toutefois, l'origine des titres de duc de Nemours, de prince de Joinville et de duc de Montpensier est différente.

La terre de Nemours, érigée en duché pairie par Charles VI, en 1404, a eu plusieurs titulaires. Elle était restée de 1515 à 1666 dans la maison de Savoie. En 1689, Louis XIV la donna à son frère Philippe, duc d'Orléans. Vers la même époque la grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans et nièce de Louis XIII, léguait à ce même prince la terre de Joinville.

La principauté de Joinville était, comme le titre de duchesse de Montpensier, pour la grande Mademoiselle, une propriété de famille. La fille de Catherine de Lorraine et du duc de Montpensier avait épousé Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII.

La grande Mademoiselle était donc l'héritière directe, par sa mère, de Catherine de Lorraine et du duc de Montpensier.

La seigneurie de Montpensier a été érigée en duché pairie, en 1539, par François Ier. Elle passa, dans le XVe siècle, des maisons de Beaujeu et de Dreux, à la maison de Bourbon.

Sans surcharger ce livre de trop grands détails généalogiques, il nous paraît néanmoins utile de donner ici encore quelques détails sommaires sur les deux branches de la maison de Bourbon.

La branche aînée, qui s'est éteinte en 1527, dans la personne du duc Charles de Bourbon, le trop célèbre connétable du règne de François Ier, commence en 1279, à Louis, premier du nom, premier duc de Bourbon, qui tenait la terre de ce nom, de sa mère, Béatrix de Bourgogne.

Pierre, deuxième du nom, septième duc de Bourbon, ne laissa qu'une fille, du nom de Suzanne.

Suzanne de Bourbon épousa son cousin, Charles, qui descendait par son père, Gilbert, des comtes de Montpensier, devenus plus tard les ducs de Montpensier, issus de Louis, troisième fils de Jean, premier du nom, quatrième duc de Bourbon.

Le connétable duc Charles de Bourbon, avait donc réuni dans ses mains les principaux et grands domaines de la branche aînée de sa maison. Ces domaines, confisqués, furent momentanément réunis au domaine de la couronne, mais ils en furent ultérieurement détachés, en partie, pour être généralement rendus aux héritiers du sang.

La branche cadette à laquelle appartient Henri IV commence à Jacques, comte de la Marche, qui était le second fils de Louis, premier du nom et premier duc de Bourbon.

Puisque nous avons ouvert une digression généalogique, nous devons, avant de la fermer, donner quelques indications utiles sur la maison de Condé.

On a vu que Louis, premier du nom, prince de Condé, frère d'Antoine de Bourbon et oncle de Henri IV, était mort en 1569, à la bataille de Jarnac. Marié deux fois, il avait trois fils, Henri, premier du nom, second prince de Condé ; François, qui tenait son titre de prince de Conti, de sa mère Éléonore de Roye, et Charles, qui fut comte de Soissons.

Le comté de Soissons et la seigneurie d'Enghien appartenaient à la maison de Luxembourg. Louis XI avait confisqué ces deux domaines.

Marie de Luxembourg obtint de Charles VIII la restitution de ce comté et de cette seigneurie qu'elle porta dans la branche cadette de la maison de Bourbon, par son mariage avec François de Bourbon, son second mari, qui n'était que comte de Vendôme.

Henri IV vendit au comte d'Aremberg la terre d'Enghien, qui se trouvait en Belgique, mais le titre, devenu plus tard ducal, est resté dans la maison de Condé, qui l'avait, en dernier lieu, transporté à la localité de ce nom, dans la vallée de Montmorency.

Le titre de comte de Soissons, dont le premier prince de Condé avait hérité, passa, on vient de le voir, à Charles de Bourbon.

Ce Charles de Bourbon, comte de Soissons, était donc le cousin germain de Henri IV, comme Henri de Bourbon, second prince de Condé.

Un souvenir, qui se rattache à ces deux princes, mérite d'être rappelé.

Tous deux avaient assisté à la bataille de Coutras où Henri IV, encore simple roi de Navarre, on le sait déjà, avait vaincu le duc de Joyeuse. Avant le combat, il leur avait dit : Souvenez-vous que vous êtes du sang des Bourbons ; et, vive Dieu ! je vous ferai voir que je suis votre aîné. Ils répartirent aussitôt : Nous vous montrerons que vous avez de bons cadets.

Nous avons déjà dit que le cardinal Charles de Bourbon, qui ne devait jamais être qu'un fantôme de roi, avait été enfermé, par ordre de Henri III, au château de Fontenay-le-Comte. Sa royauté éphémère, que du reste il ne prenait pas au sérieux, ne le rendit pas à la liberté. Il continua à languir dans sa prison d'où il écrivit, avant de mourir, à Henri IV, une lettre dans laquelle il lui déclarait qu'il le reconnaissait comme légitime roi de France.

Ce grotesque épisode prouva seulement qu'il ne pouvait encore y avoir aucune transaction possible entre Henri IV et le duc de Mayenne ou la Ligue.

Dans Paris, le peuple était généralement du côté du duc de Mayenne et avec la Ligue. On lui avait fait accepter une idée absolument fausse. C'est que Henri IV tenait surtout à régner pour détruire, pour anéantir le culte catholique dans le royaume de France. Son libéralisme et sa tolérance dans son royaume de Navarre protestaient hautement contre cette supposition calomnieuse.

En effet, le 22 août 1594, Henri IV, qui avait reconquis sur la Ligue la ville de Beauvais dont il recevait les délégués, les rassura, en leur racontant ce fait caractéristique :

J'ai eu, dit Henri IV, en mon petit royaume de Navarre, deux provinces joignantes l'une à l'autre, séparées par une petite rivière, en l'une desquelles il ne s'est jamais fait, pendant mon règne, aucun prêche et où chacun a vécu selon l'Église catholique, apostolique et romaine. Dans l'autre, ne s'y est jamais dit aucune messe, sans que pour cela les habitants de l'une ou de l'autre se soient jamais fait tort d'un sou.

Sous une forme familière, Henri IV proclamait de nouveau la liberté de conscience dont il avait réclamé, dans son application aux protestants, le principe contenu dans ta requête qu'il avait signée et que l'assemblée des Églises réformées de France, réunie sous sa présidence, à La Rochelle, avait adressée à Henri III.

C'est néanmoins l'idée très habilement répandue et trop facilement acceptée, surtout dans Paris, et aussi en province, que Henri IV voulait la destruction du catholicisme qui, dans l'opinion de la grande majorité des catholiques, justifiait et légitimait la résistance que la Ligue opposait au droit incontestable de la dynastie des Bourbons et l'appui qu'elle prêtait aux prétentions et aux intrigues de la maison de Lorraine, ainsi qu'à l'intervention dans les affaires intérieures de la France du roi d'Espagne, Philippe II, dont la volonté était qu'il n'y eût en Europe qu'un seul roi, une seule loi, une seule foi.

En acceptant cette intervention, la grande masse des ligueurs se faisaient les complices involontaires de l'affaiblissement de la puissance nationale, comme en se donnant pour chefs des représentants des anciennes et puissantes familles princières et seigneuriales, ils se faisaient les complices inconscients de la diminution de l'autorité royale.

Mais il serait inexact de dire que la Ligue voulait et poursuivait sciemment, et de parti pris, ce double et funeste résultat, puisqu'elle croyait et prétendait être la personnification et l'armée du catholicisme.

Or, par opposition à l'esprit du protestantisme qui mène à l'individualisme, l'esprit du catholicisme est, au contraire, de tendre, par la concentration des efforts individuels, à l'établissement et au maintien de l'unité dans l'état et dans le gouvernement, comme dans la religion.

A l'origine, la Ligue avait donc pu et dû avoir, pour beaucoup de catholiques de bonne foi, au moins en apparence, sa raison d'être.

Mais les craintes imaginaires que la Ligue entretenait dans Paris et hors Paris sur les dispositions de Henri IV à l'égard du culte catholique auraient du moins dû disparaître après ce que l'on appelle la déclaration de Saint-Cloud, déclaration dont voici la cause, le but et l'esprit.

Les princes, seigneurs et gentilshommes catholiques du camp royal avaient cédé à un premier mouvement, à un entraînement spontané, lorsqu'à la voix de leur souverain mourant ils avaient juré fidélité à Henri de Bourbon, quatrième du nom, comme roi de France.

Henri III était encore agonisant que déjà la réflexion était venue refroidir leur dévouement. Quelques-uns d'entre eux regrettaient d'avoir cédé trop facilement à ses recommandations, qui étaient alors des ordres. Ils se divisèrent en trois catégories.

La première, celle que l'on nommait le parti des Politiques, demandait que Henri de Bourbon, roi de Navarre, fût immédiatement proclamé roi de France, sous la qualification de Henri IV, sans condition. La seconde exigeait son abjuration immédiate : c'étaient les Zélés. La troisième se refusait même à cet arrangement transactionnel. Elle était composée, comme on dirait aujourd'hui, d'intransigeants, qui agissaient, qui parlaient comme la Ligue.

Les uns et les autres tinrent conseil dans le palais même où était mort Henri III. Le 3 août 1389, intervint une convention ou un traité qui constituait un acte synallagmatique entre le Roi qui le signa, le lendemain, et les hauts personnages qui l'avaient discuté, préparé et formulé. Au nombre de ces hauts personnages figuraient Charles de Valois, fils naturel de Charles IX ; François de Bourbon, prince de Conti, prince du sang ; François de Bourbon, duc de Montpensier, prince du sang ; Henri d'Orléans, duc de Longueville, qui avait aussi le titre de prince du sang ; le duc de Luxembourg, le duc de Rohan, le maréchal Armand de Biron, le maréchal Jean d'Aumont, Roger de Saint-Lary et de Termes, gouverneur de Bourgogne, sous Henri IV, duc de Bellegarde sous Louis XIII ; un comte de Givry, qui était un vaillant capitaine, et bien des nobles de l'Ile-de-France.

Sur ce même acte du 3 août 1589 on remarquait le nom de beaucoup d'autres seigneurs et gentilshommes, catholiques ou protestants, dont plusieurs étaient placés à la tête de gouvernements de provinces de première importance.

Dans le traité du 3 août 1589, Henri IV jurait sur son honneur de roi et sa foi de gentilhomme, de maintenir dans le royaume de France la religion catholique, apostolique et romaine, de ne rien entreprendre contre ses dogmes, sa discipline et ses biens. Enfin il y faisait, ou plutôt il y renouvelait sa promesse de se soumettre, personnellement, en ce qui concernait son culte ou sa foi, à ce qui serait décidé dans un concile libre ou national, qu'il s'engageait à convoquer, dans le délai de six mois.

Cette solennelle déclaration donnait aux catholiques toutes les garanties, toutes les sûretés qu'ils pouvaient désirer et réclamer pour le libre exercice de leur culte. La Ligue n'avait plus dès lors de raison d'être, et pourtant à l'instigation des princes de Lorraine, des ambitieux de l'aristocratie et des émissaires de l'Espagne, elle persévéra dans son hostilité systématique à la dynastie des Bourbons.

De leur côté, les princes du sang, les seigneurs et les gentilshommes catholiques dont on vient de lire les noms s'étaient engagés avec beaucoup d'autres de leurs coreligionnaires de l'armée royale, à donner leur vie et leur fortune pour défendre Henri IV contre tous les rebelles du dedans et tous ses ennemis du dehors.

C'était promettre de lutter courageusement contre le nombre, contre la force.

C'est ici que commence la première période, la période militaire ou militante du règne.

Toujours siège de la Ligue, centre de la résistance, Paris s'était livré, dans la journée du 2 août 1589, aux indécentes manifestations d'une joie bruyante. La satisfaction que la mort de Henri III y avait produite avait eu un résultat mesquin, mais significatif. On y avait remplacé l'écharpe de deuil, l'écharpe noire, par l'écharpe d'espérance, l'écharpe verte.

C'est au milieu de cette grande effervescence populaire qu'était née, le 5 août 1589, la ridicule et vaine royauté du comparse qui ne fut quelque temps Charles X, que pour garder, avec son chapeau de cardinal, le trône où le duc de Mayenne n'osait pas encore s'asseoir.

Depuis le 15 février 1589, jour de l'entrée du duc de Mayenne dans Paris, il était investi de fait du pouvoir suprême. Il avait reconstitué le gouvernement de la Ligue sur de plus vastes assises, il avait créé un grand conseil de quarante membres ou figuraient les Seize, mais où ils n'étaient pas les maîtres absolus, et ce grand conseil l'avait nommé lieutenant général de l'état royal, en lui confiant toute la direction des affaires publiques.

C'est en face de ce pouvoir aussi fort qu'irrégulier, et obéi dans beaucoup de villes et de campagnes, ainsi que de beaucoup de princes, de seigneurs et de gentilshommes catholiques, qui s'y ralliaient par calcul ou par conviction, que se trouvait Henri IV, devenu roi de France. Des départs subits de troupes diminuèrent immédiatement la force de son armée dans d'assez grandes proportions pour qu'il dût prendre le sage parti de renoncer momentanément au siège de Paris. Il quitta donc Meudon, leva le camp de Saint-Cloud, et conduisit à Compiègne le corps de Henri III qu'il déposa dans l'abbaye de Saint-Corneille d'où il ne fut transporté qu'en 1610 à l'abbaye de Saint-Denis.

Les événements vont désormais marcher rapidement jusqu'à l'entrée solennelle, triomphale et pacifique de Henri IV dans Paris. Il cherche à se maintenir au nord de la Seine, s'empare de Meulan et de Clermont, divise son armée en trois corps, confie l'un au duc de Longueville, qui tient la campagne en Picardie, l'autre au maréchal d'Aumont, qui la tient en Champagne. Il garde sous son commandement direct le troisième, et le conduit dans la direction des côtes de Normandie.

Henri IV menaçait déjà Rouen, lorsque le duc de Mayenne accourut au secours de cette place. Mais il ordonna au duc de Longueville et au maréchal d'Aumont de le rejoindre, à quelque distance de Dieppe, sous les murs du château d'Arques. C'est là qu'il attendit les troupes de la Ligue, parmi lesquelles on remarquait des Espagnols et des Belges que le duc de Parme, Alexandre Farnèse, avait enrôlés au nom de son souverain, Philippe II, qui lui avait confié le commandement général de son armée des Pays-Bas.

Cet Alexandre Farnèse était l'un des plus grands capitaines de son temps. Il était prédestiné à mourir à Arras, au service de l'Espagne, en combattant la France, sans avoir jamais vu le duché de Parme sur lequel il régnait.

Le 27 août 1589, le duc de Mayenne avait quitté Paris annonçant qu'il ramènerait le Béarnais captif. Il prétendait le faire enfermer à la Bastille. On assure que, confiants dans cette fanfaronnade, des fanatiques louèrent à l'avance des fenêtres dans le faubourg Saint-Antoine pour voir passer le roi de France, prisonnier du duc de Mayenne.

La journée du 21 septembre 1589 souffla sur les illusions de la Ligue. Après une lutte acharnée de plusieurs jours, lutte où le nombre était du côté du duc de Mayenne, le roi de France qui avait pour lui, avec son droit, la bravoure et l'habileté, remporta sur les rebelles une éclatante victoire. Il l'annonça à Louis de Crillon, qu'il appelait le premier capitaine du monde et qui était l'un de ses plus vaillants et plus fidèles serviteurs, en ces termes : Pends-toi, brave Crillon, nous avons vaincu à Arques, et tu n'y étais pas. Adieu. Je t'aime à tort et à travers.

Nous devons confesser que l'authenticité de ce billet laconique, d'une rondeur toute militaire, mais dont l'original n'a pas été retrouvé dans les archives de la famille de Louis de Crillon, est contestée par plusieurs historiens modernes. Mais ne se peut-il pas qu'il ait été écrit, reçu, lu, et qu'il n'ait pas été conservé ?

Louis de Crillon, qui était un homme de guerre, peut très bien ne pas avoir eu l'idée de garder le billet de Henri IV, comme on garde une relique.

Voici une autre explication plus plausible peut-être du désaccord existant entre les historiens modernes et Voltaire, le premier qui ait parlé du billet de Henri IV à Louis de Crillon.

Le 20 septembre 1597, Henri IV écrivit du camp devant Amiens à Louis de Crillon, qu'il nomme Grillon, une lettre autographe qui commence de même. Voltaire a pu s'y tromper.

Cette lettre autographe, rapprochée du billet contesté, ne prouve pas seulement l'estime de Henri IV pour Louis de Crillon ; elle témoigne de l'amicale simplicité et de la cordiale familiarité qu'il apportait dans ses relations personnelles et privées avec les grand : capitaines et les chefs illustres de son armée. C'est bien là le langage d'un soldat qui s'adresse à un soldat.

A Monsieur de Grillon,

Brave Grillon, pendez-vous de n'avoir été ici prés de moi lundi dernier à la plus belle occasion qui se soit jamais vue et qui peut-être se verra jamais. Croyez que je vous y ai bien désiré. Le cardinal nous vint voir fort furieusement, mais il s'en est retourné fort honteusement. J'espère, jeudi prochain, être dans Amiens, où je ne séjournerai guère, pour aller entreprendre quelque chose, car j'ai maintenant une des belles armées que l'on saurait imaginer. Il n'y manque rien que le brave Grillon, qui sera toujours le bien venu et vu de moi.

HENRY.

Découragé, le duc de Mayenne qui essaya de fermer au moins à Henri IV la route de Dieppe, entrepôt de la Ligue, quitta la Normandie et entra en Picardie où il espérait que le duc de Parme viendrait le rejoindre.

Henri IV, qui avait été vaillamment secondé dans cette rude campagne par Charles de Bourbon, comte de Soissons, séjourna quelque temps à Dieppe où il apprit, sans s'en émouvoir, que des parlements ligueurs, ceux de Rouen, de Toulouse et de Bordeaux, rendaient contre lui des arrêts d'ailleurs plus violents de forme que redoutables au fond. Puis, il vint passer la Seine à Meulan et, le 31 octobre 1589, il arrivait sous les murs de Paris, à la tête d'une armée d'environ vingt-quatre mille hommes, dont quatre mille Écossais, renfort que la fille de Henri VIII, la grande Elisabeth, reine d'Angleterre, lui avait envoyé, moins comme protestante que comme amie de la France et ennemie de l'Espagne.

Paris était alors enfermé dans une enceinte, qui n'était déjà plus celle que Philippe-Auguste avait fait élever et construire, sous son règne, pour la défense de la capitale du royaume, et qui allait seulement, sur la rive gauche, de la Tournelle à la tour de Nesle, et, sur la rive droite, d'une tour située au coin du pont des Arts à une tour située près du port Saint-Paul.

Cette enceinte avait été agrandie dans sa partie septentrionale, dès le XIVe siècle, et s'étendait de la tour de Billy, prés de l'Arsenal, à la tour du Bois, près des Tuileries. Elle avait quatorze portes.

Six portes du nord qui étaient : la porte Saint-Antoine, voisine de la Bastille, qui datait du règne de Charles VI, et qui la protégeait d'un côté, tandis que de l'autre côté elle était défendue par un vaste bastion ; la porte du Temple, avec son large fossé et un ouvrage extérieur : le Bastillon ; la Porte Saint-Martin, flanquée exceptionnellement de six tours rondes à sa face extérieure ; la porte Montmartre, qu'on voyait à la rencontre de la rue de ce nom avec la rue des Fossés-Montmartre et la rue Neuve-Saint-Eustache ; la porte Saint-Eustache ; la porte Saint-Honoré, située au point où la rue de Rohan débouchait dans la rue de ce nom ; la porte Neuve, à côté de la tour du Bois, tour très élevée, qui terminait à l'ouest l'enceinte septentrionale.

Huit portes du sud qui étaient : la porte de Nesle, contiguë à la tour de ce nom, là où est aujourd'hui le pavillon oriental du palais de l'Institut ; la porte de Buci ou de Bussy, qui était là où la rue Contrescarpe débouche dans la rue Saint-André-des-Arts ; la porte Saint-Germain, qui était à la place où existe maintenant une fontaine qu'on voit de la rue de l'École-de-Médecine, à l'extrémité de la rue Larrey ; la porte Saint-Michel, que remplace maintenant la belle fontaine qui décore la place du même nom ; la porte Saint-Jacques, entre la rue Soufflot, la rue des Fossés-Saint-Jacques et la rue Saint-Hyacinthe ; la porte Saint-Marcel, que l'on voyait au point où la rue Descartes débouche dans la rue des Fossés-Saint-Victor ; la porte Saint-Victor qui était dans la rue de ce nom, dans le voisinage de la rue d'Arras ; la porte Saint-Bernard, placée sur le quai de la Tournelle, à l'une des extrémités de la rue des Fossés-Saint-Bernard, au nord de cette rue.

Toutes ces portes étaient desservies par des ponts en pierre et des ponts-levis, et, sans exception, protégées au moins par une tour contiguë.

Mais, l'enceinte du XIVe siècle, qui était encore celle de Paris, à la mort de Henri III, laissait en dehors d'elle, avec de nombreux faubourgs, bien des villages qui en étaient voisins.

Les troupes royales furent distribuées, dés le 31 octobre 1589, pendant la soirée, dans plusieurs de ces villages situés au sud, et le lendemain, qui était la Toussaint, dés le lever du soleil, Henri IV ordonna l'attaque générale des faubourgs de la rive gauche de la Seine. Ils tombèrent promptement au pouvoir de corps d'armée commandés, sous sa direction, par le maréchal Armand de Biron, le comte de Soissons et le duc de Longueville.

L'abbaye Saint-Germain qui, à cette époque, était hors de l'enceinte de Paris, se défendit jusqu'à la nuit et ne se rendit qu'à Henri IV.

Le duc de Mayenne était accouru en toute hâte à la défense de Paris dont l'armée royale n'avait pu forcer les portes dans la journée du 1er novembre 1589. Henri IV renonça momentanément à en poursuivre le siège et, revenu en Normandie, après des succès partiels qui ne pouvaient terminer la guerre, après quelques semaines d'une infatigable activité qui aurait épuisé les forces de tout autre chef militaire se battant comme lui, pour ainsi dire, en chef de partisans, il était, le 14 mars 1590, sur le célèbre champ de bataille d'Ivry, en face des troupes de la Ligue et du duc de Mayenne, dont l'armée comptait moins de Français que d'étrangers, Espagnols, Allemands : belges et Suisses.

Dans les deux armées, on était croyant. Avant le combat, l'une et l'autre invoquèrent la protection du ciel, qui allait se déclarer en faveur du roi de France contré la Ligue.

Henri IV adressant ensuite à ses troupes une harangue d'une éloquente simplicité, prononça ces mémorables paroles : Mes compagnons, si vous courez aujourd'hui ma fortune, je cours aussi la vôtre ; je veux vaincre ou mourir avec vous. Gardez bien vos rangs, et, si la chaleur du combat vous les fait quitter, pensez au ralliement : c'est le gain de la bataille ! vous le ferez entre ces trois arbres, là-haut, à main droite ; si vous perdez vos enseignes, cornettes ou guidons, ne perdez pas de vue mon panache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur et de la victoire !

Ce panache de trois grandes plumes blanches était planté sur son heaume, et en même temps il montrait de la main les trois arbres qu'il avait indiqués dans sa harangue.

La bataille d'Ivry, terminée par une décisive victoire de Henri IV sur le duc de Mayenne, victoire qui prépara la dislocation définitive de la Ligue, a eu sur les destinées de la France une influence trop considérable pour que nous n'en fassions pas le récit, d'après les documents originaux de l'époque auxquels les historiens modernes l'ont emprunté.

La harangue de Henri IV achevée, l'artillerie royale, aux ordres du grand maître Philibert de la Guiche, commença aussitôt à foudroyer les ennemis, qui répondirent par quelques décharges mal dirigées ; puis toutes les troupes s'ébranlèrent ; les chevau-légers ligueurs furent d'abord culbutés par le maréchal d'Aumont, tandis qu'une partie des Vallons et des Flamands que le comte d'Egmont avait amenés au duc de Mayenne, par ordre du duc de Parme, pénétraient un moment jusqu'à l'escadron du roi ; on se heurta partout à la fois, mais ce fut au centre qu'eut lieu le choc décisif.

Le feu de l'artillerie de la Guiche et les arquebusades des tirailleurs royaux avaient déjà jeté de la confusion dans la cavalerie de la Ligue, dont les reîtres, repoussés par le duc de Montpensier, se rejetèrent sur l'escadron de Mayenne et l'empêchèrent de prendre du champ pour heurter le roi.

Henri IV, profitant de cet instant de désordre, chargea soudain, et sa vaillante troupe, armée d'épées et de pistolets à la manière des reîtres, et disposée sur cinq files de profondeur, se précipita. si impétueusement sur le gros escadron ennemi qu'elle le rompit, et qu'il s'ensuivit une furieuse mêlée, main à main, où les hommes d'armes espagnols, Wallons et Flamands, ne purent se servir 'de leurs fortes lances.

Le combat fut terrible, mais de courte durée. Le comte d'Egmont ayant été tué sur place, et la gendarmerie étrangère étant défaite, le duc de Mayenne combattit, avec Charles Emmanuel de Savoie, duc de Nemours, l'un de ses deux frères utérins, de ce nom et de ce titre, et Charles de Lorraine, dit le chevalier d'Aumale, frère de Claude de Lorraine, troisième duc d'Aumale, l'un et l'autre neveux du duc François de Guise et cousins germains du duc Henri de Guise, jusqu'à ce qu'ils n'eussent plus que trente mètres autour d'eux. Ils se décidèrent enfin à prendre la fuite, en voyant que la cavalerie de la Ligue n'avait pas été plus heureuse sur les ailes qu'au centre, et que la déconfiture ou la déroute était générale.

L'infanterie de la Ligue ne résista guère. Les Suisses catholiques, qui en formaient une bonne partie, étaient demeurés immobiles ; ils capitulèrent avec Henri IV, sur le champ de bataille, et passèrent dans les rangs de l'armée ravale.

Les lansquenets furent massacrés. Henri IV fit épargner les ligueurs, ses compatriotes. Il s'en allait sur tous les champs de bataille, criant : Main basse sur les étrangers, mais quartier aux Français.

Il y a, dans les œuvres des historiens modernes, des exposés plus détaillés de la bataille d'Ivry, mais au récit suffisant qu'on vient de lire il nous a paru préférable d'ajouter le texte officiel de celui qu'en a fait Henri IV lui-même, le jour même, dans une lettre circulaire qu'il a jugé utile d'adresser à un grand nombre de personnages de son parti. Voici ce texte, qui est du 14 mars 1590 :

Il a plu à Dieu de m'accorder ce que j'avais le plus désiré ; d'avoir moyen de donner bataille à mes ennemis ; ayant la ferme confiance que, en étant là, il me ferait la grâce d'en obtenir la victoire, comme il est advenu aujourd'hui. Vous avez entendu comme après la prise de la ville de Honfleur, je leur vins faire lever le siège qu'ils tenaient devant la ville de Meulan, et leur présentai la bataille, qu'il y avait apparence qu'ils dussent accepter, ayant alors en nombre deux fois autant de forces que j'en pouvais avoir. Mais pour espérer le pouvoir faire avec plus de sûreté, ils voulurent différer jusqu'à ce qu'ils y eussent joint quinze cents lances que leur envoyait le duc de Parme, comme ils ont fait depuis quelques jours. Et, dés lors, ils publièrent partout qu'ils me forceraient au combat, en quelque lieu que je fusse, et pensaient en avoir trouvé une occasion fort avantageuse, de me venir rencontrer au siège que je faisais devant la ville de Dreux. Mais je ne leur ai pas donné la peine de venir jusque-là : aussitôt que je fus averti qu'ils avaient passé la Seine, et qu'ils tournaient la tête devant moi, je me résolus de remettre plutôt le siège que de faillir leur venir au devant. Et ayant su qu'ils étaient à six lieues de la dite ville de Dreux, je partis lundi dernier, i i de ce mois, et vins loger à la ville de Nonancourt, qui était à. trois lieues d'eux, pour v passer la Seine. Le mardi, je vins prendre les logis qu'ils voulaient pour eux, et où étaient déjà arrivés leurs maréchaux-des-logis. Je me mis en bataille, dés le matin, en une fort belle plaine, à une lieue près de celui qu'ils avaient fait le jour précédent, où ils parurent aussitôt avec toute leur armée, mais si loin. de moi, que je leur eusse donné beaucoup d'avantage de les aller chercher si avant ; et me contentai de leur faire quitter un village proche de moi, dont ils s'étaient saisis. Enfin, la nuit nous contraignit chacun de nous loger ; ce que je fis aux villages les plus proches.

Ce jourd'hui, ayant fait, de bon matin, reconnaître leur contenance, et m'ayant été rapporté qu'ils s'étaient représentés, mais encore plus loin qu'ils n'avaient fait hier, je me suis résolu de les approcher de si prés que, par nécessité, il se faudrait joindre, comme il est advenu entre dix et onze heures du matin, que les étant aller chercher jusque-là où ils étaient plantés, dont ils n'ont jamais avancé que pour ce qu'ils ont fait de chemin pour venir à la charge, la bataille s'est donnée en laquelle Dieu a voulu faire connaître que sa protection est toujours du côté de la raison. Car, en moins d'une heure, après avoir jeté toute leur colère en deux ou trois charges qu'ils ont faites et soutenues, toute leur cavalerie a commencé à prendre parti, abandonnant leur infanterie qui était en très grand nombre. Ce que voyant, les Suisses ont eu recours à ma miséricorde, et se sont rendus, les colonels, capitaines, soldats et tous leurs drapeaux. Les lansquenets et Français n'ont point eu le loisir de prendre cette résolution, car ils ont été taillés en pièces, plus de douze cents des uns et autant des autres ; le reste prisonnier et mis en route dans les bois, à la merci des paysans. De leur cavalerie, il y en a de neuf cents à mille de tués et de quatre à cinq cents de démontés et prisonniers, sans compter ce qui s'est noyé au passage de la rivière d'Eure, qu'ils ont traversée à Ivry, pour la mettre entre eux et nous, et qui sont en grand nombre. Le reste des mieux montés s'est sauvé par la fuite, mais en très grand désordre, ayant perdu tout leur bagage. Je ne les ai point abandonnés qu'ils n'aient été près de Mantes. Leur cornette blanche m'est demeurée, et celui qui la portait a été fait prisonnier. Douze ou quinze autres cornettes de leur cavalerie, deux fois davantage de leur infanterie, toute leur artillerie, infiniment de seigneurs prisonniers, et un grand nombre de morts, même de ceux de commandements, que je ne me suis pas encore amusé de faire reconnaître, mais je sais que, entre autres, le comte d'Egmont, qui était général de toutes les forces venues de Flandres, y a été tué. Leurs prisonniers disent tous que leur armée était de quatre mille chevaux et de douze à treize mille hommes de pied, dont je crois qu'il ne s'en est pas sauvé le quart. Quant à la mienne, elle pouvait être de deux mille chevaux et de huit mille hommes de pied. Mais de cette cavalerie, il m'en arriva, depuis que je fus en bataille, le mardi et le mercredi, plus de six cents chevaux. Même la dernière troupe de la noblesse de Picardie, qu'amenait M. d'Humères, qui était de trois cents chevaux, n'arriva que lorsqu'il y avait une demi-heure que le combat était commencé.

Cette lettre circulaire est la confirmation des faits principaux de notre récit.

Un fait à signaler, c'est la présence sur le champ de bataille d'Ivry, dans les rangs de l'armée royale, de Charles de Valois, qui avait été l'un des premiers à se rallier, au château de Saint-Cloud, immédiatement après la mort de Henri III, à la cause de Henri IV.

Ce Charles de Valois, né en 1573, était prédestiné, on le verra plus loin, à une existence très longue et très accidentée. Il était d'abord entré dans l'ordre de Malte, et avait été nommé grand prieur de France.

Puis Charles de Valois était devenu comte d'Auvergne dans les circonstances que l'on va lire.

Anne de la Tour, comtesse d'Auvergne 'en 150, comme héritière du comte d'Auvergne, Jean III, son père, mort sans enfant mâle, avait donné, par testament, le comté d'Auvergne à sa nièce, Catherine de Médicis, fille de sa sœur Madeleine, mariée en 1518 à Laurent de Médicis, duc d'Urbin et neveu du pape Léon X.

Catherine de Médicis donna en pur don le comté d'Auvergne à Charles de Valois, fils naturel, on le sait déjà, de Charles IX, et qui avait pour mère Marie Touchet, fille d'un lieutenant au baillage d'Orléans, et célèbre pour son esprit et sa beauté.

Marguerite de Valois, sœur de Charles IX et femme de Henri IV, comme on sait, attaqua cette donation et se fit adjuger régulièrement le comté d'Auvergne qu'elle céda plus tard à Louis XIII qui le réunit au domaine de la couronne.

Charles de Valois continua néanmoins à porter le titre de comte d'Auvergne jusqu'en 1619 où il l'échangea contre celui de duc d'Angoulême et, rentré dans le monde, avec une dispense pour se marier, il avait épousé, en premières noces, le 16 mai 1591, Charlotte de Montmorency, fille aînée du duc Henri de Montmorency, le futur connétable de 1595.

Charles de Valois était-il encore grand prieur de France ou était-il déjà comte d'Auvergne, lors de la déclaration de Saint-Cloud, qui suivit la mort de Henri III et que la mort de Catherine de Médicis avait précédée de plusieurs mois ? C'est d'importance secondaire. Toujours est-il qu'il combattit vaillamment dans l'armée royale à Ivry, comme il l'avait déjà fait précédemment à Arques. Malheureusement on verra plus loin qu'il devait un jour trahir indignement la cause qu'il avait d'abord si fidèlement servie.

La sanglante défaite que le duc de Mayenne avait essuyée à Ivry, la déroute générale de ses troupes qui accompagna et suivit cette défaite aurait dû le décourager ; elle aurait dû déconcerter la Ligue ; elle aurait dû décider les Parisiens à ouvrir au légitime roi de France les portes de sa capitale. Mais, si la fin de cette guerre civile était proche, l'heure de la pacification du royaume n'avait pas encore sonné.

Le duc de Mayenne continua ses intrigues hors de Paris et dans Paris ; il persista dans sa folle ambition ; il resserra sa criminelle alliance avec le roi d'Espagne, qui pourtant avait des vues personnelles différentes des siennes ; il ne songea qu'à se concerter avec le duc de Parme, dans le coupable espoir de faire plus facilement échec à Henri IV.

La Ligue, quoique déjà moins dominée par le duc de Mayenne, persévéra dans sa fiévreuse rébellion.

Les Seize avaient reconquis leur fanatique autorité sur les Parisiens plus que jamais résolus, à l'instigation de Catherine de Lorraine, sœur du duc Henri de Guise, duchesse de Montpensier, à une résistance obstinée, entremêlée de saturnales scandaleuses, d'actes sanglants et de souffrances inouïes.

Triste période dont il nous faut retracer à grands traits le douloureux tableau.

Henri IV avait fait de la ville de Tours une capitale provisoire de la France et y avait même institué un parlement. Mais il sentait, il comprenait qu'il ne régnerait réellement que lorsqu'il serait maître de Paris, la seule capitale possible, la seule capitale vraie du royaume. Quelque temps après la bataille d'Ivry, le 7 mai 1590, il fit donc de nouveau le siège de cette ville, qui se trouva subitement et complètement bloquée.

Déjà maîtresse de la haute Seine dont elle occupait tous les passages importants, l'armée royale s'empara de tous les ponts de la basse Seine. Elle domina ainsi le fleuve dans tout son cours, au-dessus et au-dessous de Paris dont elle coupa les communications avec les villes d'où il tirait de la province ses vivres et ses munitions.

Cette armée comptait environ quinze mille hommes campés dans les faubourgs du nord, distribués entre Saint-Cloud et Saint-Denis et dont les batteries étaient établies sur les hauteurs de Montmartre.

Le duc de Mayenne avait dissous le grand conseil que lui-même avait créé en 1589, avant la mort de Henri III et dont il jalousait l'autorité, dont il redoutait l'influence. Absent de Paris au moment où Henri IV était venu l'assiéger, il y avait laissé comme gouverneur, le duc Charles Emmanuel de Nemours, ligueur plus ardent que convaincu, mais actif et brave, qui en organisa promptement la défense intérieure et extérieure.

Lorsque le bruit des premières arquebusades, parties de l'armée royale qui attaquait les faubourgs, surprit les Parisiens, ils jurèrent de ne pas se rendre. Ils le jurèrent sur le grand autel de Notre-Dame où s'étaient rendus processionnellement, le jour de l'Ascension, le clergé régulier et le clergé séculier, suivis de nombreux laïques et précédés de toutes les reliques que possédait la capitale.

C'était le système de la Ligue de frapper les imaginations par des solennités de ce genre. Tous les chroniqueurs de l'époque ont surtout cité une procession dont la date n'est pas exactement déterminée, que les uns placent en mai, que les autres placent en juin, dont l'excentricité frise le ridicule et qui fut moins une cérémonie religieuse qu'une parade burlesque.

La procession était composée de prêtres et de moines dont les habits étaient relevés, ainsi que d'écoliers, au nombre de treize cents, ayant tous le casque en tête, la cuirasse sur la poitrine, le mousquet sur l'épaule, la pique à la main, et le sabre au côté. Un prieur et un curé ouvraient la marche.

La signification de cette scène grotesque était que, pour la défense de la foi catholique contre un roi hérétique, il était permis, il était ordonné de se servir des armes temporelles aussi bien que des armes spirituelles.

Ce n'était pas trop de ces surexcitations factices pour entretenir le fanatisme des Parisiens qui allaient être de vrais martyrs par le supplice de la faim qu'ils devaient bientôt endurer.

Les troupes de la Ligue avaient facilement repoussé les attaques de l'armée royale, mais elles n'avaient pas réussi à débloquer Paris, où bientôt une effroyable disette éprouva durement une population accoutumée aux jouissances d'une vie facile.

La situation devint affreuse. Il y eut des scènes navrantes où les affamés de la capitale rappelèrent l'histoire d'Ugolin se nourrissant dans la tour de Galand de la chair de ses enfants morts dans les tortures de la faim.

Mais, dans leur exaltation de fanatiques et de rebelles, les Parisiens du temps de la Ligue étaient comme emportés par un sentiment surhumain d'héroïsme aux dernières extrémités d'une stoïque résignation que les Parisiens de ce temps-ci ont imitée, en se dévouant au service d'une meilleure cause, au service de la patrie qu'ils tentaient de sauver de l'étranger et de préserver de la conquête.

Le siège de Paris, par l'armée royale, continuait avec ses épisodes naturels et ses péripéties forcées. Dans la nuit du 27 juillet 1590, Henri IV fit attaquer à la fois tous les faubourgs du nord et du sud et tous furent emportés d'assaut, après une terrible lutte de deux heures. L'armée royale s'y logea tout entière.

Du haut de l'abbaye de Montmartre, Henri IV avait dirigé cette formidable attaque des faubourgs, couronnée d'un entier succès.

Le duc de Sully, dans ses mémoires, dit qu'au spectacle à la fois effrayant et merveilleux de ce combat nocturne durant lequel Paris, cette espèce de monde, semblait tantôt plongé dans de profondes ténèbres, tantôt enseveli dans une mer de feu, le chef de la dynastie des Bourbons fut profondément ému. C'est sans doute à ce moment-là que, remué dans ses entrailles de roi, il se dit qu'étant le père du peuple, il devait être de la religion du peuple, c'est sans doute à ce moment là, qu'au cliquetis des épées et aux grondements du canon, il prit, dans le secret de sa pensée, la résolution de se convertir au catholicisme.

Ce dénouement préliminaire des guerres religieuses du temps devait bientôt se produire.

Henri IV n'ignorait pas les souffrances, les tortures que supportaient stoïquement les Parisiens qui déjà faiblissaient, bien que l'âcre et fougueuse éloquence des prédicateurs de la Ligue essayât encore de les maintenir dans la résolution d'une résistance opiniâtre ; il recula devant le carnage qui aurait inévitablement suivi une prise d'assaut. Il ne voulait pas que Paris fût mis au pillage. Après avoir fait passer, par la main des assiégeants, des vivres aux assiégés, ayant appris d'ailleurs que le duc de Mayenne et le duc de Parme avaient réuni leurs forces et projetaient de l'enfermer, entre leurs armées et l'enceinte, dans les faubourgs, il renonça subitement à la conquête de la capitale. Ce n'était plus en conquérant, c'était en ami qu'il voulait y entrer.

Dans la nuit du 29 au 30 août 1590, Henri IV avait levé son camp et bien qu'à quelque temps de là il ait encore tenté deux fois, presque coup sur coup, de s'emparer de Paris, par surprise, il songeait sérieusement à arrêter les maux de la guerre civile, qui, depuis tant d'années, désolait la France, par des négociations plutôt que par des combats. Seulement sa bonne volonté était plutôt entravée que facilitée par la cour du Vatican. Le Saint-Siège devait lui créer de nouveaux obstacles.

Un souverain pontife, plus résolument hostile à Henri IV, plus franchement favorable à Philippe II, plus fortement attaché aux intérêts de la Ligue que Sixte-Quint, s'était assis, le 5 décembre 1590 sur le trône de saint Pierre. C'était Grégoire XIV. Il avait adressé, le 12 février 1591, au clergé de France un bref dans lequel, exaltant le courage des Parisiens, il les invitait à élire promptement un roi catholique.

Ce bref lançait l'excommunication, fulminait l'anathème, en termes exaltés, contre Henri IV, déclaré à jamais indigne de monter sur le trône de saint Louis. Il devint l'occasion d'une importante déclaration du clergé de France, déclaration qui émanait d'une imposante assemblée de prélats, réunis dans la ville de Chartres, récemment tombée au pouvoir de l'armée royale.

Voici le texte des principaux passages de cette remarquable déclaration, qui est du 21 septembre 1591 et dont nous n'avons modifié que l'orthographe :

Avertis que notre saint père le Pape, Grégoire XIV, mal informé de l'état du royaume, aurait été par les pratiques et artifices des ennemis de cet État, persuadé d'envoyer quelques monitions, suspensions, interdits, excommunications, tant contre les prélats et ecclésiastiques, que contre les princes, nobles et peuples de France qui ne voulaient adhérer à la faction et rébellion des Parisiens, nous avons tenu conseil au sujet de la bulle du 12 février 1591.

Après avoir conféré et mûrement délibéré sur le fait de cette bulle, nous avons reconnu que, par l'impossibilité de l'exécution de la bulle précitée pour les inconvénients infinis qui ensuivraient au préjudice et ruine de nostre religion :

Les dits monitoires, interdictions, suspensions et excommunications sont nuls, tant en la forme qu'en la matière, injustes et suggérés par la malice des étrangers, ennemis de la France, et qu'ils ne peuvent obliger ni nous, ni autres Français catholiques étant en l'obéissance du roi.

Donc, nous avons jugé être de notre devoir et charge de vous avertir comme par ces présentes, sans entendre rien diminuer de l'honneur et respect dus à notre saint Père, vous en advertissons, le signifions et déclarons, afin que les plus infimes d'entre vous ne soient circonvenus, abusés ou divertis de leur devoir envers leur roi et leurs prélats, et pour lever en cela tout scrupule de conscience aux bons catholiques et fidèles Français ;

Nous réservant de représenter et faire entendre à notre saint père le Pape la justice de notre cause et nos saintes intentions, et rendre Sa Sainteté satisfaite, de laquelle nous vous devons promettre la même réponse que fit le Pape Alexandre à l'archevesque de Ravennes : Nous porterons patiemment quand vous n'obéirez à ce qui nous aura été, par mauvaises impressions, suggéré et persuadé.

Cependant nous admonestons au nom de Dieu tous ceux qui font profession d'être chrétiens, vrais catholiques et bons Français, et pareillement ceux de notre profession, de joindre leurs vœux et leurs prières aux nôtres pour impétrer de la divine bonté qu'il lui plaise illuminer le cœur de notre roi, et le réunir à son église catholique, apostolique et romaine, comme il nous en a donné espérance, dés son avènement à la couronne et promis par déclarations, et que nous soyons si heureux de voir l'Église catholique, apostolique et romaine et le royaume fleurir comme auparavant, par une bonne et sainte paix.

Cette déclaration des prélats, qui marque une phase de l'histoire ecclésiastique de France et qui fut pour l'époque où elle se produisit un événement et une nouveauté, fut affichée, par ordre, à la porte d'un très grand nombre d'églises.

Les intrigues se croisent et s'entrecroisent, les ambitions se choquent et s'entrechoquent. Le duc de Mayenne, toujours lieutenant-général de l'État royal, s'agite tantôt dans Paris, tantôt hors de Paris, mais il s'agite dans le vide, car les Seize qui s'agitent aussi ne songent plus à lui, comme successeur de Henri III, mais au jeune duc de Guise, fils de son frère, échappé de la prison où il avait été enfermé après le meurtre de son père.

C'est le jeune duc de Guise que la Ligue veut couronner roi de France avec l'appui de l'Espagne par son mariage avec la princesse Isabelle Claire-Eugénie, petite-fille de Henri II et fille de Philippe II.

Le duc de Mayenne fut averti' de ce plan machiavélique par une lettre infâme que les Seize avaient adressée à Philippe II, lettre qu'on avait interceptée et portée à Henri IV, qui s'était empressé de la lui faire parvenir.

Des jours, des semaines, des mois, des années même vont encore s'écouler en marches et contremarches militaires, surtout en croisements de conférences, de négociations, d'échanges de lettres, de pourparlers et d'ambassades, labyrinthe dans lequel Henri IV sut se diriger avec une rare habileté, bien qu'il n'eût, pour s'y guider, d'autre fil d'Ariane que sa loyauté, doublée, il est vrai, de son génie.

Sur le désir de la Ligue et à l'instigation de l'Espagne, le duc de Mayenne convoqua, le 5 janvier 1593, dans la grande salle du Louvre, les États généraux pour l'élection d'un roi. L'heure était passée pour le succès de cette conspiration.

Il n'y avait pas de roi à élire. Henri IV était le Roi.

Deux jours après l'ouverture des États généraux, qui se fit solennellement le 26 janvier 1593, on y vit arriver un trompette royal qui apportait un manifeste que Henri IV avait publié à Chartres et dans lequel il déclarait nul tout ce qui y serait dit et fait.

Henri IV insistait dans ce manifeste sur l'irrégularité de la convocation des États généraux réunis à Paris, convocation faite au mépris de l'autorité royale. Il ordonnait aux envoyés des villes et des communautés qui s'y étaient rendus d'en sortir sous peine de forfaiture. En même temps il y disait être disposé à recevoir l'instruction religieuse.

Quelques incidents intermédiaires, qui ont leur intérêt, leur importance et leur signification et qui méritent d'être notés, avaient précédé cette insolite convocation des États généraux, qui furent ceux de la Ligue.

Avec l'assentiment de son grand Conseil royal, Henri IV, qui s'était engagé à maintenir la religion catholique avec toutes ses immunités, jugea utile et opportun de rétablir, par une déclaration solennelle, dans l'intérêt du culte protestant, les édits antérieurs à la convention de Nemours de 1585, qui les avait abolis sous Henri III, et d'assurer par cette déclaration, préface du futur édit de Nantes, la liberté religieuse, qui n'existait alors qu'à l'état de tolérance, en vertu du traité d'avril 1589, conclu à Tours.

En 1592, Henri IV avait entrepris le siège de Rouen. L'armée de la Ligue, commandée par le duc de Parme, le duc de Mayenne, le duc de Guise et le duc d'Aumale, secourut cette place. Henri IV ne put s'emparer alors de Rouen, où son père, Antoine de Bourbon, qui s'était converti, avait été tué, en 1562, dans les rangs de l'armée catholique.

La même année, Henri IV perdit l'un de ses plus vaillants capitaines, le maréchal Armand de Biron, qui eut la tête emportée par un boulet de canon au siège d'Epernay.

Dans la même période, Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, améne les secours en hommes fournis par Elisabeth, reine d'Angleterre, à Henri IV qui le fait maréchal de France et lui fait épouser Charlotte de la Mark, héritière du duché de Bouillon et de la principauté de Sedan.

L'esprit de rébellion ne saurait enfanter que des discordes civiles et des crimes politiques. C'est ce qui était survenu dans Paris après la levée du siège, qui ne fut un jour de délivrance extérieure que pour devenir un jour de tyrannie intérieure.

Il s'était formé dans la capitale un conseil des Dix, pouvoir exécutif des Seize qui, sous prétexte de conspiration secrète avec les partisans de Henri IV, fit arrêter, le S novembre 1591, M. Brisson, premier président du Parlement, et le fit étrangler dans la prison. Deux autres magistrats subirent le même supplice.

Le duc de Mayenne, revenu dans Paris, dont il n'était absent que momentanément, désapprouva cet acte de sauvagerie, qui l'atteignait dans son autorité et dans sa personne et, usant de représailles, il fit pendre dans la salle des Suisses, au Louvre, deux membres de cet étrange comité des Dix, dont la justice souveraine rappelait trop les procédés de l'inquisition d'État de l'ancienne République de Venise.

Le duc de Mayenne cependant, s'il pouvait prononcer et exécuter de sa propre autorité des sentences de mort, n'en était pas moins à la merci de Philippe II, dont l'alliance lui était nécessaire et qui voulait, plus obstinément que jamais, la couronne de France pour sa fille Isabelle. Mais ce n'est pas à lui qu'était réservé le droit de prononcer le mot fameux : Il n'y a plus de Pyrénées.

La guerre civile allait bientôt changer de caractère, tout en se prolongeant quelque temps encore pour le malheur de la France, avec l'aide opiniâtre de Philippe II.

Les conspirateurs espagnols, lorrains et ligueurs, désorientés par la déclaration de Chartres, avaient été plus déconcertés encore pendant les illégales et impuissantes délibérations des États généraux qui avaient lieu au Louvre, par l'offre d'une conférence qui se tiendrait hors de Paris, que firent, par une dépêche adressée au duc de Mayenne, les princes, prélats et seigneurs catholiques fidèles au Roi.

Dans leur séance du 25 février 1593, les États généraux, qui devaient se séparer le 8 juillet 1593, sans avoir pu arriver à aucune solution, acceptèrent cette offre avec des restrictions de pure forme.

Cette conférence s'ouvrit le 29 avril 1593 dans le bourg de Suresnes, très voisin de Paris. La Ligue y envoya des délégués. Ce furent l'archevêque de Lyon, l'évêque d'Avranches, un abbé mitré de la ville de Laon, le comte de Villars, le comte de Belin, alors gouverneur de Paris, les présidents Jeannin et Lemaître, l'avocat général du Parlement d'Aix, Dulaurens, un avocat de Dijon du nom de Bernard.

Les amis de Henri IV étaient tous des personnages de haut rang et de haute qualité. C'était l'archevêque de Bourges, un ancien ministre de Henri III, Pomponne de Bellièvre, le secrétaire d'État Revot, le comte Gaspard de Schomberg, l'historien de Thou.

L'archevêque de Bourges, s'adressant à brûle-pourpoint à l'archevêque de Lyon, lui posa, sur la fin de la conférence, cette question directe et claire : Monsieur, que répondez-vous sur la conversion du roi ? Ne voulez-vous pas l'aider à se faire catholique ?

Plût à Dieu, répondit l'archevêque de Lyon, plût à Dieu qu'il fût bien et bon catholique, et que notre saint Père en pût être satisfait ! Nous sommes enfans d'obéissance et ne demandons que la sûreté de notre religion et le repos du royaume.

La décision de Henri IV était prise. Il ne pouvait brusquer sa conversion, mais il était très résolu à se faire catholique. Un ami fidèle, un protestant sincère, qui devait plus tard refuser le titre de connétable pour rester fidèle à ses convictions religieuses, le duc de Sully, fut le premier à encourager son roi à adopter le culte qui était celui de la très grande majorité de son peuple.

Le 17 mai 1593, l'archevêque de Bourges annonça aux délégués de la Ligue que Dieu avait exaucé leurs prières, et que, décidé à se convertir au catholicisme, Henri IV avait déjà mandé auprès de lui, pour une époque très prochaine, les docteurs, les évêques et les archevêques qui devaient achever, dans ces graves conjonctures, de l'éclairer de leurs lumières.

C'était exact. Des lettres de cachet royales étaient parties, qui convoquaient à Saint-Denis tous les pieux soutiens de l'Église pour le 15 juillet 1593.

Il y eut encore des retards involontaires. Enfin, après une controverse de quelques heures entre des prédicateurs catholiques et des prédicateurs protestants, controverse à laquelle assistait Henri IV, il se déclara prêt à se soumettre aux doctrines et aux lois de l'Église. Il écrivit confidentiellement à Gabrielle d'Estrées, fille d'Antoine d'Estrées, qui fut, après Diane de Grammont et avant Henriette d'Entragues, fille de François d'Entragues et de Marie Touchet, sa favorite, pour lui annoncer sa conversion immédiate.

Cette passion, qu'expliquait la rupture complète de tout rapport entre Henri IV et sa femme Marguerite de Valois, depuis un grand nombre d'années aussi étrangère aux préoccupations du roi qu'aux intérêts du royaume, et qui appartient à une époque où les soucis de la couronne et les affaires de l'État semblaient suffire à remplir toutes les heures d'une vie royale aussi active et aussi occupée, est celle qui a provoqué le plus de critiques parmi les historiens, comme elle avait soulevé le plus de colères parmi les Parisiens.

Bien que Gabrielle d'Estrées fût morte en 1599 et que Henriette d'Entragues fût la favorite du jour, dans sa lettre du 8 avril 1607 au duc de Sully, Henri IV faisait certainement allusion à ces écarts du passé autant au moins qu'aux écarts du présent. Cette lettre est une sorte de demande d'absolution pour tous les entraînements illégitimes qu'il a eus pendant sa vie, car il disait la vérité lorsqu'il y affirmait qu'aucun de ces entraînements ne le détournait une seule minute de ses préoccupations de roi et de ses devoirs de soldat.

Créée successivement marquise de Monceaux et duchesse de Beaufort, si richement dotée que le luxe de sa maison égalait, s'il ne le surpassait, le luxe des maisons princières les plus opulentes, Gabrielle d'Estrées n'était pas encore satisfaite.

Comme avant elle, Diane de Grammont, qui fut du moins aussi fidèle que dévouée, aussi désintéressée qu'aimante et qui vécut jusqu'en 1620 ; comme après elle, Henriette d'Entragues, qui ne fut jamais attachée qu'au roi et non à l'homme, Gabrielle d'Estrées s'était un moment bercée de l'espoir de devenir reine de France. Mais jamais Henri IV ne songea sérieusement à en faire sa femme. Ce qui le prouve, c'est qu'il devait bientôt négocier, en même temps que son divorce avec Marguerite de Valois, son mariage avec Marie de Médicis, de la maison ducale de Toscane, comme Catherine de Médicis.

Avant que ce divorce et que ce mariage dussent se réaliser, bien des événements allaient se passer.

Le 23 juillet 1593, Henri IV écrit de Saint-Denis à Gabrielle d'Estrées une lettre qui lui annonçait une sage détermination et qui se terminait ainsi :

Ce sera dimanche que je ferai le sault périlleux.

Il n'y a pas à s'effaroucher de ces expressions, le saut périlleux, qui se trouvent dans cette lettre ; ce n'était là qu'une saillie d'esprit comme Henri IV en eut toute sa vie.

Quelques contemporains que l'on peut croire, prétendent que Gabrielle d'Estrées excitait son royal amant à réaliser le projet de conversion au catholicisme qu'il avait depuis longtemps formé. Cet usage heureux de son influence rachèterait un peu l'irrégularité de cette liaison.

Quoi qu'il en soit, le dimanche 25 juillet 1593 doit être marqué d'une croix blanche dans l'histoire de France.

Ce fut le jour de la réconciliation générale de Henri IV avec le peuple de son royaume. Il se rendit ce jour-là, dés huit heures du matin, à la cathédrale de Saint-Denis. Il y arriva au son des trompettes, accompagné d'un splendide cortège de princes, de seigneurs et de gentilshommes, et suivi d'une foule considérable de paysans qui jetaient des fleurs sur son passage, en criant : vive le Roi ! vive le Roi.

Toute la cérémonie avait été réglée d'avance. Henri IV fut reçu sous le grand portail de la cathédrale de Saint-Denis par l'archevêque de Bourges, qui prononça ces paroles, en s'adressant à Henri IV :

Qui êtes-vous ?

Je suis le roi, répondit l'héritier de la couronne de saint Louis.

Que demandez-vous ? reprit l'archevêque de Bourges.

Je demande, répliqua son royal interlocuteur, à être reçu au giron de l'Église.

Puis s'agenouillant, Henri IV fit sa profession de foi, en ces termes : Je proteste et jure, devant la face de Dieu tout-puissant, de vivre et mourir en la religion catholique, apostolique et romaine, de la protéger et de la défendre envers tous, au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à toutes hérésies qui lui sont contraires.

Le grand acte était accompli. Henri IV entendit la messe, et, au sortir de la cathédrale de Saint-Denis, il aurait dit, à cette occasion : Paris vaut bien une messe.

Ces paroles ont-elles été réellement prononcées ? Rien ne le prouve. Des chroniques sans authenticité les ont seules répétées. Ce n'est peut-être qu'une légende. Après tout quel sens auraient-elles eu dans la bouche de Henri IV ? Elles auraient simplement exprimé, dans un langage familier, cette pensée élevée que maître de Paris, conquis pacifiquement au prix de sa conversion au catholicisme, c'était la paix publique assurée, c'était la guerre civile terminée.

La Ligue cependant résista encore ; Philippe II ne renonçait pas à ses ambitieux desseins.

Dernier effort de haines et de passions devenues impuissantes.

Paris voulait son roi ; le comte Charles de Brissac, que le duc de Mayenne avait récemment nommé gouverneur de la ville, se chargea de le lui rendre.

Ce comte Charles, deuxième du nom, était le fils de Charles de Cossé dont les ancêtres avaient figuré à la deuxième croisade, et qui fut maréchal de France.

La terre de Brissac relevait d'un magnifique château du XVIe siècle que l'on admire encore à quelques kilomètres d'Angers. Elle fut érigée en comté, en 1550, au profit du premier comte Charles et en duché-pairie, en 1611, sous Louis XIII, au profit du second comte Charles. Longtemps, on avait conspiré dans la capitale contre Henri IV. On y conspira pour lui. Le comte de Brissac résolut de lui en ouvrir les portes. Il communiqua son dessein, dans la soirée du 21 mars 1594, aux chefs de la milice bourgeoise, réunis au domicile du prévôt des marchands : ils reçurent tous cette importante communication avec une joie manifeste. C'était enfin la délivrance.

Le lendemain, à quatre heures du matin, Henri IV pénétra dans Paris par la Porte Neuve qu'il trouva ouverte, et où il salua du titre de maréchal de France le comte de Brissac qu'il embrassa, en lui passant autour du cou son écharpe blanche. 11 y pénétra à la hâte et, à la tête de la principale colonne de l'armée royale, se rendit à Notre-Dame.

Le chapitre de Notre-Dame reçut solennellement Henri IV sous le -porche. Il y entra, comme roi de France, il v entendit la messe, pendant que les divers corps de l'armée se répandaient dans les différents quartiers de Paris et s'emparaient de toutes les portes de l'enceinte. Puis il alla, à travers des flots de peuple et aux acclamations de la foule, dîner au Louvre, devenu sa résidence officielle. C'est là que les clefs de sa capitale lui furent apportées et remises.

Le comte de Brissac, le prévôt des marchands, les échevins parcoururent, précédés d'un héraut d'armes accompagné de trompettes, les foyers principaux de la Ligue, en proclamant une amnistie générale.

Les troupes espagnoles, qui représentaient Philippe II dans Paris, en sortirent tambours battant, enseignes déployées, avec tous les honneurs de la guerre.

Après son dîner, Henri IV voulut assister au départ des soldats étrangers. Messieurs, leur dit-il, avec sa fine ironie, recommandez-moi à votre maître, mais n'y revenez plus. Ils n'y revinrent plus.

La dynastie des Bourbons était installée dans Paris. Elle leur en fermait l'entrée.

On a prétendu que selon un mot de Henri IV qui certainement ne l'a pas dit, Paris fut vendu et non rendu. Il ne fut ni rendu ni vendu. Il ne fut pas rendu, puisqu'il ouvrit ses portes au roi de France, sans qu'il y ait eu combat, sans qu'il y ait eu un siège. Il ne fut pas vendu, parce que le comte de Brissac, quelque bénéfice personnel qu'il ait pu trouver à son accord secret avec son souverain, ne conclut cet accord secret que parce qu'il subissait alors la pression de l'opinion publique, l'influence de la voix populaire.

Paris ne s'est en réalité ni vendu, ni rendu. Il s'est donné à son roi légitime.

La période militaire ou militante n'était pas encore close. Le fort de la Bastille et le château de Vincennes ne se rendirent que quelques jours après, au moment où le corps de ville, épuré de ses conseillers ligueurs, jurait entre les mains du nouveau gouverneur de Paris, François, seigneur de Fresnes et de Maillebois, marquis d'O, l'un des personnages du règne, foi et loyauté au roi, renonçant à toutes rebellions, à toutes associations du passé, fruits de la malice des temps.

Les villes de province où dominait l'esprit de la Ligue furent toutes invitées à suivre cet exemple, mais toutes n'obéirent pas immédiatement à cet ordre.

Le Parlement de Paris, reconstitué par la dissolution du Parlement de Tours, signala sa réorganisation en rendant un arrêt important. Cet arrêt annulait tout ce qui avait été fait depuis le 29 décembre 1538, au préjudice de l'autorité des rois et des lois du royaume.

Dans ce même arrêt, le parlement de Paris révoquait le pouvoir donné au duc de Mayenne, avec le titre de lieutenant général de l'État royal, et ordonnait à ce prince, ainsi qu'à tous les membres de la maison de Lorraine, de rendre obéissance à Henri, quatrième du nom, roi de France.

Le parlement de Paris fit plus encore. Il cassa tous les actes, toutes les ordonnances de l'assemblée que le duc de Mayenne avait réunie dans la grande salle du Louvre en la qualifiant à tort d'États généraux. Enfin, il solennisa, à perpétuité, le 22 mars 1594, pour rendre grâces à Dieu de l'heureuse réduction de la capitale du royaume en l'obéissance du Roi.

Mais quelques parlements de province continuèrent à servir la Ligue et l'Espagne.

La Sorbonne ne se soumit enfin qu'après la publication officielle de l'arrêt du parlement de Paris. Elle déclara qu'on devait entière obéissance à Henri IV, bien que le souverain pontife ne l'eût point encore proclamé fils ainé de l'Église.

Cette déclaration avait de l'importance.

Fondée en 1253, par Robert de Sorbon, avec l'appui de la reine Blanche, approuvée en 1259 par Alexandre IV, réunion d'ecclésias-

tiques séculiers qui vivaient en commun et se gouvernaient eux-mêmes, célèbre par la supériorité et la réputation de son haut enseignement, la Sorbonne avait une grande autorité dans les questions de religion, de science, de foi.

La soumission de la Sorbonne à Henri IV acheva de lui rallier toute la population parisienne.

Il était temps que le Pouvoir fût replacé sur une base solide, il était temps que les deux grands partis entre lesquels, avant la conversion de Henri IV au catholicisme, se partageait l'opinion publique, fussent enfin rattachés l'un à l'autre par de puissants et patriotiques liens.

Aux causes générales et diverses de ruine et de dissolution du royaume de France que de longues années de guerre civile avaient produites, seraient venus s'ajouter des troubles de moins haute portée, mais d'un effet peut être plus désastreux encore.

Dans plusieurs provinces, surtout dans le Limousin, le Périgord et la Saintonge, des ferments de révolte s'étaient introduits dans les campagnes à la faveur des discordes politiques et religieuses des villes. Il y avait eu déjà sous Henri III les insurrections des Gautiers et des Catillonnais.

Il y eut, de 1589 à 1593, surtout les soulèvements partiels des Châteaux-Verts, qui précédèrent la grande rébellion des Tard-Venus et des Croquants. Ce fut l'embrasement rapide et menaçant d'une partie de la France, qui dura jusqu'au mois d'août 1595.

Les provinces insurgées furent alors pacifiées ; Henri IV, qui avait pour maxime que ses sujets ne pouvaient souffrir aucune ruine qui n'en fut :une pour lui-même, avait trouvé le secret de comprimer, de désarmer l'anarchie, qui affaiblissait l'État et menaçait la société, sans recourir à aucun moyen violent et seulement par la persuasion.

Henri IV, que plusieurs puissances étrangères avaient déjà reconnu, allait remporter sur ses ennemis acharnés une victoire toute morale, d'une salutaire influence sur les esprits.

Le 17 septembre 1595, Clément VIII, trop longtemps circonvenu par les obsessions de l'Espagne, s'était enfin décidé à proclamer la réconciliation de Henri IV, redevenu pour la cour de Rome le roi très chrétien, avec l'Église. Il fit cette proclamation, assis sur un trône resplendissant de splendeur et d'éclat, placé sous le portique de la célèbre basilique de Saint-Pierre et environné d'un pompeux cortège de cardinaux, d'archevêques et d'évêques.

Des négociations successives avaient préparé ce grand événement. Le cardinal de Gondi, évêque de Paris, le duc de Nevers et divers autres personnages s'étaient rendus à Rome, à des dates différentes, pour y plaider auprès de la cour du Vatican la cause de Henri IV. Absous de ses hérésies passées, Henri IV devint le fils aîné de l'Église. La réconciliation de la royauté et de la papauté était complète.

Du reste, Henri IV ne pouvant alors se rendre à Reims, qui était au pouvoir de la Ligue, s'était déjà fait sacrer, le 27 février 1594, dans la cathédrale de Chartres, et, dès le lendemain, il prenait le collier de l'ordre du Saint-Esprit, créé par Henri III.

Cependant, quatre années allaient encore s'écouler avant que la pacification générale intérieure fit un fait accompli, avant le dernier acte de la grande guerre civile, politique et religieuse, qui entrava pendant une longue période, la mission providentielle de Henri IV, mission qu'il ne put même achever parce que le couteau d'un Ravaillac devait l'enlever à la France en voie de régénération, à l'Europe en voie d'affranchissement.

Voici les faits caractéristiques de ces quatre années :

La guerre avait continué entre Henri IV, roi de France, et Philippe II, roi d'Espagne, guerre devenue tout à fait internationale.

Les Espagnols avaient en Picardie un poste avancé : La Fère. Henri IV en entreprit le siège, qui fut long, avec le concours du duc de Mayenne, qui s'était enfin décidé à se faire le sujet fidèle du souverain dont il avait follement combattu l'autorité légitime.

La soumission du duc de Mayenne avait été négociée comme on négocie un traité de paix ou d'alliance. L'acte qui l'avait consommée, avait compris d'autres chefs influents de la Ligue, et fut appelé la convention de Follembray, du nom de la localité où il fut signé, localité de l'ancienne province de Picardie.

Henri IV se rendit maître de La Fère le 16 mai 1597. Ce succès le consola des avantages que les Espagnols avaient obtenus dans les provinces limitrophes de la Belgique, provinces où ils s'étaient emparés de quelques places importantes.

L'Espagne alors était pauvre, elle était épuisée, et Philippe II, qui usait de ses dernières ressources, qui empruntait à tous les banquiers d'Europe, s'apprêtait à déshonorer son règne par une banqueroute retentissante.

Henri IV était aussi loyal qu'il était brave. Mais il était loin d'être riche. Le trésor royal était vide. On peut juger des difficultés matérielles qu'il dut avoir dans le cours de la lutte qu'il soutenait contre l'Espagne, dans des contrées qui étaient françaises, à s'y maintenir sur le pied de guerre, par une lettre qu'il écrivit du camp de La Fère, avant qu'il fût entré dans cette place, au duc de Sully dans le but de le préparer à accepter le poste de surintendant des finances. Voici cette lettre, qui porte la date du 14 avril 1595

Je veux bien vous dire l'état où je me trouve réduit, qui est tel que je suis tout proche des ennemis, et n'ai quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnais complet que je puisse endosser ; mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués au coude, ma marmite souvent renversée, et depuis deux jours je dîne et je soupe chez les uns et les autres ; mes pourvoyeurs disent n'avoir plus moyen de rien fournir pour ma table, d'autant qu'il y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'argent. Pourtant jugez si je mérite d'être ainsi traité, et si je dois plus longtemps souffrir que les financiers et trésoriers me laissent mourir de faim, et qu'eux tiennent des tables friandes et bien servies, que ma maison soit pleine de nécessités et les leurs de richesses et d'opulence, et si vous n'êtes pas obligé de me venir assister loyalement, comme je vous en prie.

Aucun choix ne pouvait être plus heureux, comme l'avenir devait le démontrer.

Le duc de Sully était le véritable surintendant des finances du règne, l'homme né tout exprès pour mettre de l'ordre dans une administration où régnait le désordre et qui était livrée sans contrôle à une profonde incurie, à un pillage effréné.

Le 24 octobre 1594, après la mort du marquis d'O, qui occupait cette haute situation, la surintendance des finances, jusqu'à ce moment confiée à ses mains, avait été supprimée. Un conseil spécial, qui comptait huit personnages de haut rang, mais de petite capacité et de médiocre probité, l'avait remplacée.

C'est le luxe insolent, ce sont les scandaleuses rapines, c'est la rapide fortune de ces huit conseillers des finances que Henri IV stigmatisait dans la lettre qu'il avait adressée du camp de La Fère au duc de Sully.

Le duc de Sully ne fut investi régulièrement de la charge de surintendant des finances qu'en 1599. Mais il exerça de fait cette charge, dès la clôture de l'Assemblée des notables, que Henri IV avait convoquée à Rouen et qu'il ouvrit le 4 novembre 1596, par une allocution qui mérite d'être textuellement citée. En voici le texte :

Messieurs, comme j'aspire plus au titre de libérateur et de restaurateur de la France qu'à celui de grand orateur, je vous apporte aussi plus de bonne volonté que de bonnes paroles.

Je ne vous ai point appelés ici pour vous obliger d'approuver aveuglément mes volontés, comme faisaient mes prédécesseurs. Je vous ai assemblés pour recevoir vos conseils, pour les suivre et pour me mettre en tutelle entre vos mains. C'est une envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux. Mais l'amour que j'ai pour mes sujets et l'extrême désir que j'ai de servir l'État, me fait trouver tout facile et tout honorable.

Vous savez à vos dépens, comme moi aux miens, que lorsque Dieu m'a appelé à cette couronne, j'ai trouvé la France, non seulement ruinée, mais presque toute perdue pour les Français.

Par la grâce divine, par les prières et par les bons conseils de mes serviteurs, qui ne font profession des armes, par l'épée de ma brave et généreuse noblesse, de laquelle je ne distingue point les princes pour être notre plus beau titre, celui de gentilhomme ; par mes peines et labeurs, je l'ai sauvée de la perte. Sauvons-la à cette heure de la ruine.

Participez, mes chers sujets, à cette seconde gloire comme vous avez fait à la première.

Il existe un texte du discours que Henri IV a prononcé devant l'Assemblée des notables de Rouen, écrit de sa main, qui est le même au fond, bien qu'un peu différent dans la forme, et qui indique qu'il avait préparé sa harangue royale.

Les Assemblées des notables étaient l'équivalent des États généraux, sans en être la copie exacte, à raison de la différence de leur composition, qui n'était pas identiquement pareille. Toutefois, le but de leur convocation était le même. Ce but, c'était le vote des taxes.

L'Assemblée des notables de Rouen accorda à Henri IV ce que l'on appelait le sou pour livre. Ce fut tout.

Pendant que cette Assemblée délibérait, le duc de Sully était venu mettre dans l'escarcelle du roi de France une somme de cinq cent mille écus d'or qu'il avait pu recouvrer dans le cours d'une inspection générale des livres et des comptabilités de tous ceux qui, à des titres divers, percevaient les deniers publics. C'était quelque chose.

Henri IV avait dû largement récompenser le duc de Mayenne de sa conversion politique. Il l'avait traité en vieil ami plutôt qu'en ancien ennemi. Dès le lendemain de la dispersion des forces de la Ligue, ses fidèles partisans s'étaient aussi montrés très exigeants dans leurs prétentions. Il avait dû subir leurs demandes de faveurs exceptionnelles, demandes qui diminuaient beaucoup, par le prix élevé auquel ils estimaient leurs services, le mérite de leur dévouement dans le passé. Ce dévouement, ils le faisaient payer, avec usure, en mettant à leur fidélité dans l'avenir des conditions excessives.

Il y avait toujours des rebelles à soumettre, comme Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, cousin des Guise et beau-frère de Henri III, qui prétendait détacher, à son profit, toute la Bretagne du domaine de la couronne, sous prétexte que sa femme, Marie de Luxembourg, héritière du duché de Penthièvre, que Louis XIV devait donner un jour au comte de Toulouse, avait des droits sur cette province. Il y avait enfin les dernières troupes espagnoles à chasser définitivement des territoires et des villes qui constituaient alors le royaume de France.

Les concessions momentanées que fit Henri IV aux chefs de la noblesse française qui l'avaient secondé contre la Ligue étaient donc des concessions imposées par la force des choses, par des nécessités

de circonstances. Il ne les fit qu'à regret, et avec d'autant moins d'entraînement qu'il comprenait qu'elles étaient l'indice d'un retour offensif de la féodalité, qui essayait de renaître, comme le phénix de ses cendres.

Mais Henri IV n'était pas moins prévoyant que perspicace, et s'il savait céder, lorsqu'il était sage de céder, il savait résister, lorsqu'il était utile de résister ; sa fermeté égalait sa prudence. Il eut soin de satisfaire aux exigences de ceux dont il lui fallait encore l'appui, sans engager, sans compromettre l'avenir. Il leur donna des titres, des situations, des honneurs, il leur donna même des places de sureté, mais à titre transitoire ; il leur donna surtout des gouvernements de provinces, mais il refusa inexorablement de les y rendre indépendants, comme quelques-uns le désiraient ; il s'arrêta enfin dans les concessions qu'il leur fit, à la limite au delà de laquelle ces concessions pouvaient devenir un obstacle à l'unité du pouvoir royal, un danger pour l'unité territoriale de la France.

Henri IV n'avait pas uniquement à se préoccuper de la rébellion du duc de Mercœur et de la guerre que lui faisait Philippe II avec une opiniâtreté inexplicable, surtout en Picardie où son armée s'était emparée d'Amiens, par surprise. Il avait un troisième ennemi à vaincre : c'était Charles-Emmanuel, premier du nom, duc de Savoie, qui guerroyait dans le Dauphiné pour agrandir son petit État, aux dépens du royaume de France.

Ce duc de Savoie s'était d'ailleurs emparé du marquisat et de la ville de Saluces qui, depuis François Ier, appartenaient à la France, et cela pendant la période agitée et troublée que la mort du duc Henri de Guise avait amenée.

Ces trois grosses difficultés se dénouèrent presque simultanément à la gloire de Henri IV, à l'avantage de la France et par un nouvel agrandissement du domaine de la couronne.

Le duc de Mercœur était resté le rebelle le plus endurci et le plus audacieux, et aussi le plus redoutable. Il combinait sa résistance avec les entreprises du duc de Savoie et les hostilités du roi d'Espagne. En 1592, il avait battu, prés de Craon, l'armée royale que commandait alors le prince de Dombes, fils du duc de Montpensier, l'un des signataires de l'acte du 3 août 1589, que la mort emporta dans cette même année.

Enfin, le 18 février 1598, Henri IV traita avec le duc de Mercœur vaincu, et, redevenue soumise à son autorité royale, la Bretagne lui resta fidèle.

Le duc et la duchesse de Mercœur avaient une fille unique, Françoise de Lorraine. Elle fut fiancée à César, fils récemment légitimé de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, qui devint duc de Vendôme.

Le mariage du duc César de Vendôme avec Françoise de Lorraine fut célébré en 1609. Ce mariage avait été l'une des conditions de l'arrangement que Henri IV avait conclu avec le duc de Mercœur, qui alla guerroyer hors de France et mourut en 1602 à Nuremberg.

On a vu que Marie de Luxembourg avait apporté à son second mari, François de Bourbon, le comté de Soissons et la seigneurie ou le comté d'Enghien. Elle lui avait également apporté la seigneurie ou la principauté de Condé. On sait aussi qu'il était déjà, de son chef, comte de Vendôme.

Le comté de Vendôme était entré dans la maison de Bourbon, en 1367, par le mariage de son titulaire, Bouchard VII, avec Isabelle, fille de Jacques, comte de la Marche, déjà indiqué comme étant la tige de la branche cadette de cette illustre maison, devenue maison royale.

François Ier érigea le comté de Vendôme en duché-pairie en faveur de Charles de Bourbon, fils de François de Bourbon et de Marie de

Luxembourg, père d'Antoine de Bourbon et aïeul de Henri IV, qui avait donc pu disposer de ce duché de Vendôme, puisqu'il faisait partie de son patrimoine de famille.

C'est après la soumission du duc de Mercœur et de la province de Bretagne que Henri IV se rendit à Nantes où il signa, le 13 avril 1598, le célèbre édit qui garde le nom de cette ville.

Cet édit avait été préparé par le président de Thou de concert avec les délégués des Églises réformées de France, réunis à Châtellerault pour y jeter les bases d'une équitable et durable conciliation entre les deux cultes chrétiens du royaume, entre les catholiques, qui étaient la majorité, et les protestants, qui étaient la minorité.

Le parlement de Paris n'enregistra l'édit de Nantes que le 25 février 1599 et il ne l'enregistra qu'après avoir adressé à Henri IV des remontrances qui provoquèrent cette réponse royale :

J'ai reçu vos supplications et remontrances, tant de bouche que par écrit. Je recevrai toujours celles que me ferez de bonne part, comme gens affectionnés à mon service.

Je ne suis pas réfractaire aux conseils. Lorsqu'on m'en donne de bons, je les embrasse.

Il n'y a pas un de vous qui, lorsqu'il voudra me venir trouver et me dire : Sire, vous faites telle chose qui est injuste à toute raison, que je ne l'écoute volontiers.

Il ne faut plus faire de distinction de catholiques et de huguenots. Il faut que tous soient bons Français, et que les catholiques convertissent les huguenots par l'exemple de leur bonne vie.

Je suis roi berger, qui ne veut répandre le sang de mes brebis ; mais je veux les rassembler avec douceur.

Dans une circonstance antérieure, dans une grosse question d'argent d'où dépendait le sort de la campagne de Picardie que Henri IV allait entreprendre pour relever la fortune de la France contre l'Espagne victorieuse, il avait fait déjà, dans l'intérêt général, acte d'autorité et de virilité à l'égard du Parlement de Paris.

C'était après la douloureuse nouvelle de l'entrée des Espagnols dans Amiens.

Cette nouvelle était arrivée dans Paris la nuit du 1 2 mars 1597. Dés qu'elle parvint à Henri IV, il s'écria : Il faut ravoir cette ville ou mourir. Il dressa dès le matin un plan général de campagne et de défense en Picardie qu'il combina avec celui qu'il nommait son compère, avec le duc Henri de Montmorency, déjà cité, alors connétable et toujours gouverneur du Languedoc.

Il fallait de l'argent. Alors comme aujourd'hui, c'était le nerf de la guerre. Henri IV en obtint de trois financiers en renom à l'époque. Dans le nombre figurait le Florentin Zamet qui devait négocier son mariage avec Marie de Médicis.

Ce fut insuffisant ; Henri IV décréta des emprunts de guerre que le Parlement de Paris refusa d'enregistrer à l'amiable. Alors il usa de son droit ; il tint, le 21 mars 1597 un lit de justice et ordonna que leur enregistrement se fit en sa présence.

Aussitôt après cette formalité, qui rendait légaux les emprunts guerre, Henri IV prescrivit d'urgence toutes les mesures administratives qui étaient indispensables pour qu'on dirigeât, sans retard, sur la Picardie, des vivres, de l'artillerie, des munitions. Il déploya dans cette occasion cette incroyable activité, cette infatigable énergie qui constituent l'un de ses plus beaux titres de gloire. C'est alors qu'on pouvait admirer tout ce qu'il savait mettre d'ardeur et de volonté au service de la patrie, et combien était vaste et multiple sa haute intelligence, qui, à toute heure et avec la même pensée, savait embrasser d'un seul coup d'œil toutes les ressources et tous les besoins du royaume.

Henri IV n'était pas, comme auraient pu le faire croire ces deux actes de vigueur et d'autorité à l'égard du parlement de Paris, un homme de pouvoir absolu, de pouvoir personnel, d'autocratie césarienne, en un mot, un homme de dictature.

Henri IV voulait l'unité du pouvoir royal ou central, parce qu'il comprenait que là était la force, que là était le salut du royaume. Mais il ne visait nullement au despotisme, il ne prétendait nullement n'obéir qu'à sa fantaisie. Il constitua, à côté du Parlement de Paris, qui, sans être une institution politique, conserva le droit de remontrance, un conseil d'état et un conseil privé qu'il initiait à toutes les affaires importantes.

Puis, si Henri IV travaillait à établir une centralisation complète à une époque où il n'y avait dans le gouvernement ni uniformité, ni homo possible avec les pays d'état, il accomplissait une œuvre utile ; mais il ne pouvait qu'améliorer le présent et préparer l'avenir.

Dans les pays d'état, on disait au Roi : Nous serons vos sujets, mais avec nos privilèges.

Les grandes villes enfin se montrèrent très jalouses de leurs franchises municipales et entendaient se garder elles-mêmes. Au moins fallait-il qu'au sommet de l'État, il y dit une volonté unique et ferme.

Le duc de Sully avait consigné et gardé dans ses notes ce qu'il appelait les maximes d'État de Henri le Grand. Voici le texte de ces maximes qui certes émanent d'un prince qu'on ne peut dire et croire enclin à la tyrannie :

Dieu seul établit les dominations, lui seul aussi en est le vrai propriétaire ; tous les rois n'en sont que les usufruitiers, par conséquent ils doivent lui en rendre un compte exact.

De même que les bons sujets rendent une prompte obéissance à la voix de leurs rois, ainsi les rois doivent obéir au grand Dieu, et régner comme lui avec équité et clémence.

Les rois sont établis par Dieu pour être ses images. Ils doivent donc le faire paraître par leur douceur et leur sagesse.

La justice et la prudence sont les trônes des rois : qu'ils s'y assoient sans cesse, et leur empire sera agréable à Dieu.

Ceux qui siègent sur les trônes, tiennent en main le sceptre, et portent sur le front le royal diadème ; mais qu'ils sachent que les véritables piédestaux des trônes sont la bonne foi, la clémence et le respect de la loi

Si les rois, comme Dieu, veulent régner sur des peuples soumis, qu'ils se montrent non rois, mais comme lui, vrais pères.

La première loi des dominations légitimes est l'obéissance volontaire des sujets à leurs rois, comme aussi l'absolue déférence des rois aux statuts et lois de l'État, qu'ils ont juré d'observer, en prenant possession de ces États eux-mêmes.

Ainsi qu'un beau soleil, par sa lumière et sa chaleur, illumine les cieux, échauffe la terre, reverdit les plantes, diapré de fleurs, mûrit les fruits, ainsi les vrais rois, par l'intelligente sagesse de leur gouvernement et leur munificence, illuminent les esprits, échauffent les courages, f6nt renaître partout les douces espérances, assurent leurs peuples contre l'étranger, fécondent et multiplient leurs biens.

Quels que soient l'éclat trompeur et la spécieuse apparence de certains potentats qui prétendent ravir à leurs voisins quelques-unes de leurs possessions, ils trouvent cependant toujours à la fin les haines, le blâme, les chagrins, les repentirs, si ces conquêtes doivent toujours rester litigieuses, et si, pour les entreprendre, ils ont été contraints d'aliéner leurs propres biens et leurs revenus, de charger leurs peuples d'impôts, d'anéantir le commerce et l'agriculture, d'exposer leurs sujets au pillage, à la ruine, à la mort.

C'est une insigne folie de s'exposer à perdre ses propres biens pour satisfaire le désir d'usurper ceux d'autrui, d'autant plus que si les pays envahis continuent à être disputés les armes à la main, l'envahisseur dépensera à les garder et à les conserver trois fois plus qu'ils ne lui rapporteront de revenu annuel.

Quelle hauteur de vues, quelle élévation de sentiments ! On dirait l'écrit d'un penseur. L'âme de Henri IV respire toute entière dans cet exposé de maximes d'État d'une remarquable largeur d'esprit et d'une grande rectitude de jugement qui furent constamment la règle de sa conduite dans les affaires publiques.

Henri IV allait enfin pouvoir se donner tout entier à la réalisation de ses plans de réforme intérieure et de sécurité extérieure.

Le 2 mai 1598, Henri IV et Philippe II conclurent à Vervins, localité de l'ancienne province de Picardie, un traité de paix qui a gardé le nom de cette localité.

La principale condition du traité de Vervins fut que les deux rois se rendraient réciproquement les places qu'ils avaient pu se prendre l'un à l'autre dans le cours d'une longue guerre où la politique et la religion, le fanatisme et l'ambition, avaient joué un rôle d'égale importance.

Le duc de Savoie, souvent allié du roi d'Espagne et du duc de Mercœur, était intervenu dans ce traité. Mais une question secondaire, celle du marquisat et de la ville de Saluces, qui lui était toute personnelle, était restée en litige. Elle ne fut terminée qu'en 1601. Henri IV rendit ce marquisat et cette ville, alors en sa possession, au duc de Savoie. Mais il acquit la Bresse, le Bugey et le Valromey qu'il réunit au domaine de la couronne.

Dans sa longue lutte contre le duc de Savoie, Henri IV fut efficacement et constamment secondé par le maréchal François de Bonne de Lesdiguières qui, d'abord l'un des chefs du parti protestant, devait se convertir au catholicisme, sous Louis XIII, que Marie de Médicis devait faire duc et pair, et qui devait être élevé à la dignité de connétable, après la mort du duc de Luynes.

Le duc de Mayenne cessa d'être activement mêlé aux agitations (1.2 la politique. Il acheva sa vie dans le repos et la retraite. Il mourut en 1611.

D'autres ligueurs, aussi incorrigibles que le duc de Mercœur et, comme lui, de haut rang, eurent également une triste destinée.

Condamné à mort en 1595, par le parlement de Paris, pour crime de haute trahison, le duc d'Aumale dut se réfugier à l'étranger et mourut à Bruxelles en 1631.

En 1593, le duc de Mayenne avait fait enfermer au château de Pierre Encise, près de Lyon, le duc Charles-Emmanuel de Nemours, qui avait essayé de se créer une souveraineté indépendante dans le Midi, et qui ne s'échappa de sa prison, en 1595, que pour aller mourir obscurément au château d'Annecy.

Les anciens ligueurs de moindre importance étaient morts, comme le chevalier d'Aumale, tué devant Saint-Denis, en 1591, OU rentrés dans la vie privée, comme le duc Henri de Nemours, plus connu sous le nom de marquis de Saint-Sorlin, ou franchement ralliés, comme le duc Charles de Guise, qui contribua à faire rentrer dans l'obéissance Marseille, la dernière des villes rebelles.

De son côté, Henri IV avait encore perdu quelques-uns de ses fidèles et premiers partisans. Ainsi le duc de Longueville, l'un des principaux signataires de l'acte du 3 août 1589, était mort, par accident, devant Doullens, en 1595. Enfin le second prince de Condé, qui avait si vaillamment combattu à Coutras, était également mort

Saint-Jean-d’Angély, en 1598, laissant un fils posthume, qui devint le troisième prince de Condé et qui fut élevé dans la religion catholique.

Parmi tous les noms dont l'histoire a consacré le souvenir et qui ont marqué pendant les troubles et les guerres de la première période du règne de Henri IV, il en est un que l'on voudrait oublier et que l'on regrette de rencontrer dans les annales de ce règne, c'est celui de Charles de Gontaut, duc de Biron, maréchal de France et gouverneur de la Bourgogne.

Fils du maréchal Armand de Biron, le duc de Biron débuta glorieusement dans la vie, mais il finit aussi mal qu'il avait bien commencé. Après avoir été l'un des plus vaillants champions de la cause royale, après avoir héroïquement combattu sur plus d'un champ de bataille, à côté de Henri IV qui le traitait moins en serviteur qu'en ami, et qui lui avait sauvé la vie, devant l'ennemi, il devint traître et félon.

L'orgueil et l'ambition perdirent le duc de Biron. Il s'allia secrètement contre Henri IV avec deux cours étrangères, celle d'Espagne et celle de Savoie, par un pacte monstrueux, aussi préjudiciable, dans son but, aux intérêts du royaume qu'à ceux du roi, et dont le résultat, s'il eût été réalisé, aurait été funeste à la France, menacée de démembrement par les deux alliés.

Dieu ne permit pas l'accomplissement d'un pareil dessein. Dénoncé par un obscur intermédiaire du nom de Lafin, le duc de Biron, dont le complot avait été révélé à temps, fut arrêté, conduit à la Bastille, où la sentence de mort prononcée contre lui, en séance générale, par le parlement de Parlés, que présidait M. de Harlay, sur des preuves de culpabilité indéniables, fut exécutée le 3t juillet 1602.

De l'aveu de tous les historiens, la condamnation du duc de Biron et l'exécution de la sentence de mort qui l'avait frappé, ne sauraient être attribuées à des sentiments de colère et de vengeance, à des désirs de représailles, indignes du grand caractère de Henri IV. Il est démontré qu'avant d'envoyer le coupable devant des juges, il voulut en obtenir, dans le palais de Fontainebleau, l'aveu et le repentir de sa trahison, et que s'il eût réussi, il aurait pardonné. Mais son amitié se heurta à un intraitable orgueil, et le sujet le prit de si haut avec le Roi, qu'il n'y avait plus qu'a obéir à la raison d'État.

Le 31 juillet 1602, les dures nécessités de l'inflexible raison d'État s'imposaient à Henri IV avec d'autant plus de force qu'à ce moment-là sa situation personnelle et privée était changée. Un fils légitime, qui devait être Louis XIII, lui était né au palais de Fontainebleau. Il devait assurer l'avenir de l'enfant royal en le protégeant, et contre les entreprises criminelles des ennemis intérieurs de la royauté et contre les attaques armées des ennemis extérieurs de la France.

Le duc de Biron avait des complices de haut rang : le comte d'Auvergne, le duc de Bouillon et l'ambitieux intrigant qui se nommait Jean-Louis de Nogaret de la Valette, et que Henri III avait fait duc d'Épernon. Ils avaient habilement et perfidement ourdi toutes les trames de leur conspiration. Ils avaient réussi à faire accepter de leurs adhérents d'ordre inférieur des calomnies qui devaient rendre odieuse au peuple l'administration de Henri IV.

Ainsi des bruits faux, des bruits menteurs, accrédités dans quelques provinces, avaient été répandus par les chefs de cette dangereuse et triste conjuration, accusant Henri IV de se préparer à augmenter les impôts qui allaient, au contraire, être diminués, et à supprimer violemment les franchises municipales des grandes villes, franchises qu'il avait juré de maintenir, engagement que, du reste, il tenait scrupuleusement avec sa loyauté habituelle.

Henri IV avait dû accorder ou laisser aux protestants des places fortes de garantie ou de sûreté, concession forcée qui malheureusement donnait à leur accord avec les catholiques une couleur politique, alors qu'il n'aurait dû avoir qu'un caractère religieux ; mais cette concession avait été, à l'heure où elle avait été faite, un mal nécessaire.

Les ducs de Biron et de Bouillon, dé concert avec le comte d'Auvergne, essayèrent d'effrayer les protestants. Ils essayèrent de leur faire croire que ces places fortes allaient leur être retirées brutalement par la force. Ces trois conjurés, qui avaient revêtu de leur signature un acte par lequel ils s'engageaient à se défendre mutuellement envers et contre tous, sans nul excepter, à se soutenir enfin réciproquement même contre le Roi, s'étaient flattés d'entraîner dans leur parti par cette manœuvre, les chefs des Églises réformées. Mais ils échouèrent auprès d'eux, dans leurs tentatives d'embauchage.

Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, devenu, ainsi qu'on l'a vu, duc de Bouillon et prince de Sedan, par son mariage avec Charlotte de la Mark, ne paraît pas avoir connu, dans toute leur étendue, les desseins criminels du duc de Biron, qui aspirait à un riche mariage princier et à la souveraineté héréditaire de la Bourgogne, redevenue, à son profit, un État indépendant.

Le duc de Bouillon protesta hautement de son innocence. Il voyagea quelque temps à l'étranger, ne fut pas poursuivi, mais il dut abandonner à Henri IV sa principauté de Sedan.

Le duc d'Épernon ne fut pas inquiété, bien qu'il ne cessât de conspirer sourdement, au dedans et au dehors, contre Henri IV, qui l'avait auprès de lui, dans son carrosse, au moment où il fut assassiné.

Le comte d'Auvergne étant fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet, était le frère utérin de Henriette d'Entragues, fille de cette même Marie Touchet et de Charles de Balzac d'Entragues. Il conspirait surtout pour venger de ses déceptions matrimoniales cette trop célèbre maîtresse de Henri IV, qui s'était un moment flattée, elle aussi, de devenir reine de France, rêve qui n'avait jamais dû se réaliser. Son royal amant n'avait pas plus sérieusement pensé à en faire sa femme légitime qu'il n'avait pensé réellement à faire asseoir à côté de lui Gabrielle d'Estrées sur le trône de saint Louis.

Le comte d'Auvergne aurait partagé le sort du duc de Biron, sans l'influence que sa sœur utérine, Henriette d'Entragues, exerçait sur

Henri IV. Il ne subit que quelques mois de prison, recommença quatre ans plus tard à conspirer, au dehors et au dedans, de moitié cette fois avec Charles d'Entragues.

Tous deux furent condamnés à mort par un arrêt du 1er février 1605, mais Henriette d'Entragues que Henri IV avait créée depuis longtemps marquise de Verneuil, intervint encore, auprès de son royal amant, pour les sauver. Le père, gracié, fut simplement exilé dans ses terres. Le frère, jugé plus coupable ou plus dangereux, fut enfermé dans une prison d'État, dont il ne sortit que sous le règne de Louis XIII, qui lui donna le duché d'Angoulême et le fit colonel-général de la cavalerie légère.

La troisième favorite de Henri IV, Henriette d'Entragues, est celle dont le nom méritait le moins d'être signalé. Nous n'aurions pas parlé de cette femme méprisable, sans la part qu'elle prit secrètement à la première conspiration que son père et son frère avaient ourdie ensemble contre leur souverain. Mais est-il permis à un historien de rien laisser dans l'ombre ? D'ailleurs, s'il est impossible de nier que Henri IV a eu dans sa vie privée des faiblesses condamnables, le soleil lui-même n'a-t-il pas des taches ?

Voici du reste une lettre qui prouve que si Henri IV subissait l'influence néfaste de Henriette d'Entragues, il ne s'aveuglait pas sur l'indignité de cette femme sans cœur.

21 avril 1600.

Mademoiselle, l'amour, l'honneur et les bienfaits que vous avez reçus de moi eussent arrêté la plus légère âme du monde, si elle n'eut point été accompagnée de mauvais naturel comme le vôtre. Je ne vous piquerai davantage, bien que je le pusse et dusse faire, vous le savez. Je vous prie de me rendre la promesse que savez ; et ne me donnez point la peine de la ravoir par autre voie. Voilà le sujet de cette lettre, à laquelle je veux avoir réponse à la nuit.

Du vendredi matin à Fontainebleau.

La promesse dont parle cette lettre est une promesse de mariage conditionnelle que Henri IV avait faite à Henriette d'Entragues. Il était prodigue de ces sortes d'engagements auxquels il n'attachait aucune importance.

Cette imprudente promesse ne lui fut rendue qu'en 1604 par la famille d'Entragues qui avait voulu l'exploiter dans un but que l'on qualifierait exactement en disant, selon le langage actuellement usité, dans un but de chantage.

Avant la conclusion définitive du traité, qui restituait le marquisat et la ville de Saluces au duc de Savoie et donnait à la France la Bresse, le Bugey et le Valromey ; après la pacification générale intérieure du royaume, libre de tout souci, du côté des guerres civiles comme du côté des guerres internationales, Henri IV s'était sérieusement décidé à épouser une princesse qui lui donnât un héritier de la couronne. Il voulut être le chef d'une dynastie royale. Mais avant tout il était nécessaire de faire rompre régulièrement l'union qu'il avait contractée, devant Dieu et devant la France, avec Marguerite de Valois.

En 1599, un tribunal ecclésiastique, composé du cardinal de Joyeuse : de l'archevêque d'Arles et de l'évêque de Modène, avait déclaré entaché de nullité le mariage de Henri de Bourbon, alors roi de Navarre ; avec Marguerite de Valois. Clément VIII avait ratifié cette sentence. Un divorce régulier avait donc dissous cette union qui ne fut jamais heureuse.

Devenu civilement et religieusement libre, Henri IV avait demandé et obtenu la main de Marie de Médicis, fille de François de Médicis, deuxième grand-duc de Toscane, née en 1574, et morte en 1642 à Cologne où elle s'était retirée.

Le véritable négociateur de ce mariage, bien qu'il n'ait été qu'un agent officieux et secret de la cour de France auprès de la cour de Florence, a été le célèbre financier florentin Zamet, qui était, on l'a vu, l'un des banquiers de Henri IV.

L'oncle de Marie de Médicis, Ferdinand de Médicis, alors troisième grand-duc de Toscane, l'avait épousée, par procuration, au nom du roi de France, Henri IV, à Florence le 5 octobre 1600.

Un mois après, la nouvelle reine de France débarquait à Marseille ; elle mit plus d'un mois avant d'arriver à Lyon, où Henri IV accourut de Genève, qu'il avait accidentellement visité, pour la recevoir.

Le voyage de Marie de Médicis, de Marseille à Lyon, n'avait été qu'une longue et chaleureuse ovation, qu'une fête brillante et ininterrompue. La cérémonie officielle du mariage qui se fit le 17 décembre 1600, eut beaucoup d'éclat, et fut accompagnée de réjouissances publiques qui mêlèrent le peuple au bonheur de Henri de Bourbon et de Marie de Médicis.

Le mariage royal eut, en effet, comme l'ont tous les ménages, les plus humbles aussi bien que les plus aristocratiques, sa lune de miel. Henri IV se montra très empressé, disons le mot, très amoureux auprès de sa belle et jeune femme.

Il y avait eu, avant le départ de Marie de Médicis pour la France, un échange préliminaire de lettres entre les futurs époux. Henri IV avait adressé à sa fiancée une lettre dont l'original autographe, resté dans les archives des affaires étrangères de Florence, a été copié par M. Mignet.

A Madame la princesse de Toscane,

24 mai 1600

Les vertus et perfections qui reluisent en vous et vous font admirer de tout le monde avaient, il y a déjà longtemps, allumé en moi un désir de vous honorer et servir comme vous le méritez ; mais ce que m'en a rapporté Halincourt l'a fait croître, et, ne vous pouvant moi-même représenter mon inviolable affection, j'ai voulu, en attendant ce contentement, qui sera bientôt, si le ciel favorise mes vœux, faire élection, Madame, de ce mien fidèle serviteur, Frontenac, pour faire cet office en mon nom, assuré qu'il s'en acquittera fidèlement comme celui que j'ai nourri et qui, mieux que tout autre, a connaissance de mes intentions. Il vous découvrira mon cœur, que vous trouverez non moins accompagné d'une passionnée volonté de vous chérir et aimer toute ma vie comme maîtresse de mes affections, mais de ployer dorénavant sous le joug de vos commandements celui de mon obéissance comme dame de mes volontés, ce que j'espère de vous pouvoir témoigner un jour, et vous confirmer en personne le gage qu'il vous porte de ma foi, si vous ajoutez pareille foi à lui que à moi-même ; de quoi je vous prie, et de lui permettre après vous avoir saluée et baisé les mains de ma part, qu'il vous présente le service d'un prince que le Ciel vous a dédié et fait naître pour vous seule, comme pour moi.il a fait votre mérite.

Marie de Médicis répondit à cette lettre de Henri IV en italien. Sa réponse autographe est dans le cinquième volume du recueil de M. Berger de Xivrey. Voici la traduction en français de cette lettre autographe :

Majesté très chrétienne,

Après avoir baisé très humblement les mains de V. M., je viens la remercier le plus affectueusement qu'il m'est possible, de la lettre confidentielle si courtoise et si cordiale qu'Elle a daigné m'écrire. Votre fidèle secrétaire Frontenac qui me l'a remise a été accueilli et écouté par votre servante avec l'attention que méritent vos ordres et la parfaite obéissance que je dois à V. M. L'assurance qu'il m'a donnée de votre part de la foi sincère et de l'inaltérable affection dont vous me parlez dans votre lettre et eue je compte bien trouver toujours dans votre cœur m'a, comme il vous le rapportera, remplie de joie et de consolation. Toutefois, attribuant uniquement à la main de Dieu et non aux mérites que votre bienveillance daigne me supposer, la résolution de V. M., je ne saurais lui répondre autrement que par la promesse d'une foi sincère en retour de la sienne, d'une humilité respectueuse et d'une constante obéissance. Puisque c'est la volonté du ciel que V. M. me fasse l'honneur de m'unir à Elle par le saint lien de mariage et qu'elle me promet de m'entourer, pendant toute ma vie, de faveurs, dont Elle m'écrit que sa présence me donnera bientôt la preuve, je serai heureuse de me dire, Sire, votre très humble servante, si Dieu m'accorde de mériter toujours votre grâce et de conformer, comme j'en ai le plus vif désir, tous mes actes à la volonté et aux ordres de V. M. En terminant cette lettre, je prie le Seigneur de faire réussir promptement et pleinement tous les desseins de V. M. devant laquelle je me prosterne avec la soumission que je lui dois.

Florence, le 25 juin 1600,

De Votre Majesté très chrétienne, la très humble et très obligée servante,

MARIE DE MÉDICIS.

Au moment de son départ pour la France, Marie de Médicis avait reçu de Henri IV, avec une lettre très courtoise et très affectueuse ; pour présent de noces, un riche collier qui était de la valeur de cent cinquante mille écus ou de quatre cent cinquante mille francs, qui sont l'équivalent de plus d'un million d'aujourd'hui. Lorsqu'elle quitta Florence, elle reçut également de la République de Venise, à l'occasion de son mariage, un cadeau qu'on peut voir dans la galerie d'Apollon au Louvre : un miroir d'une beauté exceptionnelle et un flambeau enrichi d'ornements précieux, d'incrustations rares et orné de son portrait et du portrait de son mari, portraits miniatures.

Marie de Médicis avait eu la malheureuse idée d'emmener avec elle à la cour de France sa sœur de lait, Léonora Dori, surnommée la Galigaï, qui exerça constamment sur elle une funeste influence, et contribua beaucoup, par ses mauvais conseils et ses fréquents espionnages, à semer et à entretenir entre la reine et le roi une perpétuelle mésintelligence.

Aussi il y eut bien des nuages, bien des querelles entre Henri IV et Marie de Médicis dont la Galigaï entretenait, excitait l'humeur naturellement acariâtre et violente. Elle ne lui en a pas moins donné six enfants : trois fils et trois filles. Ses filles épousèrent : l'aînée, Élisabeth, le roi d'Espagne, Philippe IV ; la seconde, Christine, le duc de Savoie, Victor-Amédée, premier du nom ; la troisième, Henriette, l'infortuné roi d'Angleterre, Charles Ier. L'aîné des trois fils, qu'on nomma Louis, devait succéder à son père sur le trône de France. Le dernier, qu'on appela Gaston, eut le titre de duc d'Orléans. Le second était mort jeune.

S'il y eut des ciels orageux, il y eut aussi des ciels bleus, à la cour de France, dans le ménage royal, ainsi que l'attestent les deux lettres suivantes de Henri IV à Marie de Médicis, lettres que nous choisissons entre un grand nombre, à raison des circonstances au milieu desquelles il les a écrites.

La première est du 3 septembre 1601. Elle est de l'époque où il se battait en Dauphiné contre le duc de Savoie pour l'amener à régler leur querelle à coups d'épée, puisqu'il ne voulait pas terminer les négociations amiables engagées sur la question de la ville et du marquisat de Saluces. Nous citons :

J'ai reçu une lettre de vous du 25 août, par laquelle vous êtes en peine pour avoir été quelque temps sans avoir de mes nouvelles. Vous en aurez été en bref délai délivrée, car bientôt après vous en aurez reçu et souvent depuis, n'ayant laissé passer une seule occasion sans vous écrire.....

Depuis ma dernière dépêche, j'ai pris Conflans, ville importante pour fermer le passage de la Tarentaise, et assez forte par la difficulté d'y mener de l'artillerie. Il y avait mille soixante hommes, bien armés mais peu courageux.

Je tiens un fort assiégé qui est bien bon et très garni, mais j'espère, avec l'aide de Dieu, en être le maître cette semaine. Il ferme la vallée de la Maurienne. Cela fait, toute la Savoie et la Bresse sont à moi, les trois citadelles de Bourg, de Montmeillan et Sainte-Catherine, que j'assiégerai tout à mon aise et à ma commodité.

Cependant je fais nouvelles levées tant de Suisses que de Français, pour rendre mon armée composée, à la fin de ce mois, de vingt mille hommes de pied et de cinq cents chevaux. C'est pour battre tout ce qui me pourrait venir sur les bras.

Laissons la guerre, pour parler de vous, ma maîtresse. Hâtez votre voyage le plus que vous pourrez, et pour ce faire, croyez et suivez surtout les conseils de M. de Sillery. S'il était bienséant de dire qu'on est amoureux de sa femme, je vous dirais que je le suis extrêmement de vous ; mais j'aime mieux vous le témoigner en lieu où il n'y aura de témoins que vous et moi.

Bonjour, ma maîtresse, je finis baisant cent mille fois vos belles mains.

La seconde, qui est du 6 septembre 160t, ne précéda que de quelques jours la naissance de Louis XIII.

Mon cœur, M. de Rosny vient d'arriver, qui fait bien ce que vous lui avez commandé, de me presser fort de retourner ; mais il a trouvé que j'en avais assez envie, et fais tout ce que je puis pour hâter nies affaires, et ne craignez point, je serai une de vos sages-femmes. Si j'avais vu des gens que j'attends d'heure à autre, je partirais soudain. Les affaires du siège se refroidissent du côté de l'archiduc. Quand je vous verrai, vous connaîtrez que mon voyage ici n'a pas été inutile. Je loue Dieu de votre bon portement, et le supplie tous les jours pour vous, que j'aime comme mon cœur, et que je baise cent mille fois.

Depuis quelque temps déjà, le règne de Henri IV était d'ailleurs entré dans sa seconde période, celle de la régénération intérieure de la France, régénération que le duc de Sully l'aida puissamment à accélérer et qui embrassa toutes les parties du gouvernement de l'État et de l'administration du royaume.

La sollicitude de Henri IV, dès le lendemain du rétablissement de la paix civile et de la paix religieuse, dès le jour enfin où il fut réellement le maître de la situation, se porta d'abord sur Paris, qu'il adopta pour siège du gouvernement et pour résidence de la cour. Il s'occupa immédiatement et activement d'y réparer les maux que la rébellion de la Ligue y avait engendrés, d'en faire disparaître les ruines que cette rébellion y avait faites et laissées, d'améliorer enfin l'état matériel de la cité, en même temps qu'il s'étudiait à relever les conditions intellectuelles et morales du peuple et à lui rendre la sécurité publique et privée, qu'il avait depuis longtemps perdue.

Si l'on en croit Pierre de l'Estoile, qui a laissé un journal des règnes de Henri III et de Henri IV, il y avait dans Paris, avant sa soumission, tant d'adultères, de débauches, d'empoisonnements, de vols, de meurtres, de duels, qu'on ne parlait plus d'autre chose, à.la cour et à la ville, comme au palais de justice.

C'était inévitable. Les vagabonds, les aventuriers et les pillards de tous pays avaient crû et multiplié dans la capitale de la France où la Ligue les avait attirés, comme l'ivraie croît et multiplie dans un champ inculte, aride et sauvage.

Le jour de l'entrée de Henri IV dans Paris, il y avait rencontré sur sa route un grand nombre de maisons en ruines, inhabitées ; il n'y avait vu que des voies mal pavées, qui n'étaient pas éclairées la nuit, que l'herbe recouvrait à demi, cloaques immondes et dangereux, vrais coupe-gorges où il était impossible de s'aventurer, même en plein jour, sans s'exposer aux audacieuses et criminelles entreprises de bandits que la certitude de l'impunité rendait d'une incroyable hardiesse et qui presque toujours échappaient par la fuite, à travers des rues étroites et tortueuses, à la poursuite des soldats du guet, agents de police ou sergents de ville de l'époque.

Les duels étaient aussi sans nombre comme sans répression. Il v en avait derrière le mur de Saint-Marcel, au célèbre Pré-aux-Clercs, derrière les murs des Chartreux, loyales rencontres privées, mais rencontres meurtrières qui coûtèrent en quelques années la vie à environ quatre mille gentilshommes. Cette fureur de duels était le résultat trop logique et trop naturel des longues guerres civiles et religieuses qui avaient entretenu dans les rangs de la noblesse d'épée, une farouche humeur batailleuse que les édits royaux ne réussirent que lentement et tardivement à calmer.

Avant tout il fallait réorganiser l'administration municipale. Henri IV eut la main aussi heureuse pour cette réforme spéciale que pour une réforme plus générale avec Sully. François Miron devint prévôt des marchands, et contribua efficacement à faire de Paris, alors placé sous le gouvernement direct et personnel du Roi, une ville nouvelle, une ville transformée, comme par une baguette de fée. Il fut purifié, assaini, embelli dans toute la mesure de ce qui, à ce moment-là, était possible.

On doit à Henri IV l'achèvement de la galerie du Louvre qui rejoignit bientôt le palais des Tuileries auquel il fit faire quelques constructions nouvelles et où il devait expirer. On lui doit encore la belle façade de l'Hôtel de Ville, qui fit si longtemps l'admiration des touristes d'Europe et de France et dont la destruction, œuvre impie de la Commune de 1871, laissera d'éternels regrets dans à monde des arts.

Sous la haute impulsion de Henri IV, avec l'énergique concours du duc de Sully, François Miron reconstitua la police urbaine qui, de moitié avec la police royale, protégea la fortune et la. vie des Parisiens comme elles ne l'avaient pas été depuis bien des années.

RB  Ensuite ce fut un rajeunissement général, un renouvellement universel qui comprit dans son travail d'ensemble le relèvement des maisons en ruines, la restauration de l'enceinte fortement endommagée pendant le siège, la réparation de plusieurs des portes anciennes de la ville, dont le nombre fut augmenté d'une nouvelle porte, la porte Dauphine, voisine de la rue et de la place de ce nom ; l'édification de la place Royale, d'une architecture uniforme et centre d'une ceinture de beaux édifices ; l'ouverture de nouvelles voies de communication ; l'élargissement de beaucoup de rues existantes ; la construction de ponts, de quais, de fontaines ; la création de nombreuses promenades.

Enfin c'est de cette période que date la pompe connue sous le nom populaire de la Samaritaine, pompe qui fut élevée sur la -Seine où elle devint un but de curiosité, comme toute nouveauté. C'était le commencement du perfectionnement d'un grand service public d'une utilité indiscutable, celui qui consiste à donner aux habitants d'une grande cité de l'eau potable, en quantité suffisante.

On peut dire, sans flatterie, que Henri IV et François Miron ont préparé le Paris de nos jours, dont le plan actuel, en cours d'achèvement, a son origine dans celui que l'on appelait, pendant la Révolution, le plan des artistes, copié lui-même sur celui de Louis XIV.

Henri IV eut une idée grandiose devenue maintenant irréalisable. Il avait rêvé une immense place qu'on aurait appelée la Place de France et vers laquelle auraient rayonné trente-deux voies aérées et spacieuses dont chacune eût porté le nom de l'une des grandes provinces. Il y a un peu de cette idée dans la place de l'Étoile au centre de laquelle s'élève, dans sa majestueuse beauté, cette magnifique œuvre d'art qu'on appelle l'Arc de Triomphe.

Voici, d'après Sauvai, quelques détails sur ce gigantesque projet. C'est Henri IV qui en avait fait le dessin. Le duc de Sully avait remis ce dessin à deux ingénieurs, Alleaume et Chatillon, qui dressèrent le plan de la place de France, d'après les indications royales.

La place de France devait former un demi-cercle se terminant à l'enceinte, vers la place du Calvaire, au point de jonction de la rue Vieille-du-Temple et de la rue Saint-Louis.

Dans l'enceinte on aurait établi la porte de France, qui aurait eu vue sur la place de France entre deux grands corps de logis de briques et de pierres couvrant, dans les angles, des halles et marchés.

Huit rues très larges, bordées de constructions uniformes, auraient débouché sur la place de France entourée de sept pavillons doubles, à trois étages, aussi de briques et de pierres, avec un portique au rez-de-chaussée.

A l'époque surtout où elle avait été conçue, l'idée de la place de France était une grandiose idée de voirie et d'architecture. La mort de Henri IV en arrêta la réalisation. Cette mort devait avoir un résultat plus funeste.

Le couteau de Ravaillac allait bientôt détruire en germe, la principale idée de Henri IV, idée qui était la plus vaste et la plus féconde conception de politique internationale et d'équilibre européen qu'eût jamais enfantée une pensée royale.

Les établissements hospitaliers ne furent pas oubliés. On vit s'élever successivement l'hôpital Saint-Louis, l'hospice Sainte-Anne, la maison de Picpus et l'hôpital de la Charité.

L'enseignement appela spécialement l'attention de Henri IV, qui se préoccupa vite des moyens d'élever le niveau des arts, des lettres et des sciences dont le progrès s'était arrêté sous les derniers rois de la dynastie des Valois.

Il y avait alors ce que l'on appelait l'Université de Paris ; dont on fait remonter la création à Charlemagne et dont il paraît plus certain que l'organisation première et l'existence officielle ne datent que du règne de Philippe-Auguste.        

L'Université de Paris faisait corps avec la Sorbonne, déjà nommée, ainsi qu'avec le Collège de France que François Ier avait établi, et où l'on ouvrit successivement de nombreuses chaires dans tous les genres et dans toutes les langues. Elle était cependant distincte de ces deux établissements qui se heurtèrent même quelquefois à son opposition et à sa rivalité. Elle eut aussi le tort de sortir de son rôle scolaire pour exercer une action politique et religieuse. Henri IV la rappela à sa spécialité et en réforma les abus, en lui imposant ?, le 18 septembre 1600, un nouveau règlement qu'une réunion de magistrats et d'érudits avait élaboré. Dans cet ordre de faits et d'idées, il fit bientôt un acte d'une plus grande importance.        

La célèbre société de Jésus dont le fondateur, Ignace de Loyola, était espagnol et dont les généraux ou supérieurs n'avaient jamais appartenu à la France, était pourtant née aux portes de Paris, dans l'église de l'abbaye de Montmartre. L'Université et le parlement luttèrent d'abord avantageusement contre cette savante milice, qui fut l'une des plus éclatantes lumières de l'Église et que sa puissante organisation rendait redoutable.        

Créée pour la lutte, pour le combat, la société de Jésus triompha de cette opposition. En 1562, elle fut autorisée à ouvrir des collèges. L'enseignement était son ambition ; c'était pour elle une grande victoire, mais cette victoire ne fut pas de longue durée, Trente-deux ans plus tard elle était bannie de France. Voici à quelle occasion on prit contre elle cette rigoureuse mesure.        

Le 27 décembre 1594, Henri IV qui revenait de Picardie, entra, d'après le duc de Sully, dans son appartement du Louvre, encore tout botté e éperonné. Un jeune homme d'environ vingt ans, qui avait réussi à se glisser parmi les soldats de l'escorte et les seigneurs de la suite, courut à lui et essaya de le frapper à la gorge avec un couteau ; la lèvre supérieure seule fut entamée.

Cet abominable précurseur de Ravaillac se nommait Jean Châtel. Il était fils d'un drapier de Paris. Il avait commencé son éducation au collège de Clermont, qui était l'un des établissements scolaires de la société de Jésus et qui était situé au faubourg Saint-Jacques.

Deux jours après, Jean Châtel subit, en vertu d'un arrêt du parlement de Paris, le supplice des régicides, supplice aussi nécessaire que mérité, car Henri IV se savait menacé dans sa vie, à la fois par des ligueurs endurcis et par des bandits espagnols, soudoyés les uns et les autres par les ennemis de la France, dont l'étranger voyait avec terreur renaître la puissance, la force et la prospérité.

Le parlement de Paris, qui n'avait vu qu'à regret l'établissement en France de la société de Jésus, était servi à merveille par la qualité d'élève de cette société que Jean Châtel avait avouée, avec un cynisme révoltant, en affichant les doctrines d'un fanatisme de sectaire qu'il prétendait avoir puisées au collège de Clermont et qui étaient aussi dangereuses que détestables. II rendit donc immédiatement un second arrêt qui ordonnait à cette société de sortir du royaume. Elle y rentrait en 1603, rappelée par la volonté formelle de Henri IV, et au grand déplaisir de l'Université de ce temps-là, qui voyait surtout en elle une rivale scolaire.

La pensée de Henri IV, en créant cette puissante rivalité à l'Université de Paris, était toute simple. Il s'était dit qu'elle serait un stimulant pour les collèges laïques et ce qu'il voyait surtout dans cette affaire spéciale, ce sont les heureux effets que l'esprit d'émulation devait produire entre ces collèges laïques trop attachés aux vieilles méthodes, et les collèges congréganistes, plus enclins aux méthodes nouvelles.

Henri IV croyait à la science de la société de Jésus au moins autant qu'au mérite de l'Université de Paris, et, en les mettant en face l'une de l'autre, il n'avait eu qu'un seul but, celui d'imprimer à l'enseignement de la jeunesse le plus de rapidité possible dans sa marche ascendante et progressive. Là comme partout, comme toujours, il ne songeait qu'au bien de ses sujets. Il allait s'occuper de les enrichir. Il avait aussi voulu les éclairer.

Le célèbre parlementaire et historien, M. de Thou, eut la direction supérieure de la bibliothèque royale, déjà riche de tant de trésors littéraires et scientifiques. Les lettrés, les savants furent pensionnés, afin d'être dégagés des soucis de la vie matérielle et de pouvoir se livrer, en toute sécurité, à leurs études et à leurs travaux. On créa un Conservatoire des arts et métiers dans l'intérêt de l'industrie, un musée géographique et hydrographique, qui devenait d'une grande utilité pratique au moment où l'on se disposait à développer le commerce extérieur, et maritime, et à la veille du jour où l'on allait tenter dans les Indes orientales, et commencer dans l'Amérique septentrionale, des essais de colonisation lointaine, corollaire ou complément du nouveau système d'organisation ou d'équilibre de l'Europe que Henri IV méditait dans son esprit enclin aux vastes et généreuses conceptions. Mais la réforme des finances fut la première préoccupation de Henri IV.

L'ordre dans les finances, c'est toute la sécurité des souverains, c'est toute la prospérité des peuples. Cette tâche fut principalement Celle. du duc de Sully. On peut juger du soin scrupuleux qu'il mit à l'accomplir par la lettre autographe qu'il écrivit au commencement de mars 1607 au duc de Montmorency. Cette lettre, qui se trouve dans le septième volume du recueil de Berger de Xivrey, atteste le zèle et l'exactitude qu'il apportait dans l'exercice des hautes fonctions que Henri IV lui avait confiées. On y voit qu'aucun détail d'administration n'échappait à sa clairvoyance et à sa sollicitude. La voici :

Monsieur le duc de Montmorency, pair et connétable de France.

Monsieur, ayant vu le retranchement qui a été fait en Languedoc sur l'état des garnisons que le roi y avait envoyées pour être gardé et observé, et estimant que l'on a rejeté les choses les moins nécessaires pour la conservation de la province, entre lesquels sont compris tous les officiers d'artillerie, j'ai cru que je ne devais plus me mettre en peine d'y constituer le roy en dépense pour ce qui touche le fait de la dite artillerie. Car d'y faire de grandes provisions, et n'y avoir personne qui en ait le soin, c'est chose que je ne trouve nullement à propos ; et je feray cependant travailler aux autres provinces, où ceux qui dépendent de ma charge ne sont point rejetés de l'État, où il a plu au roi de les faire employer. De quoi j'ai estimé vous devoir donner avis, afin que, si vous jugez que les choses doivent se passer autrement, vous y pourvoyiez par votre autorité et me donniez moyen de servir le roi et la province où vous commandez comme je désire et d'y demeurer à perpétuité, monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur.

MAXIMILIEN DE BÉTHUNE.

Lorsque dans le cours de son inspection générale de 1596, le duc de Sully avait pu recouvrer sur les financiers, les comptables, les trésoriers, les receveurs, les traitants dont il vérifiait les comptes, cinq cent mille écus d'or, il avait dû facilement découvrir les vices profonds qui régnaient dans le système en vigueur pour le maniement des fonds publics et les nombreuses fissures par lesquelles s'échappait une partie des recettes de l'État.

Vices et fissures, le duc de Sully fit tout disparaître, autant du moins que le permettaient des abus qui étaient de longue date et que facilitait la diversité des taxes levées sur les contribuables, d'après des règles variables selon les lieux et les temps. Il parvint cependant, à forces d'études préliminaires et de travaux préparatoires, à centraliser le service général des finances et à hiérarchiser le personnel attaché à ce service. Le résultat répondit à son attente.

En 1597, la recette du trésor royal fut élevée de onze millions de livres à vingt-trois millions de livres et fut portée ensuite à trente-deux millions de livres. On ne créa pourtant pas de taxes nouvelles. On diminua même les anciennes taxes. Enfin, sans emprunt, on acquitta cent millions de livres de dettes, on racheta les domaines engagés pour trente-cinq millions de livres et on put réaliser une épargne de trente-cinq millions de livres qui fut mise en sûreté dans les caves de la Bastille.

C'est le duc de Sully qui a dit que le labourage et le pâturage

étaient les deux mamelles de la France. Aussi il favorisa personnellement l'agriculture beaucoup plus que le commerce et l'industrie. Il permit l'exportation des grains, qui était encore interdite, il encouragea l'élevage des bestiaux et protégea toujours les gens de la campagne contre la violence des gens de guerre. Il fit enfin de la monarchie de Henri IV la vraie monarchie des paysans.

On put prendre alors ce mot à la lettre. La liberté que, d'après le désir de Henri IV et le sentiment du duc de Sully, on avait accordée au commerce des grains amena bientôt une grande abondance d'argent en France par la vente avantageuse qu'elle fit aux nations voisines de ses denrées agricoles.

Les campagnes, qui avaient été si pauvres sous Henri III, devinrent donc riches sous Henri IV, en même temps que la prospérité renaissait dans les villes manufacturières.

C'était le retour du malade à la santé.

Le duc de Sully s'occupa moins de commerce et d'industrie. Ce fut Olivier de Serres qui eut pour mission de travailler à l'enrichissement de la France, en développant ces deux importantes branches de l'activité nationale.

On créa dans Paris une assemblée ou conseil de commerce, ce qui était une innovation, une nouveauté. Sous l'impulsion supérieure de Henri IV, cette assemblée ou ce conseil rechercha consciencieusement, avec Olivier de Serres, les moyens les plus propres à ramener la prospérité dans toutes les villes et dans toutes les industries où le travail avait été ralenti. Ces efforts huent généralement couronnés de succès.

On ranima, on développa l'industrie si productive de la soie.

C'est de cette époque que date la Savonnerie, grande manufacture de tapis, d'abord installée au Louvre,' qui rivalisa bientôt avec ses concurrentes du dehors et qui prospéra à côté de celle des Gobelins, ainsi appelée du nom de son fondateur, Jehan Gobelin. On établit des verreries et des fabriques de faïences ; on releva enfin les fabriques de draps, les fabriques de toiles et généralement toute l'industrie du vêtement qui était tombée dans un complet dépérissement.

Le duc de Sully porta ses vues plus loin et plus haut dans le domaine des progrès matériels. Il créa une administration centrale qui fut chargée de présider au desséchement des marais, au creusement des canaux, à la conservation des forêts, à l'établissement des routes et à l'exploitation des mines. Il fut donc l'inventeur de ce que l'on appelle le ministère des travaux publics. C'est à cette administration centrale qu'on doit le canal de Briare, qui va de la Loire à la Seine. Elle prépara un plan plus vaste, qui consistait à unir l'Océan, la Manche et la Méditerranée par tout un ensemble de canaux intérieurs reliés à divers fleuves et à diverses rivières.

Puis le sort des soldats fut amélioré, la discipline fut rétablie dans l'armée, le matériel de guerre fut augmenté, la marine de l'État fut relevée de la décadence où elle était tombée et des fortifications assurèrent la défense des places fortes des frontières les plus exposées aux attaques extérieures.

Ces dernières réformes, ces dernières améliorations, ces derniers travaux se rattachaient directement à ce que l'on appelle, à juste titre, le grand dessein de Henri IV, à son système de politique internationale et d'équilibre européen qui devait être le patriotique et glorieux couronnement de son règne.

L'antagonisme des croyances et des religions produisait en ce temps-là dans l'Europe presque entière des luttes sanglantes et de longues calamités dont le spectacle douloureux avait frappé, avait ému Henri IV, né pour les vastes conceptions utiles à l'humanité. Il avait conçu tout un système d'équilibre des forces des divers États voisins de la France, conforme aux conditions d'existence, dans ces divers États, des deux cultes chrétiens, alors en guerre ouverte, et à l'état de propagande armée, l'un contre l'autre : le catholicisme et le protestantisme.

Ce système était dirigé contre la maison d'Autriche, dont la branche royale espagnole dominait en Italie, en Franche-Comté, en Suisse, en Lorraine, dans les Pays-Bas, en Hollande, et dont la branche impériale allemande dominait en Bohême, en Hongrie, dans les pays slaves du nord comme dans les pays slaves du sud, en Alsace, en Silésie.

Henri IV ne songeait pas à anéantir la maison d'Autriche, mais il voulait renfermer son écrasante, despotique et colossale puissance, qui était un danger constant pour la France, dans des limites assez étroites pour qu'elle cessât d'être une perpétuelle menace pour l'indépendance nationale et la liberté religieuse des petits États de l'Europe moderne.

Cette grande idée avait préoccupé Henri IV, dès 1596 ; il en avait lentement, habilement préparé la réalisation, et lorsqu'il jugea l'heure venue de l'exécuter, il put grouper presque instantanément autour de la France une formidable, une puissante confédération d'ennemis des deux branches de la maison d'Autriche, confédération dont il était l'âme.

Cette confédération comprenait : le pape, le grand-duc de Toscane, la république de Venise, le duc de Savoie qui s'était rallié à la France contre l'Espagne, le duc de Mantoue ; la Lorraine, les Suisses, les Grisons, Genève, les habitants du Roussillon et de la Navarre, les Morisques d'Aragon et de Valence, ligués contre la branche espagnole, la Suède, le Danemark, dix princes allemands qui avaient déjà contracté entre eux ce que l'on appelait l'Union offensive et défensive de Hull, les protestants de la Bohême, de la Hongrie, de l'Autriche, de la Moravie, de la Lusace et de la Silésie, ligués contre la branche allemande.

Enfin la Hollande et l'Angleterre, hostiles à la fois à la branche espagnole et à la branche allemande de la maison d'Autriche, s'étaient unies à la France. Ces deux dernières puissances avaient déjà contracté au mois d'août 1593, avec Henri IV, une ligue offensive et défensive. C'était pendant sa longue lutte contre l'Espagne et la Ligue.

Mais l'Angleterre, dont la Hollande suivait les variations politiques internationales, avait paru, à diverses époques postérieures, disposée à séparer ses intérêts des intérêts de la France. Enfin, avec la fille de Henri VIII, l'amie de Henri IV, la célèbre Elisabeth, morte en 1603, finissait la branche des Tudor. Un fils protestant de la catholique Marie Stuart, Jacques Ier, était monté sur le trône d'Angleterre.

Il était important de maintenir les relations cordiales de l'Angleterre avec la France. Henri IV envoya auprès de Jacques Fr, dès le 30 juillet 1603, en mission confidentielle, le duc de Sully avec le titre d'ambassadeur extraordinaire.

C'est alors que fut conclu avec ce prince le traité qui le fit entrer dans le grand dessein de Henri IV.

L'Union de Hull était une union évangélique des princes réformés d'Allemagne, qui étaient princes de l'empire. Cette Union avait été signée à Heidelberg, le 4 mai 1608. C'est le ri février 1610 qu'elle avait adhéré au traité d'alliance offensive et défensive avec Henri IV.

La confédération que Henri IV avait nouée, organisée, par de longues et patientes négociations, s'appellerait, dans la langue des théâtres, une immense machine. Mais cette immense machine avait un triple but d'un caractère essentiellement philosophique, élevé, humanitaire. Elle était nationale, puisqu'elle devait protéger la sécurité extérieure de la France, en facilitant son expansion et son influence en Europe ; elle était libérale, puisqu'elle tendait à fonder partout la tolérance religieuse, à assurer partout la liberté de conscience ; elle étaie généreuse, puisqu'elle visait à la paix universelle assise sur un équitable et normal équilibre des forces respectives des États chrétiens.

Malheureusement, comme toujours, une guerre universelle devait préparer cette paix universelle. Henri IV avait tout disposé, avec le concours du duc de Sully, pour cette lutte sanglante, pour cette lutte armée qui devait tout au moins placer sa patrie au premier rang des nations civilisées et amener ce résultat que, selon un mot célèbre, aucun coup de canon n'aurait pu être ensuite tiré en Europe, sans la permission de la France.

Cependant, il n'est pas de guerre, si juste et si rutile qu'elle soit, qui n'ait un point de départ ou si l'on veut un prétexte. Le 25 mars 1609, mourait, sans enfant, un duc de Clèves et de Julliers, Guillaume III, dont Henri IV a dit qu'il laissait tout le monde son héritier. Ce tout le monde, en réalité, c'était surtout le roi de France, l'empereur d'Allemagne et le roi d'Espagne.

C'est la position géographique du duché de Clèves et de Julliers qui seule fixait son importance politique. L'empereur d'Allemagne voulut le placer sous son séquestre. Mais un marquis de Brandebourg et un palatin de Neubourg, qui prétendaient à la succession de Guillaume III, s'étaient associés pour se partager ce duché à l'amiable. Ils s'étaient rendus maîtres d'une partie du territoire contesté. Henri IV les prit sous sa protection. Il fit marcher vers la frontière de Champagne trente mille hommes d'infanterie, six mille chevaux, un immense équipage d'artillerie, six mille suisses, enrôlés à son service, et il fit savoir à tous qu'il allait prendre en personne le commandement de cette armée.

Évidemment, le petit litige qui concernait la succession ouverte par la mort de Guillaume III du duché de Clèves et de Julliers, n'était que l'occasion que Henri IV saisissait pour exécuter son plan général d'équilibre européen. Personne ne s'y trompa, mais personne ne savait exactement le mot de l'énigme.

Aussi à ce grand cliquetis d'armes qui venait de la France, l'Europe toute entière devint anxieuse et resta attentive. Le premier des Bourbons, Henri IV, avait déjà amené, par sa rare vaillance, par sa phénoménale activité, par sa haute intelligence, par son prestige personnel, toutes les cours, tous les peuples à compter avec lui. On s'attendait à quelque gigantesque entreprise, à quelque grande guerre.

On ne se trompait pas ; mais ces prévisions allaient s'évanouir d'elles-mêmes. Marie de Médicis, qui devait être investie de la Régence, avec l'assistance d'un grand conseil privé, le jour même où Henri IV partirait pour aller prendre le commandement de l'armée de Champagne, voulut être sacrée, avant ce départ. Cette solennité se fit le jeudi 13 mai 1610, dans la basilique de Saint-Denis, au-dessus des caveaux où reposaient, du dernier sommeil, les rois de France, dont la liste était longue, de la troisième race.

Marie de Médicis devait faire dans Paris, le dimanche 16 mai 1610, une entrée officielle, en grande pompe. Le mercredi suivant, Henri IV devait monter à cheval, et devait se rendre en Champagne. Le vendredi, qui était le lendemain de la cérémonie du sacre, il était assassiné, en se rendant à l'Arsenal, pour conférer une dernière fois, avant son départ, avec le duc de Sully, indisposé.

Ce n'était pas seulement un grand roi qui disparaissait de la scène du monde. C'était un grand dessein qui disparaissait avec le seul homme qui pouvait alors l'accomplir, et qui s'en allait en poussière, sans même qu'il ait été possible d'en recueillir, à ce moment-là, une parcelle.

Le vendredi 14 mai 1610, Henri IV s'était éveillé à une heure matinale, avait prié dans son lit, s'était occupé des affaires de l'État dans son cabinet, avait fait une courte promenade aux Tuileries, avait entendu la messe à l'église des Feuillants, était revenu dîner au Louvre. Puis, il se montra sur le perron de la chambre de la reine et demanda son carrosse. Il était environ quatre heures du soir.

On sait ce qui advint. Voici le récit qu'a laissé de la catastrophe inattendue qui allait consterner tout Paris, le poète François de Malherbe, gentilhomme de la chambre, attaché à la personne et au service de Henri IV, au Louvre.

Le roi sortit peu après pour s'en aller à l'Arsenal. Il délibéra longtemps s'il sortirait, et plusieurs fois dit à la reine : Ma mie, irai-je ou n'irai-je pas ? Il sortit même deux ou trois fois, et puis tout d'un coup, retourna et disait à la reine : Ma mie, irai-je encore ? et faisait de nouveau doute d'aller ou de demeurer. Enfin il se résolut d'y aller, et ayant plusieurs fois baisé la reine lui dit adieu, et entre autres choses que l'on a remarquées, il lui dit : Je ne ferai qu'aller et venir, et serai ici tout à cette heure même. Comme il fut en bas de la montée où son carrosse l'attendait, M. de Praslin, son capitaine des gardes, le voulant suivre, il lui dit : Allez-vous en, je ne veux personne ; allez faire vos affaires.

Ainsi, n'ayant autour de lui que quelques gentilshommes et des valets de pied, il monta en carrosse, se mit au fond, et fit mettre M. d'Espernon à la main droite. Auprès de lui, à la portière, étaient M. de Montbazon, M. de La Force ; à la portière, du côté de M. d'Espernon, étaient le maréchal de Lavardin, M. de Créqui ; au devant M. le marquis de Mirabeau et M. de Liancourt. Comme il fut à la Croix-du-Tiroir, on lui demanda où il voulait aller ; il commanda qu'on allât vers Saint-Innocent. Étant arrivé à la rue de la Ferronnerie, qui est à la fin de celle Saint-Honoré, pour aller à celle de Saint-Denis, devant la Salamandre, il se rencontra une charrette qui obligea le carrosse du roi à s'approcher plus prés des boutiques de quincailliers qui sont du côté de Saint-Innocent, et même d'aller un peu plus lentement, sans s'arrêter toutefois, bien que plus d'un qui s'est hâté d'en faire imprimer le discours, l'ait écrit de cette façon. Ce fut là qu'un abominable assassin, qui s'était rangé contre la prochaine boutique, qui est celle du Cœur couronné percé d'une flèche, se jeta sur le roi et lui donna, coup sur coup, deux coups de couteau dans le côté gauche ; l'un prenant entre l'aisselle et le tetin, va en montant, sans faire autre chose que glisser ; l'autre prend entre la cinquième et la sixième côte, et, en descendant en bas, coupe une grosse artère, de celles qu'ils appellent veineuses. Le roi, par malheur, et comme pour tenter davantage ce monstre, avait la main gauche sur l'épaule de M. de Montbazon et de l'autre s'appuyait sur M. d'Espernon auquel il parlait. Il jeta quelque petit cri et fit quelque mouvement. M. de Montbazon lui ayant demandé : Qu'est-ce, Sire ? Il lui répondit : Ce n'est rien, par deux fois, mais la dernière il le dit si bas qu'on ne put entendre. Voilà les seules paroles qu'il dit depuis qu'il fut blessé.

Tout aussitôt le carrosse tourna vers le Louvre. Comme il fut au pied de la montée où il était monté en carrosse, qui est celle de la chambre de la reine, on lui donna du vin. Pensez que quelqu'un était déjà couru devant porter cette nouvelle. Le sieur de Cerisy, lieutenant de la compagnie de M. de Praslin, lui ayant soulevé la tête, il fit quelques mouvements des yeux, et puis les referma pour ne plus les rouvrir. Il fut porté en haut par M. de Montbazon, le comte de Curson en Querry, et mis sur le lit de son cabinet, et, sur les deux heures, porté sur le lit de sa chambre où il fut tout le lendemain et le dimanche ; un chacun allait lui donner de l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs de la reine ; cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'il ne pleura jamais tant qu'à cette occasion.

L'assassin aurait pu fuir. Il se laissa volontairement arrêter. Il se nommait François Ravaillac, né à Angoulême, âgé de trente-deux ans, célibataire, de grande taille et de forte corpulence, barbe rouge, cheveux noirs et yeux enfoncés, narines ouvertes. Gardé dans un hôtel de la rue de la Ferronnerie, par des archers royaux, il fut conduit deux jours après à la Conciergerie et enfermé dans la tour de Montgommery. Son procès fut instruit par une commission où figurait le premier président M. de Harlay. Il fut reconnu que son père et sa mère, qui n'habitaient pas ensemble, ne, vivaient que d'aumônes, et que lui-même n'avait eu dans sa jeunesse que des situations infimes. Il était entré dans un couvent de Feuillants de Paris, mais en avait été presque immédiatement renvoyé, comme avant l'esprit hanté de visions diaboliques.

François Ravaillac, retourné à Angoulême, en était reparti pour venir à Paris dans les commencements de mai 1610. Il s'était rendu dans la capitale à pied, avait mis une semaine à faire le voyage, s'était présenté dans une hôtellerie voisine du Louvre pour s'y loger, n'y avait pas trouvé de chambre, s'était emparé, en s'en allant, d'un couteau à manche de corne de cerf laissé sur la table. C'est avec ce couteau qu'il devait frapper Henri IV. C'est dans la rue Saint-Honoré, aux environs de l'église Saint-Roch, qu'il alla enfin coucher. Le vendredi, il resta caché toute la matinée, entre les deux portes du Louvre ; il en avait vu sortir le carrosse royal et l'avait suivi pour choisir le moment où il pourrait exécuter son exécrable dessein.

On fit beaucoup de conjectures, il courut beaucoup de bruits, on crut longtemps à des suggestions de l'Espagne, à des vengeances de femme, à des complots d'ambition. Mais rien, absolument rien ne vint confirmer ces différents soupçons. On eut beau interroger, torturer François Ravaillac, il ne fit aucune révélation, ne se donna aucun complice et il fut à peu prés démontré qu'on n'était qu'en présence d'une brute, affolée de fanatisme, qui se demandait sincèrement s'il n'avait pas été tenté par le diable, dans les moments où il doutait d'avoir obéi à Dieu, en assassinant Henri IV ; qui avait toute sa raison, mais d'une nature perverse 'et d'une faible intelligence. C'était le grain de sable qui fait chavirer le char. A quoi tiennent pourtant les destinées d'un royaume !

Le procès ne fut pas, ne pouvait être long. Le 27 mai 1610, treize jours après le crime, sur les conclusions du procureur général, le Parlement de Paris rendit un arrêt dont le texte déclarait François Ravaillac atteint et convaincu du crime de Lèse-majesté divine et humaine au premier chef, pour le très méchant, très abominable et très détestable parricide commis sur la personne du feu roi Henri IV, de très bonne et très louable mémoire ; pour réparation duquel il le condamnait à être tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras de jambes ; sa main droite, duquel il avait commis le parricide, brûlée par le soufre, et, sur les endroits où il avait été tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et du soufre fondus ensemble ; cela fait, son corps tiré à quatre chevaux, ses membres consumés au feu, et les cendres jetées au vent : déclarait ses biens acquis et confisqués au roi, ordonnait que la maison où il était né serait démolie, le propriétaire d'icelle préalablement indemnisé, sans que sur la place il pût être fait à l'avenir autre bâtiment, et que, dans quinzaine, son père et sa mère videraient le royaume avec défense d'y revenir jamais, sous peine d'être pendus et étranglés, sans autre forme ni figure de procès ; défendait à ses frères et sœurs, oncles et autres, de porter ci-après le nom de Ravaillac, et leur enjoignait de le changer en un autre.

L'arrêt du parlement de Paris fut exécuté le jour même dans son intégralité. On conduisit François Ravaillac dans un tombereau au parvis de Notre-Dame où il fit amende honorable, et ensuite sur la place de Grève où le peuple l'accueillit avec des imprécations qui prouvaient à quel degré étaient arrivées la colère, l'indignation et la douleur publiques. Jamais criminel ne vit une foule aussi hostile assister avec autant de joie à son supplice. On dit que tous les officiers de la couronne, tous les seigneurs de la cour, tous les grands de l'État, que tous les princes de l'époque assistèrent, des fenêtres de l'Hôtel de ville, à cet horrible spectacle. Tous ces spectateurs de haut rang n'éprouvèrent peut-être pas des impressions pareilles ; si la majorité était plongée dans une profonde et réelle affliction, quelques-uns, comme le duc d'Epernon, se préoccupaient déjà, se préoccupaient surtout de leur rôle et de leur influence auprès de Marie de Médicis, régente du royaume.

La grande inconsolable, si elle avait connu dans toute sa grandeur le plan fatalement avorté par la mort soudaine de Henri IV, c'eût été la France. L'ordre y était rétabli, la prospérité y était revenue ; elle avait retrouvé le calme et la sécurité au dedans. Mais en perdant le plus populaire de ses rois, elle perdait la haute influence et la situation prépondérante qu'elle était à la veille d'acquérir dans le monde. La régence de Marie de Médicis et la minorité de Louis XIII ne pouvaient lui donner immédiatement ni cette influence, ni cette situation.

Aussi ce fut la France en larmes qui conduisit le deuil ; d'abord le 29 juin lorsque le corps de Henri IV fut transporté de la salle basse du Louvre, où il était exposé, dans la nef de Notre-Dame, à travers des rues tendues de noir et décorées des armes de la maison de France ; ensuite le 30 juin, lorsqu'il fut conduit à Saint-Denis pour y être inhumé dans la basilique royale. Chaque fois le cortège funèbre fut nombreux et brillant ; cette double cérémonie se fit en grande pompe.

Cette solennité funèbre ne devait plus se renouveler, avec le même cérémonial et le même éclat, qu'une seule et dernière fois, pour Louis XVIII.

Mais les regrets et les pleurs de tout un peuple en deuil ne pouvaient ressusciter Henri IV. Le règne du grand roi était fini.

Il a déjà été dit que Henri IV avait donné à la France le Bugey, la Breste et le Valromey. Il lui avait également donné, à la même époque, le pays de Gex. Enfin, il la laissa son héritière légitime pour la province de Béarn, le royaume de Navarre et le comté de Foix.

La statue équestre actuelle de Henri IV, qui décore le môle carré du Pont-Neuf dont on lui doit la première construction, est l'œuvre du baron François Frédéric Lemot, qui l'a élevée en 1817.