HISTOIRE POPULAIRE DE L'EMPEREUR NAPOLEON III

TOME PREMIER

 

LIVRE PREMIER.

 

 

Naissance du prince Louis-Napoléon Bonaparte. — Caractère de la reine Hortense et da ses deux enfants. — Leur éducation. — Jeunesse du prince Louis. — Ses études. — Sa participation aux événements d'Italie. — 1808-1836.

 

A la page 38 du tome XVII de la Correspondance de Napoléon Ier, nous trouvons deux lettres qui doivent ouvrir notre histoire et servir de frontispice à notre livre. Voici la première :

A L'IMPÉRATRICE,

A BORDEAUX.

Bayonne, 23 avril 1808.

Mon amie, Hortense est accouchée d'un fils : J'en ai éprouvé une vive joie. Je ne suis pas surpris que tu ne m'en dises rien, puisque ta lettre est du 21 et qu'elle est accouchée le 20, dans la nuit.

NAPOLÉON.

Voici la seconde :

A HORTENSE, REINE DE HOLLANDE,

A PARIS.

Bayonne, 23 avril 1808.

Ma fille, j'apprends que vous êtes heureusement accouchée d'un garçon. J'en ai éprouvé la plus grande joie. Il ne me reste plus qu'à être tranquille et à savoir que vous vous portez bien. Je suis étonné que dans une lettre du 20 que m'écrit l'archichancelier, il ne m'en dise rien.

NAPOLÉON.

Cet enfant dont la naissance était saluée par l'Empereur, s'appelait Louis-Napoléon, et devait plus tard, comme son oncle, réunir sur son auguste tête, la gloire qui resplendit et le martyre qui sanctifie.

Il était le troisième fils de Louis, frère de l'Empereur et roi de Hollande, et de la reine Hortense-Fanny de Beauharnais.

 

Le roi Louis a laissé dans l'histoire un nom populaire. Quand l'Empereur monta sur le trône, il nomma Louis connétable de France et colonel général des cuirassiers. Il lui fit un royaume de la république Batave, constituée en monarchie.

Louis ne garda pas longtemps la couronne. Des difficultés s'élevaient à chaque instant entre l'Empereur et lui ; l'Empereur voulait naturellement faire converger vers l'intérêt exclusivement français l'autorité royale de son frère, et celui-ci, qui prenait très au sérieux son rôle de souverain, ne pouvait pas consentir, tout en demeurant fidèle à la France, à sacrifier les intérêts particuliers du peuple hollandais. De là, des dissentiments qui le décidèrent à abdiquer le trône. Il en descendit comme il y était monté, simplement, noblement, forçant l'Empereur lui-même à admirer son généreux caractère, emportant l'estime du peuple, dont il avait voulu faire le bonheur, et offrant à ses concitoyens l'exemple si rare d'un homme de cœur dont la conscience ne saurait faiblir, même devant les séductions de la puissance suprême.

Louis-Napoléon, son fils, demeura toujours singulièrement fier du désintéressement et de la grandeur d'âme montrés par son père, et, dans ses Considérations politiques et militaires sur la Suisse, il rend un éclatant hommage à sa mémoire, tirant un légitime orgueil de cet acte digne d'être mis dans Plutarque à côté des actes les plus beaux du tyrien Abdalonyme, du grec Philoppœmen et du romain Vespasien.

A partir de son abdication, le roi Louis resta tout à fait étranger à la politique. D'un esprit réfléchi, calme, pratique, ayant une rare connaissance des affaires, il offrait un contraste singulier avec le caractère sensible, romanesque et poétique de la reine Hortense.

Jamais deux natures ne furent aussi complètement dissemblables et opposées. Néanmoins la plus sincère estime ne cessa de régner entre les deux époux, et nous verrons plus tard comment ils se partageaient la mission si douce et si grave à la fois de l'éducation de leurs enfants.

Trois enfants étaient nés de cette union. L'aîné, Charles Napoléon, prince royal de Hollande, mourut à La Haye, le 5 mai 1807.

Cette date, si triste pour la reine, devait plus tard lui devenir plus cruelle encore par la mort de l'Empereur à Sainte-Hélène ; et que de larmes lui coûtèrent ces anniversaires qui lui rappelaient tout à la fois la perte de son enfant et la perte de son bien-aimé père adoptif !

Son deuxième enfant fut le Prince Napoléon, né le 11 octobre 1804 ; fait par l'Empereur grand-duc de Berg, et qui mourut si jeune, si brillant, si regretté dans l'insurrection italienne de 1831.

Enfin le troisième était Louis-Napoléon, plus tard Empereur des Français sous le nom de Napoléon III, et le seul qui soit né dans le palais des Tuileries.

 

Plus on lit les mémoires du temps, plus on s'attache à la physionomie ravissante de la reine Hortense. Peu de femmes sont moins connues qu'elle, sous les aspects divers qui faisaient d'elle une femme de premier ordre ; on a souvent fait l'éloge de son charme enchanteur, de sa grâce, de la merveilleuse bonté de son cœur, mais on a trop sacrifié les qualités élevées et sérieuses de sa remarquable intelligence aux qualités séduisantes de son esprit.

En 1808, à l'époque de la naissance de Louis-Napoléon, la reine Hortense avait à peine vingt-cinq ans. Elle était, on le sait, la fille de l'Impératrice Joséphine, et elle tenait de la race créole tout ce qui donne à la femme cette beauté vivo et douce, cette nature simple et enjouée, cette tournure élégante et nonchalante qui semble en faire une race particulière dans la race blanche elle-même. Elle était de taille moyenne et pourtant elle paraissait grande, tant son port était majestueux et distingué. Ses grands beaux yeux bleus avaient une douceur infinie et troublaient par l'étrange pénétration qu'ils possédaient. Sa main fine et élégante se perdait dans les gants si longs qu'on portait à cette époque et qui montaient jusqu'à demi-bras. Son pied était cambré ; sa taille ronde et .souple était singulièrement maigrie à cette époque, et sur son beau visage, si mobile d'expression, commençait à errer cette pâleur maladive, qui trahissait une grande faiblesse de poitrine, et qui, plus tard, faisait d'autant plus ressortir l'incroyable énergie avec laquelle elle domptait la souffrance physique. Mais ce que la reine avait de plus charmant, c'étaient ses cheveux blonds qui tombaient jusqu'à terre. Une de ses fidèles amies raconte que lorsque son coiffeur démêlait ces admirables tresses, il était obligé d'aller si loin, que les deux petits enfants, Louis et Napoléon, couraient sous cette nappe éblouissante de cheveux d'or, sans même déranger le coiffeur dans son ouvrage.

 

Au moral, la reine était douce, bonne, serviable, et prodigieusement instruite. Trois exemples, pris au hasard, établiront ce qu'il y avait de profondément sérieux dans cette éducation artistique où l'histoire coudoyait la poésie et où la poésie marchait de pair avec une science complète de la géographie.

Un jour, en 1815, elle était à Aix-les-Bains, en Savoie, sous la garde et la surveillance d'un officier autrichien délégué par les alliés. Cet officier avait pour ami un frère d'armes, dont l'unique vanité reposait sur une épée vieille de plusieurs siècles, appartenant à sa famille, et qui aurait été l'épée de Richard Cœur-de-Lion. Il la montrait avec une rare complaisance, et il ne se fit pas prier beaucoup pour la soumettre à l'admiration de la reine Hortense. La reine jette un coup d'œil distrait sur cette arme admirablement conservée d'ailleurs, puis elle dit négligemment : — Pardon, je vois là les insignes de l'Ordre de la Jarretière ; or, je ne sache pas que cet ordre existât du temps de Richard Plantagenet. C'est donc tout au plus de Richard III qu'il s'agit. L'officier demeura confondu, et la reine, dans sa modestie, ne triompha même pas du petit succès qu'elle venait d'avoir et auquel elle fut la dernière à faire attention.

En 1814, comme elle fuyait Versailles devant les alliés et se rendait à Navarre chez sa mère, elle apprend que les Cosaques rôdaient dans les environs de la forêt de Rambouillet qu'elle devait traverser. Alors, vite, elle saisit sa carte de France, qui ne l'abandonnait jamais, et elle-même indique au cocher stupéfait les routes qu'il doit prendre et qu'elle choisit avec la sûreté d'un général d'armée.

Cette incroyable manie chez une femme de se rendre compte des lieux qu'elle traverse et qui semble assez naturelle chez la belle-fille de Napoléon, sauva la vie plus tard, comme nous le verrons, à Louis-Napoléon, quand, après la mort de son fils aîné, elle fuyait l'armée autrichienne et rentrait en France avec son dernier enfant, au mépris des lois de proscription et en suivant les chemins que sa carte lui montrait.

Elle peignait à ravir ; son maître préféré était Garneray. Elle exerçait sa charmante tyrannie sur ses amies et les forçait de poser devant elle jusqu'à ce qu'elle les eût réussies, et elle était fort difficile pour elle-même.

Mais son talent préféré était la musique. C'est pour obéir à l'Empereur qui réclamait des airs patriotiques et qui trouvait la Marseillaise un peu compromise par les fureurs révolutionnaires, qu'elle composa le fameux air de Partant pour la Syrie. On lui en a attribué à tort les paroles. La reine avouait souvent avec ingénuité qu'elle n'avait jamais pu faire un seul vers de sa vie. Quelquefois, elle composait sur un refrain fabriqué par elle et qui n'avait ni queue ni tête. Les paroles de Partant pour la Syrie sont de M. de Laborde. La reine a laissé tout un album de romances. Il est curieux de constater que les sujets choisis par elle sont avant tout et surtout des sujets où éclataient les plus nobles sentiments. Sa modestie égalait son génie musical, tant apprécié de ses contemporains. Quand elle avait terminé une romance, elle la chantait à son entourage, et, sur la moindre critique, elle mettait la partition en pièces et cela avec la plus parfaite indifférence.

 

Jamais sœur de charité ne poussa plus loin la bonté pour le malheureux. Elle fut la providence des royalistes sous l'Empire. C'est elle qui sauva de la mort le prince de Polignac, et de la prison le comte de Sabran. C'est elle qui fit suspendre la loi d'exil contre la duchesse de Gesvres, la dernière héritière de Duguesclin, et qui lui fit accorder dix mille francs de pension sur la cassette de l'Empereur. C'est elle qui fit autoriser la duchesse d'Orléans et la duchesse de Bourbon à demeurer en France. Sur ses instances, l'Empereur fixa à la première quatre cent mille francs de rente et à la seconde deux cent mille francs. Et jamais femme ne fut plus insultée par les royalistes que cette bonne reine Hortense. Plus tard, quand elle traversait la France, en 1831, avec son fils mourant, Louis-Philippe, fils et neveu des deux princesses que nous venons de citer, la chassait en lui refusant jusqu'à la restitution de ses biens. Tant d'ingratitude fut toujours le résultat de tout bienfait accordé aux Bourbons ou aux royalistes !

Néanmoins, les plus grands noms du faubourg Saint-Germain, les Montmorency, les La Rochefoucauld, les Périgord et cent autres, ne purent pas s'empêcher de lui rendre les hommages qu'inspirait et qu'imposait une aussi noble femme.

 

Si nous avons tant insisté sur la reine Hortense, et si nous sommes décidés à revenir encore sur cette adorable physionomie, c'est que nous savons combien l'empereur Napoléon III aimait sa mère et combien il tenait d'elle.

La reine Hortense a complètement élevé son fils. De 1808, date de sa naissance, jusqu'en 1836, époque de la tentative de Strasbourg, elle ne l'a jamais quitté. C'est elle qui l'a formé, qui lui a donné tous ses goûts artistiques et toutes ses idées politiques. On retrouve dans les Mémoires laissés par la reine, la trace lumineuse de tout ce que l'Empereur a exécuté plus tard. Il n'a vécu que par elle, n'a pensé que par elle, et cette reine fut pour son fils la plus tendre des mères et la plus admirable des institutrices. Elle avait un bon sens tendre et affectueux qui produisait sur Louis Napoléon la plus incroyable des impressions. Elle en fit un homme, l'homme que vous savez, et toute la gloire lui en revient.

C'est pour cela que, pendant toutes les premières années de Louis Napoléon et jusqu'à sa première conspiration militaire, l'histoire du fils est tellement liée à l'histoire de la mère qu'il est impossible de les séparer. Faire la biographie de l'une, c'est faire la biographie de l'autre. Jamais mère ne fut plus complètement identifiée avec son fils, et c'est surtout ce côté viril, grave, étonnant du caractère de la reine, que nous voulons mettre en lumière, car nous y trouvons l'explication bien simple de toutes les vertus et de tout le génie de Napoléon III.

Et puis, avouons-le, nous cédons encore à une idée pieuse en élevant dans le cœur de nos fidèles, une statue à la reine ; en faisant cela, nous obéissons à la volonté de notre cher et regretté souverain. Sa pensée plane sur nous et nous bénit d'associer à sa mémoire bien-aimée la mémoire de sa vénérée mère.

 

Vers 1813, la santé de la reine Hortense était gravement altérée ; elle souffrait beaucoup de la poitrine. Son hôtel était rue Cerutti, aujourd'hui rue Lafitte, et dans ses rêves de malade, elle ne pensait qu'à une chose, avoir une chambre à coucher, au soleil. Toute la journée elle faisait des plans, maniant le crayon comme un véritable architecte. Puis elle laissait ces feuilles volantes sur tous les meubles. Les jeunes princes, ses enfants, respectaient ces griffonnages, et plus d'une fois Napoléon disait à Louis en les montrant du doigt : C'est le plan de maman, il ne faut pas y toucher.

Jamais elle ne demandait rien pour elle. Pourtant, il lui arriva une fois de dire à l'Empereur : Sire, je suis bien mal logée, est-ce que le grand-duc de Berg ne devrait pas avoir un beau palais à Paris ? cela ferait aussi travailler vos ouvriers.

L'Empereur sourit et, suivant son habitude, pinça l'oreille de la reine et lui répondit : A la paix, nous ferons tout ce que vous voudrez.

La paix ne vint pas, et le beau palais avec le beau soleil rayonnant pour la mère malade, furent remplacés par l'exil, et quel exil ! nous le verrons tout à l'heure.

 

Nous sommes au 13 avril 1813, l'Empereur vient de partir pour i armée, après avoir embrassé ses petits neveux, qu'il adorait, et la reine Hortense va s'installer à Saint-Leu avec ses enfants. Saint-Leu lui avait été donné par l'Empereur comme apanage de Louis, et pour remplacer des biens qu'elle avait en Hollande et qu'elle avait cédés à la couronne.

L'Impératrice Joséphine habitait alors à la Malmaison.

Il nous est impossible de prononcer et d'écrire ce nom mille fois saint par le dévouement et par l'abnégation, sans saluer avec piété celle qui fut la compagne fidèle de Napoléon pendant sa prospérité, et dont le divorce volontaire paraît avoir entraîné avec elle toute la gloire et tout le bonheur de l'Empereur.

Quoi de plus beau, de plus digne, de plus admirable que cette famille Beauharnais !

La mère quitte la couronne et la cède sans sourciller, à une rivale.

La fille, dont les enfants étaient les héritiers du trône impérial, ne pense qu'à la douleur de sa mère et fait litière de toutes les espérances que lui donnait la constitution de l'Empire. Bien plus même, elle témoigne à l'Impératrice Marie-Louise un dévouement admirable, et elle ne voit en elle que la femme de l'Empereur.

Le fils, cet illustre homme de guerre, ce vaillant soldat, ce grand cœur qui s'appelle le Prince Eugène, ne songe qu'à son pays, qu'à son bienfaiteur ; et supportant tous les trois un aussi rude coup avec une inaltérable et patriotique humilité, ils y trouvent encore le prétexte d'une affection d'autant plus immense qu'elle est plus désintéressée.

Cette famille Beauharnais est ce que la France a donné de plus grand, déplus noble ; et, parvenue aux honneurs les plus inespérés, elle sut, dans le malheur, forcer les souverains alliés eux-mêmes à des égards qu'ils n'eurent jamais pour ces princes de Bourbon, ramenés par eux dans leurs fourgons et en piétinant les cadavres de cent mille Français.

A Saint-Leu se place une caractéristique anecdote.

On venait d'apprendre la victoire de Lutzen, l'Impératrice Marie-Louise alla passer une journée à Saint-Leu, chez la reine Hortense. Dans la journée on monta à cheval ; le soir, il y eut comédie au château, puis, l'Impératrice partie, les dames de la reine voulurent lui ménager une petite surprise. On mit son fils aîné, le prince Napoléon, dans le secret. Le plus jeune était endormi et ne savait rien. La reine, suivant son habitude, dit à son fils aîné d'aller se coucher. Le petit prince ne répond rien, mais n'obéit pas. La reine insiste et lui demande le motif de sa conduite un peu extraordinaire. L'enfant garde un mutisme absolu, sa mère insiste, se fâche, et alors sans rien dire il va se mettre au lit. La surprise a lieu et elle consistait dans une scène comique jouée par l'acteur Brunet. La reine se divertit fort, tout en poussant, de temps en temps, quelques soupirs. Quand la scène fut finie, elle se tourna vers la société et dit : Savez vous que vous avez troublé le plaisir que vous vouliez me faire ? Je m'explique maintenant le désir de Napoléon de ne pas aller se coucher : il était du secret, et je m'en veux de ma sévérité. Comment ne m'avez-vous pas mise dans la confidence ? J'ai des remords d'avoir refusé à mon fils la prière qu'il me faisait pour rester. Je n'ai pas joui des folies de Brunet. Je pensais toujours à l'effort que mon fils avait fait pour s'en aller, car, à cet âge, toutes les impressions sont si vives ! De cette manière, j'ai presque mis mon fils en pénitence, et il ne le méritait pas !

Certes, la reine ne gâtait pas ses enfants, mais le souvenir de la perte douloureuse de son fils aîné Charles, l'avait si vivement impressionnée, qu'elle ne put jamais voir un de ses enfants malade ou triste sans être aussitôt plus malade et plus triste que lui.

On était à la fin de mai. La reine devenait de plus en plus souffrante. La poitrine se prenait, et les médecins alarmés lui conseillèrent les eaux d'Aix, en Savoie. Elle partit, laissant ses enfants à la Malmaison, aux soins de sa mère, l'impératrice Joséphine.

C'est à Aix que se passa la terrible catastrophe où périt Mme de Broc, sa dame de compagnie. Cette jeune femme, à peine âgée de vingt-trois ans, belle comme les amours, respectée de tous, était la sœur de Mme la duchesse de la Moskowa. En traversant un torrent, elle tombe et elle est entraînée par les eaux, sous les yeux de la reine qui, folle, désespérée, le pied sur un rocher glissant, lui tendait son écharpe et poussait des cris déchirants, s'exposant vainement pour la sauver.

La reine, violemment affectée de ce malheur, ne voulut pas demeurer davantage à Aix, et se hâta de rejoindre ses enfants à Saint-Leu, où vint l'attendre l'Impératrice Joséphine.

D'ailleurs, les événements commençaient à devenir de plus en plus sombres, à mesure que s'avançait cette terrible et néfaste année 1813. Le roi Louis, qui était en Italie, rentra immédiatement en France, et c'est alors que la reine dit ces paroles, qui sont l'éloge du roi, et son propre éloge à elle : Mon mari est bon Français, il le prouve en rentrant en France, au moment où toute l'Europe se déclare contre elle ; c'est un honnête homme, et il est digne de son caractère de venir se réunir à tous les Français pour aider de ses moyens, la défense de son pays ; c'est ainsi qu'il faut reconnaître tout ce que ce peuple a fait pour notre famille.

Ce mot de peuple est constamment à la bouche de la reine. Jamais elle n'oublie, comme on le verra dans le cours de cette histoire, que sa famille doit tout au peuple, qu'elle n'est quelque chose que par lui seul, et sans cesse elle lui rapporte tout avec reconnaissance.

 

Parmi les familiers de Saint-Leu se trouvait, au premier rang, M. Decazes, plus tard duc et favori d'un roi. Petit secrétaire du roi Louis, il faisait une cour respectueuse à la reine, sollicitait la place de maître des requêtes, et n'obtint, à son grand déplaisir, que la place de secrétaire des commandements de Madame Mère. Ce fut ce même Decazes qui, devenu premier ministre, fut un des plus acharnés contre la famille impériale.

 

Si vous saviez comme, à cette époque, les royalistes étaient plats et humbles devant l'aigle impériale ! Les plus nobles maisons du faubourg Saint-Germain briguaient l'honneur de fournir des dames du palais, et il fallut les revers pour montrer l'ingratitude jointe à la lâcheté des attaques.

 

Sans qu'on puisse s'en rendre encore bien compte, on sentait l'Empire craquer de toutes parts. La trahison rampait sous les pieds de l'Empereur. Ou essaya de corrompre jusqu'au Prince Eugène.

Un jour, la reine Hortense reçoit une lettre de son frère, ainsi conçue :

Ma bonne sœur, j'ai besoin de te mander ce qui m'est arrivé la semaine dernière.

Un parlementaire autrichien demande avec instance à nos avant-postes de pouvoir me remettre lui-même des papiers très-importants ; j'étais justement à cheval ; je m'y rends et je trouve un aide-de-camp du roi de Bavière, qui avait été sous mes ordres la campagne dernière. Il était chargé, de la part du roi, de me faire les plus belles propositions, pour moi, pour ma famille ; assurait d'avance que les souverains coalisés approuvaient que je m'entendisse avec le roi pour m'assurer la couronne d'Italie. Tout cela était bien séduisant pour d'autres que moi. J'ai répondu à toutes ces propositions comme je le devais. — Adieu, ma bonne sœur, ton frère sera, dans tous les temps, digne de toi et de sa famille.

Ces ignobles propositions lui furent encore renouvelées ; c'est alors qu'il écrivit à sa femme, si Française de cœur, Augusta de Bavière, une magnifique lettre se terminant par ces mots indignés : Dans quel temps vivons-nous ! Et comme on dégrade a l'éclat du trône, en exigeant, pour y monter, lâcheté, ingratitude et trahison ! Va, je ne serai jamais roi !

Tel était le Prince Eugène, le glorieux oncle de Louis-Napoléon, et son modèle en matière d'honneur et de chevalerie. Comment voulez-vous qu'à pareille école, et entouré de telles femmes et de tels hommes, notre jeune Prince n'ait pas sucé, dès son plus jeune âge, l'amour de la gloire, de la patrie et de la probité ?

1813 venait de s'achever tristement, et on commençait l'année 1814 sous les plus affreux auspices. L'étranger envahissait la France, et les armées impériales décimées disputaient à des adversaires sans cesse renouvelés, de stériles victoires. Le 9 février Mâcon était pris. Alors commencèrent pour la reine toutes les atroces alternatives de succès et de malheurs qui composent la campagne de France, si belle et si inutile. Partout la trahison et la fatalité. Le maréchal Victor perd la tête, et le maréchal Augereau refuse de marcher. En vain le Prince Eugène faisait-il un appel éloquent à l'Italie et gagnait-il la bataille du Mincio, la victoire s'éloignait de nous et l'heure de la défaite avait sonné pour la France.

Naturellement, dans ses heures de tristesse, la reine Hortense se rapprochait de sa mère et allait plus souvent à la Malmaison. Elle y menait ses fils, dont le cadet, le petit Louis, était l'enfant gâté de l'Impératrice Joséphine. Celle-ci se plaisait à raconter un trait de son préféré, quand le pauvre petit avait quatre ans. Ce trait est un vrai bijou de sentiment et dénote bien à l'avance ce que Napoléon III avait de bonté dans le cœur.

Donc le petit Louis n'avait que quatre ans ; il était mince, fluet, délicat. Etant avec sa gouvernante, madame de Boubers, il aperçut pour la première fois un ramoneur ; la peur le prit et il courut se cacher. Là-dessus, madame de Boubers lui fait un grand sermon sur sa frayeur, et lui raconte que les ramoneurs sont de malheureux enfants obligés de quitter leur papa et leur maman, pour aller dans les pays étrangers, gagner péniblement de quoi manger, en nettoyant les cheminées. Cette histoire frappa beaucoup le petit Louis. Et quelque temps après, il est réveillé brusquement par un ramoneur, qui descend par mégarde de sa cheminée, tout couvert de suie et dans l'état horrible que l'on sait. Sans s'effrayer un instant, le petit Louis enjambe à grand'peine la balustrade de son berceau, saute à terre, au risque de se rompre le cou, et court en chemise à son tiroir, où il prend ce qu'il a d'argent pour le donner au jeune savoyard. Tout cela fait du bruit, sa nourrice, qui était dans la chambre voisine, se précipite et le trouve tout penaud et faisant des efforts inouïs pour remonter dans son lit, qui était trop haut. Il fut grondé pour avoir donné tout son argent, quand il ne lui était permis que d'en donner une partie d'un coup.

Les deux jeunes princes vivaient en très bon accord avec le petit roi de Rome, qui était bien le plus délicieux enfant que l'on pût voir.

Mademoiselle Cochelet, lectrice de la reine Hortense, raconte qu'étant allée le visiter, elle l'aperçut derrière une chaise, où il était mis en pénitence par sa gouvernante Madame de Montesquiou. Alors il se cacha sur la chaise, la figure toute rouge et sillonnée de larmes et comme perdue dans ses belles boucles blondes. Mademoiselle Cochelet s'approcha, et lui dit : Sire, Votre Majesté ne me reconnaît donc pas ? Et elle voulut lui prendre la main. Le roi de Rome la retira vivement, en disant avec une voix étouffée par les sanglots : Elle ne veut pas me laisser voir les soldats de papa !

La plus grande punition pour le petit roi de Rome était de lui défendre de voir relever la garde montante sur la place du Carrousel. Il était d'ailleurs aussi pétulant et aussi vif que ses cousins étaient calmes et réfléchis.

 

Plus les circonstances devenaient graves, plus la reine Hortense témoignait d'une admirable et patriotique énergie. Son âme courageuse se débattait dans ce corps frêle et délicat et donnait des leçons aux plus braves. Elle fait tout ce qu'elle peut pour empêcher le départ de cette femme irrésolue qui s'appelait Marie-Louise. Elle sentait, avec son admirable instinct, qu'abandonner Paris à l'ennemi, c'était découvrir et perdre l'Empereur qui suivait les alliés de près et menaçait de les prendre entre Paris et son armée.

Une scène assez vive avait eu lieu entre la reine et l'impératrice Marie-Louise, qui, cédant à la terreur qui dominait tout son entourage, se disposait à s'en aller et à quitter Paris.

La reine avait dit en propres termes à Marie-Louise : Ma sœur, au moins vous savez qu'en quittant Paris, vous neutralisez la défense et qu'ainsi vous perdez votre couronne ; je vois que vous en faites le sacrifice avec beaucoup de résignation.

Et l'impératrice troublée, avait répondu : Vous avez raison, ce n'est pas ma faute, le Conseil l'a décidé ainsi.

De sorte que devant l'effarement général, un seul être au monde gardait son énergie, et c'était la reine Hortense qui en remontrait aux plus courageux.

Elle refusa de quitter Paris, résolut d'en partager le sort, et elle se borna à faire avertir sa mère de quitter la Malmaison et de se réfugier à Navarre.

Et avant d'aller se coucher, elle prononça ces paroles mémorables : Je voudrais être la mère du roi de Rome, je saurais par l'énergie que je montrerais, en inspirer à tous.

Qui sait, en effet, ce qu'une résolution aussi mâle n'eût pas fait, dans ce milieu d'hésitation et de peur, et peut-être que les événements en eussent été gravement modifiés ! Si les conseils de la reine eussent prévalu, Paris se défendait, et l'Empereur écrasait les alliés contre les portes de sa capitale.

 

Le départ de l'Impératrice, avait, comme le prévoyait la reine Hortense, complètement annulé la défense de Paris. La reine mettait tout en œuvre pour pousser à la résistance. Elle dit au comte de Regnault Saint-Jean-d'Angély, colonel de la garde nationale : Il faut que Paris tienne, et si la garde nationale veut défendre la capitale, dites-lui que je m'engage à y rester avec mes enfants.

Elle refuse en même temps les offres de Labédoyère qui lui propose de l'escorter et de la conduire en lieu sûr.

Et puisque nous parlons de Labédoyère, racontons, en passant, ce qu'était ce type de l'héroïsme, de la crânerie militaire et de la chevaleresque fidélité.

Labédoyère avait été royaliste ; de plus il avait épousé Mlle de Chastellux, d'une famille absolument dévouée aux Bourbons ; quoique aide-de-camp du prince Eugène, il avait toujours témoigné la plus grande hostilité à l'Empereur. Mais voilà que devant les malheurs de la patrie, devant la gigantesque épopée delà campagne de France, il n'y tient plus, et il court se ranger auprès de l'Empereur, ayant refusé de l'aimer clans le bonheur, et lui devenant dévoué à la vie et à la mort an jour de la défaite. Labédoyère ne se démentit jamais d'ailleurs et, quelques mois après, il payait de sa vie la part qu'il avait prise au retour de l'île d'Elbe. Les Bourbons, qui trouvaient tout naturel qu'on trahit l'Empereur en leur faveur, ne pouvaient pardonner à ceux qui les quittaient pour servir la France et l'Empereur.

Ce n'est que lorsque la reine sut d'une façon certaine que Paris ne se défendrait pas, qu'elle prit la détermination de partir. Jusqu'à ce dernier moment elle hésitait, se promenait à grands pas dans sa chambre et murmurait tout haut avec des larmes de colère : Mais une armée ne peut pas prendre si facilement une capitale ! Et avoir l'Empereur tout près d'ici ! Mais je me souviens que Madrid s'est maintenu quelques jours contre nos armées ; il y a mille exemples semblables, et nous sommes des Français !

Elle seule comprenait la pensée de l'Empereur et savait que la défense de Paris pouvait changer toute la physionomie de la guerre et sauver la France.

 

Cependant les Cosaques arrivaient jusque clans les faubourgs ; la reine se décida et fit atteler sa voiture.

Elle alla à Trianon et de là à Navarre, rencontrant sur sa route les ministres, la cour, tous les traîtres et les lâches, qui s'enfuyaient à qui mieux mieux, et qu'elle couvrait d'un regard dédaigneux et méprisant. Ses deux enfants étaient avec elle, et toute son épouvante était de les voir enlever, comme otages, par l'ennemi.

C'est à Navarre, que la reine réunie à l'Impératrice Joséphine, apprend la capitulation de Paris, l'abdication de l'Empereur, et là convention par laquelle on lui donnait l'île d'Elbe comme résidence et en souveraineté.

Ces deux nobles femmes, reines sans royaume, supportaient l'adversité avec un admirable courage ; elles se consolaient par la vue des deux petits princes, dont le cadet, Louis, était, on le sait, le préféré de l'Impératrice Joséphine. Celle-ci le gâtait un peu, et la reine s'y opposait avec une douce fermeté, disant : Leur position élevée ne les gâterait que trop, si l'on n'y prenait garde. Je veux en faire des hommes distingués ; je ne veux pas qu'on leur donne les défauts de la grandeur ; je veux, au contraire, que l'idée de leur élévation les oblige à devenir meilleurs et, le moyen de se rendre toujours supérieur aux autres, c'est de s'oublier constamment pour eux.

Tels étaient les principes dans lesquels on les élevait.

 

Pendant ce temps-là, les alliés s'installaient dans Paris, à la joie indécente des royalistes, qui considéraient comme un jour de fête cet effroyable deuil national. Au milieu de la ville triste et morne, allaient et venaient les dames du faubourg Saint-Germain, se mêlant à l'étranger et lui faisant tous les honneurs de la capitale. C'était infâme, et, après soixante-dix ans, la nation française n'a pas encore oublié quelles furent les attitudes si différentes des uns et des autres, des Bourbons revenant avec l'ennemi, et des Napoléon supportant, avec dignité, avec courage, les revers de la patrie. Le retour des Bourbons, dans des conditions aussi honteuses, les a perdus et, déshonorés pour toujours, et nous n'aurions pas le courage de conduire nos lecteurs à travers cette lamentable époque, s'il n'y avait là, pour en adoucir l'histoire, le spectacle superbe de ces deux femmes de cœur, Hortense et Joséphine, oubliant tous leurs malheurs, pour ne songer qu'aux malheurs de la France !

 

L'Impératrice Joséphine voulait s'expatrier et emmener sa fille et ses petits enfants à la Martinique

L'Empereur Alexandre, pris d'une admiration légitime pour tant de grandeur d'âme et tant de fierté, leur fit offrir de s'interposer en leur faveur, auprès des souverains alliés et des Bourbons.

La reine Hortense répondit par ces mots d'un orgueil tout patriotique : Tout le monde m'écrit pour me dire : Que voulez-vous ? Que demandez-vous ? A tous, je réponds : rien du tout ! Pourvu que je garde mes enfants, cela me suffit. Elevés par mes soins, ils se trouveront heureux dans toutes les positions, je leur apprendrai à être dignes de la bonne et de la mauvaise fortune, et à mettre leur bonheur dans la satisfaction de soi-mêmecela vaut bien des couronnes.

M. de Nesselrode, ministre de l'Empereur de Russie, ne se tint pas pour battu. Il disait de la reine à qui voulait l'entendre : Qui ne serait glorieux de l'avoir dans sa nation ? C'est une belle perle de votre France.

Mais la reine demeurait inflexible. Il fallut que le duc de Vicence qui se conduisait si bien pour l'Empereur Napoléon, et qui était chargé de régler toutes les affaires de la famille, lui écrivit de venir à la Malmaison avec l'Impératrice Joséphine, et que l'avenir de ses enfants en dépendait.

La reine refusait toutes les avances, toutes les gracieusetés de l'Empereur de Russie, disant : Je ne veux pas le voir, c'est notre vainqueur ! Et malgré tout son entourage, elle résolut d'aller rejoindre l'Impératrice Marie-Louise à Rambouillet, ajoutant que son devoir était d'être là.

Marie-Louise était rendue en partant de Paris. Le petit roi de Rome l'accompagnait, et, pendant le voyage, il se passa même un fait assez curieux. L'enfant en s'éveillant dans la voiture, se mit à pleurer à chaudes larmes, disant qu'il avait rêvé de son papa, et que ce qu'il avait vu dans son rêve était affreux. Toutes les promesses de joujoux et toutes les caresses furent impuissantes à lui faire dire ce qu'il avait rêvé.

Le voyage de la reine Hortense à Rambouillet désolait tous ses amis qui voyaient dans cette démarche le meilleur moyen de mécontenter les souverains alliés, et de les faire revenir sur leurs. bonnes dispositions. Mais la reine répondait : Vous avez raison, cela peut être vrai, mais je n'en irai pas moins voir l'Impératrice Marie-Louise, c'est un devoir ; dût-il y avoir des inconvénients pour moi, peu m'importe, je le remplirai. L'Impératrice Marie-Louise doit être la plus malheureuse, elle a besoin de consolations, c'est là que je dois être le plus nécessaire et rien ne changera ma détermination.

Elle partit comme elle l'avait dit, mais elle fut reçue froidement par l'Impératrice Marie-Louise, qui avait déjà cessé d'être Française, et qui lui dit qu'elle attendait son père l'Empereur d'Autriche, et qu'elle craignait qu'il ne fût gêné par sa présence.

Toute triste de cet accueil inattendu, la reine Hortense se décida à aller retrouver sa mère qui venait d'arriver à la Malmaison.

Aussitôt qu'il apprit leur retour, l'Empereur Alexandre vint les voir, mais il fut accueilli d'une façon glaciale. Il s'en montra désolé, car il savait l'Impératrice Joséphine et la reine Hortense sans argent, sans ressources, et à la veille de tomber dans le besoin. Saint-Leu venait d'être repris par le prince de Condé ; on avait saisi tous les titres de rente donnés par l'Empereur Napoléon à sa belle-fille en échange des biens qu'elle possédait en Hollande et qu'elle avait cédés à l'Etat ; la cassette particulière de l'Empereur avait été pillée, et il ne restait rien, mais rien du tout à ces deux femmes infortunées. D'ailleurs, elles étaient tout entières à leur douleur, et elles n'avaient même pas une pensée pour les difficultés matérielles de leur position.

Tant de désintéressement acheva de toucher l'Empereur de Russie, qui exigea qu'on érigeât en duché, pour elle, la terre de Saint-Leu. Le roi Louis XVIII finit par y consentir, mais en stipulant cette clause insultante, qu'il accordait le titre de duchesse, à Mlle de Beauharnais.

La réponse de la reine est superbe d'indignation et de fierté : Comment, s'écria-t-elle, a-t-on pu croire que je consentirais à une pareille formule ? Louis XVIII, puisqu'il est reconnu roi de France, a le pouvoir de sanctionner, par n'importe quel acte, la possession de mes biens autour de Saint-Leu ; mais je ne puis consentir à ce qu'il y ajoute de cette façon, un titre que j'ai le droit de prendre et qui, accepté de cette manière, me donnerait l'air de renier la validité de celui qui m'a appartenu. Je l'ai reçu sans le désirer, ce titre de reine ; il ne m'a pas rendue heureuse et je le perds sans regrets. Peu m'importe d'ailleurs le titre qu'on me donne ! Mais lorsqu'il s'agit de s'abaisser devant un parti vainqueur, je ne dois faire aucune concession.

Puis, se laissant aller à une agitation croissante, elle ajouta : Le Roi vient designer son premier acte, delà dix-neuvième année de son règne ; c'est manifester la volonté de ne pas reconnaître le passé. Il en est bien le maître si la nation le trouve bon. Mais nous nous devons aux peuples qui nous ont placés si haut, de ne jamais désavouer ce qu'ils firent pour nous. Aussi, je crois de mon devoir de ne pas permettre qu'on oublie que j'ai été reine, et je n'accepterai cette compensation offerte à tout ce que perdent mes enfants, que de ceux qui reconnaîtront ce qu'ils furent, ainsi que moi. On aurait voulu persuader aux nations que ceux mêmes qu'elles avaient placés à leur tête, reconnaissaient le peu de validité de leurs droits et venaient, sans plus de façon, les déposer aux pieds des Bourbons. C'est la conséquence d'un système qui veut anéantir toutes les gloires du passé et auquel je ne puis m'associer sans faire injure à la France et à l'Empereur. Les peuples sont aussi fiers que les rois, et ne souffrent pas qu'on abaisse ce qu'ils ont élevé et ils tiennent à ce qui est leur création, jusqu'à ce qu'il leur convienne de le détruire de nouveau.

N'est-ce pas que c'est bien là le plus magnifique langage que l'on puisse tenir, quand on fait partie d'une dynastie populaire et qu'on se souvient de son origine plébéienne ? Le peuple français serait un ingrat s'il oubliait jamais une famille élevée dans de pareilles idées et demeurant fidèle au passé démocratique de la France ! C'est le peuple que la reine Hortense défendait dans elle-même ; c'était le peuple qu'on chassait dans Napoléon Ier, comme c'est le peuple qui était revenu avec Napoléon III et qui reviendra avec Napoléon IV.

Louis XVIII dut céder devant la noble attitude de la reine, et la clause outrageante pour elle, fut effacée. Saint-Leu fut donc rendu à la reine. Nous verrons comment les Bourbons exécutèrent ce traité imposé par Alexandre et comment ils tinrent leur parole.

La reine, tranquille pour quelque temps, s'occupait exclusivement de l'éducation de ses enfants à qui son aumônier, l'abbé Bertrand, donnait des leçons.

Ces enfants étaient d'une intelligence extraordinaire et d'une précocité étonnante. Néanmoins, ils ne comprenaient rien aux visites assez fréquentes des souverains alliés qui venaient saluer leur mère et leur grand'mère. Habitués aux rois de leur famille, ils demandèrent un jour qu'on annonçait le roi de Prusse et l'Empereur de Russie, s'ils étaient aussi leurs oncles et s'ils devaient les appeler ainsi. Non, répondit la gouvernante, vous leur direz simplement : Sire. — Mais, s'écria le petit Louis, avec un profond étonnement, est-ce que tous les rois ne sont pas nos oncles ?

On leur apprit que ces rois qu'ils voyaient, loin d'être leurs oncles, étaient venus en vainqueurs. Ce fut au tour du petit prince Napoléon à faire ses réflexions. — Mais alors, demanda-t-il, ils sont donc les ennemis de mon oncle l'Empereur ? et pourquoi nous embrassent-ils ?

Parce que, fit la gouvernante, cet Empereur de Russie que vous voyez est un ennemi généreux et qu'il veut vous être utile à vous et à votre maman. Sans lui, vous n'auriez plus rien au monde, et vous et votre oncle l'Empereur, seriez bien plus malheureux.

Ainsi, il faut donc que nous l'aimions, celui-là, dit Napoléon, avec un gros soupir.

Le petit prince Louis, qui parlait d'habitude fort peu, avait écouté cette discussion avec une attention toute particulière. Aussi fut-on ébahi, quand on le vit, la première fois que revint l'Empereur Alexandre, tirer de son doigt une petite bague que lui avait donnée le prince Eugène, s'avancer sur la pointe des pieds, la glisser dans la main de l'Empereur de Russie et s'enfuir à toutes jambes.

Sa mère le rappela et lui demanda ce qu'il venait de faire :

Je n'ai que cette bague, répondit l'enfant en rougissant ; c'est mon oncle Eugène qui m'en a fait cadeau, et j'ai voulu la donner à l'Empereur, puisqu'il est bon pour maman.

L'empereur Alexandre en eut les larmes aux yeux. Le petit Louis était d'ailleurs d'une générosité sans exemple et que tous ceux qui l'approchèrent plus tard', purent constater et reconnaître. Sa mère lui reprochait, à Arenenberg de ne rien garder des cadeaux qu'elle lui faisait, un jour qu'il avait encore donné de jolis boutons qu'elle avait fait monter exprès pour lui, il répondit : Mais vous vouliez me procurer un plaisir en me les offrant et vous m'en procurez deux, celui de recevoir de vous, ma mère, une jolie chose, et ensuite le plaisir de la donner à un autre.

 

Les principes que leur inculquait leur mère étaient admirables et atteignaient la hauteur et la vertu de tout ce que les anciens philosophes, les Socrate et les Platon, pouvaient enseigner.

Quelque temps avant la chute de l'Empire, la reine, qui aimait à la folie causer avec ses enfants et leur ouvrir elle-même l'intelligence, les avait pris un matin tous les deux sur ses genoux, et après les avoir interrogés sur leur petit savoir, leur dit : Voyons, si tu ne possédais rien du tout et que tu fusses seul au monde, que ferais-tu, toi Napoléon, pour te tirer d'affaire ?

Je me ferais soldat, dit-il, et je me battrais si bien qu'on me nommerait officier.

Puis, se tournant vers le cadet : Et toi, Louis, que ferais-tu pour gagner ta vie ?

Le prince Louis, toujours grave et taciturne, réfléchit un instant et répondit : Moi, je vendrais des bouquets de violettes, comme le petit garçon qui est à la porte des Tuileries et auquel nous en achetons tous les jours.

Les personnes présentes s'étant mises à rire de cette conversation originale, la reine les gronda : Ne riez pas, dit-elle d'un ton grave, c'est une leçon que je leur donne. Le malheur des princes nés sur le trône, c'est qu'ils croient que tout leur est dû, qu'ils sont formés d'une autre matière que les autres hommes et qu'ils ne contractent pas d'obligations envers eux ; ils ignorent les misères humaines et ne croient pas qu'elles puissent jamais les atteindre. Aussi lorsque l'infortune arrive, ils sont surpris, terrifiés et restent toujours au-dessous de leurs destinées.

Puis, embrassant ses enfants, elle ajouta : Croyez bien que dans la position où ils sont, je ne puis pas leur donner des leçons qui leur soient plus utiles que de leur enseigner que, malgré tout l'éclat qui les entoure, ils sont sujets à toutes les vicissitudes de la vie : cela leur apprend à ne pas trop compter sur la solidité de leur grandeur et cela les habitue à compter sur eux seuls.

Il semblait qu'au milieu même des splendeurs du trône, alors que tout souriait aux siens, la reine avait un vague pressentiment de l'avenir et qu'elle ne voulait pas perdre une occasion de faire de ses fils, de vrais hommes, braves, énergiques et capables de soutenir leurs droits et de les faire triompher.

Et puisque nous avons rapporté tout à l'heure le projet qu'avait le petit Louis de vendre des violettes, ajoutons que la violette était la fleur préférée de sa mère, et que dans les jours de désastres, cette fleur dut à la reine Hortense de devenir l'emblème parfumé de l'Empire.

 

Et ce fut pendant l'invasion, qu'elle s'appliqua surtout à développer chez ses fils le sentiment du patriotisme qu'elle possédait, elle, à un si haut degré. Elle leur faisait un tableau terrible du pays ravagé, pillé, des chaumières brûlées, des moissons anéanties, des paysans errants sans nourriture, sans abri et leur disait tous les jours que s'ils étaient plus grands, ils iraient se battre pour défendre la France et l'Empereur. Les pauvres enfants étaient tout tristes et l'émotion se peignait sur leur jolie figure. Alors la reine leur demandait s'ils ne voulaient rien faire pour venir en aide aux malheureux qui souffraient, et eux de répondre qu'ils étaient prêts à tous les sacrifices. Eh bien ! disait la reine, donnez tous vos joujoux, tout votre argent, car vous ne devez pas vous amuser et être riches, quand les autres souffrent et sont pauvres. Et les petits princes abandonnèrent tout sans regret.

La reine voulut même faire davantage et associer complètement leur jeune esprit si facile à frapper, au souvenir des malheurs de la patrie et il fut convenu avec eux, que pour tout le temps que la France serait envahie, ils se priveraient de dessert.

Le petit prince Napoléon était tout fier de ce qu'il croyait faire pour la France et il passait sa journée à expliquer au petit Louis la grandeur de leur abnégation, et celui-ci, qui n'avait pas six ans, était enchanté qu'on le traitât comme un homme et qu'on l'associât à la souffrance de tous.

 

Mais quelle que fut la réserve observée par la reine Hortense et par sa mère, les deux princesses n'en étaient pas moins en butte à d'odieuses persécutions.

Le 25 mai 1814, il se passa un fait ignoble.

En parcourant un journal, l'Impératrice Joséphine y lut qu'on allait enlever de Notre-Dame, où il était enseveli, le corps du fils aîné de la reine Hortense, mort en Hollande.

L'Impératrice fondit en larmes et s'écria : Tâchez que ma fille ne lise pas ce journal. Voyez l'article qu'on met sur le cercueil de son pauvre enfant. Cela est-il croyable ? Regardez en quels termes méprisants on dit qu'il doit être ôté de l'église de Notre-Dame pour être porté dans un cimetière ordinaire. On ose toucher aux tombeaux ! c'est comme du temps de la Révolution. Ah ! qui m'eût dit que cela me viendrait de gens que j'ai tant obligés !

L'Impératrice comptait sans l'ingratitude du parti royaliste et de tout ce qui touche aux Bourbons. Elle qui avait passé sa vie à faire du bien aux émigrés, qui fut leur véritable Providence, ne pouvait croire à tant de noirceur. C'est qu'elle ne les connaissait pas bien et qu'elle ignorait tout ce dont était capable une caste assez privée de cœur pour s'emparer du trône à l'aide des Cosaques et des Uhlans.

Il fut impossible de cacher, la chose à la Reine. Elle apprit la nouvelle sans sourciller et dit froidement : Tant mieux, je ferai placer le corps de mon fils dans l'église de Saint-Leu ; il sera là près de moi ; il ne sera plus au milieu de ceux qui se déclarent nos ennemis.

Et elle fît comme elle disait ; elle alla chercher le corps de son fils et le fit mettre dans le chœur de l'église de Saint-Leu.

 

Mais une bien plus terrible épreuve attendait encore la Reine. Malade depuis longtemps, rongée et minée par une souffrance morale et physique, l'Impératrice Joséphine mourut à la Malmaison après une courte maladie, entre les bras du prince Eugène, après de vives douleurs et en présence de la reine Hortense évanouie et presque morte de désespoir. C'était le 29 mai, jour de la Pentecôte.

Cette mort de la bonne Impératrice fut un coup de foudre pour ses amis et surtout pour le peuple de Paris qui l'adorait pour sa charité inépuisable. Les souverains alliés eux-mêmes, que la vertu de Joséphine forçait au respect, témoignèrent d'un chagrin qui complétait ce deuil universel porté par tout le monde sans exception, Français et étrangers.

Plus tard, et quand se déroulèrent les terribles événements qui suivirent, la reine-Hortense et le prince Eugène, durent remercier Dieu d'avoir rappelé leur mère, avant qu'elle pût ressentir les deux coups mortels de la fin, Waterloo et Sainte-Hélène.

 

La conduite des princes de Bourbons à l'égard de la famille impériale continuait d'être de la dernière inconvenance.

M. de Blacas confisqua au nom du roi, tous les meubles que l'empereur Napoléon avait donnés à son frère Louis pour le château de Laeken et qu'on avait fait revenir à la Malmaison.

La famille royale, oublieuse de tout ce qui s'était passé depuis près de vingt ans, rentrait en France comme chez elle, comme si elle venait de faire une courte absence et traitait la propriété des autres avec un adorable sans-façon.

Ainsi la duchesse d'Angoulême réclama aigrement une mauvaise épinette qu'elle avait laissée aux Tuileries, le 10 août 1792, avant le pillage que l'on sait. En revanche, elle ne tenait aucun compte des cinquante pianos de l'Impératrice, dont elle s'était emparée.

Tout ce qui s'était écoulé depuis n'existait pas pour ces princes.

Coblentz était une partie de campagne un peu longue, de laquelle ils étaient censés revenir tout simplement.

Voulez-vous un autre exemple de cette prétention aussi étrange que révoltante ?

Le comte d'Artois alla visiter les splendides serres de la Malmaison, et, admirant les belles plantes que tous les souverains du monde envoyaient à l'impératrice Joséphine, qui adorait la botanique, il s'imagina les reconnaître et dit : Ah ! voilà nos plantes de Trianon.

La reine Hortense à qui le mot fut rapporté, se borna à répondre en souriant : Puisque la terre de France leur appartient, les Bourbons doivent trouver que si nous étions leurs fermiers, nous avons très bien fait prospérer leur propriété.

 

La reine inconsolable de la mort de sa mère, s'était enfermée dans la solitude de Saint-Leu. Néanmoins, tout ce que Paris avait de distingué et qui ne tenait pas étroitement à la personne des Bourbons, avait à honneur de s'y faire présenter.

Madame de Staël elle-même y reçut l'hospitalité.

Le célèbre auteur de Corinne cherchait surtout à briller et voulait exercer le prestige de son esprit, non-seulement sur les grandes personnes, mais encore sur les enfants. Elle s'occupa beaucoup des petits princes, et leur adressa des questions d'un pédantisme exagéré et qui n'était guère fait pour des bambins de cet âge.

Voici le dialogue qu'elle eut avec eux :

— Aimez-vous votre oncle ?

— Beaucoup, madame.

— Aimeriez-vous la guerre comme lui ?

— Oui, si cela ne faisait pas tant de mal.

— Est-il vrai qu'il vous faisait réciter souvent la fable qui commence par ces mots : La raison du plus fort est toujours la meilleure ?

— Madame, il me faisait souvent dire des fables, mais pas plus celle-là qu'une autre.

Le petit prince Napoléon, qui avait répondu avec un aplomb remarquable, se tourna vers madame de Boubers sa gouvernante, quand l'interrogatoire fut terminé et lui dit : Cette dame est bien questionneuse. Est-ce que c'est cela qu'on appelle de l'esprit ?

On voit que madame de Staël n'eut pas plus de succès auprès des petits princes, qu'elle n'en avait eu auprès de l'Empereur leur oncle.

Jamais la haine n'est entrée dans le cœur de la reine Hortense. Elle élevait ses enfants à ne pas connaître la rancune ou la vengeance, et il a fallu évidemment le saint exemple de sa mère pour faire pratiquer plus tard à Napoléon III le pardon des injures et des trahisons.

Chaque fois qu'elle parcourait les journaux du temps et qu'elle y voyait les infamies répandues sur l'Empereur, elle disait : ce qui me fâche le plus, c'est que tout ce qu'on écrit aujourd'hui restera comme un monument de lâcheté et que l'histoire ne pardonnera pas à la nation d'avoir laissé outrager, lorsqu'il est devenu malheureux, l'homme qui fît tant pour son illustration et qui fut si constamment encensé dans la prospérité. On nous appellera toujours peuple léger et sans dignité. Cette idée me peine, et quand je pense à cette entrée des Alliés dans Paris, j'en ai encore le cœur navré ! Pourquoi les Bourbons n'ont-ils pas été se faire reconnaître clans une province par un régiment français ? A la bonne heure, c'eut été tout simple ; si on ne voulait plus de l'Empereur, on allaita ses anciens souverains, on les reprenait, le peuple était le maître de choisir qui lui plaisait, et c'était à nous seuls, dont il ne voulait plus, à nous résigner.

Mais aller fêter les ennemis de son pays, ceux qui ont toujours fait couler le sang français ! ah ! le parti qui a fait cela est bien coupable !

Toujours le peuple ! et comme elle en parle avec respect, n'admettant rien de ce qui se passe sans lui !

C'était sanglant, mais c'était dit sans colère : et pourtant à ce moment le gouvernement royal venait de saisir ses rentes, ses arriérés dus par le Trésor, et la reine Hortense était réduite pour vivre, à se défaire de ses objets précieux !

 

Le prince Eugène venait de partir pour faire valoir au congrès de Vienne ses droits et ses titres, et la reine, dont la santé était fortement ébranlée, se disposait à partir pour les eaux d'Aix, en Savoie.

Elle était toute triste de laisser ses enfants à Saint-Leu. En les quittant, elle disait à Mlle Cochelet, sa lectrice : Je laisse mes enfants en France, dans leur patrie, cette patrie qui les a vus naître, qui les a reçus avec tant d'acclamations. Ils restent au milieu de leurs amis. Le premier paysan venu serait leur défenseur, si on voulait leur faire du mal. — On eût dit qu'elle pressentait la vieille affection du paysan pour sa race, affection qui, à cette heure, entoure le prince impérial.

Les petits princes restèrent confiés à la garde de Mme de Boubers, de M. Devaux et du bon abbé Bertrand, qui donnait des leçons de latin à l'aîné et qui montrait à lire au cadet, et elle partit.

A propos de l'éducation des princes, il est bon de rappeler un mot caractéristique de l'empereur Napoléon, un jour que la reine Hortense lui demandait de lui donner comme précepteur de ses enfants M. de Saint-Aulaire, gentilhomme de formes exquises. Et l'empereur répondit brusquement : Les princes de ma dynastie ne doivent pas être élevés par des individus tenant à l'ancienne noblesse et à des familles d'émigrés : cela déplairait à la nation.

 

La reine resta quelque temps à Aix, puis alla jusqu'à Bade, où elle rencontra le prince Eugène et la princesse Augusta de Bavière, sa femme.

Celle-ci eut un mot touchant au sujet de son mari : Eugène a fait son devoir, sa belle réputation est préférable à tous les trônes où j'aurais pu aspirer, et je suis fière d'être sa femme.

A Bade, où la reine Hortense passa une grande partie du mois d'août, un petit incident bizarre frappa l'imagination de son entourage, et avec raison, comme on va le voir.

Une baronne de Krüdner, illuminée qui joua un grand rôle, car elle exerça plus tard la plus énorme influence sur l'esprit mystique de l'empereur Alexandre, vint pour trouver la reine, et prenant un air inspiré et un ton prophétique : Je viens voir la reine, dit-elle, il faut que je la sauve d'un danger qui la menace. Je viens lui dévoiler ce que Dieu veut qu'elle sache !

Une amie de la reine, à qui elle parlait ainsi, fut tout effrayée en voyant cette petite femme maigre, anguleuse, avec les cheveux en désordre, avec un reflet surnaturel dans des yeux presque hagards, et elle n'osa pas aller prévenir la reine.

Mme de Krüdner, toujours en proie à son exaltation, continua en disant : Ah ! vous ne savez pas combien 1815 sera une année affreuse ! Vous croyez que le congrès finira ? détrompez-vous, l'empereur Napoléon sortira de son île. Il sera plus grand que jamais ; mais ceux qui prendront son parti seront traqués, persécutés, punis : ils ne sauront plus où reposer leur tête.

Et elle s'en alla, laissant son interlocutrice terrifiée.

Cette prédiction assez bizarre fut réalisée par les événements et frappa beaucoup la reine.

 

Vers le 28 août, la reine revint en France, elle traversa Strasbourg et arriva à Saverne. Là, elle eut une petite aventure qui se lie étroitement à l'histoire du retour de l'île d'Elbe.

Quelques officiers français l'ayant reconnue, l'avaient suivie, l'avaient rejointe sur la grand'route et lui offraient avec enthousiasme de lui servir d'escorte.

— Vous êtes notre reine, s'écrièrent-ils, et nous n'en voulons pas d'autre.

— Comme femme, je puis accepter vos hommages, dit la reine, mais aujourd'hui vous avez d'autres souverains que moi.

— Croyez-vous, madame, que nous reconnaissions l'abdication de notre empereur ? Elle a été forcée.

— Messieurs, dit la reine, il a cédé aux circonstances ; d'ailleurs, vous avez maintenant d'autres serments à tenir.

— Des serments pour des gens ramenés par les Cosaques ! Comment se porte notre Empereur ? Ne le tueront-ils pas ?

— Non, dit la reine.

— Il reviendra, et il nous trouvera tous prêts à le recevoir ; il ne peut pas nous abandonner ainsi.

La reine fit tout ce qu'elle put pour les calmer, mais sans pouvoir y réussir.

— Nous sommes tous du même sentiment, ajouta l'un d'eux. Le 15 août dernier, les officiers de notre régiment se sont réunis pour fêter la Saint-Napoléon, et nos soldats ont bu à la santé de notre Empereur. Seulement ils crient tout haut : Vive le roi, et ajoutent tout bas : de Rome et son petit papa.

Là-dessus, et toujours suivie par ces enragés, la reine arrive en face d'un superbe arc de triomphe élevé pour recevoir le duc de Berry, qu'on attendait. Pendant qu'elle examine les fleurs et les guirlandes, elle est prise par les mains et les officiers l'entraînent sous l'arc de triomphe en lui disant : Ça c'est trop beau pour des gens ramenés dans les fourgons ennemis, et il faut que vous y passiez la première. Vive la reine Hortense ! Et ils se mirent tous à crier, en agitant leurs chapeaux.

Au lieu de se réjouir de cette ovation, la reine en fut attristée. D'abord elle eut peur qu'ils n'allassent chercher leur régiment qui était près de là. Puis elle sentait le mouvement militaire qui se préparait et que l'insolence des royalistes attisait tous les jours davantage, et elle rentra à Saint-Leu, pensive et redoutant la guerre civile.

 

Le 31, la reine était revenue à Saint-Leu auprès de ses enfants.

Manquant d'argent, elle fit des réformes et renvoya une partie de sa maison. Les petits princes, quoique bien jeunes, avaient déjà le sentiment matériel et moral de leur infortune. La reine prenait d'ailleurs un triste plaisir à les entretenir dans les idées de leur nouvelle et si cruelle position. Et ils s'y faisaient admirablement, à tel point que le petit Napoléon dit un jour à sa gouvernante : Je vois bien que nous n'avons plus de fortune, et je cherche souvent avec mon frère comment nous pourrions faire pour ne rien coûter à maman. — Est-ce que je ne pourrais pas donner des leçons de latin dans les villages, si on trouve que je suis encore trop jeune pour me faire soldat ? Louis, qui n'a que six ans, tient toujours à ses bouquets de violettes ; ainsi tu vois que nous saurions très bien gagner notre vie.

Et la reine, à qui l'on reprochait d'attrister leur jeune imagination, disait, en hochant la tête et comme si elle avait le pressentiment de l'avenir : Non, c'est une bonne école pour mes enfants. Il faut qu'ils en profitent ; On ne se fait une âme forte que dans les revers, et les peuples seraient mieux compris, mieux gouvernés si tous les princes avaient pu être malheureux dans leur jeunesse.

 

Toujours pour sa santé, la reine alla prendre les bains de mer au Havre.

En revenant, elle constata que le déchaînement des royalistes, contre elle devenait de plus en plus violent. Et pourtant, elle s'attachait à se tenir en dehors de toute politique et à calmer les jeunes officiers, Labédoyère, par exemple, qui ne parlait de rien moins que de renverser le gouvernement. Tolérée en France, elle voulait donner l'exemple du respect des lois et tenait à ne fournir aucun motif de reproche contre elle.

Elle poussa le respect des institutions, jusqu'à faire une visite au roi, qui la reçut d'ailleurs de la façon la plus gracieuse. Mais la jalousie et la fureur que les royalistes éprouvaient de cette réception augmentèrent encore les difficultés et les persécutions dont elle était entourée. — Elle avait été digne, noble et fière avec le roi. Et celui-ci, comme les souverains alliés, ne put résister au charme enchanteur qu'elle exerçait autour d'elle. Il voulut la présenter à la famille royale, et elle refusa, trouvant qu'elle avait fait suffisamment pour fermer la bouche à la calomnie qui l'accusait de conspirer.

C'étaient surtout les vieilles douairières du faubourg Saint-Germain qui lui en voulaient de forcer l'admiration et les hommages du roi et de plusieurs royalistes éprouvés, comme Sosthène de La Rochefoucault et le duc de Guiche, d'étrangers comme Wellington, qui sollicitèrent tous d'être reçus par elle.

Mais elle s'en préoccupait peu, tout entière à ses fils.

 

A cette époque, le petit Louis la plongea dans les plus mortelles inquiétudes.

Il se réveilla un matin avec une violente douleur de dent. L'enfant, on le sait, n'avait que six ans, mais déjà brave comme un petit homme, il alla trouver sa gouvernante : Faites venir le dentiste, lui dit-il, pour m'arracher cette grosse dent qui me fait tant souffrir, mais sans le dire à maman, parce que cela lui ferait trop de peine.

— Comment voulez-vous le cacher à votre mère ? lui répondit la gouvernante ; son salon habituel est à côté de votre chambre, elle vous entendra crier, et elle s'en inquiétera bien plus que si elle savait de quoi il s'agit.

— Je ne crierai pas, je te le promets, ajouta vivement le prince. — Est-ce que je ne suis pas un homme pour avoir du courage ?

La gouvernante avertit la reine, qui fit semblant de ne rien savoir, voulant laisser à son fils tout le mérite de son énergie. — La dent fut arrachée, et tout tremblant, il la porta à sa mère ; celle-ci fit l'ignorante et le complimenta beaucoup sur sa bravoure.

Mais voilà qu'une violente hémorragie se déclare ; l'enfant, tout pâle, perdait son sang à grands flots. En vain on essayait de mille remèdes ; rien n'arrêtait le sang et le petit Louis s'affaiblissait de plus en plus. Enfin, un peu d'amadou placé sur la gencive conjura le danger.

Il était une heure du matin. L'émotion avait duré toute la soirée, et chacun alla se coucher.

Pendant la nuit, la reine fut prise d'un cauchemar affreux. Elle se lève toute tremblante, à moitié endormie, et croit voir son fils mourant. Elle entre dans sa chambre et pousse un cri, apercevant le petit prince baigné dans son sang. L'hémorragie avait repris, et si la Providence n'avait pas suscité ce rêve, l'enfant mourait sans secours.

Elle remet de l'amadou ; l'amadou n'agit pas. Effrayée, perdant la tête, et ne sachant que faire, elle met son doigt sur la plaie.

Par un vrai miracle, cela suffit, le sang ne coula plus, et le pauvre enfant, qui dormait toujours, fut sauvé.

Il était si délicat, que ce simple accident avait mis ses jours en danger.

 

On était arrivé à 1815, cette année pour laquelle madame de Krüdner avait annoncé tant de malheurs.

Un immense soulèvement de l'opinion publique se faisait contre les Bourbons, qui semblaient prendre à tâche de blesser tout ce que la nation avait de patriotisme. L'armée était exaspérée, et c'était en vain que la reine Hortense essayait de calmer les exaltations des quelques officiers qui fréquentaient son salon.

Le 6 mars, en revenant d'une promenade au bois, elle apprend brusquement de la bouche d'un Anglais, lord Kinnaird, la nouvelle du débarquement de l'île d'Elbe. Peindre son émotion est impossible, d'autant que les royalistes annonçaient partout que l'Empereur ne ferait pas vingt pas en France sans être tué comme un chien par le premier paysan venu.

Dans tous les salons on accusait la reine Hortense d'être l'âme de la conspiration bonapartiste. Elle se sentait menacée et redoutait que ses enfants ne fussent pris comme otages.

Le soir, elle fit emmener les petits princes en un lieu sûr.

Le prince Napoléon, très-avancé pour son âge, résistait.

Où nous mènes-tu donc ? disait-il à sa gouvernante ; est-ce qu'il y a quelque danger ? Maman y restera-t-elle exposée ?

Non, mon prince, disait la gouvernante, c'est vous seuls qui devez en courir ; elle n'a rien à craindre.

A la bonne heure, reprit alors le prince tout calmé ; maintenant cela m'est égal.

La reine Hortense était dans une douleur profonde ; d'abord elle craignait pour l'Empereur, ensuite elle pensait à son pays et s'affligeait à l'idée d'une guerre civile et d'une lutte terrible entre Français.

Les royalistes affectaient une jactance incroyable ; ils n'admettaient même pas la possibilité d'une lutte, et la reine voyant le maréchal Ney lui-même se disposer à marcher contre l'Empereur, désespérait de l'aventure. — Pourtant, disait-elle, l'Empereur n'est pas homme à ignorer ce qu'il fait. Il doit connaître la France mieux que nous, et ce n'est pas à la légère qu'il marche.

Cependant les nouvelles se succédaient avec rapidité. On apprenait en même temps la jonction de Labédoyère avec l'Empereur, et le bruit de cette marche inouïe, triomphale, unique dans l'histoire, atterrait les royalistes. La reine n'était plus en sûreté dans son hôtel ; tous les jours on proférait des menaces devant sa porte. Elle se décida, sur les instances de ses amis, à se rendre chez une femme dévouée qui habitait rue Duphot.

C'est de là qu'elle assista à cet incroyable mouvement de l'opinion publique clans Paris. A mesure que l'Empereur approchait et que l'aigle volait de clocher en clocher, les royalistes disparaissaient, et les populations des faubourgs s'emportaient en violences contre la famille royale. La reine, toujours bonne, fit dire alors au duc et à la duchesse d'Orléans que, s'ils redoutaient quelque chose pour eux et pour leurs enfants, un refuge leur était assuré chez elle. Et elle ajoutait avec cette confiance que la famille Napoléon peut seule avoir : — Je répondrai d'eux ; car, moi, je n'ai rien à redouter du peuple. S'il se mettait en mouvement, c'est alors que je ne craindrais plus de me montrer.

On constatera plus tard comment la famille d'Orléans se montra reconnaissante de ce bon procédé.

Prise de pitié pour le roi, qui se disposait à partir, elle lui écrivit que c'était chez elle un besoin de reconnaissance de lui exprimer ses sympathies clans un moment où la fortune lui était contraire. Elle ne pouvait oublier qu'on avait toléré sa présence en France, et elle perdait le souvenir de tous les mauvais traitements dont ce séjour avait été accompagné.

Et comme on lui reprochait cette démarche généreuse, elle répondit : — L'Empereur ne m'en voudra pas, il sait très-bien que j'ai toujours été pour les battus, et je l'ai assez tourmenté en faveur des malheureux de tous les partis pour qu'il ne l'ait pas oublié.

Quel admirable cœur que le cœur de cette femme ! et c'est elle que les Bourbons allaient poursuivre par la persécution la plus sauvage !

Enfin, le 20 mars, l'Empereur arrive à Paris, entre clans les Tuileries aux acclamations de la foule, sans avoir tiré un coup de fusil, sans avoir versé une goutte de sang, prouvant ainsi à l'univers que c'était malgré la France qu'il- était descendu du trône. Et le roi, l'ami des étrangers, le roi ramené dans les fourgons des alliés, fuyait, chassé par la réprobation générale, et attendant, pour revenir, que l'on tuât les cent mille soldats qui ne voulaient pas de lui.

Un des premiers soins de l'Empereur fut d'écrire au prince Eugène, qui malheureusement était retenu par sa parole d'honneur et qui ne put pas venir.

Hélas ! il n'était pas le seul que l'Autriche retînt parmi ceux que l'Empereur aimait ! Le roi de Rome, l'impératrice Marie-Louise étaient aussi gardés loin du père et loin de l'époux.

L'Empereur était vivement affecté de la privation des siens ; c'est pourquoi il ne reportait que plus de tendresse sur les enfants de la reine Hortense, qu'il couvrait de caresses et qu'il montrait au peuple du haut des fenêtres des Tuileries, comme pour témoigner qu'à la rigueur, il y avait encore des héritiers delà couronne de France.

 

La reine Hortense poursuivait son œuvre généreuse. Madame la duchesse d'Orléans, s'étant cassé la jambe, était rentrée à Paris. Madame la duchesse de Bourbon fit demander à l'Empereur l'autorisation de ne pas quitter la France. Ce fut la reine Hortense qui servit d'intermédiaire, et ce fut elle qui leur fit accorder, comme nous l'avons déjà dit, quatre cent mille francs et deux cent mille francs de pension.

C'était ainsi que la reine se vengeait des mauvais procédés de la famille royale.

Ces princesses sont absolument dans la même position que moi il y a peu de jours, disait-elle ; elles se trouvent isolées comme je l'étais et sans appui dans leur patrie. Je sais mieux que personne combien cela est triste, et je trouve que c'est pour moi un devoir de m'occuper d'elles ; je suis bien aise aussi de trouver dans l'Empereur de nobles et généreux sentiments ; il fait un sort à ces princesses, tandis que moi avec qui les Bourbons avaient contracté des engagements, on me calomnie pour se dispenser de les remplir. Je pense que la cause la plus belle est celle où on ne craint pas d'être magnanime, et telle a toujours été la conduite de l'Empereur avec ses ennemis. Il est vrai que les politiques vous disent qu'il faut être fort pour être généreux : moi je dis que d'être généreux rend fort.

 

Au moment de montrer la façon horrible dont fut traitée la reine après Waterloo, il est bon de mettre sous les yeux du lecteur les lettres par lesquelles les duchesses d'Orléans et de Bourbon imploraient si humblement sa protection.

Voici ces lettres :

MADAME,

L'obligeance que Votre Majesté a bien voulu me faire témoigner m'inspire la confiance de la réclamer pour obtenir de l'Empereur une décision qui m'est si nécessaire et si pressante, en la cruelle position dans laquelle je me trouve. J'aurais craint de fatiguer Sa Majesté l'Empereur en lui retraçant les motifs propres à émouvoir sa magnanimité ; j'aime à me persuader que les bons offices de votre Majesté produiront cet effet et qu'elle voudra bien rendre justice à la reconnaissance

MADAME, de votre servante,

LOUISE-MARIE-ADÉLAïDE DE BOURBON,

Douairière d'Orléans.

Ce 15 mars 1815.

 

MADAME,

L'intérêt dont Votre Majesté a bien voulu me réitérer le témoignage dans son admirable lettre du 29 mars me confirme l'espoir que l'Empereur adoucira bientôt ma si cruelle position, le ministre des finances l'ayant mise sous ses yeux. Il sera bien consolant pour moi de devoir à la générosité de l'Empereur et à votre obligeante entremise, d'obtenir ce que ma position, dont je ne pourrais assez vous exprimer la gêne, sollicite si instamment.

Agréez encore une fois, Madame, l'expression des sentiments qu'offre

à Votre Majesté, sa servante

LOUISE-ADÉLAÏDE-MARIE DE BOURBON,

Duchesse d'Orléans.

Ce 2 avril 1816.

 

MADAME,

Je suis vraiment affligée que le mauvais état de ma santé me prive d'exprimer à Votre Majesté comme je le voudrais ma sensibilité à l'intérêt qu'elle a témoigné à ma position. Elle est encore bien pénible, ma jambe ne prenant aucune force. Mais je ne veux pas différer d'exprimer à Votre Majesté et à Sa Majesté l'Empereur, auprès duquel j'ose vous prier d'être mon bon interprète, des sentiments dont fait profession,

Madame de Votre Majesté, la servante

LOUISE-MARIE-ADÉLAÏDE DE BOURBON,

Duchesse d'Orléans.

Ce 19 avril 1815.

 

MADAME,

Vous avez bien voulu me faire offrir votre médiation auprès de S. M. l'Empereur, pour obtenir l'autorisation de rester en France et un traitement convenable pour y subsister. Je vois, Madame, ce que vous avez déjà fait auprès de Sa Majesté, et que c'est en grande partie à votre intérêt que je dois les 200,000 fr. de rente qu'Elle a eu la bonté de m'accorder. Mais sur cette somme, le ministre des finances me dit que j'en dois distraire celle de 50,000 francs en faveur de mes frères naturels reconnus par mon père, ce qui réduirait mon traitement annuel à 150,000 francs. Vous trouverez sûrement, madame, que cette somme est bien modique, eu égard à mes obligations et à la nécessité où je suis de me former un établissement en entier, n'ayant ni habitation ni meubles.

J'avais, à la vérité, supplié Votre Majesté d'assurer à chacun de ces Messieurs 25,000 francs par an, comme étant la seule dette morale dont je me crusse tenue ; mais, outre que j'avais pensé que cette dette n'aurait pas dû être prise sur mon traitement de 200,000 francs, c'est que je regardais comme important pour eux de leur assurer le même revenu dans le cas où je mourrais avant eux. Je viens donc vous prier, Madame, d'appuyer auprès de l'Empereur la demande que j'ose Lui faire, et qui, je l'espère, ne peut vous paraître déraisonnable. C'est une nouvelle obligation que je vous aurai.

Agréez, Madame, etc.

L. M. J.-B. D'ORLÉANS BOURBON.

21 mars 1815.

 

MADAME,

Je suis bien touchée de votre obligeance et j'ai toute confiance dans le désir que vous me témoignez ; il me semble difficile que l'Empereur refuse une demande, j'ose le dire, aussi juste, lorsqu'elle est présentée par vous. Croyez, Madame, que ma reconnaissance égalera les sentiments dont je vous prie de recevoir d'avance les témoignages bien sincères.

L. M. J.-B. D'ORLÉANS BOURBON.

29 avril 1815.

Vous avez vu l'âpreté de ces princesses, leur empressement à se courber devant cette reine et cet Empereur, qu'elles traitaient, la veille encore, du haut de leur grandeur ! L'Empereur était un brigand, la reine n'était que Mademoiselle de Beauharnais, et aujourd'hui qu'elles ont besoin d'eux, elles les traitent de MAJESTÉ, en s'abaissant jusqu'à terre !

Nous raconterons tout à l'heure de quelle manière se manifesta la reconnaissance des Bourbons.

Mais n'oublions pas un autre fait important : voici la lettre que l'Empereur faisait insérer le 18 avril 1815 au Moniteur, au sujet du duc d'Angoulême, qui était en son pouvoir :

... Monsieur le comte Grouchy, l'ordonnance du roi en date du 6 mars pouvait m'autorisera traiter le duc d'Angoulême comme cette ordonnance voulait qu'on me traitât moi et ma famille. Mais, constant dans les dispositions qui m'avaient porté à ordonner que les membres de la famille de Bourbons fussent exilés librement de France, mon intention est que vous donniez des ordres pour que le duc d'Angoulême soit conduit à Cette, où il sera embarqué, et que vous veilliez à sa sûreté et à écarter de lui tout mauvais traitement.....

NAPOLÉON.

L'Empereur se bornait à exiger que le duc d'Angoulême rendît les diamants de la couronne qui appartenaient à la France, et qu'il avait fait tranquillement enlever.

Voilà comment se conduisait la famille impériale à l'égard des Bourbons.

 

Le 1er juin eut lieu la fête du champ de mai, célébrée au milieu d'un enthousiasme indescriptible. La reine y assistait avec ses enfants.

L'Empereur, cédant aune fatale inspiration, ajoutait l'Acte additionnel à la Constitution de l'empire et donnait la liberté dans un moment où la liberté s'exerçait contre lui et brisait le faisceau de la résistance nationale. Dans les moments de danger grave, il faudrait doubler l'autorité, et l'Empereur crut le moment venu de laisser la parole à la presse ! Déplorable erreur qui ne lit qu'affaiblir le patriotisme, et qui servit admirablement les desseins cachés des ennemis de l'empire et de la France.

Le petit prince Napoléon avait dix ans, et il importait de lui donner un gouverneur qui remplaçât les soins du bon abbé Bertrand, devenu insuffisant.

La reine hésitait beaucoup entre M. de Tracy et Manuel, mais les événements se succédaient si vite, qu'il lui fut encore impossible de prendre un parti.

Le 12 juin eut lieu aux Tuileries le dernier dîner de famille. La reine y assista avec ses enfants, qui venaient faire leurs adieux à leur oncle. L'Empereur partit le même soir pour l'armée. Il était triste, et plein d'appréhensions, car il ne s'agissait plus de combattre pour conquérir, mais bien de maintenir intact le territoire de la patrie.

La reine se renferma chez elle, dans un recueillement profond ; c'est là, le 20 juin, qu'elle apprit la funeste nouvelle de Waterloo.

Le lendemain l'Empereur revenait à Paris, essayant de réorganiser les forces de la France, et ne désespérant pas encore.

Mais la reine ne se faisait pas illusion. — Tout est fini pour l'Empereur, disait-elle avec un calme inouï ; c'est à la France qu'il faut songer ! On l'accueillait avec acclamations ; on avait besoin de son puissant génie ; c'étaient des triomphes qu'on attendait ; il a été malheureux, tout le monde l'abandonne. Il n'y a plus d'illusion à se faire sur le sort qui l'attend ; trop heureux si nous pouvons le décider à se soustraire à tout ce qui va le menacer !

Et elle ajoutait au général Bertrand, qui n'admettait pas la trahison, et qui ne croyait pas que la France pût séparer ses intérêts des intérêts de l'Empereur : Oh ! ceux qui croient que c'est à l'empereur seulement qu'on en veut, et qui s'imaginent qu'en se séparant de lui on obtiendra de meilleures conditions, ont bien tort. Ils ne s'aperçoivent pas qu'ils en veulent plus encore à la puissance de la France qu'à la gloire du chef. Au lieu de se serrer en faisceau autour de lui, au lieu d'imiter les peuples anciens, dont le courage se montrait plus grand le lendemain d'une défaite, on discutera sur des idées, sur des principes, et tout sera perdu.

Comme ces paroles étaient prophétiques et comme elles s'appliquent tout aussi bien à ce qui suivit Waterloo qu'à ce qui suivit Sedan !

 

Le brave Labédoyère était furieux ; il voulait que l'Empereur renvoyât les Chambres, qu'il anéantît tous les traîtres et cette opposition de médiocrité, qui, disait-il, ne comprend pas que le premier besoin d'une nation est son indépendance, et que, lorsque l'ennemi approche, c'est combattre qu'il faut et non pérorer.

Il s'emportait surtout, et avec raison, contre cette liberté inopportune que l'Empereur avait donnée. Nous vous la donnerons la liberté, criait-il, quand nous serons maîtres chez nous, et ce n'est pas le moment d'en parler, quand on est à la veille de se livrer, pieds et poings liés, aux despotes étrangers.

Enfin, le 22 juin, l'Empereur envoya aux chambres son abdication en faveur de son fils Napoléon II, qui fut proclamé, sous la régence d'un, gouvernement provisoire dont le duc d'Otrante était nommé président.

L'Empereur demanda à la reine Hortense de lui donner l'hospitalité à la Malmaison, et elle l'y accompagna, bravant toutes les calomnies qui l'avaient déjà désignée comme l'âme du complot de l'île d'Elbe et qui devaient la poursuivre avec plus de violence encore, en la voyant demeurer fidèle et attachée à l'Empereur jusqu'au dernier moment.

Seulement, la reine, prête à tout, voulut mettre ses enfants à l'abri. Une brave et excellente femme, petite commerçante du faubourg Montmartre, Madame Tessier, était venue s'offrir. La reine préféra lui confier ses enfants, plutôt que de les confier à une personne du grand monde, disant avec raison qu'ils seraient en plus complète sûreté chez quelqu'un du peuple.

Le 29 on alla les chercher, on les mena secrètement à la Malmaison pour recevoir les derniers baisers de leur oncle, et on les ramena au plus vite dans leur cachette.

La reine Mère, Madame Lætitia, se rendit aussi auprès de son fils. Leurs adieux furent pénibles et déchirants. Adieu, mon fils ! dit madame Mère. Ma mère, adieu ! dit l'Empereur, et ils se quittèrent, après une étreinte désespérée.

La reine Hortense avait offert à l'Empereur son beau collier de diamants, le suppliant à genoux de l'emporter. L'Empereur finit par l'accepter, mais il donna à la reine, en échange, un papier contenant des délégations sur des bois appartenant à la liste civile. Le tout fut saisi par les Bourbons à leur retour, et naturellement ils ne payèrent rien.

Puis l'Empereur partit. On sait ce qu'il advint de l'hospitalité qu'il avait cherchée sur un navire anglais.

La reine n'était plus en sûreté dans le palais de la rue Cerutti. Elle y était insultée comme en 1814. Alors elle fit louer une maison rue Taitbout et s'y réfugia avec ses enfants, qu'elle retira de chez la bonne madame Tessier.

Elle eut à ce moment un de ces mots comme elle en avait souvent et qui éclairent l'avenir d'une lueur d'étrange divination. Les Bourbons refusaient de maintenir le drapeau tricolore, et la reine dit : Ils entendent bien mal leurs intérêts, de laisser ainsi de côté un drapeau qui est cher à la nation et qui le sera toujours, quoi qu'on fasse ; en proscrivant ces nobles couleurs, ils lèguent au peuple un signe de ralliement et un prétexte à ceux qui voudraient s'en servir contre le drapeau blanc.

La trahison avait complété ce que le désastre avait commencé. Les Bourbons, abandonnés naguère, étaient plus entourés que jamais ; et si le peuple murmurait sourdement de cette royauté antinationale qui lui était encore imposée, les plus favorisés de l'Empire étaient les premiers à saluer la dynastie royale.

C'était un spectacle honteux.

 

Le 19 juillet au matin, la reine Hortense eut la récompense de son noble dévouement aux princesses de Bourbon ; elle reçut l'ordre de quitter Paris dans les deux heures. On lui offrit une escorte des troupes alliées, qu'elle refusa.

Elle partit, accompagnée d'un simple officier autrichien, le comte de Voyna.

C'est alors que commence pour cette pauvre femme et pour ses petits enfants le plus épouvantable des voyages, un véritable chemin de la croix, où elle développa toutes les éclatantes qualités de son courage si doux et si ferme.

L'Empereur de Russie, prévenu- contre elle par d'odieux mensonges, ne la couvrait plus de sa protection. Mme de Krüdner elle-même, si influente sur l'esprit de l'Empereur, l'oubliait aussi.

C'est à cette époque que Mme Dugazon, sur une recommandation de la Reine, vit cette femme extraordinaire. Elle sortit effrayée et malade de cette entrevue. Mme de Krüdner, en peignant des plus vives couleurs les malheurs présents de la France, en prédisait encore de plus grands pour l'avenir ; elle faisait un tableau terrible de révoltes, de guerres, de sang répandu dans Paris, qui finirait enfin, disait-elle d'un air inspiré, par être brûlé et ruiné de fond en comble.

Cette prophétie nous semble bien curieuse à nous, qui avons vu ce qui s'est passé depuis.

 

A Dijon, elle faillit être assassinée par des gardes royaux, qui voulaient s'emparer d'elle et des millions qu'elle emportait.

Pauvres millions ! La reine avait été obligée de vendre ses bijoux pour partir !

M. de Voyna, par sa fermeté, la tira d'affaire.

A Dole, ce fut le contraire ; les habitants crurent qu'on emmenait la reine prisonnière, et voulurent massacrer M. de Voyna.

A son tour, la reine le sauva.

Enfin, la reine arrive à Genève, harassée, malade. Elle compte s'y reposer ; mais un ordre arrive du gouvernement de Genève qui lui ordonne de quitter la ville.

Mais qu'on me jette donc dans le lac, s'écria la reine, car enfin, il faut bien que je sois quelque part !

La reine reprend ses enfants et repart ; elle se rend à Aix en Savoie, ville encore pleine des souvenirs de son inépuisable charité.

Elle croyait que le terme de ses souffrances était arrivé. Elle loua une maison et, toute triste, elle passait ses journées à regarder ses deux enfants, qui, joyeux d'être au grand air, jouaient toute la journée au soldat dans la cour. Le prince Napoléon avait réuni quelques enfants du voisinage et il faisait le général en chef. Le petit Louis, armé d'un bâton, faisait le sergent-major, et avec ses petites jambes essayait de suivre la marche de la troupe.

Là, elle apprit avec un serrement de cœur l'assassinat du maréchal Brune, l'arrestation de Labédoyère, son exécution et toutes les infamies de la terreur blanche. On proscrivait tous les braves de la grande armée, tout ce qui avait été fidèle à l'Empereur. Des généraux qui avaient versé leur sang pour la France sur cent champs de bataille étaient fusillés, ou obligés de se sauver comme des brigands, mourant de faim et sans abri. Ney, Bertrand, les frères Faucher, Mouton-Duvernet, Lavalette voyaient leurs têtes mises à prix, pendant que l'ignoble Trestaillon, condamné à mort pour assassinat, se promenait impunément dans Avignon, au milieu des marquises et des comtesses royalistes.

La reine supportait tout cela avec un admirable courage.

Le 6 septembre 1815, elle reçut l'ordre de quitter la France et de se rendre en Suisse.

C'était M. Decazes, ancien secrétaire des commandements de madame Mère, et devenu ministre de Louis XVIII, qui lui prouvait sa gratitude.

 

Mais un malheur ne vient jamais seul, comme dit le proverbe. A cette époque la reine reçut une lettre du roi Louis, son époux, alors à Rome, qui lui demandait son fils aîné Napoléon, lui laissant le petit Louis.

La reine obéit, en proie à une profonde désolation ; elle en tomba gravement malade. Le petit Louis fut si vivement affecté du départ de son frère qu'il adorait, qu'il se mit au lit vingt jours avec une jaunisse des plus douloureuses.

Cette pauvre famille, composée d'une femme et d'un enfant, faisait pitié. La reine, littéralement épuisée, n'avait plus qu'un souffle de vie. Pour la faire respirer, il fallait la transporter à bras sur une colline voisine. Elle vivait d'une ou deux cuillerées de muscat et d'un biscuit.

Et c'est dans cet effroyable état qu'elle dut se remettre en route !

Oh ! les Bourbons étaient bien reconnaissants et bien généreux !

 

La reine devait se rendre dans le canton de Saint-Gall.

Le 28 septembre elle part, mais voilà que le canton de Zurich, qu'elle doit traverser, s'oppose à son passage.

Après mille pourparlers pénibles, elle obtient enfin l'autorisation de traverser le territoire.

Arrivée sur le territoire de Genève, mêmes difficultés, défense de s'y arrêter !

A Fribourg, les persécutions recommencent, défense de s'arrêter ! la haine des Bourbons s'attachait à ses pas et la poursuivait.

A Berne, à Constance, la même chose, défense de s'arrêter !

La reine était mourante ; elle était arrivée aux dernières limites de la force physique. Et le petit Louis, si frêle, si délicat, était comme elle.

Elle ne pouvait pas aller plus loin ; elle le déclare aux autorités et elle s'installe à Constance, promettant de repartir aussitôt qu'elle le pourrait.

 

Nous arrivons à 1816. Le prince Eugène était venu plusieurs fois à Constance, et sa présence avait adouci les tristesses de la position faite à sa sœur et à son neveu.

Il les emmena même à Berg, où se trouvait sa femme la princesse Augusta et toute sa petite famille, composée de cinq enfants ravissants.

Le petit Louis fut tout heureux de se retrouver avec ses cousins et ses cousines, et ce fut pour lui, comme pour la reine sa mère, le premier moment de tranquillité qu'il eût goûté depuis bien longtemps.

 

Revenue en Suisse et ne pouvant rester davantage dans le canton de Constance, la reine cherchait un endroit où elle pourrait s'installer définitivement, lorsque les magistrats d'un canton voisin, du canton de Thurgovie, lui firent dire que si elle voulait se fixer dans leur pays, elle y serait soutenue par les autorités et le peuple.

Ce canton, qui était démocratique, ne partageait pas les hostilités des autres cantons contre la famille et la politique de Napoléon.

La reine ne savait à quoi se résoudre, et elle faisait tramer la chose en longueur.

Tout entière consacrée à l'éducation de son fils, elle essayait de suppléer à tout ce qui lui manquait. N'ayant pas de maîtres sous la main, elle lui enseignait le dessin, la danse, lui faisait des lectures ; elle-même, tous les samedis, passait un examen général des travaux de la semaine, apprenant le grec et le latin avec lui.

Le prince se portait bien, et avec la santé lui était venue une certaine vivacité de manières qui contrastait singulièrement avec le fond grave et taciturne de son caractère.

La reine lui donna, à cette époque, pour précepteur, M. Lebas, homme du plus grand savoir et du plus grand mérite.

Il passait son temps, à calmer la fougue du prince et à venir en aide à la reine, qui pouvait à peine s'en rendre maîtresse.

Un jour d'hiver, le prince Louis rentre pieds nus et en bras de chemise, à travers la boue et la neige.

Il avait rencontré deux petits pauvres et leur avait donné, à l'un ses souliers et à l'autre son paletot.

Il y avait un an qu'elle habitait Constance lorsque, le 10 février 1817, la reine se décida à acheter le château d'Arenenberg, pour la somme de trente mille florins. Après deux ans passes à errer, elle avait enfin une maison pour abriter sa tête et un peu de terre pour cultiver des fleurs ! Ce n'était pas trop tôt !

Le prince Eugène avait obtenu de son beau-père le roi de Bavière que la reine Hortense habitât ce pays si cela pouvait lui être agréable. Elle en profita pour mettre le prince Louis au collège si réputé d'Augsbourg, sous la direction du savant helléniste Hage. Le prince y passa quatre années, travaillant beaucoup et y puisant cette science de pensée et dé style qui devait faire de l'historien de César un des écrivains les plus remarquables de son temps.

Pendant les vacances, la reine faisait promener son fils à travers l'Italie et la Suisse, complétant son éducation par des conseils qu'inspirait l'élévation extraordinaire d'esprit qu'on remarquait en elle.

C'est en 1821 que le prince quitta le collège d'Augsbourg, pour revenir sur les bords du lac de Constance. De nombreux professeurs, entre autres le savant Diezi, lui firent continuer ses études déjà si brillantes, et l'initièrent à tous les secrets des sciences mathématiques, pour lesquelles il avait un goût particulier.

Quand le prince avait un moment de libre, il se hâtait de le consacrer aux exercices de corps. Il était de première force sur l'escrime, l'équitation et la natation. A cheval, ou dans l'eau, il poussait l'audace jusqu'à la témérité.

On cite souvent, comme un beau trait de son caractère chevaleresque, ce qui lui arriva à Mannheim.

Il se trouvait là, se promenant avec ses cousines, filles de la duchesse Stéphanie de Bade, et tout en causant, il traversait le pont du Necker, lorsqu'une discussion s'engage sur le plus ou moins d'héroïsme des hommes de notre temps. Les jeunes princesses affirmaient qu'autrefois les hommes étaient plus galants et plus capables de dévouements héroïques. Le prince soutenait que les hommes de ce siècle valaient tout autant et que seules les occasions de se dévouer manquaient. Il développait sa thèse avec chaleur, lorsqu'une de ses cousines, prenant une fleur à son corsage la jette dans le gouffre en disant : Tenez, du temps jadis, un bon chevalier se fût hâté d'aller la chercher !

Le prince, sans hésiter une seconde et avant qu'on eût pu s'y opposer, se précipite tout habillé dans la rivière et, après des efforts inouïs, saisit la fleur, revient et, ruisselant, l'offre à sa cousine encore tout épouvantée et lui dit en riant : Tenez, voici votre fleur, belle cousine ; mais, pour Dieu ! ne nous mettez pas trop au-dessous de vos anciens chevaliers du moyen âge !

 

Un autre jour, il parcourait à cheval les hauteurs qui dominent la ville de Constance. Soudain, il entend un cri terrible, et voit une voiture où se trouvait une femme et ses deux enfants, emportée par des chevaux affolés et sur le point de se briser dans les précipices. Eperonner son cheval, courir de rocher en rocher, au risque de se tuer, dépasser la voiture, saisir les chevaux et les renverser, d'un seul tour de poignet, tout cela sans quitter son cheval, fut l'affaire d'un instant.

 

Le Prince Louis était devenu l'idole des Suisses, qui adoraient sa nature généreuse, modeste et loyale.

Il avait particulièrement dirigé ses études vers l'artillerie, et, après de longues études préparatoires, il suivait avec un intérêt immense les manœuvres des troupes badoises dans les environs de Constance. Mais tout cela ne lui suffisait pas, et ce sont encore ses bons amis les Suisses qui lui donnèrent le moyen de se perfectionner dans son arme favorite.

Un camp était établi tous les ans à Thoun, pour l'instruction des soldats et des officiers suisses. Ce camp était sous la direction savante d'un ancien officier de Napoléon, le colonel Dufour. Un autre officier distingué, le colonel Fournier, était parmi les professeurs.

Le Prince y fut admis, et il y accomplit son service de volontaire avec un zèle tout particulier et une ardeur incroyable. Dans une lettre de la reine Hortense, nous trouvons ce post-scriptum bien significatif : Mon fils est encore avec les élèves de Thoun, occupé à faire des reconnaissances militaires dans les montagnes. Ils font dix à douze lieues par jour, à pied, le sac sur le dos. Ils ont couché sous la tente au pied d'un glacier.

C'est à Thoun, au milieu de ses études militaires que la Révolution de Juillet vient le surprendre.

 

En 1821, il avait eu à supporter la nouvelle terrible de la mort de l'Empereur. .

Et en 1824, il avait encore perdu son oncle bien-aimé, le prince Eugène.

Le duc de Reichstadt vivait encore ; le roi Joseph et le roi Louis étaient dans la plénitude de leurs droits, et le prince Napoléon venant avant lui dans l'ordre héréditaire, le prince Louis ne pouvait avoir dans le cœur qu'une idée, revoir son pays, avoir une patrie, revenir dans sa France bien-aimée ! Toute préoccupation politique lui était absolument étrangère. Aussi les deux jeunes princes n'eurent-ils qu'un cri, lorsqu'ils apprirent le renversement des Bourbons : Enfin la France est libre ; l'exil est fini, la patrie est ouverte ; n'importe comment, nous la servirons !

Le frère aîné de Louis, le prince Napoléon, était alors marié ; il avait épousé sa cousine, la seconde fille du roi Joseph, et il vivait à Florence avec son père, allant de temps en temps visiter sa mère et son frère en Suisse.

Il était remarquablement beau, d'une intelligence hors ligne, mais son caractère était beaucoup plus fougueux que celui du prince Louis.

Les sentiments les plus nobles, les plus chevaleresques animaient ces deux Princes, et la reine Hortense passait sa vie à trembler devant la perspective des dangers qui menaçaient ses deux paladins de fils. Pas un coup de canon n'était tiré en Europe, qu'ils ne voulussent courir et se ranger du côté du plus faible. Ainsi le prince Napoléon était presque décidé à aller en Grèce, pour combattre en faveur de l'indépendance hellénique. Sa mère ne put l'arrêter qu'en lui faisant observer que son nom pouvait nuire à cette cause si intéressante et amener des complications fâcheuses. Néanmoins il insistait encore, disant : Je veux m'y rendre seul, et y servir sans qu'on puisse me reconnaître. Il fallut tous les efforts de sa famille pour le décider à ne pas partir. Alors son activité dévorante le jeta dans l'industrie, pour laquelle il avait les aptitudes merveilleusement pratiques de son père, le roi Louis.

 

Nous n'avons pas à faire ici l'historique de la révolution de Juillet. Nous n'en dirons que ce que tout le monde sait, à savoir qu'elle eut lieu surtout en haine de la famille royale de Bourbon. On ne voulait plus des Bourbons, et on ne prit le duc d'Orléans que parce qu'il était là, et qu'on n'avait pas autre chose. Une grande portion de l'opposition impérialiste se rangea à ses côtés, comme protestation contre la vieille royauté entachée par le contact de l'étranger. Mais il. ne faut pas s'imaginer que, même à cette époque, il ne se soit pas élevé des voix nombreuses en faveur d'une restauration impériale. Le retour du drapeau tricolore était intimement lié au retour de l'idée Napoléonienne, et bien du monde songea à Napoléon IL Seulement, le malheureux jeune Prince n'était pas là. Retenu captif en Autriche sous un nom étranger, fidèle à la mémoire vénérée de son père, il agonisait lentement pour mourir quelque temps après.

Des impérialistes écrivaient de toutes parts aux deux princes, fils de la reine Hortense, les invitant à prendre les armes en faveur et au nom de leur cousin ; les uns leur disaient d'arriver en France ; les autres leur offraient un point d'appui dans cette noble et si dévouée terre de Corse. Tous disaient : Nous avons combattu en songeant à votre cause — arrivez, nous sommes libres enfin et nous allons vous revoir...

Le roi Louis-Philippe se rendait un compte exact de la situation ; il voyait la popularité du nom de Napoléon ; il n'ignorait pas quelle part il devait aux impérialistes dans les journées de Juillet, faites presque uniquement par eux. Aussi en avait-il peur, et tout en méditant de rétablir la statue de l'empereur sur la colonne Vendôme, il eut soin de maintenir le décret d'exil contre la famille Bonaparte, sous prétexte de faire exécuter un traité signé par les rois alliés et qu'il n'avait pas le droit d'enfreindre. Se sentant peu solide sur le trône, le roi Louis-Philippe ménageait les cours étrangères et n'était pas fâché, en même temps, de tenir éloigné de lui ce nom dangereux, sonore, éclatant de Napoléon ! Pourtant, il avait répété souvent que, si jamais il régnait, il abolirait les lois de proscription !

Voilà donc la France fermée pour les jeunes princes ; ils sont obligés de se retourner vers l'Italie, et d'y suivre lés aspirations qui commençaient à s'y faire jour.

L'Italie, en ce moment, était aux mains des Autrichiens et des Bourbons, deux objets de haine pour les jeunes princes qui se souvenaient de l'emprisonnement du roi de Rome et de tout ce que la restauration leur avait fait souffrir. Or, un mouvement national, unitaire, travaillait toute la jeunesse italienne ; c'était le contre-coup de la révolution de Juillet ; c'était le vieux monde s'écroulant et faisant place au monde nouveau, issu de la révolution Française. Les deux princes étaient séduits par la perspective de se mêler à ce mouvement et de combattre l'Autriche et les Bourbons en Italie, ne pouvant les atteindre ailleurs.

La reine Hortense, devinant leurs projets, était en proie à une vive perplexité. Elle tremblait à l'idée devoir ses deux enfants, tout ce qu'elle adorait au monde, se lancer dans des aventures périlleuses et exposer leurs jours. Le roi Louis partageait les inquiétudes de la reine, et ils se virent à Viterbe, afin de se concerter sur les moyens de les tenir en dehors de l'insurrection qui couvait sourdement et dont on attendait chaque jour l'explosion. C'est pour cela qu'elle se rendit à Rome, afin d'éloigner ses fils du foyer d'agitation qui était en Toscane.

Sur ces entrefaites, le pape Pie VIII mourut, laissant la cour romaine en proie aux menées unitaires.

Un vent de révolte nationale soufflait partout ; après la France, c'étaient la Grèce, la Pologne, l'Italie. Les journées de Juillet avaient rompu le vieil équilibre politique de l'Europe.

Menotti, un des principaux chefs du mouvement italien, était venu trouver les deux princes, leur avait parlé du concours immense qu'ils pouvaient donner à la cause nationale, en prêtant l'appui de leur nom magique. Généreux comme ils l'étaient, les deux princes acceptèrent. On leur avait dit que l'Italie avait besoin d'eux pour être libre, et ils n'hésitèrent pas.

Tout cela se passait à l'insu de la reine, qui ne savait pas ses fils engagés dans la conspiration.

Enfin, la Romagne, Modène, Plaisance se révoltent ; une rixe sanglante éclate à Rome.

La reine apprend que ses fils sont au milieu des insurgés. Elle quitte Rome, arrive à Florence, espérant les atteindre, mais elle ne trouve là qu'une lettre de son plus jeune fils, lettre qui la plonge dans un profond désespoir. Le prince Louis lui écrivait. Votre affection nous comprendra ; nous avons pris des engagements, nous ne pouvons y manquer ; et le nom que nous portons nous oblige à secourir les peuples malheureux qui nous appellent. Faites que je passe aux yeux de ma belle-sœur pour avoir entraîné son mari, qui souffre de lui avoir caché une action de sa vie.

La reine n'était pas femme à se laisser abattre longtemps ; elle reprend courage ; en ce moment arrive le roi Louis, tout aussi accablé. Ils sont effarés de la conduite des princes. Eux si doux, si obéissants, si soumis à la volonté de leurs parents, comment ont-ils pu prendre une détermination de ce genre et sans les consulter ?

Ils écrivirent lettre sur lettre, envoyèrent courrier sur courrier, leur faisant toutes sortes de représentations et les engageant à revenir.

Mais les princes demeurèrent inflexibles. A la tête de quelques centaines déjeunes gens, ils avaient pris les armes et faisaient le siège de Civita-Castellana, afin d'y délivrer les nombreux prisonniers que la politique romaine y tenait renfermés depuis huit ans.

Le roi Louis, qui connaissait le prestige que la reine exerçait sur ses enfants, la supplia d'aller auprès d'eux pour les ramener. Et la reine répondait : Je ne le puis pas ! s'ils doivent revenir, ce sera de leur plein gré. S'ils ont pris parti, je ne pourrai les détacher, et l'on ne manquera pas de dire que je vais avec des millions pour les aider. Alors, dans le moment terrible que je prévois, qui pourra leur être utile, si je me suis compromise avec eux ?

Le chagrin du roi Louis était si grand, que la reine se décida à partir. Elle arriva sur la frontière de Toscane et s'installa dans une auberge. Quelles heures terribles elle y passa, se demandant comment elle pourrait sauver ses enfants et où elle pourrait se réfugier avec eux ! Elle songeait à partir avec eux pour l'Orient, à aller en Turquie, à Smyrne, dans un des rares pays où les Napoléon pouvaient encore reposer leur tête proscrite partout. Sa désolation était affreuse : elle venait d'apprendre l'intervention de l'Autriche, et elle savait que de pauvres jeunes gens sans armes, sans argent, étaient incapables même d'opposer une résistance sérieuse. Une défaite certaine et une fuite impossible, voilà ce qui attendait les jeunes imprudents.

Toute la famille impériale intervenait auprès d'eux. Le cardinal Fesch, le roi Jérôme, avaient tour à tour recours aux ordres et aux prières. Rien n'y faisait. -

Bien plus, même, le prince Napoléon fut chargé par le comité directeur de Bologne de rédiger la note des réclamations adressées au pape, prenant ainsi officiellement la tête du mouvement.

Cependant, ils traînaient derrière eux un immense obstacle, leur nom. Ce nom, qui les avait fait rechercher tout d'abord, devenait une difficulté grave devant l'intervention des troupes autrichiennes.

Le gouvernement insurrectionnel de Bologne, dont l'âme était le général Armandi, écrivit à la reine Hortense pour l'avertir qu'il avait enlevé tout commandement aux princes. Sa lettre est pleine d'éloges pour leur généreux caractère. Elle dit :

Monsanvito, 3 mars 1831.

... Les jeunes princes sont ici ; ils ont fait un sacrifice pénible et qui demande un grand effort de raison et de sentiments : c'est pour ne pas nuire aux intérêts de cette malheureuse Italie qu'il ne leur est pas même permis d'aider ouvertement ; c'est pour ne pas affliger ou compromettre ce qu'ils ont de plus cher au monde.

Je conçois, madame, ce qui doit s'être passé dans votre cœur pendant ces derniers jours. Mais soyez encore plus fière que vous ne l'étiez, madame, d'avoir de tels enfants ; toute leur conduite, dans cette circonstance, est un enchaînement de sentiments nobles, généreux, clignes de leur nom, et l'histoire ne l'oubliera pas. Un jour, il faudra bien qu'on appelle vertu ce qui est vertu, et toutes les diplomaties du monde n'y changeront rien...

En effet, le général Sercognani fut envoyé pour les relever de leur commandement.

La reine Hortense et le roi Louis purent espérer un instant que cette ingratitude les découragerait. Il n'en fut rien, et ils se rendirent séance tenante à Ancône, voulant servir comme simples volontaires, du moment où ils ne pouvaient plus servir comme chefs. . Leur position était plus qu'alarmante ; on pouvait déjà fixer-le jour où l'insurrection serait écrasée. Les jeunes princes étaient bannis de Suisse et d'Italie.' Une loi de proscription leur fermait la France, et ils étaient certains d'être fusillés s'ils étaient pris.

 

La reine était dans la plus cruelle des angoisses. Elle voulait fuir avec ses enfants en Grèce ou en Turquie, mais la flottille autrichienne barrait encore le passage.

Que faire ? chaque jour voyait s'épuiser le courage et les forces de la pauvre reine.

Soudain, une idée étrange, audacieuse lui vient. Elle se décide à faire courir le bruit de son départ pour Corfou, à rejoindre ses fils à Ancône et à traverser incognito la France, pour passer en Angleterre.

Un Anglais de ses amis lui procure un passeport pour une dame anglaise, se rendant avec ses deux enfants à Londres, par la France.

La reine réunit toute son énergie, organise son départ, sort de Florence, à travers mille difficultés, gagne Pérouse, arrive à Foligno, sur les derrières de la petite armée insurrectionnelle et attend, avec une impatience fiévreuse, que les événements placent sur son chemin ses enfants, qu'elle n'a pas pu encore joindre et qui refusent de séparer leur sort du sort de leurs frères d'armes. Bientôt les Autrichiens arrivent, et la petite armée bat en retraite sur Bologne, Forli et Ravenne.

La reine veut suivre le mouvement de l'armée et elle part pour Ancône. Mais, après la première poste de Foligno à Ancône, elle voit un homme à cheval, qui court après, sa voiture et lui crie : Madame, le prince Napoléon est malade, et il vous demande ! A l'instant, elle rebrousse chemin, et l'âme agitée de mille pensées lugubres, elle arrive à Forli, et, pendant qu'on change les chevaux à la poste, elle entend, dans la foule qui l'entoure, ces mots épouvantables qui allaient de l'un à l'autre, sans cesse répétés par le peuple : Napoléon est mort ! Napoléon est mort !

Un voile couvre les yeux de la reine, sa tête se perd, elle n'entend plus, elle ne voit plus et, expirante, elle s'évanouit.

Elle se réveille à Pesaro, couchée sur un lit, et son fils Louis, à genoux devant elle, la couvrant de baisers et de larmes.

Elle dut abandonner, à cette vue, le secret espoir qui l'animait encore. Son fils était mort, bien mort.

 

Nous ne décrirons pas la douleur de la reine, en perdant son fils au moment même où elle espérait le soustraire au danger. Sa douleur était horrible.

Mais cette intrépide femme jette un regard sur son dernier enfant ; elle le voit désespéré, malade, et elle reprend courage, car il faut sauver celui qui lui reste.

On enterre le prince Napoléon à Forli ; le lendemain, les Autrichiens entraient dans la ville.

Il faut fuir, l'ennemi est en vue ; la reine fait un effort désespéré et parvient à entrer dans Ancône avec le prince Louis.

Là, elle apprend-que l'insurrection est vaincue partout, qu'une amnistie est proclamée et que son fils se trouve parmi ceux qui sont exceptés du pardon général. C'est donc, pour lui, la prison, la mort.

Les Autrichiens étaient aux portes d'Ancône. La reine fait préparer secrètement sa voiture, donne un déguisement à son fils, demande ostensiblement un passeport pour Corfou, retient son passage sur un bateau qui va partir, tout cela pour dérouter les soupçons ; et elle va s'éloigner, lorsqu'un nouveau malheur la frappe : son fils. Louis tombe malade, et de la même maladie qui avait emporté son frère, de la rougeole !

 

De toutes parts arrivaient les fugitifs de l'insurrection, poursuivis par les Autrichiens ; ils se dirigent vers Ancône pour y organiser une suprême résistance, mais Ancône avait déjà capitulé. Eperdus, ils frètent des navires, des barques pour s'enfuir, mais une tempête les rejette en partie dans le port et ils sont pris. Plusieurs sont exécutés.

C'est au milieu de cet affreux désordre que se trouvait la reine, avec son fils gravement malade et caché clans sa chambre.

Le danger avait métamorphosé la reine. Son indomptable courage avait galvanisé ses forces, et quand les Autrichiens entrèrent dans la ville, quand leur chef vint lui-même loger chez elle, séparé du prince Louis par une cloison, pouvant l'entendre s'il toussait ou s'il parlait, il trouva la reine calme, froide ; et si son pouls était convulsif, si son cœur battait à lui rompre la poitrine, le visage était impassible.

Qui donc, en l'examinant de près, n'admirerait pas cette femme, plus femme que toute autre par la grâce, la séduction, la beauté, et plus brave, plus résolue que l'homme le plus énergique !

 

Au bout de quelques jours, le prince Louis est hors de danger. Aussitôt et sans perdre de temps, la reine exécute la plus audacieuse des fuites.

Elle traverse Loreto, Macerata, Tolentino, prenant à peine le temps de changer de chevaux.

A Tolentino, tout faillit être perdu ; un Italien reconnaît le prince Louis sous son déguisement et le dénonce au colonel autrichien qui commandait la ville. Celui-ci répond noblement qu'il n'est pas là pour arrêter personne.

Elle passe de nouveau par Foligno, Pérouse ; elle traverse la Toscane, toujours sur le point d'être reconnue et arrêtée.

A Camoscia, pas de chevaux ! et l'auberge était pleine de fugitifs. La reine reste deux heures enfermée dans sa voiture. Quant au prince Louis, faible, encore souffrant, accablé de douleur et d'indifférence pour sa destinée, il s'était couché sur un banc de pierre dans la rue et s'était profondément endormi !

Il dut peut-être à cela d'échapper aux regards.

Il fallait traverser Sienne. La reine, une carte en main, traçait elle-même son itinéraire, contournant les villes, prenant les chemins les moins fréquentés.

Le grand-duc et sa cour étaient à Sienne ; on l'évite ; les fugitifs prennent la route de Pise et arrivent à Lucques.

Ils ont aussi le duché de Modène qui leur offre de grands périls, connus comme ils le sont dans ce pays.

Avant d'arriver à Massa, une calèche s'arrête devant eux et un homme en sort qui leur demande en anglais où se trouve le ministre Taylor, croyant avoir affaire à des compatriotes.

Or, la reine avait pensé à tout, hormis à cela qu'elle ne savait pas un mot de la langue anglaise, et elle voyageait avec un passeport anglais !

Le prince Louis qui connaissait l'anglais, répond ; mais son accent français le trahit et son interlocuteur le remercie, en disant : Je vous demande bien pardon, je me suis trompé ; je vous avais pris pour des Anglais.

Si cette mésaventure leur fût arrivée dans une grande ville, ils étaient dévoilés.

Ils passent ensuite Gènes, Nice, et enfin ils mettent le pied sur le sol français !

Que d'émotions ! rentrer en fugitifs, cachés, sous un faux nom, sur cette terre de France où sa famille avait régné ! C'était la première fois que le prince Louis voyait pour ainsi dire la France, l'ayant quittée tout enfant ; l'idée d'être revenu sur le sol natal lui produisait un effet extraordinaire. La reine, elle, était plus calme. Ce qu'il lui fallait, c'était sauver son fils d'abord, et, malgré les lois qui lui interdisaient la terre de France, elle savait bien qu'il était là bien moins en danger que sur le territoire italien.

Ils couchèrent à Cannes ; c'était là que l'Empereur avait débarqué de l'île d'Elbe.

Nous ne connaissons rien de poignant comme le récit de ce voyage écrit par la reine elle-même.

Elle nous montre son fils électrisé par le patriotisme, s'arrêtant partout pour parler français, pour entendre parler français et suffoqué par la douleur, lorsque les personnes qui savaient qu'il arrivait d'Italie, lui demandaient des détails sur la mort de son frère.

Ils arrivent enfin à Fontainebleau. Là aussi se trouvaient de douloureux souvenirs. La reine lui fait visiter le château, lui montre la cour où eurent lieu les célèbres adieux, la chambre où l'Empereur abdiqua, et enfin l'endroit où lui, le prince Louis, fut tenu sur les fonts baptismaux par l'Empereur. Et, pendant cette visite, la reine baissait son voile, de peur d'être reconnue par d'anciens serviteurs, et faisait tous ses efforts pour dissimuler ce qu'elle éprouvait tandis que le concierge qui lui faisait parcourir le château, prononçait à chaque instant et avec piété, son propre nom, le nom béni de la reine Hortense.

Enfin la reine arrive à Paris, et par un singulier hasard, sa voiture la conduit rue de la Paix, à l'hôtel de Hollande.

 

Le premier soin de la reine fut de faire prévenir loyalement le roi de sa présence.

Le roi voulut la voir. Il fut poli, gracieux même et déclara que l'exil de la famille Bonaparte lui pesait sur le cœur. Je connais toute la douleur de l'exil, dit-il, et il ne tient pas à moi que le vôtre n'ait cessé.

La reine lui dit qu'elle n'avait pas l'intention de séjourner en France, mais elle fit valoir tout ce qui rendait cette loi de proscription injuste et odieuse. Le roi ajouta : Le temps n'est pas loin où il n'y aura plus d'exilés ; je n'en veux aucun sous mon règne. — Il s'offrit pour régler toutes les affaires de la famille impériale ft pour lui faire rendre justice, disant : Je remplirai tous les engagements que j'ai contractés.

La reine ne demandait qu'une chose, rester quelques jours à Paris pour permettre à son fils de rétablir sa santé gravement compromise. Quant au reste, c'est-à-dire à la restitution de Saint-Leu et de ses autres biens, elle n'y comptait guère, habituée depuis longtemps à n'être plus le jouet des illusions.

Casimir Périer, alors premier ministre, vint la voir plusieurs fois, faisant de grandes démonstrations et lui offrant même ce qu'elle ne demandait pas, c'est-à-dire la possibilité de rester en France. La reine eut la naïveté de croire à cet excès de bienveillance, et elle lui parla du violent désir qu'avait son fils d'entrer dans un régiment et de servir son pays.

Savez-vous ce que répondit Casimir Périer ? Il répondit qu'il comprenait les désirs du Prince, mais qu'il lui faudrait CHANGER DE NOM !

Changer de nom ! Quand le prince Louis apprit cela, il s'écria avec véhémence : Quitter mon nom ! qui oserait me faire une pareille proposition ! Ne pensons plus à tout cela, retournons dans notre retraite. Ah ! vous avez raison, ma mère !

Le roi et Casimir Périer offrirent de l'argent à la reine. Elle refusa noblement. Elle pouvait accepter qu'on lui rendit ce qui lui appartenait, mais autre chose, non !

Le gouvernement de Louis-Philippe voyant qu'il ne pouvait pas obtenir du prince Louis et de la reine ce qu'il voulait et effrayés de l'éclatante manifestation qui, le jour du cinq mai, fêta le souvenir et la mémoire de l'Empereur, changea brusquement d'attitude et leur signifia l'ordre de partir promptement.

Le Prince était malade, très-malade toujours ; la reine Hortense demanda un délai de trois jours.

Madame Adélaïde répondit sèchement que c'était bien long. C'étaient ces mêmes gens pour qui la reine avait autrefois intercédé auprès de l'Empereur, dont nous avons donné les lettres obséquieuses et qui maintenant payaient leur dette de reconnaissance, à la façon des d'Orléans !

Le Prince avait une inflammation très-grave.

Le gouvernement fit dire à la reine qu'elle devait partir à l'instant, à moins qu'il n'y eût positivement risque pour la vie de son fils.

Le Prince, quoique dans un état très-inquiétant, refusa de s'imposer plus longtemps à la bienveillance de ce gouvernement inhumain, et il partit le 6 mai 1831.

Mais le voyage lui fit mal, et, arrivé à Londres, il se trouva en proie à une fièvre des plus violentes qui fit craindre pour ses jours.

Il lui fallut longtemps pour se remettre.

 

La reine et son fils furent admirablement accueillis en Angleterre. L'aristocratie seule, et encore pas toute entière, avait assumé la responsabilité de la haine sauvage montrée à Napoléon. Le peuple, toujours enclin à l'admiration de tout ce qui est grand, était sympathique et hospitalier pour le neveu de l'Empereur.

Souvent un simple artisan prenait la main du Prince et la secouait rudement en disant : — Maintenant nous sommes de vos amis.

Quelquefois même on refusait le payement de ce qui était dû. Il semblait qu'on eût partout Sainte-Hélène sur le cœur.

Les ennemis de la famille impériale étaient jaloux de l'empressement témoigné par les Anglais à la reine et au Prince. Aussi répandirent-ils le bruit qu'elle n'était venue en Angleterre que pour obtenir pour son fils le trône de Belgique.

Il y avait tant de gens qui croyaient encore aux millions de la famille Bonaparte !

Et pourtant jamais famille ne fut plus pauvre que celle-là pendant toute la durée de son long exil.

Jamais il ne fut tenu compte à la reine Hortense de ce qui lui était dû personnellement, et particulièrement des cinq millions annuels que la France reçut, pendant cinq années, du grand duché de Berg pour le compte de son fils aîné, qui en était souverain reconnu. La vente de ses diamants et de ses œuvres d'art fut sa seule fortune pendant les longues années de l'exil.

Et pourtant quand le trésor public fut embarrassé en 1814, le trésor particulier de l'Empereur servit à entretenir l'armée ; les dix millions qui restaient et qui suivaient l'armée dans sa retraite sur Blois furent enlevés par les Cosaques, portés au gouvernement provisoire dirigé par le duc d'Otrante, et on se les partagea fraternellement.

Il y eut même quelque chose de plus odieux. Six cent mille francs appartenant à la reine et déposés chez M. Lefebvre, receveur général à Blois, furent remis au duc d'Angoulême, et jamais on n'en entendit plus parler.

La famille impériale n'avait rien, rien à elle.

 

Après les Cent-Jours, le cardinal Consalvi fit dire à la mère de l'Empereur, qui habitait Rome, que la cour de France était inquiète et l'accusait de répandre des millions en Corse pour soulever le pays. Madame Mère répondit avec une suprême dignité : Dites au cardinal qu'il peut assurer les Bourbons que si j'avais les millions qu'on me suppose, ce n'est pas à soulever la Corse que je les aurais consacrés, mais qu'ils auraient déjà servi aux frais d'une expédition pour voler à la délivrance de mon fils.

Voilà à quoi était réduite cette famille qui avait tenu entre ses mains les destinées du monde, et dont chaque membre avait été prince ou princesse sur le trône !

Et de nos jours, quand on a vu les d'Orléans réclamer avec tant d'âpreté ce qu'ils prétendaient leur être dû, disputant aux Allemands leur part de curée, on ne peut s'empêcher d'être ému devant l'abnégation et le désintéressement de la famille impériale qui, elle, n'a jamais rien réclamé et a souffert en silence.

 

Cependant, la reine faisait démarches sur démarches pour obtenir des passeports, afin de traverser soit. la Belgique, soit la France, et de gagner la Suisse.

Mais le gouvernement français redoutait tellement le nom de Napoléon que, malgré les promesses faites par le roi à la reine Hortense, il éludait toute réponse.

Ce n'est que longtemps après, le 1er août, qu'elle reçut enfin ses passeports et l'autorisation de passer incognito- dans le nord de la France.

Elle partit immédiatement avec son fils, débarquant à Calais. De là, elle passa à Boulogne, pour montrer au prince l'emplacement du fameux camp où la légion d'honneur fut distribuée à la grande armée.

Elle passa à Chantilly, qui lui avait appartenu, et que les Condé avaient repris. Elle avait un amer plaisir à revoir les endroits qu'elle avait habités à l'époque de sa splendeur. D'ailleurs, tout le monde se souvenait d'elle. Un paysan lui dit, en parlant d'elle : — On a parlé longtemps d'elle ici ; on disait toujours qu'elle rôdait dans le pays, déguisée. Depuis quelque temps on n'en sait plus rien ; j'ignore ce qu'elle est devenue.

Et la reine répondit en souriant tristement : Elle est sans doute morte !

Elle ne voulait pas entrer dans Paris, elle le tourna et elle mena son fils à Rueil et à la Malmaison, voulant le faire agenouiller dans la chambre où était morte l'impératrice Joséphine. Mais la Malmaison avait été vendue, et le nouveau propriétaire avait défendu d'y laisser entrer personne sans billet.

La reine n'en avait pas et ne put pas entrer.

Connaissez-vous quelque chose de plus triste que cela ?

La reine, en racontant plus tard cette douloureuse émotion qu'elle ressentit en voyant la Malmaison, si pleine de souvenirs pour elle et fermée devant son pieux pèlerinage, aimait à réciter des vers que lui avait adressés Madame Delphine Gay et que M. Amédée de Beauplan avait mis en musique.

On nous permettra de les citer, tant ils sont touchants :

Soldats, gardiens du sol français,

Vous qui veillez sur la colline,

De vos remparts livrez l'accès,

Laissez passer la pèlerine !

Les accents de sa douce voix

Que nos échos ont retenue,

Et ce luth qui chanta Dunois

Vous annonceront sa venue.

Soldats, gardiens, etc.

Sans peine, on la reconnaîtra

A sa pieuse rêverie,

Aux larmes qu'elle répandra,

Aux noms de France et de patrie.

Soldats, gardiens, etc.

Son front couvert d'un voile blanc,

N'a rien gardé delà couronne ;

On ne devine son haut rang

Qu'aux nobles présents qu'elle donne.

Soldats, gardiens, etc.

Elle ne vient pas sur ces bords

Réclamer un riche partage ;

Des souvenirs sont ses trésors,

Et la gloire est son héritage.

Soldats, gardiens, etc.

Elle voudrait de quelques fleurs,

Parer la tombe maternelle,

Car elle est jalouse des pleurs

Que d'autres versent pour elle.

Soldats, gardiens, etc.

Par Versailles, Melun, Sens, elle gagna la Suisse et son refuge d'Arenenberg.

Dans ses Mémoires qui racontent ce voyage si plein de tristes émotions, la reine Hortense termine son récit par ces mots admirables :

Le renouvellement de la loi d'avril et l'assimilation qu'on fait de nous aux Bourbons, sont la preuve des sentiments et des craintes qui existent a notre égard. Pas une voix amie ne s'est élevée en notre faveur ; cette indifférence a doublé l'amertume de ce nouveau bannissement. Qu'ils soient heureux pourtant ceux qui oublient ! qu'ils rendent surtout la France heureuse ! Ce sont mes vœux.

Quant au peuple, s'il se rappelle sa gloire, sa force, sa grandeur, et la sollicitude constante dont il fut l'objet, notre souvenir lui sera toujours cher. J'en ai la conviction, et cette pensée est la plus douce consolation qu'on puisse conserver dans l'exil, comme emporter avec soi dans la tombe.

Ces lignes sont datées du 28 décembre 1832.

 

À peine revenu en Thurgovie, le Prince Louis fut sollicité de se mettre à la tête de l'insurrection polonaise. On lui offrait la couronne de Pologne.

Voici ce que lui écrivaient les chefs des insurgés :

A qui la direction de notre entreprise pourrait-elle mieux être confiée qu'au neveu du plus grand capitaine de tous les siècles ? Un jeune-Bonaparte apparaissant sur notre sol, le drapeau tricolore à la main, produirait un effet moral, dont les suites sont incalculables. Allez donc, jeune héros, l'espoir de notre patrie, confier à des flots qui connaîtront votre nom, la fortune de César, et ce qui vaut mieux les destinées de la liberté. Vous aurez la reconnaissance de vos frères d'armes et l'admiration de l'univers.

Général CNIAREWIEZ, comte PLATER, etc.

28 Août 1831.

 

Le Prince refusa la couronne, disant : Non, non, j'appartiens avant tout à la France : d'ailleurs, je servirai plus efficacement la sainte cause de la Pologne en combattant à vos côtés comme volontaire.

La reine était désolée de cette détermination ; et le Prince se mettait en route, lorsqu'il apprit la fin de l'insurrection et la prise de Varsovie.

L'oisiveté lui pesait, sa nature ardente et généreuse lui faisait chercher partout l'occasion d'être utile.

C'est cette idée fixe qui lui fit écrire au roi Louis-Philippe pour lui demander son titre de citoyen français et le droit d'entrer dans un régiment français. Le roi, fils de cette princesse d'Orléans obligée par l'Empereur et la reine Hortense, ne daigna même pas répondre.

C'est alors que le Prince chercha des consolations dans un travail obstiné. En très peu de temps, il fit paraître successivement trois ouvrages, les Rêveries politiques ; Deux mots à M. de Chateaubriand sur la duchesse de Berry ; Considérations politiques et militaires sur la Suisse.

Il y avait dans ses œuvres un talent tel que le rédacteur en chef du National écrivait à ce sujet : Les ouvrages de Louis-Napoléon Bonaparte annoncent une bonne tête et un noble caractère. Il y a de profonds aperçus qui dénotent de sérieuses études et une grande intelligence des temps nouveaux.

La Suisse, qui dans le commencement avait été hostile à la famille impériale, se trouvait honorée maintenant par son hôte illustre et elle lui décerna le titre de CITOYEN de la république helvétique. Deux seules personnes avaient reçu jusque-là cette qualité tout honorifique ; c'étaient le maréchal Ney et le prince de Metternich. Chose bizarre ! ce prince, à qui son pays refusait le droit d'être Français, trouvait chez un peuple étranger une nationalité et tous les privilèges qui s'y joignaient.

Le 22 juillet 1832, mourut le roi de Rome.

Nous ne ferons pas de réflexions à ce sujet : une légende douloureuse entoure et voile les derniers moments de ce noble fils de France. Il s'est éteint comme tout ce qui s'éteint en prison, faute d'air.

D'ailleurs l'Empereur n'avait-il pas dit souvent, à Sainte-Hélène, ces paroles significatives répétées par le docteur Antommarchi, son médecin :

Toutes les sympathies, toutes les antipathies qu'on témoignera pour mon fils n'auront qu'une bien faible influence sur son avenir. Je lui lègue mon nom et ma gloire ; il n'a pas besoin d'autre héritage... si ON LE LAISSE VIVRE !...

La mort du roi de Rome laissait comme héritier de l'idée napoléonienne, le roi Joseph, le roi Louis en deuxième ligne et enfin Louis-Napoléon, le seul, le vrai héritier de son oncle, qui n'avait pas d'enfant mâle, et de son père qui n'avait plus que lui.

Le roi Joseph était depuis 1815 en Amérique, sous le nom de comte de Survilliers. Il s'était fixé à New-Jersey, un des États de l'Union et avait obtenu, en 1817 et en 1825, par deux actes de législature, l'autorisation de posséder, sans perdre pour cela sa qualité de Français.

C'était une nature honnête, droite, loyale et profondément dévouée à la mémoire de l'Empereur.

Quand il apprit la révolution de 1830, c'est-à-dire le 18 septembre de la même année, il adressa à la Chambre des députés une superbe protestation dans laquelle il revendiquait les droits populaires de la famille Bonaparte en faveur du roi de Rome. Cette protestation qui fit grand bruit alors, mais que les journaux français n'osèrent pas publier vaut la peine d'être citée en entier. La voici :

New-York, 18 septembre 1830.

A Messieurs de la Chambre des Députés.

MESSIEURS,

Les mémorables événements qui ont relevé en France les couleurs nationales et détruit l'ordre de choses établi par l'étranger dans l'ivresse du succès, ont montré la grande nation dans son véritable jour : la grande capitale a ressuscité le grand peuple.

Proscrit et loin de la patrie, je m'y serais présenté aussitôt que cette lettre, si je n'avais lu, parmi tant de noms avoués par l'esprit libéral de la France, celui d'un prince de la maison de Bourbon.

Les événements des derniers jours de juillet ont mis clans tout son jour cette vérité historique, à savoir qu'il est impossible à une dynastie régnante par le droit divin de se maintenir sur le trône lorsqu'elle en a été expulsée une fois par la nation, et cela parce qu'il n'est pas possible que des princes, nés avec la prétention d'avoir été prédestinés pour régir un peuple, s'élèvent au-dessus des préjugés de leur naissance. Aussi le divorce entre la maison de Bourbon et le peuple français avait-il été prononcé, et rien au monde ne pouvait détruire les souvenirs du passé. Tant de sang, de combats, de gloire, de progrès dans tous les genres de civilisation ; tant de prodiges opérés par la nation sous l'influence des doctrines libérales, étaient des brandons de discorde tous les jours rallumés entre les gouvernants et les gouvernés. Fatigués par tant de révolutions, et désireux de trouver la paix sous une charte donnée et acceptée comme ancre de salut après tant d'orages, les bons esprits étaient en vain disposés à tous les sacrifices. Plus puissante que les hommes, la force des choses était là, et rien ne pouvait mettre d'accord les hommes d'autrefois restés stationnaires, et ceux qu'une révolution de trente ans avait grandis et régénérés. En vain le duc d'Orléans abjure, sa maison au moment de ses malheurs : Bourbon lui-même, rentré en France l'épée à la main avec les Bourbons, à la suite des étrangers, qu'importe que son père ait voté la mort du roi son cousin pour se mettre à sa place ? Qu'importe que le frère de Louis XVI le nomme lieutenant-général du royaume et régent de son petit-fils ! En est-il moins Bourbon ? en a-t-il moins la prétention de devoir être appelé au trône par le droit de sa naissance ? Est-ce bien sur le choix du peuple ou sur le droit divin qu'il compte pour s'asseoir au trône de ses ancêtres ? Ses enfants penseront-ils autrement ? et le passé et le présent ne font-ils pas assez prévoir quel sera l'avenir sous une branche de cette maison ? Le 14 juillet, le 10 août, n'annoncent-ils pas assez les derniers jours de juillet 1830 ? Et ces journées à leur tour ne menacent-elles pas la nation d'un nouveau 28 juillet à une époque plus ou moins rapprochée ?

Non, Messieurs, jamais les princes institués par le droit divin ne pardonnent à ceux auxquels ils sont redevables ; tôt ou tard, ils les punissent des bienfaits qu'ils en ont reçus : leur orgueil ne plie que devant l'auteur du droit divin, parce qu'il est invisible. Les annales de toutes les nations nous redisent ces vérités, elles ressortent assez de l'histoire de notre propre révolution ; elles sont écrites en lettres de sang sur les murs de la capitale. À quoi ont servi et le milliard prodigué aux ennemis de la patrie, et les condescendances de tous les genres dont on a salué les hommes d'autrefois ?

Vous construirez sur le sable si vous oubliez ces éternelles vérités : vous seriez comptables à la nation, à la postérité des nouvelles calamités auxquelles vous les livreriez. Non, Messieurs, il n'y a de légitimes sur la terre que les gouvernements avoués par les nations ; les nations seules ont des droits ; les individus, les familles particulières ont seules des devoirs à remplir.

La famille Bonaparte a été appelée par 3 millions 500 mille votes ; si la nation croit dans son intérêt devoir faire un autre choix, elle en a le pouvoir et le droit, mais ELLE SEULE. Napoléon II a été proclamé par la Chambre des députés de 1815 qui a reconnu en lui un droit conféré par la nation. J'accepte pour lui toutes les modifications conférées par la Chambre de 1815, qui fut dissoute par les baïonnettes étrangères ; j'ai des données positives pour savoir que Napoléon II serait digne de la France ; c'est comme Français surtout que je désire que l'on reconnaisse les titres incontestables qu'il a au trône, tant que la nation n'aura pas adopté une autre forme de gouvernement. Seul, pour être légitime dans la véritable acception du mot, c'est-à-dire légalement et volontairement élu par le peuple, il n'a pas besoin d'une nouvelle élection. Toutefois la nation est maîtresse de confirmer ou de rejeter des titres qu'elle a donnés, si telle est sa volonté.

Jusque-là, Messieurs, vous vous devez à Napoléon II, et jusqu'à ce que l'Autriche le rende aux vœux de la France, je m'offre à partager vos périls, vos efforts, vos travaux, et, à son arrivée, à lui transmettre la volonté, les exemples, les dernières dispositions de son père mourant victime des ennemis de la France sur le rocher de Sainte-Hélène. Ces paroles m'ont été adressées sous la plume du général Bertrand : Dites à mon, fils qu'il se rappelle avant tout qu'il est Français ; qu'il donne à la nation autant de liberté que je lui ai donné d'égalité. La guerre étrangère ne me permit pas de faire tout ce que j'aurais fait à la paix générale. Je fus perpétuellement en dictature ; mais je n'eus qu'un mobile dans toutes mes actions, l'amour et la gloire de la grande nation ; qu'il prenne ma devise : Tout pour le peuple français, puisque tout ce que nous avons été c'est par le peuple.

Messieurs, j'ai rempli un devoir qui me paraît sacré. Puisse la voix d'un proscrit traverser l'Atlantique et porter au cœur de ses compatriotes la conviction qui est dans le sien !...

La France seule a le droit de juger le fils de Napoléon ; le fils de cet homme de la nation peut seul réunir tous les partis dans une constitution vraiment libérale et conserver la tranquillité de l'Europe. Le successeur d'Alexandre n'ignore pas que ce prince est mort avec le regret d'avoir éloigné le fils de Napoléon. Le nouveau roi d'Angleterre a un grand devoir à remplir, celui de laver son règne de l'opprobre dont se sont couverts les geôliers ministériels de Sainte-Hélène. Les sentiments de l'empereur d'Autriche ne sauraient être douteux ; ceux du peuple sont pour Napoléon II.

JOSEPH-NAPOLÉON BONAPARTE,

Comte de Survilliers.

Le roi Joseph ne se borna pas à cette protestation éloquente, il écrivit également à La Fayette, qui lui répondit d'une façon respectueuse, mais de nature à lui faire abandonner tout espoir.

Ainsi, le fait était consommé, et deux cent vingt et un députés défaisaient ce qu'avaient fait des millions d'électeurs et ce que la force brutale avait seule pu suspendre pendant quelques années.

L'idée napoléonienne, déviée de son point de départ et de son but par la Révolution de 1830, surgissait néanmoins de tous côtés.

Un intrépide journal, la Révolution de 1830, posa carrément les droits et la candidature au trône de Napoléon II.

Cela se passait à la fin de 1831. Ce journal était dirigé par James Fazy, publiciste et économiste député aux Etats suisses, et par Antony Thouret, plus tard député du Nord. Criblé d'amendes, poursuivi de tous côtés, accablé de prison, le malheureux journal disparut vers le commencement de 1832.

Pourtant le gouvernement était obligé de compter avec les Bonapartistes, et le 28 juillet 1833, il fallut procéder à l'inauguration de la statue replacée sur la colonne Vendôme.

La fête fut superbe, et l'écho en vibra doucement dans le cœur .de Louis - Napoléon, si attentif à ce qui se passait en France.

Mais une feuille généreuse, la Tribune, ayant manifesté sa surprise de ne pas avoir vu un seul des membres de la famille Bonaparte secouer la poussière de l'exil et venir au grand soleil de juillet réclamer une juste réparation, reçut du roi Joseph une lettre où se peint admirablement le respect des Napoléon pour les droits souverains du peuple. Nous y lisons ces quelques phrases : Vous attribuez à des sentiments bien étranges l'absence des frères de l'Empereur. Ignorez-vous qu'une loi inique, dictée par les ennemis de la France à la branche aînée des Bourbons, les en exclut en haine du nom de Napoléon ? Nous connaissez-vous d'autres crimes ? Devons-nous désespérer de la justice nationale ? Tout pour la nation fut la devise de notre frère ; elle sera la nôtre. Nous n'avons rien à prétendre que de sa propre volonté.

Tel était Joseph Bonaparte, comte de Survilliers. On voit qu'il était le digne frère de Napoléon.

Il passa dix-sept ans en Amérique, et il arriva en Europe au mois de juillet 1832 pour saluer l'avènement du roi de Rome à sa majorité. Mais il eut la douleur, en débarquant à Liverpool, d'apprendre la mort de son infortuné neveu.

 

C'était au milieu de travaux, encore admirés de nos jours, et dans la société de son héroïque mère, que Louis-Napoléon passa les années 1833 et 1834. Il sortit peu d'Arenenberg, écrivant beaucoup, pensant beaucoup et s'attirant des mots consolateurs, comme ce mot d'Armand Carel : La cause impérialiste est celle qui a le plus d'avenir. Le nom de l'Empereur est une force immense ; l'employer au développement des idées démocratiques, c'est une mission sublime. Les Bonaparte ont l'Europe plébéienne dans la main, s'ils savent le comprendre.

La reine Hortense l'aidait et l'encourageait de toute son intelligence maternelle. Elle avait pour.son fils un véritable culte. Voici .a lettre touchante qu'elle adressait, le 10 décembre 1834, à un homme qui lui était absolument dévoué, M. Belmontet :

..... Ma position de fortune m'oblige à rester l'hiver sur ma montagne exposée à tous les vents. Qu'est-ce que cela à côté des horribles souffrances de l'Empereur sur les rochers de Sainte-Hélène ? La résignation est la vertu des femmes, et le courage celle des mères. Je ne me plaindrais pas si mon fils, à son âge, ne se trouvait privé de toute société et complètement isolée sans autre distraction que le travail assidu auquel il s'est voué. Son courage et sa force d'âme égalent sa pénible et triste destinée. Quelle nature généreuse ! Quel bon et digne jeune homme ! Je l'admirerais si je n'étais pas sa mère. Je suis bien fière de l'être. Je jouis autant de la noblesse de son caractère que je souffre de ne pouvoir donner à sa vie plus de douceur. Il était né pour de belles choses, il en était digne.... Nous avons le projet d'aller passer deux mois à Genève : du moins il entendra parler français. Ce sera une agréable distraction pour lui. La langue maternelle, n'est-ce déjà pas la patrie ?

 

HORTENSE.

Le prince Louis adressait aussi des lettres à ses amis de France, et il est utile d'en citer quelques lignes, pour bien montrer combien l'inaction lui pesait, combien il eût aimé servir son pays, et quelle sainte et religieuse idée il avait de la tradition napoléonienne.

Arenenberg, le 10 avril 1832.

Il est donc vrai que l'infortune a des avantages ; elle rend les hommes meilleurs ; elle retrempe leur âme ; souffrir, grandit.

 

Arenenberg, mai 1833.

... Mon portrait vous a donc fait plaisir ; j'en suis touché. Regardez-le souvent et pensez, en le voyant, que c'est celui d'un homme qui ne transigera jamais avec aucun ennemi de la France, qui se dévouera toujours à la cause de la liberté sans regarder derrière lui, et qui demeurera constamment fidèle aux devoirs de son nom, à l'honneur de la patrie et à ses braves amis.

L.-N. B.

 

Arenenberg, 16 novembre 1834.

... Toujours loin de ma patrie, privé de tout ce qui peut rendre la vie intéressante pour un cœur mâle, je dois rester homme en dépit du sort, et mes seules consolations sont clans des études fortes.

Adieu ; songez quelquefois à toutes les idées poignantes qui doivent me blesser le cœur lorsque je rêve au grand passé de la France et quand je vois le présent si vide d'avenir. Il faut bien du courage pour marcher seul, comme on peut, au but que l'âme s'est tracé. N'importe ! il ne faut jamais désespérer ; l'honneur français a tant d'éléments de vitalité ! L'Empereur connaissait bien ce grand peuple qu'il aimait tant !

L.-N. B.

 

Arenenberg, 27 août 1835.

... Ma vie n'a été jusqu'ici marquée que par des tristesses profondes et par des vœux étouffés. Le sang de Napoléon se révolte dans mes veines de ne pouvoir couler pour la gloire nationale. Jusqu'à présent ma vie n'a ou de remarquable que ma naissance. Le soleil de la gloire a rayonné sur mon berceau. Hélas ! c'est tout. Qui peut se plaindre lorsque l'Empereur a tant souffert ?... La confiance dans le sort, voilà mon seul espoir ; l'épée de l'Empereur, voilà mon seul soutien : une belle mort pour la France, voilà mon ambition.

Adieu ; pensez aux pauvres exilés qui ont les yeux tournés du côté de la France, et croyez que mon cœur battra toujours quand on lui parlera de gloire, de patrie, d'honneur et de dévouement.

L.-N. B.

Le prince Louis, par la mort du roi de Rome, devenait le seul héritier de l'Empire, après ses oncles Joseph et Louis, dont il était le seul héritier. Rappelons brièvement ses droits :

Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII avait soumis le régime impérial à la sanction du peuple français.

Voici le dépouillement des votes :

Votants

3.524.254

Majorité absolue

1.762.128

Contre

2.579

Pour

3.521.675

Ce sénatus-consulte réglait en même temps l'ordre d'hérédité. Voici les articles principaux :

ART. 3. — La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime, de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

ART. 4. — Napoléon Bonaparte peut adopter les enfants ou petits-enfants de ses frères, pourvu qu'ils aient atteint l'âge de dix-huit ans accomplis.

ART. 5. — A défaut d'héritier naturel et légitime ou d'héritier adoptif de Napoléon Bonaparte, la dignité impériale est dévolue et déférée à Joseph Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes, par ordre de primogéniture et de mâle en mâle, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

ART. 6. — A défaut de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles, la dignité impériale est dévolue et déférée à Louis Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes, par ordre de primogéniture et de mâle en mâle, à l'exclusion des femmes et de leur descendance.

ART. 7. — A défaut d'héritier naturel et légitime ou d'héritier adoptif de Napoléon Bonaparte :

A défaut d'héritiers naturels et légitimes de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles, de Louis Bonaparte et de ses descendants mâles ;

Un sénatus-consulte organique, proposé au sénat par les titulaires des grandes dignités de l'Empire et soumis à l'acceptation du peuple, nomme l'empereur et règle dans sa famille l'ordre de l'hérédité de mâle en mâle, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

Par conséquent et au nom de ce droit nouveau, qui était le droit populaire, l'héritage naturel de l'Empereur passait entre les mains de Louis Napoléon-Bonaparte, après la mort de son oncle Joseph et de son père Louis.

Le pays suisse continuait à lui témoigner les sentiments les plus affectueux. En 1834, il est nommé capitaine d'artillerie au régiment de Berne. C'était la sanction des travaux remarquables qu'il avait faits sur cette arme et qu'il devait continuer clans ce livre remarquable qui s'appelle le Manuel d'artillerie.

L'année suivante, en 1835, le bruit d'ailleurs assez fondé courut de son mariage avec Dona Maria, reine du Portugal. Il le démentit par la lettre suivante :

Arenenberg, 14 décembre 1835.

Plusieurs journaux ont accueilli la nouvelle de mon départ pour le Portugal comme prétendant à la main de Dona Maria. Quelque flatteuse que soit pour moi la supposition d'une union avec une jeune reine, belle et vertueuse, veuve d'un cousin qui m'était cher, il est de mon devoir de réfuter un tel bruit, puisqu'aucune démarche à moi connue n'a pu y donner lieu.

Je dois même ajouter que, malgré le vif intérêt qui s'attache aux destinées d'un peuple qui vient d'acquérir ses libertés, je refuserais l'honneur de partager le trône de Portugal, si le hasard voulait que quelques personnes jetassent les yeux sur moi.

La belle conduite de mon père, qui abdiqua en 1810 parce qu'il ne pouvait allier les intérêts de la France avec ceux de la Hollande, n'est pas sortie de mon esprit. Mon père m'a prouvé par son grand exemple combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je sens, en effet, que, habitué dès mon enfance à chérir mon pays par-dessus tout, je ne saurais rien préférer aux intérêts français.

Persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre d'exclusion aux yeux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle quinze année de gloire, j'attends avec calme, dans un pays hospitalier et libre, que le peuple rappelle dans son sein ceux qu'exilèrent, en 1815, douze cent mille étrangers. Cet espoir de servir un jour la France comme citoyen et comme soldat fortifie mon âme, et vaut à mes yeux tous les trônes du monde.

Recevez, etc.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

Qu'on nous permettre d'interrompre le côté sérieux de cette histoire, pour donner une petite place à un récit curieux que le prince Louis-Napoléon, devenu plus tard empereur, se plaisait à faire, et qui ne peut manquer de plaire aux amateurs de merveilleux.

Vers 1835, on commençait à s'occuper beaucoup de magnétisme, et la mode était de se réunir à quelques intimes pour faire des expériences divinatoires. Un jour la reine pria le docteur Bailly, un des familiers du château d'Arenenberg, d'endormir une vieille négresse, nommée Malvina, qui lui avait été léguée par l'impératrice Joséphine. Le prince Louis était absent. Le docteur endort la négresse, la met en communication avec la reine, qui lui demande si elle voit son fils.

Voici le dialogue qui s'engagea.

— Voyez-vous le prince ?

— Oui, oui, je le vois.

— Eh bien ! que fait-il, et que va-t-il faire ?

— Je le vois, entouré de soldats ; on se presse autour de lui, on crie, on brandit les sabres en signe d'enthousiasme.

Est-ce en Suisse, au camp de Thounn, où il est à cette heure ?

Non, ce n'est pas en Suisse, mais on parle allemand, et pourtant ce n'est pas eu Allemagne non plus.

— Que voyez-vous encore ?

— Mon dieu ! tout est fini, on le fait prisonnier !

— Et où le conduit-on ?

— En Amérique.

— Je l'y suivrai ?

— Non, une maladie vous en empêchera.

— Et puis ? et puis ? ne voyez-vous plus rien ?

— Si !... Oh ! mon Dieu ! qu'est-ce que je vois donc ? reprend avec éclat la somnambule, comme éblouie par une lueur éclatante. Le voilà tout puissant, souverain d'un grand peuple !

De quel peuple ? s'écrie la reine avec enthousiasme, de quel peuple ? de la France, n'est-ce pas ?

— Oui, de la France, dit Malvina.

On pensera ce qu'on voudra de cette prédiction, mais tout le monde sait que le prince était fait prisonnier l'année d'après à Strasbourg, qu'il allait en Amérique et que la reine gravement malade ne put pas le suivre.

Puis, il fut Empereur des Français, comme on le sait encore.

Nous allons quitter la période anecdotique de la vie de l'Empereur, pour entrer clans la période d'action, période dont Strasbourg et Boulogne furent les préludes éclatants.

Le prince Louis, à cette, époque, commençait à être un véritable point de mire, en Europe.

Sa position d'héritier de la tradition napoléonienne le mettait en vue et le désignait naturellement aux amis et aux ennemis de cette tradition. L'Europe absolutiste, celle qui redoutait le nom des Bonaparte, le faisait surveiller étroitement. Ainsi, M. de Bacourt, homme de confiance de M. de Talleyrand et premier secrétaire d'ambassade à Londres, vint s'établir à quelques pas à peine d'Arenenberg, à l'hôtellerie du Volsberg. D'un autre coté, les différents chefs des partis populaires et démocratiques lui envoyaient des émissaires pour le sonder. Il se conduisit à l'égard de tous avec une extrême prudence, mais sa réponse au diplomate français fut éclatante ; il lui fit dire que quelque fût le sort que lui réservât la fortune, sa devise serait toujours celle de l'Empereur : TOUT POUR LA FRANCE, TOUT POUR LE PEUPLE FRANÇAIS.

Cette doctrine, qui fut toujours la sienne et qui demeurera l'éternelle doctrine de la dynastie napoléonienne, lui venait de sa mère, qui n'avait jamais cessé de lui enseigner qu'un souverain populaire dépend du peuple et du peuple seul.

Et pour donner une nouvelle preuve de l'immense et salutaire influence que la reine Hortense eut sur son fils, il suffit de citer ces paroles si grandes, si élevées, que nous extrayons de ses Mémoires, et qui suffisent à prouver qu'elle fut l'ange tutélaire de sa famille, et l'inspiratrice innée et convaincue de l'idée impérialiste.

POUR INSPIRER A MES ENFANTS L'AMOUR DE LA PATRIE, SANS HAINE POUR PERSONNE, J'AI DÛ, DÈS LEUR PREMIÈRE JEUNESSE, LEUR EXPLIQUER LA NATURE DE LEUR POSITION ET LES DROITS D'UN PEUPLE LIBRE. L'EMPEREUR, PAR SES GRANDS SERVICES, AVAIT RÉUNI TOUTES LES VOIX POUR SON ÉLÉVATION. LE PEUPLE QUI DONNE A LE DROIT D'OTER. LES BOURBONS SE CROIENT PROPRIÉTAIRES, PEUVENT PRÉTENDRE RÉCLAMER LA FRANCE COMME UN BIEN. LES BONAPARTE DOIVENT SE RAPPELER QUE TOUTE PUISSANCE VIENT DE LA VOLONTÉ POPULAIRE ; ILS DOIVENT EN ATTENDRE L'EXPRESSION ET S'Y CONFORMER, LEUR FUT-ELLE CONTRAIRE.