Préparatifs du départ. — Les grands feudataires. — Le duc de Normandie. — Concile de Flandre. — Comte de Blois et de Champagne. — Comte de Toulouse. — Les comtes de Boulogne. — Godefroy de Bouillon. — Hugues de France. — Caractère du pèlerinage féodal. — Le roi Philippe Ier au temps de la croisade. — Itinéraire des grands féodaux.1095-1098. Ils marchaient tous pêle-mêle, les pèlerins du peuple,
dirigés par le petit ermite, ou bien conduits par ce chevalier si pauvre
qu'on rappelait Gauthier sans avoir ; les caractères exaltés comme les
caractères sans souci, sans passé, sans avenir, jetant leur vie au vent,
conviennent aux multitudes ; elles aiment l'homme qui les entraîne par la
parole vers les grandes choses, ou les esprits insouciants et vagabonds qui
portent leur existence au jour le jour, comme le pauvre, le bâton à la main
et la besace sur le dos[1]. Le peuple
suivait l'ermite couvert de bure et le chevalier qui portait la plume de
faucon sur son casque, sans autre pensée que Jérusalem, sans autre avenir que
sa ferveur el sa croyance. La troupe des pèlerins, conduite par Pierre l'Ermite,
avait éprouvé trop de malheurs dans son itinéraire à travers Tout était guerre ainsi dans la vie du comte, et quand le haut baronnage de France résolut son pèlerinage armé en Palestine, ce voyage dut se préparer et s'accomplir dans des conditions véritables d'une expédition féodale avec la tactique et la méditation des batailles ; ce n'était plus ici une troupe qui s'en allait tumultueusement en pèlerinage comme des vagabonds enthousiastes, mais de fortes armées régulières, comme elles avaient marché sous les empereurs, les rois et les comtes, en Flandre, en Souabe, en Normandie ou en Angleterre. Là devaient se montrer les vieux chevaliers des guerres d'Allemagne, les sergents d'armes au corps dur, à la main plus dure encore, et habile à décocher une flèche ; il y avait des chariots pleins de vivres, des marcs d'argent et d'or qui provenaient de la vente des fiefs ; tous ces comtes étaient bien armés, leurs casques reluisaient d'acier, leurs cuirasses, leurs brassards étaient de bonne trempe, comme cela convenait à de dignes chevaliers[4] ; leurs bannières flottaient au vent ; il y avait de ces bannières de toutes couleurs et de tous les émaux ; ce n'étaient plus des serfs de ville, des pauvres chevaliers sans avoir ; il y avait un puissant baronnage, et l'or et l'argent se voyaient sous la tente comme le fruit d'automne dans les greniers[5]. En tête La bannière de Robert II, comte de Flandre, est levée ! Il
est le seigneur de ces grandes cités de métiers qui depuis un siècle déjà
fermentaient pour l'indépendance. Robert était fils du Frison, comte de Flandre, si renommé pour son
pèlerinage ; seigneur de haute expérience, de grande noblesse et de fermeté[10], sa réputation
retentissait jusqu'à Constantinople même. On se rappelle qu'Alexis lui avait
écrit pour demander son secours quand les Barbares envahissaient l'empire
grec ; dans une seconde épître pourprée, Alexis éploré disait au comte : Je fuis de ville en ville, et je ne reste dans chaque cité
que pour fuir encore ; j'aime beaucoup mieux être soumis à vous autres Francs
que d'être le jouet des païens[11]. Comte, comte, accourez donc avant que Constantinople
tombe en leur pouvoir ! Ainsi Robert le Flamand était appelé par les
prières de l'empereur dans son lointain pèlerinage ; il quittait Rien ne pouvait égaler le Flamand, si ce n'est Etienne,
comte de Blois, le batailleur ; Etienne n'avait point encore Accourez tous maintenant pour saluer Raymond IV, comte de
Toulouse, le fin, le matois saint Gilles, dont parlent même les chroniques
arabes[14]. Quelles
richesses ! combien ne commandait-il pas à de florissantes villes, à des
vassaux qui arboraient leurs gonfanons sur Montpellier, sur Lunel, la ville
au vin doux, sur Béziers, déjà pleine d'Albigeois et d’hérétiques moqueurs
des moines et des clercs ! Le comte avait ses droits de suzeraineté sur
Saint-Pons, vieux monastère, sur Saint-Hippolyte et le Vigan[15], près de la
montagne et des noires Cévennes ; puis sur Frontignan et le bel étang de
Maguelone, si riche pour le trésor des sires de Toulouse. Raymond IV,
spirituel comme toutes ces populations méridionales, aimait les jeux et les
plaisirs, la poésie et les troubadours : qu'elles étaient riches toutes les
campagnes de Ainsi se préparaient les hauts sires de la féodalité
territoriale : Normandie, Flandre, Champagne et Toulouse, n'était-ce pas les
plus dignes baronnages de France ? Qui pouvait se comparer à ces bannière
flottantes au vent, où Ton voyait le lion rampant, la merlette et le lévrier,
le griffon ailé, le lambel de la table pendante, le tourteau crénelé, le pal
ou les émaux, symboles qui furent plus tard régularisés dans le blason
héréditaire ? Chacun de ces grands sires entraînait à sa suite des vassaux
particuliers dépendant de haut baronnage, Normands, Champenois, Flamands ou
de Guienne, dans Parmi tant de nobles barons qui n'avaient pas grands
patrimoines, cadets ou puînés de races, brillait un sire de renommée
retentissante et sauvage dans les manoirs du Nord[20] : quand on
parcourait, il y a moins d'un demi-siècle, la vaste plaine de Nivelle du côté
de Fleurus, si célèbre depuis par d'immenses faits d'armes et de lamentables
funérailles, on voyait quelques débris d'un château aux créneaux ruinés, aux
tours en poussière ; là, disait-on, avait été élevé un chevalier de haute
stature ; son nom était Godefroy (Good-freed
dans la langue flamande) ; sa naissance était toute féodale, car son
père tenait en lignée le comté de Boulogne : or vous avez dû lire dans les
vieilles chroniques ce qu'étaient les comtes de Boulogne, les Eustaches de
père en fils, rois de la mer (see-king), qui bravaient les flots de
l'Océan ; par tradition de race, ils montaient de petits navires pour se
livrer à la piraterie la plus audacieuse. Le père de ce Godefroy était le
fameux Eustache de Boulogne, qui portait sur son casque un fanon de baleine[21], symbole de son
empire de la mer et de sa lutte contre les monstres qui désolaient les côtes
; Eustache, alors vieilli, avait, aux temps de sa jeunesse, foule aux pieds
de ses chevaux les habitants de Douvres, avant l'expédition de Guillaume le
Bâtard. Quelle histoire de fiers hommes que celle de ces comtes de Boulogne !
Leurs ancêtres portaient le nom barbare de Régnier Erkenger ; ils sortaient
de la ligne collatérale des premiers comtes de Flandre, et par conséquent le
sang germanique de Charlemagne coulait dans leurs veines[22], car un comte de
Flandre avait enlevé une fille carlovingienne, et l'avait couchée dans le lit
nuptial. Godefroy était le puîné d'Eustache au fanon de baleine, comte à la
barbe blanche et pendante sur sa poitrine ; il eut pour mère Goda, fille
d'Ethelred, roi d'Angleterre, avant que la race normande eût succédé aux
Saxons[23] : Godefroy avait
grandi dans le château des Ardennes dont nous avons parlé ; de vieux
serviteurs relevaient dans la sauvagerie de la chasse et de la guerre ; et
comme à l'abri de l'antique forêt il n'avait pas d'héritage direct, il se
jeta impétueusement dans les expéditions de pillage et de féodalité. Godefroy
le Flamand suivit les empereurs d'Allemagne dans leurs guerres contre le pape
; sa main était forte, son corps dur comme l'acier, et sur le champ de bataille
ce fut Godefroy qui perça d'un coup de lance Rodolphe de Rhinfelden, duc de
Souabe, le bras droit de l'Église, que Grégoire Vif avait élevé à la
couronne. C'était un de ces vigoureux témoignages dont la mémoire restait :
aussi Godefroy fut-il investi par l'empereur Henri IV du duché de basse
Lorraine et de Bouillon. Alors sa tête s'anima plus encore, il devint comme
l'expression féodale de la race germanique contre les papes et les Italiens ;
quand les Allemands, vigoureux envahisseurs, vinrent fouler de leurs chevaux
caparaçonnés les monuments de l'antique Rome, le barbare Godefroy des Ardennes
et de Godefroy fut ainsi le type et le modèle de la vie féodale ; sa jeunesse fut donnée à la violence, à la force matérielle ; l'âge mûr vint à la repentance. Il était d'une énergie de corps prodigieuse, qualité hautement saluée aux temps de barbarie ; il jetait un javelot avec la puissance du Parthe, il brisait un écu de batailles, il séparait la chair et les os d'un coup d'épée : il dispersait l'armée la plus serrée[25] : quel homme que ce Godefroy duc de Lorraine et de Bouillon, qui de ses mains étouffait un sanglier de la forêt Noire ou des Ardennes ! Il avait peu de fiefs, peu de fortune et un triste repentir surtout de sa vie passée ; il devait prendre une grande place au pèlerinage sacré. Dans ses nuits pleines de remords pour les désordres de sa jeunesse, il avait eu une vision ; Dieu l'avait appelé à la sainte entreprise par des apparitions soudaines[26], quand le sommeil vient jeter l'imagination dans des instincts sublimes et révélateurs ; et qui n'a pas dans les temps d'héroïsme ces vives apparitions qui remuent le cœur ? Toutes les fois que l'âme éprouve fortement, le passé, le présent et l'avenir se lient dans une sorte de sympathie ; les rêves fantastiques les unissent d'une chaîne de roses blanches mystérieuses et inconnues ; l'esprit frissonne et s'éclaire à la pâle illumination des cierges jaunes et de cette odeur vague et indéfinie, parfum sans saveur qui brûle dans les songes comme une lampe funèbre, pour nous révéler les instincts de l'âme et l'avenir qui fuit comme une longue traînée d'ombres. La puissance des apparitions est immense : quand le soldat
a profondément admiré une grande renommée militaire, elle lui apparaît dans
ses rêves de gloire ! quand on a aimé ou beaucoup souffert, on conserve
une indicible prévoyance des maux qui se rattachent à la vie ; quoi
d'étonnant que le barbare Godefroy repentant fût entraîné au pèlerinage de la
terre sainte par une apparition soudaine ? pourquoi n'aurait-il pas vu le Christ
en sa face, lui annonçant sa fortune ? les hommes à grandes destinées ont
toujours en leur âme le noble instinct de l'avenir, la révélation de leur
sort. Godefroy engagea ses fiefs, aliéna ses domaines, Metz acheta sa commune
et sa liberté de Godefroy le comte ; le noble croisé vendit son duché de
Bouillon à l'évêque de Liège, moyennant quatre mille marcs d'argent[27] et une livre
d'or. Féodal désormais sans fief, Godefroy de Bouillon quitta sans regret son
manoir pour les conquêtes dans Si le roi de France, Philippe Ier, était excommunié, Hugues son frère, surnommé le Grand à cause de sa stature élevée, partait pour la croisade : ainsi le voulaient les mœurs du moyen âge ! Fils puîné de Henri Ier, le roi des Français, il n'avait pas de fief de son chef, le digne comte Hues ou Hugues ; mais il avait épousé Adélaïde, fille d'Herbert IV, duc de Vermandois : Adélaïde lui apporta en dot le fief de Valois et la châtellenie de Mouchi-la-Gâche ; il devint ainsi comte de Vermandois. C'était le seul titre de Hugues, cherchant fortune dans les coups d'épée : caractère tout féodal comme Godefroy, Hugues s'était jeté dans le pillage el le dépouillement des clercs ; il prenait à toutes mains les fiefs d'église, et il s'était fait excommunier par les assemblées d'évêques[28], comme mécréant et ravageur de monastères. Au temps où la force du corps était tout, on remarquait le comte Hues de Vermandois dans les rangs au milieu même de cette grande milice de féodaux qui allaient conquérir le sépulcre. Les chroniqueurs, qui aimaient à comparer les qualités physiques de l'homme, disaient que tout ressentait en lui l'origine royale[29], car la pensée souveraine, l'idée du commandement se mêlait alors à la conviction d'une supériorité matérielle. Tous ces dignes barons en quittant leurs terres pour la croisade, vendaient leurs fiefs pour acheter des chevaux de bataille et grossir leurs équipages de guerre. Est-ce qu'on s'imagine qu'ils allaient aux batailles confusément, comme les pèlerins de Gauthier sans avoir ou de Pierre l'Ermite ? Les féodaux prenaient toutes les précautions militaires pour faire réussir l'expédition lointaine ; on sentait que les vieux envahisseurs des Gaules allaient s'agiter ; ils avaient les rangs pressés de lances, des compagnies de forts archers, d'arbalétriers et de balistaires, à l'abri de leurs boucliers pointus et hauts : si les compagnons de Gauthier sans avoir et de Pierre l'Ermite comptaient à peine quelques hommes à cheval, les féodaux, au contraire, montaient leurs grands courtiers caparaçonnés de pied en cap ; ils avaient des instruments de siège, de longues poutres pour construire des ponts, et des machines de guerre pour abattre les remparts. Tous étaient habitués aux guerres, aux fortes expéditions ; les uns avaient combattu en Italie, les autres en Flandre ou en Allemagne, l'obéissance existait parmi eux comme une règle féodale ; ils reconnaissaient les supérieurs ; la bannière flottante était le signe commun ; cette chevalerie devait marcher avec ordre ; il y avait sous la tente des vivres pour les lointaines marches, et on empilait les marcs d'argent destinés pour les dépenses du long itinéraire, comme les paysans empilent les fruits de la récolte[30]. Les pauvres pèlerins avaient commencé la croisade avec un enthousiasme irréfléchi, comme il arrive toutes les fois qu'une expédition se fait peuple ; les seigneurs à cheval venaient après pour régulariser la guerre sainte. Si l'on voulait éviter les catastrophes, il y avait des règles, des disciplines à observer, des précautions à prendre ; on ne devait pas courir à la croisade, guidé par le seul entraînement : que de malheurs n'avaient pas éprouvés les compagnons de Gauthier sans avoir et combien de fautes n'avaient-ils pas commises ? Le baronnage féodal avait à se garder contre de tels périls. Allez, nobles chevaliers, et que Dieu soit en aide à vos armes ! Après le peuple du Christ venait l'armée des barons du Christ ! Tout ce mouvement féodal, qui s'agitait dans le royaume pour la croisade, se faisait en dehors du roi Philippe Ier. C'était un curieux spectacle de voir les grands vassaux saisir les armes, caparaçonner leurs coursiers pour une expédition lointaine, sans que le roi, le sire et seigneur suzerain, exerçât la moindre influence sur le pèlerinage armé[31]. Le duc de Normandie rassemblait ses vassaux sous ses bannières ; le comte de Champagne faisait retentir les joyeuses villes de Troyes, d'Arcis-sur-Aube, de Bar, de Vitry-le-Français, des chants de Geste et cantilènes pour le départ de la croisade ; les comtes de Flandre et de Toulouse levaient leurs gonfanons, et pendant ce temps le roi Philippe Ier restait dans ses domaines, et la féodalité ne prenait garde à ses commandements ou à ses volontés. D'où venait cette situation si précaire du roi Philippe Ier et qui l'avait jeté dans un si grand abaissement ? comment se faisait-il que Hugues, le comte de Vermandois son frère, partait pour la croisade comme un simple chevalier, tandis que le roi restait dans ses domaines comme s'il n'avait pas porté l'épée ? Cela tenait d'abord à l'existence naturellement abaissée du pouvoir royal, au caractère un peu insouciant du roi. Puis Philippe Ier avait été frappé d'excommunication ; le pape Urbain II avait jeté la solennelle sentence, et le concile de Clermont l'avait approuvée. Le roi était ainsi accablé sous l'anathème, comme incestueux et concubinaire ; s'il ne repoussait Bertrade du lit nuptial, il était flétri comme un lépreux dans l'ordre moral, et nul n'aurait voulu tenir la bannière du roi dans cette abjection, quand il était confondu parmi les mécréants et les hérétiques. Et qu'on remarque combien le moment était parfaitement choisi pour faire éclater la puissance du pape : les croisades avaient inspiré une ferveur nouvelle pour les idées catholiques ; Urbain II avait appelé une milice à lui parmi les pèlerins du peuple et les barons, il s'était placé comme le chef delà guerre en Palestine, comme la parole qui dirige le glaive. Il unissait ainsi à la tiare la puissance de la force, et les féodaux se seraient mis au service d'Urbain II pour combattre leur suzerain, comme ils lui prêtèrent leurs bras pour chasser l'antipape Anaclet dans leur passage en Italie[32]. Il faut voir l'impression profonde que produisait, même
dans le domaine royal, l'excommunication du suzerain ! un sentiment d'horreur
se rattachait à lui ; les actes sont datés d'une manière sinistre. Le
cartulaire de Saint-Serge, dans l'Anjou, contient une chartre qui porte la
suscription suivante : Écrite et scellée par moi[33], l'an du Seigneur 1095, indiction troisième, le samedi 25
de la lune, sous le pontificat d'Urbain II ; A cette époque le roi Philippe était dans toute la puissance de la vie ; il avait quarante-trois ans à peine ; la force de son corps se déployait dans tous les exercices militaires des cours plénières. Les vieux chroniqueurs disent qu'il avait la tête belle, la tournure majestueuse, quand il montait surtout un fort cheval de bataille ; comme tous les barons, homme de chair, de plaisir et de brutalité, il aimait à porter à ses lèvres la coupe emplie ; il s'asseyait avec joie dans les festins ; le sensualisme de la vie le dominait, et néanmoins Philippe Ier abaissa son cou fier et hautain devant Urbain II, qui parcourait les provinces avec sa seule croix. Le catholicisme était si puissant sur les âmes, et les croisades avaient imprimé un énergique mouvement qui faisait fléchir la tête du suzerain sous la volonté du pape, le dictateur de ce peuple qui allait par multitude en pèlerinage. De son mariage avec la reine Berthe, Philippe Ier avait eu un fils né en 1078. La vie de saint Arnould raconte, dans le pieux style légendaire[36], toutes les circonstances mystiques de la naissance de Louis, le fils aîné du roi : la reine Berthe, la première femme de Philippe, était stérile ; pauvre épouse, elle priait Dieu nuit et jour de lui donner un fils ; elle se recommanda donc aux prières de saint Arnould. Or, le jour que saint Arnould fut intronisé évêque, il envoya un de ses religieux informer la reine qu'elle était enceinte d'un fils, et le saint lui écrivit que ce fils serait nommé Louis et qu'il succéderait à son père[37]. Ainsi disaient les naïves légendes des monastères, pour annoncer la venue d'un enfant dans les races. N'était-ce pas doux à ouïr conter que ces merveilles dans le foyer domestique ? Louis enfant fut très-gras et très-gros de corps ; quand il fut séparé des femmes, on le mit dans le monastère de Saint-Denis, siège de la science et de la piété ; il apprit beaucoup à l'école des clercs ; à dix ans il montait fortement à cheval, lisait un livre couramment, ce qui faisait merveille parmi les religieux ; à peine touchait-il sa douzième ou treizième année, et Ton disait partout que Louis le Gros, fils du sire roi, serait un bon gouverneur pour le royaume de France. Il reçut alors comme fief Mantes, Pontoise et le comté du Vexin, en apanage destiné à soutenir les dépenses de son hôtel ; l'enfant obtint ainsi gage et participation dans l'administration royale. Ce fut à quinze ans que Louis le Gros fit ses premières
armes dans la guerre contre Guillaume le Roux, roi d'Angleterre, ce Guillaume
si rapace et si fin, à qui le duché de Normandie avait été engagé par le duc
son frère. Comme à l'époque de l'excommunication le roi était frappé
d'impuissance, les barons ne voulaient plus le suivre en guerre ; il n'y
avait pas un seul seigneur féodal qui consentît à déployer sa bannière à côte
de la sienne, car adultère et relaps il demeurait couvert de confusion. Louis
le Gros, à quinze ans, leva le gonfanon du roi, lui, le digne fils de Berthe,
la première et légitime épouse[38] ; Philippe Ier
n'aurait pas trouvé trois chevaliers pour le suivre, tandis que louis son
fils réunit assez de force pour résister à l'invasion normande de Guillaume
le Roux. Ainsi l'enfant royal commençait les efforts de guerre contre le roi
des Anglais à la tête de ses batailles de lances. L'excommunication avait
enlevé toute la force morale au roi ; il n'avait plus qu'à se hâter de faire
pénitence : qu'il se fit donc religieux et bon
ermite. Les chroniques ne s'occupent plus que de son fils ; les gestes
de cet enfant sont suivis pas à pas par les chroniqueurs de Saint-Denis ; les
bons moines n'avaient-ils pas assisté au développement de cette jeune
intelligence ? Dans la fleur de son printemps, et à
peine âgé de douze ou treize ans, le glorieux et célèbre Louis, fils du roi
Philippe, avait de si louables mœurs et de si beaux traits, et se distinguait
tellement, soit par une admirable activité d'esprit, présage de son caractère
futur, soit par la hauteur de son agréable stature, qu'il promettait à la
couronne, dont il devait hériter, un agrandissement prompt et honorable, et à
l'Église, ainsi qu'aux pauvres, un protecteur assuré. Cet auguste enfant,
fidèle à l'antique habitude qu'ont eue les monarques, Charles le Grand[39] et autres excellents princes, et qu'attestent les testaments
des empereurs, s'attacha d'un amour si fort, et pour ainsi dire héréditaire,
aux reliques des saints martyrs qui sont à Saint-Denis et à celles de ce
saint lui-même, que pendant toute sa vie il conserva pour l'église qui les
possède, et prouva par une honorable libéralité, les sentiments nés chez lui
dès son enfance ; et qu'à son heure suprême, espérant beaucoup dans ces
saints après Dieu, il résolut pieusement de se lier à eux corps et âme, et de
se faire moine dans cette abbaye, s'il en avait la possibilité. A l'âge dont
nous parlons, cette jeune âme se montrait déjà tellement mure pour une vertu
forte et active qu'il dédaignait la chasse et les jeux de l'enfance, auxquels
cet âge a coutume de s'abandonner, et pour lesquels il néglige d'apprendre la
science des armes. Dès qu'il se vit tourmenté par l'agression de plusieurs
des grands du royaume, et surtout de l'illustre roi des Anglais, Guillaume,
fils de Guillaume, plus illustre encore, vainqueur et monarque des Anglais,
le sentiment d'une énergique équité réchauffa, le désir de faire l'épreuve de
son courage lui sourit ; il rejeta loin de lui toute inertie, ouvrit les yeux
à la prudence, rompit avec le repos, et se livra aux soins les plus actifs.
En effet, Guillaume, roi des Anglais, habile et expérimenté dans la
guerre,-avide de louanges et affamé de renommée, avait, par suite de
l'exhérédation de son frère aîné Robert, succédé heureusement à son père
Guillaume ; après le départ de ce même frère pour Jérusalem, il devint maître
du duché de Normandie, chercha comme duc de cette province à étendre ses
limites qui confinaient aux marches du royaume, et s'efforça, par tous les
moyens possibles, de fatiguer par la guerre le jeune et fameux Louis. La
lutte entre eux était tout à la fois semblable et différente : semblable en
ce qu'aucun des deux ne cédait à son adversaire ; différente en ce que l'un
était dans la force de l'âge mûr, et l'autre à peine dans la jeunesse ; en ce
que celui-là, opulent et libre dispensateur des trésors de l'Angleterre,
recrutait et soudoyait des soldats avec une admirable facilité ; tandis que
celui-ci, manquant d'argent sous un père qui n'usait qu'avec économie des
ressources de son royaume, ne parvenait à réunir des troupes que par
l'adresse et l'énergie de son caractère, et cependant résistait avec audace.
On voyait ce jeune guerrier, n'ayant avec lui qu'une simple poignée de
chevaliers, voler rapidement et presqu'au même instant au delà des frontières
du Berry, de l'Auvergne et de Voilà donc ce que les chroniques racontaient des merveilles de l'enfant royal et de ses premières armes ; on l'opposait, lui, élevé religieusement dans un monastère, lui, le protecteur des moines et de la sainte église de Saint-Denis, à Philippe Ier son père, l'homme sensuel et excommunié. Dans l’ordre monacal, Louis le Gros commençait à déployer ses connaissances de clerc et sa piété d'église ; et c'était sur le champ de bataille qu’il apprenait le métier des armes. L'invasion des Normands et des Anglais dans les domaines du roi se rattachait à l'excommunication de Philippe Ier. Guillaume le Roux, si rusé, si matois, rêvant toujours d'accroître son domaine, voulait profiter de l'affaiblissement du roi Philippe pour envahir ses terres. Louis enfant pourrait-il résister aux lances pressées du suzerain d'Angleterre ? Cette guerre fut toutefois très-mollement conduite, car il n'y avait alors d'ardentes pensées que pour la croisade ; c'était à remarquer ; les trois grands suzerains de l'Europe restaient paisiblement dans leurs domaines ; l'empereur laissait partir les croisés allemands sans se joindre à leur expédition ; le roi des Anglais, Guillaume le Roux, trop préoccupé de conquêtes et d'agrandissement de ses domaines pour prendre parti du grand pèlerinage, recevait en gage le bien de ses vassaux et se faisait usurier. Enfin Philippe Ier voyait s'éloigner avec une joie secrète les barons de la monarchie[41]. Le progrès vint plus lard et s'étendit : le pèlerinage, d'abord populaire, se fit ensuite féodal ; il ne reçut une sanction royale, en n'entraînant les suzerains eux-mêmes que plus tard lors des croisades de Conrad d'Allemagne, de Louis VII de France, de Richard d'Angleterre et de Philippe Auguste. Ainsi marchent toujours les idées enthousiastes, elles prennent leur source dans les masses pour s'élever ensuite jusqu'aux grands et s'imposer définitivement aux pouvoirs ! La prédication de Pierre l'Ermite, le voyage d'Urbain II, avaient produit dans la société une impression si profonde, une agitation si soudaine, que le peuple ne s'occupe d'aucun autre intérêt. Quand une idée dominante est ainsi jetée dans lé monde, tous les autres intérêts s'effacent et s'absorbent, aussi ne trouve-t-on qu'un petit nombre de Chartres émanées des rois, des barons et des abbés pendant cette période ; il ne reste plus que les prescriptions des conciles qui forment comme un ensemble de lois pour la police politique. Les conciles règlent les devoirs respectifs de la famille et de la propriété en l'absence de toute loi civile. On trouve des canons provinciaux de cette époque ; dans le concile de Rouen[42] où les évêques renouvellent les serments pour la paix de Dieu et du peuple, afin que la trêve générale §oit observée : Nul baron ne pourra porter les armes que pour le service de la croix, nul ne pourra exiger la dîme du peuple, nul ne pourra envahir le fief ecclésiastique, la manse abbatiale. Le concile défend aux clercs de reconnaître la supériorité des laïques, ils ne doivent point hommage aux barons ; tous se lient à l'Église et ne doivent reconnaître de lois que les siennes[43]. Ensuite, et comme pénitence, les Pures rassemblés dans la grande cité de Normandie défendent aux clercs comme aux laïques de porter les cheveux longs et flottants ; voudraient-ils ressembler aux histrions et aux baladins des contrées méridionales ? Voici ce que prescrit le concile de Nismes, présidé par Urbain II : Les évêques, même métropolitains, ne pourront aliéner les bénéfices des églises ; et qu'importe qu'il y ait vacance ? ils nommeront le clerc qui doit remplacer, mais ils se garderont bien de vendre les bénéfices ecclésiastiques, propriété inaliénable de l'Église. Quant aux abbayes, qu'on respecte leurs droits sur tout ce qu'elles possèdent depuis trente ans ; les moines sont clercs, ils peuvent faire le service divin comme les prêtres, ils peuvent administrer les sacrements, lier et délier les âmes, car la solitude n'enlève point à l'homme le caractère indélébile de prêtre du Seigneur[44]. Ainsi Urbain II grandit, autant qu'il le peut, la monarchie pontificale ; l'entraînement des croisades favorise l'unité de l'Église, en elle se trouve la puissance et la force. L'époque est à la solitude, au désert, à la vie monacale ou à la pieuse émigration ; tout ce qui ne marche pas vers l'Orient se renferme dans les monastères ; les deux forces sont dans la double milice ecclésiastique et militaire ; la société est morte en dehors de ces deux idées. Chaque époque porte avec elle-même ses préoccupations : aussi les chartres et les diplômes sont-ils rares pendant dix ans ; on ne trouve que quelques donations pieuses dans la pensée du pèlerinage en Palestine, ou bien des affranchissements, ventes, aliénations qui sont amenés parle besoin d'argent imposé dans la croisade : ventes de fiefs, chartres municipales, tout est rédigé sous l'influence du saint voyage[45] ; la société en est partout préoccupée comme d’un fait dominant. Point d'ordonnances générales, point de prévoyances qui touchent à tout le royaume : commune, monastère ou croisade, voilà la trilogie du Xe siècle. En ce moment tous les vassaux ont pris les armes, et le retentissement des clairons et buccines annonce leur départ dans tous les grands fiefs du domaine. Beau spectacle que ce départ du baronnage de la vieille Gaule ! Le pieux sentiment qui portait les comtes féodaux au grand
pèlerinage avait son origine dans un principe commun ; c'était la même
exaltation de pensée, le même enthousiasme. La parole de Pierre l'Ermite
avait remué l'Occident ; la délivrance du tombeau du Christ et des frères de
l'Asie était la destination des barons, des vassaux et du peuple ; mais tous
ces nobles hommes à la cuirasse étincelante, au casque d'acier,
n'appartenaient pas à la même race : qu'avait de commun le Flamand avec le
Provençal du comté de Toulouse, qui parlait la langue d'oc ? quelle était la
similitude entre le Normand qui se nourrissait de cidre vert[46], et le
Champenois ou le Bourguignon dont la coupe s'emplissait incessamment des côtes
brûlées et rôties ? Le sentiment catholique formait le seul lien intime entre
tous ces peuples qui marchaient à la croisade pour le triomphe d'une idée et
d'une même croyance, patrimoine sacré de toute la génération du XIe siècle.
Godefroy le Lorrain avait convoqué ses lourds et grossiers compagnons de race
germanique, qui formaient la principale bande féodale, au mois d'août, époque
fixée pour le départ du pèlerinage ; ses parents, ses amis, presque tous
comme lui indomptables pour leurs ennemis et pénitents pour l'Église,
entouraient sa personne ; on y comptait son frère Baudouin, fils d'Eustache
le pirate de Boulogne ; Garnier de Gray, l'un des pilleurs de monastères ;
Renaud, comte de Toul ; Henri de Acheris, et une foule d'autres comtes,
chevaliers et barons de ces contrées sauvages qui s'étendaient de la foret
Noire aux Ardennes, des Alpes à Le roi de Hongrie sollicitait une entrevue du chef lorrain
seul à seul, cheval contre cheval, avec la loyauté des races nomades, pour
arrêter les conditions du passage. Le roi redoutait les excès et la vengeance
des pèlerins de Germanie qui marchaient avec Godefroy, car les chevaliers
verraient partout la trace du massacre des compagnons de Pierre l'Ermite et
de Gauthier sans avoir, et les monceaux d'ossements empilés. Godefroy
n'hésita pas à se rendre de sa personne, avec trois cents chevaliers choisis,
au lieu fixé par Coloman, afin de régler toutes les clauses d'une convention
de passage. Triste et longue route encore' pour ces hommes d'armes ! ils
traversèrent Le pèlerinage germanique se mit donc en marche avec les
rangs serrés et la lance haute ; les Hongrois paisibles accouraient, d'après
les ordres du roi, pour vendre leurs vivres aux pèlerins, tandis que Coloman
suivait avec une nombreuse cavalerie nomade, caracolant sur les flancs des
diverses troupes de croisés pour surveiller leurs mouvements. Les Lorrains
marchèrent ainsi jusqu'à Pendant ce temps, les autres comtes féodaux, Robert de
Flandre avec ses châtelains, ses archers et ses hautes bannières, et à côté
de lui Les pèlerins descendirent en masse pressée du sommet des
Alpes dans Parmi ces Normands de Pendant ce temps le pèlerinage des Provençaux, bannière
déployée, se mettait en marche ; le comte de Toulouse et ses dignes
chevaliers, suivis d'Adhémar, évêque du Puy en Velai, le prédicateur de la
croisade dans la race méridionale, les barons et clercs de Jugez de ce soulèvement de l'Europe ; l'empire des Grecs
était menacé par tous les côtés : les féodaux arrivaient en nuées, les uns
par mer, les autres par |
[1]
Le dénombrement des chefs de la croisade, fait par le Tasse dans
[2]
Lisez dans
[3] Ducange, v° Miles.
[4] Comparez Guibert de Nogent, liv. II, et Albert d'Aix, liv. II.
[5] Robert le Moine, liv. Ier. Il était témoin oculaire.
[6] Orderic Vital, dans Duchesne, Hist.
Norm., p. 786.
[7] Orderic Vital, dans Duchesne, p.
786.
[8] Voyez sur le pèlerinage de Robert le Magnifique, les diverses chroniques de Normandie.
[9]
Orderic Vital, Duchesne, Collect. Norm. script.,
p. 785.
[10] Chronic. Bertiniacens., dom Bouquet, tom. XIII, p. 459. — Chronic. Cambr., ibid.,
p. 482.
[11] Albert d'Aix, liv. Ier, et Guibert, ibid.
[12] Voyez aux chapitres suivants le drame de la mort de Charles le Bon, comte de Flandre, emprunté aux Bollandistes.
[13] Les Bénédictins ont consacré un article, dans l'Histoire littéraire de France, à Etienne, comte de Blois, tom. IX.
[14] Extraits arabes de dom Berthereau, analysés par M. Reinaud, Bibliothèque des Croisades.
[15] Dom Vaissète, Histoire du Languedoc, tom. II, p. 280 et suivantes.
[16] Rien n'est plus curieux que la chronique de Raymond d'Agiles ; Raymond suivit son comte, dont il était chapelain, avec une fidélité exemplaire ; ses impressions ne peuvent être plus naïves. Cette chronique a été publiée dans la collection de Bongars, Gesta Dei per Francos, 2e partie.
[17] Orderic Vital, ad ann. 1096. — Guibert de Nogent, liv. II.
[18] Albert d'Aix, liv. II.
[19]
Dom Vaissète a recueilli avec un grand soin tous les noms des croisés qui se
rattachent à
[20] C'est surtout Godefroy de Bouillon dont on a changé le véritable caractère ; le Tasse en fait le pieux Énée ; l'histoire, partant de cette donnée, l’a habillé en véritable paladin de romans. Godefroy était de race barbare, et conservait son caractère indomptable. Voyez Albert d'Aix, liv. II à VIII.
[21] Bénédictins, Art de vérifier les dates, art. Comtes de Boulogne.
[22] Albert d'Aix, liv. II.
[23] Bénédictins, Art de vérifier les dates, art. Comtes de Boulogne, tom. III, in-4°.
[24] Les chroniqueurs s'occupent beaucoup de Godefroy de Bouillon ; comparez Albert d'Aix, liv. II, et Guibert de Nogent, liv. II.
[25] Sive
hasta juculans æquaret Parthica tela ;
Cominus aut feriens terebraret ferrea scula,
Seu gladio pugnans carnes resecaret et ossa,
Sire eques atqus pedes propelleret agmina densa.
Hist. Gest. viœ nostri temporis Hierosolym., Duchesne, tom. IV, p. 890. En Bithynie Godefroy étrangla un ours de ses mains. Voyez Albert d'Aix, liv. IV.
[26] Albert d'Aix, liv. II.
[27] Dom Calmet, Histoire de Lorraine, tom. II, p. 372.
[28] Comparez le Cartulaire de Saint-Pierre de Beauvais, f° 83, et les Bénédictins, Art de vérifier les dates. Guibert de Nogent et Robert le Moine parlent aussi du duc de Vermandois.
[29] Regalem de qua ortus erat commendabat prosapiam. Robert Monach., lib. II. Apud inertissimos hominum Grœcos, de regis Francorum fratre prœvolarat infinita celebritas. Guibert, lib. II, cap. XIX.
[30] Robert le Moine, liv. II.
[31] Les chroniques parlent à peine de Philippe Ier durant toute la croisade ; il ne suivait pas la pensée de la génération, et on l'oublia. Consultez le Cartulaire de l'abbé de Camps, Règne de Philippe Ier.
[32] Comparez Guibert de Nogent, liv. Ier et Robert le Moine, liv. Ier.
[33] Cette chartre est une donation faite par Foulques, comte d'Anjou, Ier Cartul. S. Sergii Andeg. Dans l'abbé de Camps, ann. 1095.
[34] Annal. de Baronius et Pagi, ad ann. 1095-1096.
[35] Chronique Malliac., ann. 1096, et Yves Carnot, Epistol. 211, Spicileg., tom. V, p. 513.
[36] Extrait du manuscrit de l'abbé de Camps ; Collection Fontanieu, tom. VIII.
[37] Vita sanct. Arnulf. Suession. episcop., Duchesne, t. IV, p. 166.
[38] Suger a écrit la vie de Louis le Gros avec entraînement ; on doit un peu se défier de son enthousiasme ; mais où trouver des renseignements plus précieux que dans un contemporain qui assista à tous les actes de la vie de son seigneur ? Cet ouvrage de Suger est adressé à Gosselin, évêque de Soissons ; il a été la source de la chronique de Saint-Denis. Voyez Duchesne, tom. IV.
[39] Le souvenir de Charlemagne comme grand protecteur des églises vivait partout. Suger, liv. Ier.
[40] Ludovic. Vita apud Suger, liv. Ier.
[41] Chronique de Saint-Denis, ad ann. 1095.
[42] Février 1096. — Orderic Vital, Duchesne, p. 723.
[43] Ce concile a seize canons ; il est de 1096, et se trouve dans le Spicileg., tom. IV, p. 236.
[44] Voyez aussi la curieuse correspondance d'Yves de Chartres, ad ann. 1007-1099.
[45] Parcourez les tables de Bréquigny, ad ann. 1095-1099.
[46] Cette distinction entre les races se manifeste même dans les chroniques ; chaque comte a son historien. Raymond d'Agiles est le chroniqueur de la race du Midi ; Raoul de Caen l'est des Normands ; Robert le Moine, des Francs ; Albert d'Aix, de Godefroy et de la race lorraine. (Voyez Gesta Dei per Francos, Bongars, 1re partie.)
[47] Albert d'Aix est le plus précis des chroniqueurs sur la croisade de Godefroy de Bouillon ; clerc d'Aix-la-Chapelle, il a dû tout voir et tout suivre sur les bords du Rhin. Voyez Albert d'Aix, liv. II.
[48] Albert d'Aix est le chroniqueur principal du pèlerinage de Godefroy de Bouillon, liv. II.
[49] Albert d'Aix, liv. II. L'itinéraire de Godefroy, et ses rapports avec les Hongrois et les Bulgares ne se trouvent que dans Albert d'Aix. Foucher de Chartres donne également quelques détails topographiques sur la croisade : Fulcherii Carnotensis gesta peregrinantium Francorum cum armis, Hierusalem pergentium. (Bongars, p. 381.)
[50] Voyez dans Ducange, v° Peregninat., les privilèges des croisés.
[51] Une circonstance constate toute la sauvagerie du pèlerinage de Godefroy ; c'est que les autres comtes, francs, champenois, normands, provençaux, avaient des chapelains, des chroniqueurs ; tous écrivaient des chartres, épîtres ; le pèlerinage de Godefroy jusqu'à Constantinople n'a qu'un historien, Albert, chanoine dans le chapitre d'Aix-la-Chapelle, c'est-à-dire d'une cité des bords du Rhin. Il ne reste pas une seule chartre du barbare seigneur de Bouillon.
[52] Albert d'Aix, liv. II.
[53]
Albert, le chanoine d'Aix-la-Chapelle, a suivi jour par jour tous ces gestes :
aucun des historiens modernes des croisades n'est entré dans ces détails ;
comme ceux-ci voulaient donner à Godefroy de Bouillon une physionomie digne de
[54] Voyez dans l'Alexiade, liv. X, les précautions prises par l'empereur ù la nouvelle de l'arrivée de Godefroy. Anne Comnène dit peu de chose de Godefroy ; elle compte dans son année dix mille chevaliers et soixante-dix mille archers ou arbalétriers.
[55] Albert d'Aix explique encore les motifs qui portèrent Godefroy de Bouillon à accepter une convention avec Alexis. Voyez liv. II.
[56] Albert d'Aix, liv. II.
[57]
Nous autres Français, dit Foucher de Chartres, après
avoir parcouru
[58] Comparez Baronius et Pagi, ad ann. 1096-1097, et Robert le Moine, liv. I.
[59] Sur l'itinéraire des pèlerins, lisez Foucher de Chartres, liv. I, en le comparant toujours à Robert le Moine, liv. II.
[60] On a dit que l'origine des armoiries se reportait aux croisades : je crois qu'il faut distinguer : à toutes les époques, il y eut des signes pour reconnaître les chevaliers entre eux, quand ils avaient la visière baissée ; mais le blason héréditaire ne se montra, par tradition de race, qu'après la première croisade. Alors seulement commença la famille féodale. Je regrette vivement qu'on n'ait pas établi une école de blason, plus utile peut-être que d'autres travaux politiques : dans l'histoire, le blason était le certificat de civisme des familles.
[61] Sur la marche des Francs, comparez Robert le Moine, liv. I, Foucher de Chartres, si curieux, liv. I. Albert d'Aix n'offre plus aucun intérêt ; il n'a suivi que les Lorrains et Godefroy de Bouillon.
[62] Foucher de Chartres regrette quelquefois les belles prairies autour de sa cathédrale, liv. I.
[63] Ici commence le poétique chroniqueur de la race normande, Raoul de Caen ; il a été publié par dom Martenne, Thésaurus novus anecdotorum, tom. III, p. 108 ; mais la meilleure édition est celle de Muratori, Scriptor. rerum Italic., tom. V, p. 285.
[64] Voyez, sur la domination des Normands en Italie, la chronique du Mont-Cassin, publiée par M. Champollion-Figeac, liv. I et III. Sur cette famille des Guiscard, consultez également le travail de Ducange (les Familles normandes), Mss. Biblioth. royale, suppl. français, n° 1224.
[65] Les Familles normandes, par Ducange, Biblioth. royale, suppl. français, n° 1224.
[66] Anne Comnène, liv. V, parle longuement de la guerre des Normands contre les Grecs ; la jeune princesse avait présente à sa mémoire la renommée de Bohémond, Alexiade, liv. V.
[67] Consultez Raoul de Caen, chap. II à V.
[68] Raoul de Caen, chap. VIII.
[69] Raoul de Caen, Tancred. Gest., cap. VIII.
[70] Alexiade, liv. X. Anne Comnène reconnaît l'indomptable caractère des Normands ; les femmes mêmes combattaient. Voici ce qu'elle dit poétiquement de Gaïta, la femme de Robert Guiscard : Πλλάς άλλη καί μή Άθήνη, Alexiade, liv. I.
[71] Si pour la race normande j'ai trouvé Raoul de Caen, la race provençale a son chroniqueur spécial dans Raymond d'Agiles. Sa chronique a été publiée dans le Gesta Dei per Francos de Bongars, p. 425.
[72] Anne Comnène suppose un combat naval contre le comte de Toulouse : les chroniques n'en disent rien. Voyez Alexiade, liv. X.
[73] Raymond d'Agiles, liv. I.
[74] Raymond d'Agiles, liv. I.