FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME QUATRIÈME

CHAPITRE VI. — AFFAIBLISSEMENT DE FRANÇOIS Ier. - PASSAGE DE CHARLES-QUINT EN FRANCE.

 

 

Maladie du roi. — La duchesse d'Étampes. — La Ferronnière. — Le Dauphin. — Diane de Poitiers. — Catherine de Médicis. — Le duc d'Orléans. — Faste de la cour. — Les tapisseries. — Vêtements. — Orfèvrerie. — Chevaux. — Caparaçonnement. — Hiérarchie des officiers depuis le connétable jusqu'au fou du roi. — Fontainebleau. — Chambord. — Villers-Cotterets. — Charles-Quint demande le passage en France. — Révolte des Gantois. — Empressement de François Ier. - Envoi du Dauphin. — Charles-Quint en France. — Fêtes de la réception. — Voyage. — Séjour dans les châteaux royaux. — Entrée à Paris. — Fêtes et jeux. — Visite à Saint-Denis. - Craintes de Charles-Quint. — Hésitation. — Il arrive dans les Pays-Bas.

1538-1539.

 

Il y avait déjà bien longtemps de la captivité de Madrid, et cependant jamais le roi ne s'était complètement rétabli de la cruelle maladie qui l'avait atteint triste et captif ; elle avait laissé dans ses ravages de fatales empreintes de fièvre et de faiblesse[1]. Ceux qui pénétraient dans la vie intime du roi pour y chercher du scandale, aimaient à raconter que François Ier portait avec lui-même les atteintes de ce mal terrible que les Espagnols avaient transporté d'Amérique, et connu sous le nom de mal de Naples, une des villes les plus lascives sous la domination castillane. Ceci est narré par Brantôme et indiqué par Rabelais, autorités bouffonnes et sans gravité ; Brantôme, le faiseur d'anecdotes licencieuses, le vieux gentilhomme de Bourdeilles qui, comme tous les hommes épuisés, cherchait dans le récit de quelques anecdotes scandaleuses le souvenir des émotions perdues ; Rabelais qui passait sa vie à calomnier dans son style inintelligible ce qui était grand, et à railler avec cynisme tout ce qui s'élevait un peu au-dessus d'un sensualisme vulgaire. Toutefois il est certain que François Ier languissant sous les étreintes d'une maladie cruelle, n'avait plus celte énergie, cette force des premiers jours de son règne.

La dame aimée, la maîtresse en titre du roi était toujours la duchesse d'Étampes[2] (Anne de Pisseleu), cette fille delà cour de la reine dont François Ier s'était épris dans l'entrevue de Bayonne ; elle régnait en souveraine avec cet ascendant qu'une femme jeune et spirituelle prend toujours sur un homme qui voit s'en aller ses dernières émotions de jeunesse et d'amour. Ce n'était pas une femme sans dignité et sans intelligence que la duchesse d'Étampes, et il le faut nécessairement pour maintenir une influence de cœur sur les rois, qui peuvent à chaque instant changer de caprice. François Ier aimait sa causerie de femme, cet instinct pénétrant, cette facilité de juger et d'apprécier, qui le dispensait de toute peine, de toute fatigue de gouvernement ; enfin, la duchesse d'Étampes poussait à un point fort délicat le goût des arts, du faste et de la politesse, de manière à satisfaire les royales habitudes. François Ier eut néanmoins plusieurs fantaisies de prince, et l'on parla quelque temps de son amour pour La Ferronnière, la femme un peu obscure d'un avocat de Paris, d'une beauté et d'une coquetterie ravissantes, d'une mise moitié française et moitié italienne ; copie artistique de l'antiquité, et qui inventa le moyen de retenir par un réseau d'or avec une belle pierre au front ses cheveux flottants sur ses épaules ; La Ferronnière fut un caprice passager du roi qui revint presque aussitôt à la duchesse d'Étampes, sa belle maîtresse.

La mort du premier Dauphin, François, avait profondément remué les entrailles du roi, qui aimait cet enfant de prédilection, et à un plus haut degré que Henri, qui prenait le titre de Dauphin. A mesure que la vieillesse venait, François Ier sentait se fortifier chez lui cette répugnance malheureusement trop réelle des vieux rois pour le prince appelé à leur succéder, sorte d'avertissement de la mort. C'est ce qui explique une grande partie de notre histoire : les rois qui vieillissent, souvent entourés des froideurs et des malédictions publiques, entrevoient avec une jalousie naturelle les acclamations qui presque toujours saluent l'avènement d'un nouveau et jeune roi comme une espérance. Ceci les rend tristes et moroses ; or, de la tristesse et de la jalousie d'un monarque à la tyrannie, il n'y a qu'un pas facilement franchi. D'ailleurs il existait une cause incessante de discorde entre les deux maîtresses qui gouvernaient l'une, le roi, l'autre, le Dauphin. Par une bizarrerie indicible, le jeune homme aimait Diane de Poitiers, vieille déjà de quarante ans ; et le roi, son père, la duchesse d'Étampes, née le même jour où Diane de Poitiers s'était mariée. Ces deux femmes se complaisaient à se dire ces choses-là qui blessent, à se jeter leurs jalousies, leurs querelles à la tête ; l'une absorbait les derniers reflets d'un règne ; l'autre dévorait d'avance le premier éclat d'un nouveau.

Dans cette cour brillait naturellement Catherine de Médicis, la jeune épouse du Dauphin, belle aussi et jalouse de se voir préférer Diane de Poitiers, la divinité des forêts, l'étoile au front dans les chasses si souvent reproduites par l'art. A la cour de Florence, au milieu des Médicis, Catherine avait trop appris à dissimuler pour ne pas conserver son caractère rieur et distrait à la face même des déboires que la conduite du Dauphin pouvait lui faire subir. Italienne par le cœur, elle ne blessait personne, et se maintenait partout afin de dominer l'avenir ; esprit singulièrement propre au gouvernement des hommes, parce qu'on ne mène rien quand on heurte tout. L'habileté du pouvoir, quand il veut se maintenir, doit consister en un juste ménagement des idées et des passions, science à laquelle déjà s'habituait Catherine de Médicis ; soumise avec le Dauphin, caressante comme un enfant auprès de Diane de Poitiers, néanmoins elle mettait une coquetterie infinie à plaire à François Ier et à sa belle maîtresse, la duchesse d'Étampes. Comme le roi aimait à courre le cerf, et que, dans ces chasses bruyantes, il désirait qu'une cour nombreuse saluât les fanfares de la forêt, Catherine de Médicis ne laissait pas une seule chasse sans y paraître ; et le roi aimait cette jeune femme, suivie de ses damoiselles qu'elle assouplissait déjà à ses leçons, afin de faire servir leurs amours aux desseins de sa politique mitoyenne et conciliatrice.

Le dernier des fils de François Ier, qui avait pris le titre de duc d'Orléans, était fort préféré de son père, qui l'opposait au Dauphin. Depuis quelque temps l'espérance d'obtenir l'investiture du duché de Milan avait donné à ce prince une ambition tout italienne ; ne se croyant pas appelé à régner en France, il s'habituait à la langue et aux coutumes de la Lombardie ; jeune varlet, on le destinait pour époux à une fille d'Espagne, comme gage de paix entre François Ier et Charles-Quint. Avide de faste et de beaux-arts, le duc d'Orléans assistait à toutes ces fêtes, toujours le premier à rompre une lance ou à danser une sarabande espagnole. Quel luxe ! quel éclat dans cette cour où tout respirait l'amour des choses riches et nouvelles, depuis le roi jusqu'à la dernière des femmes de Catherine de Médicis ! Il suffit de comparer les miniatures des manuscrits, les gravures informes du temps, et les descriptions que les chroniques nous ont conservées, pour se convaincre que les arts qui favorisent l'industrie étaient poussés à de larges limites : les tapisseries qui couvraient les murailles des manoirs, les tentures d'or qui pendaient dans les campements royaux, étaient façonnées avec un art et un soin infinis qui désespèrent souvent l'industrie moderne ; l'or et la soie s'y mélangeaient dans des scènes du Nouveau Testament ou la reproduction des sujets choisis dans les poèmes grecs et latins. Les comptes de François Ier[3] constatent les prix élevés en escus d'or que coûtaient ces grandes tapisseries tissues en Flandre ou à Florence par d'habiles ouvriers. Des ordonnances fixent même les conditions de l'exportation de ces ouvrages d'art, de manière à ménager les droits du fisc, tout en laissant au luxe sa magnificence.

Cette splendeur se voyait sur les vêtements des gentilshommes, lorsqu'ils paraissaient à la cour vêtus de drap d'or, arec leurs armoiries sur la poitrine ; les pierreries scintillaient sur le justaucorps ou les habits serrés, et sur la toque qui ornait le front du roi et des nobles de la cour. Ici des entrelacements de perles, là des rivières d'émeraudes, de topazes, des torsades de l'or le plus fin entremêlé de diamants ; et puis au-dessus de tout cela, le collier de l'ordre, travail d'orfèvrerie le plus fini et le plus industrieusement façonné. Les chevaux eux-mêmes de noble race étaient caparaçonnés d'une manière brillante ; des treillis d'or sur leur chef ; des mailles de soie recouvraient leur poitrail et leur dos, si bien peigné par les écuyers et reluisant d'une façon magnifique ; les armures partout travaillées comme le bouclier d'Achille, les casques d'airain surmontés de hautes plumes, ainsi qu'on les voyait depuis Louis XII ; les cuirasses, les brassards trempés de fin acier. Luxe de repas sur les tables royales ; splendeur des fêtes et d'entrechocs de lances. Tel était l'aspect qu'offrait la cour, même dans les jours de maladie et d'affaissement du roi François Ier.

La hiérarchie des officiers du palais respirait la même magnificence, depuis le connétable jusqu'au maître d'hôtel, au roi des ribauds, ou bien au prince des fous. S'il faut convoquer les gens d'armes et leur étendard royal, accourez, monsieur le connétable, cousin du roi, afin d'arborer l'étendard fleurdelisé. Pour les galères, vaisseaux et galéasses, le connétable n'a pas juridiction ; c'est le fait de M. le grand amiral, dignité plus moderne. Le grand maître est le chef de tous les offices de la maison du roi, celui qui préside à Tordre et à la direction des palais. Les maréchaux, au nombre de trois seulement, obéissent au connétable comme ses lieutenants. Le son du cor annonce-t-il la chasse ? voici les fauconniers, veneurs, gardes du chenil et de la meute. Le roi veut-il monter à cheval ? l'écuyer s'avance pour tenir l'étrier et garnir de l'éperon son digne maître. Voyez cette magnifique table sur laquelle est servi le faisan féodal au plumage doré ? celui qui se tient debout derrière le roi, c'est le grand échanson ; il garde l'aiguière et le plat d'argent pour laver les mains du roi, et l'amphore, pour lui servir à boire dans sa coupe de chevalerie. A ses côtés est le panetier, toujours empressé au service. Le roi a-t-il besoin de quelques escus d'or dans son escarcelle ? c'est l'office de l'argentier. Le soin de sa chambre appartient au chambellan, et bous lui se montrent les pages, les fourriers, tout ce qui doit briller dans les palais du roi, comme des émaux dans ses armoiries.

Ne faut-il pas aussi qu'il y ait un peu esbattement et joie dans la vie du palais, quelques bons mots et satires bouffonnes ? Accourez d'abord, roi des ribauds ; faites maint jeu pour le plaisir et le délassement du suzerain ! Il y a aussi le nain et le fol du roi, accroupis comme des lévriers au coin de la table, et néanmoins jetant quelques bons conseils comme Pasquin et Marforio à Rome. Il faut toujours à un pouvoir despotique une certaine manière d'entendre la vérité ; bouffonne ou sérieuse, violente ou pacifique, il faut que la vérité arrive. Ici donc se révèlent les histoires des deux fous à titre du roi François Ier : Triboulet et Brusquet, qui jouent un si grand rôle dans les romans et Mémoires. Triboulet, qui appartient plus au règne de Louis XII qu'à celui de François Ier, était un pauvre enfant tout contrefait, né dans un faubourg de Blois, à côté de la cour d'Amboise, et dont les pages et les laquais abusaient déplorablement. Or, le roi Louis XII était bien bon, et comme il le vit ainsi tout contrefait, tout tourmenté, il en prit soin. Comment était-il ? Le voici : il avait la tête écornée, petit front, gros yeux, grand nez, estomac plat, bossu, et disant des bons et gros mots[4], jugements sains ; si bien que François Ier le prit à son service comme son fol, c'est-à-dire la bouche par laquelle passaient les vérités grossières ou fines qui, toutes néanmoins, portaient coup. Jamais le fol du roi ne fut obligé au silence ; plus il parlait, plus l'on riait de grand cœur, et souvent il y avait un bon sens extrême dans les dires de Triboulet, car le cynisme, qui se permet tout, rencontre souvent bien. A Triboulet succéda le Provençal Brusquet, médecin chirurgien, comme Rabelais, qui exerça son métier à Avignon, et vint au camp du roi, parmi les reîtres et les Suisses, dans la campagne contre Charles-Quint. Il donnoit aux hommes, comme le dit Brantôme, de bonnes médecines de chevaux, et cela fit sa réputation. Brusquet avait une grosse raison, une manière de voir sans préjugé, avec une sorte de philosophie gasconne ; et comme son œuvre il inventa le calendrier des fous, où il plaçait tous les hommes qui, par leurs fautes, leur étourderie, méritaient bien ce titre de fol, lequel désormais trouva sa place dans le jeu des tarots avec le pendu et le chevalier de la coupe. Celait le délassement de François Ier que ces jeux d'esprit du fol ou du roi des ribauds, quand le goût de la guerre surtout se fut altéré chez lui par des infirmités. Le repos lui avait donné plus d'entraînement pour les choses d'art, les bâtisses, les beaux jardins, et dans cette période on peut voir qu'il mit la dernière main à ses grandes créations artistiques : Fontainebleau, Chambord, Villers-Cotterets, Chenonceaux, véritable séjour de prédilection pour lui. Les vieilles tourelles de Clisson n'appartiennent pas à son époque, elles sont de Charles V ; Plessis-lès-Tours est la création de Louis XI ; Amboise, le palais de Louis XII j et chacune de ces habitations conserve le caractère du souverain. Fontainebleau se rattache à la première période de François Ier. Ce n'était d'abord qu'une immense solitude, ainsi que le disent les chartes : écrites et scellées au désert de Fontainebleau. Cette nature sauvage et agreste, ces rochers druidiques couverts de mousse qui datent de la création, ces sentiers tortueux où se perdit Philippe Auguste enfant, offraient un aspect de primitive nature. François Ier entreprit d'en faire un lieu de délices, il y dessina des pièces d'eau empoissonnées, des allées sablées à la manière de Florence et de Milan et des bâtiments copiés sur les dessins de l'école florentine et romaine : puis à côté de cela la forêt touffue se mariant au jardin plein d'arbres fruitiers, venus d'Italie et de Provence.

À Chambord, c'est une confusion de bâtiments pêle-mêle, grosses tours qui se rattachent aux pavillons, étangs et fossés aux pieds. Le roi veut détourner la Loire et la précipiter sous les murs de Chambord, pour y voir passer les nefs et les nautoniers. D'un genre moins italien que la maison d'Anet, Chambord est un mélange de châteaux féodaux et de constructions florentines ; on voit que les tours d'Amboise sont voisines et que l'architecte ne s'en est pas séparé. Chenonceaux, c'est Chambord plus petit : partout des statues, la sculpture se liant à l'art du moyen âge, et néanmoins conservant, à côté de l'art, ce sauvage aspect des forêts qui plaît tant aux rois des trois races. C'est le goût des vastes solitudes qui préside au château de Villers-Cotterets : sur la double frontière de la forêt de Compiègne et des bois touffus de l'Île-Adam, il faut que le hallali se fasse entendre, et que les jappements de la meute puissent retentir au loin contre le sanglier et le cerf.

Tout occupé ainsi de la magnificence de ses palais, dernières joies de sa vie, François Ier apprit une nouvelle pour lui curieusement importante. Charles-Quint, dans une lettre intime, lui demandait sauf-conduit et passage dans ses États, pour aller réprimer la révolte de Gand[5], l'une de ces cités de la Flandre qui obéissaient en murmurant à leur comte ! Ces villes de métiers corporés, avec leurs privilèges, leurs richesses, leur masse d'ouvriers, ne subissaient qu'en frémissant le joug de leurs seigneurs ; toutes les fois que ceux-ci tentaient d'amoindrir les privilèges bourgeois ou d'imposer des subsides nouveaux, les corps de métiers prenaient les armes pour se rébellionner ; et presque toujours dans ces circonstances, les rois de France, jaloux des ducs de Bourgogne, avaient prêté la main aux Flamands ; le souvenir d'Artevelle était présent à tous, et ces rois étaient les protecteurs tutélaires des cités flamandes. Les Gantois s'étaient révoltés à la suite d'un subside que la gouvernante des Pays-Bas avait mis sur eux ; rébellion d'autant plus redoutable qu'à un signal donné, toutes les villes de métiers, Liège, Ypres, Namur, pouvaient suivre l'exemple de Gand et se révolter contre Charles-Quint ; ce feu une fois répandu, François Ier ne l'attiserait-il pas comme sous Louis XI ? Cette préoccupation inquiétait Charles-Quint au fond de son palais de Tolède ; néanmoins il avait la certitude que si les Gantois s'étaient rébellionnés contre lui, François Ier avait refusé jusqu'ici un secours effectif, et le protectorat populaire ; préoccupé du désordre qu'avaient jeté le protestantisme et la révolte, le roi ne voulait pas favoriser l'insurrection même contre ses ennemis ; il avait peur de l'esprit général de son époque.

Cette idée de traverser la monarchie française pour se rendre dans la Flandre, qui pouvait l'avoir inspirée à Charles-Quint ? qui pouvait motiver cet abandon, cette confiance, ce laisser aller envers le captif plein de tristes souvenirs de Madrid ? D'abord Charles-Quint et François Ier, en pleine trêve, s'étaient vus aussi bien à Aigues-Mortes qu'à Marseille. Dans cette visite toute récente, il avait été question peut-être de ce voyage en France ; l'un et l'autre de ces princes s'étaient mutuellement tendu la main : y avait-il apparence que faussant la foi de chevalerie, ils se trahiraient aussitôt ? La voie de la mer était longue pour se rendre de Saint-Sébastien à Anvers, et Henri VIII alors dans sa plus fervente colère contre le frère de Catherine d'Aragon, pouvait le faire, enlever. Par l'Italie il fallait gagner le Rhin à travers les fiefs des princes d'Allemagne, la plupart luthériens, et profondément ennemis de Charles-Quint.

Le voyage en France était donc le plus court, le plus droit, et l'empereur connaissait assez le caractère de François Ier pour savoir qu'il tiendrait sa foi et sa parole. Le roi lui en avait donné une preuve, en lui envoyant la copie des lettres que les Gantois lui avaient écrites pour demander l'appui de la couronne : le roi l'avoit refusé pour ne pas donner lieu aux plaintes d'un ami, d'un allié, espérant qu'à son passage en France l'empereur concéderoit l'investiture du duché de Milan à son fils le duc d'Orléans, dont les traités avoient reconnu solennellement les droits. A cette lettre, Charles-Quint répondit d'une manière gracieuse, et dans des termes qui purent faire croire à François Ier qu'en traversant Paris l'investiture serait donnée à son fils bien-aimé, avec toutes les conséquences de la suzeraineté féodale.

Afin de rassurer complètement l'empereur sur les desseins et les volontés du roi, le Dauphin et le duc d'Orléans partirent de la cour de Fontainebleau, avec mission de se rendre sur les frontières espagnoles, au pied des Pyrénées. Le roi les donnoit comme otage à Charles-Quint, afin qu'il eût garantie que le sauf-conduit seroit exécuté dans toutes ses conséquences. L'empereur, au lieu d'envoyer les jeunes princes en Espagne, répondit au roi qu'il étoit aise de les avoir auprès de lui, et qu'il en feroit sa compagnie comme des fils de son meilleur ami et confédéré. Dès ce moment, le plus grand abandon régna dans toutes les démarches de l'empereur ; il traversa la France en souverain, au milieu des honneurs réservés aux rois[6] : devant lui on portait l'épée de commandement, et tout ce qu'il ordonnait était exécuté, comme si François Ier lui-même l'avait commandé. Ainsi justice, clémence, actes de souveraineté, tout fut scrupuleusement accompli ; les villes se parèrent des couleurs impériales, Bourgogne et Castille mélangés ; et l'on vit bientôt arriver le roi de France lui-même jusqu'à Châtellerault pour recevoir l'empereur dans toute la splendeur de sa couronne. C'était pour ainsi dire contre l'avis de son conseil que François Ier avait agi avec une loyauté si parfaite, À ce conseil réuni, les avis s'étaient prononcés d'une manière différente ; le cardinal de Tournon, esprit sérieux, politique habile, voulait profiter de la circonstance pour obtenir des avantages expressément stipulés : Puisque Charles-Quint auroit meilleur marché des Gantois en traversant le royaume de France, pourquoi ne lui feroit-on pas payer ce service par des concessions positives, non-seulement en lui imposant l'investiture du Milanois pour le duc d'Orléans, mais encore en stipulant des conditions nouvelles pour la Flandre ? Le connétable de Montmorency, par franchise militaire, ou en souvenir de quelques bontés que l'empereur avait eues pour lui, opina pour qu'on laissât toute liberté au monarque qui avait reçu loyalement le roi sur les galères à Aigues-Mortes. C'était plaire à François Ier, le prince qui poussait si loin cette sincérité de sentiments puisés dans les romans de chevalerie : trahir un hôte, c'était pour lui comme s'il avait porté traîtreusement un coup de lance au dos de son adversaire. L'avis du connétable prévalut, et cette délibération loyale excita quelques murmures parmi les politiques. François Ier voulut les tourne ? en plaisanterie ; or, s'adressant à son fou de cour, Brusquet, il lui demanda ce qu'il faisait là. Je place, dit le bouffon, sur mon livre des fous, l'empereur Charles-Quint qui vient en France se mettre au pouvoir d'un adversaire !Et que dirois-tu, répliqua François Ier, si l'empereur avoit raison, si c'étoit moi qui le laissât passer dans mon royaume ?Ce seroit votre nom que je mettrois sur mon livre à la place de celui de Charles-Quint. Et ici le bouffon exprimait l'opinion vulgaire, celle qui ne comprenait pas la nuance délicate d'honneur qui portait un roi à respecter le prince qui noblement se confiait à sa foi de gentilhomme.

Le roi mit une sorte d'orgueil à montrer la puissance et la force de cette France qui faisait la jalousie du grand empereur ; il y avait de la politique dans ce faste, parce qu'il fallait prouver qu'à travers les longues guerres, les sacrifices répétés, le peuple était encore riche, heureux, et que, dans une crise nouvelle de bataille, il pourrait se présenter en armes contre les bandes espagnoles, italiennes ou allemandes. Tout cela fut révélé avec courtoisie, ainsi qu'il était écrit dans les vieilles chroniques et chansons de gestes ; Charles-Quint portait le même nom que Charlemagne, et toute la chevalerie était alors avide de légendes sur le grand empereur. Ceux qui ne connaissaient pas personnellement Charles-Quint furent surpris de le trouver trapu, petit, un peu boiteux et lourd de sa personne ; et en le comparant aux traditions laissées sur Charlemagne, sa taille gigantesque, sa longue barbe, ils ne pouvaient croire que ce fût là son successeur, le souverain de tant de domaines, le prince de si vastes États. Partout où l'empereur séjournait on lui présentait les clefs de la ville ou des châteaux. Il siégeait pour rendre la justice. L'intention était encore de faire contraste avec la triste manière dont François Ier avait été traité dans sa captivité d'Espagne ; si ses chaînes étaient d'or, elles n'en étaient pas moins des chaînes ! A Amboise, à Blois, à Fontainebleau, comme à Chambord, il y eut des fêtes, des tournois, où les dames rivalisèrent de parure, de velours, de soie garnis de point de Flandre. Les comptes de dépenses de François Ier s'en ressentent pour cette année ; les châtelains se ruinèrent en empruntant aux Florentins et aux Génois des sommes considérables. En Espagne, si l'on exceptait quelques églises aux souvenirs arabes, les palais royaux étaient sombres, et tous ressemblaient à des monastères. Charles-Quint dut être fortement étonné en parcourant ces jardins ornés de belles statues, ouvrages des meilleurs artistes, au milieu des cascades jaillissantes, des nappes d'eau, comme il en avait vu à Milan et à Florence ; et la surprise fut plus grande encore lorsque les échevins et le parlement vinrent l'inviter, au nom du roi, à visiter Paris, la capitale ; les métiers avaient hâte de montrer leurs privilèges ; orgueilleux de leur sainte cathédrale, de leur hôtel de ville, les bourgeois voulaient faire procession devant l'empereur,, et rendre ainsi témoignage de leur puissance. Charles-Quint promit de les visiter ; en effet il fit son entrée avec pompe par le bois de Vincennes, la Bastille et la porte Saint-Antoine[7].

A mesure qu'une intimité plus grande s'établissait entre Charles-Quint et le roi de France, les ministres et les favoris, il s'engagea naturellement des causeries sur les affaires d'État. Le roi de France espérait obtenir, en échange de sa courtoise réception, l'investiture du duché de Milan, objet de si longues et de si coûteuses contestations. Plusieurs fois le roi s'en était ouvert à Charles-Quint, et celui-ci répondait avec mesure : Que la France ne pouvoit être le lieu d'une libre concession, car l'on diroit cette investiture nulle par absence de liberté, et n'étoit-ce pas d'ailleurs le motif qu'invoquoit François Ier pour se dispenser d'exécuter le traité de Madrid ? La position seroit identique, et il ne falloit pas s'y exposer ; mieux valoit attendre que l'empereur fût librement rendu dans la Flandres, où, avec son conseil, il pourroit spontanément concéder l'investiture. Inquiet déjà que l'on prît pour de la mauvaise foi ces réflexions naturelles, l'empereur craignit un moment quelques mesures déloyales. Une certaine hésitation se peignait souvent sur les traits contractés de sa physionomie ; chaque action il l'interprétait comme un acte de violence ; à la suite d'un bal à Amboise, il se manifesta les symptômes d'un incendie, et Charles-Quint craignit qu'on ne l'eût fait exprès pour se débarrasser de lui. Une autre fois un morceau dé bois fut détaché d'un haut édifice et froissa sa tête de manière à lui faire une blessure ; l'empereur, profondément affecté, ne dit rien, il grimaça même un sourire. Enfin un jour, aux Tournelles, dans les vergers qui entouraient la cour, Charles-Quint, à cheval, sentit sauter derrière lui en croupe un chevalier qui, le serrant fortement, lui dit d'une voix timbrée ; Sire empereur, vous êtes mon prisonnier. Le roi se tourna avec saisissement, et il reconnut le petit espiègle duc d'Orléans qui avait fait un jeu de cela, de manière à l'effrayer sérieusement. Charles-Quint lança un de ces sourires significatifs qui veulent être insouciants et qui témoignent néanmoins une mélancolie soupçonneuse.

Cette sorte d'état mal à l'aise se manifestait constamment au front de l'empereur. François Ier ne fut pas le demies à s'en apercevoir, et dans ses épanchements, soit qu'il voulût se venger des tourments de Madrid, soit qu'il voulût rassurer les craintes de l'empereur, en rappelant sans cesse l'objet de ses soupçons, il lui dit, en lui montrant la duchesse d'Étampes, sa maîtresse : Mon frère, vous voyez bien cette dame qui est là-bas ? eh bien, elle me conseille de ne point vous laisser partir sans avoir obtenu de vous les modifications au traité de Madrid. Et l'empereur répondit d'un ton moitié railleur, moitié sérieux : Eh bien, pourquoi, sire, ne suivez-vous pas ses bons conseils ? Des Mémoires ont écrit que, loin de négliger cet avis, Charles-Quint voulut s'assurer l'appui de la duchesse d'Étampes, et que, prêt à se laver les mains, avec une galanterie exquise, il laissa tomber par terre un diamant de prix, et comme la duchesse se baissait pour le ramasser et le rendre à l'empereur, le prince lui dit : Gardez-le, madame, en souvenir de moi. Et depuis ce moment-là, ajoutent les Mémoires, la duchesse d'Étampes fut décidément favorable à Charles-Quint. Il faut se défier de ces anecdotes que Brantôme a réunies dans ses loisirs de gentilhomme fatigué ; il devait être d'un prix inestimable, ce diamant, pour qu'il pût séduire la maîtresse d'un roi magnifique, accablée elle-même sous le poids des pierreries ! Au contraire, la duchesse d'Étampes partagea jusqu'à la fin l'opinion de cette partie du conseil qui voulait profiter du passage de Charles-Quint pour modifier le traité de Madrid ; elle ne pouvait en changer pour une bagatelle, serait-ce même pour quelques mille doublons d'or. D'autres motifs déterminèrent donc le roi à garder sa loyauté envers un hôte si puissant qui s'était livré tout entier à sa foi.

Les deux monarques accomplirent un vœu solennel en venant saluer les tombeaux de Saint-Denis, grand sépulcre des rois. Ce séjour de la mort plaisait à Charles-Quint ; il appartenait par ses émotions à l'école flamande, qui place les ossements du sépulcre sous une rose, ou un enfant endormi sur une tête de mort vide et sonore. En passant par Aix-la-Chapelle, n'était-il pas descendu au caveau de Charlemagne, pour mesurer de son corps sa vaste tombe ! L'empereur y était resté deux heures entières à méditer sur la puissance de ce génie : à Saint-Denis, solennelle visite aux morts, il indiqua du doigt la tombe de Philippe Auguste, le cercueil vide de saint Louis, et remontant plus haut, il chercha Clovis et Pépin que les caveaux de Saint-Denis abritaient depuis des siècles. La cour était nombreuse, avec un caractère grave et silencieux ; l'abbé de Saint-Denis portait la mitre pontificale, car il ne relevait que de Rome : le clergé, avec ses dalmatiques, précédait Charles-Quint et François Ier, tous deux méditatifs devant l'égalité du tombeau ; autour d'eux, la jeunesse joyeuse de pages, le grave chancelier, le connétable, l'épée haute : que de religieuses et grandes pensées surgirent là ! Combien de temps seraient-ils encore rois de la terre ? Bientôt le bruit du ver du sépulcre serait la seule fanfare autour de leurs corps dévorés comme sur la vieille pierre des cathédrales ! Que de néant dans les grandeurs humaines !

La visite de l'abbaye de Saint-Denis fut le dernier acte du séjour de Charles-Quint en France ; accompagné par le roi jusqu'à Compiègne, il prit hâtivement la route de Flandre ; et à travers la satisfaction que lui faisait éprouver la chevaleresque réception du monarque et du peuple, on dut remarquer que l'empereur ne parut complètement rassuré que lorsqu'il toucha ses propres domaines. Sa figure s'éclaira tout d'un coup ; cessant de se contraindre, il poussa un de ces soupirs de soulagement et de liberté que nul ne peut saisir et comprendre que lorsqu'il a passé par cette épreuve d'une contrainte longue et pénible. Il avait eu besoin de simuler la joie et la confiance, et il n'avait ni joie ni confiance ; chaque fois qu'on lui pressait la main, il semblait qu'il sentait des liens se nouer autour de lui, et ses membres frissonnaient à travers un sourire. Il avait sur le front une de ces rides qui sont comme un témoignage permanent d'inquiétude, comme une empreinte de tourments intimes que rien ne peut effacer ; à chaque pas un frisson, à chaque démarche une peur. Cet horizon épais s'éclaircit tout à coup, lorsque enfin Charles-Quint toucha le territoire de la Flandre, et lorsque la gouvernante des Pays-Bas, sa sœur bien-aimée, vint le presser dans ses bras et le saluer du titre de César et d'Auguste.

 

 

 



[1] Lettres autographes de la reine Éléonor à François Ier. — Bibl. du Roi, Cabinet de Gagnières, Ms. in-fol. sans n°, p. 73.

J'ay sceu, monseigneur, parce que mons. le grant maistrem'a escript que vous estes trouvé mal esoyr d'un desvoyement d'estomac, dont je ne seroye me garder de porter autant d'anhuy que l'oblygacion d'amour que j'ey à vous m'y contrainct et net possible monseigneur que j'eye nul repostant que de la veryté ne soye asseurée et que Dieu vous ayt faict la grâce et à moi ousy de vous rendre bonne et parfayte santé ; j'envoye Babou vers vous par lequel, mgr. vous playra me fayre antandre de vos nouvelles. Je prieray notre Seigneur, mgr., vous donner très bonne et longue vie. Vostre très humble et très obéissante fame. Léonor.

Monseigneur, je ne vous saroys dyre la joye et playsir que m'ont donné voz tant bonnes et graeyeuses lettres dont très humblement vous remereye, vousavysant, mgr. que Dieu mercy, je me trouve maynteuant bien seyne et que pour avoyr leyze de vous voir, fera la mylyeur dilygence quelle pourra. Votre très humble et très obéissante fame. Léonor.

[2] J'ai trouvé deux lettres autographes de la duchesse d'Étampes au connétable de Montmorency dans les Mss. de Béthune, vol. cot. 8546, Bibl. Roy. Je conserve l'orthographe.

Mons. je vous remercye humblement de la souvenensse cavez heu de moy m'envoyant visiter par votre fyl et quant à achever le maryage en commenssé de luy et de ma niepce, il prendra fin quand il vous plaira, et tant asuré que fere pour luy selon vostre grandeur et la meson il est sorty. Mons. je suis assurée quand j'auré le byen de vous voyr, nous nous accorderons bien. M. d'Estampes poursuyt tousjours le procès quy l'a commensé contre moy, mes que je saiche quy seront mes juges, je vous supplye de m'ayder, à garder mon bon droyt qui sera l'endroyt où je me recommanderay très humblement à vostre bonne grasse, en suppliant le créateur, mons. vous donner heureuse et longue vye. De Paris le 2e jour de décembre.

Votre très humble servante. Anne de Pisseleu.

Mons. je vous reraercye byen humblement de la souvenansse cavez de moy en m'escryvant de vos nouvelles et puisquy vous plet savoyr des myenes. Je suis en ceste vylle en atendant que mosyeur d'Estampes me fasse appeler en jugement pour me défandre, car notre cause est myse au rosle, etc. De Paris le 3e jour de février. Anne de Pisseleu.

[3] (Décembre 1538). A Nicolas de Troyes, argentier du roy, pour dellivrer à Galliot d'llebrancques, marchand flourentin, pour son payement des draps, toilles d'or et d'argent et de soye, devant de cottes, manchons faits à broderies d'or et d'argent, qu'il a au mois de juing dernier passé, fournyes et livrées en lad. argenterie, pour les robbes, cottes, doubleurs et bordeures d'icelles, à mesdames les Daulphines et Marguerite de France, et autres dames et damoiselles de leur maison, ausquelles le roy en a fait don à ce qu'elles fussent plus honorablement vestues, à cause de l'entrevue qui s'est faite au dit moys de juing et de juillet, entre notre sainct père le pape, l'empereur et notre seigneur le roy, 11.610 liv. 47 sols.

A Melchior Bailif, marchant de Bruxelles, pour son payement de cinq pièces de tapisseries à or et soye, esquelles sont figurées cinq aages du monde, contenant ensemble quatre vingt huit aulnes trois quarts, que le roy a luy mesmes achetées dudit Bailif, et d'icelles fait pris et marché à 25 sols l'aune, et lesquelles cinq pièces de tapisseries ont été aulnées en la présence du seigneur de la Bourdoisière, et délivrées es mains de Salomon et Pierre des Herbains, tapissiers dud. seigneur, pour les garder avec les aultres meubles de Fontainebleau. Pour ce à prendre sur les deniers de l'espargne, 1.775 liv.

(1539). A Allard Plommyer, marchant joyaulier, pour son payement d'un collet de veloux noir, enrichi de rubis et perles rondes et chesnes d'or, ung livre d'heures escript en parchemin, enrichi de rubis et turquoises, couvert de deux grands cornalynes et garni d'un rubis servant à la fermeture d'iceluy, ung autre petit livre d'heures, aussi en parchemin, enrichi de diamans, rubis et esmeraudes ; un myroir d'argent doré, enrichi de plusieurs pierres et une chesne d'or, esmaillée de rouge cler, que le roy a reçues et retenues en ses mains et luy mesmes fait pris et marché à la somme de 4.680 escus soleil, 3.655 livres.

(Comptes de François Ier, Archives du royaume.)

[4] Jean Marot, dans le Siège de Pesquaire, trace ainsi le portrait de Triboulet :

. . . . . . . . . . . . . . . De la tête écorné,

Aussi saige h trente ans que le jour qui fut né,

Petit front et gros yeux, nés grant, taille à voste,

Estomac plat et long, hault dos à porter bote,

Chacun contrefaisait, chanta, dansa, prêcha,

Et de tout si plaisant qu'onc homme ne fâcha.

Triboulet mourut avant 1536. On trouve son épitaphe dans les poésies latines de Vulteius, imprimées en 1558 à Paris, par Simon de Colines.

[5] François Ier se hâte de répondre à Charles-Quint. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, vol. cot. 8437, f° 76.

Mons. mon bon frère ; encore que saiche certainement le zèle et singulier amour que vous avez et portés au bien, salut et conservation de la république chrétienne et la plus grande et principale affection que vous ayez soit d'entendre premièrement à cela et y employer votre personne, vos forces et le surplus de pouvoir que Dieu vous a donné, chose digne de vous et très requise et nécessaire en la d. chrétienté. Toutesfois, mons. mon bon frère voyant la saison si avancée comme elle est le commencement de l'yver entre qui vous peult donner beaucoup de fascherie et d'ennuy, faisant en Italie votre passaige par mer, il m'a semblé pour le devoir de l'entière amitié que je vous porte et pour le regret que j'auroye que incontinent advint en votre personne vous supplier et requérir tant affectueusement et de cueur qu'il m'est possible ne l'exposer au péril et danger de la mer. Mais faire tant pour moy et pour ceste notre commune et fraternelle amitié que de prendre votre chemin et adresse par votre et mien royaume, qui vous sera occasion de visiter vos Pays-Bas, chose qui ne pourra de riens retarder ou reculler votre bonne et saincte délibéracion de pourveoir aux affaires du Levant qui pour ce temps d'y ver ne requièrent votre présence, ny ne sont en danger d'aucun inconvénient comme vous sçavez et si pourrés en peu de temps donner ordre et provision aux affaires de vos d. Pays-Bas qui en ont besoing, a quoy de ma part je n'employerai et vous y donnerai tel ayde et secours que pour mes propres affaires ainsi que je l'ai offert à la reine de Hongrie, ma bonne sœur, voulant bien vous asseurer mons. mon bon frère, par ceste lettre signée de nia main, sur mon honneur et en foy de prince, et du meilleur frère que vous ayez que passant par mon d. royaume, il vous sera faict et porté tout l'honneur recueil et bon traitement que faire se pourra et tel que à ma propre personne ; et vray, s'il vous plaist me le faire scavoir, au devant de vous jusques au milieu de vos pais pour vous quérir et accompagner et y meneray mes enfîans que trouverez prests à vous obéir, dedans au d. royaulme duquel vous disposerez comme du vostre.

Votre bon frère, François.

[6] Il existe plusieurs relations imprimées, aujourd'hui très-rares, des honneurs donnés à l'empereur ; en voici les titres :

Triumphe d'honneur faitz par le commandement du roy à l'empereur, en la ville de Poictiers où il passa venant d'Espaigne en France, pour aller en Flandre, le 9 e jour de décembre, l'an mil cinq cens XXXIX. Au vray, avec privilège. On les vend à Paris, en la grande salle du Palais, au second pillier, par Jehan du Pré libraire.

La triumphante et excellente entrée de l'empereur, faicte en la ville d'Orléans, par le commandement du roy, ou est contenu Tordre gardé et observé en icelle, avec la harangue faicte par le baillif d'Orléans à l'empereur, et la responcede l'empereur audit baillif. On les vend à Paris, en la grande salle du Palais, au premier pillier devant la chapelle de messieurs les présidons, en la boutique de Charles Langelier.

S'ensuivent les triumphants et honorables entrées faictes par le commandement du roy très chrestien Françoys premier du nom à la sacrée majesté imperialle Charles V de ce nom, toujours auguste, ès villes de Poictiers et d'Orléans. Item le honorable acueil que lui fait le d. roy très chrestien, a son entrée du chasteau de Fontainebleau. Item la complaynte de Mars dieu des bataylles, sur la venue de l'empereur en France, par Claude Chappuys, varlet de chambre du roy. On les vent à Lille, par Guillaume Hamelin librayre demourant sur le marché au blé aud. Lille.

[7] Voyez l'ordre tenu et gardé à l'entrée de très hault et très puissant prince Charles empereur, tousjours auguste, en la ville de Paris capitale du royaulme de France ; l'ordre du banquet fait au palais, l'ordonnance des joustes et tournoy faict au château du Louvre, la description des arcs triomphants, magnificences, théâtres et mystères faits en icelle ville, pour la réception dud. seigneur, avec privilège, 1539. On les vend au palais ès boutiques de Gilles Corrozé et Jean Dupré, libraires. — Description de l'entrée de Charles-Quint en la ville de Paris, 31 décembre 1539. - Reg. du parlement. Bibl. Roy., Mss. de Béthune, vol. cot. 8575, f° 31.