Depuis Vespasien, la conquête romaine s'était étendue plus
spécialement vers l'Asie et l'Afrique, Il s'était alors opéré un changement notable dans le gouvernement des empereurs. Dioclétien, en plaçant le siège de l'État à Nicomédie, préparait le partage du monde romain en deux empires, l'Orient et l'Occident. Constance habitait Arles, tandis que Constantin restait à Byzance. La politique des empereurs fut désormais celle-ci : quand ils ne pouvaient parvenir à vaincre les barbares, à les arrêter dans leur marche, ils se contentaient de leur payer un tribut[2]. Les empereurs de la dernière époque placèrent même dans les légions romaines des corps tout entiers de ces hommes vigoureux au teint blond, aux cheveux flottants, qui naguère combattaient contre l'empire. Les légions perdirent ainsi leur caractère purement romain : le principe militaire qui avait fait la force des empereurs fut dénaturé. Enfin, pour civiliser et soumettre les barbares, on essaya de les coloniser en leur distribuant des terres sur les frontières, au cœur de l'empire même, de sorte qu'ils devinrent maîtres d'une portion de territoire soumis à l'administration de Rome ; quand ils avaient dépeuplé une contrée, on les acceptait comme colons[3] ; il en résultait encore un affaiblissement de la puissance des empereurs. Que pouvaient désormais les légions romaines contre l'invasion des barbares, quand elles avaient dans leurs rangs des chefs et des soldats qui appartenaient à ces tribus ? Les envahisseurs devaient trouver aussi des appuis, des auxiliaires naturels parmi les colons d'une même origine qui déjà peuplaient les territoires frontières avec leurs troupeaux, leurs familles. Ces causes expliquent la facilité des invasions dans l'empire romain. La première irruption, celle des Allemans, fut une
réaction, comme l'histoire en présente à toutes les époques. Refoulées
jusqu'au Danube, les tribus germaniques revinrent sur En présence d'un péril si pressant, le César Julien,
récemment associé à l'empire, fut envoyé dans les Gaules. Les cités, les
municipes le reçurent avec enthousiasme. Julien fixa sa résidence à Lutèce,
point central parfaitement choisi pour la défense commune ; il y fit dresser
un vaste camp militaire[6] près du palais
des Thermes. Dans ses épîtres, le César fait l'éloge de Lutèce ; s'il blâme
en philosophe austère, la légèreté des mœurs des Gaulois, il célèbre en même
temps leur piété envers Diane, Mars et Apollon ; il gémit des progrès du christianisme.
Ce fut avec l'appui de quelques légions recrutées parmi les Gaulois que
Julien résolut sa campagne en Germanie : victorieux, Dans ce terrible quatrième siècle, il semble que la terre
enfante des myriades de peuples qui se heurtent les uns les autres. Les Goths
étaient-ils originaires de la Scandinavie[7], de cette grande
presqu'île que Procope appelle la matrice du genre humain, vaginam generis humani ? Venaient-ils de
l'Asie, de ces vastes plateaux d où partirent toutes les migrations ? Sans
rechercher les origines dans les traditions fabuleuses, les Goths ne furent
peut-être que les vieux Gètes, habitant les bords du Danube et du Borysthène
et qui, poussés par d'autres barbares, couvrirent d'abord Dans les immenses déserts de Devant leur invasion, il se fit comme une grande et
horrible cascade de peuples : les Huns se jettent sur les Alpins, les Alains
sur les Goths, les Goths sur les Sarmates, et tous marchent ou fuient par la
terreur qu'ils s'inspirent mutuellement. Petits,
hideux de traits et de forme, dit Claudien, les
Huns ne combattent jamais à pied quand ils quittent la tente, ils sont à
cheval[8]
: ils y donnent, ils y mangent ; dans les batailles,
ils se servent de la flèche armée d'os pointus aussi durs que le fer, lancée
d'une main vigoureuse par l'arc bandé[9]. Ce fut un
terrible spectacle que ce mouvement des peuples accourant depuis les sources
du Gange jusque sur le Danube et le Rhin ; en vain les Alains et les
Visigoths veulent arrêter les Huns : vaincus et refoulés, les Goths
demandèrent aux empereurs de passer en Thrace pour échapper aux barbares. Les
Vandales et les Alains réfugiés dans les Gaules ravagèrent toute la première
Germanie : les cités de Strasbourg, de Mayence, de Worms et de Spire tombèrent
dans cette destruction, puis les provinces de l'Aquitaine, Il faut lire dans les auteurs contemporains la description
des maux horribles que subit Saint Jérôme n'habitait point les Gaules, mais son génie
littéraire le mettait incessamment en rapport avec les cités gauloises et
leurs hommes d'intelligence. Dans une lettre écrite à une dame d'Autun, saint
Jérôme fait le tableau des grandes calamités de l'Occident ....Des nations féroces et innombrables ont envahi les Gaules.
Toute l'étendue de pays qui est entre les Alpes et les Pyrénées, entre
l'Océan et le Rhin a été ravagée par les Quades, les Vandales, les Sarmates,
les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Bourguignons, les
Allemands et même, ô malheureuse république ! par les Pannoniens....
Mayence, cette ville autrefois si illustre, a été
saccagée et plusieurs milliers de ses habitants ont été égorgés dans
l'église. Worms a été détruite après un long siège, Reims, autrefois si
illustre, Amiens, Arras, Tournay, Spire, Strasbourg, toutes ces places ont
été prises et leurs chefs menés captifs dans Salvien, l'orateur si hardi dans la peinture des vices de
son temps, attribue aux mauvaises mœurs le châtiment fatal que subit Ainsi les évêques des Gaules, génies ardents, en rappelant les malheurs publics, cherchaient à corriger les âmes et à préparer la résistance des cités. La plupart issus des grandes familles gallo-romaines, chefs des municipes et des curies, les évêques donnaient l'exemple du dévouement : ils exhortaient le peuple à une défense nationale et leur patriotisme partout éclatait. Quand ils ne pouvaient repousser les barbares, ils cherchaient à les apaiser,, à les attirer vers la civilisation chrétienne. Les premiers de ces nomades qui donnèrent l'exemple d'une transaction avec les citoyens ce furent les Bourguignons et les Visigoths. Les Bourguignons[14] s'étaient établis dans les terres qui s'étendaient depuis Autun jusqu'à Genève en face de l'Italie : les Visigoths dominèrent l'ancienne Province romaine jusqu'à Narbonne, les Pyrénées et même en Espagne[15]. L'époque de ces troubles profonds, comme contraste, vit l'amour de la solitude. Jamais siècle n'avait présenté une convulsion plus étrange des multitudes ; et de ces agitations naquit la vie monastique. Pour les âmes fatiguées le bruit est importun ; on cherche le repos lorsque partout le heurtement des armes se fait entendre. Les églises devinrent des asiles pour les faibles : autour de la châsse d'un saint, on se groupa pour se préserver ! Les hommes éminents du monde romain fuirent jusque dans le désert : aux agitations incessantes ils opposaient le repos silencieux : à la destruction un certain esprit de conservation : il n'y eut plus de sentiment moral qu'à l'abri des cellules. Tout grand fait social a sa cause : nulle idée nouvelle ne surgit et ne se propage si elle n'a son principe et sa justification dans l'utilité ou la nécessité ; quand les nations marchaient errantes, à l'aventure, les âmes d'élite cherchaient le repos et l'ordre ; il n'y avait plus de frein par les lois, on s'imposait des règles volontaires et ici se révèlent trois hommes d'une rare distinction, saint Martin de Tours, saint Germain d'Auxerre et Cassien, l'organisateur véritable de la règle monastique en Occident[16]. Dans la primitive société gallo-romaine un ordre régulier
existait par la triple action des magistrats, des municipes et des évêques.
Quand cet ordre disparut sous l'invasion, il fallut chercher à restaurer la
règle. A la fin du quatrième siècle, quelques rares monastères florissaient
dans les Gaules et saint Martin fonda celui de Tours, type d'organisation :
la vie commune, la modestie, la résignation. Mais les véritables fondateurs
des ordres monastiques furent Cassien de Marseille et Germain d'Auxerre.
Cassien, moine de Saint-Lerins[17], n'était point
gaulois. Un vieux livre, d'office de saint Victor de Marseille le fait naître
à Athènes la ville policée : tout jeune il quitta Ainsi, sur les débris de l'administration romaine s'élevait l'organisation ecclésiastique : métropole, succursale, abbaye, paroisse. Les évêques interviennent seuls pour défendre la cité, les barbares étaient pénétrés de respect en présence de ces hommes vénérables sous leur mitre d'or et leur vêtement de lin. Quand une ville était menacée, qui faisait entendre la voix d'une courageuse défense ? l'évêque. Le tombeau du martyr devenait le palladium autour duquel se groupait le peuple[20]. L'église donc s'emparait de cette société abandonnée, et rien de plus légitime que l'autorité qui naît des grands services. Au commencement du cinquième siècle, époque où les Francs
apparaissaient, la géographie des Gaules s'était sensiblement modifiée.
Indépendamment de la classification gallo-romaine, l'invasion des barbares
avait déterminé d'autres limites, groupé d'autres nationalités. Le peuple qui
avait poussé le plus loin ses conquêtes, surtout vers l'extrémité méridionale
des Gaules, c'étaient les Visigoths ; leurs établissements s'étendaient au
delà des Pyrénées, sur une fraction de l'Espagne ; ces peuples avaient
apporté avec eux-mêmes de certains principes de civilisation ; les Goths
n'étaient plus des barbares[21] dans l'acception
du mot. Depuis deux siècles en rapport avec les Byzantins, sur le bas du
Danube et le Pont-Euxin, ils en avaient gardé l'empreinte ; chrétiens déjà,
les évêques, profondément versés dans le droit romain, formulaient un code de
lois ; la plupart des cités restées municipes gardaient la magistrature
civile ; les possessions territoriales des Goths s'étendaient depuis les
Pyrénées presque jusqu'à A côté des Visigoths, et pour ainsi dire sur leur flanc,
les Bourguignons s'étaient groupés depuis Mâcon jusqu'à Genève et aux Alpes.
Un moment même, ils prolongèrent tellement leur pointe vers le Midi que Marseille
reconnut leur souveraineté[22]. De cette
manière leur territoire était placé entre les Visigoths et les Lombards,
maîtres de l'Italie. Les chefs des Bourguignons, également sous le titre de
rois, résidaient à Lyon (cité bien déchue de
sa splendeur), à Dijon ou à Genève. Les Lombards, moins avancés dans
la civilisation que les Visigoths, étaient la plupart dévoués à l'arianisme[23], dogme qui
paraissait plaire aux barbares par sa simplicité ; tous d'origine vandale,
ils avaient conservé profondément l'empreinte du nord de l'Europe ( La domination suprême des empereurs, considérée dans
l'exercice réel du pouvoir, n'était même pas toute effacée de Sur l'extrême territoire, vers les rives de l'Océan, les
Bretons s'étaient maintenus[26]. Les invasions
des barbares les avaient à peine atteints ; ils formaient un peuple a part,
dont Angers était la limite. Le christianisme pénétrait lentement ; on peut
voir dans Ainsi, en résumant les faits : le territoire de Les antiquités nationales sont un patrimoine si sacré pour
Quelques années plus tard, des tribus franques
traversèrent les Gaules pour transmigrer en Italie et en Espagne. Elles
obtinrent de l'empereur Probus de grandes terres en Belgique moyennant le
cens payé au fisc romain. Les Francs bientôt reprirent les armes, et, à
l'exemple des antiques Gaulois, ils vinrent jusque dans Ainsi, l'établissement des Francs dans les Gaules ne se
fit pas à la suite d'une irruption soudaine, comme le dit l'histoire
vulgaire, mais lentement, peu à peu, comme pour des colonies régulières. Deux
ans après, l'empereur Constance attaque les Francs réfugiés dans Julien accouru dans les Gaules, nous l'avons vu, pour
arrêter la marche des Sarmates, fit la paix avec les chefs saliens qui
colonisèrent le Brabant. Le nord des Gaules devint ainsi le territoire aimé
des Francs. Beaucoup furent incorporés dans les légions par Constance. Sorte de tours immobiles et hautes, dit Libanius[35], qu'il plaça au milieu de ses prétoriens. Du sein de
ces braves légions sortit Arbogaste, destiné à finir la guerre que l'empereur
Julien avait commencée contre les Allemands. Arbogaste dompta les Huns et les
Goths avec une valeur et une habileté supérieures. Il protégea Ce fut en présence de cette colonisation moitié romaine
que les Francs choisirent des rois ou chefs d'une manière plus fixe et plus
régulière. Rex ne signifiait alors que
conducteur d'hommes, chef de tribus ; et, sur cette transformation, je
laisserai parler les bénédictins, si savants annalistes : L'an 406, les Vandales, les Alains, les Suèves, passent le
Rhin le 31 décembre et entrent dans les Gaules qui, depuis cette année
jusqu'en 416, furent désolées par les ravages de ces barbares. On place vers
l'an 418 le commencement de l'empire des Francs dans les Gaules. Divisés jusqu'alors
en différents peuples et gouvernés par des rois particuliers, ils se réunirent
pour ne former qu'une nation sous un même chef : ils élurent Théodemer, fils
de Ricimer ou Richemer, qui fut consul en 384[38]. Clodion n'était pas fils de Théodemer comme porte
l'épitomé de Grégoire de Tours, mais de la même famille que ce prince, auquel
il succéda l'an 427 ou environ. La chronique de Tiro-Prosper et l'auteur des
Gestes des rois français mettent entre ses deux rois, Pharamond, inconnu à
Grégoire de Tours, dont le silence à cet égard semble devoir prévaloir sur
leur témoignage. Les bénédictins, ces critiques puritains de l'histoire de France, n'admettent donc pas d'une manière certaine Pharamond parmi les rois. Mais la chronique de Saint-Denis, plus facile, souvent un peu romanesque, dit : Marchomires eut un fils qui eut nom, Pharamons, noble chevalier[39] et preus en armes ; les Français, qui voulaient avoir un roy prirent ce Pharamons par le conseil dé Marchomires, son père : seigneur et roy le firent sur eux, et lui laissèrent le pays à gouverner. Pharamons fut le premier roi de France, car en ce temps n'avaient oncques roy. Il gouverna le royaume tout comme il vesqui ; mort fu quant il eut régné vingt ans[40]. Les bénédictins continuent : L'an
432, les Francs ayant passé le Rhin, furent défaits par Aëce, qui, après les
avoir vaincus, leur accorda la paix. Elle fut rompue l'an 438, et Clodion
enleva Beauvais aux Gallo-Romains avec plusieurs autres places voisines[41]. L'an 445, il se rend maître de Tournai, de Cambrai,
pousse ses conquêtes jusqu'à La chronique de Saint-Denis, trop patriotique pour
raconter cette victoire des Romains, parle même de leur décadence : Dès lors commençoit jà l'empire de Rome à abbaisser et à
décheoir, et la force des Romains qui souloit estre comparée a force de fer
estoit jà chéue en la fragilité qui est comparée à pos de terre... Les Romains ne tenoient plus de toute Gaule fors cale
partie qui est enclose entre Loire et le Rhin[42]. Les
bénédictins, dans l'Art de vérifier les dates, continuent la liste des
rois avec un soin plus critique que la chronique de Saint-Denis : Si Clodion est ce roi des Francs dont parle le rhéteur
Prisque, et dont il met la mort en 450, il laissa deux fils qui se
disputèrent la couronne. Le cadet, que quelques-uns croient être Mérovée,
vint en ambassade l'an 432 (et non 450) à Rome où Prisque le vit, legationem
obeuntem. Il y fut bien accueilli de l'empereur Valentinien III. Clodion,
fils de Pharamond porta les cheveux longs sur le trône, et c'est par lui que
les Francs ont commencé d'avoir des rois à longue chevelure. Clodius filius
Pharamundi rex crinitus regnat super Francos, Ex hoc Franci crinitos
reges habere cœperunt. Cet usage, à ce qu'il parait, dura tout le temps
de la première race de nos rois. Les Francs l'avaient apporté de Germanie et
le regardaient comme une marque d'indépendance. La coutume en tout pays était
de couper les cheveux aux esclaves. La chronique de Saint-Denis (sous le titre : Du tiers roy (le troisième roi) qui eut nom Mérovée, et de laquelle la première génération sorti) ne consacre que quelques lignes à ce règne : Quant le roy Glodio eut régné vingt ans, il païa le tribut de nature. Après lui régna Mérovée. Ce Mérovée ne fut pas son fils, mais de son lignage. De lui sortit la première génération des rois de France.... Mort fut le roy Mérovée après qu'il eût régné dix-huit ans[43]. Childéric Ier succéda l'an 458 à Mérovée, son père. L'année suivante, il fut contraint de descendre de son trône par sa mauvaise conduite, et se retira en Thuringe : Un fils eut le roy Mérovée, continue la chronique, nom de Childéric ; couronné fu après la mort de son père, mais il ne commença pas à régner moult gracieusement ; haïestoitde ses barons pour les vilennies et les hontes qu'il leur faisoit, car il prenoit à force leurs filles ou leurs femmes quant elles lui plaisoient pour accomplir les délis[44] de sa char, et pour cest raison le chascièrent hors du royaume. Les grandes chroniques racontent comment les barons firent
roi Gilon[45]
le Romain : Après qu'ils eurent chascié le roy Childeric,
puis comment le roy Childeric fut rappelé et Gélon bouté hors. Le roi
accrut son royaume jusqu'à Orléans et Angers (c'est
toujours le même mélange des deux races latine et francque). Les
Romains, malgré leur décadence, exerçaient encore un certain prestige sur les
barbares. Gilon survécut peu au retour de Childéric,
disent les bénédictins, une maladie épidémique
l'ayant emporté au mois d'octobre 464. Mais les Francs s'accordèrent avec les
Romains pour lui substituer son fils Syagrius. D'un autre côté Adovacre ou
Odoacre, roi des Saxons, fit une descente dans les Gaules par l'embouchure de
On découvrit, en 1665, son tombeau, nous l'avons dit, tout
plein de médailles, de haches d'armes, de massues avec deux têtes de bœuf qui
constatent que le christianisme n'était pas accepté par les chefs
mérovingiens. Le bœuf était l'éternelle image d'Apis, le dieu qui présidait
aux funérailles ; la tête de cheval était le symbole des traditions d'Odin ;
le guerrier ne mourait pas tout entier ; le cheval était placé à côté de lui
pour le servir après la mort comme durant la vie. La chronologie donnée par
les bénédictins jette quelque clarté sur cette époque confuse ; elle fait
connaître ces rois ou chefs qui avaient placé le siège de leur gouvernement
entre Tournay, Cambrai et Soissons où reposent les ossements gigantesques de
ces rois, les débris de ces armures, de ces joyaux, colliers, bagues jetés
dans la sépulture avec quelques figurines des dieux de Les colonies de Francs ne cessaient pas d'être en rapports
continuels avec les Gaules romaines, toujours influentes sur la destinée des
barbares. Parmi les Gallo-Romains s'élève la figure d'Aëtius, né en Mœsie, et
que l'empereur Valentinien avait chargé de la protection des Gaules[47] ; latin par les
formes et les études, barbare par l'énergie et le courage, Aëtius exerça une
dictature sur les Francs et les Bourguignons. Ce n'était pas trop de toutes
les forces réunies pour détourner l'orage terrible qui menaçait les Gaules : Aëtius
dut réunir toutes les tribus. Le moment était suprême : Attila, le chef des
Huns, approchait des provinces gallo-romaines ; entouré d'un respect superstitieux
par les Tartares presque comme le Dieu de la guerre, Attila menait groupés
autour de lui, les Vandales, les Gépides, les Ostrogoths et même quelques
tribus franques germaniques attirées par son prestige et par l'appât du butin[48] : on s'exagérait
les richesses de En présence de cette destruction, Francs, Goths, Romains,
Armoricains, Bourguignons réunis se placèrent volontairement sous le préfet
Aëtius à qui l'empereur venait de confier la province gallo-romaine. Mérovée,
roi des Francs, Théodoric, roi des Goths de A son départ l'évêque, comme inspiré, avait dit au peuple
d'Orléans alarmé : Attendez, voici venir le secours
de Dieu. Le secours ne manqua pas. La poussière des campagnes de Cette victoire d'Aëtius sur Attila grandit nécessairement la puissance romaine dans les Gaules. La tactique des vieilles légions s'était réveillée pour triompher encore une fois. Aëtius glorifiait l'étendard de l'empire, comme Bélisaire l'avait fait triompher en Afrique et plus tard le patrice Narsès en Italie : les Francs et les Goths, auxiliaires des Romains, devaient donc accepter tôt ou tard l'influence du christianisme, la religion grecque et latine. Les évêques avaient rempli une mission suprême dans la résistance : leur ascendant municipal s'accrut avec celui des idées romaines 1 Comme on jouissait de quelque repos dans les diocèses, les évêques établirent la foi d'une manière permanente et le témoignage du triomphe chrétien se manifesta par l'érection des basiliques. Dans l'opinion du peuple, les tombeaux et les châsses des saints avaient sauvé les cités : à Bourges, à Tours, à Orléans. Une fois délivrés des barbares, les habitants voulurent constater la reconnaissance publique : sur le tombeau de saint Martin de Tours, il n'existait à l'origine qu'une petite chapelle : l'évêque Perpetus, la trouvant indigne du saint sacrifice, prépara la construction dune basilique de cent soixante pieds de long, sur soixante de large, avec trente-deux fenêtres du côté de l'autel et cent vingt colonnes dans l'intérieur : huit portes s'ouvraient à la foule qui venait prier nuit et jour. A Autun, une autre magnifique église s'éleva en l'honneur du martyr saint Symphorien ; à Clermont, fut bâtie la cathédrale de cinquante pieds de haut[54] ; à la manière des basiliques romaines elle était précédée d'un pronaos ou baptistère à colonnes tout en marbre travaillé avec beaucoup d'art : la population heureuse, avait l'espérance qu'après la retraite d'Attila, la paix de la cité serait à jamais assurée. Le chef des Francs auxiliaires d'Aëtius dans la bataille
livrée contre Attila, nous le répétons, était Mérovée, de la même famille que
Clodion le chevelu. Après lui donc il gouverna les tribus des Saliens,
fidèles à l'alliance de l'empire, sans en adopter complètement les idées et
les usages : les Francs conservaient la religion de leurs ancêtres.
Très-attachés à leurs dieux comme à une pièce de leur armure, les Francs
n'avaient pas, à l'imitation des Bourguignons, adopté le christianisme : Les Francs, dit Grégoire de Tours, se faisaient des images, des eaux, des oiseaux, des bêtes
sauvages et s'accoutumaient à les adorer[55]. Toutefois, à
mesure qu'ils fondaient une colonie, les Francs devaient se rapprocher des
évêques, pour conquérir l'appui du peuple gallo-romain : n'étaient-ils pas
les premiers et les grands citoyens, les chefs des sénats et des municipes ?
Tant que vécut Mérovée, il conserva l'alliance des Romains représentés par
Aëtius qui inspirait une confiance indicible aux populations diverses de A Mérovée succéda Childéric, qu'on disait son fils, né
d'une concubine : telle était alors l'influence gallo-romaine sur les Francs
que ces libres tribus préférèrent à Childéric, le comte romain, Egidius (Gilon) : Childéric un moment exilé vint se
retremper dans les forêts de Les évêques, les hommes politiques du temps, aidèrent tous Clovis dans son œuvre ; persécutés par les Ariens plus cruels et plus durs que les païens, ils avaient besoin d'un appui[57]. Si les Francs chevelus étaient encore fidèles aux dieux de leurs forêts, au moins ils n'étaient pas persécuteurs et les évêques espéraient que pour consolider leur établissement, tôt ou tard ils adopteraient la foi catholique : car les Francs étaient trop liés avec les Gallo-Romains pour ne pas accepter leur civilisation : le baptême deviendrait le symbole de l'alliance définitive entre les deux peuples. Cette tâche suprême était réservée à saint Remy, évêque de Reims. Il y eut bien des incidents, des obstacles, avant que la monarchie de Clovis ne se fît l'héritière de la puissance romaine dans les Gaules en recevant le baptême. |
[1] Les colonies frontières étaient Cologne, Trêves, Metz, Liège, Tournay.
[2] Le premier des empereurs qui paya ce tribut avec régularité fut Aurélien.
[3] On a beaucoup écrit sur l'origine et la colonisation des barbares dans l'empire romain : les travaux les plus sérieux, les plus achevés sont encore les Mémoires de l'ancienne Académie des inscriptions, tome IV à VIII.
[4]
Voyez Asinius Quadratus dans Agathias, liv. I, cap. VI.
[5] Zosime (liv. III) dit que c'était une multitude de barbares.
[6] On a trouvé des vestiges de ce camp dans le jardin du Luxembourg. Quelques ruines du palais des Thermes sont conservés.
[7] Comparez sur l'origine et l'histoire des Goths : Jornandès, de reb. Goth., cap. III, IV et XVII, avec Isidore, Chronic Goth. — Procope, de bello Gothor., surtout l'immense érudit Grotius in Prolegom. ad Hist. Goth.
[8] Zosime, lib. IV, cap. XX, dit : que les Huns ne savaient pas se tenir à pied, mais toujours à cheval.
[9] Voici le portrait que Claudien trace des Huns dans son latin incorrect :
Turpes habitus, obscæna que visu
Corpora mens duro numquam cessura labori
Præda libus vitanda Ceres frontemque sicari,
Ludus et occisos pulchram juvare parentes, etc.
[10] Grotius est très-important à consulter.
[11] Les Bénédictins ont placé ce poème dans les œuvres de saint Prosper ; Carmen de Providentia, inter opera sancti Prosperii.
[12] Hieronymi, Epist. ad Ageruchiam.
[13] Le livre de Salvien porte le titre de Providentia (lib. VI, p. 233). La meilleure édition est celle de Paris 1594.
[14] Une grande fraction des Bourguignons avait embrassé la foi catholique mêlée à l'arianisme.
[15] La loi des Visigoths fut tout entière rédigée sous l'influence des évêques.
[16] La vie de Cassien et ses règles sont du plus grand intérêt.
[17] Il était placé dans l'île qu'on appelle aujourd'hui Saint-Honorat, près de Fréjus. Il faut la distinguer des îles Sainte-Marguerite : elle est appelée par Strabon Planesia et par Sidoine Apollinaire, Insula plana.
[18] De l'antique abbaye de Saint-Victor, il ne reste aujourd'hui que l'église et la crypte.
[19] C'est un beau livre de gouvernement (Institutio monastic., lib. I).
[20] On peut s'en convaincre par la lecture des fragments publiés par Dom Bouquet, dans le Ier volume du Hist. gallic., la si précieuse collection.
[21] Déjà nous l'avons dit, sous Valens, lors de l'invasion des Huns, les Goths avaient demandé à l'Empereur un asile : Ut partem Thraciæ sive Mœsiæ, si illis traderet ad colendum, ejus legibus viverent ; ils avaient même promis de se faire chrétiens : promittunt se si doctores linguæ suæ donaverit, fieri christianos. (Jornandès, chap. XXV.)
[22] Orose (lib. VII, cap. XXII).
[23] Quelques-uns des rois étaient catholiques.
[24] Plusieurs même furent consuls. Je les ai indiqués dans mes Fastes consulaires, mémoire couronné par l'Institut.
[25] Les médailles de cette époque confuse sont bien rares : sur la langue et la littérature des Gaules il n'y a rien de plus parfait que l'Histoire littéraire des Bénédictins, in-4°.
[26]
Les limites de
[27] Ainsi s'exprime Sidoine Ajtollinaire dans son latin corrompu. (Avit. 369.)
Quin et Armoricus piratam Saxona tractus
Sperabat ; impelle salun sulcare Britannum
Ludus et assisto glaucum mare, frindere lembo.
[28] Comparez les ingénieux systèmes de Freret, Dubos, Mabli, sur l'origine des Francs. Montesquieu s'est laissé entraîner à beaucoup d'antithèses et de discussions passionnées. Consultez surtout les premiers volumes des Mémoires de l'ancienne Académie des inscriptions.
[29] Cette origine est acceptée par tous les historiens du dix-septième siècle.
[30] Les Bénédictins en ont recueilli le texte grec.
[31] Le vieux chant des légions a été conservé dans son texte : Mille Sarmatas semel, semel occidimus mille, mille Persas quærimus.
[32] Zosime, Annal.
[33]
Les terres ainsi concédées portèrent le nom de Lætique.
[34] Le rhéteur Eumenius célèbre les victoires de Constantin.
[35] Libanius, Elog, Julian.
[36] J'ai donné exactement le consulat de Stilicon dans mon mémoire sur les Fastes consulaires, couronné par l'Institut.
[37] Comparez Sidoine Apollin., liv. IV, Ep. 17, avec Zosime, liv. IV. Toute la partie byzantine des événements est parfaitement résumée.
[38] Les Fastes consulaires contiennent plusieurs noms des chefs francs. J'ai rectifié ces fastes.
[39] C'est le langage du temps de Charles VII.
[40] Chronique de Saint-Denis, chap. IV, sous ce titre : Comment et quant la cité de Paris fut fondée et du premier roy de France.
[41] Art de vérifier les dates, tome II, in-4°.
[42]
Les grandes Chroniques de Saint-Denis, cet admirable monument de notre
histoire, ne sont pas contemporaines des événements qu'elles racontent : le
texte épuré date de Charles V, mais elles étaient composées sur les documents
les plus sérieux par les moines de l'abbaye.
[43] Mss., Bibliothèque impér.
[44] Délices.
[45] Egidius dans la langue latine.
[46] Les Bénédictins procédaient à leur travail en rapprochant et en comparant tous les textes, il en résulte sans doute une haute critique en histoire, mais peu de couleurs : les Chroniques de Saint-Denis au contraire prennent de toutes mains, elles ont l'intérêt d'une légende ou d'une chanson de Gestes (roman de chevalerie).
[47] Aëtius était d'origine scythe ; il avait pour père Gaudentius, chef de la milice de Valentinien ; lui-même avait servi dans les gardes de l'empereur.
[48] Les récits sur cette expédition d'Attila sont fort obscurs : rien de complet n'est parvenu jusqu'à nous. On doit bien regretter que l'exact poète Sidoine Apollinaire n'ait pas pu tenir sa promesse de raconter l'histoire des expéditions d'Attila : Exægeras mihi, ut promitterem tibi, Attilæ bellum stylo me posteris intimaturum ; cœperam scribere, sed operis arepti fasce perspecto tæduit inchoasse.... (Sidon. Apollin., liv. VIII, Epistol. XV, p. 326.)
[49] On trouve dans le panégyrique d'Aëtius écrit en latin très-barbare un tableau coloré des ravages de l'invasion d'Attila ; le roi des Huns inspirait une telle terreur que la plume des écrivains tremblait.
[50] Voir mes Fastes consulaires.
[51] Il ne faut pas le confondre avec saint Germain de Paris. Fortunat a écrit sa vie recueillie par Mabillon, Acta sanctor., tome I.
[52] Comparez Vit. S. Lupi Anianensis et S. Genovefœ, Dom Bouquet, t. III, page 644.
[53]
Catalanum, littéralement le Chalonais
(Châlons), dépendait alors de la métropole de Reims ; il porta le nom de Duro Catalanum, D'Anville est toujours le savant
qu'il faut consulter pour la géographie de
[54] Il faut lire Grégoire de Tours pour l'histoire pittoresque et chronologique de la fondation des cathédrales, liv. VI, chap. I.
[55] Grég. de Tours, liv. Ier. Il existe, sur la religion des Francs, un excellent mémoire dans le recueil de l'Académie des inscriptions.
[56]
Le systématique abbé Dubos traite tout cela de fable, d'invention de Grégoire
de Tours, quelle preuve en donne-t-il ? Quels sont les monuments qu'il invoque
? La critique de Fréret est plus sûre et plus ferme.
[57] Il faut voir l'histoire des persécutions des Ariens contre les Catholiques dans Sidon. Apollinar.. lib. VII, ad Basiliam.