Les œuvres littéraires de Charlemagne. — Débris de ses lettres. — Ses vers. — Biographie d'Alcuin. — Angilbert. — Leidrade, archevêque de Lyon. — Agobard. — Turpin, archevêque de Reims. — Théodulfe, évêque d'Orléans. — Malard, abbé de Corbie. — Angésise, abbé de Fontenelle. — Félix, évêque d'Urgel. — Saint Benoît d'Aniane. — Écrivains obscurs. — Les études à la fin du règne de Charlemagne. — Ce qu'il fit pour la science. — Théologie. — Philosophie. — Écoles et bibliothèques monastiques. — Types de la science germanique. — Saint-Gall. — Fulde. — Mayence. — Écoles austrasiennes. — Metz. — Verdun. — Neustriennes. — Saint-Germain de Paris. — Corbie. — Saint-Martin de Tours. — Écoles italiennes. — Le Mont-Cassin. — La mort du diacre lombard Paul. — Préparation du siècle littéraire de Louis, fils de Charlemagne. — Hincmar, archevêque de Reims. — Loup, abbé de Ferrières. — Pascase Radbert. 800-814. Tel est le privilège des hommes qui ont puissamment marqué dans l'histoire, ils absorbent l'esprit de toute une époque ; le siècle prend leur nom ; il n'y a de littérature, de poésie, d'histoire, qu'à l'abri de leur renommée. Ainsi fut à Rome le siècle d'Auguste, ainsi est au moyen fige l'époque de Charlemagne ; à côté des vastes conquêtes, plus haut que l'organisation politique, se montre l'influence incontestable de la science, un désir immense, universel de l'agrandir, une entraînante passion pour les vieilles études. Quand j'ai parlé des guerres glorieuses de Charlemagne, j'ai dd dénombrer les comtes vigoureux qui prirent part à son œuvre de bataille ; maintenant, il me paraît essentiel de voir quels furent les hommes qui contribuèrent au mouvement de civilisation. Dans ce point lumineux qui se place entre la première et la troisième races, il y a quelques célébrités d'intelligence qu'il faut arracher à l'oubli des âges, et ce travail fera le complément naturel de ces annales. Je vais parler d'œuvres mortes, d'idées qui ne répondent plus à rien de ce qui préoccupe la civilisation actuelle ; j'aurai à dire comment des générations entières allaient aux écoles monastiques écouter les dissertations subtiles, hélas ! moins subtiles peut-être que certaines idées sur les droits et les prérogatives des pouvoirs modernes. Charlemagne, à l'imitation des hommes supérieurs, voulait dominer la littérature de son époque avec la même force qu'il avait mise à créer l'empire. Sa nature n'était point destinée à l'étude ; presque continuellement dans les longues campagnes, quel temps pouvait-il donner à la lecture et à la méditation des livres ? Et cependant il a laissé des œuvres recueillies avec un soin religieux[1]. Les capitulaires ne sont point des monuments littéraires, ils n'ont aucune empreinte du progrès des lettres ; ce sont des actes législatifs successivement créés pour les circonstances. Quelques-uns même, que les compilateurs ont omis, ceux que Goldast seul a recueillis, monuments rares et précieux, ne sont et ne peuvent être considérés que comme de simples chartres[2] : des comtes vigoureux, nés de la race des Saxons, ont accompagné l'empereur dans sa guerre contre les Sarrasins d'Espagne ; Charlemagne leur distribué, par un capitulaire dicté à son cancellarius, des terres considérables en Thuringe, avec le droit de faire travailler aux mines d'or et d'argent[3] ; ici, c'est un autre acte dicté par l'empereur au profit de la cité de son amour, Aix-la-Chapelle ; il fait lui-même le récit de l'antique origine et des brillants privilèges qui décorent la ville d'Aix[4]. Une autre fois, il exalte le titre de noble parmi les Francs et les Germains ; puis il devient poêle en décrivant les crimes énormes qui se commettent en France et en Italie : ces crimes ont attiré la colère de Dieu, sa patience est à bout, et il veut les extirper en établissant la peine du feu pour les misérables auteurs de tant de calamités[5]. Au dernier siècle il se fit un mouvement de pèlerinage pour retrouver les œuvres de Charlemagne ; les Bénédictins, dom Marlène et dom Durand parcoururent l'Italie de ville en ville pour rechercher les traces des capitulaires et les documents de l'époque carlovingienne[6]. Dom Mabillon les avait précédés, et cet examen des bibliothèques produisit d'heureuses découvertes dont l'érudition a depuis profité[7]. Les lettres de Charlemagne furent recueillies, il en existe une bien intéressante dictée par lui ; elle est adressée à Élipande de Tolède et aux évêques d'Espagne ; il s'agit de l'hérésie de Félix d'Urgel frappée par le concile de Francfort : Combien l'avantage de l'unité religieuse n'est-il pas immense ! quoi de plus merveilleux et de plus saint que le catholicisme, pourquoi briserait-on cette admirable autorité ? N'étaient-ils pas assez malheureux de vivre au milieu des Sarrasins d'Espagne ? Leur erreur était une plus triste chose encore ; elle venait d'être unanimement condamnée par un concile d'évêques représentant toutes les églises de l'empire. Embrassez cette décision des conciles, en esprit de paix, ne vous croyez pas plus savants que l'église universelle. Ainsi s'exprime Charlemagne dans la lettre revêtue de son scel[8]. L'empereur se fait et reste théologien dans une explication curieuse qu'il donne de Sexagésime, Septuagésime et Quinquagésime, noms ecclésiastiques des trois dimanches qui précèdent le Carême. Le voyez-vous ! Il est alors roi des Français et des Lombards, patrice de Rome et tout occupé de guerres ; il discute néanmoins comme un évêque sur les jours consacrés par l'église[9] : il y a constamment du merveilleux dans ce génie ! La plus curieuse de ces lettres indique son noble amour pour les études ; il veut que des écoles soient ouvertes dans toutes les églises : Mettez à la tête de ces écoles des hommes capables ; et le fier suzerain sorti des forêts énumère ici longuement les avantages de la science[10], la mère et la source de toutes choses. On sent déjà l'intelligence qui a parcouru l'Italie, l'ami d'Adrien, le patrice de Rome ! Sans doute quelques-uns de ces actes furent l'œuvre des clercs qui environnaient Charlemagne ; mais, lui, ne donne-t-il pas une noble impulsion au mouvement scientifique ! il y travaille incessamment, il fait dresser un recueil d'homélies pour servir aux églises, et à la tête de ce livre il écrit une préface : quel est son but, quel dessein se propose-t-il ? Il veut prouver que l'étude est la première condition du devoir ; il revient sur sa vie entière, et s'il trouve des éloges pour son œuvre, c'est qu'il a fait quelque chose pour les sciences[11] ; on dirait, à voir sa vie active, qu'il est tout occupé de conquêtes, tout préoccupé d'ajouter quelque nouvelle terre à son vaste empire : ici dans la guerre contre les Huns, là contre les Sarrasins et les Saxons ; eh bien, dans ses œuvres, rien ne révèle le conquérant ; tout se ressent du législateur et du prince studieux. On voit qu'il se complaît, lui si grand, à la science théologique ; le croirait-on ? il fait un petit traité sur les sept dons du Saint-Esprit[12] ; il descend jusqu'à la plus minutieuse dissertation pour encourager le mouvement des études ; il n'entre dans la lice que pour la rendre plus sérieuse et plus éclatante : quoi d'ailleurs de plus haut que les dissertations sur les attributs de l'esprit saint ? Les anciens philosophes avaient-ils reçu le don de l'esprit ? Charlemagne le nie. On ne peut recevoir quelques-uns de ces dons sans les recueillir tous. Quelquefois l'empereur dépose dans le sein de ses confidents ses grands projets d'avenir ; il écrit à Angilbert, auquel il donne le nom mystérieux d'Homère, pour qu'il aille trouver le pape Léon dans une mission intime : Bien des fautes existent dans l'église, il faut arracher l'ivraie pernicieuse de la simonie ; il offre l'argent nécessaire pour élever une basilique à saint Paul dans Rome[13]. Les discussions sur l'esprit font l'objet d'une nouvelle lettre au pape ; elle forme presqu'un petit traité dogmatique, dissertation fort détaillée qui semble venir d'un clerc plutôt que d'un homme de guerre[14]. Le temps présent, dans ses superbes dédains, ne comprendra pas qu'un empereur puissant soit descendu à ces subtilités ; ce n'est pas la plaie d'un seul pouvoir et d'un seul temps de se perdre en subtilités ; chaque époque a ses choses puériles, ses dissertations enfantines sur les mystères de l'autorité : au VIIIe siècle, Charlemagne fut théologien ; à une autre époque, il eût été politique. Le voici maintenant poète ; il scande les vers latins, l'idiome scientifique de cette génération : traduire les œuvres de la langue commune et romane en latin était une habitude qui remontait à la première race. La chanson guerrière des Francs armés n'était-elle pas traduite en latin ? La douce et funèbre épitaphe d'Adrien, adieu d'un fils à un père, fut l'œuvre de Charlemagne, ainsi qu'un petit psautier envoyé au pape, et qui contient tout un poème à l'éloge du pontificat ; protecteur des hommes de science, il aimait à aller vers eux, à les attirer à lui. Le diacre Paul Warnefrid s'est retiré sur le Mont-Cassin pour y vivre de l'existence des ermites ; Charlemagne lui adresse quelques vers élégiaques pour qu'il vienne de nouveau dans son palais ; on dirait Auguste écrivant à Virgile[15] ; si Alcuin se retire de la cour, car il est vieux et cassé, Charlemagne lui écrit comme à son maître et à son docteur : Père, vous avez pris le parti de la retraite et vous avez bien fait ; aidez-moi par vos prières à parvenir au bonheur éternel. L'empereur est à Rome, et il dicte encore de la ville éternelle quelques vers familiers pour le solitaire du Mont-Cassin, Paul Warnefrid : Pourquoi n'est-il pas venu le voir à Rome ? Pourquoi a-t-il négligé son ami ? Le suzerain puissant se fait grammairien ; il commence une sorte de lexicon en langue tudesque[16], il y rattache les mots latins. Ce travail de comparaison, il l'établit sur une vaste échelle ; il corrige de sa main les exemplaires de l'Écriture ; il fallait qu'il fût parvenu à un haut degré de perfection dans l'étude des langues, puisque ses annalistes ont pris soin de noter que roi et empereur il revit avec un soin extrême les quatre évangiles sur le texte grec et la version syriaque[17]. Il savait donc les langues orientales à ce point qu'il traduisait les évangiles de l'hébreu en langue tudesque. Critique vigilant, il compare les évangélistes entre eux, les ponctue, les rectifie. Quelquefois on aime à contempler les esprits supérieurs dans les petits travaux ; ils font trêve à leur destinée : c'est encore lui qui dicte et dirige les livres carolins sur le culte des images ; il explique le sens du concile de Francfort, opposé à la religion des arts ; c'est un terme moyen entre l'école iconoclaste, qui ne veut la représentation d'aucune forme, et l'opinion de quelques Grecs artistes qui proclament l'adoration des images aussi sainte que la trinité même[18]. Il est difficile qu'un homme supérieur ne se mêle pas aux disputes de son temps ; lorsque surtout il est appelé à gouverner la société, il ne peut rester en dehors des opinions qui s'agitent autour de lui ; ceux qui régissent les hommes doivent se pénétrer même de leurs passions ; Charlemagne se servait habituellement de la langue tudesque, et il existe encore de lui dans cet idiome un formulaire de confession. Il est certainement curieux en histoire de voir l'activité laborieuse de cette haute intelligence ; les détails de la vie ne lui font pas peur, il se comptait dans cette tache littéraire qu'il s'impose avec ses amis et ses confidents. C'est un trait de ressemblance que l'histoire retrouve dans tous les conquérants ; ils aiment à s'entretenir avec les hommes de littérature et de science, ils ne dédaignent pas ces causeries sérieuses ou attrayantes ; ne savent-ils pas qu'une nation n'est grande et forte que par les œuvres de l'esprit : eux-mêmes, que seront-ils si l'histoire ne s'empare pas de leur renommée ? La plus éclatante illustration qui brille à côté de Charlemagne, comme l'expression des sciences et des lettres, ce fut Alcuin, élevé au titre d'abbé de Saint-Martin de Tours[19]. Il était né en 755, dans la province d'York, de parents nobles et riches ; un de ses frères fut évêque de Salzbourg ; il mérita le nom d'aigle[20] par la science et le génie ; l'école d'York, si forte, si sérieuse, nourrit l'enfance scientifique d'Alcuin[21] ; à York on enseignait le latin, le grec et l'hébreu ; de disciple il devint maitre, d'étudiant bibliothécaire ; il fut diacre de l'église d'York, digne sœur de l'église de Cantorbéry, et toutes deux desservies par les moines de Saint-Benoît. Sa renommée fut bientôt exaltée ; il visita Rome et l'Italie ; ce fut là qu'il rencontra Charlemagne ; le roi et le savant s'entendirent ; Alcuin promit de venir en France, tint sa promesse et reçut de riches abbayes ; puis il s'établit dans le propre palais de Charlemagne, et dut y enseigner les sciences. Ses leçons étaient publiques ; sous les portiques des royales résidences d'Aix-la-Chapelle, Alcuin renouvela les études de l'antiquité, dans la double guerre qu'il fit à l'ignorance et à l'hérésie. Bientôt, abrité au milieu de la solitude de Tours, il médita sur les Écritures ; il fit de sa propre main une copie de l'Ancien et du Nouveau Testament, copie parfaite et exacte, et qu'il offrit à Charlemagne lui-même dans une épitre dédicatoire. Alcuin mourut avancé dans la vie, et son épitaphe, pleine d'humilité, fut longtemps conservée dans la vieille église de Saint-Martin : Voyageur, arrête un peu ici, souviens-toi que ta figure je l'avais, que ton esprit je l'avais également ; je fus un voyageur fameux dans la vie, c'est pourquoi souviens-toi de nourrir plus ton esprit que ta chair, car celle-là périt ; pourquoi désirerais-tu de vastes terres, quand tu vois que ce petit réduit contient mon pauvre corps ? Pourquoi te couvrirais-tu de la pourpre de Tyr, lorsque quelques vers avides dévoreront ta poussière : comme les fleurs périssent sous le vent menaçant, ainsi périra ta gloire ; mon nom était Alcuin ; j'aimai la sagesse et la science, donne-moi quelques prières. Il aimait en effet la science, le studieux Alcuin, l'ami de Charlemagne ; les œuvres qui restent de lui sont considérables. Ses questions sur la Genèse sont une véritable dissertation de philosophie qui se ressent de l'école saxonne du vénérable Bède ; Alcuin discute avec supériorité sur ces paroles de Jéhovah : Faisons l'homme à notre image. Ces paroles font l'orgueil de notre destinée ; Dieu nous a fait semblables à lui. Que de devoirs ! Cet écrit, qui mérita d'être attribué à saint Ambroise ou à saint Augustin, fit la première réputation d'Alcuin ; tantôt le docteur écrit sur les sept psaumes de la pénitence, sur l'usage qu'il faut en faire, et les notables exemples qu'on peut en tirer pour la vie[22] : Âmes saintes, chantez, chantez les louanges de Dieu, les hymnes de glorification, le Pange lingua, cette hymne sublime est-elle de Fortunat ou d'Alcuin ? la critique n'a point décidé. Le docteur saxon disserte encore sur l'Ecclésiaste, sur le cantique des cantiques ; que signifie ce passage : Il y a soixante reines et quatre-vingts femmes du second rang ? en quoi s'oppose-t-il à la sainte unité du mariage[23] ? Vient ensuite un traité sur la sainte et indivisible Trinité, dédié à Charlemagne ; il veut fortifier en lui la foi catholique : Empereur, que ta prospérité grandisse, que tes armes soient toujours prospères ; nous croyons à la sainte Trinité, au Père, au Fils, à l'Esprit : au Père, comme à la puissance de création ; au Fils, comme au rachat du péché ; à l'Esprit, comme à l'intelligence suprême[24]. Charlemagne est toujours pour lui le symbole de la protection et de l'invocation, il lui écrit sous le nom de David : quelle différence existe-t-il entre l'éternité, l'immortalité et la perpétuité ; le siècle, l'âge et le temps[25] ! s'élance ensuite dans la philosophie la plus élevée, sur la raison de l'âme[26] ; c'est à la vierge Eulalie qu'il adresse ce traité : Ô vierge, rapporte-toi à la sagesse de Charlemagne pour t'enseigner la science. Dans son amour de la poésie et des vers, Alcuin envoie à Eulalie une prière à Dieu et une courte instruction, puis des litanies et des prières au Christ. Controversiste, Alcuin est non moins fort, non moins puissant ; il s'attaque à Félix d'Urgel[27] : Qu'enseigne l'hérésiarque, des nouveautés ? Non. — Dire que le Christ n'est que le fils adoptif de Dieu, c'est faire revivre les erreurs de Nestorius. Alcuin se prend également de controverse avec Elipand, évêque de Tolède ; il rédige son livre sur l'Incarnation de Jésus-Christ, il la défend, il la sanctifie ; tantôt il déploie la magnificence du baptême, tantôt les merveilles des sacrements. Il exalte la vertu, il proscrit les vices ; la vie doit se composer de chasteté et de pureté. Jusqu'ici Alcuin est resté dans le domaine de la philosophie ; désormais il va mêler ses études à la littérature et aux plus douces sciences. Il publie un traité des sept arts libéraux, dont il ne reste que quelques chapitres ; celui de la grammaire est en forme de dialogue entre un Saxon et un Franc, qui disputent sur la ponctuation, les mots, leur sens ; le cadre eu est ingénieux ; Franc et Saxon parlent deux langues séparées. Ensuite vient un autre traité sur la rhétorique et la vertu ; celui-ci est plus curieux encore, car c'est en forme de dialogues entre Alcuin et Charlemagne. Le docteur aime à provoquer le suzerain puissant sur les plus hautes questions de la science ; il le met perpétuellement en scène ; on dirait que l'empereur est sa providence, son tout, sa force, sa garantie ; Charlemagne parait comme un théologien studieux, un docteur d'école : qu'est-ce que la rhétorique ? le bel art de parler et de disserter sur toute matière. Alcuin a étudié les livres de Cicéron ; Aristote lui-même ne lui est pas étranger ; la réminiscence des anciens perce partout dans ce temps, et cette réunion de la science et de la vertu dans un même traité n'est-elle pas un symbole déjà tracé par Cicéron dans ses lettres familières ? L'art de bien dire ne doit-il pas avoir son origine dans la pensée et la volonté de bien faire[28] ? Tout dans les études d'Alcuin se rattache à Charlemagne, son protecteur, son ami ; il ne fait rien sans le lui dédier ; c'est un maître toujours en rapport avec ses élèves, l'empereur et ses fils : principe et auteur de la science, il descend néanmoins jusqu'à l'enseignement élémentaire ; son dialogue avec le prince Pépin est un modèle d'analyse de la philosophie humaine et chrétienne à l'usage des jeunes hommes. Biographe de saint Waast, évêque d'Arras[29], il compose les épitaphes des tombeaux, car les tombeaux préoccupaient alors toute la génération. Nul n'a plus écrit de lettres qu'Alcuin ; sa collection est d'autant plus précieuse, qu'elle indique les progrès des arts et des sciences, et rien n'est inutile dans cette étude de l'esprit humain. Vingt-six de ces lettres sont adressées à Charlemagne sur les sujets les plus variés et les plus intéressants, sur l'astronomie, sur les lois, sur l'histoire ; quelques-unes sont en vers latins, d'autres en prose. La poésie forme le délassement de l'homme sérieux ; il aime les hymnes en l'honneur de Dieu, il exalte les mystères de la religion. Léon III vient-il en France ? C'est Alcuin qui écrit un long poème en son honneur. Il mêle les noms des saints chrétiens aux souvenirs de la Grèce et de Rome ; il écrit des vers à ses amis sous les pseudonymes de Daphnis et de Ménalque ; tout un petit poème est consacré à la vigilance du coq, un autre à la tristesse et à la servitude du monde ; un long poème héroïque est destiné à célébrer l'histoire des archevêques d'York ; il dresse même une généalogie du Christ. Il y a dans Alcuin une grande ressemblance avec saint Ambroise et saint Augustin ; c'est un philosophe instruit, dissertateur, esprit d u monde par la forme, scientifique par les souvenirs et les profondes études de l'école saxonne. Sa vie est surtout importante, en ce qu'elle se mêle et se confond avec Charlemagne, dont il fait l'éducation ; c'est à Alcuin qu'il faut attribuer la renaissance des études[30]. Ce curieux transport qui entraîne quelques hommes de science vers l'antiquité grecque et romaine se manifeste surtout dans un simple moine du nom d'Angilbert, surnommée l'Homère de son temps ; Charlemagne le désigne ainsi dans ses épîtres. Si Alcuin venait en pèlerin de la Saxe, Angilbert était neustrien ; il fut l'élève et le disciple le plus cher d'Alcuin ; Charlemagne eut foi dans sa sagesse, car il le donna pour primicier à Pépin, lorsqu'il fut couronné roi d'Italie[31]. Puis Angilbert revient en France, et il épouse Berthe, la propre fille de l'empereur : sa faveur devint grande, il fut duc, gouverneur de la France maritime depuis l'Escaut jusqu'à la Seine. Angilbert, l'un des hommes les plus capables de son époque, fut chargé des missions les plus hautes ; jeune encore et du consentement de Berthe, il se retira dans le monastère de Centule ou de Saint-Ricquier, et il prit l'habit de bure de simple moine ; revêtu de cette humble robe, il accompagna Charlemagne à Rome, lorsqu'il prit la couronne d'Occident, et enfin, renonçant au monde, il abrita son tombeau dans le monastère de Saint-Ricquier, sous une épitaphe un peu moins modeste que celle de son maitre Alcuin : Là repose le mémorable abbé Angilbert ; son esprit étudia les astres ; il construisit ce temple, qui contient son tombeau ; il était illustre par sa science et associé au prince, au temps du grand Charles auguste et il demanda d'être enseveli devant les portes de ce temple. Angilbert, l'Homère de la cour de Charlemagne, fut en effet un poêle ; il adressa à Pépin, roi d'Italie, quelques centaines de vers, dans lesquels il lui peignit la joie qu'a eue Charles son père de le revoir après une absence de plusieurs années ; Pépin, jeune homme de force et de courage, revenait victorieux des Huns : Angilbert célèbre ses victoires ; s'il fondait un monument, une église, un monastère, Angilbert exaltait ces fondations dans ses vers ; tour à tour il écrivait les épitaphes de la mort, les dédicaces des églises ; il aimait à tracer sur le marbre ces caractères qui appellent à la prière et à la réflexion du sépulcre[32]. Leidrade[33], illustre encore à côté du trône scientifique de Charlemagne, était né dans la Norique, il vint ensuite dans la France ou Neustrie, appelé sans doute per Charlemagne, qui réunissait tous les savants autour d'Alcuin : il devint bientôt un homme très haut placé dans les dignités séculières, comme dit son biographe, et utile à l'honneur de la république. Compris parmi ces missi dominici qui parcouraient les provinces pour préparer l'obéissance à l'empereur, il fut élu évêque de Lyon ; il visita la Gaule Narbonnaise, faisant partout observer les capitulaires par les populations méridionales ; sa vie fut une lutte et une surveillance continuelles ; il obtint comme récompense de ses services que les reliques de saint Cyprien, évêque de Carthage, fussent déposées dans la cathédrale de Lyon[34] ; les reliques formaient alors la gloire des cités, l'orgueil du clergé et du peuple ! Les écrits de Leidrade sont moins considérables que ceux d'Alcuin ; ils consistent surtout dans les lettres adressées à Charlemagne. Ici il rend compte de son administration du diocèse de Lyon, là il écrit à sa sœur pour la consoler de la mort de son fils : Celui qui sort de ce monde n'a pas besoin d'un deuil inutile, mais de prières pour le soulager. Ainsi s'exprime Leidrade. Il publie ensuite un traité sur le baptême, ses pompes et ses cérémonies ; il en cherche l'origine dans l'Ancien Testament : n'était-il pas indiqué par les pères ? Leidrade énumère dans un autre écrit les devoirs d'un évêque, qui sont l'œuvre et la prière[35]. Dans sa vie active, il est tout à la fois homme politique et homme littéraire ; il seconde la pensée de Charlemagne dans tout son développement, l'avancement des pouvoirs et des études. Leidrade eut pour successeur dans l'évêché de Lyon un homme plus célèbre que lui dans la vie politique. Esprit méridional, Goth de nation, Agobard vint à Lyon, une des métropoles romaines pour étudier les lettres dans la cathédrale, et fut élu archevêque à peu près à l'avènement de Louis le Débonnaire. Esprit inquiet, toujours agité, il fut un des chefs de cette école d'évêques qui ne reconnaissaient pas la suprématie absolue des papes. La seconde moitié de sa vie, plus active, appartient au règne de Louis le Débonnaire ; il dut nécessairement jouer un rôle considérable avec son tempérament vif, ardent, impétueux, dans cette ligue de l'épiscopat pour abaisser la couronne[36]. Le voilà d'abord, cet Agobard, archevêque de Lyon ; il réfute l'hérésie de Félix, et acquiert ainsi une haute renommée ; infatigable dans son œuvre, il dirige sa puissante volonté contre les Juifs ; il a fait plusieurs traités contre eux, il écrit sans cesse à l'empereur pour les réprimer[37], alors qu'ils avaient trouvé crédit à la cour. Puis il rédige un traité contre le combat singulier, car il est partisan des épreuves par l'eau et le feu[38]. Une certaine supériorité de raison domine dans un traité sur les sortilèges ; les peuples gaulois étaient remplis de préjugés, Agobard les réfute ; ils croyaient aux astres, l'archevêque veut les désabuser[39]. Ce n'est point certes un homme ordinaire qu'Agobard ; son action politique trouvera sa place dans le règne de Louis le Débonnaire ; il commençait l'illustration de sa carrière au temps où Charlemagne régnait sur l'Occident. Dans les chroniques chevaleresques, c'est toujours Turpin qui est invoqué comme garant des témoignages ; c'est comme le jureur de toutes les merveilles. Quel était donc ce conteur de prouesses ? Il a existé, en effet, un archevêque de Reims du nom de Tilpin ou Turpin né vers le commencement du VIIe siècle. Reims était alors agitée par les émeutes de multitude ; au milieu du tumulte, Turpin fut élu pour gouverner l'église désolée ; ce fut un homme de renommée immense[40], et il le faut bien ; pour que six générations aient invoqué son témoignage historique : Turpin l'a dit, Jehan Turpin l'a conté, cela suffisait pour que la vérité fût constatée. Intelligence littéraire laborieuse et prompte, il veilla nuit et jour pour que sa cathédrale fût fournie de bons livres, d'antiques manuscrits. Le monastère de Saint-Remy lui dut sa vaste bibliothèque ; le plus beau livre pontifical qu'elle possédait avant nos troubles publics avait été un présent de Turpin. L'archevêque visita Rome, gagna la confiance des papes ; fidèle conseiller des Carlovingiens, il ne fut point leur secrétaire, leur chancelier ; les romans seuls narrent les faits et gestes de Turpin auprès du roi Charles. Il mourut à Reims, et Hincmar ne dédaigna pas de composer son épitaphe. Ces témoignages de la mort sont quelquefois les seuls documents qui nous restent sur l'histoire d'un homme : Sous cette terre repose Turpin, qui vécut avec le Christ ; le martyr Denis envoya ce pasteur vigilant au peuple de Reims, qu'il gouverna pendant plus de quarante années ; Hincmar lui a fait bâtir ce tombeau et a dicté cette inscription[41]. Des écrits réels de Turpin, il ne subsiste rien ; mais on lui e attribué ces fameux faits et gestes de Charlemagne, qui firent la joie et l'orgueil du moyen âge ; Turpin dut être une lumière du temps ; la génération, sans cela, n'eût pas songé à lui attribuer la chronique la plus populaire, la plus universellement célébrée. Comme travailleur, nul ne pouvait égaler Théodulfe, placé par les contemporains à l'égal d'Alcuin ; Théodulfe était né au delà des Alpes, dans la Lombardie. Tandis que Charlemagne voyageait de Ravenne à Rome, la renommée de Théodulfe vint jusqu'à lui ; il l'appela, le combla de caresses, et ses prières décidèrent Théodulfe à quitter sa patrie pour un nouveau pays d'adoption ; il devint d'abord abbé de Fleury, puis évêque d'Orléans : comme Leidrade et Angilbert, il fut compris parmi les missi dominici qui parcouraient les provinces, et devint homme politique autant que littéraire ; son esprit était clair, ses productions méthodiques. Il y avait de l'organisation dans cette tête, on y retrouvait l'influence de l'esprit qui a dicté les capitulaires : la pensée d'ordre que Charlemagne apporte au gouvernement de son empire, Théodulfe la mettait dans l'administration de son diocèse[42]. Il existe de lui un capitulaire ou instruction, sorte de régleraient pour son clergé ; Théodulfe s'occupe spécialement du baptême, point sur lequel Charlemagne veut que l'église porte son attention[43]. Le baptême était un moyen de civilisation et de gouvernement, un des instruments de la police active de Charlemagne ; le baptême, il l'employait partout pour soumettre les peuples ; il appelait l'attention de tout le clergé sur cette institution, qui sert si bien sa politique : être baptisé pour les Barbares, c'était être soumis ou tributaire de Charlemagne. Théodulfe fait un éloge pompeux du baptême, c'est la régénération la plus pure, la plus complète ; Alcuin est resté dans les dogmes de la philosophie, Théodulfe descend dans la vie pratique. L'opuscule le plus touchant est l'écrit adressé aux divers états de ce monde[44] ; c'est un moraliste qui passe en revue les vierges, les vœux, les pénitences, les serviteurs. Dans un poème séparé, toujours préoccupé de sa morale pratique, il adresse une instruction aux juges sur la manière de prononcer dans les procès[45] ; il leur enseigne comment ils doivent ménager les parties, rendre la justice à tous, afin de mériter la justice d'en haut. Théodulfe est le poète des épigrammes latines ; il
improvise comme presque tous les abbés ; il faisait copier de magnifiques
bibles, et il plaçait en tête de petits vers pour célébrer la grandeur de
l'Écriture sainte. Ce fut le temps de grand luxe de ces copies de missels et
de bibles ; il en existe de pourpre et d'or, avec les caractères violets
comme le saphir. L'art grec s'y révèle à chaque ligue ; cette application de
poésie, Théodulfe l'apporta surtout dans la composition des hymnes ; il
écrivit le chant gloire, louange et honneur[46] que l'église
récite le jour des Rameaux ; ce fut dans cet âge de Charlemagne que furent
également composés la plupart de ces chants solennels qui bruissent avec les
orgues dans l'église catholique. Rien de ce qui est grand n'échappe à la
verve poétique de Théodulfe : ici, il célèbre la victoire de Charlemagne
contre les Huns, il décrit les riches dépouilles faites sur les Barbares[47], il exalte le
prince sur la conversion de ces peuples à la foi du Christ ; là, dans une épître
adressée à Angilbert, il indique l'état des lettres sous le règne de
l'empereur ; puis il parcourt les sept arts libéraux, les études scientifiques
sous Charlemagne. La philosophie chrétienne domine toutes ses poésies : Pourquoi pleurez-vous sur la mort d'un ami et d'un frère ?
La mort n'est-elle pas la condition de la nature humaine depuis Adam ; le
cœur de l'homme doit se délivrer de ses péchés capitaux, c'est le plus beau
triomphe de la nature ; la grâce de Dieu est la plus noble puissance que
l'homme puisse désirer ; saint Paul et saint Augustin l'ont bien comprise et
bien définie. Ne soyez ni hypocrite ni menteur. Hélas ! l'église n'est
plus brillante comme elle l'était au temps des apôtres[48]. Comme tous les pontifes d'une haute intelligence, Théodulfe fait des règlements pour fixer les mœurs et les habitudes des prêtres qui vivent sous la loi épiscopale : Ô mes frères, sachez le symbole des apôtres, priez pour les vivants et les morts, ne négligez rien pour le baptême et les funérailles ; que la pénitence soit mesurée sur les traditions des pères, et jamais sur votre propre caprice ; qu'elle soit publique et haute afin de donner l'exemple ; puisque la loi permet qu'on lève les dimes, qu'on en fasse quatre parts : l'une pour l'entretien de l'église, la deuxième pour les pauvres, la troisième pour l'évêque, la dernière pour les clercs inférieurs. Gardez-vous de la luxure, le plus triste et le plus facile péché[49]. Ainsi tout roule, tout s'applique dans ces poésies à la religion, à la morale, à la théologie ; la théologie est subtile, mais quelle est l'époque qui n'a pas ses subtilités ; nul n'en est affranchi : quand on ne disserte pas sur la nature de Dieu ou de l'esprit, on discute sur l'étendue du pouvoir des hommes ; et cela n'a rien de plus grand ni de plus solennel. Il faut placer comme frères deux hommes qui vécurent simultanément et gouvernèrent deux vastes abbayes, solitudes admirables ! Le premier est Adalard, abbé de Corbie, le second Angésise, abbé de Fontenelle. Fontenelle et Corbie ! qui pourrait dire la splendeur de ces deux monastères au IXe siècle ! Angésise était né de la race des Francs au diocèse de Lyon ; il fit de bonnes études dans la cathédrale ; tout jeune homme encore, brillant de vie et d'espérance, il se consacra à la vie solitaire à Fontenelle[50], sous l'invocation du glorieux saint Wandrille. Angésise fut surtout un légiste et un compilateur ; le premier, il réunit en un seul corps les capitulaires carlovingiens[51] ; il les classa par ordre de matières, et en recommanda l'obéissance à tous avec un égal devoir. C'est à Angésise qu'on doit aussi les constitutions du monastère de Fontenelle, qui devinrent la base de bien des sociétés au moyen âge ; à toutes les époques, à côté des poètes et des prosateurs, il y a des esprits positifs qui s'occupent des principes d'organisation. Adalard, abbé de Corbie, fut d'une haute naissance[52] ; fils de ce comte Bernard, le plus remarquable leude de son temps, celui qui passa les Alpes et les Pyrénées en guidant les armées de Charlemagne. Il avait été élevé à la cour, au milieu des délices et des distractions, il les quitta dès l'âge de vingt ans pour se consacrer au monastère ; il voyagea en Italie et vint s'asseoir à côté de Pépin pour le diriger et le conseiller[53] ; il passait incessamment des cours plénières de France à celles d'Italie, car Charlemagne aimait à le consulter, tant était sur l'esprit qu'il apportait dans les affaires publiques[54]. Il mourut vieux, et sa vie, écrite par Pascase Radbert, est un véritable monument qui dit ses labeurs et ses tristes efforts dans la voie scientifique. Comme l'abbé de Fontenelle, Adalard était un esprit politique et législatif ; ses statuts pour l'administration du monastère de Corbie offrent une sorte de classement de personnes et de fonctions ; l'abbaye était divisée en six rangs : les moines, les étudiants, les serviteurs, les pourvoyeurs, les vassaux, les hôtes ou les étrangers[55]. Parvenu à un âge avancé de la vie, Adalard composa un livre sur l'état du palais de la cour de Charlemagne, à la manière des livres pourprés de Byzance ; chaque fonction était déterminée ; chaque grand avait sa place dans la hiérarchie ; enfin, il écrivit sur les parlements solennels qui se tenaient deux fois par année, parlement de guerre, parlement de justice[56]. Voici deux hommes encore qui entreprirent la réalisation
de deux puissantes idées : le premier, une réforme dans le dogme ; le second,
une réformation dans les mœurs ; Félix d'Urgel[57] et Benoît
d'Aniane[58].
Il a été dit dans ce livre quelles étaient les bases de l'hérésie de Félix
d'Urgel, renouvellement des schismes d'Arius et des Nestoriens. Le principe philosophique de Félix, c'est l'esprit ; le
Christ n'est qu'une émanation lumineuse de cet esprit : soutenir que Dieu
avait une nature matérielle, et qu'elle ait pu se transmettre charnellement,
c'est ce que le philosophe Félix ne pouvait ni comprendre ni admettre.
A chaque époque, il y a un dogme de morale, de philosophie qui devient
l'argument chéri des écoles, la base même de toute discussion scientifique.
Félix, profond argumentateur, développe ses principes contre les hommes
d'études et de philosophie qui entourent et défendent le catholicisme pur et
saint. Il n'est pas un seul prélat qui n'entre hautement en lice contre Félix
d'Urgel ; le dogme matériel des images, le dogme moral de l'esprit sont la
préoccupation de cette époque, la formule de l'opposition contre Rome. Saint
Benoît d'Aniane, homme méridional comme Félix d'Urgel, fut le restaurateur de
la discipline monastique. Brillant d'abord dans les cours plénières comme
échanson et page, il devint plus tard le réformateur austère des ordres
religieux. A côté de l'homme qui ébranle la doctrine, se trouve toujours l'esprit austère qui épure la règle. Benoît d'Aniane se retira d'abord à l'abbaye de Saint-Seine, puis au diocèse de Maguelone, où il bâtit un petit ermitage près du ruisseau nominé Anhui ou Aniane ; deux cents religieux vinrent bientôt se mettre sous la puissance de sa règle. L'ordre monastique d'Occident avait besoin d'une organisation plus haute, plus ferme et d'une plus stricte observation de mœurs, Benoît d'Aniane donna l'exemple ; il devint le promoteur des études scientifiques ; Aniane eut sa bibliothèque et l'abbé multiplia ses labeurs pour avoir des livres et donner une haute impulsion aux études. Benoît avait vu l'Italie, il en rapporta des impressions d'artiste-et de savant, et les cellules d'Aniane se modelèrent sur les admirables retraites du Mont-Cassin. Les monastères qui virent cet exemple l'imitèrent à l'envi, le relâchement des mœurs cessa. Benoît d'Aniane fut bientôt comparé à saint Benoît, qui avait établi les ordres religieux en Occident[59] : l'un fut le fondateur, l'autre le réformateur, et si l'on remarque que les ordres monastiques furent le principe de tout gouvernement, de toute hiérarchie dans le moyen âge, si l'on se rappelle que leurs statuts devinrent la base des communes et des corporations ; il faut alors avouer que nulle institution ne rendit plus de service à l'esprit de science et de règle dans la société. Le grand travail de Benoît d'Aniane est la rédaction des statuts de tous les ordres monastiques, divisés en trois parties distinctes : d'abord les pères d'Orient, qui virent parmi eux les saint Antoine, les saint Pacôme, solitaires du désert ; ces philosophes pratiques qui, à côté des désordres de l'Égypte, de la Syrie, donnaient l'exemple du jeûne et de la macération de la chair. La seconde partie est destinée à fixer les bases de l'ordre de Saint-Benoît, son précurseur dans la caste organisation monacale qui repose sur ces principes : travailler, prier, étudier. La troisième est toute entière destinée aux religieuses, saintes filles qui doivent se recueillir et se sauver en présence du monde[60]. Saint Benoit d'Aniane est ainsi un homme de hiérarchie, comme Félix est un homme de destruction ; ces deux idées luttent éternellement : ici le pouvoir et l'autorité, là l'opposition et la réforme. Saint Benoît s'absorbe dans la conservation des règles, il les interprète et les fait concorder les unes avec les autres ; rien d'étonnant qu'il fût un des adversaires les plus logiques de Félix d'Urgel : les discours de Benoît d'Aniane contre Félix ont été conservés ; le solitaire ne comprend pas que l'on démolisse le principe et la règle, la règle, fondement de toutes les sociétés ; la règle, en vertu de laquelle se gouvernent les sociétés petites ou grandes[61]. Cette époque littéraire de l'empire de Charlemagne vit encore quelques écrivains de plus ou moins grande célébrité ; Magnon, archevêque de Sens, l'un des missi dominici de Charlemagne[62], travailla sur le mystère du baptême, au moment où l'empereur commandait d'expliquer et d'analyser ce sacrement. Ces écrits sur le baptême furent réclamés dans une circulaire, simultanément adressée par l'empereur à tous les évêques ; Magnon, comme tous les missi dominici fut un légiste, on lui doit un recueil des anciennes notes du droit. Smaragde, abbé de Saint-Michel, publia un écrit remarquable qui portait le titre de la Voie royale[63], ouvrage de morale adressé à l'empereur Charlemagne ; il poursuivait les vices capitaux, les passions qui bouillonnent dans l'âme de ces hommes d'armes ; à côté de la voie royale, l'auteur plaçait le Diadème des Moines[64], destiné à ranimer la piété languissante ; c'est sous le nom de Charlemagne que l'abbé de Saint-Michel adressa au pape Léon un écrit sur la nature de l'esprit, haute question de philosophie ; puis il expliqua les évangiles et la messe, les deux bases de la source catholique et de la soumission politique des peuples. Wettin, moine de Richenou, fut un enthousiaste et passionné qui vit et se complut dans un monde surnaturel ; il avait aperçu le purgatoire de purification, le ciel ouvert aux bienheureux, et c'est Walafrid Strabon, son disciple, qui nous e raconté la vision de Wetti[65], car il aperçut Charlemagne au milieu du purgatoire, expiant ses passions de concupiscence. Non loin du monastère de Saint-Denis vivait un homme connu
sous le nom de Dungald ; d'où venait-il ? on croit qu'il était né dans
l'Hibernie ; l'Angleterre et l'Ecosse produisaient alors de vives lumières.
Livré à renseignement, il était maitre pour la philosophie et l'astronomie ;
dans une longue lettre à Charlemagne, il disserte sur les éclipses de soleil
qui se manifestèrent en 810 ; il en fixe les principes et la déclinaison ; il
invoque les témoignages de Platon, de Virgile, de Pline et de Macrobe : Roi et empereur, dit-il, à
Charlemagne, vous protégez les études, et c'est servir Dieu que de donner cette
noble impulsion[66]. Passionné comme
un artiste pour les saintes images, Dungald en fait une description vive,
colorée. Les images, c'est la reproduction de la
divine essence ; la croix c'est le symbole de la rédemption ; les reliques
des saints, sont les pieux souvenirs ; les pèlerinages aux tombeaux, un culte
qui rappelle à l'homme sa destinée. L'adoration n'est due qu'à Dieu seul, et
la vénération doit rester pour les images. Tous les savants payaient
leur tribut à Charlemagne : la protection, les glorieuses actions du prince
sont aussi célébrées par Dungald dans un poème en vers héroïques ; il fait
des vœux pour la prospérité de l'empire et pour celui qui en porte si hautement
le sceptre[67]. Dans cette rapide biographie des hommes considérables qui marquèrent l'époque de Charlemagne, on n'a pu trouver que des ouvrages qui se rattachent au catholicisme et à l'empereur ; il n'y e rien en dehors de ces deux idées, parce qu'il n'y a rien en dehors de ces deux pouvoirs. Quand une génération est sous l'empreinte de certaines formules, tout vient y aboutir ; qui n'aurait pas été occupé de l'église aurait été à cette époque comme étranger aux mœurs et aux idées du peuple ; qui n'aurait pas tout rattaché à la personne de Charlemagne n'aurait pas aperçu ce que le monde entier saluait. L'empire et l'église se tenaient ; le pape et l'empereur, cette double et mystérieuse puissance, dominaient la société, et l'autorité de ces deux idées dominantes se produit incessamment. A cette époque, il se fait une rénovation dans les études ; il y a un travail dans les esprits, travail fervent, enthousiaste, comme pour toute chose qui commence ; l'horizon paraît sans bornes, l'avenir sans limites. Quelle joie naïve n'ont pas tous ces savants, lorsqu'ils perçoivent l'antiquité avec sa littérature et ses merveilles ! Ils forment comme une académie autour de Charlemagne, à ce point que les savants du XVIIe siècle ont voulu trouver dans cette réunion l'origine de l'Université[68] ; on s'y occupe de grammaire, d'astronomie, de poésie ; il faut les voir assis dans le palais d'Aix-la-Chapelle, autour de l'empereur ; ils dédaignent les noms francs et germains de leur origine ; Rome et la Grèce leur paraissent seules dignes de leur grande émotion : Damétas écrit à Homère, David est le protecteur suprême ; l'un est Virgile, l'autre Horace ; ils ont plaisir à scander les vers latins, la langue de la patrie leur parait barbare ; ils vivent sous les impressions romaines : légendes, poèmes épiques, épigrammes, épitaphes, tout est en latin ; eux, pieux chrétiens, catholiques fervents, ils invoquent les muses et mêlent aux descriptions de l'église des réminiscences de l'antiquité profane. Virgile, tes vers harmonieux excitent un indicible enthousiasme dans cette académie naissante ; ils pleurent avec Ovide, ils parcourent Rome régénérée avec Macrobe ; Homère le sublime aveugle trouve des sectateurs dans toutes les abbayes. Sur chaque point de ce vaste empire se trouvent des écoles publiques et monastiques, sortes de métropoles de l'instruction. La Neustrie comptait plusieurs de ces écoles-mères, répandant partout la science ; la plus célèbre par son antiquité était celle de Saint-Martin de Tours, sous la direction d'Alcuin[69], dont il a été déjà parlé ; les leçons étaient publiques ; on y enseignait les belles-lettres, la grammaire, l'astronomie ; le concours d'étudiants était prodigieux ; il en venait d'Allemagne, d'Angleterre. Alcuin était secondé par un jeune homme du nom de Sigulfe ; ardent admirateur de Virgile, Virgile faisait ses délices, il l'étudiait nuit et jour ; de pieux évêques venaient s'instruire à Saint-Martin de Tours ; les sciences se répandaient dans toute la Neustrie ; les bibliothèques se composaient de quelques centaines de volumes ; les livres n'étaient point rares comme ils le devinrent plus tard au Xe siècle ; les bibliothèques monastiques s'étaient enrichies dans les pèlerinages en Italie et en Orient ; Charlemagne avait tiré de Constantinople et de la Syrie de riches manuscrits ; les auteurs de l'antiquité devenaient familiers. C'était encore une école neustrienne que celle de Corbie, sous le docte Adalard ; à Tours, la doctrine saxonne, l'érudition anglaise paraissaient dominer ; à Corbie, c'était l'influence romaine du pape. Là était peut-être une bibliothèque plus riche que celle de Saint-Martin de Tours : voyez-vous ce pontifical en lettres d'or sur vélin, c'était la propriété de l'abbaye ; sur ces rayons pressés se déployait un Saint-Jean Chrysostome dont la couverture était de pourpre, enrichie d'ivoire ; les pierres précieuses brillaient de tous leurs feux sur ces beaux livres confiés aux abbés de Corbie. Les écoles enseignaient nuit et jour la science sous les célèbres abbés Pascase Radbert et Anschaire. C'est à l'abri de ces hautes murailles que fut rédigé le livre du calcul des temps par Raban Maur ; c'est de Corbie que s'élançaient les missionnaires chargés d'enseigner la science et le christianisme dans le nord de l'Europe : quelle est curieuse et belle la relation de saint Anschaire qui parcourut la Dacie et la Suède au IXe siècle[70] ! Que dire des écoles Saint-Waast d'Arras, de Saint-Fleury ou de Saint-Benoît-sur-Loire, de Fontenelle, la merveilleuse source de la science ecclésiastique ! Voici Ferrières[71] ; plus célèbre encore par ses études chéries de l'antiquité profane, car on y étudiait Salluste et Cicéron ; les plus purs, les plus beaux ouvrages n'étaient point étrangers aux occupations de ces moines, ils commentaient Quintilien et Térence ; il y avait dans le monastère de jeunes clercs qui ne s'occupaient qu'à transcrire les anciens poètes et les orateurs. Toutes les écoles neustriennes correspondaient avec l'aréopage qui entourait Charlemagne ; il y avait un centre pour la science comme il en existait un pour l'administration et la politique. Fulde et Saint-Gall furent les deux métropoles des études germaniques : l'une, presqu'au nord, et l'autre tout à fait au midi de l'Allemagne. Fulde n'existait que depuis la prédication chrétienne de saint Boniface ; le saint évêque qui avait prêché le christianisme aux Saxons crut indispensable d'établir un centre des sciences humaines, pour les répandre de là dans toute la Germanie ; Fulde fut sa création chérie après de Mayence ; elle était pour ainsi dire jetée au milieu des Saxons comme la source sainte des enseignements ; Raban fut entre ses abbés le plus instruit et le plus versé dans les sciences ; à celui-ci succéda Rudolfe, moine d'Allemagne, historiographe, poète et auteur dans tous les arts[72]. Ne dédaignons pas ces Morts qui occupaient I attention de tout un siècle : qui sait s'il restera quelque chose des œuvres de notre propre génération ! Fulde eut de dignes filles de sa science, comme Corbie en avait des siennes ; l'école d'Hirsauge, au diocèse de Spire, fut une émanation des études de Fulde ; de jeunes moines à la tête ardente y commentèrent le Cantique des cantiques et le livre de Tobie[73] ; Herderic en dirigeait la musique avec un art si doux, qu'on accourait de cent lieues pour l'entendre ; l'origine d'Hirsauge était déjà antique au Xe siècle. Saint-Gall, le monastère de l'Allemagne méridionale, vit grandir sa bibliothèque ; ses religieux s'occupaient surtout à transcrire les livres avec une patience admirable, service immense qu'ils rendaient ainsi à l'avancement des connaissances humaines. Qui n'aime à rechercher les débris de Saint-Gall, le véritable monastère de l'époque carlovingienne. Mabillon, le savant voyageur, a reproduit le tracé de ce monastère, tel qu'il existait sous Louis le Débonnaire ; on y voit, comme il le dit dans la simplicité de son langage : des écoles au dedans, et des écoles au dehors[74] ; l'enseignement pour les moines, l'éducation pour tous. Les sept arts libéraux figurent comme le grand arbre de l'intelligence ; dans les heures solitaires, au bord du lac de Constance, ces moines de Saint-Gall se livraient aux labeurs des mains ; ils avaient l'adresse de ces montagnards des Alpes qui pensent, réfléchissent, et travaillent à la face de Dieu : là, vécut dans le IXe siècle, un moine du nom de Syntramne ; il excella, dit la légende, dans la peinture, la gravure, et l'art de toucher toutes sortes d'instruments[75]. La gravure ne serait donc pas ainsi une invention du XVe siècle, elle appartiendrait à une époque allemande plus reculée, au moyen âge germanique ? Ce fut à l'abri de ce monastère que se forma l'imagination pittoresque et conteuse du moine de Saint-Gall, le chroniqueur qui composa par ordre de Charles le Chauve l'histoire de Charlemagne. Dans ces murailles on pardonnait beaucoup, pourvu que la science purifiât la dissipation mondaine ; et la légende du fils de Kibourg indique quelle indulgence on avait pour les hommes de littérature et de science[76]. Si les écoles de Fulde et de Saint-Gall étaient purement germaniques, celles de Mayence et de Metz gardaient comme un mélange d'origine austrasienne et neustrienne : Mayence sur le Rhin, fondation de saint Boniface I C'est de là qu'il était parti pour convertir les Saxons, les Allemands, les Bavarois ; la série de ses maîtres et docteurs était considérable ; le docte Lune fut le successeur de saint Boniface ; on parlait le grec à l'école de Mayence ; quelques moines même savaient l'hébreu ; son saint monastère avait donné naissance à l'école de Paderborn[77], à l'enseignement de Metz et de Verdun ; Metz, célèbre surtout par ses grammairiens, Verdun par ses copistes. Toutes ces écoles allemandes furent aussi renommées pour le chant d'église : à Metz, à Fulde et à Saint-Gall, on s'occupait des antiphonies, des hymnes comme d'une chose sérieuse ; c'est que les Allemands avaient déjà ce sentiment profond de l'art dans la musique. Au sein de ces solitudes, quand le silence régnait partout, ils aimaient à se faire entendre en chœur, accompagnés de l'orgue. La voix des Francs était criarde, elle n'avait ni la douceur de celle des Grecs, ni l'accentuation facile des Italiens ; les Allemands avaient d'admirables notes basses, des sons graves et solennels ; ils étaient de sublimes compositeurs pour ces hymnes de morts ou d'actions de grâces qui s'élevaient à Dieu au milieu des bruissements des orgues dans la cathédrale. Ainsi la triple nationalité germanique, austrasienne, et neustrienne était parfaitement reproduite par les écoles monastiques. Restait maintenant l'Italie et le royaume dès Lombards, dont la nationalité était représentée par la vénérable école du Mont-Cassin ; ici la science était poussée à son plus haut degré de perfection, depuis que saint Benoit lui avait donné ses règles ; placé entre la civilisation grecque et la civilisation latine, le monastère du Mont-Cassin recevait le double reflet de Rome et de Byzance. Au milieu des tempêtes publiques, le Mont-Cassin était resté comme un monument religieux des temps antiques ; sa bibliothèque si riche était demeurée intacte, la barbarie ne l'avait pas dispersée : on y trouvait des Bibles sur or, des textes aussi précieux que ceux de Constantinople, les livres de l'école d'Alexandrie, la philosophie d'Aristote[78] ; Homère et Cicéron avaient là un culte aussi vénéré que les pères de l'église. Le Mont-Cassin fut le puissant instructeur des ordres monastiques, le type sur lequel on se modela partout, et cette influence fut d'autant plus vive, d'autant plus grande, qu'il existait une douce et invariable fraternité entre tous les moines[79] ; ils formaient comme une vaste république : un frère de Saint-Benoît voulait-il voyager ? il trouvait partout hospitalité et appui[80] ; il pouvait parcourir les bibliothèques, écouter les enseignements ; le plus souvent les monastères étaient des succursales ou des colonies fondées par les églises mères[81]. Il n'y avait pas pour eux de patrie ; un moine d'Angleterre venait dans la Neustrie ou l'Austrasie, et un frère d'Aquitaine venait s'abriter sous l'hospitalité d'une abbaye lombarde ou italienne. De là devait naître cette influence mutuelle et scientifique d'une abbaye sur une autre. Quand un monastère avait une science immense, il la donnait, il la communiquait ; toutes les fondations religieuses appartenaient au même rang ; il y avait des moines messagers de la science qui allaient échanger les chartres, porter les manuscrits, ou renouveler les études d'une solitude à une autre. Tel fut l'esprit de cette époque littéraire. Charlemagne voulut la centraliser dans ses Mains ; devait-elle survivre à cette haute impulsion ? L'empereur une fois au tombeau, les études ne devaient-elles pas disparaître avec lui ? Le commencement du règne de Louis le Débonnaire présente encore quelque hautes physionomies dans les sciences ou dans les lettres ; c'est sous son règne que fleurit Hincmar, l'archevêque de Reims, le clerc qui célébra dans la pompe de son style les coutumes et les habitudes du palais de Charlemagne[82] ; Agobard, archevêque de Lyon, homme politique encore plus que littéraire ; il n'est pas un événement alors d'une certaine importance auquel ne se trouve mêlé nom d'Agobard[83]. Pascase Radbert conserve un caractère sérieusement Scolastique ; il suit les études pour elles-mêmes ; il se préoccupe de ce qu'elles ont de large et d'actif ; Anachaire est l'évêque voyageur, le prédicateur qui court enseigner aux nations sauvages le christianisme et la civilisation ; c'est le saint Boniface de la Scandinavie. Mais quels que soient ces hommes d'intelligence et de portée, on doit remarquer que la science et les études, favorisées sous le règne de Charlemagne, sont en décadence pleine et entière déjà même sous Louis le Débonnaire[84]. Les écoles n'ont plus leur importance, les études leur ardeur ; les populations sont revenues à leur état d'ignorance, et ceci tient à plusieurs causes. Il en fut de l'œuvre littéraire de Charlemagne comme de ses conceptions politiques, l'unité tenait à sa personne, elle n'était ni dans les idées, ni dans les habitudes de cette société. Quand l'empereur toucha la tombe, il n'y eut plus de sciences, plus d'instruction ; le peuple n'en souhaitait pas : le serf pouvait-il désirer la lumière ! L'homme d'armes dédaignait les livres même chrétiens et pieux, si ce n'est pour les dépouiller de l'escarboucle brillante : combattre et s'agiter dans les batailles était bien plus dans ses habitudes et ses goûts, et que pouvait importer aux comtes et aux leudes l'avancement de l'intelligence ? On ne cite pas un seul de ces hommes de fer qui ait écrit une pensée[85] ; ainsi toute l'impulsion fut personnelle à Charlemagne ; après lui, on revint à l'instinct grossier de la conquête, on se dépouilla, on se fit la guerre de manoir à manoir. Les études disparurent dans le morcellement de l'empire ; il n'y eut plus de centre, plus de mouvement organisateur ; si quelques hommes isolés s'occupèrent encore des études[86], il n'y eut plus cette tendance ardente littéraire qui domina le règne de Charlemagne. Le temps se prêtait-il d'ailleurs aux silencieux progrès de l'intelligence ? Charlemagne avait préparé par un certain ordre administratif la paix ou la trêve générale de la société ; on pouvait travailler avec liberté et sécurité sans craindre les violences des hommes d'armes et de force ; les études veulent le repos de l'esprit, la stabilité de l'existence. Mais ce repos, où le chercher dans l'agitation soudaine, profonde, qu'entraina la fin de Charlemagne ? La société fut déchirée en mille fragments ; le système féodal commenta à se lever comme le code de la génération ; non seulement l'empire fut mis en lambeaux, mais chacun de ces lambeaux se divisa en comtés, en souverainetés si petites, qu'il ne put y avoir désormais ni rapports, ni communication d'idées, d'intelligence et même d'administration[87]. Les comtes devinrent étrangers les uns aux autres ; chaque château fut une souveraineté. Constantinople et Rome[88] qui avaient été en perpétuels rapports avec Charlemagne pour lui ouvrir les trésors infinis de l'antiquité, devinrent entièrement inconnues à la société féodale ; on sut à peine si elles existaient ; ces hommes de force, dédaignaient les connaissances humaines : à quoi pouvaient-elles leur servir ! L'art de la guerre seul se perfectionna, parce que seul il était un besoin pour tous. Le Xe siècle n'eut donc aucun rapport avec la fin du VIIIe et le commencement du IXe ; tout disparut et s'abima dans le chaos[89]. Au moins le monastère va-t-il rester la noble source des études ? A l'abri du monde et de ses secousses, les moines vont-ils se livrer à la patiente copie des manuscrits, aux enseignements de leur modeste école ? Non ; la décadence est ici aussi rapide, aussi profonde que dans la société générale, et cela tient aux calamités qui pèsent sur les fondations ecclésiastiques comme sur le peuple. Les âges qui précédent le IXe siècle avaient vu grandir considérablement les fondations monastiques : partout l'ordre de Saint-Benoît avait jeté un éclat merveilleux ; la paix silencieuse des monastères avait favorisé les écoles de science, et l'on vient de voir combien le goût s'en était généralisé. Charlemagne au tombeau, la paix de la solitude n'existe plus ; comme celle du monde, elle disparait sous la double invasion des Normands et des Sarrasins ; les Normands, cruels ennemis des monastères, brisent les autels, brûlent les murailles, pillent les reliquaires. Naguère on voyait s'élever encore de riches cellules, des églises solidement construites ; les Normands n'ont pas laissé pierre sur pierre ; ils ont massacré les religieux, ou bien ceux-ci ont été forcés de se cacher dans les souterrains[90] ; la plupart des monastères, situés sur les borda des rivières, dans les vastes plaines qui entourent la Seine, la Loire, la Saône, ont été ainsi exposés au pillage ; tandis qu'au Midi, les Maures et les Sarrasins ont pénétré jusque dans le Rhône[91]. Au milieu de ces désolations, quel temps restait-il aux méditations, au labeur scientifique ? avait-on le loisir d'étudier lorsque la flamme brûlante lézardait les murailles ? Que restait-il au cœur de ces pauvres moines, si ce n'est les litanies tristes et sombres pour implorer la miséricorde de Dieu contre les ravages des Normands[92]. Souvent, au milieu de quelques études sérieuses, le religieux suspendait tout à coup le livre qu'il avait commencé, le manuscrit de Cicéron ou d'Ovide ; puis, s'écriant d'une voix lamentable : Qui nous délivrera des ravages des Normands ? libera nos a furore Normannorum ! Telle était la plainte de toute cette génération triste et désolée ; s'ils avaient un loisir dans leur longue nuit, les religieux écrivaient quelque légende sombre, fatale[93], car tout était triste autour d'eux. Tremblants devant le péril auquel ils venaient d'échapper, quelquefois aussi les religieux décrivaient la translation des reliques, et il le fallait bien[94] ; quand les Barbares s'approchaient d'un monastère, toute la sollicitude des pieux moines était de sauver le reliquaire ; on devait le transporter d'un désert à un autre désert ; le cacher dans des lieux inconnus. C'était ce saint voyage que les religieux retraçaient, le cœur oppressé, la larme à l'œil : à chaque pas des miracles, à chaque danger des lamentations ; et les Bollandistes nous ont conservé un grand nombre de ces récits, expressions affligeantes des terreurs contemporaines. Ainsi, l'empire de Charlemagne est une période limitée pour les lettres comme pour la constitution politique ; rien de ce qui précède, comme rien de ce qui suit ne peut lui être comparé ; c'est une époque d'exception qui tient toute à un homme et qui disparaît avec lui. Le mouvement scientifique n'était pas dans les esprits ; il n'y a pas de génie qui ait la faculté de faire un tout avec rien ; ce serait un des attributs de Dieu. On peut bien s'associer quelques hommes d'élite, qui entraînent et dominent un moment la civilisation ; mais lorsqu'une génération n'est pas empreinte de certaines idées, on ne peut pas les faire naître. Il n'y avait désir et besoin d'études que dans la superficie, l'intelligence littéraire n'était que dans quelques hommes ; la masse restait ignorante dans la double servitude du corps et de l'esprit. Que dut-il résulter de là ? c'est qu'après le règne de Charlemagne, tout fut replongé dans les ténèbres. Ce qu'il y avait de byzantin et de romain dans l'œuvre de l'empire d'Occident disparut ; l'époque littéraire du XIIe et du XIIIe siècles sous Philippe-Auguste n'a plus aucun rapport avec les études carlovingiennes ; c'est une littérature neuve, attrayante, nationale, chevaleresque, qui mit de la féodalité. Quelque chose d'étrange, de fantastique s'était produit sous le règne de Charlemagne : imaginez-vous une vive lumière apparaissant dans les ténèbres : elle éclaire brillamment ; mais qu'elle disparaisse, la nuit devient plus profonde et plus absolue. Telle fut la première époque carlovingienne ! |
[1] Comparez Pertz avec Baluze et Goldast, Constit. imperii. La législation est encore le grand œuvre de Charlemagne.
[2]
Benoît, diacre de l'église de Mayence, nous apprend comment étaient rédigés ces
capitulaires. C'étaient ordinairement les plus habiles d'entre le clergé qui
les coordonnaient pour les soumettre ensuite à l'empereur. Voyez Baluze, Capit., t. I, p. 803-806.
[3] Goldast, Const. imp., t. I,
p. 17.
[4] Goldast, Const. imp., t. II,
p. 6-8.
[5] Goldast, Const. imp., t.
III, p. 120.
[6] Ce fut une douce et scientifique association que celle de dom Martène et dom Durand, restant cinq années dans les couvents d'Italie pour rechercher les MSS. ; il en résulta l'Amplissima collectio. Voyez t. VII, p. 5-16.
[7] Comparez Fabricius, Biblioth. lat., liv. III, p. 942.
[8] Collect. concil., t. VII, p. 1047. — Hispan., t. III, p. 110-114.
[9] Cette lettre se trouve dans le recueil d'Alcuin, p. 1147-1150.
[10] La lettre pour l'établissement des écoles est circulaire ; elle est datée de 787. Baluze, t. I, p. 201-204.
[11] Elle est dans Mabillon, liv. XXVI, n° 62 ; Analect., t. I, p. 25.
[12] Dissertat. de gratia septiform. Spiritus ; Dom Mabillon, Anal., t. IV, p. 312-317.
[13] Alcuin a recueilli cette épître, 83-84.
[14] Concil., t. VII, p. 1199.
[15] Fabricius (Biblioth. latin.) a été un des grands collecteurs des poésies de Charlemagne, t. I, p. 964-958.
[16] Éginhard, De vita Carol. Magn.
[17] Les érudits ont prétendu qu'une médaille qui représente un char traîné par un lion et un bœuf se rattache à cette concordance des écritures accomplies par Charlemagne. (Bénédict., Hist. littéraire, t. IV, p. 410. Comparez avec Fabricius, liv. III, p. 951).
[18] Je crois, au reste, que tous les clercs aidèrent Charlemagne à composer cet ouvrage. La première édition des livres Carolins a été publiée par Jean du Tillet en 1549, in-16, sans nom de lieu et d'imprimerie.
[19] Le véritable nom d'Alcuin doit se prononcer Alcwin (saxon). Il prit ensuite le nom d'Albinus dans l'académie carlovingienne.
[20] Aquila.
[21] Sur la vie d'Alcuin, consultez Mabillon : Act. Benedict., t. 5, pag. 147.
[22] Alcuin, Opuscul., Paris, Nicolas le Riche, 1547, 2e édit. 1555.
[23] Il a été publié par Canisius, Lection. Antiquat., t. VI, p. 386.
[24] Alcuin, Opera, pp. 701-700. Alcuin débute dans cet ouvrage par une profession de foi : Credimus SS. Trinitatem, id est Patrem et Filium, etc.
[25] Eternum et sempiternum, immortale et perpetuum : Sœculum œvum et tempus, Alcuin, pp. 765-770.
[26] De Ratione animœ.
[27] Contra Felix episcop. Urgel. Alcuin, pp. 781-900, et Baluze, Miscellan., t. Ier pp. 416-417.
[28] Ce traité est dans les œuvres d'Alcuin, p. 1319-1354 ; il a été publié séparément l'Haguenau, chez Jean Sue, 1529, sous le titre d'Institutiones rhetoricœ. La meilleure édition d'Alcuin est celle de Duchesne.
[29] Alcuin, p. 1403-1420.
[30] Comparez sur tous ces livres : d'Ascheri, Spicilig., t. VI, p. 139 ; Lambecius, Biblioth., t. 2, p. 403-415 ; Fabricius, Biblioth. lat., liv. III, p. 954-958. Bollandist., 6 février, p. 794-799 ; Mabillon, Analect., liv. XXVI, n° 50.
[31] Angilbert n'était point encore prêtre, bien qu'Adrien lui donne le titre de Capellanus. Ce mot ne signifiait pas toujours un prêtre, mais un simple clerc, un scribe et secrétaire.
[32] Duchesne a publié ce petit opuscule en vers, t. II, p. 648-647.
[33] Leidrade est appelé Laidrace ou Leidaque par Félix d'Urgel ; Alcuin lui donne le nom de Leobrade.
[34] Voyez Agob., t. II, p. 120-122.
[35] C'est Mabillon qui a publié ces écrits de Leidrade, Analect., t. III, p. 1-28. Il a donné aussi son épitaphe, ce témoignage de la mort.
[36] On croit qu'Agobard était né en Espagne : c'est l'opinion de Mabillon. Il y a une vie d'Agobard contemporaine.
[37] De insolentia Judœorum. J'ai analysé ces traités dans mon travail sur les juifs ; ils sont dans les œuvres d'Agobard, t. I, p. 98-102.
[38] Opera, p. 107-121.
[39] Opera, p. 145-164.
[40] Sur Turpin l'archevêque, consultez Mabillon, Annal., l. XXII, n° 74 ; Martène, l. III, ch. Ier. Flodoard : Histoire des archevêques de Rheims, liv. II, c. 17.
[41] Mabillon, Annal., l. XXVI, n° 98.
[42] Théodulfe, Opera, p.
921-934. — Mabillon, Annal., p. 386-487.
[43] Théodulfe, Opera, p.
943-968.
[44] De omnibus ordinibus hujus sceculi. (Il a été publié par d'Ascheri : Spicelig., t. V, p. 117.)
[45] Théodulfe, lib. I, carm.
1029, 1016.
[46] Gloria,
laus et honor (hymne solennel).
[47] Théodulfe, liv. III, carm.,
p. 1062-1077.
[48] Théodulfe, carm., lib. VI, p. 1108-1124. Voyez aussi Mabillon, Annalect., t. I, p. 376-386.
[49] C'est à Canisius surtout que nous devons la plus grande partie des poésies de Théodulfe. Canisius biblioth., t. II, par. 2, p. 59-80. Le père Labbe en a publié d'autres encore sous le titre de Carmina ad diversos, et de divertis argumentis ; Labbe, Scriptor., t. II, p. 408.
[50] Mabillon, Act. B., t. V, p. 630-631 ; Analect., l. XXX, n° 60.
[51] Voyez ce qu'en dit Baluze, Capit., t. I, p. 697-700. Voyez d'Ascheri, Spicilig., t. III, p. 242.
[52] Pascase Radbert, vita Adalard., n° 7, 61.
[53] C'est ce que dit la Chronique de Mont-Cassin, lib. II, ch. 18.
[54] Hincmar dit de lui qu'il l'avait vu à la cour de Charlemagne : Inter primos conciliaros primum.
[55] D'Ascheri a publié ces statuts, t. IV, p. 1 à 20.
[56] Ce traité a été donné dans Hincmar, Inst. reg., p. 201-216.
[57] La meilleure source pour écrire la vie de Félix, évêque d'Urgel, est la biblioth. hispania veter, t. III, liv. VI, ch. II, et dom Vaissète, Hist. du Languedoc, t. Ier.
[58] Mabillon a recueilli la vie de saint Benoît d'Aniane, Act. sanct., t. V, p. 194. (Voyez le travail de M. Tomassy, dans le recueil de la Société des antiquaires de France.)
[59] Théodulfe le compare en effet à saint Benoît le Grand. (Théodulfe, liv. 2, carm. 6.)
[60] Cet ouvrage est intitulé : de Concordia regulis dans Mabillon ; Acta sancti Benedict., t. V, p. 213.
[61] Baluze a publié ces opuscules dans ses Miscellanea, t. V, p. 1-62.
[62] Sainte Marthe, Gallia christian.,
t. I, p. 617.
[63] D'Acheri l'a donné dans son Specilegium, p. 1-56.
[64] Biblioth. pp., t. XVI, p. 1305-1341.
[65] J'ai parlé de cette vision du moine Wettin, dans le chap. IX de ce volume.
[66] D'Ascheri, Spicileg., t. X, p. 143 ; Mabillon en parle aussi.
[67] Quelques uns des ouvrages de Dungald ont été publiés par Papire le Masson, 1608 ; on les a donnés dans la Biblioth. des Pères ; t. III. Dam Martène et dom Durand y ont fait des additions.
[68] C'est l'opinion qu'a fermement soutenue du Boulay, t. I, p. 91. Comparez Mabillon, n° 181.
[69] C'est un des plus curieux travaux d'érudition que de parcourir les œuvres d'Alcuin, et encore Alcuin n'est-il pas le plus fervent adorateur des études profanes ; il est avant tout chrétien.
[70] Voyez cette relation du voyage d'Anschaire dans Mabillon, Acta sanct., t. VI, p. 156, 158.
[71] Ferrières devait sa fondation à Sigulfe, l'un des disciples d'Alcuin ; mais elle fut surtout célèbre par Loup, son abbé ; Mabillon, Annalect., liv. XXXII ; n° 57. On peut voir dans les épistol., Lup. 62 ; 66, 69, 104, quelques traits de la vocation véritablement littéraire de moines de Ferrières.
[72] Doctor egregius et insignis floruit historiographus et poeta, atque omnium artium nobilissimus auctor. Voyez sur l'abbaye de Fulde, Mabillon, lib. 36, n° 49 ; Duchesne, t. II, p. 560 ; Trith. Chron. Hirsaug., p. 31.
[73] Mabillon, Annal., lib. XXXVI, n° 50.
[74] Mabillon, comme la plupart des plus savants religieux de l'ordre de Saint-Benoît, entreprenait des voyages scientifiques en Allemagne et en Italie. Quelle sainte et noble vie que celle de dom Martène de dom Durand et de dom d'Acheri ! ils avaient visité l'Europe pour y rechercher des MSS. perdus dans la poussière des âges.
[75] Mabillon, Ann., lib. XXXIII, n° 36.
[76] Wolon, fils du comte de Kibourg, fut un moine très dissipé, mais on lui pardonna à cause de sa science. Cependant l'abbaye de Saint-Gall passait pour très orthodoxe, doctrina et disciplina non impar in eorum actibus ubique elucet.
[77] Le monastère de Saint-Alban surtout se distingua par la science ; il avait été fondé par saint Boniface : on se rappellera qu'Alban était un saint national pour les Saxons.
[78] La bibliothèque du Mont-Cassin est encore une des plus riches en MSS. C'est un oasis ait milieu de ces pays un peu désolés qui séparent Naples de Rome.
[79] Les moines formaient tous une même famille ; ils se devaient mutuellement l'hospitalité : saint Benoît avait imposé le partage égal de tous les biens. Le monastère ne possédait rien en propre.
[80] Ceci existait encore quelque temps avant la révolution française, c'est ce qui facilita considérablement les recherches de dom Martène et dom Durand dans leurs voyages.
[81] Ainsi, l'un des monastères le plus hardi en fondations fut celui de Corbie ; il fonda la fameuse retraite de Corwei en Saxe.
[82] Hincmar : De ordine palatii, livre au reste fort remarquable.
[83]
Par se faire une juste idée d'Agobard, lisez : sanct. Agobard. archiepiscop. ; Lugduvensis, operum ; D.
Stépbani Baluzii ; Paris, 1686, 2 vol. in-8°.
[84] La décadence fut encore plus profonde à la mort de Louis.
[85] Les Bénédictins, ces guides exacts, n'ont pas cité un seul livre d'un leude ou d'un comte dans le VIIIe et IXe siècles.
[86] Le règne de Louis le Débonnaire conserve quelques reflux du temps de Charlemagne. (Voyez les Bénédictins : État des lettres dans les Gaules, IXe siècle.)
[87] Au Xe siècle jusqu'aux croisades, les routes d'une cité à une autre étaient impraticables ; il se fit une complète cessation de rapports communaux, et l'on s'écrivait avec des expressions de terreur à dix lieues, comme si l'on était séparé par un monde.
[88] On doit à la persévérance des papes et à la grandeur des conceptions de Grégoire VII la conservation de tout ce qui restait en débris de l'idée d'unité. (Voyez mon Hugues Capet, t. I.)
[89] Mabillon a parfaitement décrit cette chute fatale des études au IXe et Xe siècle, Annal., liv. XXX, n° 26. Comparez avec la Collect. concil., t. IX, p. 401.
[90] Voyez les Annales de Saint-Bertin, 825-870.
[91] Les Normands vinrent même piller les monastères de Saint-Denis et de Saint-Germain-des-Prés et de l'Auxerrois, 865.
[92] Beaucoup de missels du moyen âge contiennent des prières pour se délivrer du fléau des Normands.
[93] Les légendes les plus curieuses et les plus sombres furent écrites du IXe au Xe siècle.
[94] La chronique qui exprime le mieux les ravages des Normands est contenue dans le MSS. du roi, n° 10307-5. On voit quelles terreurs faisaient les Scandinaves, et les précautions prises par les églises.